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Jazz à l'âme

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Ouvrage atypique et, par certains aspects, provocateur, "Jazz à l’âme" ne laissera personne indifférent. Son auteur y livre avec un humour décapant et une honnêteté sans faille diverses expériences liées à sa quête spirituelle, autour de mots comme amour, église, argent, magie, solitude..

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Donald Miller

Jazz à l’âmeUne spiritualité libre et authentique

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Titre original en anglais: Blue Like Jazz. Nonreligious Thoughtson Christian Spirituality, publié par Thomas Nelson Inc.Copyright © 2003 by Donald Miller

Traduction: Thomas Constantini© et édition: Ourania, 2007Case postale 128, CH-1032 [email protected]

ISBN édition imprimée 978-2-940335-22-0ISBN format epub 978-2-88913-561-5ISBN format pdf 978-2-88913-969-9

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Table des matières

Note de l’auteur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

01 Commencement.Dieu qui marche vers moi sur un chemin de terre . . . . . . . . . . 9

02 ProblèmeCe que j’ai appris en regardant la télévision . . . . . . . . . . . . . . . . 23

03. MagieLe problème avec Roméo . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

04. TransformationComment on trouve une Penny . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

05. FoiA propos de la vie sexuelle des pingouins . . . . . . . . . . . . . . . . . 67

06. RachatSexy Carotte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75

07. GrâceLe royaume des mendiants . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

08. DieuxNos chers amis invisibles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 105

09. ChangementNouveau commencement pour foi ancienne . . . . . . . . . . . . . . 115

10. CroyanceLa naissance de la cool attitude . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 123

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11. ConfessionLa sortie du placard . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135

12. EgliseComment y aller sans devenir dingue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 153

13. AmourA la rencontre des filles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 165

14. SolitudeDes années dans l’espace . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 179

15. CommunautéVivre avec des cinglés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 203

16. ArgentQuand il faut payer le loyer . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217

17. LouangeL’émerveillement mystique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233

18. AmourVraiment aimer les autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 241

19. AmourVraiment s’aimer soi-même . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 259

20. JésusLes traits de son visage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271

Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 281

Informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 285

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Note de l’auteur

Je n’ai jamais aimé la musique jazz, parce que la musique jazzne résout rien. Cependant, un soir, je me trouvais devant leBagdad Theater à Portland, et j’ai vu un homme jouer dusaxophone. Je suis resté là une bonne quinzaine de minutes,et il n’a pas ouvert une seule fois les yeux.Après ça, j’ai aimé la musique jazz.Parfois, il faut voir quelqu’un aimer quelque chose pour vousmettre à aimer cette chose vous-même. C’est comme si cettepersonne vous montrait la voie.Je n’aimais pas Dieu parce qu’apparemment il ne résolvaitrien. Mais c’était avant que tout cela n’arrive.

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Chapitre 1

Commencement

Dieu qui marche vers moi sur un chemin de terre

J’ai entendu une fois à la télévision un Indien dire que Dieuétait dans l’eau et dans l’air. J’ai trouvé cette idée absolu-ment magnifique, parce qu’elle voudrait dire que nouspourrions nager en Dieu et le laisser caresser notre visage àtravers une douce brise. Mon histoire personnelle ne faitque commencer, mais je crois que je rallierai l’éternité. Auciel, je méditerai sur ces premiers jours, ceux où il semblaitque Dieu était là-bas sur un chemin de terre, marchant versmoi. Il y a des années, il était un point mouvant à l’horizon.A présent, il est assez proche pour que j’entende la chan-son qu’il a sur les lèvres. Bientôt, je pourrai voir les traits deson visage.

Mon père a quitté la maison quand j’étais encore trèsjeune. C’est pourquoi, quand j’ai été confronté au conceptde Dieu comme Père, je me le suis représenté comme unhomme rigide et doucereux qui voulait venir chez nouspour coucher avec ma mère. Dans mon souvenir, cette idéen’était associée qu’à de la peur et de la menace. Nousétions une famille pauvre membre d’une église de riches;j’imaginais donc Dieu comme un homme qui avait beau-coup d’argent et qui conduisait une grosse voiture. A

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l’église, on nous disait que nous étions tous enfants deDieu, mais je savais que la famille de Dieu était mieux quela mienne, que sa fille était pom-pom girl et que son filsétait dans l’équipe de football américain du lycée. Je suisné avec une petite vessie et j’ai mouillé mon lit jusqu’àl’âge de 10 ans. Plus tard, je suis tombé amoureux de laplus jolie fille du lycée qui se montrait gentille avec moiafin de pouvoir m’utiliser, tactique qu’elle avait sans douteapprise de son père, qui dirigeait une banque. Dès le début,le gouffre qui me séparait de Dieu a été aussi profond quela richesse et aussi large que la mode.

