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Mise au point Infarctus cérébral : stratégie de prise en charge précoce et de reperfusion en urgence Acute management of patients with ischemic stroke: Time is brainK. Vahedi Service de neurologie et unité de soins intensifs neurovasculaires, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France Disponible sur internet le 07 novembre 2006 Résumé Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont une pathologie fréquente et grave, touchant chaque année environ 120 000 nouveaux patients en France. Une prise en charge spécialisée dans une structure hospitalière dédiée (unité neurovasculaire) dès les premières heures du début des signes neurologiques, permet daméliorer le pronostic des AVC à la fois en termes de mortalité et de récupération fonctionnelle. Dans le cas dune ischémie cérébrale, le bénéfice de la recanalisation artérielle par le recombinant du tissu plasminogène activateur, administré par voie intraveineuse en extrême urgence, moins de trois heures après le début des signes cliniques, permet daugmenter dun tiers la probabilité de récupération sans séquelles neurologiques ou avec des séquelles minimes sans modifier la mortalité. La fenêtre des trois heures est extrêmement courte pour permettre à tous les patients victimes dun accident ischémique cérébral qui nauraient par ailleurs pas de contre-indications au traitement thrombolytique den bénéficier. Il est probable que dans un futur proche cette fenêtre thérapeutique de trois heures sera dépassée grâce à de nouveaux thrombolytiques, des techniques de désobstruction mécanique et surtout à la sélection des patients basée sur limagerie par résonance magnétique cérébrale. Cet examen, indiqué en urgence devant tout patient suspect dun AVC, permet de sélectionner le patient chez qui il existe une zone de pénombre ischémique encore récupérable et permet de mieux évaluer le risque hémorragique. © 2006 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Cerebro-vascular diseases are a leading cause of death and disability worldwide. Their incidence is estimated near 120000 patients in France. Patients with ischemic or hemorrhagic stroke should receive specific management in dedicated stroke units by dedicated stroke teams because of a significant reduction of mortality and institutionalization. Since the results of the National Institute of Neurological Disorders and Stroke trial in 1995, showing a substantial benefit of early administration of tissue-type plasminogen activator no later than 180 minutes after onset of neuro- logical symptoms, specific guidelines have been published for the routine use of this thrombolytic agent in patients with acute ischemic stroke. However the approach of the early recanalisation in acute ischemic stroke has changed since the advent of modern brain imaging including diffusion and perfusion imaging and magnetic resonance angiography. These modern techniques should allow the use of tPA even after the 3 hours time window with a reduced risk of symptomatic brain hemorrhages. In the future, new thrombolytic agents such as desmoteplase or mechanical clots retrieval devices may be used to reperfuse the ischemic tissues in a larger time window from stroke onset and with fewer safety concerns. © 2006 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Ischémie cérébrale ; Reperfusion ; IRM ; Thrombolyse Keywords: Acute ischemic stroke; Magnetic resonance angiography; Thrombolytic; Reperfusion http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ Réanimation 15 (2006) 540545 Adresse e-mail : [email protected] (K. Vahedi). 1624-0693/$ - see front matter © 2006 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2006.10.012

Infarctus cérébral: stratégie de prise en charge précoce et de reperfusion en urgence

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Page 1: Infarctus cérébral: stratégie de prise en charge précoce et de reperfusion en urgence

http://france.elsevier.com/direct/REAURG/

Réanimation 15 (2006) 540–545

Mise au point

Adresse e-mail : [email protected] (K

1624-0693/$ - see front matter © 2006 Société de rdoi:10.1016/j.reaurg.2006.10.012

Infarctus cérébral :

stratégie de prise en charge précoce et de reperfusion en urgence

Acute management of patients with ischemic stroke: “Time is brain”

K. Vahedi

Service de neurologie et unité de soins intensifs neurovasculaires, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France

