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(~ Masson, Paris. Ann Fr Anesth R6anim, 10: 304-307, 1991 CAS CLINIQUE Intoxication suraigui b rarsenic Acute arsenic poisoning M. GHARIANI *, M.L. ADRIEN *, M. RAUCOULES*, d. BAYLE ***, Y. JACOMET**, D. GRIMAUD * • D6partement d'Anesth6sie-R6animation, H6pital Saint-Roch, ** Service de Pharmacologie Exp6rimentale et Clinique, Facult~ de M6decine,. *** Laboratoire d'Hematologie, H6pital Cimiez, 06000 Nice RESUME: Ii s'agit d'une intoxication volontaire /~ l'arsenic min6ral chez un homme de 23 ans, dont l'6volution, malgr6 la forte dose absorb6e (8 g) s'6tend sur une p6riode de huit jours. Ce cas clinique associe des signes digestifs (naus6es, vomissements et diarrh6e chol6riforme), des signes neurologiques centraux (enc6phalopathie) et p6riph6riques (neuropathie) ainsi qu'une cardiomyopathie toxique responsa- ble de l'6volution fatale. Les principales anomalies biologiques sont une cytolyse h6patique mod6r6e et une acidose m6tabolique. Les dosages tissulaires d'arsenic, la pr6sence d'un anticoagulant circulant de type antiprothrombinase et une activit6 antivitamine K de l'arsenic font l'originalit6 de cette observation. Mots-d6s : INTOXICATION : aigu~, arsenic ; SANG : antivitamine K. Si pendant longtemps l'arsenic a 6t6 le moyen favori d'empoisonnement criminel, de nos jours les intoxications aigu6s sont devenues exceptionnelles. Nous rapportons un cas d'intoxication volontaire l'arsenic min6ral, d'6volution mortelle, chez un jeune homme de 23 ans. L'int6r~t de cette obser- vation repose sur l'importance de la dose ing6r6e (d'un type d'arsenic extr6mement toxique) et sur l'apparition au cours de l'6volution de troubles de la coagulation qui n'ont, h notre connaissance, jamais 6t6 d6crits. OBSERVATION I1 s'agit d'un jeune homme de 23 ans pesant 74 kg, 6tudiant en sciences physiques, sans ant6c6- dents particuliers en dehors d'un 6pisode d6pressif r6cent. I1 est admis ~ l'h6pital, apr~s absorption volontaire avou6e de deux cuiller6es h soupe d'anhydride ars6nieux (AS203) ultrapur, soit la dose de 8 g au moins (dose 16thale : 2 mg. kg -1) [4, 7]. C'est la survenue brutale, trois quarts d'heure apr6s l'ingestion de douleurs abdominales avec vomissements qui conduit ~ l'hospitalisation, d'abord dans un h6pital p6riph6rique oO est prati- qu6 un lavage gastrique abondant et administr6 un ch61ateur urinaire: le BAL ® (2,3dimercapto-1- propanol) h la dose de 3 mg • kg -1 toutes les qua- tre heures en injection i.m., puis dans notre ser- vice de r6animation vingt-quatre heures plus tard. A l'admission, on note un examen clinique normal en dehors du tableau digestif inaugural (douleurs abdominales et vomissements) et d~une hypovol6- mie (Pcv = 1 cmH20 ; fc = 120 b • min: -1 ; Pasy s = 100 mmHg). Sur le plan paraclinique, la radio- graphie de l'abdomen sans pr6paration (ASP) r6v~le la pr6sence de particules d'arsenic radioopa- ques en abondance dans l'estomac et taun moin- dre degr6 dans le gr~le proximal; la fibroscopie gastrique d6couvre une ~esophagite du tiers inf6- rieur de l'0esophage avec des zones d'isch6mie au niveau des muqueuses gastrique et bulbaire ; I'ECG, la classique tachycardie sinusale s'associe une isch6mie sous-6picardique en territoire post6- rieur ; enfin, sur le plan biologique il est not6 une perturbation mod6r6e des fonctions h6patiques : taux de prothrombine (TP) h 47 %, transaminases deux lois la normale et une hypophosphor6mie s6v~re (0,52 mmol- 1-1). Le traitement en service de r6animation associe plusieurs lavages gastriques, une diur~se osmotique et l'administration de BAL ® par voie i.m., ~ la dose de 3 mg • kg -1 six lois par jour, dont l'effica- cit6 est suivie sur les dosages d'ars6nicurie. La persistance de particules d'arsenic malgr6 plusieurs lavages gastriques, lors des diff6rentes radiogra- phies ASP, conduit ~ la 30eh ~ une tentative d'6vacuation chirurgicale apr~s gastrotomie. Celle- ci est inefficace en raison d'une diffusion sous- muqueuse de l'arsenic. L'6volution s'6tend sur huit jours et se r6sume sur le plan clinique h trois grands tableaux : diges- tif, neurologique et cardiovasculaire. En effet, les troubles digestifs initiaux s'aggravent progressive- ment avec une diarrh6e profuse de type chol6ri- forme et des vomissements incoercibles. Les trou- Re~u le 17 septembre 1990, accept6 apr6s r6vision le 19 f6vrier Tires ~ part i D. Grimaud. 1991.

