Ioan CAntacuzino

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I. L'Histoire des Empereurs Androniques.Jean Cantacuzne

HISTOIRE DES EMPEREURS ANDRONIQUES

LIVRE PREMIER (chapitres I X); (chapitres XI XX)Traduction franaise : Mr. COUSINLa traduction est purement littraire et laisse tomber de nombreux passages. (Philippe Remacle)LETTRE DE NILE A CHRISTODULEIl n'est pas permis de demeurer dans le silence, puisque vous voulez savoir ce que nous faisons, bien que nous ne fassions rien qui mrite de vous tre dit. En nous promenant avec nos amis, nous nous entretenons tantt de matires srieuses, et tantt de matires divertissantes. 2 Quelques-uns ayant parle de la guerre des deux Empereurs, des diffrends qui l'ont fait natre, de l'excs de fureur o elle est monte, et des motifs qui ont pu porter de si excellents naturels se dpouiller des sentiments de la nature, ils ont demand lequel des deux l'a commence, et lequel des deux a t le plus dispos la finir, et les uns en ont rejette la faute sur l'aeul, et les autres sur le petit-fils. Etonn de leurs discours je n'ai pu m'empcher de blmer la ngligence de ceux, qui ayant eu connaissance des affaires, n'ont pas voulu prendre la peine de les crire, et qui ont laiss monde dans l'ignorance de la vrit, et dans une incertitude gale celle avec laquelle on dit que les Disciples d'Euclide contenaient sur les questions de Philosophie. Vous tes plus capable que nul autre de nous tirer de l'erreur, en nous reprsentant la vrit de ce qui s'est pass dans cette guerre, et de ce qui est arriv depuis. Car vous avez conserv l'Empire tant que vous en avez eu le gouvernement entre les mains, et depuis que vous y avez renonc vous avez t un modle parfait d'quit et de justice. Vous ne pouvez donc ignorer ce que vous avez fait vous-mme, ni le dissimuler, puisque vous avez toujours fait profession de dire la vrit, ni apprhender ce travail, puis que vous avez toujours vit l'oisivet sur toutes choses. Ce que nous vous demandons n'est pas sans exemple, et soit que vous jetiez les yeux sur les 3 actions des Romains, ou sur celles des trangers vous ne sauriez refuser de les crire. Ceux qui par le pass ont entrepris un pareil travail, ont cru rendre en cela un service utile au public. Bien que les discours de morale qui font faits pour louer la vertu, ou pour blmer le vice, soient beaucoup estimer, plusieurs doutent nanmoins qu'ils puissent servir de rgle, ni tre rduits une pratique exacte ; au lieu que personne ne peut douter sans une extravagance manifeste, que les prceptes que l'Histoire donne ne puissent tre suivis, puisqu'elle en convainc l'esprit, non par la subtilit des raisonnements, mais par l'vidence des exemples. Ne faites donc point de difficult d'entreprendre un travail, par lequel vous pouvez procurer de grands avantages aux autres, en vous acqurant vous-mme beaucoup de gloire.Rponse de Christodule Nile.Quand j'ai lu vtre lettre, mon cher Nile, j'ai admir votre vertu. Car le dsir que vous avez de savoir ce qui est arriv dans la guerre des deux Empereurs, ne procde que de l'amour de la vrit. Or il y est arriv des choses tranges, et si surprenantes, qu'il ne se trouve tien de semblable sous le rgne des Empereurs prcdents, soit que l'on considre la 4 varit des vnements ou la diversit des murs des hommes, dont les uns sont demeurs comme immobiles au milieu des changements, et les autres ont chang avec la. mme inconstance que l'Euripe. On y peut aussi remarquer la profondeur des jugements de Dieu dans la conduite des affaires. La considration de toutes ces choses m'a longtemps dtourn d'crire. Mais parce qu'il n'y a rien de si fort pour persuader que l'amiti, je ne laisserai pas de l'entreprendre, et de prier le Dieu de la vrit de ne la point ter de ma bouche, ni de ma plume. Je n'crirai rien, ni par affection, ni par haine, ce qui fait souvent avancer des faussets. Je ne dirai rien, ni sur le rapport d'autrui, ni sur les bruits de la renomme. Je ne dirai que ce que j'ai vu. Ainsi puisque vous ne cherchez que la vrit, il vous fera trs-ais de la connatre. Mais il est propos de remonter l'origine des Empereurs pour faire voir la suite de leurs descendants.L'Empereur Alexis surnomm l'Ange, ayant donn en mariage sa fille Thodore Lascaris, il lui laissa l'Empire. Thodore Lascaris n'ayant point de fils, maria Irne sa fille Jean Vatace, et en le choisissant pour son gendre il le choisit aussi pour Empereur.Jean Vatace eut un fils nomm Thodore qui lui succda. Thodore eut un fils nomme Jean, en la personne duquel la race des Empereurs tant finie, la Souveraine puissance passa 5 entre les mains de Michel Palologue qui eut six enfants, trois fils, Andronique qui fut Empereur, Constantin et Thodore, et trois filles, Irne, Eudocie, et Anne. Andronique eut d'Anne fille du Roi de Hongrie sa premire femme, Michel qui rgna avec lui, et Constantin Despote. Il eut d'Irne sa seconde femme fille du Marquis de Montferrat en Lombardie trois fils, Jean, Thodore, et Demetrius, et une fille nomme Simone. Michel pousa la fille du Roi d'Armnie, et en eut deux fils, Andronique qui lui succda l'Empire, et Manuel Despote, et deux filles, Anne et Thodore. Plusieurs ayant crit ce qui s'est pass depuis le rgne de Thodore Lascaris jusques celui de Michel le second des Palologues, chacun peut s'instruire de la vrit par la lecture de leurs ouvrages, si ce n'est qu'ayant t sujets aux dfauts que nous venons de marquer, ils n'aient suivi que leurs passions, et ils ne se soient point propos d'autre fin de leur travail que de louer ceux qu'ils aimaient, et de .blmer ceux qu'ils n'aimaient pas. Mais depuis la mort de Michel le second des Palologues, o personne n'a crit ce qui est arriv durant la guerre civile des deux Empereurs : o si quelqu'un a entrepris de l'crire, il n*a pas t assez particulirement inform du secret de leurs affaires. C'est pourquoi vous faites fort sagement, mon cher Nile, de le vouloir apprendre de celui qui en a eu une con- 6 naissance trs-exacte, et je ne diffrerai point de vous donner cette satisfaction, en protestant de prfrer la vrit toutes choses.

Chapitre I. 1. Enfants de Michel fils d'Andronique. 2. Son voyage en Orient. 3. Autre voyage Andrinople et Thessalonique. 4. Sa mort. 5. Deuil d'Andronique. 6. Il se rsout d'lever Constantin son fils sur le trne au prjudice d Andronique son petit-fils. 7. Mauvaises qualits. de Michel fils de Constantin. Soin qu'Andronique son aeul prend de l'instruire.1. Michel qui gouvernait l'Empire conjointement avec Andronique son pre eut deux fils et deux filles. Il donna en mariage l'ane de ses filles nomme Anne Thomas Despote, fils de Nicphore Despote Prince d'Acarnanie, et Thodore Venceslas Roi de Bulgarie. Quant ses deux fils, savoir l'Empereur Andronique, et Manuel Despote, il confia leur ducation Andronique son pre et leur aeul.2. Aprs cela, il partit pour aller secourir ses sujets qui taient mal traits en Orient par les Turcs. 7 3. Son voyage n'ayant pas t long, il fut envoy par l'Empereur son pre Andrinople, o il demeura assez longtemps jusques ce que par les ordres du mme Prince, il alla Thessalonique o il reut deux tristes nouvelles, l'une de la mort de sa fille ane, et l'autre de celle de Thomas Despote son fils.4. Soit que la violence de la douleur et allum dans ses entrailles le feu de la fivre, ou que l'excs de son affliction sufft pour lui ter la vie, il mourut huit jours aprs, un Dimanche douzime du mois d'Octobre, en sa quarante troisime anne, qui tait la six mille huit cent vingt-neuvime depuis la cration du monde.5. Ces accidents si funestes tant arrivs, l'Empereur Andronique ressentit un regret extrme de la perte de l'Empereur Michel son fils, et comme la douleur avoir fait une impression fort profonde sur son me, il en fit paraitre longtemps les marques devant tout le monde.6. Il arriva par l'envie d'un pernicieux dmon qui ne pouvait souffrir la prosprit de l'Empire, ou pour mieux dire, par un ordre de la Justice de Dieu qui voulait punir nos pchs, dont la multitude et l'normit taient monts un excs tout fait insupportable, qu'il put envie l'Empereur Andronique d'ter Andronique son petit-fils de dessus le trne o il l'avait mis, et d'y mettre en sa place Constan- 8 tin Despote son fils. Ce ne fut pas toutefois en faveur de Constantin qu'il forma cette rsolution, ni dessein de le mettre en possession de la souveraine puissance. Ce ne fut que pour l'assurer Michel fils de Constantin, et pour faire en sorte qu'il la recueillit l'avenir comme une succession qui lui serait dfre par l'ordre des lois et de la nature.7. Ce Michel fut surnomm Cathare cause de sa mre qui tait d'une naissance basse et mprisable, et d'une vie infme et criminelle. Pour lui, il n'avait ni mrite, ni esprit, ni tude, et il ne s'tait jamais mis en peine d'acqurir par le travail les sciences auxquelles la nature lui avait donn fort peu de disposition. Bien loin de s'tre instruit de l'art de la guerre, il n'avait jamais appris les exercices du corps qui font si ncessaires pour former un jeune Prince. Mais tout dpourvu qu'il tait de bonnes qualits, la passion de son aeul l'leva sur le trne.8. Il n'eut pas sitt pris cette rsolution, que pour l'excuter il le retira de dessous la conduite de sa mre, et le prit auprs de lui, le faisant assister aux audiences qu'il donnait aux Ambassadeurs, et aux confrences qu'il avait avec les vques, et avec les autres savants, et mme il l'envoyait qurir toutes les fois qu'il manquait de s'y trouver. Il prtendait par l attirer sur lui le respect des peuples, et le rendre capable de commander. Depuis, nanmoins, qu'il se 9 fut rconcili avec le jeune Andronique son petit-fils, il avait accoutum de dire, pour se justifier sur ce point, que cela s'tait fait par hasard. L'minence de sa dignit, et la sincrit qu'il avait fait paratre dans tout le cours de sa vie, aurait fait ajouter foi ces discours, s'ils n'avaient t dmentis par la fuite des affaires, comme nous verrons incontinent.