Disponible sur internet le 07 novembre 2006

Résumé

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont une pathologie fréquente et grave, touchant chaque année environ 120 000 nouveaux patientsen France. Une prise en charge spécialisée dans une structure hospitalière dédiée (unité neurovasculaire) dès les premières heures du début dessignes neurologiques, permet d’améliorer le pronostic des AVC à la fois en termes de mortalité et de récupération fonctionnelle. Dans le casd’une ischémie cérébrale, le bénéfice de la recanalisation artérielle par le recombinant du tissu plasminogène activateur, administré par voieintraveineuse en extrême urgence, moins de trois heures après le début des signes cliniques, permet d’augmenter d’un tiers la probabilité derécupération sans séquelles neurologiques ou avec des séquelles minimes sans modifier la mortalité. La fenêtre des trois heures est extrêmementcourte pour permettre à tous les patients victimes d’un accident ischémique cérébral qui n’auraient par ailleurs pas de contre-indications autraitement thrombolytique d’en bénéficier. Il est probable que dans un futur proche cette fenêtre thérapeutique de trois heures sera dépasséegrâce à de nouveaux thrombolytiques, des techniques de désobstruction mécanique et surtout à la sélection des patients basée sur l’imageriepar résonance magnétique cérébrale. Cet examen, indiqué en urgence devant tout patient suspect d’un AVC, permet de sélectionner le patientchez qui il existe une zone de pénombre ischémique encore récupérable et permet de mieux évaluer le risque hémorragique.© 2006 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Cerebro-vascular diseases are a leading cause of death and disability worldwide. Their incidence is estimated near 120000 patients in France.Patients with ischemic or hemorrhagic stroke should receive specific management in dedicated stroke units by dedicated stroke teams because ofa significant reduction of mortality and institutionalization. Since the results of the National Institute of Neurological Disorders and Stroke trial in1995, showing a substantial benefit of early administration of tissue-type plasminogen activator no later than 180 minutes after onset of neuro-logical symptoms, specific guidelines have been published for the routine use of this thrombolytic agent in patients with acute ischemic stroke.However the approach of the early recanalisation in acute ischemic stroke has changed since the advent of modern brain imaging includingdiffusion and perfusion imaging and magnetic resonance angiography. These modern techniques should allow the use of tPA even after the3 hours time window with a reduced risk of symptomatic brain hemorrhages. In the future, new thrombolytic agents such as desmoteplase ormechanical clots retrieval devices may be used to reperfuse the ischemic tissues in a larger time window from stroke onset and with fewer safetyconcerns.© 2006 Société de réanimation de langue française. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Ischémie cérébrale ; Reperfusion ; IRM ; Thrombolyse

Keywords: Acute ischemic stroke; Magnetic resonance angiography; Thrombolytic; Reperfusion

. Vahedi).

éanimation de langue française

. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Fig. 1. IRM cérébrale à quatre heures d’une hémiplégie droite montrant encartographie ADC (A) et diffusion (C), une zone d’ischémie cérébrale limitéeau territoire sylvien profond et au cortex pariétal. La cartographie perfusion (B)montre une zone d’hypoperfusion sylvienne gauche totale (zone verte) etl’angio-RM cérébrale (D) un important ralentissement du flux du siphoncarotide et de l’artère sylvienne gauche témoignant d’un mismatch diffusion–perfusion et donc de la présence d’un important pénombre ischémique encorerécupérable en cas de reperfusion carotide.

K. Vahedi / Réanimation 15 (2006) 540–545 541

1. Introduction

Les accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont des affec-tions fréquentes et graves. Ils représentent dans les pays déve-loppés, la première cause de handicap acquis chez l’adulte, ladeuxième cause de démence après la maladie d’Alzheimer etenfin la troisième cause de décès après l’infarctus du myocardeet les cancers.

Chaque année en France environ 120 000 patients sont vic-times d’un AVC. Parmi eux, on estime schématiquement que30 000 vont mourir dans les jours ou mois qui suivent et60 000 vont garder un handicap de sévérité variable.

