JEAN STEINMANN

JEAN STEINMANN

Éditions FLEURUS

COLLECTION THÉOLOGIENS ET SPIRITUELS

CONTEMPORAINS

par LOUIS-JACQUES RONDELEUX 31, rue de Fleurus, Paris-6e

COLLECTION THÉOLOGIENS ET SPIRITUELS CONTEMPORAINS

dirigée par Charles Baladier, p.s.s. et Raymond d'Izarny, p.s.s.

1. JOHANN ADAM MÖHLER par Hervé Savon

2. KARL RAHNER par Charles Muller et Herbert Vorgrimler

3. ROMANO GUARDINI par Henri Engelmann et Francis Ferrier

4. JEAN DANIÉLOU par Paul Lebeau, s. j.

5. JOHN HENRY NEWMANN par Jean Honoré

6. DOM CASEL par André Gozier, o.s.b.

7. AMÉDÉE AYFRE par Alain Bandelier et Patrick Giros

8. JEAN STEINMANN par Louis-Jacques-Rondeleux

© Editions Fleurus, 1969

TABLE DES SIGLES

C. in. : Conférence inédite.

F.C.A. : Une foi chrétienne pour aujourd'hui, Jean Stein- mann-Grasset.

J.S. : Jean Steinmann, numéro spécial de la revue Montalembert consacré à Jean Steinmann dis- tribué par Desclée de Brouwer.

L.H.A. : Littérature d'hier et d'aujourd'hui, Jean Stein- mann, Desclée de Brouwer.

L. in. : Lettre inédite.

TYP : Typologie et évolution. C. Charlier dans Esprit et vie, novembre 1949.

VIE : Vie de Jésus, Jean Steinmann, club des libraires de France.

DU MÊME AUTEUR :

Aux éditions du Seuil, dans la collection « Maîtres Spirituels » :

Isaïe.

AVANT-PROPOS

Jean Steinmann était-il un théologien ? Il eût souri devant une telle interrogation et il eût préféré se définir lui-même comme il le fit de Tertullien :

Ce n'est pas un théologien, c'est un homme qui témoigne de sa foi, la défend avec âpreté, se bat pour elle. C'est un guerrier. Il fait éclater tous les cadres et tous les systèmes. J'allais dire : c'est un tempérament.

Jean Steinmann était en effet un vivant, un tempé- rament et un témoin de sa foi. Doué d'une forte culture humaine, il parlait le langage des hommes de son temps. Il fascinait son auditoire. Avec lui, le domaine de la foi n'était plus séparé de la vie quotidienne, il était la dimension suprême de toutes choses.

Jean Steinmann n'était pas un vulgarisateur, si l'on entend par là celui qui met à la portée d'un vaste public

les découvertes et les études; faites par les autres. Il n'était pas davantage un chercheur. Poussé par la vie, il n'aimait pas rester longtemps sur le même problème. Ce qu'il disait ou publiait, c'était sa vie même. Il s'abreu- vait aux sources, il se nourrissait de nourritures fortes, il partageait avec les autres.

Louis-Jacques Rondeleux, pour tracer ce portrait de Jean Steinmann, a eu à sa disposition, outre l'œuvre écrite et publiée, des relevés de bandes magnétiques prises au cours des soirées du Quai aux Fleurs, de larges extraits de correspondance, des brouillons et des études inédites. Il s'est effacé devant celui qu'il a voulu faire revivre. Il n'a pas cherché à faire la critique de telle ou telle position.. Il ne reprend pas à son compte toutes les affirmations qu'il cite. Faire connaître un homme ce n'est pas partager toutes ses idées. Mais Steinmann, ici comme durant sa vie, continue à nous interpeller, et, avec son fin sourire ou son grand éclat de rire, il nous oblige une fois de plus à réfléchir et à sortir de nous- mêmes comme pour une de ces conversations dont il avait le secret et dont on revenait toujours enrichi et bouillonnant de vie.

Philippe BEGUERIE.

1

Les g randes é t apes de la vie de Jean S te inmann

I — ENFANCE

1911 : naissance à Belfort petites classes à Nancy.

1923-1930 : études secondaires à Paris.

