Upload
others
View
3
Download
0
Embed Size (px)
Citation preview
JenniferL.Armentrout
Sidemainn’existepas
Collection:YoungAdultRomanceMaisond’édition:J’ailu
Traduitdel’anglais(États-Unis)parCécileTasson
©JenniferL.Armentrout,2017Tousdroitsréservés©ÉditionsJ’ailu,2019,pourlatraductionfrançaiseDépôtlégal:Août2019
ISBNnumérique:9782290156445ISBNdupdfweb:9782290156469
Lelivreaétéimprimésouslesréférences:ISBN:9782290159668
CedocumentnumériqueaétéréaliséparNordCompo.
Présentationdel’éditeur:
L’avenirdeLenaWisesemblaitdéjàtouttracé.Pourquesonannéedeterminalesoitparfaite,ellen’avait rien laisséauhasard.Auprogramme:accumulerunmaxdesouvenirsavecsescopines,avoir un dossier béton pour obtenir l’université de son choix… et peut-être même avouer sessentimentsàsonamid’enfance,Sebastian.Maisunsimplechoix,àununique instant,peuttoutbouleverser…Désormais,rienneserapluscommeavant.CommentLenapourrait-ellepenseràdeslendemainsmeilleursalorsqu’ellenecessederejouersonpassé,alorsqueSebastianne luipardonnerasansdoutejamaiscequiestarrivécequ’ellealaisséarriver?
Couverture:CréationStudioJ’aiLu.©Lovethewind/Shutterstock
Biographiedel’auteur:
Couronnéed’unRITAAward,elleest l’auteuredeplusieurs sériesde romance,de fantasyetdescience-fiction,dontlesdroitsontétévendusdansdenombreuxpays.Jeudepatience,sonbest-sellerinternational,etlessagasLux,CovenantetOriginesontégalementdisponiblesauxÉditionsJ’ailu.
TitreoriginalIFTHERE’SNOTOMORROW
ÉditeuroriginalHarlequinTeen
©JenniferL.Armentrout,2017Tousdroitsréservés
Pourlatraductionfrançaise©ÉditionsJ’ailu,2019
DumêmeauteurauxÉditionsJ’ailu
ÀHUISCLOSÀDEMI-MOT
JEUDEPATIENCEJEUD’INNOCENCEJEUD’INDULGENCEJEUD’IMPRUDENCEJEUD’ATTIRANCE
JEUD’INCONSCIENCE
Numérique
JEUDECONFIANCEJEUDEMÉFIANCE
OMBREETMYSTÈRE
1–Envoûtée2–Troublée
LUX
1–Obsidienne1.5–Oubli2–Onyx
3–Opale4–Origine
5–Opposition
OBSESSION
COVENANT
1–Sang-mêlé2–Sang-pur3–Éveil
3.5–Élixir(numérique)4–Apollyon5–Sentinelle
ORIGINE
1–Étoilenoire
L’ÉTERNITÉ,C’ESTCOMPLIQUÉ
Je ne pouvais pas bouger. J’avais mal partout : ma peau semblaittenduejusqu’aupointderupture,mesmusclesmebrûlaientcommes’ilsétaientenfeuetmesosmefaisaienttellementsouffrirquejeressentaisladouleurauplusprofonddeleurmoelle.
La confusion m’envahit. J’avais l’impression que mon cerveau étaitremplidebrouillardetdetoilesd’araignées.Quandj’essayaideleverlesbras,ilsrestèrentimmobiles,lourdscommeduplomb.
Jecrusentendreunsonaiguetrépétitifainsiquedesvoix,maisilsmeparaissaienttrèsloin,àl’opposédutunneldanslequeljemetrouvais.
Jenepouvaispasparler.Il…Ilyavaitquelquechosedansmagorge,au fond dema gorge.Mon bras convulsa, hors de contrôle, et je sentisquelquechoseleretenir,surledosdemamain.
Pourquoiétais-jeincapabled’ouvrirlesyeux?Lapaniquecommençaàs’insinuerenmoi.Pourquoinepouvais-jepas
bouger?Ilyavaitunproblème.Ungrosproblème.Jevoulais justeouvrir les
yeux.Jevoulais…Jet’aime,Lena.—Moiaussi,jet’aime.Les voix résonnèrent dans mon esprit. L’une d’entre elles était la
mienne.Celanefaisaitaucundoute.L’autre…—Elleestentraindeseréveiller.Une voix féminine interrompit mes pensées. Elle me parvenait de
l’autreboutdutunnel.
Desbruitsdepasserapprochèrent.—Jeluiadministredupropofol,ditunhomme.—C’est ladeuxièmefoisqu’elleseréveille, fit remarquer la femme.
C’estunesacréebattante.Samèrevaêtrecontentedel’apprendre.Unebattante? Jene comprenaispasdequoi ilsparlaient.Pourquoi
mamèreaurait-elleétécontentedesavoirque…Jedevraispeut-êtreconduire?Unedoucechaleurserépanditdansmesveinesdepuislabasedemon
crâneet sepropageadans toutes les cellulesdemoncorps.Alors, iln’yeutplusaucunrêve,plusaucunepensée…etplusaucunevoix.
HIER
CHAPITRE1
Jeudi10août
—Toutcequejedis,c’estquetuasfaillicoucheravecça.Une grimace sur le visage, j’observais l’écran du téléphone que
DaryndaJones,Darypourlesintimes,m’avaitmissouslenezàpeinecinqsecondesaprèsêtreentréeauJoanna’s.
Ce restaurant faisait partie du décor du centre-ville de Clearbrookdepuis que j’étais haute comme trois pommes. Il semblait figé dans lepassé, quelque part entre les groupes de rock à cheveux longs et lespremiers succès de Britney Spears. C’était un entre-deux étrange, maisl’endroit était propre et chaleureux, et le cuistot servait presqueexclusivementdelafriture.Deplus,leurthéglacéétaitlemeilleurdetoutl’ÉtatdeVirginie.
—Oh,monDieu,murmurai-je.Qu’est-cequ’ilfabrique,aujuste?—D’aprèstoi?(LesyeuxdeDarys’élargirentderrièreseslunettesà
montureblanche.)Ilestentraindesefrottercontreunebouéeenformededauphin.
Jefislamoue.Effectivement,celayressemblaitbien.Aprèsavoir récupéré son téléphone,Darypencha la tête sur le côté,
commepourm’étudier.—Qu’est-cequit’aprisdesortiraveclui?
—Ilest…Ilétaitmignon,répondis-jesansréelleconviction.(Jejetaiuncoupd’œilderrièremoi.Heureusement,personnenepouvaitentendrenotreconversation.)Detoutefaçon,onn’apascouchéensemble.
Ellelevasesyeuxmarronfoncéauciel.—Taboucheétaitsurlasienneetsesmains…—OK,j’aicompris.(Jelevailesmainspourl’empêcherdecontinuer.)
SortiravecCodyétaituneerreur.Crois-moi,jelesais.J’essaied’effacercemomentdemamémoireettunem’aidespasvraimentàlefaire.
Darysepenchapar-dessuslecomptoirderrièrelequeljemetenais.—Jetelerappelleraitoutetavie,murmura-t-elle.(Quandjefronçai
les sourcils, elle sourit.) En même temps, je comprends. Il a plus demusclesqueMonsieurMuscle.Ilestcon,maisilestmarrantet…
Ellemarquaunepausecommepourfairedurerlesuspense.Dary adorait être le centre de l’attention. Elle portait souvent des
vêtementsvoyants,et sescheveuxétaientcoupés trèscourt, raséssur lecôté, bouclés sur le dessus. En ce moment, ils étaient noirs. Le moisdernier, elle les avait teints en bleu lavande. Dans deux mois,elles’essaieraitprobablementaurose.
—Etc’estlepotedeSebastian.Jesentismonestomacsenouer.—Çan’arienàvoiraveclui.—Oui,oui.—Tuasvraimentdelachancequejet’aimebien,rétorquai-je.—N’importequoi.Tum’adores.(Elletapalecomptoirduplatdela
main.)Tutravaillesceweek-end,non?— Oui, pourquoi ? Je croyais que tu allais à Washington avec ta
famille?Ellesoupira.—Siseulementcen’étaitqueleweek-end!Onparttoutelasemaine.
Demain.Mamère est à fond. Je ne serais pas étonnée qu’elle nous aitpréparéunplanningavec lesmuséesqu’elleveutvisiter, le tempsqu’onpeutyresteretdesheuresprécisespourdéjeuneretdîner.
Je réprimaiun sourire. Samère était la reinede l’organisation.Elleavaitmêmecréédesboîtesderangementétiquetéespourlesgantsetlesécharpes.
—C’estcool,lesmusées.—Pourtoi,peut-être.Tuesuneintello.—Jenevaispasdirelecontraire.C’estvrai.Je n’avais aucune honte à l’admettre. Je voulais étudier
l’anthropologie à la fac. La plupart des gens ne comprenaient paspourquoi je choisissais un diplôme qui, pour eux, était inutile,mais envérité,lesdébouchésétaientmultiples:policescientifique,secteurprivé,enseignement,etbienplusencore.Demoncôté, j’auraisvoulutravaillerdanslesmusées.Alors,j’auraisadorémerendreàWashington.
—Ouais.Ouais. (Darydescenditdu tabouretenplastique rouge.) Ilfaut que j’y retourne avant quemamère pète un câble. Si j’arrive cinqminutesaprèslecouvre-feu,ellerisqued’appeler lesflicsetdeleurdirequejemesuisfaitenlever.
Jeluisouris.—Envoie-moiunmessagetoutàl’heure,OK?—D’accord.Après l’avoir saluée de la main, j’attrapai un linge humide pour
nettoyer le comptoir. Dans la cuisine, les casseroles s’entrechoquaient,signequ’onallaitbientôtfermerpourlanuit.
J’avais hâte de rentrer chez moi pour pouvoir me doucher et medébarrasserdel’odeurdepouletgrilléetdesoupeàlatomatebrûléequimecollaità lapeau.Jerêvaiségalementdepouvoir terminerde lire lesaventures de Feyre à la cour Fae.Après, je commencerais une romancecontemporainequej’avaisvuepassersurungroupeFacebookconsacréàla lecture auquel je jetais un œil de temps en temps. Cela parlait defamilleroyaleetdefrèressexy.Cinq,autotal.
C’étaittoutàfaitmongenre.LamoitiédemonsalairedeserveuseauJoanna’spassait sansdoute
dans les livresau lieudegonflermon livretd’épargne,maisc’étaitplus
fortquemoi.Aprèsavoirnettoyélecomptoirautourdesdistributeursdeserviettes
en papier, je relevai la tête et soufflai sur unemèche brune qui s’étaitéchappéedemonchignonpourlafairevoler.Aumêmemoment,laclochedelaportetintaetquelqu’unentra.
Lasurprisemefitlâchermalavetteauparfumdecitron.Àcetinstant,unsimplecourantd’airauraitpumefairetomberàlarenverse.
Engénéral, lesseulsmomentsoùlesmoinsdesoixanteansvenaientauJoanna’sétaientlevendredisoiraprèslesmatchsdefootballaméricainetparfoislesamedisoir,pendantl’été.Jamais,entoutcas,lejeudi.
Le Joanna’s faisait son chiffre d’affaires grâce aux retraités du coin.C’était d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles j’avais accepté d’ytravaillerl’étéprécédent.Leboulotétaitsimpleetj’avaisbesoind’argent.
Alors,voirSkylarWelchentrerdanslerestaurantdixminutesavantlafermeture était un peu un choc. Elle ne venait jamais ici toute seule.Jamais.
À l’extérieur, les phares brillants d’une voitureperçaient l’obscurité.ElleavaitlaissétournerlemoteurdesaBMW.J’étaisprêteàparierquelavoitureétaitpleinedenanastoutaussijoliesqu’elle.
Maispasaussigentilles.Depuistrès longtemps, jecrevaisdejalousieparrapportàSkylar.Le
problème, c’était qu’elle était vraiment adorable. Alors, la détester étaitquasimentuncrimecontrel’humanité.C’étaitcommedétester leschiotsetlesarcs-en-ciel.
Elleavançad’unpashésitant.Onauraitditqu’elleavaitpeurquelelinoléumnoiretblancs’ouvresoussespiedsetladévoretoutentière.Ellerecoiffasescheveuxchâtainclairauxpointesblondesderrièresonoreille.Malgrélalumièrepeuflatteusedesnéons,sonbronzageparaissaitparfait.
—Salut,Lena.—Salut.Je me redressai. J’espérais qu’elle ne commanderait rien. Si elle
voulaitmangerquelquechose,Bobbyne seraitpas contentet jedevrais
passercinqlonguesminutesàleconvaincredeseremettreauxfourneaux.—Qu’est-cequisepasse?— Pas grand-chose. (Elle mordit ses lèvres rose bonbon. Une fois
devantlestabouretsenvinylerouge,ellepritunegrandeinspiration.)Tuessurlepointdefermer,non?
Jehochailentementlatête.—Dansdixminutes,environ.— Désolée. Je ne t’embêterai pas longtemps. Je ne comptais pas
m’arrêterici.(Dansmatête, j’ajoutaiun«paspossible»dégoulinantdesarcasme.)Lesfillesetmoi,onallaitaulac.Desmecsontdécidéd’yfairela fête. Et on est passées devant le resto, expliqua-t-elle. Alors, ça m’adonnél’idéedevenirvoirsi…situsavaisquandrentraitSebastian.
Évidemment.Je serrai lesdents. J’auraisdûmedouterà l’instantoùSkylar avait
franchi lesportesqu’elleétaitvenuemeparlerdeSebastian.Aprèstout,qu’aurait-ellepumevouloird’autre?Elleétaitdoucecommeunagneau,maisaulycée,nousn’évoluionspasdanslesmêmescercles.Lamoitiédutemps,j’étaisinvisibleàsesyeuxetàceuxdesesamis.
Cequim’allaittrèsbien.—Aucuneidée.C’était un mensonge. Sebastian était censé rentrer de Caroline du
Nordlesamedimatinsuivant.Sesparentsetluiétaientallésrendrevisiteàsescousinspourl’été.
Une sensation particulière me serra la poitrine : un mélange demanqueetdepanique.Deuxémotionsquej’associaissouventàSebastian.
—Ahoui?Savoixs’étaitfaitesurprise.Jefisdemonmieuxpourgarderuneexpressionneutre.—Jesupposequ’ilseraderetourceweek-end.Enfin,peut-être.—Oui,sansdoute.(Ellebaissalesyeuxverslecomptoirettriturale
bas de son débardeur noir moulant.) Il ne m’a pas… Je n’ai pas denouvellesdelui.Jel’aiappeléetjeluiaienvoyédesmessages,mais…
Jem’essuyailesmainssurmonshort.Quevoulait-ellequejeluidise?Cetteconversationétaitatrocementgênante.J’auraisvoulufairemagarceet lui faire remarquer que si Sebastian voulait lui parler, il lui auraitrépondu,maiscen’étaitpasmonstyle.
J’étaislegenredepersonnesàimaginerdesrepartiestellesquecelles-cisansjamaislesprononceràvoixhaute.
—Ilestsûrementtrèsoccupé,luidis-jeauboutducompte.Sonpèrevoulaitqu’ilprofiteduvoyagepourvisiteruneoudeuxfacs,etçafaitdesannéesqu’iln’aplusvusescousins.
LeklaxondelaBMWretentit.Skylarjetauncoupd’œilderrièreelle.Jehaussai les sourcils et priai pourque lespersonnesprésentesdans lavoiture n’en sortent pas. Les secondes s’écoulèrent. Skylar replaça unemèche de ses cheveux raides comme des baguettes derrière son oreille,puissetournadenouveauversmoi.
—Jepeuxteposeruneautrequestion?—Biensûr.Cen’étaitpascommesijepouvaisluidirenon.J’imaginaisimplement
un trounoir apparaissantdans le restaurant etm’aspirant à travers sonvortex.
Unlégersourireapparutsurseslèvres.—Ilsortavecquelqu’und’autre?Jeladévisageaiuninstantenmedemandantsij’avaisratéunépisode
del’histoiredeSkylaretSebastian.Depuis le jour où elle avait emménagé à Clearbrook, nombre
d’habitants inconnu, Sebastian et elle étaient devenus inséparables.Personnenepouvait luienvouloir.Sebastianétaitbeauà tomberetuncharmeur-né.Ilsavaientcommencéàsortirensembleaucollègeetétaientrestésencouplependanttoutlelycée,devenantleroietlareinedenotrepromo.J’avaiscommencéàm’habitueràl’idéequ’unjourjeseraisinvitéeàleurmariage.
Puisauprintemps…
—C’esttoiquil’asquitté,luirappelai-jeaussigentimentquepossible.Je ne veux pas êtreméchante,mais qu’est-ce que ça peut te faire qu’ilsorteavecquelqu’und’autre?
Skylarenroulaunbrasfinautourdesataille.— Je sais, je sais.Mais il faut que j’en aie le cœur net. Ça ne t’est
jamaisarrivédefaireuneénormeerreur?—Souvent,rétorquai-jesèchement.Lalisteétaitpluslonguequemajambeetmonbrasréunis.— Eh bien, le quitter en était une. Enfin, je crois. (Elle recula du
comptoir.)Bref.Situlevois,tupeuxluidirequejesuispassée?Mêmesijen’enavaispaslamoindreenvie,j’acceptai.Jeleluidirais.
J’étaiscommeça.Pathétique.Skylarmesourit,d’unsourirefrancquimedonnal’impressiond’être
quelqu’undebienouquelquechosedanslegenre.—Merci,medit-elle.Onseverraaulycéedansunesemaine?Saufsi
onsecroised’aborddansunefête?—OK.Jeplaquaiunsouriresurmonvisage,maisj’eusl’impressionqu’ilse
craquelait.Jedevaissansdoutedonnerl’impressiond’êtreàmoitiéfolle.Aprèsm’avoir faitunsignede lamain,Skylarseretournaetavança
vers laporte.Quandelle tendit lamainvers lapoignée, elle se figeaettournalatêteversmoi.Sonexpressionétaitbizarre.
—Ilestaucourant,pourtoi?Les coins de mes lèvres s’affaissèrent. Sebastian connaissait tout ce
qu’ilyavaitàsavoirsurmoi.Jemenaisunevieennuyeuseaupossible.Jepassaisplusdetempsàlirequ’àvoirdumondeetj’étaispassionnéeparlachaîne Histoire et les émissions sur les extra-terrestres au temps desMayas.Jejouaisauvolley,certes,maisonm’avaitacceptéedansl’équipeseulementparce que leniveau était trèsmauvais. En toute franchise, jen’aurais jamais eu l’idéedem’inscrire siMegannem’avait pas forcé la
mainenpremière.Etmaintenant,celameplaisait,mais…j’étaisaussifunqu’unetranchedepainblanc.
Jenecachaisabsolumentaucunsecret.Bon, d’accord, les écureuils me fichaient une peur bleue. C’étaient
juste des rats avec une queue touffue et ils étaientméchants. Personnen’était au courant de cette phobie, parce que j’en avais honte. Mais,quelquepart,jedoutaisqueSkylarveuilleparlerdeça.
—Lena?Savoixmesortitdemespenséesetjeclignailesyeux.—Àproposdequoi?Ellerestasilencieuseunmoment.—Est-cequ’ilsaitquetuesamoureusedelui?Mes yeux s’arrondirent comme des soucoupes. Ma bouche devint
soudaintrèssèche.Jesentismoncœurs’arrêter,puisdégringolerjusqu’àmon estomac. Les muscles de mon dos se crispèrent et mon ventre seserratandisquelapaniquemefrappaitdepleinfouet.Jetâchaiderire.
—Jene…Jenesuispasamoureusedelui.Ilestle…lefrèrequejen’aijamaisvoulu.
Skylarsouritdoucement.—Jeneveuxpasmemêlerdecequinemeregardepas.Quefaisait-elle,alors?—J’aivucomment tu le regardaisà l’époqueoùonétaitensemble.
(Sontonnecharriaitaucunjugement,aucunemoquerie.)Àmoinsquejemetrompe.
—Oui,désolée.Tutetrompes.Jemetrouvaiplutôtconvaincante.D’accord. Ilyavaitbienquelquechosequetout lemonde ignoraità
monsujet.Unevéritécachéequiétaittoutaussihumiliantequemapeurpourlesécureuils,maisquin’avaitrienàvoiravecelle.