Quelle que soit la sévérité d’un AVC ou son type, isché-mique ou hémorragique, le patient doit être hospitalisé le plustôt possible (dès les premières heures) dans un service spécia-lisé car cette prise en charge constitue, à ce jour, la mesurethérapeutique la plus efficace pour améliorer le pronostic despatients victimes d’un AVC. En effet, les unités neurovasculai-res (UNV) dédiées et organisées spécifiquement pour la priseen charge des AVC permettent, à elles seules, de réduire de25 % la mortalité hospitalière, la dépendance et l’institutionna-lisation après un AVC, et ce bénéfice s’applique à tous lesAVC, quel que soit leur type (ischémique ou hémorragique)ou leur sévérité et quel que soit l’âge des patients [1–5]. Deplus, ce bénéfice se poursuit à long terme jusqu’à dix ansaprès, principalement grâce à la mise en place précoce et ausuivi prolongé des mesures de prévention secondaire.

Parmi les traitements spécifiques de l’ischémie cérébrale, lathrombolyse par voie intraveineuse est le traitement le plusefficace à l’échelle individuelle (amélioration d’un tiers la pro-babilité d’une récupération neurologique sans séquelles ouavec des séquelles minimes) mais son administration nécessiteun protocole rigoureux en raison du risque de complicationshémorragiques graves [6].

2. Principe de pénombre ischémique et stratégiede reperfusion en urgence

Le principal mécanisme des infarctus cérébraux étant uneocclusion artérielle thromboembolique, l’élément clé de toutestratégie thérapeutique en urgence est la levée le plus précocepossible de l’occlusion artérielle permettant la reperfusion duterritoire artériel ischémié encore viable (appelé « pénombreischémique ») avant que la mort neuronale définitive ne sur-vienne (d’où le slogan « Time is brain » pour toute action thé-rapeutique de reperfusion en urgence) [Fig. 1]. Les traitementsthrombolytiques ont été testés dans l’infarctus cérébral dansplusieurs essais thérapeutiques randomisés incluant un totalde plus de 5000 patients [7]. Le bénéfice de la thrombolyseintraveineuse dans l’ischémie cérébrale est clairement signifi-catif pour le rt-PA (recombinant du tissu plasminogène activa-teur), si l’administration a lieu dans les trois heures suivant ledébut des symptômes cliniques [7,8]. La récente autorisationde mise sur le marché (AMM) accordée au rt-PA dans l’infarc-tus cérébral étend à l’Union européenne l’utilisation de cethrombolytique, introduit dès 1995 aux États-Unis. Le qualifi-

catif « avancée thérapeutique majeure » proposé par la com-mission de transparence souligne l’efficacité individuelleremarquable de ce traitement qui, s’il est appliqué moins detrois heures après le début des symptômes, augmente d’untiers les chances de récupération sans séquelles. Plus le traite-ment est administré précocement, plus le bénéfice attendu estélevé [9].

Le bénéfice de la thrombolyse est obtenu cependant au prixd’une augmentation significative du nombre d’hémorragiescérébrales symptomatiques (taux multiplié par 5 à 6) maissans augmentation de la mortalité globale. Les facteurs asso-ciés à un risque plus élevé d’hémorragies cérébrales sympto-matiques sont la présence de signes précoces d’ischémie sur lescanner cérébral, la sévérité du déficit et tout écart aux indica-tions et contre-indications au traitement thrombolytique demême que sa prescription par un centre non spécialisé enpathologie neurovasculaire [7–9].