J’ai grandi à Houston, dans le Texas. Là-bas, le temps nechangeait que fin octobre, quand un front froid descendaitdu Canada. Les météorologues de Dallas appelaient ceuxde Houston pour que les gens puissent rentrer leurs plan-tes et leurs chiens chez eux. Un grand froid bleu arrivait ensuivant la ligne de la route nationale et se reflétait sur lesvitres des grands immeubles. Il planait vers le golfe duMexique, comme s’il cherchait à prouver que le ciel dominel’eau. Au mois d’octobre, tous les habitants de Houstonmarchent avec une certaine énergie, comme s’ils allaientêtre élus à la présidence ou se marier le lendemain.

Il était plus facile pour moi de croire en Dieu en hiver. Jecrois que c’était à cause du nouveau climat, de la couleurdes feuilles aux arbres et de la fumée des cheminées auxbelles maisons du quartier chic où je me promenais à vélo. Je n’étais pas loin de croire que, si Dieu vivait dans unde ces quartiers, il m’inviterait à entrer prendre un chocolatchaud et me parlerait pendant que ses enfants me jette-raient des regards assassins par-dessus leur épaule tout encontinuant à jouer au Nintendo. Je roulais dans ces quar-tiers jusqu’à ce que mon nez gèle, puis je revenais à la mai-son, où je m’enfermais dans ma chambre. Je mettais un dis-

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que d’Al Green et j’ouvrais grand les fenêtres pour sentir lefroid. Je restais là, étendu sur mon lit, pendant des heures.J’imaginais la vie dans une belle maison, avec les visitesd’amis importants sur leur vélo flambant neuf. Des amisdont les pères étaient bien habillés et bien coiffés, et quipassaient à la télévision locale.

Je n’ai vraiment vécu avec mon père que trois fois dansma vie, chacune de ces visites ayant lieu durant monenfance et chacune se produisant dans la période de froid.Mon père était entraîneur de basket-ball. Je ne sais paspourquoi il s’est séparé de ma mère. Je sais juste qu’il étaitgrand, beau et qu’il sentait la bière. Son cou sentait la bière,ses mains sentaient la bière et son visage couvert d’unebarbe de trois jours sentait la bière. Je ne bois pas beau-coup de bière moi-même, mais la profondeur de cet arômene m’a jamais quitté. Parfois, mon ami Tony le poète beatprend une bière au Horse Brass Pub, et l’odeur m’envoiedans un de ces endroits si plaisants qui n’existent que dansnos souvenirs d’enfance.

Mon père était un homme grand, sans doute plus grandque la moyenne. Il était long et fort comme une rivière encrue. Lors de ma seconde visite chez lui, je l’ai vu lancer unballon de football américain à l’autre bout du gymnase,l’envoyant droit dans la direction du cerceau de basket,dont il est venu frapper le panneau. Aucun de ses actes nem’échappait et je les considérais tous comme sensation-nels. Je le regardais se raser, se brosser les dents, mettre seschaussettes et ses chaussures dans des gestes où le musclel’emportait sur la grâce, et je restais planté devant la portede sa chambre en espérant qu’il ne remarque pas mes yeuxbéats. Je l’admirais particulièrement quand il ouvrait unebière, sa grosse main entourant la petite canette qui laissaitjaillir la mousse dont il buvait bruyamment de ses grosses

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lèvres rouges, sa langue léchant sa moustache. C’était vrai-ment une belle mécanique.

