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Article spe ´ cial Inte ´ re ˆt du dosage des cholineste ´ rases dans le cadre des intoxications aux organophosphore ´s Interest of the cholinesterase assay during organophosphate poisonings A.-M. Jalady a, *, F. Dorandeu b,c a Antenne me ´dicale des arme ´es (AMA) de Vert-Le-Petit, centre me ´dical des arme ´es (CMA) de Montlhe ´ry, site de DGA Maıˆtrise NRBC-Lieu dit « Le Bouchet », 5, rue Lavoisier, BP n o 3, 91710 Vert-Le-Petit, France b De ´partement de toxicologie et risques chimiques, institut de recherche biome ´dicale des Arme ´es, BP 73, 91223 Bretigny-sur-Orge cedex, France c E ´ cole du Val-de-Graˆce, 1, place Alphonse-Laveran, 75230 Paris, France 1. Introduction Les expositions aux organophosphore ´s (OP), dont les cibles principales sont les cholineste ´ rases (ChE), ont conduit les me ´ decins a ` s’inte ´ resser a ` la de ´ termination de l’activite ´ enzyma- tique de leurs formes sanguines comme marqueurs biologiques d’exposition, principaux te ´ moins avec la symptomatologie clinique de l’effet des OP sur l’organisme. Parmi les OP, les organophos- phore ´s pesticides (OPP) et les neurotoxiques de guerre (NOP) sont distingue ´s. Les OPP sont parmi les pesticides les plus toxiques et sont responsables de plusieurs centaines de milliers de de ´ce `s par an, principalement dans les pays e ´ mergents. Une utilisation Annales Franc ¸aises d’Anesthe ´ sie et de Re ´ animation 32 (2013) 856–862 I N F O A R T I C L E Historique de l’article : Rec ¸u le 14 octobre 2012 Accepte ´ le 23 aou ˆt 2013 Mots cle ´s : Biomarqueurs Cholineste ´ rases Exposition Neurotoxiques organophosphore ´s Keywords: Biomarkers Cholinesterases Exposure Organophosphorus agents R E ´ S U M E ´ Les cholineste ´ rases sont les principales enzymes cibles des organophosphore ´ s. Les deux enzymes pre ´ sentes dans le sang (butyrylcholineste ´ rase, BChE ; ace ´ tylcholineste ´ rase, AChE) sont des marqueurs biologiques des effets toxiques syste ´ miques de ces compose ´s. L’activite ´ des BChE plasmatiques est un outil courant de de ´ pistage rapide d’une intoxication, et un marqueur de la persistance du toxique de l’organisme. L’activite ´ des AChE e ´ rythrocytaires est un meilleur reflet de l’inhibition des enzymes similaires pre ´ sentes dans le syste ` me nerveux mais son dosage est moins accessible en routine. La de ´ termination de cette activite ´ permet un diagnostic de se ´ve ´ rite ´ de l’intoxication, est un te ´ moin de l’efficacite ´ du traitement par oxime et un meilleur marqueur de l’exposition. Les aspects pratiques de pre ´ le ` vement et d’interpre ´ tation, le dosage des deux types de cholineste ´ rase, leur comple ´ mentarite ´ et leur inte ´re ˆt crucial dans la confirmation d’une intoxication aux organophosphore ´s dans une situation de guerre ou d’attentat terroriste, et pour la surveillance des expositions professionnelles sont expose ´ s. ß 2013 Publie ´ par Elsevier Masson SAS pour la Socie ´ te ´ franc ¸aise d’anesthe ´ sie et de re ´ animation (Sfar). A B S T R A C T Cholinesterases are the main targets of organophosphorus compounds. The two enzymes present in the blood (butyrylcholinesterase, BChE; acetylcholinesterase, AChE) are biomarkers of their systemic toxicity. Activity of the plasma BChE is very often determined as it allows a rapid diagnostic of poisoning and is a marker of the persistence of the toxicant in the blood. The activity of the red blood cell AChE gives a better picture of the synaptic inhibition in the nervous system but the assay is less commonly available in routine laboratories. Better biomarker of the exposure, it allows a diagnosis of the severity of the poisoning and helps to assess the efficacy of oxime therapy. Besides the practical aspects of blood collection and sample processing, and the interpretation of the assays, this review stresses the complementarity of both enzyme assays and recalls their crucial interest for the confirmation of poisoning with an organophosphorus in a situation of war or terrorist attack and for the monitoring of occupational exposures. ß 2013 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Socie ´te ´ franc ¸aise d’anesthe ´ sie et de re ´ animation (Sfar). * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A.-M. Jalady). 0750-7658/$ see front matter ß 2013 Publie ´ par Elsevier Masson SAS pour la Socie ´te ´ franc ¸aise d’anesthe ´ sie et de re ´ animation (Sfar). http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2013.08.018

Intérêt du dosage des cholinestérases dans le cadre des intoxications aux organophosphorés

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Page 1: Intérêt du dosage des cholinestérases dans le cadre des intoxications aux organophosphorés

Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 856–862

Article special

Interet du dosage des cholinesterases dans le cadre des intoxicationsaux organophosphores

Interest of the cholinesterase assay during organophosphate poisonings

A.-M. Jalady a,*, F. Dorandeu b,c

a Antenne medicale des armees (AMA) de Vert-Le-Petit, centre medical des armees (CMA) de Montlhery, site de DGA Maıtrise NRBC-Lieu dit « Le Bouchet », 5,

rue Lavoisier, BP no 3, 91710 Vert-Le-Petit, Franceb Departement de toxicologie et risques chimiques, institut de recherche biomedicale des Armees, BP 73, 91223 Bretigny-sur-Orge cedex, Francec Ecole du Val-de-Grace, 1, place Alphonse-Laveran, 75230 Paris, France

I N F O A R T I C L E

Historique de l’article :

Recu le 14 octobre 2012

Accepte le 23 aout 2013

Mots cles :

Biomarqueurs

Cholinesterases

Exposition

Neurotoxiques organophosphores

Keywords:

Biomarkers

Cholinesterases

Exposure

Organophosphorus agents

R E S U M E

Les cholinesterases sont les principales enzymes cibles des organophosphores. Les deux enzymes

presentes dans le sang (butyrylcholinesterase, BChE ; acetylcholinesterase, AChE) sont des marqueurs

biologiques des effets toxiques systemiques de ces composes. L’activite des BChE plasmatiques est un

outil courant de depistage rapide d’une intoxication, et un marqueur de la persistance du toxique de

l’organisme. L’activite des AChE erythrocytaires est un meilleur reflet de l’inhibition des enzymes

similaires presentes dans le systeme nerveux mais son dosage est moins accessible en routine. La

determination de cette activite permet un diagnostic de severite de l’intoxication, est un temoin de

l’efficacite du traitement par oxime et un meilleur marqueur de l’exposition. Les aspects pratiques de

prelevement et d’interpretation, le dosage des deux types de cholinesterase, leur complementarite et

leur interet crucial dans la confirmation d’une intoxication aux organophosphores dans une situation de

guerre ou d’attentat terroriste, et pour la surveillance des expositions professionnelles sont exposes.

� 2013 Publie par Elsevier Masson SAS pour la Societe francaise d’anesthesie et de reanimation (Sfar).

A B S T R A C T

Cholinesterases are the main targets of organophosphorus compounds. The two enzymes present in the

blood (butyrylcholinesterase, BChE; acetylcholinesterase, AChE) are biomarkers of their systemic

toxicity. Activity of the plasma BChE is very often determined as it allows a rapid diagnostic of poisoning

and is a marker of the persistence of the toxicant in the blood. The activity of the red blood cell AChE gives

a better picture of the synaptic inhibition in the nervous system but the assay is less commonly available

in routine laboratories. Better biomarker of the exposure, it allows a diagnosis of the severity of the

poisoning and helps to assess the efficacy of oxime therapy. Besides the practical aspects of blood

collection and sample processing, and the interpretation of the assays, this review stresses the

complementarity of both enzyme assays and recalls their crucial interest for the confirmation of

poisoning with an organophosphorus in a situation of war or terrorist attack and for the monitoring of

occupational exposures.

� 2013 Published by Elsevier Masson SAS on behalf of the Societe francaise d’anesthesie et de

reanimation (Sfar).

1. Introduction

Les expositions aux organophosphores (OP), dont les ciblesprincipales sont les cholinesterases (ChE), ont conduit les

* Auteur correspondant.

Adresse e-mail : [email protected] (A.-M. Jalady).

0750-7658/$ – see front matter � 2013 Publie par Elsevier Masson SAS pour la Societ

http://dx.doi.org/10.1016/j.annfar.2013.08.018

medecins a s’interesser a la determination de l’activite enzyma-tique de leurs formes sanguines comme marqueurs biologiquesd’exposition, principaux temoins avec la symptomatologie cliniquede l’effet des OP sur l’organisme. Parmi les OP, les organophos-phores pesticides (OPP) et les neurotoxiques de guerre (NOP) sontdistingues. Les OPP sont parmi les pesticides les plus toxiques etsont responsables de plusieurs centaines de milliers de deces paran, principalement dans les pays emergents. Une utilisation

e francaise d’anesthesie et de reanimation (Sfar).

Page 2: Intérêt du dosage des cholinestérases dans le cadre des intoxications aux organophosphorés

Fig. 1. Inhibition des cholinesterases par les neurotoxiques de guerre (NOP) [7].

