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Fait clinique Infarctus du myocarde silencieux chez une jeune femme de 18 ans présentant un syndrome des anticorps antiphospholipides Silent myocardial infarction and antiphospholipid antibody syndrome D. Benzarouel a, * , A. Benyass a , M. Rabhi b , J. Chaari b , A. Boukili a , A. Hamani a a Service de cardiologie, hôpital militaire dinstruction des armées Mohammed-V, 11000 Rabat, Maroc b Service de médecine interne, hôpital militaire dinstruction Mohammed-V, Rabat, Maroc Reçu le 27 août 2006 ; accepté le 8 mai 2007 Disponible sur internet le 30 mai 2007 Résumé Nous rapportons lobservation dune jeune patiente âgée de 18 ans suivie depuis trois ans pour maladie lupique compliquée dune néphrec- tomie ayant comme seul facteur de risque cardiovasculaire une hypertension artérielle équilibrée. La patiente a été admise pour prise en charge de mouvements choréoathétosiques. Nous avons découvert fortuitement au cours de cette hospitalisation une nécrose myocardique inférieure ainsi quune insuffisance mitrale. La coronographie était normale et la ventriculographie a objectivé une akinésie dans le territoire inférieur. Le bilan biologique a permis de poser le diagnostic dun syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) sur maladie lupique. Nous supposons que la chirurgie a déclenché la nécrose myocardique et soulignons à travers ce cas lintérêt de lidentification précoce et du traitement approprié du SAPL ainsi quune surveillance étroite, notamment chez les jeunes patients candidats à une chirurgie. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract We describe a case of 18-year-old woman followed for 3 years for systemic lupus erythematosis (SLE) complicated of a nephrectomy. Having like only factor of cardiovascular risk a balanced arterial hypertension. The patient was hospitalized because of choreo-athetosics movement. We discovered fortuitously during this hospitalization an inferior myocardial necrosis as well as a mitral regurgitation. Coronary angiography was normal and the ventriculography showed an akinesy in the inferior territory. Biology made it possible to pose the diagnosis of antiphospholipid antibody syndrome (APS) on (SLE). We suppose that surgery started myocardial necrosis and underline through this case interest of early identification and appropriate treatment of APS as well as a narrow monitoring particularly in young patients candidates to surgery. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Syndrome des anticorps antiphospholipides ; Infarctus du myocarde ; Lupus ; Coronarographie ; Chirurgie Keywords: Antiphospholipid antibody syndrome; Lupus; Myocardial infarction; Coronarography; Surgery 1. Introduction Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) est une condition thrombophilique acquise due à un groupe hété- rogène dautoanticorps qui se lie à une variété de phospholi- pides chargée [1]. Il est décrit traditionnellement par lasso- ciation danticorps antiphospholipides (anticardiolipine, lupus anticoagulant ou les deux) et une thrombose artérielle ou vei- neuse [2,3]. Le SAPL est de plus en plus identifié comme une maladie multisystémique dont lexpression clinique peut être neurolo- gique, rénale, gastro-intestinale, hématologique, cutanée et car- diaque [2]. Sa prévalence dans la population générale est de 15 [4]. http://france.elsevier.com/direct/ANCAAN/ Annales de Cardiologie et dAngéiologie 56 (2007) 313315 * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Benzarouel). 0003-3928/$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.ancard.2007.05.004

Infarctus du myocarde silencieux chez une jeune femme de 18 ans présentant un syndrome des anticorps antiphospholipides

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http://france.elsevier.com/direct/ANCAAN/

Annales de Cardiologie et d’Angéiologie 56 (2007) 313–315

Fait clinique

* AuteurAdresse

0003-3928/doi:10.1016

Infarctus du myocarde silencieux chez une jeune femme de 18 ans

présentant un syndrome des anticorps antiphospholipides

Silent myocardial infarction and antiphospholipid antibody syndrome

D. Benzarouela,*, A. Benyassa, M. Rabhib, J. Chaarib, A. Boukilia, A. Hamania

a Service de cardiologie, hôpital militaire d’instruction des armées Mohammed-V, 11000 Rabat, Marocb Service de médecine interne, hôpital militaire d’instruction Mohammed-V, Rabat, Maroc

Reçu le 27 août 2006 ; accepté le 8 mai 2007Disponible sur internet le 30 mai 2007

