1
A116 68 e Congrès de la Société franc ¸ aise de médecine interne, Saint-Malo, 12–14 décembre 2013 / La Revue de médecine interne 34S (2013) A80–A180 CA076 Hypomagnésémie et inhibiteurs de la pompe à protons C. Phan , T. Sené , M. Roumier , A.-M. Piette , I. Marroun , J.-E. Kahn Service de médecine interne, hôpital Foch, Suresnes, France Introduction.– Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) sont de nos jours largement utilisés dans les troubles liés à l’acidité gastrique, notamment avec l’avantage de présenter un profil d’effets secondaires favorable. Cependant, plusieurs cas d’hypomagnésémie liée à un traitement par IPP ont été recensés depuis 2006 [1]. Nous rapportons ici le cas d’une hypomagnésé- mie profonde liée à une utilisation chronique d’IPP, révélée par une atteinte neuromusculaire. Patients et méthodes.– Un patient de 69 ans était suivi pour des trem- blements depuis fin 2012, étiquetés syndrome extra-pyramidal, pour lequel un traitement par Modopar avait été instauré. La symptomatologie s’est progressivement compliquée d’une fai- blesse musculaire et de paresthésies, avec des tremblements persistants, sans hypertonie. Le bilan biologique retrouvait une hypokaliémie à 2,8 mmol/l, une hypocalcémie à 1,63 mmol/L, et une hypomagnésémie sévère à 0,13 mmol/L, pouvant expliquer les troubles ioniques précédents. Après avoir éliminé les autres causes d’hypomagnésémie (diarrhées, vomissements, éthylisme chronique, diabète décompensé, utilisation chronique de laxatifs ou diurétiques, tubulopathie proximale ou syndrome de Gitelman) et avec une relecture attentive de la littérature, l’étiologie retenue était une hypomagnésémie induite par l’esoméprazole. En effet le patient a été traité par pantoprazole de 2001 à février 2012 puis par esoméprazole, ce qui condorde avec l’apparition des troubles ioniques et des symptômes fin 2012. Résultats.– L’évolution clinique (disparition complète des troubles neuromusculaires) et biologique a été favorable après arrêt de l’esoméprazole (remplacée par de la ranitidine), supplémentation intraveineuse en magnésium, potassium et calcium. Après 2 mois d’arrêt de toute supplémentation, la magnésémie est normalisée à 0,82 mmol/l. Nous retenons l’imputabilité de l’esoméprazole, qui est remplacé par de la Ranitidine. Discussion.– Les mécanismes de l’hypomagnésémie induite par l’IPP sont mal connus, l’hypothèse avancée serait une perturba- tion du transport actif de magnésium, médié par les récepteurs de la mélastatine TRPM6 et TRPM7 des canaux protéiques intes- tinaux [1,2], eux même impliqués dans des causes génétiques d’hypomagnésémie. Selon les données disponibles, l’oméprazole et l’esoméprazole seraient les deux molécules en présence desquelles on rapporte le plus grand nombre de cas d’hypomagnésémie et la majorité des cas survenait chez des utilisateurs d’IPP de longue date. Plus rarement, comme dans le cas présenté, l’utilisation de l’IPP était susceptible d’induire une hypomagnésémie en 1 an ou moins. Conclusion.– Une hypomagnésémie, révélée par une hypokaliémie et/ou une hypocalcémie, éventuellement associée à des manifesta- tions neuromusculaires, est une complication rare mais bien décrite de l’utilisation prolongée des IPP. Un contrôle préalable puis annuel du magnésium sérique en cas d’introduction d’un traitement par IPP serait recommandé par certains auteurs [3]. Références [1] Hoorn EJ, et al. Am J Kidney Dis 2010;56:112–6. [2] Kuipers MT, et al. Neth J Med 2009;67:169–72. [3] Mackay JD, et al. QJM 2010;103:387–95. http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.10.199 CA077 Hypomagnésémie sévère symptomatique et multi-carence sous inhibiteur de la pompe à protons : à propos d’un cas D. Chahwan , L. Fardet , S. Riviere , J. Cabane , M. Gatfossé Service de médecine interne, hôpital Saint-Antoine, Paris, France Introduction.