A.-M. Jalady, F. Dorandeu / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 856–862 857

terroriste ne peut etre ecartee. Les NOP appartiennent au tableau Ide la convention internationale d’interdiction des armes chimiques[1]. Agents de la menace militaire, comme rappele par lesevenements actuels en Syrie, ils pourraient etre aussi employesdans un cadre terroriste comme cela fut le cas au Japon, aMatsumoto en 1994 et dans le metro de Tokyo en 1995. Lesprincipaux NOP sont le sarin (GB), le soman (GD), le tabun (GA), lecyclosarin (GF) et les agents V de type A4 (VX) ou VX russe (VR), ladenomination internationale de l’organisation du traite del’Atlantique nord (Otan) figure entre parentheses. Malgre desdifferences toxicodynamiques et toxicocinetiques, les intoxica-tions aux OP provoquent un tableau clinique commun domine aumoins initialement par une crise cholinergique, resultat de leurcapacite a inhiber les ChE [2]. La prise en charge medicale estcommune. La pratique medicale courante, civile ou militaire, n’estpas souvent confrontee a ce type d’intoxication. L’absence dereferentiel medical est la regle dans le domaine du risque lie auxagents chimiques militaires. Les travaux recents de mise a jour desfiches PIRATOX de l’Agence nationale de securite du medicamentet des produits de sante (ANSM) ont permis de combler en partie cevide [3]. Cette mise au point a pour objectif essentiel de justifierl’interet de doser l’activite des ChE sanguines des personnelspotentiellement exposes aux NOP jusqu’a l’intoxication averee ?Les aspects theoriques et pratiques sont abordes.

2. Les cholinesterases

2.1. Generalites

Le terme de cholinesterase a ete propose en 1932 pour decrireune enzyme capable d’hydrolyser l’acetylcholine [4]. Quelquesannees plus tard, des commissions internationales de nomencla-ture biochimique ont enterine l’existence de deux formesdistinctes de ChE qui different par leur origine, leur structure,leur specificite d’action et leur fonction physiologique [5]. Le termedesigne desormais l’ensemble des enzymes capables d’hydrolyserles esters de la choline. Elles sont largement distribuees dansl’organisme :

� l’acetylcholinesterase (AChE), ou cholinesterase vraie, est uneenzyme localisee principalement au niveau de la fente synap-tique (systemes nerveux central et peripherique) et egalement ala surface de certaines cellules dont les erythrocytes. Ellepresente un grand polymorphisme et elle est le produit d’ungene unique [6]. Elle hydrolyse de maniere optimale l’acetylcho-line, et tres faiblement les autres esters de choline [7].� la butyrylcholinesterase (BChE), encore nommee cholinesterase

serique, plasmatique, ou pseudocholinesterase, est extracellulaire.La forme plasmatique, est synthetisee par le foie. On en retrouvedans la plupart des tissus et organes (cerveau, jonction neuro-musculaire, foie, muscle, pancreas, intestin). Elle existe egalementsous differentes formes moleculaires, solubles ou ancrees a lasurface des cellules. La forme principale est un tetramere de sous-unites monomeriques identiques. Son activite catalytique estmoins specifique puisqu’elle est capable d’hydrolyser de nom-breux esters naturels ou synthetiques (acetylcholine, butyrylcho-line, succinylcholine, mivacurium, acide acetylsalicylique oucocaıne notamment) [8].

2.2. Fonction physiologique et variabilite genetique

A l’arrivee de l’influx nerveux, la terminaison presynaptiquelibere le neuromediateur acetylcholine dans la fente synaptique.L’acetylcholine agit ensuite sur ses recepteurs (muscariniques ounicotiniques) presents dans la membrane postsynaptique. L’AChEjoue un role physiologique vital [6] en hydrolysant l’acetylcholine

dans les synapses cholinergiques (Fig. 1) [9]. La BChE n’a pas defonction physiologique connue, mais pourrait aider a l’hydrolysede certains esters de choline [10]. Au niveau plasmatique, la BChEpeut egalement jouer le role d’un epurateur naturel en fixant destoxiques inhibiteurs et en prevenant ainsi leur action sur l’AChE. LaBChE exogene peut etre utilisee, soit avant, soit apres exposition ades toxiques OP [11,12]. La fonction essentielle de l’AChE expliquequ’il n’existe pas chez l’homme de variants genetiques dontl’activite catalytique serait alteree [13]. A l’inverse, le gene de laBChE, peut presenter des mutations et plus de 40 ont eteidentifiees, ce qui porte a plus de 237 le nombre de phenotypespossibles, appeles variants genetiques (homozygotes ou hetero-zygotes) [4,8].

2.3. Variabilite de l’activite des cholinesterases

2.3.1. Variabilite naturelle

2.3.1.1. Butyrylcholinesterase plasmatique. La variabilite intra-indi-viduelle est plus marquee que celle des AChE erythrocytaires. Endehors de toute intoxication, l’activite BChE est soumise a de largesvariations physiologiques au cours de la journee, et avec l’age chezun meme individu. Elle diminue chez les femmes sous contra-ception orale et en cas de grossesse. Elle augmente avec le poids etla taille des individus. Elle est egalement soumise a des variationsen cas de pathologies. Elle augmente en cas d’elevation dumetabolisme de base, d’hyperthyroıdie, d’hemolyse, syndromenephrotique, diabete [4]. Elle diminue dans les cas suivants :infection, allergie, cancer, denutrition, collagenose, infarctus dumyocarde, brulures etendues, hepatopathie, atteinte renale severe,epilepsie, maladie chronique debilitante [4] et avec certainsmedicaments : anesthesiques locaux a fonction ester, procaıneen particuliers [4], fluorures (endoflurane et sevoflurane) [4],lithium, IMAO, chlorpromazine [4], metoclopramide, antiglauco-mateux (l’eseridine), antimyasthenique (abenomium, neostigmineou pyridostigmine), traitements anticholinesterasiques de lamaladie d’Alzheimer (donepezil, rivastigmine ou galantamine)[10] ou la radiotherapie [4].

