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CAS CLINIQUE Infection cutanée à Dermatophilus congolensis chez un jeune bovin Cutaneous infection due to Dermatophilus congolensis in a young calf P.–E. Lagneau a,c, *, C. Quinet a , M. Toussaint b a Association régionale de santé et d’identification animales, allée des Artisans, 2, B-5590 Ciney, Belgique b Vétérinaire praticien en province de Luxembourg, avenue de Lorraine 12, B-6762 Saint-Mard, Belgique c Drève du Prophète 2, B-7000 Mons, Belgique Reçu le 18 novembre 2004 ; accepté le 6 avril 2005 MOTS CLÉS Dermatophilus congolensis ; Dermatite ; Bovin KEYWORDS Dermatophilus congolensis; Dermatitis; Bovine Résumé Un vétérinaire est consulté au cours de l’hiver pour un veau de 4 jours présentant des lésions cutanées autour du mufle, sur les flancs et au niveau de la croupe. Les examens microscopiques et les cultures à partir de prélèvements de poils et de croûtes révèlent une dermatite à Dermatophilus congolensis. Après un traitement à base de pénicilline et de streptomycine, une régression des lésions suivie d’une guérison complète sont constatées. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract A veterinary surgeon was called during the winter to examine a 4-day-old calf with cutaneous lesions on the muzzle, thorax and at the level of the croup. Microscopic examinations and culture of samples of hair and scabs revealed dermatitis due to Dermatophilus congolensis. The lesions disappeared with penicillin and streptomycin treatment. © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction C’est en 1915 que René Van Saceghem décrit pour la première fois Dermatophilus congolensis comme agent responsable de dermatite chez le bétail au Congo belge [13]. Cette bactérie à coloration de Gram positive, non acidorésistante, appartenant à l’ordre des actinomycétales est classée dans la famille des Dermatophilaceae. Le genre Dermato- philus comprend deux espèces : D. congolensis et D. chelonae [9]. La pathogénicité de la bactérie se limite aux couches vivantes de l’épiderme et cette infection peut atteindre aussi bien les animaux sauvages que domestiques principalement le che- val, le mouton, le porc et le bovin [1,2,3,6,7, 10,11,12,17]. Le diagnostic différentiel de la der- matophilose comprend toutes les affections cuta- nées peu prurigineuses des bovins : staphylococcie cutanée, démodécie, teigne, gale et besnoitiose. La dermatophilose représente une zoonose mineure pour l’homme [15,18]. Cette affection est cosmo- * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Lagneau). Journal de Mycologie Médicale 15 (2005) 108–110 www.elsevier.com/locate/mycmed 1156-5233/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.mycmed.2005.04.004

Infection cutanée à Dermatophilus congolensis chez un jeune bovin

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CAS CLINIQUE

Infection cutanée à Dermatophilus congolensischez un jeune bovin

Cutaneous infection due to Dermatophiluscongolensis in a young calfP.–E. Lagneau a,c,*, C. Quinet a, M. Toussaint b

a Association régionale de santé et d’identification animales, allée des Artisans,2, B-5590 Ciney, Belgiqueb Vétérinaire praticien en province de Luxembourg, avenue de Lorraine 12, B-6762 Saint-Mard, Belgiquec Drève du Prophète 2, B-7000 Mons, Belgique

Reçu le 18 novembre 2004 ; accepté le 6 avril 2005

MOTS CLÉSDermatophiluscongolensis ;Dermatite ;Bovin

KEYWORDSDermatophiluscongolensis;Dermatitis;Bovine

Résumé Un vétérinaire est consulté au cours de l’hiver pour un veau de 4 jours présentantdes lésions cutanées autour du mufle, sur les flancs et au niveau de la croupe. Lesexamens microscopiques et les cultures à partir de prélèvements de poils et de croûtesrévèlent une dermatite à Dermatophilus congolensis. Après un traitement à base depénicilline et de streptomycine, une régression des lésions suivie d’une guérison complètesont constatées.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract A veterinary surgeon was called during the winter to examine a 4-day-old calfwith cutaneous lesions on the muzzle, thorax and at the level of the croup. Microscopicexaminations and culture of samples of hair and scabs revealed dermatitis due toDermatophilus congolensis. The lesions disappeared with penicillin and streptomycintreatment.© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