Intoxication suraiguë à l'arsenic

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Page 1: Intoxication suraiguë à l'arsenic

(~ Masson, Paris. Ann Fr Anesth R6anim, 10: 304-307, 1991

CAS CLINIQUE

Intoxication suraigui b rarsenic Acute arsenic poisoning M. GHARIANI *, M.L. ADRIEN *, M. RAUCOULES*, d. BAYLE ***, Y. JACOMET**, D. GRIMAUD *

• D6partement d'Anesth6sie-R6animation, H6pital Saint-Roch, ** Service de Pharmacologie Exp6rimentale et Clinique, Facult~ de M6decine,. *** Laboratoire d'Hematologie, H6pital Cimiez, 06000 Nice

RESUME: Ii s'agit d'une intoxication volontaire /~ l'arsenic min6ral chez un homme de 23 ans, dont l'6volution, malgr6 la forte dose absorb6e (8 g) s'6tend sur une p6riode de huit jours. Ce cas clinique associe des signes digestifs (naus6es, vomissements et diarrh6e chol6riforme), des signes neurologiques centraux (enc6phalopathie) et p6riph6riques (neuropathie) ainsi qu'une cardiomyopathie toxique responsa- ble de l'6volution fatale. Les principales anomalies biologiques sont une cytolyse h6patique mod6r6e et une acidose m6tabolique. Les dosages tissulaires d'arsenic, la pr6sence d'un anticoagulant circulant de type antiprothrombinase et une activit6 antivitamine K de l'arsenic font l'originalit6 de cette observation.

Mots-d6s : I N T O X I C A T I O N : aigu~, arsenic ; S A N G : antivitamine K.

Si pendant longtemps l'arsenic a 6t6 le moyen favori d 'empoisonnement criminel, de nos jours les intoxications aigu6s sont devenues exceptionnelles. Nous rapportons un cas d'intoxication volontaire l'arsenic min6ral, d'6volution mortelle, chez un jeune homme de 23 ans. L'int6r~t de cette obser- vation repose sur l ' importance de la dose ing6r6e (d'un type d'arsenic extr6mement toxique) et sur l 'apparition au cours de l '6volution de troubles de la coagulation qui n 'ont , h notre connaissance, jamais 6t6 d6crits.

OBSERVATION

I1 s'agit d 'un jeune homme de 23 ans pesant 74 kg, 6tudiant en sciences physiques, sans ant6c6- dents particuliers en dehors d 'un 6pisode d6pressif r6cent. I1 est admis ~ l'h6pital, apr~s absorption volontaire avou6e de deux cuiller6es h soupe d'anhydride ars6nieux (AS203) ultrapur, soit la dose de 8 g au moins (dose 16thale : 2 m g . kg -1) [4, 7]. C'est la survenue brutale, trois quarts d 'heure apr6s l'ingestion de douleurs abdominales avec vomissements qui conduit ~ l'hospitalisation, d 'abord dans un h6pital p6riph6rique oO est prati- qu6 un lavage gastrique abondant et administr6 un ch61ateur ur ina i re : le BAL ® (2,3dimercapto-1- propanol) h la dose de 3 mg • kg -1 toutes les qua- tre heures en injection i.m., puis dans notre ser- vice de r6animation vingt-quatre heures plus tard. A l'admission, on note un examen clinique normal en dehors du tableau digestif inaugural (douleurs