II — LE SEMINAIRE (1930-1937)

1930-1931 : Grand Séminaire de Paris (à Issy-les- Moulineaux)

1931-1932 : service militaire

1932-1934 : séminaire des Oratoriens, à Montsoult

1934-1935 : travail en usine (à l'Alsthom, Levallois)

1935-1936 : de nouveau à Issy (diacre) 1936-1937 : directeur d'internat à l'école Bossuet,

ordonné prêtre en 1937.

III — BOSSUET (1936-1946)

Dix ans, coupés seulement par la guerre de 39-40 1

Steinmann est d'abord directeur d'internat, puis directeur de la division des Grandes Ecoles.

Activité double : d'une part, il fait son « métier » et il le faisait très b i e n D'autre part, il travaille d'arrache-pied : surtout la Bible, mais aussi des œuvres de réflexion théologique et de littérature, surtout moderne. Plusieurs articles de Littérature d'hier et d'aujourd'hui datent de cette époque et montrent que Steinmann aurait pu être un très grand critique littéraire.

IV — VICAIRE DE PAROISSE (1946-1963)

D'abord vicaire dans une paroisse populaire, à Notre- Dame de Bonne-Nouvelle, son curé préfère le voir ailleurs, et il est nommé vicaire à Notre-Dame de Paris, paroisse hybride à laquelle il va redonner vie pendant quelques années.

Son activité pendant cette période de sa vie est proprement extraordinaire.

1 — Il assure un ou deux jours par semaine de permanence à Notre-Dame.

2 — Il est aumônier :

— du clan routier des halles (clan de l' « Eau Vive ») ;

1. Cf. « Un souvenir de guerre », chap XI, p. 96. 2. Cf. le témoignage de M Pézeril cité dans le chap. II,

— d u g r o u p e d ' A c t i o n C a t h o l i q u e g é n é r a l e f é m i n i n e d e N o t r e - D a m e ;

— d ' u n g r o u p e d e f i l l e s , a p p e l é G r o u p e N o t r e -

D a m e 3 ;

— d ' u n o u p l u s i e u r s g r o u p e s d e m é n a g e s ;

— d ' a u m o i n s u n C e r c l e B i b l i q u e 4

3 — I l o r g a n i s e a v e c ces g r o u p e s :

— le N o ë l d e s C l o c h a r d s , s o u s l e s p o n t s d e l a C i t é 4* ;

— des c o n f é r e n c e s , d é b a t s , e x p o s i t i o n s , g r o u p e s d e

t r a v a i l , a u 1 b i s , q u a i a u x F l e u r s ;

— d e s c a m p s , v o y a g e s . . . ;

4 — I l é c r i t d e s l i v r e s .

V. — L e 8 a v r i l 1963, J e a n S t e i n m a n n , q u i e m m e n a i t

e n T e r r e S a i n t e u n g r o u p e d e j e u n e s f i l l e s d e N o t r e -

D a m e , es t e m p o r t é p a r u n t o r r e n t d e b o u e e t d ' e a u d a n s

les G o r g e s d e P e t r a .

3, 4, 4*, 5, 6. Cf. chap. V, p. 27 et suivantes et p. 57 et suivantes.

7. Cf. Bibliographie des œuvres de Steinmann, p. 181.

2

Une pensée c o m b a t t a n t e

Tertullien n'était pas un théologien. C'est un homme qui témoigne de sa foi, la défend avec âpreté, se bat pour elle. C'est un guerrier. Il fait éclater tous les cadres et tous les systèmes, J'allais dire : « C'est un tempéra- ment »

Tel était Tertullien . Tel était aussi Jean Steinmann. Non pas un penseur en chambre, mais un homme de Dieu, un lutteur, un « tempérament », un actif doué d'une grande lucidité de l'esprit et aussi un écrivain. Toute sa vie fut un combat pour Dieu, pour la recherche de la vérité, pour la liberté des hommes. Et c'est toute sa vie qui témoigne de sa pensée.

L'AME D'UN POETE

Il est deux sortes de penseurs : ceux chez qui domine le pouvoir de raisonner, et ceux chez qui domine l'intui- tion. Steinmann se range sans aucun doute dans cette seconde catégorie. Il n'aimait guère les « rationalistes », philosophes ou théologiens, et leur préfèrera toujours

1. J. STEINMANN, Tertullien, éd. du Chalet, p. 10.

les poètes, les écrivains, les psychologues. Il lit saint Augustin plutôt que saint Thomas, Platon plutôt qu'Aristote.