– Des limites de l’utilisation des inhibiteurs de la pompe à protons IPPs commencent à se poser avec l’émergence de plusieurs effets secondaires attribués à ces médicaments. Nous rapportons un des rares cas de la littérature où l’utilisation d’un IPP au long cours a causé chez le même sujet plusieurs déficits ioniques et vitaminiques, en particulier une hypomagnésémie et une hypocalcémie sévères symptomatiques. Patients et méthodes.– Cas clinique. Cas clinique.– C’est un homme de 62 ans, diabétique sous metfor- mine 1000 mg par jour et coronarien stenté sous anti-aggrégants plaquettaires, qui est depuis 8 ans sous oméprazole 20 mg par jour pour protection gastrique. Depuis 2 mois, il a été mis sous 40 mg de furosémide par jour pour décompensation cardiaque. Progressivement, sont apparues des myalgies et paresthésies des mains, ainsi que des nausées (sans vomissements ni diarrhées) le poussant à consulter aux urgences de notre hôpital. L’examen clinique montre un homme conscient, bien orienté en tétanie généralisée avec des signes de Chvostek et Trousseau positifs. À l’ECG, le QT corrigé est allongé à 450 ms. La calcémie (Ca) revient à 1,49 mmol/L (N : 2,12–2,57 mmol/L), la phosphorémie à 1,35 mmol/L (N : 0,81–1,45 mmol/L), la magnésémie (Mg) à 0,15 mmol/L (N : 0,75–1,2 mmol/L) et la kaliémie à 3,9 mmol/L (N : 3,5–5). Le patient a été alors rechargé en gluconate de calcium et sulfate de magnésium IV et surveillé jusqu’à normalisation de l’ECG et améliorations clinique et biologique. La suite du bilan montre une hémoglobine à 11 g/dL (N : 13,5–17,5), une albumi- némie à 35 g/L (N : 35–50), une créatinine à 85 micromol/L (N : 60–110), une parathormone PTH à 68 picogram/mL (N : 15–80), valeur anormalement normale pour l’hypocalcémie, une calciu- rie des 24 h à 0,90 mmol (N < 7,5 mmol/24 h) et une magnésiurie des 24 h (refaite 48 h après arrêt du furosémide) effondrée, ce qui montre une réponse rénale adaptée. Un bilan vitaminique est en faveur d’une carence multiple avec ferritine à 5 ng/mL (N : 13–300), vitamine B12 à 150 pg/mL (Nl : 200–900), vitamine D à 10 ng/mL (N : 30–100) et sélénium à 54 ng/mL (N : 70–150). Les anticorps anti-transglutaminase, anti-facteur intrinsèque et anti- estomac sont négatifs. Une gastroscopie montre une hyperplasie de la muqueuse fundique, un duodénum inflammatoire et un peu atrophique, multi-ulcéré. Les biopsies gastro-duodénales, néga- tives pour une infection par H. pylori, retrouvent une duodénite érosive et des remaniements dystrophiques de la muqueuse fun- dique pouvant être liés à l’utilisation chronique d’IPPs. Sur ce, on arrête l’oméprazole et des supplémentations vitaminiques sont faites. À la sortie du patient, la calcémie est normale et la magné- sémie est à 0,69 mmol/L (vs 0,15 mmol/L à la présentation). Après 6 mois d’arrêt de l’IPP, on note une normalisation de la magnésémie et des autres déficits. Discussion.– Le carence de plusieurs vitamines et minéraux (Fer, Vit B12, Ca et Mg) sous IPPs est expliquée par le fait que leur absorption est médiée, directement ou indirectement, par l’acide gastrique. Plus spécifiquement, le mécanisme incriminé dans l’hypomagnésémie est lié à l’altération de la fonction des canaux TRPM6/7 des cellules épithéliales intestinales par la diminution de la concentration locale de protons au cours du traitement par IPP. Danziger rapporte une cohorte de 11,490 patients admis à l’unité de soins intensifs montrant que la relation IPP-hypomagnésémie n’était assez significative et sévère que chez les patients sous diu- rétiques. Chez notre patient, la fraction d’excrétion du magnésium dans les urines de 24 h remesurée 48 heures après arrêt du furosé- mide et persistance de l’hypomagnésémie a été assez bien adaptée dans ce contexte. L’utilisation chronique d’IPPs pourrait augmen- ter les taux sériques de gastrine et entraîner une hyperplasie des cellules entérochromaffines et/ou une gastrite atrophique, comme