abdominales et vomissements) et d~une hypovol6- mie (Pcv = 1 cmH20 ; fc = 120 b • min: -1 ; Pasy s = 100 mmHg). Sur le plan paraclinique, la radio- graphie de l 'abdomen sans pr6paration (ASP) r6v~le la pr6sence de particules d'arsenic radioopa- ques en abondance dans l 'estomac et t aun moin- dre degr6 dans le gr~le p rox imal ; la fibroscopie gastrique d6couvre une ~esophagite du tiers inf6- rieur de l'0esophage avec des zones d'isch6mie au niveau des muqueuses gastrique et bulbaire ; I 'ECG, la classique tachycardie sinusale s'associe une isch6mie sous-6picardique en territoire post6- rieur ; enfin, sur le plan biologique il est not6 une perturbation mod6r6e des fonctions h6patiques : taux de prothrombine (TP) h 47 %, transaminases

deux lois la normale et une hypophosphor6mie s6v~re (0,52 m m o l - 1-1).

Le traitement en service de r6animation associe plusieurs lavages gastriques, une diur~se osmotique et l 'administration de BA L ® par voie i .m., ~ la dose de 3 mg • kg -1 six lois par jour, dont l'effica- cit6 est suivie sur les dosages d'ars6nicurie. La persistance de particules d'arsenic malgr6 plusieurs lavages gastriques, lors des diff6rentes radiogra- phies ASP, conduit ~ la 30eh ~ une tentative d'6vacuation chirurgicale apr~s gastrotomie. Celle- ci est inefficace en raison d 'une diffusion sous- muqueuse de l'arsenic.

L'6volution s'6tend sur huit jours et se r6sume sur le plan clinique h trois grands tableaux : diges- tif, neurologique et cardiovasculaire. En effet, les troubles digestifs initiaux s'aggravent progressive- ment avec une diarrh6e profuse de type chol6ri- forme et des vomissements incoercibles. Les trou-

Re~u le 17 septembre 1990, accept6 apr6s r6vision le 19 f6vrier Tires ~ part i D. Grimaud. 1991.

Page 2: Intoxication suraiguë à l'arsenic

INTOXICATION SURAIGU 15 A L'ARSENIC 305

bles neu ro log iques sont de deux types , assoc ian t une po lyn6vr i t e sensi t ive pu i s mo t r i ce , d o u l o u -

r e u s e , a p p a r u e d~s le deux i6me jou r , d ' 6 v o l u t i o n a s c e n d a n t e , mais a t t e ignan t p r i n c i p a l e m e n t les m e m b r e s inf6r ieurs , e t un s y n d r o m e confus ionne l a p p a r u le qua t r i~me j o u r a l t e rnan t d ' a b o r d avec des 6p isodes de consc ience n o r m a l e p o u r de ve n i r p e r m a n e n t . U n co l lapsus ca rd iovascu la i r e a p p a r a i t le sep t i~me jou r , r6gressant r a p i d e m e n t avec l ' ap - p o r t de mac romol6cu le s . Le hu i t i~me jou r , sur- v ien t un n o u v e a u col lapsus ca rd iovascu la i r e b ru ta l e t r6 f rac ta i re h tou t t r a i t e m e n t ( d o b u t a m i n e : 2 0 Ixg " k g -1 • m i n -1 ; n o r a d r 6 n a l i n e : 1,5 lxg . kg 1 - • min -1, r empl i s sage vascu la i re ) qui condu i t en que lques minu tes h u n arr6t ca rd ioc i r - cu la to i r e i r r6vers ib le . A c e s t ro is g rands t a b l e a u x se sont associ6s une o l igur ie p a r insuff isance r6na le fonc t ionne l l e e t un 6 p a n c h e m e n t p l eu ra l b i la t6ra l .