Deux types de complications hémorragiques intracérébralesliées à la thrombolyse sont possibles : cliniquement asympto-matiques (les plus fréquentes) ou symptomatiques (les plus gra-ves et souvent fatales). Elles sont favorisées par les lésionsischémiques de l’endothélium microvasculaire qui forment labarrière hématoencéphalique. Plus le délai entre le début del’ischémie augmente, plus ces lésions endothéliales sont impor-tantes et plus le risque de transformation hémorragique aug-mente. Les patients hypertendus chroniques ou qui ont une

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microangiopathie cérébrale (leucoencéphalopathie, antécédentsd’infarctus lacunaires ou de diabète) sont à plus haut risque decomplications hémorragiques liées à la thrombolyse en raisonde l’atteinte microvasculaire diffuse préexistante. C’est égale-ment le cas des sujets très âgés (qui en plus sont à risqued’avoir une microangiopathie amyloïde liée à l’âge), l’AMMtransitoire pour l’utilisation du rt-PA dans l’ischémie cérébraleétant accordée jusqu’à 80 ans. Sur la séquence écho de gradientde l’IRM, la présence de microsaignements anciens asympto-matiques a également été associée, dans des séries rétrospecti-ves, à un risque accru de complications hémorragiques [10,11].Le rapport bénéfice/risque de la thrombolyse par rt-PA doitdonc être bien évalué au cas par cas en tenant compte de tousces antécédents (l’interrogatoire de la famille ou du médecintraitant est souvent indispensable) et des données de l’imageriecérébrale.

Les accidents ischémiques cérébraux sont complexes de partla variété des étiologies et des mécanismes sous-jacents(cardioembolique, athéroembolique, athérothrombotique, lacu-naire). Lorsque la thrombolyse est faite dans la fenêtre des troisheures et basée sur le scanner cérébral, on peut rarement tenircompte du mécanisme sous-jacent et de la présence ou nond’une pénombre ischémique. Il est en effet probable, qu’uninfarctus lacunaire lié à l’artériolosclérose ne bénéficiera pasou peu de la thrombolyse mais est à risque d’hémorragie céré-brale chez un patient hypertendu chronique chez qui l’IRMcérébrale montrerait des microsaignements asymptomatiques.De même un volumineux infarctus cardioembolique maissans aucune pénombre ischémique ne pourra bénéficier de lathrombolyse même après recanalisation de l’artère.

En pratique clinique, poser l’indication du traitement throm-bolytique dans l’ischémie cérébrale est une course contre lamontre qui nécessite l’intervention immédiate d’une équipehospitalière compétente en pathologie neurovasculaire dansune unité neurovasculaire « stroke team » (Fig. 2). Cette équipe

Fig. 2. La thrombolyse dans l’ischémie cérébrale : une course contre la montre.

composée d’un neurologue vasculaire et d’une infirmière for-mée doit pouvoir disposer d’un accès prioritaire à une imageriecérébrale en urgence (au minimum un scanner et idéalementune IRM comportant au minimum les séquences de diffusion,écho de gradient et FLAIR, et idéalement une séquence perfu-sion pour individualiser la pénombre et une angio-RM céré-brale pour objectiver une occlusion vasculaire), d’un biland’hémostase en extrême urgence (TP, TCA, plaquettes, hémo-globine dans le quart d’heure de l’admission du patient) et dela possibilité d’une surveillance continue du patient thrombo-lysé dans une unité neurovasculaire (UNV). L’infirmière de la« stroke team » doit disposer d’un équipement mobile lui per-mettant la réalisation et l’acheminement au laboratoire du bilanbiologique, la préparation du rt-PA et son administration (tou-jours sur prescription écrite et en présence du neurologue vas-culaire) sur une deuxième voie d’abord veineux (10 % de ladose en bolus IVD et le restant à la seringue électrique en per-fusion continue sur 60 minutes). Le risque de survenue decomplications (6 à 7 %) telles que réaction d’anaphylaxie,hémorragie digestive ou urinaire, ou hémorragie intracérébralegrave implique la proximité et une collaboration avec les ser-vices de réanimation, de neurochirurgie, et de transfusion san-guine. De plus, pour la prescription du rt-PA dans l’ischémiecérébrale, il est recommandé que chaque centre dispose de pro-cédures écrites et, d’une évaluation prospective et permanentede sa pratique pour évaluer le taux de complications hémorra-giques, et l’existence d’écart aux critères d’indications et auxrecommandations.