Résumé

Nous rapportons l’observation d’une jeune patiente âgée de 18 ans suivie depuis trois ans pour maladie lupique compliquée d’une néphrec-tomie ayant comme seul facteur de risque cardiovasculaire une hypertension artérielle équilibrée. La patiente a été admise pour prise en charge demouvements choréoathétosiques. Nous avons découvert fortuitement au cours de cette hospitalisation une nécrose myocardique inférieure ainsiqu’une insuffisance mitrale. La coronographie était normale et la ventriculographie a objectivé une akinésie dans le territoire inférieur. Le bilanbiologique a permis de poser le diagnostic d’un syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) sur maladie lupique. Nous supposons que lachirurgie a déclenché la nécrose myocardique et soulignons à travers ce cas l’intérêt de l’identification précoce et du traitement approprié duSAPL ainsi qu’une surveillance étroite, notamment chez les jeunes patients candidats à une chirurgie.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

We describe a case of 18-year-old woman followed for 3 years for systemic lupus erythematosis (SLE) complicated of a nephrectomy. Havinglike only factor of cardiovascular risk a balanced arterial hypertension. The patient was hospitalized because of choreo-athetosic’s movement. Wediscovered fortuitously during this hospitalization an inferior myocardial necrosis as well as a mitral regurgitation. Coronary angiography wasnormal and the ventriculography showed an akinesy in the inferior territory. Biology made it possible to pose the diagnosis of antiphospholipidantibody syndrome (APS) on (SLE). We suppose that surgery started myocardial necrosis and underline through this case interest of earlyidentification and appropriate treatment of APS as well as a narrow monitoring particularly in young patients candidates to surgery.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Syndrome des anticorps antiphospholipides ; Infarctus du myocarde ; Lupus ; Coronarographie ; Chirurgie

Keywords: Antiphospholipid antibody syndrome; Lupus; Myocardial infarction; Coronarography; Surgery

1. Introduction

Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) estune condition thrombophilique acquise due à un groupe hété-rogène d’autoanticorps qui se lie à une variété de phospholi-

correspondant.e-mail : [email protected] (D. Benzarouel).

$ - see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés/j.ancard.2007.05.004

pides chargée [1]. Il est décrit traditionnellement par l’asso-ciation d’anticorps antiphospholipides (anticardiolipine, lupusanticoagulant ou les deux) et une thrombose artérielle ou vei-neuse [2,3].

Le SAPL est de plus en plus identifié comme une maladiemultisystémique dont l’expression clinique peut être neurolo-gique, rénale, gastro-intestinale, hématologique, cutanée et car-diaque [2]. Sa prévalence dans la population générale est de 1–5 ‰ [4].

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Fig. 2. Coupe apicale : quatre cavités sur ETT montrant la fuite mitrale.

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La nécrose myocardique est une présentation inhabituelle duSAPL, car les thromboses artérielles touchent principalement lacirculation cérébrale. Les artères coronaires sont ainsi moinsfréquemment atteintes.

2. Cas clinique

Nous rapportons l’observation d’une jeune fille marocaineâgée de 18 ans suivie depuis trois ans pour maladie lupique àlocalisation hématologique sous forme d’anémie microcytaireinflammatoire régénérative, rénale glomérulaire, articulaire, etimmunologique avec des anticorps antinucléaires positifs eteffondrement du complément sérique. En mars 2006, le bilanrénal a mis en évidence un rein droit muet ayant nécessité unenéphrectomie droite.

Cette jeune fille présente comme facteur de risque cardio-vasculaire une hypertension artérielle (HTA) équilibrée sousantagoniste des récepteurs de l’angiotensine II. Elle n’a pasde diabète, pas d’obésité. Son bilan lipidique sérique est nor-mal et elle n’a pas d’histoire familiale de coronaropathie.

La patiente était hospitalisée en juin 2006 pour prise encharge de mouvements choréoathétosiques intéressant surtoutle membre supérieur droit et une dystonie buccofaciale en rap-port avec des lésions punctiformes non spécifiques du centresemi-ovale sur l’IRM.

À l’admission, la patiente était asymptomatique sur le plancardiovasculaire, apyrétique, normotensive. L’examen phy-sique a mis en évidence un souffle systolique d’insuffisancemitrale.

L’électrocardiogramme (ECG) a objectivé des ondes q denécrose dans le territoire inférieur que la patiente n’avait pasdans les ECG antérieurs (Fig. 1).

L’échocardiographie transthoracique (ETT) a montré uneakinésie moyenne et postéro-inférieure, une altération légèrede fonction systolique du ventricule gauche (fraction d’éjectionestimée à 51 %) et une insuffisance mitrale grade II sans ano-malie des structures valvulaires (Fig. 2).