Quand ma sœur et moi rendions visite à notre père, nousfaisions griller de la viande tous les soirs, chose que nousne faisions jamais chez ma mère. Mon père ajoutait depetits biscuits sur la viande, puis du sel et de la sauce, et jepensais que, peut-être, il était quelque chose comme unchef cuisinier, quelqu’un qui aurait pu écrire des livres sur lafaçon de cuire la viande. Après, il nous emmenait dans lesmagasins et il nous achetait un jouet, celui que nous vou-lions. Nous déambulions dans les rayons rutilants decamions et de Barbies, de pistolets et de jeux. En attendantà la caisse, je me cramponnais, silencieux et immobile, à laboîte brillante qui me glissait des mains. Au retour, monpère nous prenait l’un après l’autre sur ses genoux et ilnous laissait conduire. Celui qui ne tenait pas le volantchangeait les vitesses et celui qui conduisait avait le droitde boire à sa canette de bière.

Il n’est pas possible d’admirer quelqu’un plus que j’aiadmiré cet homme. Je connais, par ces trois visites que jelui ai faites, le mélange d’amour et de crainte qui n’existeque dans la façon dont un garçon voit son père.

Des années se passaient entre ses coups de fil. Ma mèrerépondait au téléphone et je savais, à sa façon de se tenirsilencieuse dans la cuisine, que c’était lui qui appelait.Quelques jours après, il arrivait pour une visite, toujoursplus marqué par l’âge: les nouvelles rides, les cheveux gri-sonnants et une peau plus épaisse sous les yeux. Quelquesjours après, nous partions passer un week-end dans sonappartement. Il a complètement disparu à peu près aumoment où je suis entré au collège.

* * *

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Aujourd’hui, je me demande pourquoi Dieu parle de lui-même comme d’un Père. Etant donnée la manière dont cerôle est joué et perçu ici-bas, cela me semble correspondreà une grossière erreur de marketing. Pourquoi Dieu vou-drait-il être appelé Père quand tant de pères abandonnentleurs enfants?

Quand j’étais enfant, l’expression Dieu le Père me plon-geait dans un brouillard d’ambiguïté. Pour être honnête, jecomprenais le rôle d’un père à peu près aussi bien que letravail d’un berger. Tout le vocabulaire concernant Dieu meparaissait venir de l’histoire ancienne, celle qui a précédéles jeux vidéo, les Palm pilots et l’Internet.

Si vous m’aviez posé la question, je vous aurais sansdoute dit que Dieu existait, mais j’aurais été bien incapablede donner une définition précise basée sur mon expériencepersonnelle. C’était peut-être dû à mes cours d’école dudimanche, où l’on nous faisait apprendre beaucoup de com-mandements mais où l’on nous enseignait très peu qui étaitDieu et comment avoir une relation avec lui. Il est aussi pos-sible qu’on l’ait fait, mais que je n’aie pas écouté à cemoment-là! Néanmoins, mon Dieu impersonnel me satisfai-sait bien, dans la mesure où je n’avais pas besoin du vraiproduit. Je n’avais pas besoin d’une divinité descendant duciel pour me moucher le nez. Si Dieu marchait vers moi surun chemin de terre, il devait être caché par une colline et,de toute façon, je n’avais pas commencé à le chercher.

* * *

Je crois que j’ai commencé à pécher quand j’ai eu envi-ron 10 ans. Je crois que j’avais 10 ans; c’était peut-être unpeu avant, mais un garçon commence à pécher à cet âge,et je suis sûr que c’était quelque part par là. Les filles, elles,

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commencent à pécher vers 23 ans à peu près, mais c’estparce que leur nature les pousse à ne pas se presser dansla vie, et elles ont donc moins besoin de se jeter sur leschoses.

J’ai commencé à pécher par petites doses: des petitsmensonges et autres excuses aux professeurs à propos desdevoirs et ce genre de choses. J’ai vite maîtrisé la techni-que, ne regardant jamais le prof dans les yeux, parlant toujours rapidement (depuis le diaphragme), jamais pris enfaute dans mon entreprise de tromperie.

«Où sont tes devoirs?» me demandait le prof.«Je les ai perdus.»«Tu les as perdus hier. Tu les as perdus la semaine der-

nière.»«Je perds toujours tout. Il faut que je m’améliore.»

(Toujours se dévaluer.)«Qu’est-ce qu’on va faire de toi, Donald?»«Merci d’être si patient avec moi.» (Toujours être recon-

naissant.)«Je vais devoir appeler ta mère.»«Elle est sourde. Un accident de canoë. Une attaque de

pirhanas.» (Toujours être dramatique, faire beaucoup degestes avec les mains.)