Chapitre II.1. Changement apport la manire de prter le serment. 2. Gnreuse libert de Cantacuzne. 3. Sage retenue du jeune Andronique. 4. Syrgian lui offre son service. 5. Il donne Syrgian une lettre de crance pour le grand Domestique. 6. Confrence entre le grand Domestique et Syrgian.1. Au lieu que c'tait une coutume tablie parmi les Romains, que quand un Empereur mourait, les gouvernements des Provinces vaquaient par sa mort, et les Gouverneurs s'assemblaient pour prter le serment de fidlit celui, ou ceux qui lui succdaient, et de qui il dpendait de rtablir ceux qu'il leur plaisait : L'Empereur Andronique ordonna aprs la mort de Michel son fils, de prter le serment 10 d'une manire nouvelle; car au lieu que durant la vie de Michel quand quelqu'un devait prter le serment, il nommait les choses saintes sur lesquelles il jurait, et promettait ensuite de reconnatre, et de servir premirement le vieil Andronique pre des Empereurs, et l'Impratrice sa femme, en second lieu, Michel son fils et l'Impratrice, en troisime lieu, le jeune Andronique fils de Michel. Cette formule de jurer avait t introduite sous le rgne de Michel le premier des Palologues. Avant ce temps-l on ne prtait point de serment au fils de l'Empereur, et l'on ne le revtait jamais des marques de l'autorit Souveraine, qu'il n'en ft devenu matre absolu par la mort de son pre. Au lieu donc que durant la vie de Michel on prtait le serment de la manire que je dis, il fut ordonn aprs sa mort, que l'on le prterait au vieil Andronique, et celui qu'il choisirait pour son successeur, sans parler du jeune Andronique.2. Les plus prudents prvirent aisment la division que ce changement apporterait dans la famille Royale, et ils en eurent du dplaisir. Mais bien loin d'en rien tmoigner, ils prtrent le serment tel qu'on le leur demanda, de peur de dplaire celui qui commandait. Il n'y eut que Cantacuzne Paracemomne qui usant propos d'une honnte libert, dclara qu'il ne pouvait sans un crime manifeste exclure le jeune Andronique de son serment, aprs l'a- 11 voir compris dans les autres qu'il avait dj faits. Ceux qui taient prposs pour recevoir les serments voyant que son excuse tait lgitime, lui permirent malgr qu'ils en eussent, de suivre l'ancien usage. L'Empereur n'eut pas sa libert agrable. Il ne voulut pas nanmoins le contraindre de peur de faire du bruit.3. Le jeune Andronique fut outr de douleur, quand il apprit cette nouvelle ordonnance, jugeant bien qu'elle tendait la ruine de sa fortune. Mais il cacha son ressentiment, et il le digra dans le silence, comme dit Homre, sans lcher la moindre parole contraire au respect qu'il devait Andronique son aeul et son Souverain.4. Il y avait un homme d'une trs-illustre naissance, qui du ct de sa mre rapportait son origine aux Empereurs, et dont le pre tait de la plus ancienne noblesse des Comanes, qui sont des peuples qui se rendirent aux Romains sous le rgne de Vatace. Il se nommait Sultigan, du nom barbare de sa nation ; mais il avait t nomm Syrgian son Baptme. Il avait un fils nomm Syrgian comme lui, qui tant all trouver de nuit le jeune Andronique, lui parla de cette sorte. Vous savez ce que l'on a introduit de nouveau, et vous avez trop d'esprit pour ne pas juger par le commencement de cette affaire, quelle issue elle doit avoir. On ne peut pas dire que l'Empereur votre aeul ait agi en cette rencontre par inconsidration, ni 12 par lgret, aprs les preuves qu'il a donnes par le pass de son habilet et de son exprience. Il ne vous dpouillerait pas de la robe Impriale, s'il n'avait dj choisi celui qu'il en veut revtir. Car il me semble que c'est vous en dpouiller, que d'effacer votre nom de la formule des serments, pour y mettre celui d'un autre. Pensez srieusement cette affaire, qui est la plus grande que vous puissiez jamais avoir. Il s'agit ou de vivre dans l'honneur, ou de mourir sans infamie. Je fuis prt d'excuter tout ce que vous me commanderez, et d'employer non seulement mon bien, mais ma vie pour votre gloire.5. L'Empereur lui rpondit. Je vous remercie de l'affection que vous avez pour mon service ; mais comme Jean Cantacuzne grand Domestique est votre ami, et qu'il est aussi le mien, que notre amiti a commenc des notre enfance, qu'elle s'est accrue avec nous, et quelle s'est tellement fortifie par le temps, qu'il semble que mon me anime son corps, et que son me anime le mien, ou que nos deux mes soient comme mles et comme confondues ensemble pour animer nos deux corps, et pour y produire une conformit parfaite de sentiments et d'actions, j'estime que bien que le pril soit extrme, ce serait un crime de rien rsoudre sans lui sur une affaire qui m'est aussi importante que celle-ci. C'est pourquoi puis que vous allez en Thrace pour lui succder au gouvernement de cette Province, je vous donnerai une lettre de crance pour lui. La lettre tait conue en ces termes. Quand vous aurez confr et dlibr sur ce qui me regarde, je suivrai ab- 13 solument votre avis. Je suis trs-persuad qu' moins que Dieu voult vous aveugler pour des raisons qui ne sont connues que de lui, vous avez une prudence trop claire, une exprience trop profonde une affection trop sincre, pour manquer de prendre la rsolution qui me sera la plus honnte et la plus utile. .6. Syrgian s'en alla en Thrace avec cette lettre, il la donna au grand Domestique, lui exposa tout ce qui tait arriv, et confra deux ou trois jours avec lui sur cette affaire ; et parce qu'elle tait trs-difficile, ils apportrent plusieurs raisons de part et d'autre, et la fin le grand Domestique fit le discours qui suit.

Chapitre III. Discours du grand Domestique.Mon cher ami, Je voudrais avoir donn une grande partie de mon bien, et mme de mes annes, pour n tre point oblig de dire mon sentiment sur une affaire dont l'vnement ne peut tre que trs prilleux. Dans les autres dlibrations on peut conclure par le raisonnement, si les choses prennent un tel train elles russiront heureusement, ou si elles prennent un train contraire elles auront un mauvais succs. Mais dans celle-ci il est vident que si le mauvais parti est le plus fort il faudra mourir, et si celui que nous croyons le meilleur a l'avantage, cet avantage aura des suites fcheuses. Si l'Empereur excute ce qu'il 14 mdite contre son petit fils, il ne se pourra, rien ajouter la grandeur de la misre dont nous serons accabls. Un homme dont le mrite n'est gal par aucun autre, dont la prudence efface la rputation des plus fameux Politiques, dont la valeur surpasse les exploits des plus clbres Conqurants, dont la magnanimit est digne du commandement, qui sait parfaitement les rgles de l'amiti, et qui les observe religieusement, sera condamn sans avoir le moyen de se dfendre, et il ne pourra viter la mort : Ou s'il l'vite, ce ne sera que pour mener une vie plus insupportable que la mort mme, puis qu'il se verra mpris et outrag comme le dernier de tous les hommes, aprs s'tre vu respect et honor en qualit de Souverain. Quand il serait assez heureux pour chapper de ce danger, les Romains tomberaient dans des malheurs qui ne peuvent tre bien dcrits que par des Potes tragiques. Car qui ne voit, pour peu qu'il ait de lumire, que la division de la famille Royale produira la division des sujets, et formera des partis contraires, o combattant les uns contre les autres comme dans l'obscurit de la nuit, nous tremperons nos mains, malgr nous, dans le sang de nos amis, et de nos proches, je ne parle point du dgt que nous ferons sur nos terres. Qui pourrait arrter cette source de tant de maux ? J'aimerais mieux mourir que d'abandonner le jeune Empereur dans l'injustice qu'on lui veut faire. Mais d'un autre cot, je trouve que ce serait la dernire de toutes les imprudences que de prendre les armes avant le temps, et de donner sujet aux trangers, de croire que nous aurions engag ce Prince 15 dans une rbellion contre l'Empereur son aeul. Je suis si loign de cette pense, que bien que je le chrisse tendrement, et bien que je sois prt d'exposer ma vie pour ses intrts, je ne voudrais prendre aucune part ces desseins, si je voyais qu'il aspirt la tyrannie, car, alors, il ressemblerait Absalon et si je le secondais, je ressemblerais Achitophel. Puisque nous nous trouvons dans une si fcheuse conjoncture, j'estime que nous nous devons tenir au milieu, c'est-- dire, que nous ne devons, ni nous abandonner l'oisivet, comme si nous n'avions rien craindre, ni aussi nous engager tmrairement ce qui nous parat le plus avantageux. Usons de prudence pour teindre l'embrasement qui nous menace, de peur que le jeune Empereur n'en soit consum, mettons-le dans un lieu de suret. Que si Dieu a la bont de dtourner ses yeux de nos pchs, et de rpandre dans le cur du vieil Empereur des sentiments de bont et de justice pour son petit-fils, nous serons obligs de lui en rendre d'immortelles actions de grces. Que si au contraire le cur de ce Prince s'endurcit, et qu'il s'opinitre dans quelque mauvaise rsolution, alors prenant Dieu tmoin de la violence que nous souffrirons et de la justice de notlre cause, nous pourvoirons notre suret.

Chapitre IV. 1. Cantacuzne et Syrgian rsolvent de conduire le jeune Empereur Andrinople ou Christopole. 2. Syrgian demeure en Thrace. 3. Cantacuzne laisse sa femme CalIipole. 4. Il confre avec le jeune Empereur, et ils communiquent leur secret Apocauque. 5. Le jeune Empereur est d'avis de s'assurer d'un lieu ou il puisse se retirer.1. Le grand Domestique ayant parl de la sorte, Syrgian lui tmoigna qu'il se rendait son sentiment;, mais qu'il fallait un peu de temps pour l'excuter, et pour trouver un lieu o le jeune Empereur pt tre en suret. Apres avoir confr ensemble sur ce sujet, ils convinrent de lui donner le choix, ou de s'enfermer dans Andrinople, qui est une ville fort grande et fort peuple, dans laquelle il trouverait quantit d'amis de son pre, ou s'il avait peur d'y tre assig, de se retirer dans le fort de Christopole, qui outre l'avantage de son assiette, a t fortifi par de bonnes murailles, et spare l'Orient de l'Occident.2. Aprs avoir ainsi termin leur confrence ils se sparrent. Syrgian demeura en Thrace 17 dont il tait Gouverneur, et Cantacuzne s'en retourna Constantinople.3. Il laissa sa femme Callipole, ou il avait accoutum de passer la plus grande partie de l'anne, tant parce que l'assiette en tait avantageuse pour rprimer les incurvions des Barbares, que parce que sa prsence y tait ncessaire pour retenir les matelots dans leur devoir, et pour les empcher de piller les habitants: car comme un ancien a dit, la licence des gens de mer ressembla un feu dvorant. Le prtexte qu'il prit pour laisser sa femme dans cette ville fut, qu'il aurait trop de peine emmener le bagage ; mais c'tait en effet pour avoir occasion d'aller confrer avec Syrgian.4. Quand il fut de retour Constantinople, il fit un rcit exact au jeune Andronique,de la rsolution qu'il avait prise avec Syrgian, et lui prsenta Apocauque pour entrer dans leur secret. C'tait un homme d'une naissance fort obscure, qui tait intress dans les Gabelles, et qui avait une adresse extraordinaire pour la conduite des affaires.5. Le jeune Empereur approuva tout ce qui avait t rsolu, et ajouta que rien ne lui paraissait si utile, ni si ncessaire, que de s'assurer d'un lieu o ils pussent faire une honorable retraite, lots qu'ils se verraient presss. Que s'ils pouvaient par leur fermet faire perdre son aeul l'envie de le ruiner, ils tiendraient cela pour un 18 bonheur singulier, sinon qu'ils feraient voir tout le monde qu'ils n'avaient jamais eu d'autre dessein que de le garantir de l'oppression.