L'homme qui exerça la plus grande influence sur sa vie fut probablement Pascal, qu'il découvrit au sortir de l'enfance, sur les bancs du lycée Charlemagne 2

Pascal décida de sa vocation religieuse ; on retrouve son influence fraternelle dans toute la pensée de Stein- mann et dans la manière même dont il se situe par rapport au monde, à l'homme et à Dieu.

Pascal avait la première vertu du poète : un pouvoir intact d'étonnement, de stupeur effarée, de surprise permanente en face de soi-même, des replis de son inconscient, du monde, de la raison, des puissances imaginaires et des fantômes du songe. L'opposant à la placidité de saint Thomas ou de Descartes, on a dénoncé en lui l'homme qui pousse devant toute chose le cri victorieux de Christophe Colomb aux rives d'Amérique. C'est vrai : les théorèmes d'Euclide, l'existence du vide, la présence mystérieuse, du Dieu des chrétiens dans une âme, les propositions cocasses des casuistes, la divisibilité de la matière, les pouvoirs de l'imagination et de la raison, l'amour et la mort, provoquent sa stupéfaction. Il était poète. Dieu lui-même n'étonnait pas saint Thomas ni Descartes. Une tuile, un grain de raisin, des gamins qui se donnent des taloches dans la rue, semblent tout neufs à Pascal et suscitent en lui la migration d'un peuple d'images 3

Tel était aussi Jean Steinmann. Enfant déjà, la chèvre de la rue de l'Ave Maria, puis les poètes venaient

2. J. STEINMANN, Pascal, éd. du Cerf, p. 9. 3. Jean STEINMANN, Pascal, éd. Desclée de Brouwer, Paris,

1962, p. 277.

réchauffer son cœur soumis à une éducat ion t rop abstraite.

J 'é ta is un pe t i t alsacien, t ransplan té à Par is , et déraciné hors le temps des vacances. Je connaissais mieux les alentours d u lycée Char lemagne que la forêt de sapins des Vosges. Les jours d e nostalgie, j 'évoquais les sentiers ombreux qui courent d 'Ot t ro t à Sainte Odile, mais dehors , dans la rue de l 'Ave Maria , une vraie chèvre venait b rou te r les cahiers de brouillons que lui tendaient mes camarades. A quaran te ans de distance, cette chèvre nourr ie d 'équat ions et d e versions latines me p a r a î t le symbole de ma jeunesse, soumise à une éducat ion livresque et abstrai te , qui r emon te au Moyen Age...

La seule bouffée d ' a i r frais qui m'ar r iva i t dans ce cloître-caserne où la vie étai t encore scandée p a r les roulements d e t ambour de Napoléon — substi tut de la cloche t rop cléricale — c 'étaient les poètes. Du Lamar t ine de ma classe de quatr ième, je passais à Baudela i re et à R imbaud . C 'é ta ient encore des auteurs clandestins. E t

puis j e découvris la poésie en prose. Pascal m'envoûtai t . J 'entendais avec extase les longs accords de violons du P r o m e n e u r Solitaire. J e m'enivrais de C h a t e a u b r i a n d

Cette a t t i tude de poète, cet émervei l lement devant les hommes et les créations de l 'homme, est à la base de la recherche de Dieu que S te inmann poursuivra toute sa vie, tant p a r les voyages, p a r les contacts d 'hommes différents, que p a r la culture, p a r le contact de civilisa- t ion différentes.

4. J.S., p. 149-150.

L A C U L T U R E E T L E S V O Y A G E S

C O M M E A P P R O C H E S D E D I E U

L o r s q u e le j e u n e S t e i n m a n n e u t f i n i ses é t u d e s

s a c e r d o t a l e s , son p è r e l u i o f f r i t u n p e u d ' a r g e n t . I l

p r o f i t a d e c e t t e s o m m e m o d i q u e p o u r e n t r e p r e n d r e u n

g r a n d v o y a g e a u M o y e n - O r i e n t . Q u e l q u e s v i n g t - c i n q

a n s p l u s t a r d , il n o u s r a c o n t e r a ce t te g r a n d e e x p é d i t i o n , o ù d é j à sa c u r i o s i t é n a t u r e l l e e t son d o n d e v o i r se

r é v è l e n t p l e i n e m e n t 5

P r e m i è r e t r a v e r s é e d u C a i r e

A p e i n e e n t a x i p o u r m e r e n d r e à l a g a r e , j e d é c o u - v r i s , d e l a v o i t u r e , u n O r i e n t d e s Mi l l e e t U n e N u i t s .