L’activite BChE presente aussi une importante variabiliteinterindividuelle [14]. Elle est plus elevee de 10–15 % chezl’homme que chez la femme. Dans la population occidentale 3 a 4 %des personnes presentent une activite BChE basse d’originegenetique. Certains individus sont meme totalement depourvusde BChE sans presenter aucun symptome [13].

Ces sujets sont exposes a un risque d’apnee prolongee en cas decurarisation par la succinylcholine ou le mivacurium. La duree del’apnee depend de l’importance du deficit enzymatique : jusqu’aplus de 6 heures chez les homozygotes SS [4,15] ou plus de8 heures chez les patients dont l’activite BChE est indetectable. Cesmolecules sont en effet normalement hydrolysees par la BChE. Lesporteurs d’une BChE anormale, quand ils sont connus, doivent etre

Page 3: Intérêt du dosage des cholinestérases dans le cadre des intoxications aux organophosphorés

A.-M. Jalady, F. Dorandeu / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 856–862858

informes de ce risque afin de pouvoir avertir l’anesthesiste s’ilsdevaient subir une intervention chirurgicale necessitant l’usaged’un agent curarisant. L’usage de ces curares chez des victimesintoxiquees par les OP exposerait au meme risque de curarisationprolongee [16].

2.3.1.2. Acetylcholinesterase erythrocytaire. La variabilite intra-individuelle de l’activite AChE de base peut atteindre 10 %. Lavariabilite interindividuelle peut etre nettement plus importante.L’activite peut etre plus elevee dans les thalassemies (par lapolyglobulie secondaire) ou en cas de reticulocytose (paraugmentation de la production de globules rouges). Elle esttoutefois plus stable que celle de la BChE [10]. Les causes de baissede son activite sont rares, hormis lors de leucemies et de certainsautres cancers, dans l’anemie de Biermer (diminution du nombrede globules rouges) ou apres traitements antimalariques.

2.3.1.3. Variabilite liee a la technique de dosage. La gestion duprelevement sanguin peut faire varier les activites ChE (BChE etAChE) mesurees. Le prelevement et la conservation peuventinduire des erreurs (contamination de l’echantillon ou stockagetrop long). Les techniques de dosage sont multiples et seraientresponsables de 20 a 40 % de la variabilite des resultats, memelorsqu’elles sont utilisees par un laboratoire experimente. Pour cesraisons, pour un individu donne, la surveillance biologique doitetre effectuee en utilisant toujours la meme technique et sipossible le meme laboratoire d’analyse [14,17].

3. Interet du dosage des cholinesterases lors des intoxicationsorganophosphorees

3.1. Cholinesterases et organophosphores

Les OP se fixent de facon covalente sur le site esterasique desChE (AChE et BChE) ou ils phosphorylent ou phosphonylent (selonle toxique considere) leur site actif [18].

Leur mecanisme d’action principal est le blocage de la degrada-tion de l’acetylcholine en choline et en acide acetique par inhibitionessentiellement irreversible des deux formes de ChE. Il en resulteune accumulation d’acetylcholine a l’origine d’une veritableintoxication de l’organisme plus connue sous le terme de crisecholinergique. Quand elle est possible, l’hydrolyse spontanee de laliaison OP–enzyme est tres lente et ne permet pas de retour a lanormale sans un traitement reactivateur adapte (oxime). Apres untemps variable selon l’OP en cause, la liaison avec l’AChE peutdevenir insensible a l’action reactivatrice des oximes du fait d’unedesalkylation de l’OP, entraınant une stabilisation du complexeenzyme–OP : c’est le phenomene dit du vieillissement. Une fois lesChE inhibees de facon irreversible, voire vieillies, le retour a lanormale de l’activite AChE est lent : 100 a 120 jours environ (1 % parjour par renouvellement des erythrocytes) ; il est plus rapide pour laBChE (environ 3–7 % par jour par synthese hepatique ; deux a troissemaines environ seraient necessaires pour une recuperation totale)[10,11,14,19]. La vitesse de regeneration de l’AChE synaptiquesemble au moins aussi rapide que celle de l’AChE erythrocytaire [19].

3.2. Diagnostic de certitude de l’exposition aigue

La mesure de l’inhibition des ChE est le moyen de confirmationdiagnostique le plus fiable de l’intoxication aux OP (Tableau 1).Aucune methode de dosage direct des OP dans le serum ne permeten routine cette confirmation [20].