Chapitre V.1. Le vieil Andronique envoie dclarer sa rsolution son petit-fils. 2. Passions du jeune Andronique pour la chasse. 3. Railleries piquantes et outrageuses du vieil Andronique.1. La haine que le vieil Andronique portait son petit-fils augmentant de jour en jour, il lui envoya dire par un Snateur ce qui suit. Vous savez que vous m'avez autrefois demand la permission de quitter les marques de la dignit impriale et de vous rduire une condition prive. Je vous rpondis alors ce que je jugeai propos ; mais ayant depuis examin votre demande, je l'ai trouve fortuite, et je vous la veux bien accorder. Celui qui vous succdera vous portera toujours beaucoup d'honneur y il ne se lvera pas de son trne pour vous saluer quand vous entrerez, parce que ce n'est pas la coutume que les suprieurs saluent les particuliers de la sorte ; mais il vous recevra debout toutes les fois que vous l'irez visiter. Voila ce que j'ai rsolu, ce que j'ai bien voulu vous faire savoir.2. Je rapporterai incontinent la rponse du jeune Andronique, mais je crois devoir remar- 19 quer auparavant le sujet qui porta l'Empereur son aeul lui faire tenir ce discours. Le jeune Andronique n'avait point encore eu la libert de sortir de Constantinople l'ge de vint-et-un an. L'ardeur de son ge et de son humeur le portant entreprendre de grands voyages, elle lui faisait considrer cette demeure comme une prion. Il ne laissait pas de se contraindre pour obir la volont de son aeul. Ce qu'il pouvait faire pour se divertir, c'tait de monter cheval, d'aller la chasse, et de s'adonner aux autres exercices du corps.3. L'Empereur son aeul ne pouvant souffrir qu'il rechercht ces divertissements avec une si forte passion, le piquait par de sanglantes railleries, non seulement quand ils taient seuls, mais aussi en prsence de leurs parents. Ce jeune Prince tait perc de douleur de se voir ainsi publiquement outrag. Mais ce qui le piqua plus sensiblement que le reste fut, que l'Empereur son aeul dit un jour, S'il est propre quoi que ce soit je veux que l'on me lapide durant ma vie, et que I'on me dterre pour me brler aprs ma mort. Dans le temps de ces mpris injurieux et de ces railleries outrageuses, il arriva un accident fort fcheux au jeune Andronique. Comme il venait un jour son ordinaire saluer son aeul, et qu'il entrait dans l'appartement revtu de marbre, son bonnet enrichi de pierreries tomba sur le plancher, dont le vieil Empereur fut si fort mu, 20 que ne pouvant retenir ni sa colre, ni sa voix, s'cria, Voyez-vous comme Dieu confirme par un tmoignage visible le jugement que j'ai prononc, et comme il vous dclare indigne de la dignit Souveraine, en permettant que la marque que vous en portez tombe par terre ? Cette parole fut comme un trait qui pera le cur du jeune Andronique, et qui lui ht presque rendre l'me.Chapitre VI. 1. Le jeune Andronique envoie se plaindre a son aeul de sa trop grande rigueur. 2. Rponse de l'aeul. 3. Il use de douceur durant deux ans.1. Nanmoins quand il fut un peu revenu lui-mme, il trouva propos d'envoyer quelqu'un l'Empereur son aeul, et pour l'apaiser, et pour apprendre pour quel sujet il le traitait avec tant de rigueur. Il choisit pour cet effet Joseph, homme fort renomm pour sa vertu, et pour son savoir, et qui faisait toutefois son possible pour cacher la lampe sous le boisseau. Mais comme Dieu ne peut manquer sa parole, il acquit une si grande rputation, que par les communs suffrages de l'Empereur, du Clerg, et du Snat, il fut jug digne d'tre lev sur le trne de l'Eglise de la nouvelle Ro- 21 me, quelque rsistance que sa modestie ft pour ne pas accepter une charge dont il redoutait le poids et l'clat. Le jeune Andronique emprunta donc la bouche de ce grand homme pour aller faire de sa part ce discours son aeul. L'amour que la nature a grav pour les enfants dans le cur des pres, les porte cacher leurs dfauts. Quand un pre loue son fils, il se rend suspect; de flatterie, et fait croire qu'il est tromp par l'excs de son affection. Quand il le blme, il est accus d'en juger avec trop de svrit. C'est pourquoi lors que vous vous emportez de colre contre moi, lors que vous me chargez d'injures, et ce que j'ai plus de peine, et entendre et rpter, lorsque vous prononcez des imprcations contre vous-mme, pour assurer avec plus de force que je ne fuis capable de rien, et que prenant des accidents les plus fortuits pour des prsages infaillibles, vous protestez que Dieu me dclare indigne de gouverner l'Empire, y a-t-il personne qui puisse voir ni entendre toutes ces choses sans s'imaginer que j'ai des dfauts considrables dont vous avez une pleine connaissance ? Quand vous dcouvrez une faute lgre des trangers, ils jugent que vous cachez des crimes normes. Vous devriez plutt faire mon loge, et donner sujet de croire que vous me louez plus que je ne mrite. Voila ce qui m'afflige au dernier point, et ce qui me rend la vie plus insupportable que la mort. J'avoue que je fais des fautes et je serais fort aise que vous eussiez la bont de m'en reprendre en particulier ; mais je ne puis souffrir que vous me chargiez de confusion devant tout le mon- 22 de. Que je serais heureux si Dieu daignant me regarder de l'il de sa misricorde, vous inspirait des sentiments plus doux envers moi. Que si vous tes rsolu de me traiter toujours de la mme forte, choisissez qui vous voudrez pour le faire empereur en ma place. Voila ce que Joseph dit par l'ordre du jeune Andronique. Il ajouta de son chef des louanges de ce jeune Prince., et une espce de doux reproche au vieil Empereur de sa trop grande svrit. L'Empereur le chargea ensuite de faire cette rponse.2. Au lieu que les autres pres ne conoivent de l'affection pour leurs enfants que le jour de leur naissance, et que cette affection crot en eux mesure que les enfants croissent, j'ai commenc de vous aimer avant que vous eussiez commenc de vivre, et j'ai pour tmoins de ce que je dis, quantit de personnes de vertu et de pit. Il n'y a pas une seule de ces personnes-l que je n'aie souvent conjure de faire Dieu d'ardentes et de continuelles prires, pour obtenir de lui non seulement que votre naissance ft heureuse ; mais aussi que votre ducation fut telle, que vous rpondissiez un jour mes intentions, et a leurs vux. Bien que mes imperfections m'tassent la confiance d'obtenir de Dieu tout l'effet de mes demandes, je n'ai pas laiss de le prier avec larmes. Serait- il donc possible qu'aprs vous avoir chri si tendrement, lors que vous n'tiez que dans le ventre de votre mre, j'eusse de l'aversion pour vous y maintenant que vous tes dans la fleur de votre jeunesse ? Cela ne se peut dire avec aucune apparence de raison. Que si j'ai quelquefois us de paro- 23 les un peu fortes et de rprimandes qui avaient quelque chose de rude, il faut les attribuer non l'aversion, mais l'amour d'un pre qui souhaite avec ardeur que fin fis arrive aune perfection extraordinaire, et surtout, un fils qui tant dj sur le trne, doit servir de modle aux autres, et dont les moindres dfauts paraissent comme des monstres.3. Le jeune Empereur fut fort satisfait de cette rponse, et envoya en faire de trs-humbles remerciements l'Empereur son aeul. Les deux annes suivantes il le regarda de bon il, et lors qu'il fut oblig de lui faire des remontrances, il les fit avec tant de douceur, que le jeune Andronique en fut fort satisfait, et lui en rendit de grandes actions de grces. Mais aprs la mort de l'Empereur Michel son pre, il recommena le maltraiter, et rappelant dans sa mmoire cette parole qu'il lui avait dite autrefois, Ou renoncez l'aversion que vous avez pour moi, ou choisissez qui il vous plaira pour vous succder l'Empire, il lui ft dire, je vous accorde maintenant ce que vous m'avez autrefois demand. Je mettrai un autre empereur en votre place, qui vous donnera aprs lui le premier rang. Je crois devoir ajouter ici la repartie que fit faire le jeune Andronique. En voici les propres termes.

24 Chapitre VII. 1. Rpartie du jeune Andromde. 2. Cantacuzne s'offre lui. 3. Ils rsolvent de se retirer a Chrstiopole. 4.Ambassade des Triballes.1. Ceux qui ont eu l'esprit troubl par la colre, par la tristesse, ou par une autre passion, ne se souviennent plus de ce qu'ils ont fait, ni de ce qu'ils ont dit durant ce trouble. Ils n'ont garde de s'en souvenir aprs un long temps, puis qu'ils ne s'en aperoivent pas l'heure mme qu'ils agissent, ou qu'ils parlent. Au contraire, ceux que l'on oblige par des paroles ou par des actions, en conservent la mmoire l'espace de plusieurs annes. Car comme ils sont d'une constitution douce et tranqu'ille, les bienfaits se gravent sur leur me comme sur le bronze. C'est ce qui fait, Seigneur, que ne me souvenant plus des paroles qui me font chappes dans la chaleur de la colre, je me souviens seulement de celles que vous avez eu la bont de me dire Je vous tenais dans une pareille disposition, et je me persuadais qu'ayant oubli ce que l'indignation avait arrach de votre bouche, vous aviez retenu ce que la justice et l'amour vous avaient fait dire en ma faveur, se vois cependant tout le contraire, et je reconnais qu'ayant enseveli dans l'oubli tous les discours de rconciliation, vous ne rapportez qu'un mot que l'excs de la douleur m'a fait dire malgr moi. Je m'en suis souvenu quand 25 on me l'a apport; mais je me suis souvenu en mme temps, que je ne l'ai jamais dit dessein de renoncer la Couronne, comme si c'tait un bien que l'on pt mpriser. Il faudrait que j'eusse perdu le sens, et que je fusse le plus ingrat de tous les hommes pour refuser le comble de la grandeur, qui m'est offert par la main de Dieu qui est le Roi des Rois, et qui vous a fait mon souverain et mon pre. Je n'ai lch ce mot-l, dans l'motion ou j'tais, que pour toucher vos entrailles paternelles, en quoi je n'ai pas mal russi, puis que j'ai prouv depuis plusieurs effets de votre bont. Si quelqu'un me peut convaincre d'avoir commis un crime qui mrite la mort, je ne demande point de grce. Pour les fautes lgres qui ont besoin de la correction d'un pre, je vous prie de me les pardonner, comme vous priez tous les jours ce grand Monarque de qui nous sommes tous les enfants de vous pardonner les vtres. Vous les punirez nanmoins comme il vous plaira, pourvu que vous ne les punissiez point par ces invectives outrageuses, qui me font plus insupportables que le plus cruel de tous les supplices. Le vieil Empereur ne dit rien contre cette justification de son petit-fils, il se contenta de tmoigner sa colre par ses gestes et par son silence.2. Lors que le grand Domestique fut de retour de Thrace, et qu'il eut appris ce qui tait arriv au jeune Andronique, il admira la grandeur des disgrces auxquelles les hommes sont sujets, et dplora le pouvoir de l'injustice qui dpouille les hommes des sentiments de la natu- 26 re, quand elle s'est une fois empare de leur cur. Il lui dit ensuite, le meilleur des Empereurs, il ne se peut rien ajouter l'extrmit des maux auxquels nous sommes rduits. Le temps pass est un tmoin plus que suffisant de la sincrit de l'affection que je vous porte, puisqu'il l'a toujours vu crotre meure qu'il nous a vu crotre nous mmes. C'est pourquoi il n''est pas besoin d'employer des paroles pour nous en donner mutuellement de nouvelles assurances. Aussi bien je prvois que l'avenir qui demandera des amis d'une fidlit prouve et d'une fermet inbranlable nous en assurera assez. Si je reconnaissais que vous conspirassiez contre l'Empereur votre aeul par un esprit de rvolte, par un dsir de rgner, je ne prendrais point de part une entreprise si injuste et si criminelle. Mais parce que je vois que vous n'avez point donn de sujet cette furieuse perscution qui s'lev contre vous, et qui si Dieu ne la dissipe par des moyens extraordinaires, s'augmentera jusqu'a un excs horrible, je exposerai toute sorte de hasards pour vos intrts, et je vous donnerai mon bien, mes serviteurs, mes amis et moi-mme, pour en disposer comme il vous plaira.3. Le jeune Andronique fit de grands remerciements au grand Domestique, et il ajouta, que le temps qui dtruit tout n'affaiblirait jamais leur amiti, et qu'il l'augmenterait plutt comme un arbre qui se couvre de feuilles et de fruits dans la saison. Ils dlibrrent en fuite sur l'tat de leurs affaires rsolurent avant toutes cho- 27 ses de choisir une place forte et bien munie, o ils pussent se retirer et se dfendre. La ville d'Andrinople, btie autrefois par Adrien dans le pays des Odrysiens, leur parut, pour plusieurs raisons, fort propre cet effet. Nanmoins ayant fait rflexion qu'elle n'tait qu' deux ou trois journes de Constantinople et que le vieil Andonique avait des troupes, ils apprhendrent qu'il ne les suivt, et ils se rsolurent de se retirer plutt Christopole ville de Thrace.4. Pendant qu'ils dlibraient de la sorte, Etienne Crale de Servie et gendre de l'Empereur Andronique lui envoya une ambassade, pour se plaindre de ce qu'au lieu de lui renvoyer deux mille Comanes qu'il lui avait prts, il les retenait par des caresses. Son Ambassadeur qui tait un Moine nomm Callinique, Servien de nation, homme rompu dans les affaires, croyant que son Matre pourrait tirer avantage de la division qui se formait dans la famille Impriale, il dsira s'en entretenir secrtement avec le jeune Empereur.