Sur le p l an pa rac l in ique , on no te au cours de l ' 6vo lu t ion : une ac idose m 6 t a b o l i q u e m o d 6 r 6 e d6s J1 ( t rou an ion ique h 15 m m o l • 1-1), associ6e une h y p o k a l i 6 m i e s6v6re (K = 2,3 m m o l • 1-1) e t une h y p o p h o s p h o r 6 m i e , une cy to lyse m o d 6 r 6 e ( S G O T = 200 U • 1-1, S G P T = 150 U • 1-1) et une d i sc re te cho les tase an ic t6r ique . A u n iveau de la coagu la t i on , les anoma l i e s de l ' h6mos t a se p o r t e n t sur les fac teurs v i t a m i n o - K - d 6 p e n d a n t s avec l ' ap - p a r i t i o n au hu i t i~me j o u r d ' h o s p i t a l i s a t i o n d ' u n an t i coagu lan t c i rculant ( A C C ) de t ype an t ip ro - t h r o m b i n a s e . L e d6fici t en facteUrs v i t a m i n o - K - d 6 p e n d a n t s est d ' 6vo lu t i on b iphas ique avec un p ic p r6coce d~s le p r e m i e r j o u r de l ' i n tox ica t ion (TP = 47 % ; T C A = 52 s p o u r un t 6mo in h 32 s ; f ac t eu r I I = 53 % ; f ac teu r V I I + X = 35 % ) ; les c o m p l e x e s so lubles , les P D F et le f ac t eu r V sont n o r m a u x . A u qua t r i~me jou r , le t aux de p ro - t h r o m b i n e se no rma l i s e (83 % ) p o u r chu te r de n o u v e a u au s ixi6me j o u r et r e t r o u v e r des va leurs i den t iques h cel les de la p h a s e p r6coce . Ce t t e

chute in i t ia le du T P n ' e s t associ6e ni h une insuffi- sance h6pa t ique ni h une d6fa i l lance c i rcu la to i re . Le dosage des fac teurs du c o m p l e x e p r o t h r o m b i n i - que m o n t r e une nouve l l e d iminu t i on des fac teurs v i t a m i n o - K - d 6 p e n d a n t s sans s igne de c oa gu lopa th i e de c o n s o m m a t i o n ni de f ibr inolyse . Pa ra l l~ l emen t , on no te un a l l o n g e m e n t du t e m p s de c6pha l ine activ6 ( T C A = 86 s p o u r un t6moin ~ 32 s) que n ' e xp l i que pas le d6ficit m o d 6 r 6 du TP (50 % ) . Les tests de co r r ec t i on p ra t iqu6s sur le T P et le T C A m e t t e n t en 6v idence une activit6 an t i coagu- lan te au n iveau de la vo ie e n d o g 6 n e exp lor6e p a r le T C A . L e test de t h r o m b o p l a s t i n e d i lu6e ( T T D ) non ca lc ique d 6 m o n t r e la n a t u r e p r o t h r o m b i n a s i - que de I ' A C C .

Pa r a i l leurs , on no t e une cy top6n ie touchan t les t rois l ign6es sanguines , d ' a g g r a v a t i o n p rogres s ive d6s le 4 e jour . D e u x my61ogrammes sont p ra t iqu6s le 6 e e t le 8 e jour . Ils m o n t r e n t une cel lular i t6 de r ichesse m o y e n n e avec des anoma l i e s 6 ry throb las t i - ques de type m6ga lob la s to se , de s anoma l i e s granu-

60 0,3

50 ~ ARSff'NICURIE -7

40 ~ ~ , , ~ ' ~ ~ / l~ 0,2

' ~ ~ ~ S A ~ S ~ I C ~ M ~ E ' ~ ~ i 20 ~ 0,1 E

10

0 i 0,0 Jo " J'i " J'2 ' J'z " J'4 " J'S ~ J'6 " J'7 " J'8 JOURS

OJur~se 0/,94 h) ~ 1,5 1,4 1,5 :3 2,9 2 1,6

Fi.g. 1. - - l~volution des taux d'arsenic dans le sang et les urines. • D-I3 Ars6nicurie (mg . 1 1) I ~ Ars6nic6mie (mg - 1-1) VALEURS NORMALES : Arsenic plasmatique : 0 h 0,0062 mg - 1-1