J’utilisais aussi beaucoup de gros mots. Pas les gros motsà l’usage des gens qui vont à l’église: zut, mince, etc., maisde bons gros vrais jurons comme dans les films interditsaux moins de 13 ans, de ceux que les garçons n’utilisentqu’entre eux. Les jurons sont une pure extase quand vousavez 12 ans; ils vibrent dans la bouche comme une pileposée sur la langue. Roy, mon meilleur ami de l’époque, etmoi rentrions ensemble de l’école et nous nous arrêtionssur le terrain de jeu près de l’église méthodiste pour insul-ter Travis Massie et sa grosse sœur Patty. Travis se moquait

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toujours de Roy parce que son nom était Niswanger. Il m’afallu deux ans pour comprendre pourquoi le nomNiswanger était aussi drôle.

Avant la fin de l’année, nous en étions passés aux mains,et j’avais 13 ans quand j’ai reçu mon premier coup depoing, directement dans la figure. C’est Tim Mitchell, lepetit gars blond qui allait dans mon église, qui me l’adonné. Nous tournions l’un autour de l’autre, et il me disaitqu’il allait me casser les dents, et je lui disais des gros mots,du genre de ceux qui font peur. Finalement, il m’a frappé àla figure, et d’un seul coup j’ai vu un ciel aussi brillant etbleu que la musique jazz, pendant que les autres riaient,que Patty Massie me montrait du doigt et que Roy étaitembarrassé. Il y a eu pas mal de cris après ça, et Tim areculé après que Roy lui a dit qu’il allait lui casser les dents.Pendant tout ce temps, Travis chantait «Nice wanger, nicewanger, nice wanger…1».

Avant que tout cela n’arrive, cependant, j’avais, quandj’étais au jardin d’enfant, été envoyé dans le bureau du prin-cipal pour avoir soulevé la jupe d’une fille pendant l’heurede la sieste. Je l’avais sans doute fait, mais pas pour le motifqu’on m’attribuait. Il est beaucoup plus probable que sajupe se trouvait sur le chemin de quelque chose que je vou-lais vraiment, parce que je me souviens assez précisémentde cet âge, et je peux dire que je n’avais pas le moindreintérêt pour ce qui pouvait bien se trouver sous les jupesdes filles. J’ai eu droit à un bon sermon de la part du princi-pal, M. Golden, sur l’importance de se conduire en gentle-man avec les filles. C’était un petit homme à peine plus hautque son bureau, avec un doigt qui remuait comme la queued’un chien et un nœud de cravate gros comme une tumeur.

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1 N.d.T.: «belle bite»

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Il aurait tout aussi bien pu me parler de politique ou desciences physiques, parce que je n’étais pas intéressé par cequi, d’après son sermon, n’était pas supposé m’intéresser.Mais tout a changé l’été de mes 12 ans.

De l’autre côté de la rue de Roy se trouvait un champtraversé par des voies de chemin de fer. C’est là que, pour lapremière fois, je me suis identifié avec l’Adam dont onparle au début de la Bible, parce que c’est là que j’ai vu mapremière femme nue. Nous jouions sur nos vélos quandRoy est tombé sur un magazine avec des lettres de couleurde mauvais goût et le style criard des mauvaises pubs. Roys’en est approché avec un bâton et je me suis planté der-rière lui pendant qu’il commençait à tourner les pages.Nous avions, semblait-il, trouvé une porte vers un mondede merveilles et de magie, où les créatures existent dans laplus pure forme de beauté. Je dis que nous avions trouvéune porte, mais il y avait plus que ça. C’est comme si nousétions conduits à travers la porte, car je sentais dans mapoitrine, au rythme de mon cœur, que je vivais une aven-ture. Je me sentais comme un voleur qui brandit un pisto-let dans une banque.

Finalement, Roy a pris le magazine dans ses mains, dévo-rant lentement ses pages puis me le passant après s’êtreenfoncé dans les bois, à l’écart de notre terrain de jeufamilier. Nous ne parlions pas, nous tournions juste lespages, captivés par ces formes miraculeuses et cettebeauté qu’aucune montagne et aucune rivière n’ont jamaiségalée. Je sentais que je découvrais un secret que lemonde entier avait toujours connu et qui m’avait étécaché. Nous sommes restés là jusqu’à ce que le soleil secouche, puis nous avons caché notre trésor derrière desbûches et des branches, nous jurant l’un à l’autre de ne riendire à personne de notre découverte.