Chapitre VIII.1. Le jeune Andronique s'assure du secours du Crale. 2. Il engage Synadne et trois Gnois dans son parti. 3. Il dlibre touchant le lieu o il se doit retirer. 4. Il choisit Andrinople. 5. Il est mpris par son aeul. 6. Il mande Syrgian.1. Le jeune Andronique et le grand Domestique, qui de leur ct taient persuads que ce leur serait un avantage considrable d'tre fortifis par l'alliance du Crale, mandrent Callinique, et lui persuadrent sans peine de l'aller proposer son matre, tant parce qu'il tait ami de Syrgian, que parce qu'il croyait l'affaire avantageuse. Le Crale se trouva fort dispos profiter de cette occasion, et promit d'assister le jeune Andronique de tout son pouvoir, la charge nanmoins qu'il se retirerait en Macdoine, parce qu'il croyait qu'en s'y retirant il incommoderait plus notablement le vieil Andronique, qu'en se retirant en une autre Province. Callinique revint en diligence Constantinople, et alla fort joyeux trouver Andronique, qui fut bien aise aussi de le revoir. Il l'affura du secours du Crale son Matre, sous la condition que je viens de dire, et ainsi le Trait 29 fut conclu. Le jeune Andronique voyant que l'Empereur son aeul lui donnait de jour en jour par les actions et par ses paroles de nouvelles marques de son ancienne aversion, se rsolut de demeurer jusqu' la fin de sa vie sous son obeissance, pourvu que sa colre ne s'accrt pas, sinon, de se retirer de Constantinople, et de se sauver avec ceux de son parti.2. En ce mme temps Thodore Synadne Protostrator revint de son gouvernement de Prillape, et de quelques-autres petites places dans le voisinage de la Macdoine, dont if avoir t dpos. Il tait issu d'une race fort illustre. Il rapportait du ct de sa mre son origine aux Empereurs, parce qu'elle tait fille du frre de Michel, le premier des Palologues qui monta sur le trne. Son pre tait Seigneur d'un petit pays de Dalmatie nomm Pologue, qu'il donna Michel, de qui il reut en change de grandes dignits, et sa cousine en mariage. Le retour de ce Synadne donna au jeune Andronique une nouvelle confiance ; car comme il tait de ses amis, et qu'il avait contract une troite habitude avec le grand Domestique, durant qu'ils avaient demeur ensemble Andrinople sous le rgne de Michel, ils crurent devoir faire fond sur sa prudence, sur son exprience, et sur son courage, et ils lui communiqurent ce que l'Empereur avait fait dire son petit-fils, ce que celui-ci avait rpondu, et 30 ce qu'ils avaient depuis rsolu. Synadne approuva leur rsolution, leur promit de prendre part leurs desseins, et de courir avec eux les mmes hasards. Ils jugrent propos de dcouvrir leur rsolution trois Gnois qui pouvaient leur rendre un service trs-considrable en favorisant la retraite que l'on mditait de faire, parce qu'ils offraient d'quiper trois galres leurs dpens, et sept aux dpens du jeune Empereur. Le premier se nommait Raphon Oria, le second Frdric Spinola, et le troisime Raphon Temar.3. Le jeune Empereur tint conseil ensuite, pour rsoudre o ils se retireraient. D'un ct il y avait du secours attendre du Crale, de Servie Christopole, et de l'autre le Protostrator souhaitait que l'on choist Andrinople, o il y avait quantit d'habitants et une forte garnison. Ils se sparrent nanmoins sans rien rsoudre.4. Le jeune Andronique confra une autre fois sur le mme sujet avec le grand Domestique seul, et ils considrrent qu'au lieu qu'il tait ais Syrgian et au grand Domestique qui y avaient leurs femmes en Thrace, de les emmener o il leur plairait, il tait difficile au Protostrator de tirer la sienne et ses filles d'Andrinople, o elles avaient une demeure arrte ; qu'il y aurait de la duret lui imposer cette condition, et de l'imprudence et de l'injustice se 31 sparer de lui au cas qu'il refust de s'y soumettre ; de l'imprudence, parce qu'ils se priveraient d'un si excellent homme pour un sujet fort lger, et de l'injustice, parce qu'ils l'avaient attir eux-mmes leur parti. Ayant ainsi conclu leur dlibration, ils firent savoir leur rsolution au Protostrator, qui ils donnrent par cette nouvelle une ardeur extraordinaire, de travailler l'excution de ce qu'ils avaient arrt. Voila quel tait l'tat de leurs affaires.5. Cependant le vieil Andronique possd de plus en plus par la haine, et par la colre qu'il avait conue contre son petit-fils, ne lui dit pas une parole durant quatre mois qu'il alla tous les jours la Cour, si ce n'est qu'y allant la fin plus souvent, et y demeurant plus tard que de coutume, il lui dit, tenez-vous dformais chez vous, il ne lui commanda plus de s'asseoir. Et nanmoins lors qu'il le commandait aux Snateurs, et aux autres personnes de qualit, il tait oblig de prendre un sige, parce qu'ils le regardaient tous, et qu'ils lui faisaient entendre par des signes et par leurs gestes, qu'ils ne pouvaient tre assis pendant qu'il serait debout. Cela le piquait sensiblement, et il disait ceux en qui il avait plus de confiance, L'Empereur mon matre, ( car c'est ainsi qu'il appelait toujours son aeul) vous commande de vous asseoir, et ne me le commande pas; c'est pourquoi vous devez tre assis, et je dois tre debout. C'est ainsi qu'il se consolait 32 avec ceux qui il avait la libert de dcouvrir ses sentiments, et surtout avec le grand Domestique, qui l'exhortait exercer la patience au besoin, selon la parole du sage.6. Le jeune Empereur et ceux de son parti envoyrent un homme exprs Syrgian, pour lui mander de venir promptement Constantinople, o les affaires allaient mieux d'un ct, et plus mal de l'autre. Il revint en diligence, et il apprit que ce que l'on lui avait mand que les affaires allaient mieux, regardait Synadne, qui s'tait uni eux, et que ce que l'on lui avait mand qu'elles allaient plus mal, regardait le vieil Empereur, dont l'aversion pour son petit-fils augmentait de jour en jour. Ils lui racontrent tout ce qui tait arriv en son absence, et dlibrrent sur ce qu'ils avaient faire.

CHAPITRE IX. 1. Avis de Synadne. 2. Avis de Syrgian. 3. Avis de Cantacuzne. 4. Rplique de Syrgian. 5. Rplique de Cantacuzne.1. Synadne par la le premier en ces termes. Je vois que l'affaire que nous entreprenons est environne d'une infinit de prils. Si l'Empereur nous poursuit incontinent aprs que nous serons partis de Constantinople, quel moyen aurons-nous de nous chapper ? Il est du devoir d'un homme sage de ne se pas 33 prcipiter prcipiter dans le danger. J'estime qu'il est plus sr de nous, saisir de l'Empereur, que de quitter Constantinople. Quand nous l'aurons arrt, nous serons matres de tout, et nous ne trouverons plus de rsistance. Synadne ayant parl de la forte, Syrgian lui rpondit.2. Quiconque fera une srieuse rflexion sur votre avis, trouvera qu'il est sujet de grands inconvnient. Premirement, il n'est pas ais d'enlever un Empereur qui est environn de Gardes et d'Officiers qui le chrirent. En second lieu, quand cette entreprise qui d'elle-mme est trs-prilleuse russirait, nous tomberions en de grandes difficults, cause des soupons et des dfiances que nous aurions de la fidlit des Gardes que nous aurions choisies. Il vaut mieux le priver du peu de temps qui lui reste vivre, et nous mettre en possession de l'empire que personne n'aura plus envie de nous disputer en sa faveur lors qu'il sera mort. Syrgian. proposa cet avis la sollicitation d'Apocauque, qui, pour des causes trs-injustes, tait mal affectionn envers le vieil Empereur; mais qui n'avoir os le proposer lui-mme, parce qu'il n'avait pas encore assez de familiarit avec le jeune Andronique.3. Le grand Domestique dit son sentiment en ces termes. Le premier avis me semble cruel, et le second me semble aller au del de toute sorte de cruaut. C'est pourquoi j'estime que nous nous devons loigner de l'un et de l'autre, et demeurant dans les termes de nos premires rsolutions, chercher non faire du 34 mal l'Empereur, mais empcher qu'il ne nous en fasse. Nous ne nous sommes unis ensemble qu' dessein de conserver la vie et l'honneur au jeune Andronique, et non dessein de les ter son aeul. Pendant qu'ils opinaient de la sorte l'un contre l'autre, le jeune Empereur tait assis, les coutant en grand silence.4. Syrgian prenant la parole pour rfuter le grand Domestique, dit : Comme les connaissances des hommes sont imparfaites, personne ne se doit opinitrer dans son premier sentiment, si l'on en propose un meilleur, autrement la socit civile serait pleine de dsordre. Si un Marchand, un Laboureur, et un Pilote demeuraient obstinment attach l'opinion qu'ils ont une fois embrasse, sans vouloir changer pour suivre l'utilit qui se prvente le Pilote serait abm sous les eaux avec son vaisseau, le Marchand reviendrait chez lui sans profit aprs un long voyage, et le Laboureur ne recueillerait point d'autres fruits de son travail que d'tre immol la rise publique. Mais pour me servir d'un exemple tir de notre profession, un Capitaine qui affecterait de ne se dpartir jamais du dessein qu'il a une fois entrepris, bien loin d'lever des trophes, serait honteusement dfait: Car si, sans avoir vu les ennemis, il prend la rsolution de leur donner bataille, et qu'tant depuis venu en prsence, il reconnaisse qu'ils le surpassent en nombre, ne jugerait-on pas qu'il aurait perdu le sens, si pour ne point changer de rsolution il les combattait avec des forces ingales ? On en jugerait,sans doute, de la sorte. C'est 35 pourquoi je ne puis assez m'tonner de ce que vous, qui avez t levs dans l'exercice des armes, soutenez qu'il faut demeurer ferme dans la premire rsolution qui a t prise, comme si vous ne saviez pas qu'il ne faut qu'un moment pour changer la face des choses. Voici comment le grand Domestique rpliqua.5. Je suis persuad qu'il n'y a personne, qui pour peu qu'il ait d'esprit, veuille demeurer dans son premier avis, lors que l'on lui en fait voir un meilleur. Je pense mme que vous n'auriez pu me traiter aussi injurieusement que vous avez fait, ni parler avec tant d'artifice, si nous tions de diffrents sentiments. Je suis si loign de celui que vous m'attribuez, qu'il m'est arriv souvent qu'aprs avoir propos dans des affaires particulires, ou publiques, des avis qui me semblaient les meilleurs, je me suis depuis rendu d'autres, bien qu'ils ne fussent propos que par des personnes d'une intelligence trs-mdiocre. Quant a l'affaire touchant laquelle nous dlibrons, j'estime que mon sentiment doit tre prfr au vtre pour plusieurs raisons. Premirement porter les mains parricides sur la personne sacre d'un Souverain, est un crime que les hommes ne laissent gure impuni et que Dieu ne manque jamais de chtier avec toute la svrit de sa justice. De plus, en formant notre entreprise, nous n'avons point propos de nous dfaire de l'Empereur, pour lever son petit-fils sur le trne. Nous n'avons jamais eu d'autre intention que de dlivrer celui-ci de l'oppression. Ne serait-il pas ridicule d'ter la vie un Empereur y pour conserver le droit qu'un autre a la Cour- 36 ronne, et de commettre des cruauts plus horribles que celles dont nous nous voulons garantir ? Mettre Andromde en prison ne serait pas un traitement moins fcheux que de le tuer. Ces changements de fortune sont plus insupportables que la mort, des Princes qui sont accoutums tre environns par leurs Gardes, et honors par leurs Sujets. Plusieurs ayant t pris dans des batailles, ont mieux aim mourir, que de vivre dans la servitude. De plus, la vue du fleuve infernal n'est pas si funeste ni si excrable que celle des Gardes qui les observent sans cesse, et qui leur font mille outrages. Enfin, il n'y aurait pas trop de suret aie garder en prison ; car s'il trouvait moyen de s'chapper, l'affection des peuples, que la perscution que nous souffrons a mise de notre cot, passerait du sien, et combattrait contre nous en sa faveur, avec les Romains, et avec les trangers. Puisque nous ne le pouvons assassiner sans passer pour des sclrats, et pour des parricides, et sans laisser la tache de notre crime nos descendants, ni l'arrter sans nous couvrir d'infamie, et nous jeter dans le danger; il est plus juste, et en mme temps plus utile, d'excuter la premire rsolution que nous avons prise, de dfendre son petit-fils contre ceux qui le voudront attaquer. Vous me direz, que si le vieil Empereur prend les armes, nous serons obligs de nous dfendre, et peut-tre de le tuer. Il faudra sans doute nous dfendre ; mais autre chose est de se dfendre, et autre chose d'attaquer. Dans l'un, il n'y a que de l'infamie et de l'injustice, dans l'autre, il n'y a que de la justice et de la gloire. S'il arrivait que 37 l'Empereur ft tu dans une bataille ; sa mort lui serait impute, et non pas nous, puisque nous ne l'aurions tu qu'en nous dfendant. Nous avons avanc plusieurs raisons de part et d'autre pour appuyer nos avis. Il dpendra de l'Empereur qui les a entendues de choisir, ou de rejettera celles qu'il trouvera propos, comme les pcheurs qui ayant un filet plein de poissons en prennent quelques, uns et laissent les autres. L'assemble s'en tant rapporte son jugement il parla de cette sorte.