Etjevenaisdementirpourengarderlesecret.
CHAPITRE2
J’habitais à environ quinze minutes du centre-ville de Clearbrook,danslequartiervoisindel’écoleélémentaireoùj’avaispassémontempsàrêvasser.Lesruesétaientbordéesdemaisonsdetouteslestailles,petitesougrandes.Mamèreetmoivivionsdansunemaisondetaillemoyennedontmamèrepouvaitàpeinepayerleloyeravecsonsalaired’employéed’assurance.On aurait pu emménager dans un endroit plus petit, étantdonné que Lori était partie à la fac et que j’allais la suivre l’annéesuivante,maisjecroisquemamèren’étaitpasencoreprêteàquittercettemaisonetàlaisserderrièreellelessouvenirsettoutcequiauraitpuêtre.
Il aurait sans doute mieux valu pour nous que nous déménagions,maisnousnel’avionspasfait.Àprésent,ilétaittroptard.
Jem’engageaidansl’allée.LavieilleKiademamèreétaitgaréesurlaroute.Jecoupailemoteuretprisunegrandeboufféeduparfumàlanoixde coco qui embaumait l’habitacle de la Lexus argentée qui avaitappartenuàmonpère.Elleavaitdixans.Mamèren’enavaitpasvoulu.Lorinonplus.Alors,ellem’étaitrevenue.
Cen’étaitpaslaseulechosequej’avaishéritéedemonpère.J’attrapaimonsacsurlesiègepassageretsortisdelavoitureavantde
refermerdoucementlaportièrederrièremoi.Lescriquetschantaientetunchienaboyait,quelquepart,danslaruesilencieuse.Jejetaiuncoupd’œilàlagrandemaisonàcôtédelanôtre.Lesfenêtresétaientplongéesdansle noir. Les branches d’un imposant érable planté dans le jardin sebalançaientsouslevent,faisantcrépiterlesfeuilles.
Dans un an, je ne serais plus là, à regarder la maison des voisinscomme une vraie voyeuse. Je serais à la fac, avec un peu de chance àl’université de Virginie, mon premier choix. Je comptais quand mêmeenvoyermacandidatureà toutes lesautres facspossibleset imaginablesauprintemps,justeaucasoùcelle-cimerecalerait.Cequiétaitsûr,c’estquejeneseraisplusici.
Etc’étaitunebonnechose.Ilfallaitquejequittecetteville,quejelaissecequotidienderrièremoi
etquejemettedeladistanceentrelamaisondesvoisinsetmoi.Détournantleregard,j’avançaisurlechemindalléetentrai.Comme
ma mère était déjà au lit, je tentai d’être la plus discrète possible.J’attrapai un soda dans le frigo et montai à l’étage pour prendre unedoucherapidedanslasalledebainscommune.QuandLoriétaitpartieàla fac, j’aurais pu prendre sa chambre, à l’avant de la maison, quipossédaitsapropresalledebains,maismachambre,àl’arrière,procuraitdavantaged’intimité et avait unbalcon incroyable auquel je refusaisderenoncerpourdenombreusesraisons.
Desraisonssurlesquellesjenesouhaitaispasm’appesantir.Une fois dansma chambre, je posai le soda sur la table de nuit et
laissai tomberma serviette par terre. Je sortis ensuitemon tee-shirt denuit préféré de tous les temps de la commode et l’enfilai. Lorsquej’allumai ma lampe de chevet, une douce lumière inonda la pièce. JeramassailatélécommandedelatéléetmislachaîneHistoireenfond,àfaiblevolume.
Jejetaiuncoupd’œilàlamappemondepleinedegribouillispunaiséeau-dessus demon bureau. Elle indiquait tous les lieux que je rêvais devisiter.Lescerclesrougesetbleusquej’yavaistracésmefirentsourireetjenepusm’empêcherdesaisirlelivrerougeetnoirposésurmonbureau.Celui-ci neme servait d’ailleurs plus qu’à poser des livres.Quand nousavions emménagé ici, mon père avait installé des étagères sur le murcontre lequelétaientdisposéesmacommodeetma télévision,mais celafaisait des années qu’elles étaient pleines à craquer. Depuis, j’empilais
meslivresunpeupartoutdansmachambre:devantmatabledenuit,dechaque côté de ma commode et même dans mon armoire. J’y avaisdavantagedelivresquedevêtements.
J’avais toujours été une grande lectrice. Je lisais énormément.Mongenredeprédilectionétait laromance,avecunepréférencepourlesfinsdecontesde fées.Lori semoquait souventdemoiàce sujet.Elledisaitqueleshistoiresquejelisaisétaienttropniaises.Peuimportait.Aumoins,mes goûts n’étaient pas prétentieux comme les siens. Parfois, j’avaisseulement envie de… je ne sais pas… d’échapper àmon quotidien. Deplonger,têtelapremière,dansunmondecapabledem’ouvrirlesyeuxsurunsujetdesociétébienréeloudansunmondequin’avaitrienàvoiraveclenôtre,avecdes féesenguerreoudesclansdevampires itinérants.Jevoulais faire de nouvelles expériences, tout en sachant que la dernièrepagenemelaisseraitpassurmafaim.
Parceque«ilsvécurentheureuxeteurentbeaucoupd’enfants»,celan’existaitquedanslesromansquejelisais.
Assiseauborddulit,j’étaissurlepointd’ouvrirmonlivrelorsqu’unlégercoupsurlaportedubalconm’enempêcha.L’espaced’uninstant,jemefigeai.Moncœur,lui,semitàbattreàtoutrompre.Puisjemelevaid’unbondetlaissaitomberlelivresurmonlit.
Ilnepouvaits’agirqued’uneseulepersonne:Sebastian.Jedéverrouillai laporteavantde l’ouvrir.Unénorme sourire étirait
mes lèvres,c’étaitplus fortquemoi.Etvisiblement, jenecontrôlaispasmon corps non plus car, sans m’en rendre compte, je m’élançai àl’extérieur,lesbrasgrandsouverts.
Jeme heurtai aussitôt à quelqu’un de beaucoup plus grand et fort.Sebastiangrognatandisquej’enroulaismesbrasautourdesesépaulesetenfouissaismonvisagecontresontorse.Leparfumfraisdelalessivequesamèreutilisaitdepuistoujoursparvintàmesnarines.
Sebastianmeserracontreluisanshésiter.Iln’hésitaitjamais.—Lena.
Sa voix était grave, plus grave que dans mes souvenirs. Étrange. Iln’étaitpourtantpartiqu’unmois.Toutefois,unmoispouvaitparaîtreuneéternitélorsqu’onavaitl’habitudedevoirunepersonnetouslesjours.Onavaitgardécontacttoutl’étégrâceauxSMSetàdeuxoutroiscoupsdefil,maiscen’étaitpaslamêmechose.
Sebastianmesoulevaet jemeretrouvaiun instant lespiedsdans levideavantqu’ilmereposeparterre.Sontorsesesoulevavivementcontrele mien et quand il baissa la tête vers moi, une vague de chaleurm’envahitetserépanditjusqu’auboutdemesorteils.
—Jevoisquejet’aimanqué,dit-ilenenroulantsesdoigtsautourdemescheveuxmouillés.
Oui.Seigneur.Ilm’avaittellementmanqué!Beaucouptrop.—Non.(Sontorseétouffaitmavoix.)Jet’aiprispourlebeaugosse
quej’aiserviaudinercesoir.—N’importequoi.(Jelesentisrirecontrematête.)Jen’ycroispas
uneseconde.—Pourquoi?—Pourdeuxraisons.Lapremière,c’estquejesuisleseulbeaugosse
quifréquenteleJoanna’s,etjen’étaispaslà,répondit-il.—Ehbien!Quellemodestie…— Je ne fais qu’énoncer la vérité. (Son ton était léger, un peu
malicieux.) La deuxième, c’est que si tu avais cru que c’était quelqu’und’autre,tuneseraisplusaccrochéeàmoicommeduVelcro.
Iln’avaitpastort.Jereculaietbaissailesbras.—Laferme.Ilritencoreunefois.J’avaistoujoursaimésespetitsrires.Ilsétaient
contagieux.Peuimportaitquel’onsoitdebonneoudemauvaisehumeur,onnepouvaits’empêcherdesourireenretour.
—Jecroyaisquetunerentraispasavantsamedi,luidis-jeenrentrantdansmachambre.
Sebastianmesuivitàl’intérieur.
—Papa a décidé qu’ondevait être rentrés pour lematch amical dedemainsoir,alorsquejenesuismêmepascenséjouer.Enfin,ils’estdéjàarrangéavecl’entraîneur.Tuleconnais.
LepèredeSebastianétaitlestéréotypedupèreobsédéparlefootballaméricain. Il ne cessait de pousser, pousser et pousser encore son fils àjouer. À tel point que j’avais été choquée d’apprendre que leur petitefamille quittait la ville alors que les entraînements continuaient.Connaissantsonpère,ill’avaitsûrementobligéàselevertouslesmatinsàl’aubepourcouriretrattraperdesballes,histoirequ’ilneperdepaslamain.
— Tamère dort ?me demanda-t-il lorsque je refermai la porte dubalcon.
—Oui.Lorsque je me tournai vers lui, je le regardai vraiment pour la
premièrefoisdepuisqu’ilétaitarrivé. Ilsetenaitdans la lumièredemachambreet,mêmesijenel’auraisjamaisadmisàvoixhaute,j’enperdislefildemapensée.
Sebastian était… Il n’avait pas à faire le moindre effort pour êtrebeau. C’était rare de pouvoir dire ça au sujet d’un mec. Au sujet den’importequi,pourêtrehonnête.
Sescheveuxavaientuneteinteàmi-cheminentrelebrunetlenoir.Ilsétaientcoupéscourtsurlestempesetpluslongsurledessus.Desmèchesrebelles tombaient sur son front et touchaient presque ses sourcils brunfoncé. Ses cils étaient d’une épaisseur qui aurait dû être interdite etourlaient des yeux d’un bleu jean profond. Il avait un visage taillé à laserpe, de hautes pommettes, un nez aquilin et unemâchoire puissante,jolimentdessinée.Unecicatricebarraitlecôtédroitdesalèvresupérieuredontlaforme,aucentre,ressemblaitàuncœur.Cetteblessuredataitdenotrepremièreannéedelycée.Durantunentraînementdefoot,unballonl’avait heurté avec une telle violence que son casque avait été arraché.C’étaient ses épaulières qui étaient remontées vers sa bouche et luiavaientouvertlalèvre.
Çaluiallaitbien.Tandisqu’ilobservaitmachambre,j’étaisincapablededétournerles
yeuxdesonshortdebasket-balletdesontee-shirtblancsansmotif.Aucollège,ilavaitétégrandetdégingandé.Depuis,ilavaitprisdumuscleetrivalisaitaveclesstatuesgrecquesenmarbre.Jesupposequedesannéesdepratiquedufootballavaientceteffetsuruncorps.
Sebastiann’étaitplusseulementlegarçonmignonquihabitaitàcôtédechezmoi.
Celafaisaitdesannéesqu’ilvenaitmevoirdecettefaçon,depuisqu’ilavait compris que c’était bien plus facile que de passer par la ported’entrée.Illuisuffisaitdesortirdechezluipar-derrière,depénétrerdansnotre jardin par un portillon, puis demonter les quelquesmarches quimenaientaubalcon.
Nosparents savaientqu’ilvenaitmerendrevisiteendouce,mais ilsne s’inquiétaient pas. Pour eux, et pour Sebastian, nous avions grandiensemble:nousétionsdonccommeunfrèreetunesœur.
Deplus,ilsnesedoutaientpasquesesvisitesavaientlieulanuit.Celaavaitcommencél’annéedenostreizeans,lesoiraprèsledépartdemonpère.
Jem’adossaiàlaporteetmemordisl’intérieurdelajoue.SebastianHarwellétaitl’undesgarçonslespluspopulairesdulycée.
Rien d’étonnant à cela : il était canon, talentueux, drôle, intelligent,gentil…Personneneluiarrivaitàlacheville.
Ilétaitégalementl’undemesmeilleursamis.Pour des motifs que je ne souhaitais pas développer, quand il se
trouvaitdansmachambre,lapièceparaissaitpluspetite,lelitminuscule,etj’avaisdumalàrespirer.
—C’estquoi,cetrucqueturegardes?medemanda-t-ilàvoixbasseendésignantlatélévision.
Jejetaiuncoupd’œilàl’écran.Unhommeavecdescheveuxbrunsunpeufousagitaitsesmainsdanstouslessens.
—Euh…UnerediffusiondesExtraterrestresdansl’Histoire.
—OK.Jesupposequec’esttoujoursmoinsmorbidequelesémissionssur lesmédecins légistesque tu regardesde tempsen temps.Parfois, jemefaisdusoucipourtoi…(Sebastians’interrompitetsetournaversmoi.Ilpenchalatêtesurlecôté.)C’estmonmaillot,non?
Oh.Oh,monDieu.J’écarquillai les yeux enme rappelant ce que je portais : son vieux
maillotdefoot.Deuxansplustôt, il l’avait laissé icipouruneraisonoupouruneautreetjel’avaisgardé.
Commeunevulgairegroupie.Lerougememontaauxjouesetjesentislachaleurdescendrelelong
demoncorps.Letee-shirtnelaissaitguèreplaceàl’imagination: lecoltombaitsurl’unedemesépaules,jeneportaispasdesoutien-gorgeetjedus me faire violence pour ne pas tirer sur le bas du vêtement pourcouvrirmesjambes.
Il n’y avait aucune raison de paniquer. Sebastian m’avait vue descentainesdefoisenmaillotdebain.C’étaitexactementpareil.
Saufquecelanel’étaitpas.—C’estbienmonmaillot.Jelereconnais.(Sescilsdissimulèrentun
instantsonregardtandisqu’ils’asseyaitsurlelit.)Jemedemandaisoùilétaitpassé.
Jenesavaispasquoidire.Toutàcoup,j’étaispétrifiée,colléeausol.Trouvait-ilétrangequejeportesonmaillotpourdormir?Sic’étaitlecas,jenepouvaispasluienvouloir.
Ilselaissatombersurmonlitavantdeseredressertoutaussitôt.—Aïe!Merde!s’exclama-t-ilensefrottantledos.(Ilseretournaet
ramassa le livre que j’avais posé là plus tôt.)Bon sang.C’est toi qui lisça?
Jefronçailessourcils.—Oui.Çateposeunproblème?— Tu pourrais tuer quelqu’un avec ce truc ! Et après, tu te
retrouveraisdansl’unedecesémissionsd’enquêtequetuadores.Jelevailesyeuxauciel.
—Tuexagèresunpeu.—Situledis.(Iljetalelivreàl’autreboutdulit.)Tuallaisdormir?—J’allaislireavantd’êtregrossièrementinterrompue,plaisantai-je.Jemeforçaiàm’éloignerdelaporteetmerapprocherdelui,allongé
surmonlitcommes’ils’agissaitdusien,surleflanc,latêteposéecontresonpoingfermé.
—Maisquelqu’un,jenedénonceraipersonne,adécidédes’incruster.Seslèvresseretroussèrentencoin.—Tuveuxquejeparte?—Non.—C’estbiencequejepensais.(Iltapotal’espaceàcôtédelui.)Viens
t’asseoiràcôtédemoi.Raconte-moitoutcequej’airaté.Toutenessayantdenepasmecouvrirderidicule,jem’assissurlelit.
Avecce tee-shirt,cen’étaitpas facile.Jen’avaispasenviequ’il serincel’œil.Oupeut-êtrequesi.Maisjedoutaisquecesoitsonintention.
—Tun’aspasratégrand-chose, luidis-jeentournantlatêtevers laportedemachambre.(Heureusement,j’avaispenséàlafermer.)Keithaorganisédeuxoutroissoirées…
— Tu y es allée sansmoi ? (Il posa la main sur sa poitrine.)Monpauvrecœur.J’aimal.
Je lui souris et tendis les jambesdevantmoiavantde les croiserauniveaudeschevilles.
—J’ysuisalléeavec les filles.Pas touteseule.Etmêmesic’était lecas,qu’est-cequeçapeuttefaire?
Sonsourires’élargit.—Est-cequ’ilyenaeuprèsdulac?Jesecouailatête,puistiraisurletee-shirttoutengigotantdesdoigts
depieds.—Non.Seulementchezlui.—Cool.Lorsquejemetournaiverslui,jemerendiscomptequ’ilavaitlesyeux
baissés. Sa main libre était posée sur les draps entre nous. Ses doigts
étaientlongsetfins,etsapeaudoréeparlesoleil.—Qu’est-cequetuasfaitd’autre?Tuessortieavecquelqu’un?J’arrêtai de bouger mes orteils et me tournai de nouveau vers lui.
C’étaitunedrôledequestion.—Pasvraiment.Ilhaussaunsourciletrelevalesyeuxversmoi.Jedécidaidechangerrapidementdesujet.—Aufait,devinequiestpasséauJoanna’scesoirpourprendredes
nouvellesdetoi?—Quin’auraitpasenviedeprendredesnouvellesdemoi?Jeluiadressaiunregarddésabusé.Ileutunsourireespiègle.—Qui?—Skylar.D’aprèselle,ellet’aenvoyédestasdemessages,maistules
astousignorés.—Jenel’ignorepas.(Ilrepoussaenarrièrelescheveuxquitombaient
sursonfront.)Jeneluiaipasrépondu,c’esttout.Jegrimaçai.—Cen’estpaslamêmechose?—Qu’est-cequ’ellevoulait?medemanda-t-ilaulieuderépondre.—Teparler.(Jem’adossaiàlatêtedelitetattrapaiuncoussinpour
le poser sur mes genoux.) Elle m’a dit… Elle m’a demandé de te direqu’elleétaitpassée.
—Ettuasobéicommeunebonnepetitefille.(Ils’interrompitetsonsourires’agrandit.)Pourunefois.
Jepréférainepasrelever.—Elleaaussiditqu’ellen’auraitjamaisdûtequitter.Ilrelevavivementlatête.Toutàcoup,ilétaittrèssérieux.—Elleaditça?Moncœurs’emballa.Ilparaissaitétonné.Maisétait-ceunebonneou
unemauvaisesurprise?Avait-ilencoredessentimentspourelle?—Oui…
L’espaced’uninstant,Sebastiandemeuraimmobile.Puis ilsecoualatête.
—Peuimporte.D’ungestebrusqueetrapide,ilm’arrachalecoussindesgenouxetle
plaçasoussatête.— Fais comme chez toi, marmonnai-je en remontant le maillot sur
monépaule.—C’est ce que je viens de faire. (Ilme sourit.) Tu as unenouvelle
tachederousseur.—Quoi?(Jetournailatêteverslui.Depuistoutepetite,onauraitdit
qu’unebombe rempliede tachesde rousseuravait exploséprèsdemonvisage.)Commenttupeuxsavoirquej’aiunenouvelletachederousseur?Cen’estpaspossible.
—Jelesais,c’esttout.Viensparlà.Jepeuxmêmetemontreroùelleest.
J’hésitai.—Allez,mepressa-t-ilenmefaisantsignedudoigt.Après avoirprisunegrande inspiration, jemepenchai vers lui.Mes
cheveuxtombèrentsurmesépaules.Lesourireauxlèvres,illevalamainversmoi.—Justeici…(Ilpressaleboutdudoigtaumilieudemonmentonet
soudain, l’airmemanqua.Ses cils sebaissèrentun instant.)Ellen’étaitpaslàavant.
Pendant une minute, je fus incapable de bouger. Je restai assise,immobile,reliéeàluiparsondoigtquitouchaitmonmenton.Cecontacttrès légern’auraitpasdûme faireun teleffet,pourtant, je le ressentaisdanstouteslescellulesdemoncorps.
Illaissasamaintomberdenouveauentrenous.Jeprisuneinspirationtremblante.—Tu…Turacontesn’importequoi.—Peut-être,maistum’aimesquandmême,rétorqua-t-il.Oui.
Àlafolie.Plusquetoutaumonde.Pourlerestantdemesjours.J’auraispu continuer ainsi pendant des heures. J’étais amoureuse de Sebastiandepuis…Oh,là,là,depuisque,àseptans,ilétaitvenuseprésenteràmoienm’apportantleserpentnoirqu’ilavaittrouvédanssonjardinenguisede cadeau. J’ignorais pourquoi il s’était mis cette idée en tête, mais ilavait laissé tomber le serpent devantmoi, comme un chat rapporte unoiseaumortàsonmaître.