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Cette nuit-là, dans mon lit, mon esprit repassait les ima-ges comme dans un film, et je sentais l’énergie nerveused’une rivière s’enrouler dans le bas de mes intestins etrefluer vers ma matière grise, me plaçant dans une sorted’extase dont je pensais ne jamais revenir. Ce que je venaisd’apprendre paraissait donner ses vraies couleurs aumonde. Avant même que j’aie demandé une raison devivre, on venait de m’en donner une: les femmes nues.

* * *

Tout cela m’a fait rencontrer la culpabilité pour la pre-mière fois. Elle est restée, depuis, quelque chose de profon-dément mystérieux pour moi, comme si des extraterrestresm’envoyaient des messages depuis une autre planète pourme dire qu’il y un bien et un mal dans l’univers. Et ce n’estpas seulement le péché sexuel qui amenait ce sentimentde culpabilité. C’était aussi les mensonges, mes penséesmauvaises et les cailloux que je jetais contre des voituresavec Roy. Ma vie était devenue quelque chose à cacher, elleétait maintenant pleine de secrets. Mes pensées ne regar-daient que moi, mes mensonges étaient des barrières quiles protégeaient et ma langue acérée était une arme quiprotégeait ce qu’il y avait de mauvais en moi. Je m’en-fermais pendant des heures, m’isolant de ma mère et dema sœur. Je ne faisais rien de mal, j’étais juste devenu unecréature étrangement secrète. C’est là que mes premièresidées sur la religion ont commencé à se former.

Je continuais à être dérangé par les idées que j’avaisapprises à l’école du dimanche sur le péché et sur la façondont nous devons l’éviter. Je sentais qu’il fallait que je merachète, avec les mêmes sentiments qu’un gosse quand ildécide enfin de ranger sa chambre. Mes pensées charnellesm’avaient mis la tête sens dessus dessous. C’était comme si

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je m’étais tenu sur le seuil de mon esprit, me demandantpar où commencer et comment remettre un peu d’ordredans mes idées

C’est alors que je me suis rendu compte que la religionpouvait m’aider à arranger les choses, me ramener à la normale pour que je puisse m’amuser sans me sentir cou-pable. Je voulais juste ne plus avoir à penser à ce truc deculpabilité.

Pour moi, il y avait une barrière mentale entre la religionet Dieu. Je pouvais très bien me placer sur un terrain reli-gieux et ne jamais, en termes d’émotions, comprendre queDieu est une personne, un être réel avec des pensées, dessentiments et tout ce qui va avec. Pour moi, Dieu était plusquelque chose de l’ordre de l’idée. C’était un peu commeune machine à sous, une rangée d’images tournantes d’oùsortaient des récompenses sur la base de mes mérites et,peut-être, de la chance.

Le Dieu machine à sous soulageait ma culpabilité obsé-dante et me donnait l’espoir que je pourrais donner unsens à ma vie. J’étais trop bête pour évaluer la solidité decette idée. Simplement, je commençais à prier pour êtrepardonné, espérant qu’un rang de cerises allait apparaîtreet que la lumière de la machine allait se mettre à clignoter,déversant des petites pièces de bonne fortune. Ce que jefaisais avait plus à voir avec la superstition qu’avec la spiri-tualité. Mais ça marchait. Si quelque chose de bien m’arri-vait, je pensais que ça venait de Dieu, et si ça n’arrivait pas,je retournais à la machine à sous, m’agenouillant pour prieret tirant sur le levier une fois de plus. J’aimais beaucoup ceDieu: on n’avait jamais à lui parler, et il ne répondait jamais.Mais les meilleures choses ont une fin.