3.2.1. Diagnostic en urgence

Le diagnostic en urgence de l’intoxication aux OP repose sur lescirconstances d’exposition et sur les signes cliniques. Il doit etre

confirme au plus tot par la biologie. L’effondrement de l’activiteChE massif et rapide signe une intoxication par un inhibiteur desChE, generalement un OP. Ce dosage est realisable en moins d’uneheure pour la BChE. Les laboratoires capables de doser la BChE sontidentifiables sur internet [21]. Une inhibition de l’activite de l’AChEerythrocytaire de plus de 50 % s’accompagne d’une symptomato-logie clinique, et celle de plus de 90 % est rapidement mortelle [22–24]. La correlation entre baisse des ChE et effets toxiques n’esttoutefois pas toujours bonne car ces derniers dependent nonseulement de l’importance de la chute des ChE mais aussi de sarapidite. Le dosage de l’activite BChE surestime la severite del’intoxication pour beaucoup des OPP qui inhibent d’avantage laBChE que l’AChE [19]. Les NOP ont une meilleure affinite pourl’AChE. Puisqu’il s’agit de la meme enzyme, l’AChE erythrocytaireest classiquement un meilleur marqueur de l’inhibition synaptiqueet donc de la severite de l’intoxication [19,25,26] (Tableau 2) memesi l’etat clinique du patient prime pour le diagnostic de gravite.

3.2.2. Quelle activite cholinesterase faut-il doser ?

Le dosage de l’activite BChE plasmatique est souvent preferepour des raisons techniques. La conservation et le traitement desprelevements plasmatiques sont plus facile et le nombre delaboratoires capables de la doser en routine est plus eleve.L’activite BChE est donc generalement determinee en premiereintention [22]. Puisqu’elle n’est pas impliquee directement dans latoxicite des OP, l’inhibition de la BChE est un biomarqueur quisigne seulement l’exposition au toxique et sa presence dans lacirculation. Lors des attentats de Matsumoto et de Tokyo, plusieursetudes ont montre les limites du dosage de l’activite BChE parrapport a celui de l’activite AChE, plus sensible et meilleurmarqueur de l’effet des NOP [27,28].

Le dosage de l’activite AChE erythrocytaire est l’indicateur leplus simple et le plus fiable de l’inhibition de l’AChE synaptique, etdonc le meilleur reflet des effets sur la sante [14,22]. C’est lemeilleur indicateur de l’exposition aux OP. Si l’activite de base del’individu n’est pas connue [14,17], le dosage de l’activite AChEdoit etre realise en complement du dosage de l’activite BChEplasmatique pour orienter le diagnostic vers l’exposition a uninhibiteur de cholinesterase (OP ou carbamate notamment)(Fig. 2) [17,22]. Plus que le toxique, c’est la voie de penetration,et donc la nature des tissus touches en premier, qui conditionnel’inhibition des ChE sanguines. Quand le passage systemique estfaible, apres exposition a des vapeurs par exemple, l’inhibitionsanguine de BChE ou AChE, est limitee malgre des signes locauxparfois severes (myosis, rhinorrhee ou bronchoconstriction)[3,18]. Deux victimes de l’attentat de Tokyo ont par exempleete admises avec des troubles de la conscience et une detresserespiratoire aigue sans modification de l’activite BChE [32]. Lesintoxications ayant ete majoritairement provoquees par exposi-tion a des vapeurs de sarin lors des attaques terroristes deMatsumoto et Tokyo, le myosis a ete un marqueur d’expositionplus sensible que l’activite ChE [32].

3.2.3. Diagnostic de certitude a posteriori : le prelevement

conservatoire

Pour la plupart des OP, l’essentiel de la dose absorbee estrapidement elimine dans les urines, dans les 48 a 72 heuressuivant l’exposition [14]. Le dosage de leurs metabolites (acidesmethylphosphoniques alkyles) sanguins et urinaires est un outilcomplementaire pour le diagnostic des intoxications (Tableau 3).Les echantillons sanguins et urinaires, preleves des que possible ala prise en charge du patient [33], permettent de confirmer lanature du toxique, d’evaluer une exposition, l’importance d’uneintoxication ou de detecter des intoxications aigues ou chroniquesa faibles doses au cours desquelles l’activite ChE peut resternormale. Ces techniques ne sont pas disponibles en routine et ne

Page 4: Intérêt du dosage des cholinestérases dans le cadre des intoxications aux organophosphorés

Tableau 1Prelevements sanguins des cholinesterases [14,30].

Prelevement sanguin des cholinesterases

Materiel de prelevement

BChE Tube heparinate de lithium avec gel (bouchon vert)

AChE Tube EDTA sans gel (bouchon violet)

Precautions

Eviter la contamination de

l’echantillon par OP

Effectuer les prelevements a distance des locaux contamines si cela est possible et apres nettoyage soigneux de la peaua

Le sang veineux doit etre prefere au sang capillaire, facilement souille par une contamination de la peau

Conservation des specimens

BChE Le transport des tubes au laboratoire peut etre realise a temperature ambiante, mais les temperatures trop elevees peuvent deteriorer

l’enzyme et son activite. L’activite BChE est stable pendant sept jours si les echantillons sanguins sont refrigeres (2˚ C-8˚ C), plusieurs

semaines apres centrifugation et separation, si le plasma est conserve a 0-5C [14], et plusieurs mois si le sang a ete centrifuge

pour eviter l’hemolyse, le plasma separe et congele (recommande si l’analyse ne peut etre effectuee le jour meme). Quelques cycles

de congelation-decongelation peuvent etre realises sans consequence importante [39].