Arsenic urinaire : 0,0l h 0,06 mg - 1-1

Tableau I. - - Dosages d 'arsenic dans les tissus et les liquides biologiques

D o s a g e s t i s s u l a i r e s

( p o u r 1 0 0 g d e t i s s u )

- - Aorte 500 pg - - Foie 3 h 4 mg - - Myocarde 300 pg - - Rein 1 mg - - Thyroide 660 pg - - Surr6nale 1,7 mg - - Poumon droit 275 pg - - Cervelet 250 pg - - Lobe frontal 250 pg - - Lobe occipital 250 pg - - Lobe pari6tal 180 pg - - Lobe temporal 200 pg - - Moelle 120 pg - - Bulbe 200 pg - - Corps calleux 140 pg - - Pont 300 pg - - Thalamus 300 pg - - Peau 670 pg

- - Muscle - - Graisse - - Langue - - Os - - Pancr6as - - Rate - - Prostate - - Cheveux - - Ongle

D o s a g e s d a n s l e s l i q u i d e s b i o l o g i q u e s

( p a r l i t r e )

- - Sang total - - Liquide pancr6atique - - Liquide pleural - - Liquide v6siculaire - - Liquide duod6nal - - Contenu colique - - Liquide gastrique - - Liquide p6ricardique

630 pg 185 pg 530 pg 1 0 0 pg 500 pg

5 mg 740 pg 900 pg 4,5 mg

1 , 3 mg 50 pg

< 50 pg 7,5 mg 250 mg 1 , 4 mg

l g 50 pg

Page 3: Intoxication suraiguë à l'arsenic

306 D. GRIMAUD ET COLL.

leuses avec la pr6sence de granulations toxiques des my61ocytes ou des polynucl6aires g6ants, bi ou trinuc166s. Les m6gacaryocytes sont hyperseg- ment6s. On note, de plus, l'apparition d'un syn- drome h6mophagocytaire. Sur I'ECG, toujours associ6e h une tachycardie sinusale l'isch6mie sous- 6picardique s'6tend au territoire ant6rolat6ral avec un allongement du segment QT. L'6chocardiogra- phie est normale en dehors d'un 6tat hyperkin6ti- que. Enfin, l'ars6nic6mie plasmatique mod6r6e contraste avec une ars6nicurie 61ev6e (fig. 1). Le dosage de l'arsenic est r6alis6 par spectrophotom6- trie d'absorption atomique par atomisation 61ectro- thermique dans un four en graphite avec correc- tion de fond par lampe ~ deut6rium. L'appareil utilis6 est un spectrom~tre Varian AA30-four GTA96.

La n6cropsie et les 6tudes anatomopathologiques et toxicologiques retrouvent : une 0esophagite con- gestive associ6e h une gastrite n6crotique panpari6- tale ; une st6atose h6patique diffuse mais d'inten- sit6 mod6r6e avec des 16sions Centrolobulaires de nature isch6mique ; des 16sions cutan6es associant une congestion vasculaire ~t des d6collements der- mo6pidermiques ; au niveau du myocarde, de dis- crates 16sions congestives principalement en r6gion sous-6picardique sans 16sions d'infarctus du myo- carde. Enfin, il n'existe pas de 16sions notables au niveau pulmonaire et des diff6rents segments intes- tinaux et du cerveau. Les dosages tissulaires d'arsenic, rassembl6s dans le tableau I retrouvent de l'arsenic au niveau de tous les organes pr6- lev6s.