C’étaituncadeautrèssingulier,letypedecadeauqu’ungarçonfaisaitàunautregarçon…etenquelquesorte,celaavaitscelléladynamiquedenotre relation. J’étaisamoureusede luiàencrever, et lui, ilme traitaitcommeunpote.Celanechangeraitjamais.
—Tuparles,jetesupporteàpeine,luidis-je.Ilroulasur ledosettenditsesmains jointesau-dessusdesatêteen
riant.Sontee-shirtsesouleva,dévoilantsonventreplatetlesmusclesdechaquecôtédeseshanches.J’ignoraiscommentillessculptait.
—Continuedetevoilerlaface,dit-il.Unjour,tufiniraspeut-êtreparycroire.
Ilignoraitquecequ’ildisaitétaitlastrictevérité.Je ne cessais dementir au sujet de Sebastian et demes sentiments
pourlui.Le mensonge était l’une des rares choses que mon père m’avait
apprisesavantsondépart.Chezlui,celaavaitétéunvéritabledon.
CHAPITRE3
Ilétaittroptôtpourcesconneries.Debout, à côté deMegan, j’espéraisme fondre dans le décor etme
faire oublier. Cela me permettrait de m’allonger et de faire la sieste.Sebastianétaitpartià3heuresdumatinetj’étaisbientropcrevéepourfairelemoindreeffortphysique.
Notre entraîneur, M. Rogers, aussi connu sous le nom de sergentRogers ou lieutenantConnarddepremière classe, avait les bras croisés.Sonexpression,commed’habitude,étaitrenfrognée.Jenel’avaisjamaisvu sourire. Pasmême lorsque l’on avait passé les éliminatoires l’annéeprécédente.
En dehors du lycée, il faisait partie du corps d’entraînement desofficiersderéserve.Parfois,j’avaisl’impressionqu’ilnousconfondaitaveceux.Etaujourd’huineseraitpasdifférent.
—Auxgradins!ordonna-t-il.Dixséries.Avec un soupir, je resserraima queue-de-cheval.Megan se retourna
vivementversmoi.— Celle qui finit en dernier offre un smoothie à la gagnante après
l’entraînement.Jegrimaçai.—Cen’estpasjuste.Tugagnestoujours.—Jesais.Ellegloussaavantdes’élancerverslesgradinsdugymnase.
Je remontai mon short et me résignai à mourir d’épuisement entredeuxmarches.
L’équipe bondit sur les travées enmétal. Le claquementdes basketsrésonna dans le gymnase à mesure que nous escaladions les gradins.Arrivéeausommet,jetapaicontrelemurcommenousétionscenséeslefaire.Si l’onoubliait, il fallait tout recommencer.Endescente, jegardailesyeuxrivéssur lesrangsdevantmoipendantquemesgenouxetmesbras faisaient tout le travail.Dès le cinquième tour, lesmuscles demesjambessemirentàmebrûlerviolemment.Mespoumonsaussi.
Jefaillismourir.Plusd’unefois.Àlafin,c’estavecdesjambesencompotequejerejoignisMegansur
leterrain.— Je prendrais un smoothie banane fraise, dit-elle, le visage rouge.
Merci.— La ferme,marmonnai-je en haletant. (Je jetai un coup d’œil aux
gradins. Aumoins, je n’étais pas la dernière. Je reportaimon attentionverselle.)J’aienviedeMcDo.
Meganricanaetremontasonshort.—Çanem’étonnepas.—Hé,aumoins,moi,jemangedesprotéines!luifis-jeremarquer.J’auraissansdouteétébeaucoupplusmuscléesiaprèsl’entraînement,
jem’étaiscontentéed’unsmoothie,commeelle,au lieuduMcMuffinetdelagalettedepommedeterrequejecomptaisdévorer.
Elleplissalenez.—Jenesuispascertainequeçacompte.—Nedispasça,c’estunsacrilège.— Tu es sûre d’avoir bien compris la signification de ce mot ?
rétorqua-t-elle.—Tuessûredenepasvouloirtelafermer?Meganritàgorgedéployée.Parfois,jemedemandaispourquoinous
étions si proches. Nous n’avions absolument rien en commun. La seule
chose qu’elle lisait, c’était les conseils de drague de Cosmo et leshoroscopeshebdomadairesdesmagazinesdesamèrequitraînaientchezelle. Moi, je lisais tous les livres qui me tombaient sous la main. Jecomptaisfaireunempruntpourcontinuermesétudes.Megan,elle,avaitdéjà obtenu une bourse d’études prestigieuse.Megan nemangeait chezMcDonald’sque lorsqu’ellebuvait, cequiétaitassez rare.Moi, j’yallaistellement souvent que j’appelais l’employée qui s’occupait du drive parsonprénom.
Elles’appelaitLinda.Meganétaitplusextravertiequemoi,ellenerechignaitpasàtenterde
nouvelles expériences alors que j’étais du genre à peser le pour et lecontreavantdeme lanceret,dans lagrandemajoritédescas, c’était lecontrequil’emportait.Meganparaissaitbeaucoupplusjeunequesesdix-septans.Elleressemblaitsouventàunchatonhyperactifquigrimpeàdesrideaux. Elle était toujours en train de faire le clown. Toutefois, cettedésinvolturen’était qu’uneapparence.Elle avait lesmeilleuresnotes enmaths sans le moindre effort. Vue de l’extérieur, elle ne semblait rienprendreausérieux,maisenréalité,elleétaitaussibrillantequepétillante.
Nous avions l’intention, ou du moins projetions, d’entrer toutes lesdeux à l’université de Virginie, où nous serions colocataires. Notre butdans la vie était de rendre celle de Dary impossible, avec tout notreamour,pourlerestantdenosjours.
Finalement, j’allais prendre deux galettes de pomme de terre et lesmangerdevantelle.Jeladépassaietmedirigeaiversnotrecapitainequiattendaitquel’onserassemble.
L’entraînementétaitéreintant.Étant donné que nous étions vendredi et que la saison n’avait pas
encore commencé, on ne faisait que des exercices de renforcement :fentes,squats,sprints,sauts…Chaquefois,c’étaitlamêmechose.J’avaisl’impressiond’être laplusnulle.À la finde laséance, jesentaisàpeinemes jambes et je transpirais à des endroits auxquels je préférais ne paspenser.
— Les terminales, j’ai à vous parler. Restez ici quelques minutes,annonçaRogers.Lesautres,vouspouvezpartir.
Megan m’adressa un regard surpris tandis qu’on approchait de luid’un pas traînant. Mon ventre me faisait mal à cause des abdos qu’onavait faits. Jeme fis violence pour ne pasme plier en deux et pleurercommeunbébéquifaitsesdents.
—Notrepremiermatchdel’annéeauralieudansdeuxsemaines.Ceseraégalementledébutd’unnouveauchampionnat.J’aimeraism’assurerque vous avez conscience de l’enjeu que cela représente pour vous.(L’entraîneur redressa sa casquette et baissa légèrement la visière.) Cen’est pas seulement votre dernière année. C’est le moment où leschasseursdetalentsviendrontassisterauxmatchspourvousrepérer.Denombreuses universités de Virginie et des États voisins cherchent denouveauxjoueurs.
Leslèvrespincées,jecroisailesbrassanslesserrer.Uneboursepourjouerauvolleym’auraitbienarrangée.Enfait, j’enrêvaisetjecomptaistenterma chance,mais certaines filles étaient bienmeilleures quemoi,Meganycompris.
Leschancespourquel’onseretrouvetouteslesdeuxàl’universitédeVirginieétaientminces.
— Je ne le répéterai jamais assez : cette saison, votre jeu doit êtreirréprochable, continua l’entraîneur d’une voix monotone. (Son regardsombres’attardasurmoi,commepourmedirequ’ilavaitremarquéquej’étaisnulleensprint.)Vousn’aurezpasdesecondechance.Vousdevrezéblouir lesrecruteurscoûtequecoûte.L’annéeprochaine,vousneserezpluslà.
LesyeuxdeMegantrouvèrentlesmiensetellehaussalégèrementlessourcils.J’étaisd’accord:ilenfaisaitdestonnes.
L’entraîneur continua de bavasser au sujet des meilleurs choix quel’on pouvait faire dans la vie ou un truc dans le genre avant de nouscongédier. Libredepartir, notrepetit groupe sedirigea vers les sacsdegymbordeauxetblancrestants.
Alorsqu’elleattrapaitsabouteilled’eauposéesursonsac,Meganmedonnauncoupd’épaule.
—Tuétaisunpeunulle,aujourd’hui.—Merci, répondis-jeenépongeant lasueurquidégoulinaitsurmon
frontdureversdemamain.Çamerassuredetel’entendredire.Elle sourit contre le goulot de sa bouteille. Avant qu’elle ait eu le
tempsdedirequoiquecesoit,l’entraîneurcriamonnom.—Oh,merde,murmuraMegan,lesyeuxécarquillés.Ravalant un grognement, je me retournai et me dirigeai au pas de
courseverslefiletdevantlequelnoussautionssisouventetprèsduquelse trouvaitM.Rogers.Quand l’entraîneur utilisait nos nomsde famille,c’étaitunpeucommequandnosmèresutilisaientnosnomsenentier.
LabarbeparfaitementtailléedeM.Rogerscontenaitplusdeselquedepoivre,maisc’étaitunhommeautopdesaforme,très intimidant. Ilétait capable de gravir les gradins en courant deux fois plus vite queMegan, et vu sa tête, cela nem’aurait pas étonnée qu’ilm’ordonne derecommencerdixfois.Sic’étaitlecas,jen’ysurvivraispas.
—Jet’aiobservéeaujourd’hui,dit-il.Oh,non.—Tun’avaispasl’airtrèsconcentrée.(Quandilcroisalesbras,jesus
que je n’allais pas m’en sortir facilement.) Tu travailles toujours auJoanna’s?
Jemecrispai.Nousavionsdéjàeucetteconversation.—J’aifaitlafermeture,hiersoir.—Ceci explique cela.Tu saisque jen’aimepasque tu travailles en
plusdesentraînements.Ça, pour le savoir…Rogers pensait que les sportifs ne devaient pas
travailler,parcequeletravailétaitunedistraction.—Cen’estquepourl’été.C’était un mensonge. Je comptais continuer de travailler les week-
ends pendant l’année scolaire, histoire de financermes repas auMcDo,maisça,iln’avaitpasàlesavoir.
—Jesuisdésoléepouraujourd’hui.Jesuisunpeufatiguée,c’esttout.— Très fatiguée, je dirais, me coupa-t-il avec un soupir. Tu as dû
redoublerd’effortspourterminertouslesexercices.Jesupposaisquejen’allaispasrecevoirunbonpointpourcela.Ilrelevalementonetmeregardadehaut.Rogersnenousménageait
paspendant lesentraînementset lesmatchs,mais je l’aimaisbien. Il sesouciaitdeses joueurs. Ilnefaisaitpassemblant.L’annéeprécédente, ilavaitorganiséuneventedecharitéauprofitd’unefamillequiavaittoutperdudansl’incendiedesamaison.Jesavaiségalementqu’ilétaitcontrela cruauté envers les animaux car je l’avais vu avec un tee-shirt PETA.Pourtant,àcetinstantprécis,jeneleportaispasdansmoncœur.
—Écoute, reprit-il. Je sais que les temps sont durs pour ta famille,surtoutaprèscequetonpère…aprèstoutecettehistoire.
Jeserrailesdentstellementfortquemamâchoiremefitsouffrir,maismonexpression,elle, restaneutre.Tout lemondeétaitaucourantpourmonpère.C’étaitl’inconvénientdevivredansunepetiteville.
—Etj’aiconsciencequetamèreettoiavezbesoindecetargent,maistu dois penser à l’avenir. Entraîne-toi sérieusement, consacre plus detempsausportet ton jeus’amélioreraenunriendetemps.Tupourraismême taper dans l’œil d’un recruteur, dit-il. Alors, tu obtiendrais unebourseettun’auraispasàfairedeprêt.Concentre-toisurça:tonfutur.
Mêmesijesavaisqu’ilavaitdebonnesintentions,j’avaisenviedeluidirequemon futuret cequemamèreetmoi faisionsne le regardaientpas.Mais jenedis rien. Jeme contentaidemedandinerd’unpied surl’autre et d’imaginer les galettes de pomme de terre bien grasses quej’allaisdévorer.
Oh,avecduketchup,ceseraitdélicieux!—Tuasdutalent.Jeclignailesyeux.—Vraiment?Sonexpressions’adoucitetilposalamainsurmonépaule.
—Jepensevraimentquetupeuxdécrocherunebourse.(Ilserramonépaule.)Maisil fautqueturegardesenavantetquetutravailles.Alors,riennepourrat’arrêter.Tucomprends?
— Oui. (Je jetai un coup d’œil vers Megan, qui m’attendait.) Unebourseserait…çam’aideraitbeaucoup.
Énormément,même.Ceseraitbiendenepaspasserdixans,voireplus,àmetuerautravail
pourme tirer de l’enfer des prêts contre lequel onm’avait tant de foismiseengarde.
—Çane tient qu’à toi, Lena. (Rogers baissa samain.) La seule quit’empêched’avancer,c’esttoi.
— Je me moque de ce que tu penses. Chloé était la meilleuredanseuse!s’écriaMegan,perchéesurleborddemonlit.
Je m’attendais presque à ce que ses cheveux se transforment enserpents et arrachent les yeux à tous ceux qui ne partageaient pas sonavis.
Bon,d’accord,jelisaispeut-êtreunpeutropdefantasy.— Je crois qu’on ne peut plus être amies ! ajouta-t-elle avec
conviction.—Cen’estpasunequestiondequidansemieuxquequi.Jesuisàpeu
prèssûrequetuladéfendsparcequ’elleestblonde,commetoi,intervintAbbi qui était allongée à plat ventre surmon lit. (Ses cheveux noirs etfriséspartaientdanstouslessens.)Detoutefaçon,jesuisTeamNia.
Meganfronçalessourcilsetlevalesmainsauciel.—N’importequoi.Monportablesonnasurmonbureau.Quandjevisdequiils’agissait,
jelaissailerépondeursemettreenmarchesansyréfléchiràdeuxfois.Pasaujourd’hui,Satan.— Il faut vraiment que vous arrêtiezde regarder les rediffusionsde
DanceMoms.
Je reportaimon attention surmon armoire, dans laquelle j’étais entraindechercherunshortquejeporteraispourtravailler.Réprimantunbâillement,jeregrettaidenepasavoirfaitdesieste.Meganétaitrentréeavec moi après l’entraînement et maintenant, il ne me restait qu’uneheureavantderessortir.
—Tuasl’aircassée,ditsoudainAbbi.(Ilmefallutunmomentpourcomprendrequ’ellemeparlait.)Tun’aspasdormi,hiersoir?
— Merci, c’est super sympa, rétorquai-je en fronçant les sourcils.Sebastianestrentré.Ilestpassémevoiretilestrestétard.
—Oooh,Sebastian!minaudaMeganentapantdanssesmains.Est-cequ’ilt’atenueéveilléetoutelanuit?Parcequedanscecas-là,jet’enveuxde ne pas l’avoir dit plus tôt. Oh, et je veux les détails aussi. Tous lesdétailslespluscroustillants!
Abbiricana.—Jedoutesérieusementqu’ilyaitlemoindredétailcroustillant.—Jenesaispascommentjedoisleprendre,intervins-je.—Jenevousvoispasensemble,c’esttout,réponditAbbienhaussant
lesépaules.—Jenesaispascommenttufaispourpasserautantdetempsaveclui
sansavoirenviedeluisauterdessuscommeunechienneenchaleur,ditMegand’unairpensif.Moi,jeseraisincapabledemecontrôler.
Jerejetailatêteenarrière.—Mercipour l’image. (J’avaisvraimentdesamiesbizarres.Surtout
Megan.)Tunet’étaispasremiseavecPhillip?—Euh,plusoumoins?Jenesaispas.Onenparle.(Megangloussa.)
Mais, même si j’étais en couple avec lui, ça ne m’empêcherait pasd’admirerlemagnifiquespécimenqu’esttonvoisin.
—Fais-toiplaisir,marmonnai-je.—Vousavezdéjà remarquéque lesgenscanon traînentensemble?
RegardezlespotesdeSebastian:Keith,Cody,Phillip.Ilssonttropbeaux.C’est pareil pourSkylar et ses amies.Ondirait des oiseauxquimigrentverslesudenhiver.
—Qu’est-cequ’elleraconte?murmuraAbbi.— Bref, je n’ai pas honte d’avoir des pensées impures à l’égard de
Sebastian.Tout lemondeenpincepour lui,continuaMegan.J’enpincepourlui.Abbienpincepourlui…
—Quoi?s’écriaAbbi.Jen’enpincepaspourlui.—Oh,pardon.C’estvrai:c’estKeithquitefaitdel’effet.Jetournailégèrementlatêtepourvoirlaréactiond’Abbietjenefus
pasdéçue.AbbiseredressasursescoudesetsetournaversMegan.Siunregard
pouvaittuer,lafamilleentièredeMeganseraitmortesur-le-champ.— Je pense sérieusement à te frapper, et comme tu pèses dix kilos
toutemouillée,jerisquedetecasserendeuxcommeunKitKat.Tout sourire, je retournai à mon armoire et me laissai tomber à
genoux pour fouiller parmi mes livres et mes jeans au fond de monplacardétroit.
—Keithestmignon,Abbi.—Ouais, j’aidesyeux,maisc’est leDonJuandu lycée. Ilacouché
avectouteslesfilles,nousfit-elleremarquer.—Pasmoi,ditMegan.— Moi non plus. (Après avoir trouvé mon short en jean, je me
relevai.)EtKeithessaiedesortiravectoidepuisquetuasdesseins,jetesignale.
—C’est-à-diredepuislafindelaprimaire.(Meganritenrecevantuncoussindelapartd’Abbi.)Quoi?C’estvrai!
Abbisecoualatête.—Vousêtesdingues.Çam’étonneraitqueKeithaimeautrechoseque
desnanasblanchescommevosculs.Je gloussai et me laissai tomber sur mon fauteuil. Le dossier tapa
contrelebureauetfitchancelerlespilesdelivresquej’yavaisposées.—JesuisquasicertainequeKeithn’estpasregardantsurlacouleur
de peau, la taille et les formes des filles avec qui il sort, dis-je en me
penchantpourramasserlesstylosetlessurligneursquiétaienttombésdubureau.
Abbisouffla.—Situledis.Detoutefaçon,ilesthorsdequestionqu’ondiscutede
manon-attirancepourKeith.JemetournaiversAbbi.— Tu sais quoi ? Skylar est passée au Joanna’s hier soir pour me
demander si Sebastian savait que j’étais amoureuse de lui. (Je laissaiéchapperunrirefaussementdétendu.)C’estdingue,non?
Les yeux bleus de Megan s’arrondirent comme des planètes. PascommePluton…plutôtJupiter.
—Quoi?L’attentiond’Abbiétaitégalementrivéesurmoi.—Onveutdesdétails,Lena.Jeleurracontaitoutcequis’étaitpasséhiersoiravecSkylar.—C’étaittrèsbizarre.—Bon, il est clair qu’elle aimerait se remettre avec lui. (Abbi avait
l’air pensif.) Mais pourquoi est-ce qu’elle t’a posé cette question ? Etmêmesic’étaitvrai,pourquoiest-cequetul’auraisadmisdevantelle,sonex?
—Jemesuisfaitlamêmeréflexion!m’exclamai-jeenfaisanttournerlentementlachaisesurlaquellej’étaisassise.J’aisouventtraînéavecelleàcausedeSebastian,maisonn’ajamaisétéamies.Jeneluiraconteraispasmessecrets.
Abbipenchalatêtesurlecôté,commesiellevoulaitmedirequelquechose,maisdemeurasilencieuse.
—Oh,j’aifaillioublier!s’écriaMeganenposantlespiedsparterre.(Elleétaitdéjàpasséeàautrechoseetsonvisageenformedecœurétaittout rouge.) J’ai entendu dire que Cody et Jessica s’étaient remisensemble.
—Çanem’étonnepas.