L ' a u t o t r a v e r s a i t le v i e u x q u a r t i e r a r a b e . E l l e r a l e n t i s - s a i t d a n s les r u e l l e s p o u r l a i s s e r d é a m b u l e r a v e c l e n t e u r e t m a j e s t é u n e c a r a v a n e d e c h a m e a u x à l a l i p p e d é d a i - g n e u s e . S u r les t r o t t o i r s , d e s tas d ' o r a n g e s , d e c o n c o m b r e s , d e p i m e n t s . Les h o m m e s à l a t ê t e d e b r o n z e l u i s a n t , e n t u r b a n n é s d e b l a n c e t g a i n é s d ' u n e l o n g u e c h e m i s e f e n d u e b l a n c h e o u m a u v e , les f e m m e s d r a p é e s et vo i l ée s d e n o i r , l e n e z b a r r é d e l ' h i é r o g l y p h e d ' O s i r i s , s ' a g i t a i e n t c o m m e d a n s u n f i l m e n c o u l e u r s et m u e t .

L e s i lence f e u t r é d e l a r u e g r o u i l l a n t e , les b o u r r i c o t s c h a r g é s d e c o u f f i n s d ' o ù d é b o r d a i e n t d ' é n o r m e s p a s t è - q u e s , les p o r t e u r s d ' e a u e n f a i s a n t t i n t e r l eu r s c y m b a l e s , c o m p o s a i e n t l ' O r i e n t d ' i m a g e s d ' E p i n a l q u i m e s a u t a i e n t à l a f i g u r e . E t s u r t o u t l ' o d e u r d e la r ue , u n e o d e u r d e p i s t e d e c i r q u e , q u i f l e u r a i t le p i m e n t , l ' u r i n e d e c h a m e a u , l a s u e u r , u n r e l e n t d ' e n c e n s v e n u d e casso le t tes

5. « Mes échelles du Levant », dans J.S., p. 149-199.

a u x a u v e n t s d e s m a r c h a n d s d e p a r f u m s . L ' E g y p t e , c ' é t a i t c e t t e c a r t e p o s t a l e e n c o u l e u r s e t p a r f u m é e . J ' é t a i s s e r v i

D é c o u v e r t e d e s T o m b e a u x d e s R o i s

T e l f u t l ' é p a n o u i s s e m e n t l e p l u s p u r d u g é n i e r e l i - g i e u x , l ' a r t p o u r l ' a r t s ans a u c u n e c o n c e s s i o n a u p u b l i c . . .

L e C h r i s t i a n i s m e e t l ' O c c i d e n t t r a v a i l l e n t p o u r l a f o u l e d e s v i v a n t s . L e s b a s - r e l i e f s d u P a r t h é n o n s o n t s c u l p t é s p o u r ê t r e vus . L e s p o r t a i l s r o m a i n s e t g o t h i q u e s s ' a d r e s s e n t a u x h o m m e s c o m m e u n e p r é d i c a t i o n . D e là , il n ' y a q u ' u n p a s j u s q u ' à l ' e x h i b i t i o n n i s m e d e n o t r e a r t , o ù l ' a r t i s t e s i g n e e t se p a v a n e c o m m e u n c a b o t i n . I l s u f f i t d ' o u b l i e r D i e u e t d e se m e t t r e à s a p l a c e . L ' E g y p t e a n c i e n n e a v a i t ses g r a n d s m u s é e s s o u t e r r a i n s , d a n s l ' o m b r e a b s o l u e e t s c e l l é e d e s e p t s c e a u x , p o u r les m o r t s d i v i n s .

