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Je me souviens. Témoignage d’un jeune prêtre sur l’Abbé Maduka Mon souci en prenant parole au cours de cette célébration jubilaire de notre aîné l’Abbé Pierre Maduka est de faire un bref témoignage. Il s’agit pour moi de livrer mes sentiments-souvenirs par rapport à ce que la rencontre avec ce personnage a produit dans ma vie. Cela me paraît opportun en cette circonstance. Car nous ne devrions pas seulement attendre la mort de quelqu’un pour savoir rendre témoignage et au besoin lui dire merci de ce qu’il a fait dans la vie de biens des gens. De la rencontre d’enfance à l’idée d’être prêtre J’ai connu l’Abbé Maduka Pierre depuis mon enfance, à la fin de ma première année primaire. Passant en deuxième année, Maman Pascaline nous emmena en congé au village. Nous devrions aller voir une de nos grands-mères, la cadette de notre grand-mère maternelle « Wedi yaya Lezina » (Ma Miziki - Grande cantatrice du village, surtout aux matanga. Elle était mariée à Kungu Mbambi, à un membre de la famille yi Bula Matadi. Kungu-Mbambi, le village de l’Abbé Pierre, fut une plaque tournante à l’époque coloniale. Ce fut un grand centre administratif belge avec un imposant et important dispensaire (kuna vula), le bureau de l’État civil du secteur de Tsundi sud (Ku Ka, actuel siège de l’Institut Matondo), une importante plantation de café avec une usine d’exploitation tenue par un mundele (Ndima dilata). Kungu Mbambi est proche du marché de Tende et de Makayi Mvuabi, centre commercial de renom tenu par les Phutulukezo. Le village lui-même était très grand (comportant des quartiers célèbres comme Kiseki dont l’entrée attirait le visiteur avec la résidence coloniale en étage, aujourd’hui réduite en briques tombantes et croulantes).L’Abbé Pierre est donc fil s de Kungu-Mbambi. D’où la célèbre appellation lui attribuée de Makungu-Mbambi.

Je me souviens. Témoignage - DIOCESE DE BOMA, … · quelques éléments pris comme ligne de conduite une fois devenu ... l’Église le sens du baiser de paix et comment cela devait

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Je me souviens.

Témoignage d’un jeune prêtre sur l’Abbé Maduka

Mon souci en prenant parole au cours de cette célébration

jubilaire de notre aîné l’Abbé Pierre Maduka est de faire un bref

témoignage. Il s’agit pour moi de livrer mes sentiments-souvenirs

par rapport à ce que la rencontre avec ce personnage a produit

dans ma vie. Cela me paraît opportun en cette circonstance. Car

nous ne devrions pas seulement attendre la mort de quelqu’un

pour savoir rendre témoignage et au besoin lui dire merci de ce

qu’il a fait dans la vie de biens des gens.

De la rencontre d’enfance à l’idée d’être prêtre

J’ai connu l’Abbé Maduka Pierre depuis mon enfance, à la fin de

ma première année primaire. Passant en deuxième année,

Maman Pascaline nous emmena en congé au village. Nous

devrions aller voir une de nos grands-mères, la cadette de notre

grand-mère maternelle « Wedi yaya Lezina » (Ma Miziki - Grande

cantatrice du village, surtout aux matanga. Elle était mariée à

Kungu Mbambi, à un membre de la famille yi Bula Matadi.

Kungu-Mbambi, le village de l’Abbé Pierre, fut une plaque

tournante à l’époque coloniale. Ce fut un grand centre

administratif belge avec un imposant et important dispensaire

(kuna vula), le bureau de l’État civil du secteur de Tsundi sud (Ku

Ka, actuel siège de l’Institut Matondo), une importante plantation

de café avec une usine d’exploitation tenue par un mundele

(Ndima dilata). Kungu Mbambi est proche du marché de Tende et

de Makayi Mvuabi, centre commercial de renom tenu par les

Phutulukezo. Le village lui-même était très grand (comportant des

quartiers célèbres comme Kiseki dont l’entrée attirait le

visiteur avec la résidence coloniale en étage, aujourd’hui réduite

en briques tombantes et croulantes).L’Abbé Pierre est donc fils de

Kungu-Mbambi. D’où la célèbre appellation lui attribuée de

Makungu-Mbambi.

C’est le premier prêtre noir que j’ai vu en face de moi, drapé de

sa soutane noire avec ceinture de chasteté alors que j’étais

habitué à voir un père blanc à la paroisse (Nous appelions les

acolytes chez nous à Boma II : bana mupere). Je l’ai rencontré

donc pour la toute première fois au village de Kungu Mbambi. Car

une fois en congé, il visitait quotidiennement les gens. Drapé de

sa soutane noire avec ceinture de chasteté, il passait de maison

en maison, se renseignant sur chacun des membres de la famille.