En pratique les délais d’administration très courts (inférieurou égal à trois heures), la méconnaissance des signes d’alerted’un infarctus cérébral par le grand public et l’organisationextra- et intrahospitalière (impliquant notamment les équipesde SAMU et de pompiers, et les services d’urgences) indispen-sable à la bonne pratique de la thrombolyse intraveineuse dansl’ischémie cérébrale font qu’elle reste à ce jour réservée à unfaible pourcentage de patients (1 à 5 % de l’ensemble des acci-dents ischémiques cérébraux).

Pour ce qui concerne la fenêtre thérapeutique de trois heuresmaximum par rapport au début des signes cliniques pourl’administration de la thrombolyse intraveineuse, elle pourraprobablement être dépassée chez les patients ayant en IRM dif-fusion–perfusion une large zone de pénombre ischémique etune zone limitée d’infarctus notamment grâce à de nouvellesmolécules telles que la desmoteplase, nouveau thrombolytiqueà l’étude entre trois et neuf heures [12]. Une méta-analyse desrésultats individuels des grands essais randomisés de la throm-bolyse intraveineuse par rt-PA (incluant un total de 2775patients) confirme bien l’efficacité supérieure du rt-PAlorsqu’il est administré dans les 90 minutes mais montre quecertains patients bénéficient encore de la thrombolyse jusqu’à270 minutes après le début des signes cliniques [9]. Des appro-ches pharmacologiques combinant hypothermie et thrombo-lyse, ou bien ultrasons et thrombolyse pourraient égalementêtre intéressantes mais sont encore au stade d’évaluation detolérance et d’efficacité [13].

Pour ce qui concerne la thrombolyse intra-artérielle in situ,ses indications actuelles sont limitées aux occlusions proxima-

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Fig. 3. Thrombolyse intra-artérielle à cinq heures d’une hémiplégie gauche brutale chez une jeune femme de 27 ans.L’artériographie initiale (A) montre un thrombus endoluminal à la bifurcation sylvienne droite (flèche) accompagnée d’un important retard de vascularisationhémisphérique droit. Après cathétérisme sélectif de l’artère sylvienne droite (flèche) et administration de rt-PA in situ (B), normalisation de la vascularisationhémisphérique droite. Au plan clinique récupération rapide de l’hémiplégie gauche. L’IRM cérébrale à 24 heures (C) montre un infarctus limité au noyau lenticulairedroit.

Tableau 1L’accident vasculaire cérébral : une urgence thérapeutique

Tout patient avec un déficit neurologique d'installation brutale est suspectd'infarctus cérébral et doit être considéré comme un candidat potentiel à lathrombolyse intraveineuse. Le patient doit être transféré le plus rapidementpossible dans une unité de neurologie vasculaire pour confirmation dudiagnostic et instauration du traitement en toute sécuritéSignes évocateurs d'infarctus cérébralInstallation brutaleHémiplégie ou hémiparésieDéficit moteur complet ou partiel touchant la face, le membre supérieur et/oule membre inférieurTroubles sensitifs unilatérauxEngourdissements, fourmillements, perte de la sensibilité de la face, dumembre supérieur et/ou du membre inférieur, parfois bilatérauxAphasieTroubles du langage ou de la compréhension (mutisme, manque du mot,jargon)Ataxie (marche instable, perte de l'équilibre), vertige ou incoordination desmembresPerte de la visionVision trouble ou vision double, amputation du champ visuel (hémianopsie)Si le déficit est installé depuis moins de trois heuresLe patient est un candidat potentiel à la thrombolyse par rt-PAContacter immédiatement une unité neurovasculaire

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les de l’artère sylvienne ou du tronc basilaire, et son adminis-tration nécessite la disponibilité en extrême urgence d’uneéquipe de neuroradiologie interventionnelle [14] (Fig. 3). Ellen’est donc faisable que dans quelques centres neurovasculaireshyperspécialisés. Enfin, la désobstruction mécanique intra-artérielle fait actuellement l’objet d’essai thérapeutique dephase I–II et pourrait constituer dans l’avenir une thérapeutiquede revascularisation en urgence au-delà des délais de trois à sixheures [15].