Hypomagnésémie et inhibiteurs de la pompe à protons

  • Upload
    j-e

  • View
    298

  • Download
    5

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Hypomagnésémie et inhibiteurs de la pompe à protons

A116 68e Congrès de la Société francaise de médecine interne, Saint-Malo, 12–14 décembre 2013 / La Revue de médecine interne 34S (2013) A80–A180

CA076Hypomagnésémie et inhibiteurs de lapompe à protonsC. Phan , T. Sené , M. Roumier , A.-M. Piette ,I. Marroun , J.-E. KahnService de médecine interne, hôpital Foch, Suresnes, France

Introduction.– Les inhibiteurs de la pompe à protons (IPP)sont de nos jours largement utilisés dans les troubles liés àl’acidité gastrique, notamment avec l’avantage de présenter unprofil d’effets secondaires favorable. Cependant, plusieurs casd’hypomagnésémie liée à un traitement par IPP ont été recensésdepuis 2006 [1]. Nous rapportons ici le cas d’une hypomagnésé-mie profonde liée à une utilisation chronique d’IPP, révélée par uneatteinte neuromusculaire.Patients et méthodes.– Un patient de 69 ans était suivi pour des trem-blements depuis fin 2012, étiquetés syndrome extra-pyramidal,pour lequel un traitement par Modopar avait été instauré. Lasymptomatologie s’est progressivement compliquée d’une fai-blesse musculaire et de paresthésies, avec des tremblementspersistants, sans hypertonie. Le bilan biologique retrouvait unehypokaliémie à 2,8 mmol/l, une hypocalcémie à 1,63 mmol/L, etune hypomagnésémie sévère à 0,13 mmol/L, pouvant expliquerles troubles ioniques précédents. Après avoir éliminé les autrescauses d’hypomagnésémie (diarrhées, vomissements, éthylismechronique, diabète décompensé, utilisation chronique de laxatifsou diurétiques, tubulopathie proximale ou syndrome de Gitelman)et avec une relecture attentive de la littérature, l’étiologie retenueétait une hypomagnésémie induite par l’esoméprazole. En effet lepatient a été traité par pantoprazole de 2001 à février 2012 puispar esoméprazole, ce qui condorde avec l’apparition des troublesioniques et des symptômes fin 2012.Résultats.– L’évolution clinique (disparition complète des troublesneuromusculaires) et biologique a été favorable après arrêt del’esoméprazole (remplacée par de la ranitidine), supplémentationintraveineuse en magnésium, potassium et calcium. Après 2 moisd’arrêt de toute supplémentation, la magnésémie est normaliséeà 0,82 mmol/l. Nous retenons l’imputabilité de l’esoméprazole, quiest remplacé par de la Ranitidine.Discussion.– Les mécanismes de l’hypomagnésémie induite parl’IPP sont mal connus, l’hypothèse avancée serait une perturba-tion du transport actif de magnésium, médié par les récepteursde la mélastatine TRPM6 et TRPM7 des canaux protéiques intes-tinaux [1,2], eux même impliqués dans des causes génétiquesd’hypomagnésémie. Selon les données disponibles, l’oméprazole etl’esoméprazole seraient les deux molécules en présence desquelleson rapporte le plus grand nombre de cas d’hypomagnésémie et lamajorité des cas survenait chez des utilisateurs d’IPP de longuedate. Plus rarement, comme dans le cas présenté, l’utilisation del’IPP était susceptible d’induire une hypomagnésémie en 1 an oumoins.Conclusion.– Une hypomagnésémie, révélée par une hypokaliémieet/ou une hypocalcémie, éventuellement associée à des manifesta-tions neuromusculaires, est une complication rare mais bien décritede l’utilisation prolongée des IPP. Un contrôle préalable puis annueldu magnésium sérique en cas d’introduction d’un traitement parIPP serait recommandé par certains auteurs [3].Références[1] Hoorn EJ, et al. Am J Kidney Dis 2010;56:112–6.[2] Kuipers MT, et al. Neth J Med 2009;67:169–72.[3] Mackay JD, et al. QJM 2010;103:387–95.

http://dx.doi.org/10.1016/j.revmed.2013.10.199

CA077Hypomagnésémie sévèresymptomatique et multi-carence sous

inhibiteur de la pompe à protons : àpropos d’un casD. Chahwan , L. Fardet , S. Riviere , J. Cabane ,M. GatfosséService de médecine interne, hôpital Saint-Antoine, Paris, France