Il calculait souvent le retour des gens de la forêt pour commencer

ses visites. C’est souvent autour de 16h00 que l’opération

démarrait. Et malgré la longueur du village, aucune maison

n’échappait à sa présence. Celle-ci marquait alors tout le village

et en changeait la physionomie et le rythme: messe quotidienne à

la chapelle (le matin ou le soir), retour tôt des plantations,

prudence dans les conflits chez les adultes, sérieux chez les

jeunes qui ne pouvaient plus se comportaient de n’importe quelle

façon au risque de subir la loi yi Monsieur l’Abbé. Car toute

accusation portée contre un enfant par un parent à l’illustre hôte

du village était sanctionnée sévèrement : pas de choix et rien à

faire.

Passant un soir chez nous, je demandais à l’Abbé Pierre si moi

aussi je pouvais être comme lui lorsque je serai grand. Sa réponse

était positive. Encouragé par l’acquiescement du maître

incontesté du coin, je commençais à parler comme lui, à marcher

comme lui et à suivre sérieusement les messes qu’il célébrait. De

sa présence au village, une image m’est restée très frappante et a

certainement marqué ma conscience : l’exemple de l’Abbé (ku

mona mumpe ke nata phidi na mukongi to ke tekila khaka

nandi maza. Diambu yayi kotaka munu mingi mpe ya monisaka

munu ti kuvuanda mumpe kele mbote samu na kusadisa bantu :

mumpe unnata teko ki mazi mu phidi) en dépit de l’éloignement

de la rivière. Comment dès lors un enfant pouvait-il refuser de

rendre service ? A dire vrai, chaque arrivée de l’abbé au village

était une histoire et tout le village respirait au rythme de son

icône.

Sur le chemin du sacerdoce : des modèles

Cette image liée à l’âge enfantin se révèlera plus marquante

lorsque progressant, je retrouverais après l’avoir perdu plusieurs

années, l’Abbé Pierre Maduka curé à Boma II pendant que moi je

tâtonnais sur le chemin du sacerdoce à la colline sacrée de

Mbata-Kiela. C’est ici vraiment la période d’empreintes qui m’aura

fasciné et déterminé à porter un choix décisif. Lors de mon

anniversaire de cinq ans de sacerdoce, je relisais mon cahier des

notes personnelles intitulé Carrefour de la pensée. Et, à la page

8 du tome 1, j’ai retrouvé des lignes intéressantes qui constituent

la base de ce petit témoignage que j’aimerais partager avec vous.

Cette page est consacrée aux personnes qui ont exercé une

influence positive et même décisive dans ma croissance vers le

sacerdoce. De chacune de ces personnes, j’ai eu le soin de noter

quelques éléments pris comme ligne de conduite une fois devenu

prêtre.

Et de l’Abbé Pierre Maduka, j’ai retenu trois éléments:

1. La jalousie de son identité : c’est la fierté d’être ce que l’on

est et la force de le défendre à tout prix par un

comportement digne et modèle. Il faut dire que l’abbé Pierre

nous a laissé l’image du prêtre compagnon de Jésus et ami

de la cour royale ( du Christ). C’est la noblesse de l’identité

sacerdotale. Monsieur l’Abbé vuandaka tubilaka betu kuna

na cure ti Nganga-Nzambi kele tala-tala(miroir) yina

banionso fuana tadila. Pidina yandi fuanaka sala keba samu

ya pasuka ve sinon bantu me zanga nsika ya kutadila diaka.

On le sentait vraiment un signe qui soit à la fois une

présence et une référence pour les paroissiens. Sa

présence engendrait le respect de la cure. Il était même

craint des grands « gangs » de cette paroisse.

Paradoxalement, tout en fuyant d’entrer à la cure, les gens

souhaitaient y rencontrer l’Abbé Pierre pour l’écouter et

bénéficier de ses conseils.

2. L’amour de son travail. Il n’était pas difficile et compliqué

de le constater à la paroisse Boma II. L’Abbé Pierre

s’investissait bien à soigner son travail de prêtre, ne

négligeant rien, allant jusqu’aux détails. Très sévère par

ailleurs, nous l’avons vu assurer la formation permanente

aux acolytes (il les visitait dans leur salle de réunion et des

répétitions, il leur parlait, il veillait beaucoup sur leur façon

de faire). Tantôt on le voyait assister aux répétitions des

chorales pour corriger les chants. Yandi vuandaka zona

kukatusa banzimbala na into na yawu. Kansi bambala

mingi pia yandi vuandaka fukusaka na ntala baacolyte yina

vuandaka zitisa ve bansiku to kubengana chorale yina

vuandaka zona ve kulanda bansiku.