Cody Reece était le quarterback vedette du lycée. Sebastian, lui, lehalfback. Leur amitié coulait donc de source. Jessica, en revanche…Disonsqu’ellen’étaitpaslananalaplussympaquejeconnaissais.
— Cody n’est pas sorti avec toi à la soirée de Keith, en juillet ?demandaAbbienroulantsurledos.
Jeluiadressaiunregardassassin,digned’unlaserdel’Étoilenoire.—J’avaisoublié.Mercidemel’avoirrappelé.—Derien!dit-elled’unevoixenjouée.— Je me souviens de cette soirée ! Cody était torché. (Megan
entortilla ses cheveux autour de son doigt. Elle adorait faire ça depuisqu’on était gamines.) Il ne se rappelle sans doute pas t’avoir draguée,maisilvaudraitmieuxpourtoiqueJessicanel’apprennejamais.Elleestsuperjalouse.Elleferaitdetonannéedeterminaleunenfer.
Je ne m’inquiétais pas beaucoup pour Jessica. Pourquoi m’envoudrait-elle?Codym’avaitdraguéealorsqu’ilsn’étaientplusensembleàcemoment-là.Cen’étaitpaslogique.
Meganjuraetserelevad’unbond.—J’étaiscenséerejoindremamèreilyadixminutes.Onvafairedu
shoppingpour larentrée.Ellevaencoreessayerdem’habillercommesij’avaiscinqans.(Elleattrapasonsacàmainetsonsacdegym.)Aufait,onestvendredi.Necroispasquej’aioubliélesbonneshabitudes.
Jesoupirai.C’étaitrepartipouruntour…—Ilesttempsquetutetrouvesuncopain.Àcestade,n’importequi
feral’affaire.Unvraimec,jeveuxdire.Pasunhérosdebouquin.Ellesedirigeaverslaportedemachambrependantquejelevaisles
brasenl’air.—Pourquoiest-cequetufaisunefixationsurmavieamoureuse?—«Pourquoiest-cequetufaisunefixationsurmoi?»singeaAbbi.Jeneluiprêtaipaslamoindreattention.—J’aidéjàeuuncopain,jeterappelle!—Oui.(Ellerelevalementon.)Eu.Tun’enasplus.—Abbin’apasdecopainnonplus,fis-jeremarquer.
— On n’est pas en train de parler d’elle. De toute façon, je saispourquoi tu ne t’intéresses à personne. (Elle tapota sa tempe.) Je saistout!
—Oh,monDieu.Jesecouailatête.—Écoutemesconseils.Visunpeu.Situnelefaispas,tuteréveilleras
à trente ans, célibataire, entouréede chats, avec du thon en boîte pourdîner et tu le regretteras. Ce ne seramêmepas du bon thon,mais unemarque bas de gamme où ça baigne dans l’huile. Tout ça parce que tupassestontempsàlirealorsquetupourraissortiretrencontrer lefuturpèredetesenfants.
—Tuexagèresunpetitpeu,murmurai-jeenlaregardantencoin.Etqu’est-ce que tu as contre le thon à l’huile ? (Je jetai un coup d’œil àAbbi.)C’estbienmeilleurquelorsqu’iltrempedansl’eau.
—Jesuisd’accord,acquiesça-t-elle.—Etçanem’intéressepasderencontrerlefuturpèredemesenfants,
ajoutai-je.Jenesuismêmepassûred’envouloir.Jen’aiquedix-septansetlesgaminsmefontpeur.
—Tumedéçois, repritMegan.Mais je t’aimequandmême. Je suisuneamieformidable.
—Qu’est-cequejeferaissanstoi?Jefistournermachaise.—Tuseraisunenanasupercommune,réponditMeganavecungrand
sourire.Jeposailamainsurmoncœur.—Aïe!— Je dois y aller. (Elle nous fit signe de la main.) Je t’envoie un
messagetoutàl’heure.Alors, elle se cabra, littéralement, la tête en arrière et lesmains en
l’aircommeuncheval,ets’élançahorsdelapièce.—C’estsûrqu’elle,ellen’estpascommune,soufflaAbbiensecouant
latête,lesyeuxrivéssurlaporte.
—Jenecomprendraijamaissafascinationpourmoncélibat.(JemetournaiversAbbi.)Jamais.
—Quisait,avecelle?(Ellemarquaunepause.)Sinon…Jecroisquemamèretrompemonpère.
Jelaregardai,bouchebée.—Quoi?Abbiselevaetposalesmainssurseshanches.—Tum’astrèsbienentendue.L’espace d’un instant, je ne sus pas quoi dire. Ilme fallut quelques
secondespourréussiràreprendrelecontrôledemeslèvres.—Qu’est-cequitefaitdireça?—Tuterappellesquandjet’aiditquemesparentssedisputaientde
plusenplussouvent?(Elle sedirigeavers la fenêtrequidonnait sur lejardin de derrière.) Ils essaient de ne pas parler trop fort pour ne pasqu’onlesentende,maisilssontdeplusenplusvirulents.Kobecommenceàenfairedescauchemars.
Lepetitfrèred’Abbin’avaitquecinqousixans.Celadevaitêtredurpourlui.
—Jecroisqu’ilssedisputentparcequemamèrerentretrèstardencemomentet…quesesraisonsnesontpastrèsclaires.Etquandjedistard,jen’exagèrepas,Lena.Tuasdéjàentendudes infirmièrespasser toutesleursnuitsàl’hôpital?Monpèreeststupideouquoi?(Ellesedétournadelafenêtreetvints’asseoirauborddulit.)J’étaisencoredeboutquandelle est rentrée mercredi soir, quatre heures après la fin de sa journéehabituelle. On n’aurait pas dit qu’elle venait du travail. Ses cheveuxétaientenbatailleet sesvêtementsétaient froissés commesi elle s’étaitrouléedanslelitdequelqu’unavantderentrer.
Mapoitrineseserra.—Elleavaitpeut-êtrepasséunedurejournée?Abbim’adressaunregardagacé.—Ellesentaitleparfumpourhommeetpasceluidemonpère.
—Oh,cen’estpas…rassurant.(Jemepenchaienavant.)Tu luiasditquelquechose,quandtul’asvue?
—C’estçaaussiquiestbizarre.Elleavaitl’aircoupable.Ellenem’apasregardéedanslesyeux.Elles’estdépêchéedesortirdelacuisine,etlapremière chose qu’elle a faite, une fois à l’étage, c’est prendre unedouche. Elle prend toujours une douche en rentrant, mais quand tuprendsencomptetouslesdétails…
—Mince.Jenesaispasquoidire,admis-jeenjouantavecmonshort.Tucomptesleurenparler?
—Qu’est-ceque jepourraisbiendire? «Au fait,Papa, je croisqueMamantefaitcocu.Tudevraisfaireattention.»?Çam’étonneraitqueleschosestournentbien.Etpuisonnesaitjamais.Ilyaencoreunechanceinfimepourquej’aietort.
Jegrimaçai.—Tuasraison.Ellefrottasesmainssursescuisses.— Je ne sais pas ce qui s’est passé entre eux. Ils étaient heureux
jusqu’àunanenarrièreetaprès,c’estpartiencacahuète.(Recoiffantsescheveux en arrière, elle secoua la tête.) Il fallait juste que j’en parle àquelqu’un.
Jerapprochaimachaised’elle.—Jecomprends.Unlégersourireétiraseslèvres.—Onpeutchangerdesujet,maintenant?Jepréfèrenepasypenser
plusdecinqminutesàlafois.—Biensûr.(Jecomprenaismieuxquequiconque.)Commetuveux.Elle prit une grande inspiration, comme pour chasser les bribes de
notreconversation.—Alorscommeça…Sebastianestrentréplustôt?Ce n’était pas forcémentmon sujet de conversation de prédilection,
maissiAbbivoulaitm’utilisercommedistraction,jepouvaismeprêterau
jeu. Je haussai les épaules et laissai ma tête retomber en arrière. Monidiotdecœur,lui,fitunbonddansmapoitrine.
—Çat’afaitplaisirdelevoir?medemanda-t-elle.—Évidemment,répondis-je.Commed’habitudequand jeparlaisdeSebastian,mon ton se faisait
évasif,unpeublasé.—Ilestoù,maintenant?—Au lycée. Il y a unmatch d’entraînement ce soir. Il ne joue pas,
maisilvafairedesexercices.—Tutravailles,ceweek-end?—Oui,mais c’est sans doute le dernierweek-end avant la rentrée.
Pourquoi?Tuveuxfairequelquechose?—Biensûr.Toutpournepasgardermonfrèreetécoutermesparents
se prendre la tête. (Abbi tapa sa sandale contrema jambe.) Tu sais, jem’enveuxd’insister,mais tunecroispasqueSkylaravait raisonquandellet’ademandé…?
—…sij’étaisamoureusedeSebastian?Quoi?Non.C’estridicule.Uneexpressiondubitativepassasursonvisage.—Tunel’aimespasdutout?Moncœurbattaitlachamade.—Évidemmentquejel’aime.Commej’aimeDaryettoi.J’aimemême
Megan.—Maistun’aimaispasAndre…?—Non.Jefermailesyeuxetrepensaiàmonexalorsquejen’enavaispasla
moindre envie. On était sortis ensemble pendant presque toute l’annéescolaire. Pourtant, Abbi avait raison. Andre avait été adorable et jemesentais coupable de l’avoir quitté. J’avais fait des efforts, j’étais mêmepasséeàlavitessesupérieureaveclui,à l’étapelaplus importante,sanssuccès.Ilnemeplaisaitpasetjenepouvaisrienyfaire.
—Çanefonctionnaitpasentrenous.Ellerestasilencieuseuninstant.
—Tuveuxsavoircequejepense?Jelaissaimesbrastombercontremesflancs.—Untrucsageetavisé?—Ça veut dire lamême chose, banane. (Elleme donna un second
coupdepied.)Si turefusesd’êtrehonnêteavectoi-mêmeparrapportàSebastian,alorstufaisbiendepostuleràl’universitédeVirginie.
—Qu’est-cequeçaaàvoir?Ellepenchalatêtesurlecôté.—Tu es en train demedire que tu as jeté ton dévolu sur la seule
universitéquinel’intéressepasparsimplecoïncidence?Alorslà,ellemeclouaitsurplace.Abbin’avaitjamaisémislemoindre
sous-entendu quant à mes sentiments pour Sebastian. Jusqu’à présent,j’avais été certaine d’avoir réussi à dissimulermon désir pour lui,maisvisiblement,jen’étaispasaussidiscrètequejelecroyais.D’abordSkylar,qui ne me connaissait pas vraiment, et maintenant Abbi, l’une de mesmeilleuresamies.
— L’université de Virginie est une très bonne fac avec un superdépartementd’anthropologie.
Quand j’ouvris lesyeux, je contemplai les craqueluresdans leplâtreduplafond.
Lavoixd’Abbis’adoucit.—Tu ne…Tu n’es pas en train de te renfermer sur toi-même, pas
vrai?Mes yeux me brûlaient. Je pinçai les lèvres. Je savais de quoi elle
parlaitetcelan’avaitrienàvoiravecSebastianettoutàvoiravecl’appelauqueljen’avaispasréponduplustôt.
—Non,luidis-je.Pasdutout.Ellerestasilencieusequelquessecondesavantd’ajouter:—Tucomptesvraimentporterceshortauboulot?Quandtulemets,
turessemblesàunepauvreimitationdeDaisyDuke 1.
JesuischezKeith.Tuviens?
Je reçus le message de Sebastian lorsque je me garai chez moi enrentrant du travail. D’habitude, je n’aurais jamais laissé passer uneoccasiondevoirSebastian,maisaprèslaconversationquej’avaiseueavecAbbi,jemesentaisbizarre.Etpuisj’étaisépuisée.Jerêvaisdememettreaulitetdemeplongerdansunroman.
Non,jerestechezmoicesoir.
Ilmerenvoyaaussitôtunmessageavecl’émoticôneducacaquisourit.Amusée,j’écrivis:
Tupues.
Troispetitspointsapparurentàl’écran,signequ’ilécrivait,puis:
Tuserasréveilléeàmonretour?Peut-être.
Jesortisdelavoitureetmedirigeaiverslaported’entrée.
Alors,jepasseraipeut-être.
Mon estomac se noua. Je savais ce que cela signifiait. Parfois,Sebastianpassaitmevoirtrèstard.Engénéral,c’étaitquandilyavaitdesproblèmeschezlui…souvent,àcausedesonpère.
Au fond de moi, j’avais conscience que, même s’il était sorti avecSkylarpendantdesannées,iln’étaitjamaisallétrouverrefugechezelle.
Quand quelque chose le tracassait, c’était moi qu’il venait voir. Celan’auraitsansdoutepasdûmefairetantplaisir,pourtantc’étaitlecas.Jegardaiscedétailbienauchauddansmoncœur.
Entrantdanslehallremplideparapluies,debasketsetdecourrierquis’amoncelait sur le guéridon, je suivis le bourdonnement sourd de latélévision,
L’écranprojetaitunedoucelueurchancelantesurlecanapé.Mamèreétait roulée en boule sur le côté, une main sous la tête en guise decoussin.Elledormait.
Jecontournailefauteuil,saisisleplaidsurledossierducanapéetl’encouvris avec précaution. Quand je me redressai, je repensai à ce quem’avaitditAbbiunpeuplustôt.J’ignoraissisamèretrompaitsonpère.Mamère,elle,n’auraitjamaisfaitunechosepareille.Cettesimplepenséeétaitrisible,carelleaimaitmonpèrecommelameraimelesable.Ilavaitétélecentredesonunivers,lesoleilquis’étaitlevéchaquematinsursonmonde,lalunedanssoncielnocturne.Ellenousaimait,Lorietmoi,maiselleavaittoujoursaiménotrepèredavantage.
Malheureusement, sonamourn’avait pas suffi.Celui dema sœur etmoi non plus. Au bout du compte, Papa avait fini par partir. Par nousquitter.
Etmême si cela neme plaisait pas, je ressemblais beaucoup àmonpère.
Physiquement, j’étais sacopieconforme…en filleetenplusbanale.Lamêmebouche.Lemêmenezimposant,presquetropgrandpourmonvisage. Lesmêmes yeuxnoisette, plusmarronqu’autre chose. Lamêmecouleurdecheveuxavecdesrefletsauburnausoleil…Lesmiensétaienttellement longs qu’ils tombaient sousmes seins. Je n’étais nimaigre nigrosse,plutôtentrelesdeux.Jen’étaisnigrandenipetite.J’étais…
J’étaisdanslamoyenne.Banale.Toutlecontrairedemamère.Avecsescheveuxblondsetsapeaude
bébé, elle était magnifique. Les épreuves de la vie et sa persévérance
l’avaient rendue encore plus belle. Ma mère était forte. Même si parmomentsellesemblaitenavoirenvie,ellenebaissaitjamaislesbras.
Pourmamère,notreamourétaitsuffisantetl’aidaitàavancer.Loriavaithéritédetouslesbonscôtés.Elleressemblaitànotremère.
C’était une vraie bombe : blonde, avec de belles courbes et des lèvrespulpeuses.
Toutefois,lessimilaritésnes’arrêtaientpasàl’apparencephysique.J’avais tendance à prendre la fuite, moi aussi. Quand la situation
devenaittropdifficile,jeprenaislaclédeschamps,toutcommemonpèrel’avait fait.J’étaispasséemaîtredans l’artderêverà l’avenirau lieudemeconcentrersurleprésent.
Mais,dansunsens, jeressemblaisaussiàmamère.Jecouraisaprèsquelqu’unquinesavaitmêmepasquej’existais.J’attendaisquelqu’unquinereviendraitjamais.
Onauraitditquej’avaishéritédespirestraitsdemesparents.Lecœurlourd,jegravislesmarchesdel’escalieretmepréparaipour
lanuit.Aumoisdenovembre,celaferaitquatreansquePapaétaitparti.J’avaisdumalàycroire.Debiendesfaçons,j’avaisl’impressionqueceladataitd’hier.
Quand je soulevai les couvertures de mon lit pour me glisser àl’intérieur, j’eus un moment d’hésitation. Mes yeux se posèrent sur laporte du balcon. J’aurais mieux fait de la fermer à clé. Après tout, leschancespourqueSebastianpassemevoirétaientmaigresetdanstouslescas…cen’étaitsansdoutepasunebonneidéequ’ilvienne.
C’étaitpeut-êtrelaraisonpourlaquelleaucungarçonnem’attirait.Etquejen’étaispastombéeamoureused’Andre.Avecunsoupir, jemepassailamainsurlevisage.Jemecomportais
comme une idiote. Mes sentiments pour Sebastian n’avaient aucuneincidencesurnotrerelation. Ilsn’enauraient jamais.Je ferais toutpourquecenesoitpaslecas,commeprendreunpeudedistanceetétablirdeslimites, par exemple. C’était sans doute lameilleure chose à faire pouréviterquejefuieouquejepassemavieàl’attendre.
Avantmêmedemerendrecomptedecequej’étaisentraindefaire,jemelevaidulit.
Jemedirigeaiverslaporteetladéverrouillaidansunclicsonore.
1.PersonnagedelasérietéléviséeShériffais-moipeurdanslesannées1980.(N.d.T.)
CHAPITRE4
Lasensationdumatelasquis’affaissaitetmonprénommurmurémetirèrentdusommeil.
Jeroulaisurlecôtéetlorsquej’ouvrislesyeux,jegrimaçai.Jem’étaisendormieaveclalumièrealluméeetjesentaislacouverturedemonlivrepresséecontremondos.Toutefois,cen’étaitpascequimepréoccupait.
Sebastianétaitassisauborddemonlit,latêtepenchéesurlecôté.Unlégersourireétiraitseslèvres.
— Salut,murmurai-je en l’observant avec des yeux fatigués. Quelleheure…Quelleheureilest?
—Unpeuplusde3heures.—Tuviensderentrer?Contrairement àmoi, Sebastian n’avait pas vraiment de couvre-feu.
Dumomentqu’ilréussissaitsesmatchs,ilpouvaitplusoumoinsfairetoutcequ’ilvoulait.
—Ouais.Ona faitun supermatchdebadminton.En cinq sets. Lesperdantsdoiventlaverlesvoitures.
Jeris.—Sérieux?—Qu’est-cequetucrois?(Sonsouriremalicieuxs’élargit.)Keithet
sonfrèrecontrePhillipetmoi.—Etquiagagné?—D’aprèstoi?(Ilmedonnaunlégercoupsurlebras.)Phillipetmoi,
biensûr.Levolantacomprisquiétaientsesmaîtres.
Jelevailesyeuxauciel.—Waouh.—Ah,maistuastonrôleàjouer,toiaussi.—Quoi?Jeplissailesyeux.—Oui ! (Il leva lamain pour repousser unemèchede cheveux qui
tombaitdevant son front.) J’ai l’intentionde rendre la Jeep laplus salepossible. Je veux qu’elle ressemble à l’unede ces voitures abandonnéesdansTheWalkingDead.Çateditd’alleraulacceweek-endpours’amuserunpeu?
Tout sourire, j’enfouismonvisagedansmoncoussin. Lapropositionde Sebastian de m’emmener au lac n’aurait pas dû me rendre aussiheureuse.Etpourtant,c’étaitlecas.Celamefaisaitmêmetropplaisir.
—Tuesdiabolique.—Diaboliquementadorable,tuveuxdire?—Jen’iraispasjusque-là,murmurai-jeenrentrantmonbrassousles
couvertures.Sebastians’allongeasurlecôtéetétenditsesjambessurlelit.—Qu’est-cequetuasfaitcesoir?Tuaslu?—Oui.—Toi,tusaist’amuser.—Ettoi,tusaism’agacer.Ilricana.—Comments’estpassél’entraînement,aujourd’hui?Jegrimaçaiengrognant.—Siterriblequeça?— L’entraîneur pense que je ne devrais pas travailler en dehors du
lycée, lui dis-je. Ce n’est pas la première fois qu’il m’en parle, maisaujourd’hui,ilamentionnémonpèreetje…Tusaisbien.
—Oui,répondit-ild’unevoixdouce.Jesais.— Bon, il m’a aussi dit que j’avais des chances de décrocher une
boursesijem’entraînaisplussérieusement.