C’est en 1915 que René Van Saceghem décrit pourla première fois Dermatophilus congolensis commeagent responsable de dermatite chez le bétail auCongo belge [13]. Cette bactérie à coloration deGram positive, non acidorésistante, appartenant àl’ordre des actinomycétales est classée dans lafamille des Dermatophilaceae. Le genre Dermato-

philus comprend deux espèces : D. congolensis etD. chelonae [9]. La pathogénicité de la bactérie selimite aux couches vivantes de l’épiderme et cetteinfection peut atteindre aussi bien les animauxsauvages que domestiques principalement le che-val, le mouton, le porc et le bovin [1,2,3,6,7,10,11,12,17]. Le diagnostic différentiel de la der-matophilose comprend toutes les affections cuta-nées peu prurigineuses des bovins : staphylococciecutanée, démodécie, teigne, gale et besnoitiose.La dermatophilose représente une zoonose mineurepour l’homme [15,18]. Cette affection est cosmo-

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (P. Lagneau).

Journal de Mycologie Médicale 15 (2005) 108–110

www.elsevier.com/locate/mycmed

1156-5233/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/j.mycmed.2005.04.004

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polite mais elle semble prévalente en zones tropi-cales et subtropicales fortement humides [8]. Dansces conditions, la maladie est très contagieuse eten l’absence de traitement, la dermatophilose peutavoir des conséquences économiques désastreuses[4,17].

Observation

Par une sévère journée d’hiver, un vétérinaire pra-ticien est consulté pour une dermatite chez un veauâgé de quatre jours. L’élevage qui compte un peumoins de 150 bovins, une quarantaine d’animauxlaitiers de race Holstein constitue l’essentiel durevenu. Les veaux à la naissance sont séparés deleur mère et alimentés de façon indépendante. Àcette époque, une dizaine d’entre eux se trouvedans cette ancienne étable ardennaise et jouissed’une hygiène correcte. Aucun ne présente d’affec-tion dermatologique hormis un tout jeune bovin.L’examen clinique de ce veau né à terme montreune dermatite exsudative et extensive associée à laformation de croûtes, accompagnée d’une alopéciemarquée et d’absence de caractère prurigineux.Elle est localisée sur le pourtour du mufle et sur lesparties supérieures du thorax avec une allure plutôtsubaiguë (Fig. 1). Nous constatons également unedermatite aiguë et extensive non croûteuse avecune forte alopécie au niveau de la croupe. Lescroûtes adhèrent fortement au niveau de la peauinfectée. En dépit des lésions, l’état général del’animal reste excellent. Aucun signe pathologiquen’est décelé sur la mamelle, les membres et leventre de la mère. Plusieurs échantillons de croûtes

et de poils sont soumis au laboratoire. Nous rappor-tons l’isolement de D. congolensis chez ce jeunebovin atteint de dermatite.

Diagnostic de laboratoire

Pour réaliser un diagnostic spécifique de dermato-philose, nous utilisons la technique de Haalstra [5].La nature capnophile de ce microorganisme permetaprès la dilacération des croûtes en eau distilléestérile et l’exposition au CO2 durant trois heures,de concentrer les zoospores de D. congolensis à lasurface du broyat. Tous les échantillons subissentce traitement et à partir du surnageant, des frottissont réalisés et ensuite, colorés à l’aide du May-Grünwald et du Giemsa. L’autre partie des broyatsest ensuite inoculée sur des géloses au sang demouton supplémentées d’un mélange d’acide nali-dixique (15 lg/ml) et de sulphate B de colimycine(10 lg/ml). Les cultures sont incubées durant 48 à72 heures en atmosphère enrichie en CO2 (10 %).Cette bactérie ne pousse pas sur le milieu de Sabou-raud.À partir des différents échantillons, l’examen