3. En pratique préhospitalière

3.1. Connaissance par le grand public des symptômes d’AVC

Comme pour l’infarctus du myocarde, la connaissance parle grand public des principaux symptômes d’AVC, de leur gra-vité et de la nécessité d’un transport urgent vers une structurehospitalière spécialisée est nécessaire.

Or les études montrent que jusqu’à 40 % des personnesinterrogées après un AVC ne connaissent pas le moindresigne d’alerte de cette pathologie [15]. De plus la diversitédes symptômes d’AVC, la nature de certains symptômescomme l’aphasie, le caractère parfois transitoire ou partielle-ment régressif, et faussement rassurant des symptômes, l’isole-ment du patient ou l’absence de témoin constituent des facteursqui rallongent les délais d’alerte des secours. L’appel du méde-cin généraliste souvent sollicité en premier après un AVC estun autre facteur allongeant les délais d’admission et de prise encharge à l’hôpital.

3.2. Conduite à tenir devant un patient suspect d’AVC

L’implication dès la phase préhospitalière et la formationstructurée des professionnels de santé, médecins urgentistes,équipes de SAMU et des sapeurs pompiers en particulier,sont d’une extrême importance de façon à permettre la sélec-tion rapide des patients qui, en priorité, doivent être dirigésvers les UNV. Car malgré toutes les études montrant l’effica-

cité des UNV dans la prise en charge des AVC, leur nombrereste encore limité en France (une trentaine à ce jour).

En pratique, devant un patient suspect d’AVC, la premièreétape consiste, après interrogatoire du patient ou de son entou-rage et examen clinique, à déterminer si le déficit neurologiqueest bien compatible avec un AVC, c’est-à-dire : la survenuesoudaine ou rapidement progressive (sur quelques heures) dessymptômes suivants : hémiparésie ou hémiplégie, troubles sen-sitifs unilatéraux, trouble du langage, trouble de l’équilibre,vertiges, perte de la vision totale ou partielle bilatérale oumonoculaire (Tableau 1).

Il est ensuite nécessaire de vérifier auprès du patient ou d’untémoin l’heure exacte de début des symptômes. Si le patients’est réveillé avec son déficit, il faudra considérer commeheure de début des symptômes, la dernière heure où il a été

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vu sans son déficit (qui est généralement l’heure à laquelle ils’est couché).

Une fois le patient examiné en urgence et l’heure de débutdes symptômes précisée, la séquence des évènements à réaliserdépendra :

● du délai écoulé depuis le début des symptômes (inférieur ounon à trois heures ?) ;

● du type d’AVC suspecté, une hémorragie méningée nécessi-tant d’urgence une prise en charge en neurochirurgie defaçon à diagnostiquer et traiter en urgence une malformationvasculaire cérébrale ;

● de l’état clinique neurologique, hémodynamique et respira-toire du patient.

Dans le cas où l’heure de début des symptômes serait infé-rieure à trois heures, il faut considérer systématiquement lepatient comme susceptible d’être traité par thrombolyse intra-veineuse (rt-PA). Le neurologue de garde de l’UNV la plusproche doit alors être contacté le plus rapidement possiblepour qu’il organise à l’arrivée du patient la réalisation del’imagerie cérébrale, scanner ou IRM. Seuls les patients trans-portés par le SAMU ou les sapeurs pompiers sont susceptiblesd’être admis à l’hôpital dans les délais permettant l’administra-tion du fibrinolytique uniquement après décision du neurolo-gue de l’UNV et après vérification des nombreuses contre-indications au produit.