A q u o i b o n r a c o n t e r c e t t e d é a m b u l a t i o n d a n s ce r o y a u m e q u ' u n G r e c e û t j u g é b a r b a r e , m a i s o ù j e r e c o n - na i s sa i s l a p l u s p r o f o n d e c i v i l i s a t i o n ? Les t o m b e a u x d e l a V a l l é e d e s R o i s m a r q u e n t s u r les P y r a m i d e s le p r o g r è s d é f i n i t i f d e l a v ie i n t é r i e u r e . O n d e s c e n d d a n s l a p s y c h o l o g i e d e s p r o f o n d e u r s d e l ' E g y p t e . . . J ' e u s l ' i m p r e s s i o n a v e c m o n g u i d e e n t u r b a n n é d e p a r t i c i p e r à u n v i o l s a c r i l è g e , d ' ê t r e U l y s s e a u m i l i e u d e s o m b r e s . A u m u r s ' é t a l a i e n t d e s i d é e s — d e s f o r m e s a b s o l u e s . Ce c h a c a l , c e t u r u b u , ce v a u t o u r n e s o n t p l u s d e s c h a r o - g n a r d s n i d e s b ê t e s , m a i s l ' e s s e n c e m ê m e d e s f o r m e s . J e p r o c e s s i o n n e d a n s la c a v e r n e d e P l a t o n . . .

C e t t e e x p l o r a t i o n s o l i t a i r e e t p o u r m o i p r e m i è r e d e T h è b e s et d e l a V a l l é e d e s R o i s d e v a i t r e v ê t i r u n e v a l e u r

d e s igne . L a l e c t u r e p r o f o n d e d e la B i b l e s u p p o s e u n e t e l l e i n i t i a t i o n . L ' E g y p t e f u t l a g r a n d e e t v i e i l l e m è r e d e s l e t t r e s e t d e s a r t s p o u r I s r a ë l . C e r t e s , l o r s q u e la

6. J.S., p. 161.

l i t t é r a t u r e p r o p h é t i q u e s ' é p a n o u i t e n J u d a , il y a b e a u t e m p s q u e l a g l o i r e m i l l é n a i r e d e l ' E g y p t e n ' e s t p l u s q u ' u n c o u c h e r d e sole i l . M a i s les t o m b e a u x des P h a r a o n s scel lés , les t e m p l e s s u b s i s t a i e n t e n c o r e . L a l a n g u e auss i . P a r e l le , les m a x i m e s d e s sages , l e r i t u e l , les h y m n e s d e l ' E g y p t e , ses c o n t e s p é n è t r e n t à l a c o u r d e S a l o m o n e t n e c e s s e n t d e f é c o n d e r la g e s t a t i o n d e la B i b l e . Q u i c o n q u e n ' a p a s m e s u r é l a r i c h e s s e et l e p r e s t i g e d u p h a r a o n n e c o m p r e n d r a j a m a i s c o m m e n t f u t e n r a c i n é e l ' i d é o l o g i e r o y a l e d u M e s s i e . Ces v é r i t é s r e l i g i euses d o n t j e m e n o u r r i s s a i s a b s t r a i t e m e n t , j e les v o y a i s sous m e s y e u x c r o î t r e s u r les r ives d u N i l . L o i n d ' a l a r m e r m a fo i , c e t e n r a c i n e m e n t l ' e x a l t a i t . . . J e h a n t a i s l a c r y p t e d e t o u t e t h é o l o g i e d i g n e d e ce n o m . J e d é a m b u l a i s d a n s m a p r o p r e h i s t o i r e 7

L a G r è c e

A u s s i b i e n e n G r è c e q u ' e n E g y p t e , l ' â m e r e l i g i euse

d e S t e i n m a n n se r é v è l e p a r le r e g a r d q u ' i l j e t t e s u r les c h o s e s e t l es ê t r e s .