Chapitre X. 1. Discours du jeune Andronique. 2. Rponse de Synadne. 3. Ils proposent de partir de Constantinople. 4. Ils mettent en dlibration si le jeune Empereur emmnera sa femme avec lui.1. Les grandes affaires ne doivent tre traites que dans les grandes assembles. C'est pour cela que les anciens Grecs et Romains ont voulu que le Snat ft compos de plusieurs Snateurs, parce qu'ils taient persuads que tant de sages ttes jointes ensemble, ne pourraient jamais manquer de choisir en toutes fortes d'occasions le parti le plus honnte et le plus utile. C'est pour la mme raison qu'un des Ecrivains Sacrs a dit, que le salut dpend de la multitude des Conseillers, et que celui qui manque de conseil est ennemi de soi-mme. Comme vous tes ici un grand nombre et 38 que vous avez tous une rare suffisance, Il me sera ais de profiter de vos lumires pour former mon avis. Les mmes choses ne paraissent pas agrables ou dsagrables, dsirables ou rejetables tous les hommes, chacun en juge selon la disposition o il se trouve, ce fera aussi la disposition o je suis qui servira de rgle l'avis que je vais prendre. Je suis si loign de vouloir rien faire contre l'honneur, ou contre la personne de mon Seigneur, que s'il me poursuivait l'pe la main, je mettrais l'esprance de mon salut dans la fuite. Que si en fuyant je rencontrais quelque obstacle qui m'arrtt, bien loin de me retourner pour me dfendre, je me couvrirais le virage, de peur que si je le regardais, la violence de la colre, ou de la douleur ne me contraignt de lui arracher l'pe d'entre les mains, parce que je fuis persuad que c'est une impit un fils de mettre la main sur son pre, en quelque manire, et pour quelque occasion que ce soit. Je prends tmoin l'il perant de la justice Divine, qui est ouvert sur toutes les cratures, que j'ai un profond respect pour mon aeul, et je vous prie de ne me rien dire qui le puisse diminuer, car ce serait inutilement. Si vous persistez dans votre premire rsolution, et si vous tes prts d'viter par une sage retraite le pril qui nous menace, je m'offre de me joindre vous, et de partager votre bonne, ou votre mauvaise fortune. Que si au contraire vous le rejetez, comme procdant de faiblesse ou de lchet, et si mprisant mes raisons,vous vous attachez au second avis, je vous dclare franchement que je n'y prendrai point de part, et que je vous laisserai 39 agir comme il vous plaira. Je rends Dieu d'immortelles actions de grces, de ce que l'affection que vous avez eue pour moi ne vous a point fait de tort, et de ce que nos dlibrations ne sont venues la connaissance de personne. Pour moi je me conduirai comme je pourrai, et comme il plaira Dieu, dans le pril qui m'environne. Je sais bien que si je meurs dans le combat, vous rpandrez des larmes sur mon tombeau, et vous conserverez la mmoire de notre amiti. Que si j'chappe de ce danger, il dpendra de vous de vous rejoindre moi, et la sparation que nous allons faire n'empchera, point cette runion si vous ne voulez. Vous me trouverez toujours le mme, et vous aurez toujours en ma personne un ami confiant et fidle. Ne croyez pas nanmoins que notre sparation me soit indiffrente, ni que je vous puisse quitter comme des personnes pour qui je n'aie qu'une affection, et une estime mdiocre. Depuis que je parle, j'ai le cur dchir par la douleur que me donne la diversit de nos avis. Je suis assur que j'en ressentirai de plus violentes l'avenir ; mais je tcherai de les supporter avec confiance, puis que nous ne trouvons point de voie d'accommodement. Car si vous tiez dispos excuter votre premire rsolution, sans entreprendre sur la vie de mon aeul, je serais de votre parti; mais si vous tes dans une autre pense, je ne puis faire autre chose que vous remercier de votre amiti, et pourvoir ma suret le mieux qu'il me fera possible.2. Apres que le jeune Empereur eut parl de la sorte, ils s'entreregardrent, admirant l'excs 40 de la gnrosit qui ne lui permettait pas de s'loigner le moins du monde du respect qu'il portait son aeul, dans le temps qu'il en recevait les plus rigoureux traitements. Ensuite Synadne lui parla de cette sorte. Nous vous avons propos sincrement ce que nous avons cru tre plus avantageux pour vos intrts, et pour les ntres. Ce n'tait pas pour faire du mal votre aeul que nous avions pris contre lui l'avis que vous dsapprouvez, mais seulement pour l'empcher de vous en faire, au cas que l'on en vnt une guerre. Mais puisque nous voyons que vous tes plus en peine de sa conservation que de la votre, nous admirons votre magnanimit, et votre amour pour la justice, et dfrant vos volonts avec une parfaite soumission, nous les suivons comme la vritable rgle, et de l'quit et de l'intrt. Que si d'abord nous avons paru partager, ce n'tait pas par un esprit de division, mais par un soin de ne rien laisser chapper sans l'avoir mrement examin. Maintenant que nous avons termin toutes les difficults, et que nous revenons tous a un mme sentiment, il ne reste plus rien que de cesser de parler, et de commencer agir.3. Syrgian ayant dit que c'tait-l son avis, et ayant ajout,que le respect et la vnration que le jeune Andronique conservait pour l'Empereur son aeul, attireraient sur lui de magnifiques rcompenses de la bont du Souverain des Empereurs, et qu'ils mritaient, ou qu'il extermint les mchants, ou qu'il dissipt leurs desseins, 41 et le jeune Empereur ayant reparti, pour les remercier de l'affection, et du zle qu'ils lui tmoignaient, ils consultrent s'ils devaient se retirer. Comme ils s'apercevaient clairement que le mal croissait de jour en jour, et que la colre du vieil Empereur s'augmentait tel point, qu'il ne faisait plus l'honneur son petit-fils de lui dire la moindre parole, et qu'ils apprhendaient d'tre surpris, ils jugrent qu'ils devaient partir de Constantinople, pendant qu'ils en avaient le temps et la libert.4. Bien que le jeune Andronique avout que leur avis tait fort judicieux et fort sage, il souhaitait nanmoins d'attendre jusqu' ce que le pril ft extrme, dans la crance que son aeul pourrait changer de disposition. Il ajouta qu'il fallait voir s'il tait propos que sa femme les suivt. Elle tait Allemande de nation, fille du Duc de Brunfsvic, de la plus illustre famille, et de la plus ancienne noblesse. Synadne et Syrgian souhaitaient avec passion qu'elle suivt, parce qu'ils avaient les leurs avec eux, et il n'y avait point de machine qu'ils ne remuassent pour cet effet.

Chapitre XI.1. Le grand Domestique refuse l'avis de Synadne et de Syrgian. 2. Le jeune Empereur et ses amis demeurent encore quelque temps Constantinople. 3. Michel Tornice et Metochite parlent en sa faveur.1. Le grand Domestique tait d'un avis contraire, et voici comment il le soutenait. En premier lieu, disait-il, si nous nous retirons secrtement et en diligence, cela sera incommode et prilleux des femmes dlicates, qui ne sont pas accoutumes ces sortes de fatigues. Si l'Empereur envoie nous poursuivre, il faudra, ou abandonner les femmes, et souffrir que l'Impratrice soit emmene captive ; ce qui serait le comble de l'imprudence, de la folie, de la lchet, et du dshonneur ; ou demeurer ferme pour la dfendre, et en venir aux mains avec des forces ingales, ce que des hommes prudents doivent viter. D'ailleurs, n'tant pas assurs de la fidlit de ceux sur les terres de qui nous passerons, nous serons obligs de faire grande diligence, de peur qu'ils ne nous bouchent les passages, et qu' leur exemple les habitants des villes ne nous enferment les portes. De plus, la grossesse de l'Impratrice ne lui permettra pas 43 de nous suivre. C'est pourquoi j'estime qu'il la faut laisser en repos, et courir seuls le hasard. Si Dieu favorise notre entreprise, l'Empereur la mandera s'il le juge propos ; et si au contraire il nous arrive quelque disgrce, elle sera en suret.2. L'Empereur et tous les autres ayant approuv cet avis, ils parlrent des circonstances de leur retraite. Et comme ils savaient que les principaux de la Cour et du Conseil taient fchs de la division de la famille Impriale, et qu'ils s'entretenaient souvent des mauvais effets qu'elle pouvait produire,et que mme les plus considrables d'entr'eux suppliaient quelquefois le vieil Empereur de ne point faire de changement, et de laisser jouir son petit-fils du rang et des honneurs qui lui taient acquis, ils crurent devoir attendre quel serait le succs de ces offices, et ainsi ils renvoyrent Syrgian en son gouvernement de Thrace, et les autres demeurrent Constantinople.3. Pendant que les choses taient en cet tat, Michel Tornice Conntable, qui avait l'honneur d'tre, du ct de sa mre, parent du vieil Empereur, et qui tant par la raison de sa parent, que par celle de sa vertu, tait bien avant dans ses bonnes grces, prit la libert de lui parler en particulier en faveur du jeune Empereur son petit-fils, et de lui reprsenter de quels malheurs l'Empire serait accabl, s'il excutait ce 44 qu'il avait dans l'esprit, soit qu'il y russt, ou qu'il ne pt en venir bout. Metochite grand Logothte s'entremit de la mme affaire. Il gouvernait toute la Cour, il tait fort adroit dans sa conduite, et fort habile dans les sciences sacres et profanes. Ayant appris de Bryenne les premiers lments de l'Astronomie, il en acquit depuis, par l'assiduit du travail, une si exacte connaissance, qu'il l'engeigna plusieurs autres. L'Empereur en ayant tmoign un jour de l'tonnement Gregoras un de ses Disciples, et lui ayant demand comment Metochite tait parvenu la perfection de l'Astronomie, n'en ayant eu dans le commencement qu'une lgre teinture, il lui rpondit, qu'il n'y avait pas grand sujet de s'en tonner, puisqu'avec une lampe on peut allumer un bcher. L'Empereur admira la justesse de la comparaison de cette ingnieuse rponse. Metochite ayant donc grande familiarit avec le vieil Empereur, cause de sa suffisance, il s'avana aussi de lui parler en faveur de son petit-fils, et de l'exhorter ne lui point arracher la Couronne pour la donner un autre qui n'y avait point de droit, quand ce ne serait que pour viter les dsordres que les changements ne manquent jamais d'apporter. Ces deux grands hommes reprsentrent souvent ces raisons, et d'autres semblables au vieil Empereur ; mais c'tait la mme chose que s'ils eussent fait bouillir des pierres. Il tait inbran- 45 lable dans la rsolution qu'il avait prise, et il commenait dj faire paratre les effets de sa haine. On dit que s'entretenant un jour tout seul il dit, faut-il que la haine soit plus puissante que la nature ? On n'a jamais su au vrai si ce fut au sujet de son petit-fils qu'il avana cette parole ; mais tout le monde l'expliqua de lui, et la prit pour un prsage des malheurs qui devaient arriver.