Sebastianmepinçalebras.—Jet’airépétédescentainesdefoisquetuavaisdutalent.Jelevailesyeuxauciel.—Tuesobligédedireça.Onestamis.—C’est justement parce qu’on est amis que je n’hésiterais pas à te
diresituétaisnulle.Unlégerrirem’échappa.— J’ai conscience que je nemedébrouille pas tropmal,mais je ne
suispasaussidouéequeMegannimêmequelamajoritédesjoueuses.Çam’étonnerait que je sois repérée. Mais ce n’est pas grave ! ajoutai-jerapidement.Jenecomptaispassurcegenredebourse,detoutefaçon.
—Jecomprends.Sonsourires’évanouitetsonexpressionsefitpensive.Tandisquejele
dévisageais,mafatigues’évapora.J’attrapai les bords de ma couverture et la remontai jusqu’à mon
menton.Quelquessecondespassèrentainsi,ensilence.—Qu’est-cequisepasse?Avecunlourdsoupir,Sebastiansepassalamainsurlevisage.—Monpère…Ilvoudraitquej’ailleàChapelHill.D’expérience, je savais que je devais aborder ce genre de
conversationsavecdespincettes.Ilneparlaitpassouventdesonpèreetquandillefaisait,ilnetardaitguèreàsombrerdanslemutisme.Àmonavis, il auraitmieux fait de tout déballer une bonne fois pour toutes…maisenmême temps,moi-même, jedétestaisparlerdemonpère, alorsc’étaitunpeul’hôpitalquisefoutaitdelacharité.
—ChapelHillestunetrèsbonneuniversité,commençai-je.Etelleesttrès chère, non ? Si tu parviens à décrocher une bourse, ce seraincroyable.Enplus,çaterapprocheradetescousins.
—Oui,jesais,mais…—Maisquoi?Ilroulasurledosetnouasesmainsderrièresatête.
—Jen’aipasenvied’yaller,c’esttout.Jen’aipasderaisonvalablederefuser.Lecampusestsupercool,maisilnemeplaîtpas.
SachantqueSebastianétaitaussiprochedeKeithetPhillipqu’ill’étaitdeCody,saréticenceétaitpeut-êtreliéeàeux.
—Ettespotes,ilsvontoù?— Keith et Phillip espèrent être acceptés à l’université de Virginie-
Occidentale.Phillipveutabsolumententrerdans leuréquipede foot. JecroisqueKeith, lui, cesont les soiréesqui l’attirent. (Il s’interrompituninstant.)EtjepensequeCodyachoisil’universitéd’ÉtatdePennsylvanie.
Depuisdesannées, l’universitédeVirginie-Occidentaleétait l’endroitle plus populaire pour faire la fête. Keith allait s’y sentir comme unpoissondansl’eau.
—Tupréféreraisallerlà-bas?—Pasvraiment.J’essayaidetrouverunepositionplusconfortable.—Tuveuxalleroù?—Jenesaispas.—Sebastian,soufflai-je.Ilfautquetutedécides.Onestenterminale.
Ilnenousrestepasbeaucoupdetemps.Lesrecruteursvontcommenceràvenirassisterauxmatchs…
—Peut-êtrequejememoquedesrecruteurs.Je refermai la bouche. Il venait de confirmer les doutes qui me
travaillaientdepuisenvironunan.Iltournalatêteversmoi.—Tuneréagispas?—J’attendaisquetut’expliques.Lesyeuxrivésauxmiens,ilserralesdents.—Je…Merde,onestdanstachambre,aubeaumilieudelanuit,et
mêmecommeça,jen’arrivepasàledire.J’ail’impressionquemonpèrevasortirdetonplacardd’unmomentàl’autrepourm’engueuler.Jepeuxtegarantirqu’ilpéteraitunplombs’ilm’entendait.
Jeprisunegrandeinspiration.
—Tuneveuxpas…continuerdejoueraufootàlafac,c’estça?Ilfermalesyeuxetlesilenceretombaentrenous.— C’est dingue, pas vrai ? Du plus loin que je me souvienne, j’ai
toujours joué au foot, je n’ai raté aucun entraînement et ma mère atoujours nettoyé les taches d’herbe surmes pantalons. J’aime jouer. Jesuis même plutôt bon. (Il prononça cette phrase sans la moindrearrogance. C’était simplement la vérité. Sebastian avait un talent innépourlefoot.)Maisquandj’imaginemeleverauxaurorespendantencorequatreans,passermontempsàcourir,àrattraperdespasses…voirmonpère organiser sa vie autour de mes matchs… ça me donne envie dedeveniralcoolique.Oudetesterlacoke.N’importequoipouroublier.
—Onvaéviter,rétorquai-jed’unevoixsèche.Une brève expression amusée passa sur son visage. Nos regards se
croisèrentdenouveau.— Je n’ai pas envie de continuer, Lena, murmura-t-il comme s’il
s’agissaitd’unsecretqu’ilnepouvaitprononceràhautevoix.Jeneveuxpasfaireçapendantquatreans.
Monsoufflesebloquadansmagorge.—Tusaisquetun’espasobligé,pasvrai?Rienneteforceàjouerau
footàlafac.Tuasencoreletempsdetrouveruneautrebourse.Toutletempsqu’iltefaut.Tupeuxfairecedonttuasenvie.Crois-moi.
Ilrit,maiscen’étaitpasunrirejoyeux.—Sijedécided’arrêter,monpèreferauneattaque.Je me rapprochai de lui. Nos visages n’étaient plus qu’à quelques
centimètresl’undel’autre.—Ils’enremettra.Tuveuxtoujoursêtrekiné?—Oui,maispaspourlesraisonsquemonpères’imagine.(Ilmordit
salèvreinférieureavantdelalibérer.)Iladéjàtoutprévu.Jejouedansl’équipedemafac,onmerepèrepourjouerenpro.Jenesuispasdanslespremiersélus,biensûr,ilestréaliste.(Sonsourireétaitblasé.)Jejouedeux ou trois ans dans une équipe, puis je deviens entraîneur ou je
travailleavecdeséquipespourmettreenpratiquecequej’aiapprisàlafac.
Ilvenaitderésumerlerêveaméricain.—Ettoi?Dequoias-tuenvie?Ilécarquillalesyeux.Ilsétaientd’unbleuéclatant,presqueétonnant.—Tuasconsciencedetoutcequ’onpeutfaireentantquekiné?Je
pourraistravaillerdansdeshôpitaux,avecdesvétérinairesetmêmedanslesdépartementsdepsychologie.Cen’estpasseulementliéauxblessuresdessportifs.J’aimeraisaiderlesgens.Jesaisqueçapeutparaîtrestupideetcliché.
—Cen’estpasstupidenicliché,luidis-je.Loindelà.Ilesquissaunsourireencoin.Auboutd’unmoment, sonairmorne
repritledessus.—Jen’ensaisrien.Ilpéteraitunfusible.Ceserait lafindumonde,
pourlui.JenedoutaispasuneseulesecondequeSebastiandisaitlavérité.—Maisils’enremettrait.Iln’auraitpasd’autrechoix.Ilbaissalesyeux.—Ilmedéshériterait.—Jedoutequeçaailleaussiloin.(Jeledévisageai.)C’esttavie.Pas
lasienne.Pourquoiest-cequetuferaisquelquechosequineteplaîtpas?—Peut-être…(Unsourireétirauninstantseslèvres,puisilseremit
faceàmoi.)Tuespèrestoujoursentreràl’universitédeVirginie?Visiblement,laconversationsursonpèreétaitterminée.—Oui.—Jepeuxteposerunequestion?—Biensûr.—Çan’arienàvoiraveccequ’onétaitentraindedire.Jesouris.—Tupassestoujoursducoqàl’âne.Ilhochalatête.—Pourquoivousavezrompu,Andreettoi?
Jeclignailesyeux.Jen’étaispascertained’avoirbienentendu.Alorsquej’allaisluirépondre,unéclatderirem’échappa.
Sebastiantapamajambeaveclasienneàtraverslescouvertures.—Jet’avaisditqueçasortaitdenullepart.—C’estsûr.Euh…Jenesaispas.Bonsang,cen’étaitpascommesi jepouvais luiavouer lavérité.Ça
n’a pas marché parce que je suis amoureuse de toi. J’imaginais déjà lascène.
Sebastianouvrit labouche,puis lareferma.Lorsque je jetaiuncoupd’œildanssadirection,jevisqu’ilavaitleslèvrespincées.
—Ilnet’arienfait,pasvrai?Parceques’ilt’afaitdumalou…—Non. Pas du tout ! Andre était quasiment le mec idéal. (Tout à
coup,cequ’ilvenaitdedirefitsens.J’écarquillai lesyeux.)Attendsuneminute.Tupensaisqu’ils’étaitmalcomporté?
—Jen’étaispascertainàcentpourcent.Sijel’avaisété,ilneseraitplus en état demarcher. (Je haussai un sourcil.) C’est juste que je n’aijamais compris pourquoi vous vous étiez séparés.Ça s’est fait tellementvite.
Jelaissailacouvertureglisserdemesépaules.—Ilnemeplaisaitpasautantqu’ilauraitdû.Çamemettait…malà
l’aise.Sontorsesesoulevasurunegrandeinspiration.—Jeconnaiscesentiment.Jemetournaivivementverslui.Ilavaitlesyeuxrivésauplafond.—Tu sais que je suis obligéede teposer la question,maintenant…
Pourquoiest-cequeSkylart’aquitté?Tunem’enasjamaisparlé.—Tunemel’asjamaisvraimentdemandé.(Sonregardrencontrade
nouveau lemien.)En fait, eny réfléchissant, tun’as jamaisessayéd’ensavoirplusàsonsujet.
J’ouvrislabouche,maisaucunsonn’ensortit.Ilavaitraison.JeneluiavaisjamaisposélamoindrequestionsurSkylar,parcequejen’avaispaseuenviedeconnaîtrelesréponses.J’avaiscontinuéàêtreprésentepour
lui, mais m’intéresser aux détails de leur relation aurait été trop medemander.
—Jemesuisdit…quecen’étaientpasmesaffaires,répondis-jed’unevoixquisonnaitfaux.
Ilfronçalessourcils.—Jenesavaispasqu’ilyavaitencoredes limitesdecegenreentre
nous.Ehbien…—Skylarm’aquittécarelletrouvaitquejenem’investissaispasassez
dansnotrerelation.D’aprèselle, jemesouciaisdavantagedufootetdemesamisqued’elle.
—Pascool.—C’estunpeupourlamêmeraisonquetuasquittéAndre,non?Il
neteplaisaitpas.Ducoup,tun’ymettaispasdutien.Jegrimaçai.— En même temps, on est au lycée. Est-ce qu’on doit vraiment
s’acharneràfairefonctionnerunerelation?—Quelquesoitl’âge,jenepensepasqu’ilfailles’acharnerpourfaire
fonctionnerunerelation,répondit-il.Çadevraitsefairenaturellement.Jeplissailenez.—Jenesavaispasquetuavaisunavisaussiprofondsurlaquestion,
letaquinai-je.—Queveux-tu?J’aidel’expérienceenlamatière.Levant les yeux au ciel, je lui donnai un coup de pied à travers les
couvertures.—Etc’étaitvrai?Tut’intéressaisplusàtesamisetaufootqu’àelle?—En partie, répondit-il au bout d’unmoment. Tu te doutes que le
problème,cen’étaitpaslefoot.Jeretournaisesparolesdansmatêtesanssavoirqu’enpenser.Étant
donnéque je faisaispartiedesesamis,est-cequeçavoulaitdireque jecomptais plus pour lui que Skylar ? Il me fallut une seconde pour
comprendre à quel point cette question était idiote. J’eus envie de mefrapper.
—Jevaisresterunpeu,murmura-t-ilenlevantlamain.Ilsaisitunemèchedecheveuxquiétaittombéesurmajoue.Lorsqu’il
laplaçaderrièremonoreille,sesdoigtsm’effleurèrent.J’eneuslesoufflecoupé.Desfrissonsdansèrentsurmapeautandisqu’ils’écartait.
—Çanetedérangepas?—Non,murmurai-jeensachantqu’ilnes’étaitpasrenducomptede
maréaction.Ilnevoyaitjamaisrien.Posantsamainentrenous, ils’approchaencore.Jesentissongenou
sepressercontrelemien.—Lena?—Quoi?Ilhésitauninstant.—Merci.—Pourquoi?Seslèvresseretroussèrentencoin.—D’êtreprésentequandj’enaibesoin.Leslarmesmemontèrentauxyeuxetjefermailespaupières.Alors,je
luidiscequiserapprochaitleplusdelavérité:—Jeseraitoujoursprésente.
—Mamèrem’a obligée à écrire les dix choses que je voulais fairedanslavie.Ellen’arrivepasàcroirequejenesachepasencorecequejeveuxfairealorsquejerentreenterminale,ditMeganquienétaitdéjààsontroisièmeverredethé.(Elleplongealamaindanslepanieràfrites.)Ce qui est très drôle, sachant que ma mère n’a jamais su ce qu’ellevoulait.
—Elleestaucourantquetun’espasforcéedechoisirtoutdesuitetamatièreprincipale?(Abbiétaitentraindedessinersuruneservietteen
papier.Onauraitditunjardinderoses.)Ouquetupeuxtoujourschangerdefilière?
—Onpourraitcroirequeoui,vuquec’estelle,«l’adulte»,réponditMegan en mimant les guillemets. On aurait aussi pu croire qu’elle secalmerait en voyant que j’ai terminé l’année dernière à quinze demoyenne.Avecdesnotescommeça, jemedébrouilleraidansn’importequellematièreàlafac.
Jecroisailesbrasenriantetlesposaisurlecomptoirderrièrelequeljemetrouvais.Cesoir,commetouslessamedis,leJoanna’sétaitpresquedésert.Seulesdeuxtablesétaientoccupéesetlesclientsavaientdéjàpayél’addition.Bobbyétaitsortià l’arrièrepourse fumerundemi-paquetdecigarettesetjen’avaispaslamoindreidéed’oùsetrouvaitFelicia,l’autreserveuse.
—Etalors,tuasfaituneliste?—Oh,oui.Biensûr.Abbiattrapaunefrite.—J’aihâted’entendreça.—Lameilleure liste dumonde, continuaMegan en enfournant une
fritedans saboucheavantde s’essuyer lesdoigts surune serviette. J’aichoisi des métiers fantastiques, tels que : prostituée, strip-teaseuse,dealer… et pas dealer de bas étage. Je vise l’héroïne et ce genre dechoses.Oh,aufait,ilparaîtqueTraceySimsseshooteàlabrune.
—OK…fitAbbientournantversMegansursontabouret.Tuparlesd’héroïneoudebière?
—D’héroïne!Tunesaispasqu’onl’appelleaussicommeça?Jesecouailatête.—Non.Quiest-cequitel’adit?—Vous vous rappelez quemon cousin est sorti avec elle ? (Megan
attrapa deux frites et forma une croix avec.) C’est lui qui m’a avouéqu’ellesedroguait.C’estpourçaqu’ilssesontséparés.
Abbifronçalessourcils.—Turigoles?
Jemeredressai.—J’espèrequec’estuneblague.Megansecoualatête.—Jesuissérieuse.—C’est…terrible,murmurai-je.Jejetaiuncoupd’œilàlaportequivenaitdes’ouvrir.J’avaisdumal
àcroirecequejevoyais.C’étaitCodyReeceetsabande.Phillipenfaisaitpartie, mais toute son attention était rivée sur son téléphone. Quefaisaient-ilsici?D’habitude,ilsnevenaientauJoanna’squesurinsistancedeSebastian.
—Oui,terrible,acquiesçaMegan.C’estunautreniveau.(Elletapasacroixenfritessurleborddupanieretrépanditduselsurlecomptoir.)Jen’imagine pas enfoncer une aiguille dans mon bras et injecter un trucdans mes veines. Et si en plus, ça se voit sur le visage, c’est hors dequestion.
—J’espèrequecen’estpasvrai.Traceyestsympa,ditAbbiavantderegarderderrièreelle.
Elle écarquilla les yeux juste au moment où Phillip remarqua laprésencedeMegan.
Undoigtposésurlabouche,ilavançasurlapointedesesbaskets.Cequi,duhautdesesdeuxmètres,luidonnaitunaircomplètementridicule.Son sourire séducteur lui avait causé des problèmes une ou deux foisauprès de Megan et il était aussi intelligent qu’elle. Tout sourire, il sepostajustederrièreelle.
—Enyréfléchissant,ilyadestasdechosesquejeneferaisjamais,continuaMeganenlaissanttomberlacroixenfritesdanslepanier.Ilyadestasdechosesquejene…
EllecriaensentantPhilliplaprendredanssesbras.—Salut,beauté.(Ilposalementonsursonépaule.)Mademoiselle…?—Qu’est-cequetufaisici?demandaMeganenluidonnantuncoup
decoudesuffisammentfortpourluiarracherungrognementdedouleur.(C’étaitlaquestiondusiècle.)Sérieux.Tumesuis,ouquoi?
— Peut-être… (Il la lâcha et s’appuya contre le comptoir en noussouriant.) Hé, si tu ne veux pas que je te suive, évite de poster talocalisationsurlesréseauxsociaux.
Jegloussai.Ellefronçalessourcils.—Jeneteparleplus,jeterappelle.Lapeausombreautourdesesyeuxseridaetilsourit.—Tun’avaisaucunproblèmepourmeparlerhiersoir.—Jem’ennuyais.(Relevantlesyeuxversmoi,ellefitpassersatresse
épaissederrièresonépaule.)Tunepeuxpasl’obligeràpartir?—Non,répondis-jeenriant.Abbimangeaunefriteetsepenchaenavant.—Qu’est-cequiestécritsurtontee-shirt?(Elleplissalesyeux.)«Il
n’yapasdeplusgrosbosseurqueGeorgeWashington,parcequeGeorgeWashingtonne s’arrêtepas… tantque les coloniesne sontpas libres etque le monde ne les reconnaît pas en tant que nation souveraine »…hein ? (Elle secoua la tête en riant.)Où est-ce que tu as trouvé ce tee-shirt?
—Danslarue,àcôtéd’unepoubelle.Jelevailesyeuxauciel.Sespotess’installèrentdansunbox,aufond
durestaurant.—Qu’est-cequejetesers?—Unebière.—Ahah,trèsdrôle,rétorquai-je.Qu’est-cequejetesersquetuasle
droitdeboire?—Un Coca, c’est bien. (Phillip tapa sur le comptoir et reporta son
attentionsurMegan.)Megan,monamour…J’échangeaiunregardamuséavecAbbietmeretournaipourattraper
un Coca dans le frigo où étaient entreposés les sodas. Puis je pris unpichetd’eauglacéeetmedirigeaiverslatabledesgarçons.
Jen’avaisplusvuCodydepuislasoiréedeKeith.Moncœurbattaitsifortquejesentaisdéjàmesjouess’empourprer,maisjecarrailesépaules.
—Salut,lesgarçons.Cody releva la tête en premier. Les deux autres étaient penchés sur
leurstéléphones.—Salut,répondit-il.M’efforçant de sourire, je tentai de ne pas penser à cette fameuse
soirée.Codyétaitplutôtagréableà regarder.C’étaitpourçaque j’avaisprisdetrèsmauvaisesdécisionscesoir-là.Ilavaitdescheveuxblondsetondulés,un sourire charmeurqu’ildégainait à lamoindreoccasion,desdents parfaites d’une blancheur éclatante et une fossette aumenton. IlauraitdavantageeusaplacesuruneplagedeCalifornie,uneplanchedesurfsouslebras,qu’ici,aumilieudenullepart,enVirginie.
Le problème, c’était queCody savait qu’il était beau. Cela se voyaitdanssessourires,qu’ildistribuaitsanscompter.
—Qu’est-cequevousvenezfaireici?demandai-jeenleurservantdel’eau.
— Tu poses cette question à tous tes clients ? demanda Cody enposantlebraslelongdelabanquette.
—Toujours ! (Les glaçons firent tinter les verres.)Ça fait partie duservice.
— On s’ennuyait. Et puis Phillip a vu que Megan était ici. (Codyattrapasonverred’eau.)Ilvoulaitlavoir.
Je jetai un œil vers le comptoir où Phillip avait l’air de chanter lasérénadeàAbbietMegan.
—Etj’avaisenviedetevoir.Surprise,jemeretournaivivementverslui.—Tuasfumé,ouquoi?—Pasencore,répondit-ilavecunclind’œil.C’estsidifficileàcroire?