Dans le cas où l’heure de début des symptômes serait supé-rieure à trois heures, l’avis spécialisé neurovasculaire doit êtredemandé dans tous les cas dans les délais les plus rapides.Dans certains cas, comme une hémiplégie sévère ou une qua-driparésie, ou quadriplégie faisant suspecter une occlusion del’artère sylvienne ou de l’artère basilaire, le patient doit êtreconsidéré comme susceptible d’être traité par thrombolyse insitu intra-artérielle ou par désobstruction mécanique (thrombec-tomie). Le neurologue de l’UNV prend alors la décision dutransfert en extrême urgence du patient vers le centre neurora-diologie interventionnelle. Le nombre de centres de neurora-diologie interventionnelle est encore extrêmement limité enFrance.

Dans le cas où les symptômes ont été partiellement ou tota-lement régressifs (on parle d’accident ischémique transitoire) siles symptômes ont duré moins de 24 heures (en général moinsd’une heure), la même prise en charge en urgence s’appliquecar le bilan neurovasculaire en urgence doit permettre deréduire le risque important d’infarctus cérébral (estimé à6–8 % par an et maximal au cours des quatre jours suivantl’accident ischémique transitoire).

Dans le cas où une hémorragie méningée serait suspectée(devant une céphalée explosive, un syndrome méningé ou unehémorragie méningée au scanner, ou en FLAIR ou à la ponc-tion lombaire), le patient doit être dirigé vers un service deneurochirurgie disposant d’une garde et d’une équipe de neu-roradiologie interventionnelle pour la réalisation en urgencedes examens nécessaire au diagnostic, et à la prise en chargethérapeutique d’une malformation vasculaire cérébrale.

En cas de défaillance hémodynamique ou respiratoire, ilfaut suspecter un AVC plutôt de mauvais pronostic (AVCétendu hémisphérique ou du tronc cérébral) avec un taux demortalité élevé ou une complication liée à l’AVC (pneumopa-thie d’inhalation, crise d’épilepsie…). La prise en charge deces patients nécessite une étroite collaboration entre médecinsurgentistes, service de réanimation, UNV et selon les cas, ser-vice de neurochirurgie ou de neuroradiologie interventionnelle.

Dans tous les cas, il est important de connaître les gestes àne pas faire devant un patient suspect d’AVC :

● administrer un traitement antithrombotique (comme l’aspi-rine ou l’héparine) sans avoir le résultat du scanner ou del’IRM cérébrale ;

● faire baisser la pression artérielle sans avoir au préalableprécisé grâce à un bilan neurovasculaire le type d’AVC etson, ou ses mécanismes.

4. Autres volets thérapeutiques à la phase aiguëde l’infarctus cérébral

4.1. Prévention et dépistage précoce des complicationsgénérales

La prévention et le dépistage précoce des complicationsgénérales qui sont responsables de 35 à 50 % des décès à laphase aiguë des AVC, qu’il s’agisse d’infarctus ou d’hémorra-gies [4,5]. Les complications les plus fréquentes sont les trou-bles de la déglutition qui exposent le patient aux pneumopa-thies d’inhalation, troisième cause de décès après AVC aucours du premier mois, les troubles urinaires (rétention aiguëou infection urinaire), les complications thromboemboliquesveineuses et enfin la décompensation de comorbidités fréquem-ment associées comme le diabète ou les pathologies cardiovas-culaires (coronaropathie, troubles du rythme cardiaque).

4.2. Prévention des récidives ischémiques précoces

L’aspirine est le seul antiplaquettaire qui ait fait la preuve deson efficacité par des études randomisées pour prévenir la réci-dive ischémique précoce et améliorer le pronostic des infarctuscérébraux à la phase aiguë [16]. En effet, l’aspirine réduit lamortalité de quatre pour 1000 patients traités et le décès ou ladépendance de 12 pour 1000 au prix de deux pour 1000 com-plications hémorragiques graves [17]. Un traitement par aspi-rine (160 à 300 mg) est donc à débuter le plus précocementpossible après un infarctus cérébral en respectant ses contre-indications (ulcère gastroduodénal, allergie, anémie microcy-taire inexpliquée etc.). Afin de réduire le risque de complica-tions hémorragiques intracérébrales, la prescription de l’aspi-rine est retardée de 24 heures si un traitement thrombolytiqueest administré au patient.