Chapitre XII.1. Le jeune Andronique est mand par son aeul. 2. Le Protostrator le dissuade de l'aller trouver. 3. Il est mand une seconde fois et y va. 4. Le grand Domestique et le Protostrator assemblent leurs amis et leurs valets. 5. Les Gnois tiennent leurs galres prtes.1. Au commencement du printemps, un Dimanche cinquime jour du mois d'Avril, qui tait le Dimanche de devant celui des Rameaux, l'Empereur Andronique manda son petit-fils qu'il le vnt trouver l'heure-mme. Aprs avoir song avec application sur le sujet pout lequel il pouvait tre mand, sans l'avoir pu deviner ; II pria celui qui lui avait apport l'ordre, de lui dire s'il le savait. il rpondit qu'il 46 ne le pouvoir assurer de rien, qu'il se doutait seulement que l'intention de son aeul tait, de lui dire quelque chose en prsence du Patriarche et du Clerg, qu'il y avait apparence que c'tait pour le juger, et qu'il lui conseillait de prendre du temps pour songer sa dfense, et de ne point venir qu'il ne ft bien prpar. Le jeune Empereur lui dit qu'il le remerciait et qu'il priait Dieu de lui donner la rcompense qu'il mritait, ajoutant qu'il ne souhaitait rien tant que d'tre accus dans une grande assemble, pour avoir le moyen de justifier son innocence, et qu'il dt l'Empereur son aeul qu'il irait incontinent le trouver.2. Le jeune Andronique manda en mme temps ses amis. Le grand Domestique ne put le venir trouver, parce que son oncle Tarcaniote fils de la sur de l'Empereur Michel premier de ce nom tait mort, et qu'il assistait ses funrailles. Le Protostrator y tant venu, le jeune Andronique lui raconta ce que l'Empereur son aeul lui avoir envoy dire, et la rponse qu'il avait faite, ajoutant qu'il serait fort ais d'avoir des Juges, parce qu'il lui serait fort ais de se justifier des crimes dont on l'accusait, et de faire en sorte que son aeul se repentit de la mauvaise volont qu'il avait eue contre lui. Le Protostrator lui rpondit, Permettez-moi de vous dire que vous vous trompez extrmement, et que vous avez oubli ce que le grand Domestique vous dit et ce 47 que nous approuvmes tous, touchant de pareils jugement. Car comme vous disiez un jour que vous souhaiteriez d'tre jug par l'Empereur votre aeul, pour vous purger des accusations dont on vous charge ; ou si vous ne pouviez vous en purger, pour perdre non seulement la Couronne, mais la vie : Le grand Domestique repartit, Qu'il souhaitait que ce jour-l n'arrivt jamais, parce que ce serait le jour auquel nous feriez condamn, n'y ayant point de diffrence entre le jugement et la condamnation, lors que l'accusateur est le juge. De plus, l'Empereur votre aeul n'a garde de vous accorder un jugement o vous ayez la libert de vous dfendre. Etant aussi rompu dans les affaires, aussi fin et aussi rus qu'il est, il n'tablira des Juges que quand tout sera si bien dispos, que votre condamnation sera infaillible ; et il ne les tablira que pour faire croire au public, que l'on aura observ contre vous les formalits ordinaires de la justice, et que vous aurez t convaincu.3. Pendant qu'ils s'entretenaient de la force, il vint un second ordre au jeune Andronique de la part de l'Empereur son aeul, auquel ne pouvant renfler, il partit serr de douleur, de ce que le grand Domestique tait absent, et de ce qu'il n'avait pu confrer avec lui.4. Un peu aprs le grand Domestique alla au Palis, o le jeune Empereur tait dj, et trouva le Protostrator au dehors, qui portait sur son visage les marques de l'inquitude, et du trouble donc son me tait agite. Il semble, lui dit-il, 48 que vous mditez profondment sur quelque affaire fort importante. Je songe en effet, repartit le Protostrator, une affaire qui me donne beaucoup de chagrin. Le jeune Andronique a t mand par son aeul pour rpondre aux accusations que l'on a intentes contre lui. Il a t fort fch de ne vous pouvoir parler avant que de partir ; il ma laiss dans une grande apprhension, qui s'accrot, quand je rappelle dans ma mmoire ce que vous nous avez dit autrefois touchant ces fortes de jugements. Le grand Domestique lui demanda quel ordre ils avaient donn leurs affaires, et quelle prcaution ils avaient prise dans une si fcheuse conjoncture ? Le Protostrator rpondit ; Qu'ils n'avaient donn aucun ordre, parce qu'il y avait eu trop peu de loisir entre l'heure laquelle le jeune Andronique avait t mand, et celle laquelle il avait t oblig de partir. Le grand Domestique lui ayant demand pourquoi les Officiers de la maison du jeune Empereur, ni les siens, n'taient pas autour du Palais, il rpondit : Les miens taient ici, mais ayant eu peur que leur prsence ne donnt du soupon, ou mme quelle ne ft tort au jeune Empereur, je les ai renvoys. Le grand Domestique l'accusant d'imprudence, lui dit, Que jamais ils n'auraient une pareille occasion de tmoigner au jeune Empereur le zle qu'ils avaient pour son service, puisqu'il s'agissait de le dlivrer du plus grand pril o il eut jamais t envelopp. Allez donc, ajouta-t-il, chercher vos Domestiques et vos amis, et j'irai amasser les miens, et 49 ceux du jeune Empereur, et lors que nous serons tous assembls, nous l'enlverons et l'emmnerons dans l'glise de sainte Sophie, o jouissant de l'asile que la saintet du lieu nous donnera, nous enverrons demander une amnistie au vieil Andronique. Il y a apparence que la crainte qu'il aura d'une sdition nous la fera accorder. Quand nous aurons dlivr le jeune Andronique du pril qui l'environne, nous dlibrerons loisir sur ce qu'il restera faire. Alors, ou nous romprons durant la nuit une des portes du ct de la mer, ou nous monterons sur une galre que les Gnois nous donneront, et nous nous retirerons en Thrace, dont Syrgian est Gouverneur. L nous prendrons telle rsolution que nous jugerons propos. Voici une occasion o il faut employer tout ce que nous avons de vigueur et de courage, exposer mme nos vies, pour ne pas laisser opprimer le jeune Empereur, par la dernire de toutes les injustices. Les plus expriments Mdecins appliquent le remde au mal le plus pressant, et les plus excellents Capitaines portent le secours la partie la plus faible de l'Etat. Cet avis ayant paru fort bon au Protostrator, ils agirent l'heure mme pour l'excution. Le Protostrator manda le plus grand nombre qu'il put de ses domestiques, et de ses amis, et le grand Domestique alla chercher les siens, et ceux du jeune Empereur, et dit en la maison de ceux qu'il ne trouva pas, qu'aussitt qu'ils seraient revenus, on les envoyt au Palais, o il se rendit en diligence.5. Comme c'tait une ancienne coutume que 50 les Gnois et les Vnitiens venaient tous les Dimanches au Palais Imprial, pour rendre leurs respects l'Empereur, et pour lui donner des assurances de leur soumission et de leur fidlit son service ; Le grand Domestique en ayant trouv deux qui taient amis du jeune Andronique, il les fit souvenir de la promesse qu'ils lui avaient faite de le secourir, et les supplia d'aller quiper des galres. Ils usrent d'une telle diligence, qu'en vint heures ils en quiprent trois. Quand le grand Domestique vit qu'elles taient prtes, que les amis du jeune Empereur taient arrivs, il en conut une fort bonne esprance, et il se sentit anim d'une merveilleuse ardeur de combattre. Il n'avait dclar qu' Apocauque le sujet pour lequel il les avait assembls. La plupart croyaient que ce ft pour une autre affaire, parce que l'on leur avait donn ordre d'amener des chevaux. Les autres croyaent que ce ft au sujet de Michel Cathare, dont la renomme avait dj fait tant de bruit, qu'ils s'attendaient de voir quelque chose de fort extraordinaire.