3. La passion et la rigueur liturgiques. Il faut dire que la

paroisse Boma II aura vécu un style de faire et d’être durant

le mandat de l’Abbé Pierre. Qui de l’époque peut oublier sa

manière de célébrer et ses prédications ? Qui pourra nier

sont tact liturgique ? Oui, rigueur dans l’application des

normes liturgiques, sérieux dans l’organisation des

célébrations et autres activités liées à la liturgie, formation

permanente sur cette question de la liturgie (même à ses

vicaires). Tenez :

- Un dimanche matin, un de ses vicaires célèbre la

messe dans l’ancienne Église. L’Abbé Pierre est

concélébrant. Dans l’assemblée se trouvent aussi « les

abbés-séminaristes » José-Claude Mbimbi Mbamba Nzola

(étudiant en théologie/2e année) et Pamphile Mbadu

Kumbu, Pakan (finaliste ensoutané de Ngidi), en ministère

des vacances à Boma II. Les deux séminaristes sont en

soutane avec ceinture de chasteté. Le théologien est à

l’autel avec surplis et le philosophe très proche de l’autel.

Un autre grand séminariste est présent mais il est

vraiment dans la nef, non visible – il n’a mis que sa

croisette-. Il s’agit de « l’abbé » Léon-Paul Mbikila

Mavinga, d’heureuse mémoire. Il venait de terminer la

théologie à Jean XXIII. Venu le moment de la communion,

l’abbé président, une fois communié aux deux espèces,

remet les ciboires aux deux jeunes séminaristes en

ministère et lui regagne son siège de présidence. Aussitôt

l’abbé curé Pierre retire le ciboire au jeune philosophe et

fais signe à son vicaire de se lever et lui le remet pour

aller distribuer la communion. Cet acte suscite un tollé

dans l’Église mais tout se passe bien et la messe se

termine sans problème. Aussitôt sortis, et comme le

voulait la tradition, le cortège de petits séminaristes, se

rendit à la curé saluer le vénérable curé et les autres

prêtres. Le théologien Pierre profita pour nous instruire

tous :

« Je n’ai pas voulu que Pamphile distribue la communion

car il n’est qu’un pieux laïc. Quant à José-Claude, j’ai

toléré. Le seul habileté à le faire est Léon-Paul ». A

l’époque, je ne sais pas quels sentiments éprouvait

« l’abbé Pakan » ? Nous n’y comprenions rien. C’est bien

après seulement et surtout en ces moments précis en

nous appliquant à l’étude systématique des normes

liturgiques que nous y percevions quelque chose.( Lire à

ce propos les rubriques dans des différents missels

Romains , la Présentation générale du Missel Romain,

L’instruction Redemptionis sacramentum…)

- Une autre fois encore, toujours dans l’ancienne Église.

C’était lui-même qui présidait. Une chorale (dont je tais le

nom) entonna le chant d’entrée. C’était exactement Aaa

Mfumu nge ikele ya kusonga mpe banzengolo, banzengolo

ya nge ya ke ya kusonga. La chorale avait tellement

prolongé le chant que l’Abbé président n’a pas hésité de

commencer la messe par le signe de croix : Na zina… et

toute l’assemblée répondit. La chorale reçut sur place sa

leçon de ne pas tirer les chants en longueur, surtout que

l’abbé en avait déjà parlé il y a à peine quelques

semaines.

- Je vois aussi l’abbé Pierre un dimanche expliquer dans

l’Église le sens du baiser de paix et comment cela devait

se réaliser.

Ces quelques exemples montrent à suffisance que l’Abbé

Pierre accordait beaucoup de sérieux aux célébrations.

Yawu yina Boma II vuandaka paruase mosi ya nginga na

yina me tadila mutindu ya kusambidila. Nani yina

vuandaka zona zanga misa ya mpipa ya Nowele to ya

Paska ke sadisa Abbé Maduka ? Nge meka zanga yawu

neti kuandi nge sambila ve mvula nionso ya mvimba.

Bosi diaka, na yina me tadila kubuongimina Ukaristia ya

santu na misa ya kilumbu ya tanu yantete ya ngonde,

nani lenda zimbana yawu ti Boma II vuandaka na kifulu

yannene. La célébration de l’adoration pour le premier

vendredi du mois paraissait comme une spécialité de

Boma II.

Kana Abbé Maduka ke sadisa misa, nge ke mona ti lokola

mutindu yankaka yawu me lutila. Na kumonaka mutindu

yina, mu zuaka lukanu ti mu meka kuma Nganga-

Nzambi, mu ke banda sambisilaka lokola yandi na Mgr

Joachim Mbadu. Effectivement, si l’Abbé Antoine Ngimbi

Phaka Nkub’meso, vicaire chez nous, jouant aussi à la

guitare, m’a lancé sur la voie de prêtre-chanteur ou

musicien, l’Abbé Pierre Maduka et Mgr Joachim Mbadu

ont éveillé ma soif de la pratique liturgique correcte et ont

aiguisé ma passion à l’art de bien célébrer.

Je suis convaincu que leur action en moi porte du fruit

aujourd’hui pour le bien de l’ensemble de tout le peuple

de Dieu qui est à Boma. Merci Monsieur l’Abbé Pierre,

Merci De Jeannot muana Kin. Ad multos annos.

Abbé Jean-Claude Diaki. Prêtre de Boma.