Jet’aimebien,Lena,etçafaitlongtempsquejenet’aipasvue.—Jetravaillais.(JefisunpassurlecôtépourlaisserpasserPhillip.Il
s’assitàcôtédeCodypendantque jeprenais lacommandedelatable.)Vousvoulezunmenu?
—Oui.(Codym’adressasonfameuxsourireenjôleur.Jetâchaidenepasréagir.)J’aimeavoirlechoix,ajouta-t-il.Beaucoupdechoix.
C’étaitsansdouteunmauvaissous-entendusexuel.Jem’éloignaiensecouantlatête.
—Tuez-moi,dis-jeauxfillesensaisissantunepiledemenus.—Hé,neparspas!(Meganpivotasursontabouret.)Pendantquetu
jouaisauxadultesetquejefaisaisdemonmieuxpourrembarrerPhillip,AbbiareçuunmessagedeKeith.Ill’ainvitéeàsortir!
—Oh,c’estvrai?Jeserrailesmenuscontremapoitrine.—Ilm’ainvitéeàsasoirée,cesoir,clarifiaAbbi.—Ilveutsortiravectoi,luirappelai-jeenreculant.Abbilevalesyeuxauciel.—Ilaledroitderêver.Çan’arriverajamais.— Il ne faut jamais dire jamais, marmonna Megan. (Puis à voix
haute:)Ondevraityaller.ÇafaitaumoinsdeuxsemainesquejenesuispasalléechezKeith.
—Jenesaispas…(Abbibaissalesyeuxverslaserviettesurlaquelleelleavaitdessiné.)J’ai le sentimentquesionyva, tuvasmemettre lahonte.
—Moi?Jamais!hoquetaMegan.—Bon,jevouslaissevousdécider,dis-jeavantdem’éloigner.Aprèsavoirposéunmenudevantchaquegarçon,jeleurapportaileurs
boissons.—Vousavezchoisi?— Oh, oui ! s’exclama Cody, les yeux pétillants de malice. (Phillip
ricana. Moi, je me préparai psychologiquement à la suite, sachant trèsbienquesaréponsen’auraitrienàvoiraveclemenu.)Etsijeteveux,toi,pourdîner?
Jepenchailatêtesurlecôté.Jen’étaispasvraimentétonnée.C’étaitCody.Personneneleprenaitausérieuxet,commeledisaitmamère,illuiarrivaitd’êtretrèsgrossier.
—C’estsansdoutelachoselaplusridiculequej’aiejamaisentenduesortirdelabouched’untypededix-septans.Tupensesimpressionnerunêtrehumainnormalementconstituéavecça?
—Waouh,soufflaPhillipenriant.Codysepenchaenavantsanssedémonter.—J’enaidesmeilleures.Tuveuxlesentendre?—Non.Jenesuispasassezbourréepourça.—Allez,insistaCody.Fais-moiconfiance.C’estl’undemesnombreux
talents.— Continue de te bercer d’illusions. Pendant ce temps, j’attends
toujoursquevouscommandiez.— Aïe. (Il posa lamain sur son cœur et se laissa tomber contre la
banquette.)Çafaitmal.Pourquoituesaussiméchante?— Parce qu’une fois que j’aurai pris vos commandes, je pourrai
retourner lire derrière le comptoir en faisant semblant de travailler,répondis-jeavecmonsourireleplusinnocent.
Cody éclata de rire et arracha le portable desmains de l’un de sesamis.
—Onnevapast’obligeràtroptravailler,alors.Lesgarçonspassèrentenfincommande.Jetraversaiuncourtcouloir,
passaidevantlestoilettesetenfonçailadoubleportequidonnaitdanslacuisine.J’ytrouvaiBobbyentraindedissimulersonchignonsousunfiletenrésille.Jeluirépétailacommandeavantderetournerensalle.
— Vous voulez autre chose ? demandai-je aux filles en lesdébarrassantdupanierdefrites.
Abbisecoualatête.—Non.Jenevaispastarderàrentrer.—Turentresàpied?demandaMegan.(Ellejetauncoupd’œilvers
Phillipetsoupira.)Pourquoiest-cequ’ilestaussicanon?— Tu as la capacité de concentration d’un moucheron. Tu me
demandes si je rentre à pied et tout de suite après tu parles de Phillip.
(Abbiposalatêtecontrelecomptoir.)Tuasletroubledel’attentiond’unhyperactif.Oui,jecomptaismarcher.Jenevispastrèsloind’ici.
Lesourireauxlèvres,Megansetournaverselle.— Tu as conscience que je souffre vraiment d’un trouble de
l’attention?—Jesais.(Abbilevalesbrasauciel,maisnerelevapaslatête.)Onle
saittous.Pasbesoind’êtremédecinpours’enrendrecompte.—Jevousairacontélafoisoùmamères’estconvaincuequej’étais
unenfant indigo 1?(Megansoulevasa tresseet semità joueravecsonextrémité.)Ellevoulaitfairetestermonaura.
Lentement,Abbi releva la tête et ladévisagea, les lèvres légèremententrouvertes.
—Quoi?Jeleslaissaiàleurconversationetrapportailepanierencuisinepour
voir où en était la commande des garçons. Quand je retournai dans lecouloir,jetombainezànezavecCody,appuyécontrelemurenfacedestoilettes.
Jeralentis.—Qu’est-cequ’ilya?—Tuascinqminutes?Jel’observaiavecprudence.—Çadépend.Ilpassalamaindanssescheveuxblondsunpeutroplongspuisbaissa
lebras.—Écoute.Jevoulaisvraimenttevoir.—Euh,pourquoi?Jecroisailesbrasetmedandinaid’unpiedsurl’autre.—IlfautquejeteparledeSebastian.Surprise,j’écarquillailesyeux.—Pourquoi?—Sebastian etmoi, on est potes,mais je sais que vous êtes encore
plusproches.Tuescommesasœurouuntrucdanslegenre.
Commesasœur?Etpuisquoi,encore?— Bref. Je voulais te poser une question. (Il détourna le regard.)
Sebastian t’adéjàditqu’ilvoulaitarrêter le foot?Mêmesions’entendbien,ilnemeparlejamaisdecegenredechoses.
L’espaced’uninstant,jemecrispai.Puisjecroisailesbras.IlétaithorsdequestionquejetrahisselaconfiancedeSebastian.Pasmêmepourfaireplaisiràsonami.
—Qu’est-cequitefaitpenserça?Ilposalatêtecontrelemur.—C’estjustequ’ilest…Jenesaispas.Iln’apasl’aird’avoirlatêteà
ça.Quandons’entraîne,ondiraitqu’ilpréféreraitêtreailleurs.Etjen’aipasl’impressionqu’ils’intéresseàlasaisonquicommence.Surleterrain,iln’estpasvraimentavecnous.Iladutalent,Lena.Tellementdetalentqu’iln’apasbesoindetrimer…etj’ailesentimentqu’ilvatoutenvoyerbalader.
Je me mordis l’intérieur de la joue tout en cherchant une réponseadéquate.
—Cen’estquedufoot.Codymeregardacommesiunetroisièmemainavaitsoudainpoussé
aumilieudemonfrontetluiavaitfaitundoigtd’honneur.—Quedufoot?C’esttoutsonavenirquiestenjeu!—Ilnefautpasexagérer,nonplus.Ilhaussaunsourcilets’écartadumur.—Jemefaispeut-êtredesidées,dit-ilauboutd’unmoment.—Çayressemble,répondis-je.Écoute,ilfaudraitquej’encaissevotre
table,alors…Codym’examinauninstantavantdesecouerlatête.— Alors tu as terminé d’échanger des banalités avecmoi. J’ai bien
compris.Mesjouess’enflammèrent.Étais-jesitransparente?—Jetelaissetranquille.
Lesmainsenfoncéesdanslespochesdesonjean,Codyretournaverslasalle.Restéeseule,jeleregardais’éloigner.
J’essuyaimesmainsétrangementmoitessurmontablieretsoufflaiungrandcoup.
Lorsque je terminaide servir lesgarçons,Abbi etMegan se levèrentpourpartir.
—Vousrentrez?demandai-je.—Oui.(Abbipassal’ansedesonsacàsonépaule.)Lesgensbienne
laissent pas leurs amis rentrer seuls. Surtout si l’amie en question estsusceptibledemonterdanslavoitured’uninconnu.
Meganlevalesyeuxauciel.—Aufait,j’aivuCodyrevenirducouloir.Tuluiasparlé?Jehochailatêteavantd’attraperunchiffon.—IlvoulaitdiscuterdeSebastian.—Oui,oui,murmuraMegan.Tusaisàquoijepense?Vul’expressiond’Abbi,elleensavaitaussipeuquemoi.Meganhaussalessourcilsetbaissalavoix.— Je me demande ce que Sebastian dirait s’il apprenait que sa
meilleureamieaembrassésonmeilleurami.Imaginelescandale!Je pris une grande inspiration. Non, je n’imaginais pas et j’espérais
queDieum’aimait suffisamment pour ne pasme soumettre à une telleépreuve.
Unefoislesfillesparties,jereportaimonattentionsurlelivrequejecachaisderrièrelecomptoir.Ilnefallaitpasquejem’appesantissesurcequ’avaitditMegan,sinon,j’allaismesentirmal.
J’avais lu environ une page lorsque je sentis mon téléphone vibrerdanslapochearrièredemonshort.
Quand je regardai l’écran, toute pensée liée à Sebastian, au foot, àCodyouàunquelconquesecrets’envola.
Lenomdel’expéditeurétaitaffiché.Jeneluspaslemessage.Jemecontentaidel’effacer.
1.Expression issuede lapenséeNewAgedésignantunecatégorie imaginaired’enfantsquiseraient apparus pour sauver le monde et se reconnaîtraient à certains troubles ducomportement.(N.d.T.)
CHAPITRE5
Aprèsavoirprisunedouche,jedescendisenfinaurez-de-chaussée,lescheveuxmouillés,ettrouvaimamèredanslacuisine.Ellesetenaitdevantle plan de travail bleu passé et versait du café dans son thermos. Sescheveux blonds lissés à la perfection lui arrivaient aux épaules et lechemisierqu’elleportaitn’avaitpaslamoindrepliure.
— Bonjour, ma puce. (Elle se retourna. Un léger sourire étirait seslèvres.)Tut’eslevéetôt.
—Jen’arrivaisplusàdormir.C’étaitl’undecesmatinsagaçantsoùjem’étaisréveilléeà4heureset
avaiscommencéàréfléchirà tous lesproblèmesdumonde.Chaquefoisquej’avaisessayédemerendormir,unenouvellequestions’étaitforméedansmonesprit:etsij’étaisrepéréependantunmatch?EtsiCodyavaitraison?Était-cedugâchisdelaisserSebastianarrêterlefootball?
—Tuvasbien?medemanda-t-elle.— Oui, j’ai fait une petite insomnie ce matin, c’est tout. J’ai
entraînementtoutàl’heure,detoutefaçon.(Jemedirigeaiverslecellieretenouvris laportepourregardercequ’ilyavaitàl’intérieur.)Iln’yaplusdebiscuits?
—Non. J’irai enacheter àmidi.Tuvas êtreobligéedemangerdescéréales.
J’attrapaiuneboîtedepétalesdemaïssansmarqueetl’emmenaiverslefrigo.
—Jepeuxlesacheter,moi.
— Je ne veux pas que tu fasses les courses. (Elle me regarda par-dessus son thermos.) Je ne veux pas que tu dépenses l’argent que tugagnespourdesbiscuits.Onn’estpassipauvresqueça,mapuce.(Elleeutunsouriremalicieux.)Parcontre,net’attendspasàdelamarque.
—Jesaisquetuasdequoilesacheter,Maman,maissijesuislaseuleàenmanger…
—C’estl’unedeschoseslesplusterriblesquetupuissesavaler.(Elles’interrompitetlevalesyeuxversleplafond.)Enfin,ilyadestrucsplusdégoûtants…
—Beurk,Maman!gémis-je.—Oui,oui.Elle avança vers la table, mais resta debout. J’enfournai plusieurs
cuillèresdecéréalesdansmaboucheavantdereleverlatête.Mamère regardaitpar lapetite fenêtreau-dessusde l’évier,mais je
savaisqu’ellenevoyaitpaslejardin.Enfin,«jardin»étaitunbiengrandmot.Cen’étaientquedesmeublesd’extérieurdesecondemaindontonneseservaitplusbeaucoup,suruncarréd’herbe.
Lorsque Papa habitait encore ici, mes parents passaient toutes lessoiréesd’étéetd’automnejusqu’àHalloweendehors,àdiscuter.Avant,ily avait même un barbecue en pierre, mais il avait fini par s’effondrerplusieursannéesplustôt.Mamanl’avaitgardétouteuneannéeavantdelejeter.
Elle s’accrochait longtemps aux choses, même lorsque ces chosescommençaientàpourriretdépérir.
Avec Lori, on avait l’habitude de s’asseoir sur le balcon pour lesécouter.Jecroisqu’ilssavaientqu’onétaitlà,parcequelesconversationsétaient toujours ennuyeuses. Le travail. Les factures. Les vacancesplanifiéesquinevoyaientjamaislejour.Larénovationduplandetravailbleupasséquin’avaitjamaiseulieu.
Avec le recul, je me rappelais exactement le moment où tout avaitcommencé à changer. C’était au mois d’août. J’avais dix ans. Leursconversationss’étaienttransforméesenmurmuresetàlafindelasoirée,
monpèrerentraitenclaquantlaportederrièreluietmamèreluicouraitaprès.
Avant,mamèrecouraittoujoursaprèsmonpère.Jepréféraiscellequisetenaitdevantmoiaujourd’hui.Le goût amer de la culpabilité m’emplit la bouche. Je baissai ma
cuillère. Je m’en voulais de penser ce genre de choses, mais c’était lavérité.CettenouvelleMamanmefaisaitàmangerquandellelevoulaitetmeposait des questions sur le lycée. Elle plaisantait et passait la soiréeavecmoidevantDanceMomsouTheWalkingDeadavecunpotdecrèmeglacée.LaMamand’avantdînaitavecPapaetpassaitleplusclairdesontempsàsescôtés.
LaMamand’avantnes’intéressaitqu’àPapa,quellequesoit l’heuredujouroudelanuit.
Àprésent,ellenesouriaitplus.Jemedemandaisiellepensaitàmonpère,àcettevieenvoléeoùellen’avaitpasà travaillerpour remplir lesplacards,oùellen’avaitpasàdormirseule.
Macuillèretapacontremonbol.—Toutvabien,Maman?— Pardon ? (Elle cligna les yeux.) Oui. Bien sûr. Tout va bien.
Pourquoi?Je l’examinai quelques secondes. Je ne savais pas si je pouvais la
croire. Ma mère avait l’air en forme, comme la veille et le jourprécédent…maisilyavaitdelégèresridesaucoindeseslèvresetdesesyeux.Denouvellesmarquesétaientapparues sur son front, et ses yeux,noisettecommelesmiensmaisquitiraientdavantagesurlevert,avaientunéclattourmenté.
—Tuasl’airtriste.—Jenesuispastriste.Jeréfléchissais,c’esttout.(Elleposalamain
surmanuqueetm’embrassasurlefront.)Jerentreraitardcesoir,maisjeserailàpourdînerdemain.Jepensaisfairedesspaghettis.
—Avecdesboulettesdeviande?demandai-je,pleined’espoir.J’adoraissesboulettesdeviandemaison,biengrasses.
Ellereculaetonduladessourcils.—Àconditionquetufasseslalessive.Ilyaunepiledeserviettesde
bainquidemandenttonattention.—Marchéconclu.Je me levai et portai mon bol et ma cuillère jusqu’à l’évier. Je les
rinçai puis les déposai sur le comptoir au-dessus du lave-vaisselle enpanne.
—Tuasbesoind’autrechose?—Hmm.(Ellesedirigeaverslesalonetpassal’ansedesonsacàson
épaule.)Tupourraisnettoyerlessallesdebains?—Là,tuprofitesdemagentillesse.Mamèremefitungrandsourire.—Occupe-toidesserviettesettuaurastesboulettesdeviande.L’idéedemangerdesboulettesn’auraitpasdûmefaireaussiplaisir.—Etjepenseraiàt’acheterdesbiscuits…derégime,ajouta-t-elle.—Situfaisça,jenet’adresseplusjamaislaparole!Elleramassasavestegriseposéesurlarampedel’escalierenriant.— Tu es obligée de me parler. Je suis ta mère. Tu ne peux pas
m’échapper.—Situpassescetteporteavecdesbiscuitsderégime,jet’assureque
jetrouveraiunmoyen.Elleritetouvritlaporte.—OK, j’aicompris.Jechoisirai lesplusgraset lesplussucrés.Àce
soir.—Jet’aime!Au lieu de fermer la porte, jem’appuyai contre l’encadrement et la
regardaidescendrenotrealléeentalonshauts.Uneétrangesensationdemalaisepersistaitaucreuxdemonestomac.
Mamèreaffirmaitqu’elleallaitbien,mais jesavaisquecen’étaitpas lecas. Car au fond,même si, physiquement, elle se trouvait ici avecmoi,danssoncœur,ellecontinuaitdecouriraprèsmonpère.
À l’entraînement, je réussis à rester concentrée pendant tous lesexercices et la pratique des différentes techniques. J’évitai donc lesremontrancesdeM.Rogers.Quandjesortisdugymnase,cesoir-là,jemesentaiscentfoismieuxquelevendrediprécédent.
Unefoisarrivéeàlamaison,jeprisunedouchepourmedébarrasserde la sueur qui me collait à la peau, puis engloutis un autre bol decéréalesavecdubaconcuitaumicro-ondes.Aumomentoùj’entraidanslesalon,montéléphone,posésur la tablebasse,sonna.Quand jevisdequi il s’agissait, je grognai. Je raccrochai sans la moindre hésitation etattrapailatélécommandedelatélévision.Jemismachaînedereportagespréférée.
Aujourd’hui, c’étaitunmarathond’enquêtes sur les femmes lesplusdangereusesdel’Histoire.Jelaissailatéléenfondetreprismonlivre.Laveille, j’avais terminé le premier tome d’une série et j’avais lu les deuxpremiers chapitresdudeuxième. J’avaishâtede retrouver laCourde laNuitetlesGrandsSeigneursFae.
Rhysand,aussi.Ilnefallaitpasl’oublier.Je m’installai confortablement sur le canapé, prête à reprendre ma
lecture…quandonfrappaàlaporte.L’espaced’uneminute,j’hésitaiànepas répondre et à me perdre dans les pages de mon livre, mais lapersonneinsista.Avecunsoupir,jemelevaietmedirigeaiverslaporte.Lorsquejejetaiuncoupd’œilparlavitre,jesentismonestomacseserrer.
Sebastian.Incapablederéprimerungrandsourirestupide,jeluiouvris.—Salut!—Jetedérange?Il posa la main sur le cadre de la porte et se pencha en avant. Le
mouvement tendit le vieux tee-shirt gris qu’il portait et fit ressortir sesbiceps.
—Pasvraiment.Jereculaipourlelaisserentrer,maisilnebougeapas.
—Super.Jecomptaisalleraulacpoursalirmavoitureaumaximum.Tu viens ? (Ilme fit un clin d’œil, et de sa part ce n’était pas ringard,c’étaitcraquant.)Onvabiens’amuser.
J’avaisdéjàoubliésavictoireaubadminton.—D’accord.Laisse-moiprendremesclés.J’enfilaiunevieillepairedebasketsetattrapaimonportableetmon
sacavantdesuivreSebastianàl’extérieur.—Qu’est-cequetuavaisentête?—Tuvoislescheminsdeterrequimènentaulac?medemanda-t-il.
Jepensequeçadevraitfairesuffisammentdedégâts.Jem’assiscôtépassagertandisqu’ils’installaitderrièrelevolant.—Jenevoispastropenquoijeseraiutile.Ilhaussauneépauleetallumalemoteur.—J’avaisjusteenviedecompagnie.Mapoitrine se gonfla. J’attachaima ceinture et essayai dene pas y
penser.La lumièrevivedusoleil traversait lepare-brise.Sebastianpassalebrasàl’arrièredelavoitureetramassasacasquetteparterre.Quandill’enfilaetbaissalavisièreaumaximum,je…Jesoupirai.