O h ! le f r i s s o n d e f e r v e u r e t de j o i e q u i r e m u e R o d i n l o r s q u ' i l d e s s i n e ses c a t h é d r a l e s o u n o u s r a c o n t e ses i m p r e s s i o n s ! I l a b i e n v u q u e C h a r t r e s s u i v a i t le s ty le d e l ' A c r o p o l e , q u e c ' é t a i t le P a r t h é n o n d e l a F r a n c e . J e v o u d r a i s q u ' o n s e r e n d e m i e u x c o m p t e d u l i e n p r o f o n d q u i u n i t l ' E g l i s e à l ' a n c i e n p a g a n i s m e grec . Les P è r e s d ' A l e x a n d r i e p r o f e s s a i e n t q u e la r é v é l a t i o n é t a i t pas sée à l a fo i s p a r les n a b i s h é b r e u x e t les sages d e la Grèce . J ' y a j o u t e r a i s les a r t i s t e s : les s c u l p t e u r s , les g r a n d s t r a g i q u e s . P u i s les p e t i t e s â m e s o b s c u r e s d e s f i d è l e s d ' E l e u s i s . D é j à le c u l t e d ' A t h è n e s p o u r l a V i e r g e a u x y e u x p e r s a n n o n ç a i t c e lu i d e la c h r é t i e n t é p o u r M a r i e . M o n t r e r t o u t ce q u ' i l y a v a i t d e m y s t i c i s m e p u r , d e g r â c e s u r n a t u r e l l e d a n s la d é v o t i o n d e s f i d è l e s q u i

7. J. S., p. 167-168.

s u i v a i e n t l a p r o c e s s i o n d " A t h é n a ! I l s se s e r a i e n t b i e n f o u t u s d e s é l u c u b r a t i o n s d e R e n a n . L e s v r a i s s u c c e s s e u r s d e l a G r è c e d i v i n e , c ' e s t n o u s . L e c u l t e d ' A t h é n a , ce n ' e s t p a s M a u r r a s q u i l e r e n d q u a n d i l e m b r a s s e u n e

c o l o n n e d e s P r o p y l é e s , c ' e s t l a v i e i l l e f e m m e d e C é z a n n e e n t r a i n d ' é g r e n e r s o n R o s a i r e 8

S t e i n m a n n m o n t r e d é j à t r è s c l a i r e m e n t d a n s ce

p r e m i e r v o y a g e les g r a n d s a x e s d e sa r e c h e r c h e : l ' o b s e r - v a t i o n « c o r d i a l e » d e l ' h o m m e e t d e s c i v i l i s a t i o n s

p r é s e n t e s v i v i f i e ses c o n n a i s s a n c e s c u l t u r e l l e s . R é c i -

p r o q u e m e n t , l a c u l t u r e v i e n t n o u r r i r l e r e g a r d q u ' i l

p o r t e s u r les h o m m e s . E t ce d o u b l e r e g a r d s u r l ' h o m m e

e t ses œ u v r e s , t o u j o u r s l e r e n v o i e à l a r e c h e r c h e f o n d a -

m e n t a l e , r e l i g i e u s e , s u r D i e u e t le d e s t i n de l ' h o m m e .

E n t é m o i g n e n t a d m i r a b l e m e n t les p a g e s é t o n n a n t e s

q u ' i l é c r i v i t a p r è s u n s é j o u r d e t r o i s s e m a i n e s e n

E s p a g n e 9

T r o u v e r a i t - o n a i l l e u r s l ' é q u i v a l e n t d e c e t t e r e l i g i o n é t r a n g e e t i n q u i é t a n t e q u e l ' E s p a g n e a p p e l l e s o n c a t h o - l i c i s m e ?

L e v o y a g e u r est m a l r e s s u y é d e t a n t d ' i m a g e s h i d e u - ses o u b r û l a n t e s . D a n s s a m é m o i r e c o n t i n u e n t d e t o u r -

n o y e r l e f l o t d e s a n g q u e c r a c h e u n t a u r e a u b l e s s é à m o r t , c e t t e j a m b e t o r d u e q u ' e x h i b e u n m e n d i a n t d a n s l e c o r r e o d e S é v i l l e , G r e n a d e , les y e u x d u S a t u r n e d e G o y a , les s a i n t s b a r o q u e s , l es p r ê t r e s g r a s a u p o i l n o i r , l a t e r r e p o u d r e u s e d e C a s t i l l e , les g e n d a r m e s à c h a p e a u x d e N a p o l é o n , l a m i s è r e , l a m o r g u e , l e m y s t i c i s m e , l ' a n a r c h i e , c e c h a u d r o n d e s o r c i è r e s , c e t t e p l a i e à v i f , ce

f i l m r ê v é p a r C h i r i c o : l ' E s p a g n e .

L ' i n q u i é t u d e c o m m e n c e à B u r g o s , d e v a n t c e t t e fou le ,

8. J. S., p. 121. 9. « Images d'Espagne », dans J.S., p. 122.136.