COMMENTAIRES

Les observations d'intoxications aigu~s massives par l'anhydride ars6nieux ou arsenic blanc sont exceptionnelles. La pr6cocit6 et l'intensit6 des troubles digestifs (diarrh6e chol6riforme, vomisse- ments incoercibles, douleurs abdominales...) sont fonction de la dose ing6r6e et permettent de

• d6crire deux grands tableaux [7, 8]: une forme suraigu6 off les signes digestifs apparaissent d6s la 20 c ou la 30 ~ min suivant l'absorption, d'6volution le plus souvent fatale en moins de 24 ~ 36 h et une forme aigu~ off les signes sont d'apparition retard6e (jusqu'~t la 10 e h) et d'6volution plus lon- gue. I1 est donc surprenant que dans notre obser- vation l'6volution clinique ressemble ~ une forme aigu6, alors que la dose ing6r6e est massive (8 g pour une dose 16thale de 160 mg). Ceci peut s'expliquer par la pr6cocit6 de la mise en route du traitement ch61ateur. La fixation tissulaire pr6coce et ubiquitaire (tableau I) de l'arsenic ainsi que le site d'action biochimique au niveau des mem- branes cellulaires expliquent la richesse et la diver- sit6 du tableau clinique pr6sent6 [2, 6]. Les 16sions membranaires qui sont maximales au niveau du tube digestif, premier organe expos6 au toxique, et la disparition des propri6t6s de membrane expli-

quent le syndrome chol6riforme caract6ristique d6crit sous le terme de ~ chol6ra arsenical ~ [6, 8, 12]. Les signes cutan6s (m61anodermie et k6rato- dermie palmoplantaires) sont habituels dans les formes subaigu~s et chroniques ou lors de la phase tardive des intoxications aigu6s [7]. Dans notre observation, des 16sions anatomopathologiques sont mises en 6vidence, de type congestion vascu- laire et d6collements dermo6pidermiques. Les signes neurologiques, comme c'est le cas dans cette observation, associent une enc6phalopathie ressemblant ~ une carence en thiamine [2, 12] et une neuropathie d'abord sensitive puis motrice, caract6re ascendant. Cette atteinte peut 6voluer, dans certains cas, jusqu'~t la paralysie flasque avec amyotrophie [3, 7, 10]. Pour certains auteurs [5, 11], un traitement par BAL ® institu6 pr6coce- ment, avant la 18 c h, pr6viendrait l'apparition des neuropathies. En fait, dans l'observation pr6sen- t6e, malgr6 un traitement ch61ateur pr6coce (16 e h), la neuropathie est apparue. Ceci est peut- ~tre li6 aux doses massives ing6r6es.

L'insuffisance circulatoire est responsable, comme pour notre patient, de d6c~s pr6coces. Elle est multifactorielle : hypovol6mie vraie, vasopl6- gie, myocardiopathie ars6nicale [6, 7, 10]. Dans cette observation, la cardiotoxicit6 directe de

• l'arsenic semblerait 6tre le facteur d6terminant. Deux 616ments plaident pour cette hypoth~se : les perturbations 61ectrocardiographiques, telles que . les troubles de la repolarisation 6voquant une car- diomyopathie, et les taux d'arsenic dans le myo- carde (tableau I). L'atteinte h6patique se mani- feste cliniquement par une h6patom6galie doulou- reuse avec subict~re. En fait, dans ce cas seules des manifestations biologiques, de type cytolyse mod6r6e, sont not6es avec comme substratum ana- tomique une st6atose h6patique diffuse d6j~ signa- 16e par certains auteurs [2, 6 , 7]. Sur le plan biologique, l'insuffisance r6nale est plut6t fonction- nelle sans 16sions histopathologiques, bien que soient souvent d6crites des 16sions organiques avec n6crose tubulaire, d'6volution le plus souvent r6versible [6, 7]. L'acidose m6tabolique est due une accumulation d'acide lactique [6, 7]. Par ail- leurs, dans les intoxications aigu6s il est classique d'avoir des taux sanguins d'arsenic sup6rieurs 0,6 mg- 1-1 [7, 12]. En fait, ceci n'est vrai qu'~ la phase initiale de l'intoxication. Pass6 ce d61ai, en raison d'une fixation tissulaire importante et rapide, l'arsenic6mie ne refl~te plus l'importance de l'intoxication (fig. 1). C'est l'ars6nicurie, t6moin de la fixation tissulaire globale, qui constitue alors le meiUeur examen pour suivre l'6volution de l'intoxication. Mais ce qui fait avant tout l'origina- lit6 de cette observation, ce sont l'apparition de perturbations h6matologiques et la multiplicit6 des pr61~vements et des dosages tissulaires d'arsenic pratiqu6s.