Jenepusm’enempêcher.Lesgarçonsquiportaientdescasquettesétaientmonpointfaible.Età
Sebastian, ce look allait comme un gant. Il y avait quelque chose danscettevieillecasquetteuséequimettaitenvaleursamâchoirecoupéeàlaserpe.
Chut.Je fermai lesyeux. Ilne fallaitplusque je le regarde.Engénéral, je
veuxdire.Pour le restantdemes jours.Oupeut-êtrependantunanoudeux.Bonplan.
J’avaisvraimentungrosproblème.Exaspérée,j’allumailaradiopourmedistraire.—JenesuisplusretournéeaulacdepuisqueKeithaessayédefaire
duskinautiqueavecdesskisdeneige.Sebastianéclataderire.
—Bonsang,c’étaitquand,déjà?Enjuillet?J’ail’impressionqueçafaituneéternité!
—Oui.(Jejouaiaveclebasdemontee-shirt.)C’étaitjusteavantquetupartespourlaCarolineduNord.
—Jen’arrivepasàcroirequetun’ysoispasretournée.C’estmoinsdrôlequandjenesuispaslà,c’estça?metaquina-t-ilenmepinçantlebras.Tusais,tupeuxmeledire.
— Oui, tu as tout compris. (Je repoussai son bras et croisai mesjambes au niveau des chevilles.) Les filles n’aiment pas trop le lac. (Aumoins,cen’étaitpasunmensonge.)Aufait,tucroisqueMeganetPhillipvontseremettreensemble?
—Dieuseullesait.Sansdoute.Puisilsseséparerontencore.Etilsseremettront ensemble. (Il sourit.) En tout cas, je sais qu’il veut larécupérer.Ilnes’encachepas.
—Jetrouveçabien,murmurai-je.Ilhaussaunsourcil.—Laplupartdesgarçonsn’osentpasparlerdecegenredechosesà
leurspotes,luifis-jeremarquer.—Ettulesais,parcequetuesunmec?—Exactement.Enfait,jesuisunhomme.Sebastiannerelevamêmepas.—Jecroisquelorsqu’unmecestamoureuxd’unefille,ilsemoquede
savoirquiestaucourant,parcequ’iln’enapashonte.J’allaisdevoirlecroiresurparole.Le lac se trouvait à une vingtaine de minutes de la ville, près de
l’exploitationfamilialedeKeith,auboutd’unesuccessiondecheminsdegravieretdeterre.Decequej’ensavais,lelacétaitsituésurlesterresdeses parents et leur appartenait. Toutefois, ils n’en avaient jamais fermél’accèsetlaissaientlesgensvenirs’yamuser.
Sebastianemprunta lecheminprivé.Lavoiturecahotasur le terrainaccidenté tandis que les roues soulevaient de la poussière. En quelquesminutes,laJeeps’enretrouvacouverte.
—Keithvat’envouloiràmort.(Jeregardaiparlafenêtreenriant.)Maisilauraitfaitexactementlamêmechose.
—Tuparles,lui,ilseraitallédanslaboueavecsavoitureavantdemel’apporter.Jen’aiaucunremords.
Après avoir roulé sur tous les chemins de terre accessibles pendantuneheure,laJeepétaitméconnaissable.Mesfesses,elles,mefaisaientunmaldechien.Jepensaisqu’onallaitrepartirquand,soudain,j’aperçuslelacàtraverslesarbres.
Ledésirdem’enapprocher fitbattremoncœurunpeuplusvite.Jen’avaispaslamoindreenviederentrerchezmoi,danscettemaisonvideetsilencieusequi,parfois,mefaisaitpenseràunsquelettedécharné.Cen’étaitqu’unecoquillevide.Sansrienàl’intérieur.
Lahontemenoual’estomac.Notremaisonn’étaitpasvide.Ilyavaitmamèreetmasœurquandellerentrait.Mamèrefaisaittoutsonpossibleetplusencorepourqu’elleressembleàunvraifoyer…maisparfois,jenepouvaisnierquequelquechosemanquait.
Maman…ellenevivaitqu’àmoitié.Elletravaillaitbeaucoup,rentrait,travaillaitencore,dînaitetallaitse
coucher.Etc’étaitcommeçatouslesjours.C’étaitsamoitiédevie.—Onpeutresterunpeu?demandai-jeencoinçantmesmainsentre
mesgenoux.Tunedoispasrentrer?—Non. Jen’ai riendeprévu. Laisse-moi faire encoredeuxou trois
allers-retoursetondescendjusqu’auponton.—Super,murmurai-je.Je restai silencieuse tandis que Sebastian continuait son rodéo. Au
bout d’un moment, il ralentit, sortit de la route et se gara près debuissons.Jedétachaimaceinturedesécurité.
—Attends,nebougepas,dit-ilavantquej’aieeuletempsd’ouvrirlaportière.
Étonnée, je le regardaidescendrede lavoitureeten faire le tour. Ilm’ouvritlaporteetmefitlarévérence.
—Madame.
Unéclatderirem’échappa.—Sérieux?Iltenditlamainversmoi.—Jesuisungentleman.Je luipris lamainet le laissaim’aideràsortirde laJeep.Alorsque
j’étais en train de descendre, je sentis son autremain se poser surmahanche.Surpriseparcecontact,jefisunpasenavantetmonpieddérapasurl’herbehumide.
Sebastianmerattrapafacilement.Samainglissademahancheàmataille.Jemeretrouvaiplaquéecontresontorse.Cemouvementinattendumecoupalesouffle.Noscorpsétaientpressésl’uncontrel’autre.
Lagorgesèche, jerelevailentementlatête.Jenedistinguaispassesyeuxparcequ’ilsétaientdissimulésparsacasquette.Moncœurbattaitsifortquejemedemandaiss’ilpouvaitlesentir.
Vunotreposition,ilauraitpu.—Tuasunpeudemal,non?Il rit, mais ce n’était pas son rire habituel. Il était plus grave et je
sentisunesériedefrissonsdescendrelelongdemondos.—Jenesaispassijepeuxtelaissermarcherjusqu’auponton.—N’importequoi.Jefisunpasenarrière.Il fallaitquejemettedel’espaceentrenous
avantquejefasseunechosestupide,commememettresurlapointedespieds, poser les mains sur ses joues et plaquer mes lèvres contre lessiennes.
Sebastiansourit.Cefutsonseulavertissement.Ilsepencha,passaunbrassousmesgenouxetjemeretrouvailatête
à l’envers, le ventre contre son épaule. Son bras, surmes hanches,memaintenaitenplace.
Uncrim’échappaetjem’accrochaiaudosdesontee-shirt.—Qu’est-cequetufabriques?—Jet’aideàallerjusqu’auponton.
—Oh,monDieu!hurlai-jeenm’agrippantdavantageautissudesontee-shirt.(Mescheveuxtombaientenavantenunrideauépais.)Jepeuxmarchertouteseule!
Ilseretournaetsemitàavancer.—Jen’ensuispassisûr.—Sebastian!—Si tu teblessaisen tombant, jeneme lepardonnerais jamais. (Il
enjambauntroncd’arbre.)Tamèrem’envoudrait.Ettasœurrentreraitàlamaison…Ellemeterrifie,tusais?
— Quoi ? criai-je en lui donnant un coup de poing dans le dos.Pourquoiest-cequetuaspeurdeLori?
Ilaccéléralepas.Sesgrandesenjambéesmefaisaientrebondircontresondos.
—Elleest…intense.Jesuissûrqu’ellepourraitfaireflétrirdespartiesdemonanatomiejusteavecleregard…etjepréféreraiséviter.
Je relevai la tête. Je ne voyais presque plus la Jeep. Je frappaiSebastianauniveaudu foieet ilgrogna. Il sevengeaenmarchantavecplusd’entrain.
—Cen’étaitpastrèsgentil.—Situcontinues,jevaistefairetrèsmal.—Tunemeferasriendutout.Onquittabientôtl’ombredesarbrespouravancerenpleinsoleil,etle
sol couvert de brindilles piétinées devint plus vert. Le parfum de terrehumideétaitplusfort,ici.
—Tupeuxmereposer,maintenant.—Encoreuneseconde.—Quoi?Tout à coup, il tendit son bras libre, comme Superman, et semit à
tournersurlui-même.—IbelieveIcanfly.IbelieveIcantouchthesky…—Oh,non!
J’éclatai de rire, même s’il y avait de grandes chances pour que jevomissesursondos.
—Ithinkaboutitnightandday!— Tu es un grand malade ! (Je réprimai un nouvel éclat de rire.)
Qu’est-cequinevapasdanstatête?—Spreadmywingsand…jenesaisplus…away 1!Tout à coup, il s’arrêta, et jememis à basculer en avant.Avecune
facilitédéconcertante,ilmerattrapaetmefitglisserlelongdesoncorps.Jelesentistoutcontremoijusqu’àcequej’atterrissesurmespieds.
Déséquilibrée par son petit jeu, je me laissai tomber sur l’herbemoelleuseetenfonçaimesdoigtsdanslesbrinschauds.
—Tu…tunetournespasrond,tusais.—Moi, je trouve que je suis plutôt incroyable. (Il s’assit à côté de
moi.)Peudegensconnaissentmontalentcaché.—Un talent?hoquetai-jeenme tournantvers lui.Onauraitditun
ourspolaireentraindesefaireégorger.Ilrejetalatêteenarrièreetritsifortquesacasquettetomba.—Tues jalouseparceque tun’aspasunevoixd’angecommemoi,
c’esttout.—Tudélires!m’exclamai-jeenessayantdelefrapper.Malheureusement, il était plus rapideet ilm’attrapa lepoignet sans
effort.—Interditdefrapper!Tuespirequ’ungamindecinqans,maparole.—C’estcequ’onvavoir!Jetentaidelibérermonbras,maisaumêmemoment,ilm’attiraàlui
etjeperdisl’équilibre.Jenesaiscommentnipourquoi,jemeretrouvaiàmoitié allongée sur lui. Nos jambes étaient emmêlées. J’étaispratiquementassisesursesgenoux.Etnousétionsfaceàface.
Saufqu’ilnemeregardaitpasdanslesyeux.Dumoinsn’enavais-jepasl’impression.Sonregardsemblaitrivésur
meslèvres.Monestomacsenoua.Letempssemblas’arrêteret,soudain,jepouvaissentirtouslesendroitsoùnousnoustouchions.Sonbrasétait
autourdemataille,sacuissepuissanteétaitpresséecontrelamienne.Mapaume était posée sur son tee-shirt fin et je pouvais sentir son torsemuscléendessous.
—Jedélire?demanda-t-ild’unevoixrauque.Jefrissonnai.—Oui.Il leva la main. Je retins mon souffle tandis qu’il recoiffait mes
cheveuxenarrière,pourdégagermonvisage,avecunetendresseinfinie.Sesdoigtss’attardèrentcontremanuque.
Plusieurs secondes s’écoulèrent ainsi, quelques battements de cœur,puis un son que je n’avais jamais entendu s’échappa de sa gorge. Ungrognement grave qui semblait remonter du plus profond de son être.Alorsjebougeaisansréfléchir,jebaissailatêteetmeslèvres…
J’embrassaiSebastian.
1.«Jecroisque jepeuxvoler.Jecroisque jepeuxtoucher leciel…J’ypensenuitet jour.Déployermesailesetm’envoler.»(ParolesdeIbelieveIcanfly,deR.Kelly.)(N.d.T.)
CHAPITRE6
Le baiser avait été doux, comme un murmure contre mes lèvres.J’avais du mal à y croire. Pourtant, le bras de Sebastian était toujoursautour de moi et ses doigts, contre ma nuque, s’accrochaient à mescheveux.
Sa bouche était encore à quelques centimètres de la mienne. Jepouvaissentirsonsoufflecontremeslèvres.Moi,jen’étaispassûred’êtrecapable de respirer. Mon cœur battait à cent à l’heure. Je voulaisl’embrasserencoreune fois.Jevoulaisqu’il répondeàmonbaiser.Riend’autrenecomptait.Toutefois,lechocm’empêchaitd’agir.
Sebastianpenchalatêtesurlecôtéetsonnezeffleuralemien.Jeprisunegrandeinspiration.Jerespiraisdonc.Allait-ilm’embrasser?Plusfort,cettefois?Avecpassion?
Toutàcoup,ilreculavivementlatêteetavantmêmedecomprendrecequiétaitentraindesepasser,jemeretrouvailesfessesparterre,surl’herbe,àcôtédelui.Onnesetouchaitplus.J’ouvrislabouche,maisjenesavaispasquoidire.Moncerveauavaitcessédefonctionner.
C’estalorsquelavéritésurcequis’étaitréellementpassémefrappa.Sebastiannem’avaitpasembrassée.Jel’avaisembrassé.Je l’avais embrasséetpendantunmoment infime… j’avais cruqu’il
allaitrépondreàmonbaiser.Jel’avaissenti.Maisiln’enavaitrienfait.Ilm’avaitpousséesurl’herbeàcôtédelui.
Qu’avais-jefait?Le cœur au bord des lèvres, je tentai de démêler les milliers de
pensées qui m’assaillaient. J’ouvris de nouveau la bouche pour parler,mêmesijenesavaispasquoidire.
Sebastianserelevad’unbond.Ilétaittrèspâleettendu.—Merde.Jesuisdésolé.Je refermai aussitôt la bouche. Venait-il de s’excuser parce que je
l’avaisembrassé?Ilramassasacasquettetombéeàterreetlaremit.Quandilrecula,il
nem’accordapaslemoindreregard.—Cen’étaitpas…Cen’étaitpascequetuvoulaisfaire,pasvrai?Lentement, je relevai la tête pour le regarder. Était-il sérieux ?
Qu’aurais-je pu lui répondre ? Ce n’était pas comme si j’avais glissé etposémeslèvressurlessiennesparaccident.L’airquej’inspiraimebrûlalespoumons.Jebaissailesyeuxversl’herbevertclair.Lorsquejecompriscequisecachaitderrièresaquestion,monpoingserefermasurlesbrinsd’herbe.
Une douleur aiguë s’éveilla au centre de ma poitrine et se déversajusqu’àmonventrecommeunecouléedeboueemplissantmesentrailles.
—Je,euh,j’aioubliéquejedevaisallervoirl’entraîneuravantdîner,medit-ilenseretournant.Ilfautqu’onrentre.
C’étaitunmensonge.Ilnepouvaitenêtreautrement.Sebastiancherchaitàs’échapper.Jen’étaispasstupide.Maisqueça
faisaitmal.Parcequejecroisquec’était lapremièrefoisqu’ilmefuyaitainsi.
La peine remonta le long dema gorge et m’étrangla. Le rougememontaauxjoues.Lagênelaplusterribles’ancraenmoi.
Seigneur.J’étaisàdeuxdoigtsdemelaissertomberdanslelac,têtelapremière,
etdemelaissersombrer.
Engourdie,jemelevaietretirailesbrinsd’herbecollésàmonshort.OnretournaàlaJeepsansunmot.J’avaisenviedepleurer.Magorgemebrûlait.Mes yeux aussi. Jeme fis violence pour ne pasm’effondrer là,devant lui.Moncœurmefaisait tellementmalqu’ilétaitsûrementbriséendeux.
Unefoisdanslavoiture, jebouclaimaceintureetmeconcentraisurmarespiration.Ilmesuffisaitdemecontenirjusqu’àcequejerentrechezmoi.C’était simple. Et quand je serais chezmoi, jem’autoriserais àmeroulerenbouledansmonlitetàpleurertoutesleslarmesdemoncorps.
Sebastianmit lecontactet lemoteurgronda.La radio s’alluma,elleaussi,maisjenediscernaispascequelesvoixdisaient.
—Tout…Toutvabien,pasvrai?medemanda-t-ild’untonhésitant.—Oui, répondis-jed’une voix rauque. (Jeme raclai la gorge.)Bien
sûr.Sebastianneditrien.Pendantquelquessecondes,jesentissonregard
surmoi.Jenetournaipaslatêteverslui.Jenepouvaispas.J’avaistroppeurdefondreenlarmes.
Alorsilpassaunevitesseetavança.Qu’avais-je fait ? Je n’avais jamais montré mes sentiments pour
Sebastian. D’habitude, je jouais la comédie. Et voilà que je l’avaisembrassé.
J’auraisvoulurevenirenarrière.J’auraisvoulurevenirenarrièrepourrevivrececourtinstantquinese
répéteraitjamais.J’aurais voulu revenir en arrièrepournepas l’embrasser, parceque
celaavaitétéuneénormeerreur.Désormais, notre amitié et nos relations ne seraient plus jamais les
mêmes.
J’avaismalàlatêteetauxyeux,maisjen’avaistoujourspaspleuré.J’avaiscruenêtrecapable.Aprèstout,j’avaisàpeinetouchélesboulettesdeviandeàl’oignonaudîner,laveille.Mamères’enétaitrenducompte.
Pouréviter lesquestions, je luiavaisditquejenemesentaispasbienàcausede l’entraînementmatinal.Aprèsmanger, je fus incapablede lire.Je restai prostrée sur mon lit, les yeux rivés sur la porte du balcon,pathétique,àattendrequ’ilmerendevisite,qu’ilm’envoieunmessage…n’importequoi.Ilnefitriendetoutcela.
En temps normal, je neme serais pas alarmée. Durant l’été, on nes’étaitpasparlétous les jours.Maisaprèscequis’étaitpasséaulac, leschosesavaientchangé.
Ma gorge et mes yeux me brûlaient, mais les larmes m’avaientdésertée.Aubeaumilieude lanuit, jeme rendis compteque jen’avaispaspleurédepuis…depuis cequi s’était passéavecmonpère.Quelquepart, celame donna encore plus envie de pleurer. Pourquoi en étais-jeincapable?
Toutcequej’obtinsfutunemigrainecarabinée.Heureusement que je n’avais pas d’entraînement le jeudi, sinon
j’aurais encore eu droit à un sermon. Après que ma mère fut partietravailler, je me remis au lit et, les yeux rivés au plafond craquelé, jerejouaidansmatêtetoutcequis’étaitpasséprèsdulacavantlemomentfatidique.
Avantquej’embrasseSebastian.Unepartdemoi aurait voulu faire comme s’il ne s’était jamais rien
passé.Cetteméthodeavaitfaitsespreuves.J’agissaistouslesjourscommesimonpèren’existaitpas.Toutefois, le jeudi matin, quand je découvris à mon réveil que je
n’avaistoujourspaseudemessagenidevisitedeSebastian,jesusquejedevais me confier à quelqu’un. Je ne savais pas comment réagir nicomment m’y prendre pour arranger la situation et je doutais que lasolution se présenterait d’elle-même. Alors j’avais envoyé un SMS auxfillesenleurdisantquejevoulaisleurparler.Commejeneleuravaispasexpliqué pourquoi, elles avaient sans doute compris que c’était uneurgence.
AbbietMeganm’avaient rejointe leplusvitepossible.Daryn’auraitpashésité,ellenonplus,sielleavaitétéenville.
Megan était à genoux sur le lit. Ses cheveux blonds détachéstombaient sur ses épaules.Abbi, elle, était installée surmon fauteuildebureau et m’observait. Avec son bas de jogging trop large et sondébardeur, on aurait dit qu’elle avait bondi hors du lit et enfilé lespremiersvêtementsqu’elleavaittrouvés.
Jeleuravaisdéjàracontécequis’étaitpassé,entirantmoncouragedupaquetd’OreoqueMeganavait apporté. J’enavais sansdouteavaléquatreoucinqpendantquejeparlais.Bon,d’accord.Dix.Etjecomptaisterminer les restes de spaghettis et de boulettes de viande après leurdépart.
—Jetiensàdirequej’aitoujourssuquetuenpinçaispourSebastian,déclaraMegan.
Je restai bouche bée. Je ne comprenais pas comment ses conseilshebdomadairespourm’aideràtrouverlepèredemesenfantspouvaientêtreliésàmessentimentspourSebastian.
—Jemedoutaisdepuisuncertain tempsde tonobsessionpour lui,reprit-elle. Les conseils que je te donnais, c’était pour que tu avoues lavérité.
Sonraisonnementnetenaitpaslaroute.Dutout.—Ettulesaisdéjà,maisjel’avaisdeviné,moiaussi, intervintAbbi.
Jet’enaifaitlaréflexionladernièrefoisqu’ons’estparlé.—Onn’apasétéétonnéesquetuteséparesd’Andre,ajoutaMegan.