Introduction.– Des limites de l’utilisation des inhibiteurs de lapompe à protons IPPs commencent à se poser avec l’émergencede plusieurs effets secondaires attribués à ces médicaments.Nous rapportons un des rares cas de la littérature où l’utilisationd’un IPP au long cours a causé chez le même sujet plusieurs déficitsioniques et vitaminiques, en particulier une hypomagnésémie etune hypocalcémie sévères symptomatiques.Patients et méthodes.– Cas clinique.Cas clinique.– C’est un homme de 62 ans, diabétique sous metfor-mine 1000 mg par jour et coronarien stenté sous anti-aggrégantsplaquettaires, qui est depuis 8 ans sous oméprazole 20 mg parjour pour protection gastrique. Depuis 2 mois, il a été mis sous40 mg de furosémide par jour pour décompensation cardiaque.Progressivement, sont apparues des myalgies et paresthésies desmains, ainsi que des nausées (sans vomissements ni diarrhées)le poussant à consulter aux urgences de notre hôpital. L’examenclinique montre un homme conscient, bien orienté en tétaniegénéralisée avec des signes de Chvostek et Trousseau positifs.À l’ECG, le QT corrigé est allongé à 450 ms. La calcémie (Ca)revient à 1,49 mmol/L (N : 2,12–2,57 mmol/L), la phosphorémieà 1,35 mmol/L (N : 0,81–1,45 mmol/L), la magnésémie (Mg) à0,15 mmol/L (N : 0,75–1,2 mmol/L) et la kaliémie à 3,9 mmol/L (N :3,5–5). Le patient a été alors rechargé en gluconate de calciumet sulfate de magnésium IV et surveillé jusqu’à normalisation del’ECG et améliorations clinique et biologique. La suite du bilanmontre une hémoglobine à 11 g/dL (N : 13,5–17,5), une albumi-némie à 35 g/L (N : 35–50), une créatinine à 85 micromol/L (N :60–110), une parathormone PTH à 68 picogram/mL (N : 15–80),valeur anormalement normale pour l’hypocalcémie, une calciu-rie des 24 h à 0,90 mmol (N < 7,5 mmol/24 h) et une magnésiuriedes 24 h (refaite 48 h après arrêt du furosémide) effondrée, cequi montre une réponse rénale adaptée. Un bilan vitaminiqueest en faveur d’une carence multiple avec ferritine à 5 ng/mL (N :13–300), vitamine B12 à 150 pg/mL (Nl : 200–900), vitamine D à10 ng/mL (N : 30–100) et sélénium à 54 ng/mL (N : 70–150). Lesanticorps anti-transglutaminase, anti-facteur intrinsèque et anti-estomac sont négatifs. Une gastroscopie montre une hyperplasiede la muqueuse fundique, un duodénum inflammatoire et un peuatrophique, multi-ulcéré. Les biopsies gastro-duodénales, néga-tives pour une infection par H. pylori, retrouvent une duodéniteérosive et des remaniements dystrophiques de la muqueuse fun-dique pouvant être liés à l’utilisation chronique d’IPPs. Sur ce, onarrête l’oméprazole et des supplémentations vitaminiques sontfaites. À la sortie du patient, la calcémie est normale et la magné-sémie est à 0,69 mmol/L (vs 0,15 mmol/L à la présentation). Après6 mois d’arrêt de l’IPP, on note une normalisation de la magnésémieet des autres déficits.Discussion.– Le carence de plusieurs vitamines et minéraux (Fer,Vit B12, Ca et Mg) sous IPPs est expliquée par le fait que leurabsorption est médiée, directement ou indirectement, par l’acidegastrique. Plus spécifiquement, le mécanisme incriminé dansl’hypomagnésémie est lié à l’altération de la fonction des canauxTRPM6/7 des cellules épithéliales intestinales par la diminution dela concentration locale de protons au cours du traitement par IPP.Danziger rapporte une cohorte de 11,490 patients admis à l’unitéde soins intensifs montrant que la relation IPP-hypomagnésémien’était assez significative et sévère que chez les patients sous diu-rétiques. Chez notre patient, la fraction d’excrétion du magnésiumdans les urines de 24 h remesurée 48 heures après arrêt du furosé-mide et persistance de l’hypomagnésémie a été assez bien adaptéedans ce contexte. L’utilisation chronique d’IPPs pourrait augmen-ter les taux sériques de gastrine et entraîner une hyperplasie descellules entérochromaffines et/ou une gastrite atrophique, comme