En ce qui concerne les troubles h6matologiques,

Page 4: Intoxication suraiguë à l'arsenic

INTOXICATION SURAIGUI~ A L'ARSENIC 307

l'aspect des deux my61ogrammes pratiqu6s 6voque une carence vitaminique responsable de la m6galo- blastose et un processus toxique direct sur la lign6e granuleuse avec activation des macrophages m6dullaires. Sur le plan de la coagulation, l'arse- nic agirait comme les antagonistes de la vitamine K (AVK). Cependant, le m6canisme d'action reste sp6culatif. La rapidit6 de la d6pression des fac- teurs vitamino-K-d6pendants (2 h 6 h apr6s l'intoxication) laisserait penser que l'arsenic agirait comme un AVK h action rapide. L'6ventualit6 d'un d6faut d'absorption de la vitamine K 1i6 aux troubles digestifs pr6sents d6s l'ingestion de l'arse- nicest encore plus hypoth6tique. L'apparition d'un ACC de type antiprothrombinase est un ph6no- m6ne encore plus exceptionnel. Cette activit6 qui s'est manifest6e au huiti6me jour par un allonge- ment important du TCA s'accorde bien par son d61ai ~ un processus auto-immun. Le m6canisme d'induction de ces anticorps ~ activit6 antiphospho- lipidique n'est pas encore 6lucid6 ~ ce jour [1, 13, 141.

Les dosages toxicologiques confirment le carac- t tre ubiquitaire de la fixation tissulaire de l'arse- nic. Par ailleurs, sa toxicit6 n'est pas proportion- Helle aux taux tissulaires. La concentration tissu- laire est plut6t corrtlte ~t l'affinit6 de l'arsenic pour les prottines riches en groupements thiols, expliquant ainsi des concentrations 61evtes dans le foie et les phantres. A l'inverse, l'effet-concentra- tion intramyocardique n'explique pas la cardiotoxi- citt, qui semble pluttt 6tre sous la dtpendance de l'effet-temps et de la forme chimique in situ [9]. Ce dernier paramttre associ6 aux progrts de la rtanimation pourrait expliquer l'tvolution prolon- gte de ce patient. La prtsence, une semaine aprts l'ingestion, de concentration importante d'arsenic au niveau du liquide gastrique (1 g • 1-1), la persis- tance d'une localisation prtftrentielle au niveau de cet organe ainsi que l'inefficacit6 du lavage gastri- que, y compris par gastrotomie chirurgicale, peu- vent faire poser rttrospectivement la question de l'utilit6 d'une gastrectomie de << sauvetage >> lots de ces intoxications massives.

CONCLUSION

Cette observation d'intoxication ~ l'anhydride arstnieux, dtriv6 le plus souvent en cause dans les intoxications par l'arsenic mintral, est inttressante par l'importance de la dose ingtrte et sous cer- tains aspects conforme aux donntes de la litttra-

ture. Elle s'en 6carte cependant par son 6volution prolong6e malgr6 une intoxication massive, un tableau clinique incomplet, des troubles h6matolo- giques avec la raise en 6vidence d'anticorps anti- facteurs de coagulation et une action antivitamine K de l'arsenic.

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ABSTRACT: A cas is reported of a 23-year-old man who voluntarily took a massive dose of arsenic (at least 8 g). In spite of the ingested amount and the acute nature of the poisoning, the patient survived 8 days. Gastrointestinal, neurologic and cardiac features were predominant including nausea, vomiting, choleroid diarrhoea, encephalopathy, peripheral neuropathy, and finally a fatal toxic cardiomyopathy. Metabolic acidosis, moderate cytolysis and an anticoagulant effect were also observed. This unique characteristic was partly due to a circulating anticoagulant with prothrombinase activity, as well as direct antivitamin K activity. Postmortem examination revealed : a congestive oesophagitis, a necrosing gastritis involving all the stomach wall ; diffuse hepatic steatosis ; skin lesions with vascular congestion and dermo- epidermal detachment ; discrete subepicardial congestive lesions. Arsenic was found in all tissues.