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4.3. Traitement de l’œdème ischémique

L’œdème ischémique est une des principales causes de mor-talité hospitalière après un infarctus cérébral [4,5]. Il est àcraindre dans les infarctus hémisphériques étendus (infarctussylvien total) et dans les infarctus œdémateux, et compressifsdu cervelet car exposant le patient à un risque de décès brutalpar engagement temporal ou hydrocéphalie aiguë. Ces patientsdoivent être impérativement surveillés étroitement dans uneunité de soins intensifs neurovasculaire à proximité d’un ser-vice de neurochirurgie disposant d’une garde en raison de lapossibilité d’une détérioration neurologique très rapide. La sur-veillance des paramètres cliniques doit être au minimumhoraire et comporte notamment l’examen des pupilles, et dela vigilance, et un monitoring en continu des rythmes cardiaqueet respiratoire, et de l’oxygénation capillaire. La tête du patientdoit être positionnée à 30° par rapport au plan du lit de façon àaméliorer le retour veineux cérébral. Un traitement symptoma-tique pour prévenir les vomissements (secondaires à l’hyper-tension intracrânienne) et les crises d’épilepsie (sources demontée brusque de la pression intracrânienne et de pneumopa-thie d’inhalation) doit être prescrit [4,5].

En revanche, l’utilisation systématique des antiœdémateux(mannitol, glycérol ou corticoïdes) n’est pas justifiée caraucun n’a fait la preuve de son efficacité dans l’ischémie céré-brale, et tous possèdent des effets indésirables potentiels(désordres hydroélectrolytiques, œdème pulmonaire, insuffi-sance rénale, réactions d’hypersensibilité, hémolyse, complica-tions infectieuses, hyperglycémie). Le mannitol peut cependantêtre utilisé devant un patient dont l’état neurologique sedégrade et avant un geste chirurgical décompressif (cf. infra).

Le recours à la chirurgie peut parfois être nécessaire. Dansles infarctus œdémateux et compressifs du cervelet l’indicationchirurgicale est posée dès le moindre signe clinique d’hydrocé-phalie obstructive ou de compression du tronc cérébral. Le trai-tement chirurgical consiste en un drainage ventriculaire externeet/ou une crâniectomie sous-occipitale. Le résultat fonctionnelpeut être excellent si l’intervention est faite précocement enl’absence d’ischémie ou de compression prolongée du tronccérébral. La stratégie de la chirurgie de dérivation de premièreintention ou non, encore très controversée, doit être discutée aucas par cas en présence du neurochirurgien avant l’apparitiond’une détérioration de la conscience.

Dans les infarctus sylviens œdémateux et compressifs« infarctus sylviens malins », le traitement chirurgical doitêtre réalisé précocement (dans les 24 heures suivant le débutdes signes cliniques) chez les sujets de moins de 55 ans dont levolume initial de l’infarctus mesuré sur l’IRM en séquence dif-fusion est supérieur à 145 cm3. Il consiste en la réalisation d’unvolet osseux étendu en regard de la zone d’infarctus avec largeouverture de la dure-mère. L’intérêt de ce traitement a faitl’objet de plusieurs études randomisées dont l’analyse pooléedes résultats est clairement en faveur de la chirurgie à la fois entermes de mortalité et de récupération fonctionnelle sans han-dicap résiduel sévère, le patient gardant le plus souvent un han-dicap résiduel modéré ou modérément sévère. Compte tenu de

l’étendue des infarctus sylviens malins, la récupération sansaucun handicap ou avec un handicap résiduel minime n’estcependant pas possible même chez un sujet très jeune. L’indi-cation chirurgicale doit donc dans tous les cas être discutéeavec le patient lui-même si possible ou avec ses proches [18].

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