51 Chapitre XIII.1. Le jeune Empereur sort du Palais, et apprend ce que ses amis avaient fait pour son service. 2. Il rompt par sa prsence un entretien que son aeul faisait contre lui. 3. Il est mand par son aeul. 4.. Il conjure ses amis de l'assister. 5. Ils lui promettent d'exposer leur vie pour sa dfense.1. Le jeune Andronique fit semblant d'tre pressde quelque ncessit naturelle, pour sortir du Palais Imprial, et ayant trouv le grand Domestique, il luit dit, tout triste et tout abattu, Mon cher ami, o avez-vous t jusqu' cette heure. J'tais, lui rpondit-il, en un lieu o j'eusse bien voulu n'tre pas ; mais o j'tais oblig de demeurer, par un devoir indispensable. Il lui raconta ensuite ce qu'ils avaient rsolu, et ce qu'ils avaient fait, dont le jeune Andronique lui ayant rendu grces, il lui dit, Que certainement on lui donnerait des Juges, que son aeul ne s'en tait encore expliqu personne, que sa prsence empcherait peut-tre l'excution des rsolutions qu'il avait prises contre lui, comme elle l'avait dj empch, lors que l'on devait chanter l'Office du grand Canon. J'infrerai ici cet vnement remarquable, bien qu'il ne soit pas dans son ordre.52 2. Metochite grand Logothte, n'allait qu'une fois le jour au Palais de l'Empereur durant l'hiver, au lieu qu'il y allait deux fois dans les autres saisons, mais en revanche il y demeurait plus longtemps. Y ayant pass tout le jour auquel on rcite le grand Canon,et ne s'en tant retourn qu' la nuit, le vieil Empereur envoya le rappeler contre sa coutume. Ses deux fils, Demetrius et Nicephore, qui n'ignoraient pas ce qui se tramait contre le jeune Andronique, allrent lui en donner avis.il en confra l'heure mme avec ses amis, et ils rsolurent d'anticiper un peu sur le temps auquel ils devaient aller au Palais, cause de la Fte qui approchait, et sans laquelle ils n'eussent pu y aller, sans donner quelque soupon ; et ils se persuadrent que si la confrence que le vieil Empereur avait avec Metochite les regardait, ils la feraient cesser par leur prsence. Ce qui arriva en effet. Car dans le moment que le vieil Empereur disait au Logothte qu'il n'tait pas question de savoir si l'on dlibrerait, mais de quelle manire l'on dlibrerait, ainsi que l'on l'a appris depuis par le rapport des Officiers qui taient prsents : le jeune Andronique entra et rompit l'entretien. On n'a jamais su au vrai si l'Empereur parlait de lui, ou d'un autre. Enfin, le jeune Andronique rappelant cette histoire-l dans sa mmoire, disait ses amis, Que sa prsence pourvoit empcher le jugement, comme elle avait empch en ce temps-l la sui- 53 te de la confrence. Cela n'arriva pas nanmoins de la sorte, parce que le jugement tait rsolu.3. Il demandait au grand Domestique, quel nombre montaient les gens qu'il avait amasss, et il lui rpondait, qu'il n'taient encore que cent, mais qu'ils seraient bientt trois cents, tous vaillants et tous rsolus le bien dfendre. Ils s'entretenaient, dis-je, de ces discours, et ils priaient Dieu de diffrer le jugement, jusqu' ce que tous leurs amis fussent assembls, lorsque l'Eunuque Michel Callicrinite arriva, et fit connatre par ses gmissements, et par ses larmes, qu'il apportait de tristes nouvelles, avant que de le faire connatre par ses paroles et par son discours. Je souhaiterais, dit-il, que la terre s'ouvrt pour m'abmer, plutt que d'tre oblig de vous dire que l'Empereur vtre aeul vous mande pour tre jug. Vos pleurs, rpondit le jeune Andronique, sont des marques certaines de l'affection que vous me portez ; mais l'vnement tant incertain, d'o vient que vous vous affligez de la zorte ? Ne puis-je plus tre absous ? Callicrinite reprenant la parole, lui dit, L'tat funeste ou j'ai vu les choses me contraint de verser des larmes. J'ai vu l'Empereur votre aeul sur son trne son ordinaire ; le Patriarche auprs de lui sur une chaise ; les autres Juges assis des deux cts et vis vis de l'Empereur une sellette fort basse, laquelle, lorsque je la vis, et que je songeai que vous y seriez bientt condamn, je souhaitai qu'au lieu de la voir, j'eusse vu la terre ouverte pour m'engloutir. 54 Que Dieu qui a tir Daniel sain et sauf de la fosse des Lions, qui a tir les trois jeunes hommes sains et entiers de la fournaise de Babylone, qui a fait triompher l'innocence de Suzanne de la calomnie des deux vieillards, vous dlivre de la perscution que vous souffrez, qu'il envoie son Ange devant vous, et qu'il vous donne une prudence, et une sagesse pour dissiper comme des toiles d'araigne les accusations que l'on mdite contre vous. Aprs que l'Eunuque eut achev cette prire le jeune Andronique lui dit, Que la volont de Dieu soit faite, dites l'Empereur mon aeul que je fuis prt de lui obir, et s'tant tourn l'heure mme vers ses amis il leur parla de cette sorte.4. Voici le temps de faire paratre votre fidlit, votre confiance, votre prudence, et votre courage. Plusieurs qui ne vous galaient, ni en nombre, ni en mrite, ont fait, par leur bonne intelligence, des exploits qui ont donn de l'tonnement. Etant donc tels que vous tes, il est juste que vous vous signaliez par des actions dignes de vous, et que vous acquriez une rputation immortelle, ou en conservant une vie glorieuse, ou en mourant d'une mort honorable. Voila l'unique disposition qui soit digne de votre valeur. Je m'en vas pour tre jug. Si Dieu me fait jamais la grce de vous revoir, j'en serai infiniment redevable sa bont ; sinon je vous dis le dernier adieu. Faites ce que la gnrosit de votre vertu, et la noblesse de votre sang vous inspireront.5 Le Protostrator et le grand Domestique 55 ayant tous deux envie de rpondre, le grand Domestique le prvint, et dit : Les hommes ayant au dessus des btes l'avantage de la raison, pour choisir ce qui leur est propre, il n'y a rien qu'ils doivent rechercher avec tant de soin, ni choisir avec tant de circonspection qu'un ami fidle. J'ai recherch votre amiti ds mon enfance, je l'ai cultive par les offices dont j'ai t capable,et j'espre de la conserver pure entire jusqu'au dernier soupir de ma vie. Assurez-vous donc que s'il vous arrive quelque malheur, je mourrai couvert de mon sang pour votre dfense. Allez-vous-en sous la conduite du divin Sauveur, et de sa sainte Mre, avec les prires et les vux de celui qui vous est venu qurir. Nous demeurerons au dehors du lieu o vos Juges sont assembls. si l'on entreprend de vous faire violence, nous exposerons nos vies pour la repousser. Le Protostrator confirma les mmes promesses, et s'tant mutuellement embrasss, et arms du signe de la Croix, ils marchrent d'un pas assur, et avec une fermet invincible, vers le lieu o il devait tre jug.

56 Chapitre XIV.1. Le jeune Andronique se met sur la sellette. 2. Le vieil Empereur l'accuse. 3. Il se dfend. 4. Ils contestent tous deux avec chaleur.1. Les amis du jeune Andronique tant demeurs dehors, il entra au lieu o il devait tre jug., et s'assit sur la sellette. L'Empereur tait sur son trne. Ceux qui avaient t choisis pour assister ce jugement taient assis chacun en leur place. Voici leurs noms et leurs rangs, Gerasime Patriarche, homme rempli des dons de la grce, et lev au comble de la perfection Religieuse, mais nullement vers dans les affaires civiles et politiques. Theolepte l'ornement de l'glise de Philadelphe dont il tait le Pasteur. Il avait fait de si grands progrs dans l'exercice de la profession Monastique, qu'il tait capable d'y former les autres. De plus, il avait beaucoup de prudence dans sa conduite, et assez de connaissance des lettres sculires et profanes. Du Snat il y avait Metochite grand Logothte, dont nous avons parl ci-devant. Nicphore Chumne garde du Canicle, qui par sa prudence et par sa sagesse tait entr si avant dans l'estime, et dans l'amiti du vieil Empereur, que ce Prince avait fait pouser Jean 57 Despote son fils, Irne fille de Chumne. Il avoir autrefois t garde du trsor ; mais la goutte qui lui tait survenue, l'avait empch de continuer l'exercice de cette charge, bien qu'elle ne l'et pas empch de possder toujours les bonnes grces de son Matre. Enfin, Constantin Acropolite grand Logothte y tait aussi. Apres que l'assemble fut demeure quelque temps dans un grave et majestueux silence, le vieil Empereur le rompit pour dire: 2. Monsieur le Patriarche, et vous qui tes ici prsents, cet homme ( en disant cela il montrait son petit-fils) est d'une humeur indocile, et intraitable. Il me dsobt en tout, et il ne dfre en rien mes volonts: C'est pourquoi, jusques-l le jeune Andronique demeura dans le silence ; mais jugeant que ce mot, C'est pourquoi, tait le commencement de la sentence que son aeul allait prononcer contre lui ; il l'interrompit, en le suppliant de lui permettre de dire quelque chose pour sa justification : Ce que le vieil Andronique lui ayant permis, il dit :3. Je prends Dieu tmoin que ma conscience ne me reproche aucun des crimes dont je fuis accus. Je me fuis donn l'honneur de vous en faire assurer par Joseph, je vous en assure encore ; et s'il est besoin de confirmer mes paroles par des serments ; je jure que je ne me suis jamais senti coupable des crimes que l'on m'impose. J'avoue que j'ai fait des fautes lgres, que j'ai t la chasse, que j'ai fait des courses a cheval, et que j'ai 58 pris d'autres semblables divertissements, bien que vous ne me l'eussiez pas permis, ou bien que vous me l'eussiez dfendu. Quelque jugement que vous fissiez de ces actions-l, pour moi je les croyais innocentes. J'tais tellement persuad qu'en les faisant, je ne fais fois point de mal, que j'ai dit ceux qui m'en ont parl, que je souhaitais d'avoir des Juges pour me justifier devant eux, pour dissiper vos soupons, et pour apaiser votre colre. Vous savez que depuis la mort de l'Empereur mon pre, vous avez toujours t anim d'une si violente aversion contre moi, que vous ne m'avez pas fait l'honneur de me dire une parole. Ce qui me paraissant plus insupportable que la mort, il m'est arriv de dire, que je souhaitais d'avoir des Juges, devant qui je pusse me justifier. Mes amis soutenaient que je me trompais, quand je me flattais de cette esprance, et ils disaient, que j'tais fort ignorant dans la science du monde, de ne pas savoir qu'ayant mon accusateur pour juge, je pourrais bien tre condamn, sans avoir t convaincu. Je ne les croyais pas alors; mais je vois maintenant la vrit de ce qu'ils disaient et je reconnais, par une triste exprience, qu'ils en jugeaient mieux que moi. En effet, vous me mettez sur la sellette comme un coupable et vous me condamnez avant que j'aie pu ouvrir la bouche pour me dfendre. J'avoue que j'esprais un traitement plus favorable je dirai mme plus juste. Mais puisque je fuis tomb dans une disgrce si trange, que les entrailles de mon pre se sont endurcies jusqu' ce point contre moi, que de me refuser la libert de repousser les accusations dont on me charge ; 59 je vous supplie de ne pas prononcer votre arrt que les crimes que l'on m'impute n'aient t auparavant prouvs. Si je fuis convaincu je ne refuse pas de mourir; si je suis trouv innocente que je me persuade que vous dsirez, il dpendra de votre puissance paternelle de faire de moi ce qu'il vous plaira.4. Le vieillard plus irrit qu'auparavant, leva la voix plus que de coutume, pour lui dire, qu'il croyait qu'il n'tait pas Chrtien. Alors le jeune Andronique reprenant la parole lui dit : J'ai gard le silence durant que vous m'avez accus de plusieurs crimes, mais je suis si loign de le garder maintenant que vous m'accusez de n'tre pas Chrtien, que je ne craindrai point de dire, que c'est la plus fausse de toutes les accusations. Si vous ne me tenez pas Chrtien, le divin Sauveur qui a eu la bont de rpandre pour moi son sang, et pour qui je serais prt de rpandre le mien, si j'en avais l'occasion, me fait l'honneur de me mettre au nombre de ses enfants. Mais quoi sert tout ce combat de paroles? Si vous voulez me juger, jugez-moi selon les lois. Si vous voulez me condamner sans m'entendre, il n'y a qu' me mener au supplice, faites de moi ce qu'il vous plaira. Je vous suis sensiblement oblig d'avoir dit, et d'avoir fait dans une assemble aussi considrable que celle-ci, ce que vous aviez envie de dire et de faire ; quelque malheur qui m'arrive dformais, je n'en serai pas fort touch, puis que j'aurai d'illustres tmoins de votre injustice.