Mon Dieu machine à sous s’est désintégré la veille deNoël, l’année de mes 13 ans. Je continue à me référer à

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cette nuit comme à celle où mon brouillard s’est dissipé.Elle représente une des rares fois où je peux affirmer defaçon catégorique avoir parlé avec Dieu. Je suis à moitiépersuadé que de telles choses sont en fait de l’ordre de laroutine, mais elles n’ont pas la portée métaphysique de cequi s’est produit à ce moment-là. C’était très simple, mais ils’agissait d’une de ces profondes révélations que seul Dieupeut provoquer. Je me suis en fait rendu compte que jen’étais pas seul dans mon environnement. Je ne parle pasd’esprits ou d’anges ou quoi que ce soit de cette sorte. Jeparle des autres gens. Pour aussi étrange que cela puissevous paraître, je me suis rendu compte, tard cette nuit-là,que les autres gens avaient des émotions et des peurs. J’airéalisé que mes relations avec eux voulaient dire quelquechose, que je pouvais les rendre heureux ou tristes selon lafaçon dont je me comportais avec eux. Non seulement, jepouvais les rendre heureux ou tristes, mais j’étais responsa-ble de la façon dont je me comportais avec eux. Je me suisd’un seul coup senti responsable. J’étais supposé les rendreheureux. Je n’étais pas supposé les rendre tristes. Comme jel’ai dit, ça a l’air tout simple, mais lorsque vous prenezconscience de ça pour la première fois, c’est quand mêmeassez dur à avaler.

C’était comme si je venais de prendre le souffle d’uneexplosion en pleine face.

Voici comment tout est arrivé: j’avais acheté à ma mèreun cadeau de Noël assez minable, un livre inintéressantqu’elle ne lirait probablement jamais. J’avais eu de l’argentpour mes cadeaux, mais j’en avais dépensé la plus grandepartie en matériel de pêche, car Roy et moi avions com-mencé à pêcher dans la rivière derrière le supermarché.

On ouvrait les cadeaux de la famille au sens large laveille de Noël, gardant ceux de la famille restreinte pour le

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matin suivant. Ma chambre était donc, cette nuit-là, rempliede merveilleux cadeaux: jouets, jeux, friandises et habits.Allongé sur mon lit, je les comptais et les rangeais par caté-gorie depuis les essentiels, les jouets à piles, jusqu’auxnégligeables, les sous-vêtements.

A la lumière du clair de lune, je ne parvenais pas à trou-ver le sommeil. C’est alors que j’ai pris conscience quej’avais acheté le cadeau de ma mère avec la menue mon-naie qui me restait après que je m’étais fait plaisir à moi. Jeme suis rendu compte que j’avais placé la satisfaction demes désirs matériels avant la joie de ma mère.

C’était une culpabilité différente de ce que j’avais connujusque-là. Elle était pesante et je ne savais pas commentm’en débarrasser. C’était un sentiment obsédant, la sortede sensation que vous avez lorsque vous vous demandezs’il n’y a pas deux personnes en vous, et que l’autre fait deschoses affreuses que vous ne pouvez pas expliquer.

Mon remords était tellement lourd à porter que je me suismis à genoux au pied de mon lit et que j’ai supplié, non pasla machine à sous, mais un Dieu vivant et personnel, de fairecesser cette douleur. Je me suis glissé hors de ma chambrepour aller dans le couloir, près de la chambre de ma mère. Jesuis resté là près d’une heure, prostré dans la prière et m’en-dormant parfois, jusqu’à ce que je sente mon fardeau mequitter et que je puisse retourner dans ma chambre.

Nous avons ouvert le reste de nos cadeaux le lendemainmatin. J’étais content des miens, mais quand ma mère aouvert son paquet, je lui ai demandé pardon en lui disantque j’aurais aimé pouvoir faire plus. Elle a fait, bien sûr,semblant d’apprécier son cadeau, affirmant qu’elle voulaiten savoir plus sur le sujet traité.

Lorsque la famille s’est rassemblée le soir pour dînerautour d’une table tellement chargée de nourriture qu’un

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pays aurait pu s’y nourrir, je me sentais toujours horrible-ment mal. Je me rapetissais sur ma chaise, les yeux auniveau de bols de pommes de terre et de maïs. Une bonnedizaines de femmes me passaient les mains dans les che-veux en papotant, heureuses que Noël soit fini.

Pendant qu’ils enterraient tous un autre Noël en discu-tant et en mangeant, je me sentais honteux et je medemandais en silence s’ils savaient qu’ils étaient en train dedîner avec Adolf Hitler.

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