AChE Les echantillons sanguins doivent etre traites tres rapidementb

Ils peuvent etre refrigeresc a 4˚ C au plus tot, puis analyses rapidement [29] ou congeles apres dilution tres rapidement dans un

tampon au 1/100 [31].

Destinataires Laboratoires experimentes ayant des controles de qualite, utilisant la meme technique de dosage, et si possible toujours au meme

laboratoire : liste consultable sur le site internet de l’INRS, sur la base de donnees BIOTOX [21].

AChE : acetylcholinesterase ; BChE : butyrylcholinesterase.a En l’absence de contamination de la peau, le port d’equipements de protection est inutile pour le preleveur.b Le concentre globulaire doit etre lave par du serum sale isotonique plusieurs fois puis hemolyse par choc osmotique. Ces etapes de lavage permettent l’elimination du

plasma et previennent donc la determination concomitante des deux activites ChE. Elles alourdissent les protocoles et s’opposent au traitement automatique expliquant le

faible nombre de laboratoires utilisant cette approche. Les appareils du type ChE Check mobile1 permettent une analyse quasi-immediate sur sang total et permettent donc

de s’affranchir de cette etape si on en dispose [30].c Sans refrigeration, la reaction de reactivation peut se poursuivre dans le tube de prelevement, en cas d’exposition avec un OP et traitement par une oxime. Si l’inhibiteur

est un carbamate, la reversibilite de la reaction d’inhibition entraınera une normalisation progressive de l’activite enzymatique au cours du stockage.

A.-M. Jalady, F. Dorandeu / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 856–862 859

guideront pas le clinicien en phase aigue. Elles pourront apporterdes elements contributifs dans le cadre de l’enquete a posterioridans un objectif medicolegal, notamment pour prouver l’emploid’arme chimique, ou de reparation professionnelle (tableauno 34 du regime general et tableau no 11 du regime agricoledes maladies professionnelles).

3.3. Marqueur de l’elimination du toxique

L’activite AChE erythrocytaire n’a pas d’interet pour le suivi del’elimination du toxique [22] car sa regeneration est trop lente parrapport a la recuperation de l’AChE synaptique. Elle peut donc

Fig. 2. Interpretation de la baisse de l’activite des acetylcholinesterases dans le cadre du su

(INRS), modifie [17].

rester abaissee malgre la guerison clinique. En l’absence de toxiquecirculant, l’activite BChE retrouve sa valeur initiale generalementen deux a trois semaines. L’absence d’evolution de l’activite BChEsuggere la presence persistante dans la circulation d’un agentinhibiteur [11,19].

3.4. Marqueur de l’efficacite therapeutique [34]

L’activite AChE est un bon marqueur du besoin en atropine chezle patient intoxique par OP [19]. Ce n’est pas le cas de l’activiteBChE dont la recuperation ne devrait pas etre utilisee commecritere decisionnel pour l’arret du traitement par atropine [35].

ivi des expositions professionnelles selon l’Institut national de recherche en securite

Page 5: Intérêt du dosage des cholinestérases dans le cadre des intoxications aux organophosphorés

Tableau 2Classification de Bardin et Van Eeden et traitement associe en tenant compte des recommandations recentes de l’Agence nationale de securite du medicament (ANSM) [3,21].

Classification de Bardin et Van Eeden Inhibition de

l’acetylcholinesterase

erythrocytairea

Traitement specifique

Intoxication moderee Conscience normale, troubles digestifs, majoration des

secretions, myosis, quelques fasciculations

musculaires mais la marche reste possible

50 a 80 % Atropine : 2 mg en IV lente de preference.

A renouveler toutes les 5 a 10 minutes selon la

reponse clinique (obtenir les signes d’une bonne

atropinisation)

Methylsulfate de pralidoxime (1 g soit 5 flacons)

en IV lente ou IM puis perfusion ou reinjection

Oxygenotherapie

Intoxication severe Confusion mentale, hypersecretion muqueuse tres

abondante, myosis punctiforme, bronchospasme,

fasciculations diffuses avec marche impossible

80 a 90 % Atropine : (comme dans les formes moderees)

L’atropinisation est poursuivie soit par perfusion

(1,5 a 6 mg/h) soit par reinjection

Methylsulfate de pralidoxime : 2 g IV lente ou IM

puis 5–8 mg/kg.h

Oxygenotherapie

Intoxication engageant

le pronostic vital

Coma

Crises epileptiques (selon les agents)

Detresse respiratoire avec cyanose et œdeme

pulmonaire, PaO2 inferieure a 8 kPa, PaCO2

superieure a 6 kPa, opacites sur la radiographie thoracique

Plus de 90 % Meme traitement antidotique que pour les formes

severes mais ventilation artificielle indispensable

avec oxygenotherapie

IV : intraveineux ; IM : intramusculaire.a Les resultats du laboratoire sont ici exprimes en pourcentage d’activite d’un echantillon temoin provenant de la meme personne.