L’évaluation biologique de l’hypercoagulabilité, qui était nor-male lors de la précédente hospitalisation, a révélé la présenced’un taux élevé d’anticorps antiphospholipides à 125 U/ml

Fig. 1. ECG montrant l’onde Q de nécrose dans le territoire inférieur.

(valeur dite positive si > 51 U/ml) et d’anticorps anticardiolipineIgM à 46 MPL/ml (valeur dite positive si > 15 MPL/ml). Larecherche du lupus anticoagulant était également positive. Ledosage protéine S, C ainsi que l’homocystéine était normal. Lediagnostic de SAPL sur maladie lupique a été retenu.

La coronarographie a mis en évidence un réseau coronairesain (Fig. 3). La ventriculographie a objectivé une hypokinésiesévère diaphragmatique avec une fraction d’éjection estimée à50 % et une insuffisance mitrale grade II. La patiente a étémise sous acide acétyle salicylique, inhibiteur calcique, antago-niste de l’angiotensine II, antivitamine K en plus de la cortico-thérapie.

3. Discussion

Les manifestations cardiaques du SAPL incluent la throm-bose des artères coronaires [5,6], les thrombi intracardiaques,les endocardites bactériennes et les atteintes valvulaires. Lesthromboses artérielles se manifestent le plus souvent soit parune ischémie, soit par un infarctus. Nous avons découvert for-tuitement chez notre patiente une nécrose myocardique dans leterritoire inférieur ainsi qu’une fuite mitrale. La patiente avaitcomme seul facteur de risque cardiovasculaire une HTA.L’angiographie des artères coronaires s’était révélée normale.Nous avons suggéré l’hypothèse d’une thrombose artériellecoronaire ayant engendré un infarctus du myocarde silencieux.

Le SAPL constitue un facteur de risque additionnel surtoutavec un taux de lupus anticoagulant très positif (> 40) [7],comme c’est le cas de notre patiente, qui doit être considéréchez les jeunes patients sans facteurs de risque d’athérosclé-rose.

Certaines hypothèses émises suggèrent que le SAPL seul necause pas souvent de thrombose [4,8], mais plutôt son associa-tion à des circonstances particulières : thrombopénie induite à

Fig. 3. La coronarographie réalisée chez la patiente a révélé un réseau coronaire normal.

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l’héparine, certains médicaments, ou la chirurgie qui jouerait lerôle de la gâchette. La néphrectomie dont a fait l’objet lapatiente aurait pu favoriser la nécrose myocardique puisquel’ECG réalisé avant l’intervention était normal.

La patiente a été traitée selon les recommandations [7] parl’aspirine, les anticoagulants avec un INR à 3,5.

Les fuites valvulaires constituent les atteintes valvulaires lesplus fréquentes chez les patients présentant un SAPL [4,7]. Sesfuites sont dominées par les fuites mitrales. Chez notrepatiente, une insuffisance mitrale grade II a été découverte for-tuitement. Certains auteurs ont démontré qu’il existait une cor-rélation entre le titre des anticorps anticardiolipine et l’atteintevalvulaire (titre élevé pour notre patiente à 46 MPL/ml). Chezles patients asymptomatiques présentant un SAPL avec atteintevalvulaire, de faible dose d’aspirine comme traitement prophy-lactique constitue le traitement de choix pour la plupart desexperts.

La patiente présente à la fois une chorée et une fuite mitrale.Sur une étude récente, il a été démontré une association forte-ment significative entre les manifestations du système nerveuxcentral et l’atteinte valvulaire. Cette dernière constitue un fac-teur de risque de la première [2].

4. Conclusion

Notre patiente âgée seulement de 18 ans se retrouve avec unenécrose myocardique inférieure favorisée très probablement parla chirurgie, une insuffisance mitrale modérée et une altérationdébutante de la fonction ventriculaire gauche. Nous soulignonsainsi à travers ce cas, l’intérêt de l’identification précoce et du

traitement approprié du SAPL ainsi qu’une surveillance étroite,notamment chez les jeunes patients candidats à une chirurgie. Lacompréhension de la pathogénie de la thrombose artérielle aucours du SAPL demeure incomplète, par conséquent les travauxde recherche intéressants les bases cellulaire et moléculaire de cesyndrome paraissent indispensables.

Références

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[2] Krause I, Lev S, Fraser A, et al. Close association between valvar heartdisease and central nervous system manifestations in the antiphospholipidsyndrome. Ann Rheum Dis 2005;64:1490–3.

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