60 Chapitre XV.1. Le vieil Empereur est averti que les amis de son petit-fils taient autour du Palais, 2. Il envoie lui proposer les conditions sous lesquelles il veut bien lui pardonner. 3. Rponde du jeune Andronique.1. Pendant que ce que je viens de dire se passait dans le lieu de l'assemble, le grand Domestique et le Protostrator ayant ou de dehors que le vieil Empereur levait sa voix, ils crurent que c'tait pour faire quelque chose de fcheux contre le jeune Andronique, et ils accoururent son secours ; mais le bruit ayant cess l'heure mme, ils s'arrtrent et demeurrent en repos. Trois serviteurs du vieil Empereur, savoir Jean de Malte, Andronique Exotroque, et Bardas, s'tant douts qu'ils ne s'etaient levez de leurs places que pour aller recourir le jeune Andronique, s'approchrent pour leur dire, Que pendant que les Empereurs traitaient ensemble d'affaires secrtes, il fallait qu'ils se retiraient. Le grand Domestique et le Protostrator les ayant regards d'un il plein de colre, et leur ayant rpondu d'un ton lev, qu'ils n'entreprirent pas de les fcher, il y en eut deux qui se remirent en leurs places, et le troisime, qui fut 61 Jean de Malte, entra dans l'assemble., et dit au vieil Empereur l'oreille, Prenez garde ce que vous avez faire, je vous avertis qu'il y a la porte des principaux de l'Empire, qui font prts de tout faire et de tout souffrir, pour la dfense du jeune Andronique.2. Le vieil Empereur se leva aussitt de son trne, et laissant son petit-fils au milieu des Juges, il se retira dans un cabinet. Il manda un peu aprs Metochite grand Logothte, lui proposa ce qu'il avait dans l'esprit, et envoya dire son petit-fils ce qui suit. Vous tes coupable de tous les crimes dont je vous ai charg y et de plusieurs autres. Je veux bien, nanmoins, vous les pardonner, pourvu que vous fassiez ce que je dsire. Mon intention est, que vous juriez de demeurer dans la foi du divin Sauveur, de ne point former de conspiration contre moi, que vous me dclariez vos complices, et que vous me promettiez avec serment, de ne vous point enfuir. A cela le jeune Empereur fit une rponse dont voici peu prs les termes.3. Quant ce que vous exigez un serment pour confirmer la puret de ma foi, c'est une proposition qui me parat dure, qui me choque l'esprit, et qui se dtruit d'elle mme. La demande que vous me faites de jurer par les saints vangiles, et sur les Images des Saints, montre clairement que je fais profession de la vritable Religion, et que je suis revtu de Jsus-Christ, car si vous tiez persuad que j'eusse chang de crance, il serait inutile de me faire jurer sur des choses la foi des- 62 quelles j'aurais renonc ; puisque ne les croyant point, je n'apprhenderais point aussi de les violer par un parjure. C'est pourquoi je vous supplie de ne me point inquiter sur ce sujet. Je suis, par la grce de Dieu, Chrtien et Orthodoxe. Pour ce qui est de ce que vous me commandez de jurer que je n'entreprendrai rien contre vous, je prends tmoin le Crateur du Ciel et de la Terre, que jamais je n'en ai eu la pense. Je ne l'aurai jamais l'avenir, et pour vous obir je suis prt d'en faire le serment. Tour les noms de mes amis, vous pouvez savoir mieux que moi qui sont ceux de qui j'ai reu quelque assistance ; n'ayant point d'argent pour gagner l'affection des peuples, ni de crdit auprs de vous pour leur procurer des grces, il n'y a personne qui ne juge aisment que je n'ai pu engager beaucoup de monde dans mes intrts. Que si quelques-uns sans m'avoir aucune obligation m'ont tmoign de l'amiti, ce serait la dernire de toutes les ingratitudes, que de les trahir. Quand ils se font unis avec moi, ils ne m'ont rien conseill que de me soumettre vos volonts et de ne point exciter votre colre. Je ne pouvais trouver de crance dans leurs esprits, quand je les assurais positivement que je n'avais jamais manqu ce devoir, quelque raison que j'apportasse pour les en convaincre, parce qu'ils ne se pouvaient persuader que la nature se pt combattre de la sorte elle-mme, ni qu'un pre ft capable de concevoir contre un fils une si violente aversion, s'il n'en avait des sujets extraordinaires. Jamais les btes les plus cruelles n'ont fait ressentir leurs petits les effets de leur cruaut. Mais, 63 quand il y aurait eu quelqu'un parmi mes amis, qui n'aurait pas t tout fait de ce sentiment, me croyez-vous assez lche, et assez mchant, pour ne reconnatre leur amiti que par la perfidie, et par l'ingratitude ? Je serais prt d'exposer ma vie, non seulement pour eux tous en gnral ; mais pour le moindre d'eux en particulier, plutt que de permettre qu'ils souffrissent le moindre mal. Vous dsirez encore que je vous promette avec serment de ne me point enfuir. Au contraire, je vous jure au nom de Dieu notre empereur, et notre Matre, que si je reconnais que vous tramiez quelque chose contre moi, je m'enfuirai de toute ma force.

Chapitre XVI.1. Nouvelle contestation entre les deux Empereurs. 2. Le jeune baise le pied du vieux, et le vieux baise la tte du jeune. 3. Diffrents jugements touchant cette action. 4. Le grand Domestique a ordre d'aller au Ploponnse. 5. Discours du jeune Empereur touchant cet ordre.1. Tandis que le jeune Andronique faisait cette rponse, le vieil tait debout derrire la porte, o il entendait tout. Il ne dit rien nanmoins, jusqu' ce qu'il parla de s'enfuir. Mais alors il s'cria, Tu veux donc t'enfuir,64 je sais bien le moyen de t'en empcher, je te ferai charger de chanes, et je te rduirai la condition d'un esclave que je ne rachterais pas pour trois oboles. Puis s'tant avanc il dit ceux qui taient prsents, Vous voyez comme il confirme la vrit de ce que j'ai dit, que ce si un insolent, d'un naturel indocile et intraitable, vous le reconnaissez vous-mmes. Le jeune Andronique rpartit : Je ne suis ni indocile ni intraitable, et je ne puis attribuer qu' mes pchs la mauvaise opinion que vous avez de moi. Je prends tmoin Dieu qui voit tout, que ma conscience ne me reproche aucun des crimes qui vous mettent si fort en colre. Mais soit que je sois coupable ou innocent, je vous supplie humblement de me pardonner je dsire mourir vos pieds, lui voulant faire entendre par ce tour de paroles, que s'il s'enfuyait ce ne serait que malgr lui, et pour se drober sa violence.2. En disant cela il se jeta terre, pour baiser le pied de son aeul ; mais le vieillard lui dfendit de le faire., et le prit par l'paule pour l'en empcher. Comme le jeune Andronique insistait toujours, il quitta son paule pour le prendre aux cheveux, mais enfin, voyant qu'il ne se rendait point, et apprhendant de lui arracher les cheveux, il le laissa aller, et il permit qu'il lui baist le pied. Comme il se relevait il lui prit la tte, et lui baisa les yeux.3. Le Patriarche et les Snateurs qui furent prsents cette action, la prirent pour une marque d'une sincre rconciliation entre les deux 65 Empereurs, et levrent leurs voix pour en tmoigner leur joie, et pour en rendre grces au Dieu de la paix. Le jeune Andronique s'en rjouit lui-mme avec ses amis, dans la crance que la colre du vieillard tait apaise. Quand il fut de retour, il leur raconta tout ce qui lui tait arriv, et ils le mandrent Syrgian, pour lui donner part de leur joie, et pour dissiper ses inquitudes. En effet, comme ils n'avaient rien souhait avec tant de passion, que de voir la bonne intelligence rtablie entre les deux Empereurs, ils taient fort aises que leurs vux fussent exaucs, et de se trouver eux-mmes en repos. Mais d'autres personnes faisaient un jugement tout contraire, dont la suite a fait reconnatre la vrit. C'tait une coutume tablie, que quand un parent de l'Empereur, ou un de ses Officiers considrables, lui avait bais le pied, l'Empereur le baisait au visage. Le jeune Andronique ayant donc bais le pied de son aeul, il ne voulut pas manquer de le baiser au visage, et de lui donner cette marque d'honneur qu'il ne refusait pas aux particuliers, de peur de faire juger que sa haine tait trop envenime, et trop implacable.4. Deux jours aprs le vieil Empereur envoya ordre au grand Domestique d'aller en qualit de Gouverneur au Ploponnse. Il prit cet ordre mauvais augure. Mais pour avoir le loisir d'en donner avis au jeune Andronique, il ft rponse, Qu'il avait beaucoup de preuves de l'affe- 66 tion que l'Empereur lui portait, qu'il l'avait lev aux charges ds sa jeunesse, qu'il lui avait donn des villes garder, des armes conduire : Que le Gouvernement du Ploponnse tait une nouvelle faveur dont il lui avait une particulire obligation, qu'il le suppliait d'y ajouter une autre grce, qui tait de lui accorder le reste du jour, pour dlibrer s'il le pourrait accepter, et que le lendemain, il aurait l'honneur de lui en rendre rponse. Il alla sur le champ chez le jeune Andronique, et lui ayant dit en prsence du Protostrator l'ordre qu'il venait de recevoir, ils consultrent ce qu'ils devaient faire, puis qu'il s'agissait d'une affaire qui les touchait tous, et le jeune Andronique parla le premier en ces termes.5. Dieu nous est tmoin, et nous nous sommes tmoins les uns aux autres que nous n'avons rien fait contre notre devoir, soit par dgot de notre condition, et par chagrin, ou par une audace indiscrte, et par un esprit de rvolte. Au contraire, nous avons eu une telle magnanimit, et une telle patience, pour ne pas donner l'Empereur mon aeul l'occasion de nous faire le mal qu'il mditait, que sans un secours extraordinaire du Ciel, nous n'aurions pas vit une mort tragique. J'ai toujours approuv la rsolution de n'opposer que la fermet de notre confiance la violence de sa perscution. Avant que ntre union fut dcouverte, mon aeul qui croyait n'avoir affaire qu' moi, et qui s'imaginait qu'il lui serait ais d'excuter ses desseins toutes les fois qu'il lui plairait, agissait avec quelque sorte de mollesse et de lenteur. Maintenant qu'il sait que j'ai de l'appui, il tiendra 67 une autre conduite. Il vous loignera sous prtexte de vous donner des emplois, et nous privera en nous divisant, du secours que nous pourrions nous rendre si nous demeurions unis, et tirant aprs cela avantage de la faiblesse o la solitude nous aura rduits, il nous chtiera de la manire qu'il lui plaira. Il envoie aujourd'hui le grand Domestique au Ploponnse, il enverra demain le Protostrator en quelqu'autre Province, et lorsqu'il aura loign ces deux grands hommes, les plus illustres de mes amis, il fera une recherche exacte des autres, aprs avoir pris ses mesures, il achvera la catastrophe par moi, lorsqu'tant dpourvu de toute assistance, il lui sera, ais de me perdre. Peut-tre que quelqu'un dira, que s'il avait envie de me priver du secours de mes amis, il les mettrait en prison, au lieu de leur donner des gouvernements, et qu'il n'y a rien qui' puisse empcher un Empereur aussi puissant que lui d'en user de cette forte J'avoue qu'il n'y arien qui l'en puisse empcher ; mais tant au si prudent qu'il l'est, il croit qu'il y aurait du danger s'engager dans une guerre, avant que d'tre inform du nombre et des forces de ceux qui sont dans mes intrts, parce que si leur nombre tait trs grand, et leurs forces trs- considrables il pourrait arriver qu'en s'assurant d'un, ou de deux, il obligerait les autres s'assembler, et former quelque entreprise dont le succs lui serait funeste. Il y a apparence qu'il est persuad que plusieurs personnes fort puissantes ont embrass mon parti. La hardiesse avec laquelle je me dfendis il y a deux jours lorsque je fus enferme dans la Salle du Conseil, et l'avis que Jean de Malte vint donner mon aeul qu'il y avait dehors des 68 premiers de l'Empire, qui taient prts de tout entreprendre pour ma dfense l'tonnrent extrmement, et lui firent changer les rsolutions qu'il avait prises. Il se leva l'heure mme de son trne pour se mettre en suret. Il croit maintenant qu'il y va de ses intrts de nous sparer, et il le veut faire, sous prtexte de vous gratifier de ch