A.-M. Jalady, F. Dorandeu / Annales Francaises d’Anesthesie et de Reanimation 32 (2013) 856–862860

L’administration precoce d’une oxime (methylsulfate de prali-doxime) peut corriger, voire normaliser l’activite AChE erythrocy-taire, temoin de l’activite de l’AChE synaptique. La BChE estbeaucoup moins bien reactivee par les oximes. Elle est doncinappropriee pour le suivi direct de leur efficacite. Cependant,puisque son dosage permet la mise en evidence d’inhibiteurscirculants, il convient de traiter tant que le toxique circule [3,11,36].Ainsi, le dosage de l’activite BChE devient-il complementaire de celuide l’AChE pour le suivi de l’efficacite therapeutique. Malgre l’aideapportee par la determination des activites ChE, l’efficacite del’atropine et de l’oxime sera principalement jugee sur l’efficaciteclinique, en particulier sur le plan respiratoire.

3.5. Diagnostic des expositions professionnelles aux

organophosphores

3.5.1. Indication

La mesure sanguine de l’activite BChE, ou AChE est indiqueechaque fois qu’une intoxication accidentelle est suspectee.L’institut de recherche en sante et en securite du travail (IRSST)du Canada est en faveur du dosage de l’activite AChE [37], tandisqu’en France, l’Institut national de recherche en securite (INRS)preconise les deux types de dosage [17]. La determinationperiodique de l’activite BChE est recommandee chez les travail-leurs exposes pour mettre en evidence une exposition infracliniqueaux OP. Une exposition a faibles doses ne modifiera pas forcementl’activite enzymatique de facon detectable (compte tenu desvariabilites intraindividuelles et analytiques) et le dosage deproduits du metabolisme des OP (acides phosphoniques urinaireset sanguins) peut etre preferable.

Tableau 3Prelevements urinaires pour dosage des metabolites des OP.

Prelevements urinaires

Materiel de prelevement Fl

Quand le realiser ? D

Destinataires La

B

NOP : neurotoxiques de guerre ; OP : organophosphores.

3.5.2. Interpretation

Lors de l’exposition chronique, l’activite de l’AChE peutatteindre des niveaux faibles sans symptomes apparents. Unefaible exposition supplementaire peut provoquer l’apparition dessymptomes. Ils ne sont alors pas uniquement associes au niveaud’inhibition atteint, mais dependent aussi de la rapidite aveclaquelle la chute d’activite cholinesterasique s’est produite [38].L’indicateur biologique d’exposition en France est une activiteAChE qui a chute jusqu’a 70 % de la valeur de reference individuelle(soit 30 % d’inhibition). C’est le niveau d’alarme signifiant uneexposition possible a un inhibiteur des ChE [17]. Quand la chute del’activite des ChE est rapide et massive, le dosage prealable del’activite moyenne de base n’est pas indispensable pour lediagnostic de certitude d’une exposition. Il prend tout son interetdans les expositions a de faibles doses induisant des inhibitionscomprises dans la variabilite des mesures [23,24].

En pratique, l’activite de la BChE plasmatique de base de chaquetravailleur est determinee avant toute exposition. Ensuite, il fautattendre trois a six semaines sans contact avec le toxique [17].Cette valeur est la moyenne d’au moins deux dosages (Tableau 4).Un troisieme dosage est propose si la variation de l’activite entreles deux premiers dosages est superieure a 20 % ; ces deux premiersprelevements sont effectues separes de trois a quatorze jours[14,17]. La conduite a tenir est resumee en Fig. 2.

En l’absence de determination anterieure de l’activite de laBChE de base, une faible activite peut, soit signer une intoxicationpar les OP a faibles doses, soit reveler un variant genetique de laBChE anormal. Le diagnostic differentiel peut etre realise par le testa la dibucaıne. Il s’agit d’un anesthesique local a fonction esterhydrolyse par la BChE. Au moins six variants genetiques de la BChE

acon de 20 a 30 mL sans additif ni conservateur puis si possible congele [3]

ans les 24 premieres heures idealement [33]

boratoires du reseau PIRATOX [3] pour les NOP

ase de donnees BIOTOX sur le site internet de l’INRS [17] pour les pesticides OP

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Tableau 4Resultats du dosage sanguin des cholinesterases.