microscopique des frottis colorés au May-Grünwald-Giemsa met en évidence les formes caractéris-tiques de D. congolensis. Nous remarquons desfilaments se divisant transversalement et longitudi-nalement en éléments coccoïdes. Cette image en« voies de chemin de fer » à la bactérioscopie esttypique de D. congolensis. Après 48 heures, toutesles cultures à partir des raclages cutanés sont posi-tives, les colonies apparaissent rugueuses, à bordsirréguliers, hémolytiques, jaunes et adhérant for-tement à la gélose. Tous les tests confirmentl’agent responsable : D. congolensis. Les contrôlespour la présence éventuelle d’ectoparasites sontrestés négatifs.

Traitement

Au vu des lésions l’exploitant entame d’abord untraitement contre la gale bovine mais sans succès.Le diagnostic de dermatophilose confirmé, le pra-ticien applique une antibiothérapie systémiquecomposée d’une dose de 30 mg/kg de pénicilline etde la même quantité de streptomycine en intra-musculaire. Après cinq à six jours, les lésions ré-gressent et l’on assiste à la repousse du poil. Cetteseule injection achemine l’animal vers une guérisoncomplète.

Discussion

Lors de la réception des poils et des croûtes aulaboratoire, seul un diagnostic de gale est assigné

Figure 1 Sévères lésions montrant une dermatite aiguë localiséesur les parties supérieures du thorax.Figure 1 Severe lesions exhibiting an acute exudative dermatiti-dis localised on the upper parts of thorax.

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par le praticien mais compte tenu de l’image carac-téristique de certains spécimens en « brosse depeintre », parallèlement nous avons procédé à unerecherche de Dermatophilus. Ce cas sporadique etsans contagiosité de dermatophilose demeure aty-pique car à l’inverse des conditions climatiquesdécrites habituellement au cours de cette maladiedermatologique. Au lieu de chaleur et d’humidité,cette dermatite est dépistée alors que la tempéra-ture extérieure est largement en dessous du zérodegré depuis plusieurs jours. De plus, la pluie et laneige se succèdent de manière abondante durantce mois de février 2004 dans cette partie sud de laBelgique. Lors d’infection à D. congolensis, la péné-tration de l’agent dans les cellules épidermiquesest apparemment seulement due à une pressionmécanique, à une érosion ou à une blessure. Le rôleéventuel d’arthropodes piqueurs tels que les tiquesou encore des mouches piqueuses ou suceuses,n’est pas envisageable à cette époque de l’année.Pour ce veau qui n’a jamais eu de contact avecl’extérieur, la possibilité d’une transmission inutero accompagnée d’une déficience des barrièresde défense de la peau demeure une hypothèse. Descas similaires ont fait l’objet de publications[14,16].

Conclusion

La confirmation du diagnostic est obtenue au labo-ratoire par la technique de Haalstra, suivie de lacoloration de May-Grünwald-Giemsa et de la cul-ture. Ce sont des éléments clés du diagnostic decette maladie cutanée. Si le diagnostic est bienposé, ces infections ne posent pas de problèmesthérapeutiques en raison de l’extrême sensibilitédes Dermatophilus vis-à-vis de la pénicilline et dela streptomycine. L’origine de la bactérie reste uneinconnue et les conditions qui prédisposent ce veauà cette infection ne sont pas clairement identi-fiées. Longtemps considérée comme une affectiondes régions tropicales ou subtropicales, ce nouveaucas de dermatophilose montre comme dans la litté-rature, que sa distribution chez les animaux est enréalité mondiale. Devant l’émergence de cette ma-ladie, il est par conséquent nécessaire de procéderau dépistage systématique de cette bactérie lorsd’affections dermatologiques chez les animaux et

de ne pas se contenter d’un diagnostic rapide deteigne ou de gale. À notre connaissance, c’est lepremier cas de dermatophilose bovine rapportédans la province du Luxembourg.

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110 P. Lagneau et al.