Activitea Terrain Valeurs usuelles

Acetylcholinesterase Tous 5,14 a 8,94 U/mL de globules rouges

Butyrylcholinesterase Enfants, hommes, femmes de plus de 40 ans 5320 a 12 920 U/L

Femmes (16–39 ans) ne presentant pas de grossesse et ne prenant pas de contraceptifs oraux 4260 a 11 250 U/L

Femmes (18–41 ans) enceintes ou sous contraceptifs oraux 3650 a 9120 U/L

a La technique usuelle de dosage est derivee de celle decrite initialement par Ellman et al. en 1961 [40] : analyse spectrophotometrique de la coloration provenant de

l’hydrolyse d’un substrat (butyrylthiocholine pour la BChE ou acetylthiocholine pour l’AChE) et de la reaction de la thiocholine avec le reactif d’Ellman, le DTNB (5,50-dithio-

bis-2-nitrobenzoate). Toutefois, les methodes de dosage de l’AChE et de la BChE sont tres nombreuses [14]. Ces diverses techniques de dosage, donnent des resultats exprimes

dans des unites differentes et la conversion d’une unite dans l’autre est difficile compte tenu des cinetiques de reaction differentes [14]. C’est pourquoi, il est souhaitable que la

surveillance biologique d’un sujet donne soit, si possible, toujours realisee par la meme technique et par le meme laboratoire.

Fig. 3. Surveillance des travailleurs exposes aux neurotoxiques de guerre (NOP), d’apres Sidell et al. [10].

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ont ete decrits (A, F, J, K, S, U). Le phenotype normal le plus courantest la forme U (usual), qui est sensible a l’inhibition par ladibucaıne. Les formes atypiques de la BChE, sont beaucoup plusrares ( < 0,1 % des serums). Elles ont une forte resistance al’inhibition par la dibucaıne. Le resultat s’exprime en nombre dedibucaıne defini par le pourcentage d’inhibition de la dibucaıne. Ilpermet d’identifier trois genotypes : la BChE des individusnormaux (UU), inhibee de 80 % environ, celle des homozygotes(AA) de 20 % et celle des heterozygotes de 60 %. Un individuhomozygote AA a une BChE inferieure a 50 % de la normale(generalement entre 10 et 30 %), et un individu heterozygote UA aune BChE a 75 % de la normale [14]. Mais si les methodesbiochimiques differencient les phenotypes UU, UA, et AA, ellesn’autorisent malheureusement pas une discrimination de tous lesphenotypes [4]. Pour de nombreux variants, seule l’analyse del’ADN permet de determiner le genotype precis de la BChE d’unpatient. C’est l’apport de la biologie moleculaire, avec etudegenetique de l’ADN du patient qui permet de depister lesmutations a l’origine des variants genetiques, et par consequentles patients qui presentent un deficit genetique en BChE. Si desformes atypiques de la BChE sont mises en evidence, silencieusescliniquement, l’usage des curares tels que la succinylcholine et lemivacurium sont contre-indiques.

Dans l’armee americaine, Sidell et al. [10] preconisent undosage periodique de l’activite AChE pour les personnels poten-tiellement exposes aux NOP (ceux qui les manipulent sur le terrain

ou les scientifiques en laboratoire). Il est obligatoire en Californiepour la surveillance des travailleurs exposes aux OPP. En pratique,la determination de l’activite AChE de reference individuelle estnecessaire avant toute exposition. Elle est obtenue par la moyennede deux dosages realises a quelques jours d’ecart (2 a 14 jours). Laconduite a tenir est resumee par la Fig. 3. Notons qu’un suivi precisdes expositions aux OP, y compris dans des laboratoires possedantpeu d’equipements, est realisable par determination de l’activiteAChE sur sang total qu’il convient alors de diluer rapidement avantde le congeler [29]. L’appareil ChE check mobile1 (Securetec) [31]vient d’etre evalue avec succes au ministere de la defense etpourrait equiper prochainement certaines unites medicales enmetropole ou sur le terrain.

4. Conclusion

La determination des deux activites cholinesterasiques san-guines est complementaire dans le diagnostic et le suivi despatients intoxiques par un OP. L’activite BChE plasmatique,facilement determinee dans de nombreux laboratoires, permetde confirmer rapidement l’exposition toxique et la presencepermanente de l’OP (ou d’un autre inhibiteur) dans le sang.L’activite AChE erythrocytaire, dont la determination est du ressortde laboratoires specialises, est un meilleur indicateur de l’intox-ication systemique, de sa severite et de l’efficacite d’un traitement

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par oxime. L’AChE est donc plus sensible et meilleur marqueurd’effet pour les OP. L’arrivee sur le marche de systeme portatif etrobuste de determination des deux activites sur des micro-echantillons de sang total est une avancee notable. Pour le suivimedical professionnel des personnels militaires potentiellementexposes dans le cadre operationnel ou les laboratoires derecherche, le dosage des ChE est indispensable a la tracabilitebiologique, et au depistage des effets toxiques d’une exposition auxOP, infra- ou pauci-symptomatique. Ce suivi contribue a la maıtrisedu risque. Quand les circonstances d’apparition des symptomesd’intoxication par NOP sont confuses, ce qui est toujours le cas ensituation de guerre ou en cas d’attentat terroriste, la confirmationbiologique de ce diagnostic est cruciale.

Declaration d’interets

Les auteurs declarent ne pas avoir de conflits d’interets enrelation avec cet article.

Remerciements

Les auteurs remercient le Dr Florian Nachon, du departement detoxicologie et risques chimiques de l’institut de recherchebiomedicale des armees pour ses commentaires.

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