Tuavaisenviedetomberamoureusedelui,maistun’yarrivaispas,parcequetuaimaisdéjàSebastian.
C’était la vérité. J’avais voulu tomber amoureuse d’Andre. Jel’appréciaisbeaucoup.Mais…moncœurn’étaitpaslibre.J’avaiscruquenotreintimitéferaitévoluermessentimentspourlui.Celan’avaitpasétélecas.Enréalité,celaavait sûrementété lapire raisondecoucheraveclui.Après,j’avaiscomprisquecetterelationnepouvaitpascontinuer.
Jememisàfairelescentpasdevantmonplacard.
—Sic’étaitaussiévident,pourquoiest-cequevousn’avezjamaisriendit?
— Je croyais que tu ne voulais pas en parler, répondit Megan enhaussantlesépaules.
Abbiacquiesça.—Tun’aimespasteconfierànous.J’aurais voulu nier, mais c’était la vérité. Elles avaient visé dans le
mille.J’agissaisdelamêmefaçonavecSebastian.Jel’écoutais,maisjenelui parlais jamais de moi. Je pouvais passer des heures à réfléchir àquelquechosesansjamaisendiscuter.
—On y reviendra plus tard. Pour l’instant, il y a un truc que je necomprendspas,ditMegan.Tuasditqu’ilavaitfaitunbruitetjesaisdequelbruit tuparles.Et qu’il t’a serrée contre lui.Ondirait que ça lui aplu…
Jeserraietdesserrailespoingscontremesflancs.Jenetenaispasenplace.
— Je ne comprends pas,moi non plus. Je ne sais pas ce quim’estpassé par la tête. Tout allait bien. Sebastian faisait l’idiot, commed’habitude,etonétaitl’unsurl’autre…
—Vousêtessouventl’unsurl’autre?medemandaMegan.(Quandjeluiadressaiunregardnoir,ellelevalesmainsenl’air.)Nemeregardepascommeça.J’essaiederassemblerleplusd’informationspossible.
—Cen’estpascequetucrois,répondis-jeenmemassantlestempes.Jevoulaisluidonnerunetapesurlebrasetilm’aattrapélepoignet.Onfaisaitlesidiots.Ettoutàcoup,jemesuisretrouvéeassisesursesgenoux,àleregarderdanslesyeux.
—C’est à cemoment que tu l’as embrassé ? (Abbi croisa les bras.)Uneseulefois?
Jemeprislevisageentrelesmainsethochailatête.—Nos lèvres se sont à peine frôlées. Je ne suismême pas certaine
qu’onpuisseappelerçaunbaiser.—Unbaiser,c’estunbaiser,ditAbbi.
— Je ne sais pas… intervint Megan en piochant un Oreo dans lepaquetposéàcôtéd’elle.Ilyadifférentesfaçonsdes’embrasser.Ilyalesmack, le baiser plus longmais sans langue, le…Attendez uneminute.Pourquoiest-cequejevousexpliqueça?Iln’yaplusaucunhymenintactdans cette pièce. Vous connaissez déjà les différentes façons des’embrasser.
—Oh,monDieu,grognai-jeenbaissantlesbras.Abbilevalesyeuxaucielensecouantlatête.—Parfois, j’ai dumal avec tonhumour. Plus aucunhymen intact ?
Sérieux?Jenesaismêmepasquoirépondreàça.Meganparlaavecunbiscuitdanslabouche.—Sijecomprendsbien,tul’asembrassévitefait,sanslangue,puistu
aspaniqué.Jemeremisàfairelescentpas.—Oui.C’estàpeuprèsça.Elle attrapa sa serviette et essuya les miettes noires autour de ses
lèvres.—Ilt’arenducebaiser?—Non,murmurai-je.J’aicruqu’ilallaitlefaire,maisnon.Abbihaussalessourcils.—Qu’est-cequ’ilfichaitalors?Ilestrestéallongésansrienfairealors
quetuétaisassisesursesgenoux?Jegrimaçai.—Plusoumoins.Mesdeuxamieséchangèrentunregard.MeganpritunautreOreo.—Jenesuispasvraimentsurprisequetul’aiesembrassé.Aprèstout,
tumeursde lui sauter dessusdepuis que tu as compris que les garçonsavaientunpé…
—Jemerappelletrèsbienlemomentoùj’aicommencéàvoirenluiplusqu’unsimpleami,lacoupai-je.Jenesaispascequim’apris.
—Tunelesaispas,parceque,commed’habitude,tun’étaispasdansl’instantprésent,ditAbbiens’adossantaufauteuil.Tufaistoujoursça.Tu
réfléchistrop,tuanalysestoutet,ducoup,tuneprofitespasdecequiestentraindesepasser.
J’auraisvoululenier,maiselleavaitraison.Jelefaisaissouvent.—Peut-êtrebien…maisonpourraitcataloguermesdéfautsuneautre
fois,s’ilvousplaît?Abbim’adressaunlégersourire.—D’accord.— Tu l’as peut-être pris par surprise, reprit Megan. C’est peut-être
pourçaqu’ilapaniqué.—Tucrois?—C’estunepossibilité.Vousêtesamisdepuistoujours.Mêmes’ilest
amoureuxdetoi,tongestel’asansdouteprisaudépourvu.(Ellefitpassersescheveuxderrièresonépaule.)Vousavezdiscuté,après?Non,nedisrien.Jeconnaisdéjàlaréponseàcettequestion.Tuneluiasplusadressélaparole.
Jegrimaçai.Ellelevalesmainsdevantelle.—Jenedispasçapourremuerlecouteaudanslaplaie.Enfait,situ
n’as pas expliqué ton geste, il y a des chances pour qu’il croie que tupensesavoirfaituneerreur.(Ellejetauncoupd’œilàAbbi.)Non?
—Ehbien…(Abbis’appuyacontrel’accoudoirdufauteuil.)Bon.Tusaisquejet’aime,pasvrai?
Quelquechosemedisaitquejen’allaispasaimercequ’elleavaitàmedire.
—Oui?—J’aiunetoutepetiteremarqueàfaire,dit-elle.(Ilétaitclairqu’elle
choisissait ses mots avec soin.) Tu as embrassé Sebastian. On vaconsidérerquecen’étaitpasunbisouentreamis.Engénéral,lesgensquis’embrassentsurlaboucheveulentêtreplusquedesimplesamis.
— D’accord, intervint Megan. Sinon, ça va commencer à êtrecompliquéàsuivre.
—Donc,tul’asembrasséetilaconsciencequecen’estpasparcequetu es son amie. Il y a deux possibilités. La première, c’est celle dont aparléMegan: ilaétésurpris,aréagibizarrement,puisestalléseterrerquelquepartparcequ’ilahonte.
Je n’arrivais pas à imaginer Sebastian se cacher parce qu’il avaithonte.
— La deuxième, c’est que le baiser ne lui a pas plu et quandl’ambiance est devenue gênante, il s’est enfui le plus vite possible enespérantquetuoublieraistoutça.
Aïe.Jemedirigeaiverslaportedubalcon.—Tuveuxdirequ’ilauraitpréféréquejenel’embrassepas?— Euh, alors… (Elle se mordit la lèvre inférieure.) Il n’est avec
personneencemoment.Toinonplus.(Lavoixd’Abbiétaitdouce.)Vousavezdestasdechosesencommun.Vousêtesbeaux…
—Jecoucheraisavectoisanshésiter,commentaMegan.—Merci,rétorquai-jeenriant.—Etsurtout,vousvousconnaissezmieuxquequiconque.Jemedis
quesilebaiserluiavaitpluetqu’ils’étaitrenducomptequ’ilvoulaitplus,il t’aurait embrassée à son tour.Ou il te l’aurait fait comprendre. Il net’auraitpasdit:«Çan’auraitjamaisdûsepasser.»
Lecœurserré, j’écartai le rideauet jetaiuncoupd’œilà l’extérieur.Unelégèrebrisefaisaitondulerlesbranchesduvieilérable.
Abbi avait raison. Sebastian m’avait fait comprendre que ce baiseravaitétéuneerreur.
— À part ça, je ne vois pas pourquoi vous ne pourriez pas êtreensemble,ajouta-t-elle.S’ilétaitvraimentamoureuxdetoi,iln’auraitpasréagicommeça.
Mon estomac se noua. La douleur m’envahit. La sensation étaittellementviolenteque j’avaisvraiment l’impressionquel’onm’arrachaitlecœur.Jeprisuneinspirationtremblante.
—Qu’est-cequejefais,maintenant?
Jelâchailerideauetmetournaiverselles.Meganhaussalessourcils.— Personnellement, je lui aurais déjà envoyé un message pour lui
demanderquelestsonproblème.Cetteidéemedonnaitdessueursfroides.—Jecroisquejesuistroplâchepourcegenredetechnique.—Tun’espaslâche,Lena,m’assuraAbbi.Jecomprendspourquoitu
n’as rien fait. Sebastian est l’un de tes meilleurs amis. La situation estdélicate.
«Délicate»étaituneuphémisme.— Mais je crois que tu devrais lui écrire, moi aussi, reprit Abbi.
Demande-luisitoutvabien.Çan’engageàrien.Rienqued’ypenser,celamedonnaitlanausée.—Jemesenstellementbête.Meganfronçalessourcils.—Pourquoi?—Parceque…parcequejenedevraispasperdremontempssurdes
chosesaussifutiles.(Jem’approchaidulitetmelaissaitomberàcôtédeMegan.J’attrapaiunbiscuit,maismagorgenouéemefaisaitsouffrir.)Ilya des tas de choses beaucoup plus importantes qui mériteraient monattention.
—Commequoi ?medemandaMegan.Lapaixdans lemonde?Lapolitique?Lesdettesdel’État?Jesuissûrequej’enoublie.Turegardeslesinfos,toi.Jenesauraismêmepassurquelleschaîneslesregarder.
Jesourislégèrementetsecouailatête.—Jedevraispenseràmadernièreannéedelycée.Jen’aipresqueque
des cours renforcés, cette année, et l’entraînement de volley va êtrephysique.Ilfautquejemetrouveunebourse…
—Tusaisquoi?Toutça,c’estdesconneries.(Megantournalatêteversmoi.Elleétaittouterouge.)Tupensesàunmecettunousenparles,etalors?Jesaistrèsbienquetun’aspasqueçaentête.Abbiaussi.Tun’es pas obligée de passer tes journées à discuter de problèmes sérieux
pour nous prouver que tu n’es pas une pimbêche qui ne pense qu’auxmecs. De toute façon, c’est toujours pareil. En tant que filles, il fauttoujoursqu’onsejustifie.Onnepourrajamaisgagner.
— Oh, non, souffla Abbi en souriant. C’est parti pour le coup degueule.
—Jevaismegêner!Sionpenseauxgarçons,lesautres,souventdesfilles, parce que, soyons honnêtes, on peut être de vraies garces entrenous,disentqu’onestsuperficielles.Qu’onest frivoles.Jenesaismêmepascequeçasignifie.Etsi,aucontraire,onnepensepastoutletempsaumec qui nous plaît, on nous traite de menteuses. Ou on nous trouvebizarres. Et si on s’intéresse à d’autres sujets, tout à coup, on estprétentieuses. On ne peut pas gagner. C’est comme si on n’était pasautoriséesàavoirdessentimentsniàypenser.C’estn’importequoi.
— Je ne le dis pas souvent, intervint Abbi avec sérieux,mais elle araison.
—Évidemmentque j’ai raison ! (Megan leva lesbrasauciel.)Et çamarche aussi avec les filles qui aiment les filles. C’est de la folie. Tupensesàcequis’estpasséavecSebastianparcequ’ilest importantpourtoi, toutcommele lycée, levolley, leboulotet,oui,mêmelesdettesdel’État.
Jeris.Meganpritunegrandeinspiration.—J’aimepenserauxgarçons,àPhillipenparticulier,et je suisplus
intelligentequelaplupartdesgens,surtoutceuxquimedisentquejesuissuperficielle. Je peuxpenser aux garçons et avoir une vie à côté.Qu’ilsaillentsefairevoir!Net’enveuxpasparcequetuchoisisdeteconcentrersurunmomentimportantdetavie.Aujourd’hui,cemomentestliéàungarçon.Demain,ceseraautrechose.
Étonnéepartantdesagesse,jeladévisageai,puisluisouris.—Waouh,Megan. Je suis àdeuxdoigtsde tedemanderde répéter
toutçapourquejel’enregistre.Ellelevalesyeuxauciel.
— Hors de question. Je n’arriverais jamais à être aussi bonne unedeuxièmefois.
Abbirapprochalachaisedulit.—Jemerépète,mais…Meganaraison.Jemelaissaitomberenarrière,surlelit,etmanquaiécraserlepaquet
d’Oreo.Tandis que j’observais le plafond, la poignede fer qui enserraitmapoitrinesedesserraunpeu.Latristesseétaittoujourslà,commeuneombre dans mon existence, et je ne savais toujours pas comment mecomporter par rapport à Sebastian, mais je me sentais un peu mieux.Grâceàelles.Àmesamies.
— Les filles, leur dis-je. Je ne vais peut-être pas passer la soirée àpleurer sur mon canapé et à m’empiffrer des restes de boulettes deviande.
Abbiéclataderire.—C’estbonàsavoir.— Je peux avoir une boulette de viande ? demandaMegan enme
donnantunlégercoupdecoude.Avectoutlesucrequejeviensd’ingérer,jepensequedelaviandemeferaitleplusgrandbien.
Abbisoupira.— Vous allez me trouver ridicule, prévins-je sans bouger. Mais on
restera amies toute la vie, pas vrai ? Parce que j’ai le sentiment que cen’estpasladernièrefoisquejevousraconteraicegenredebêtises.
Megangloussa.—C’étaitunpeuridicule,maisoui.Amiespourlavie.—N’oubliepasDary,ditAbbienmedonnantunpetitcoupdepied.
Touteslesquatre,onseserreratoujourslescoudes.Quoiqu’ilarrive.
CHAPITRE7
Aprèsledépartdesfilles,jeprismontéléphoneetsortissurlebalcon.Accoudéeàlarambarde,j’observailamaisondeSebastian.Samèreétaitdans leur jardin, à genoux, en train de creuser. Elle portait l’un de ceschapeauxenpailleinforme.Seulesquelquesmèchesdesescheveuxbrunsdépassaient.
Quandelleenfonçait lapelledans lesplates-bandesqui couraient lelong de leur terrasse ombragée, son corps tout entier tremblait sousl’effort. À côté d’elle, des pivoines roses et violettes en pot attendaientd’êtreplantées.Mesyeuxremontèrentlelongdesbriquesrougesdeleurterrasse. Leur barbecue en pierre trônait au milieu. Il ne s’était paseffondrécommelenôtre.
La mère de Sebastian était une femme discrète. Depuis que je leconnaissais, je m’étais rendue des milliers de fois dans leur maison.Pourtant,duranttoutescesannées,lesconversationsquej’avaiseuesavecsamèresecomptaientsurlesdoigtsdelamain.
Elle était toujours très gentille, me disait bonjour, me demandaitcomment j’allais, commentallaitmamèreousiLori seplaisaità la fac,maiscelas’arrêtaitlà.
C’étaitlepèredeSebastianquiparlaitleplus.Soufflant,jebaissailatêteversmonportable.Pendanttoutcetemps,
AbbietMegans’étaientdoutéesdemessentimentspourSebastian.Daryaussi,probablement.Ellesnem’enavaientpasparléetnem’avaientpas
pousséeàleleuravouer,cequiendisaitlongsurnotreamitié.Ellesmeconnaissaienttropbien.
Jem’éloignaide la rambardepourme laisser tomber surmachaise,lespiedsposéssurleborddusiège.Lesdoigtscrispéssurmontéléphone,jeréfléchisauxpossibilitésquis’offraientàmoi.
Jepouvaisfairesemblantqu’ilnes’étaitjamaisrienpassé.Celaavaitété ma façon de fonctionner pendant des années. Je reportais aulendemaintoutensachantquejeneferaisjamaisrien,maischaquefois,lefuturmeparaissaitpleind’espoiretdepotentiel.
Cettefois,jenepouvaispasmelepermettre.Je me mordillai les lèvres et ouvris ma boîte de réception. Là, je
trouvailederniermessagedeSebastianquidataitduvendrediprécédent.L’estomacnoué,jetapai:
Toutvabien,entrenous?
De longues secondes passèrent avant que je trouve le couraged’appuyer sur « Envoyer ». Lorsque je le fis, je regrettai presque mongeste.Malheureusement,jenepouvaispasrevenirenarrière.Jerestailesyeux rivés sur mon écran. L’entraînement de foot était terminé. Après,Sebastiansortaitparfoisavecdesamis.Sinon,ilrentraitdirectementàlamaison.
Inquiètedenepasrecevoirderéponse, je laissai tombermonvisagecontremesgenoux.
Dansunsens, j’étais surprised’avoir trouvé lecouragede luiécrire.Entempsnormal, jen’aurais rien faitet j’aurais laisséSebastianrevenirlui-mêmeversmoiouattenduqueleproblèmeserésolvetoutseul.Cettefois,jenepouvaispasfaireça.
L’espaced’unmoment,jeréfléchisàlapossibilitéd’allerfrapperàsaportepourvoirs’ilétaitlà,maisjevenaisdeluienvoyerunmessage.Jenevoulaispasnonplusleharceler.Netenantplusenplace,jemelevaiet
descendis les marches du balcon qui donnaient dans le jardin. À mi-chemin,jem’arrêtai.Qu’étais-jeentraindefaire?
Jejetaidenouveauuncoupd’œildanslejardindeSebastian.Samèreavaitpresque terminédeplanter les fleurs. Ilne restaitque lespivoinesrouges en pot. Je fis demi-tour et remontai l’escalier. Une fois àl’intérieur, jedescendisaurez-de-chausséeet fis réchauffer lesboulettesde viande. J’en mangeai quatre, perchée sur l’accoudoir du canapé,devantlesinformations.
Quandj’eusterminé,Sebastiannem’avaittoujourspasrépondu.Leventreplein, jeretournaidansmachambre,maisj’étaistellement
agitée que je restai debout, le téléphone à lamain. J’étais incapabledem’asseoiretdelire.Lasolutionétaitpeut-êtredefaireleménage.
Toutpourpenseràautrechose.Jeposaimonportablesurmatabledechevetetmedirigeaiversmon
armoire.Des jeans et des livres en jonchaient le bas. Lamoitiédes tee-shirtsetdespullsétaiententraindetomberdescintres.
Finalement,jen’avaisplusenviederanger.Je refermai laportedemonarmoireetallaim’allonger sur le lit, la
têtelapremière.Monestomacprotesta.Jegrognai.—Jesuistropnulle,marmonnai-jecontremesdraps.Tout à coup, mon téléphone bipa et je me redressai vivement à
genoux.J’avaisdumalàrespirer.Sebastianm’avaitrépondu.Enfin.
Biensûr.Pourquoiçan’iraitpas?
—Pourquoi?murmurai-jealorsque j’avaisenviedecrierde toutesmesforces.D’aprèstoi?
J’étaissurlepointdetapercettequestionenguisederéponsequandjem’arrêtai, lesdoigts immobilesau-dessusde l’écran.Moncœurs’étaitemballé,commesij’avaisfaitlacourse.
J’aurais pumemontrer directe et lui rappeler pourquoi je lui avaisposé cette question. Pour être franche, j’avais des tas de choses à luidemander : que pensait-il de ce baiser ? Pourquoi avait-il paniqué ?Aurait-ilpréféréquejenelefassepas?Jepouvaismêmeluienvoyerunmessage pour lui avouer que, lorsque je l’avais embrassé, j’avais eu lasensationdetrouvermamoitié.
Jen’écrivisriendetoutça.Montéléphonebipaencoreunefois.
Tuvasbien,toi?
Non.Jen’allaispasbien.D’aussiloinquejemelerappelais,j’avaistoujoursétéamoureusede
Sebastian.Àprésent,j’avaispeurd’avoirgâchénotreamitiéetjecraignaisqu’unegênenes’installeentrenous.
Jeneluidisriendetoutçanonplus.Àlaplace,jetapai:
Oui,biensûr.
Puisjejetaimontéléphonesurmoncoussin.Jemelaissaitomberenarrièreengrognant.
—Jesuisvraimentunepoulemouillée.
IlétaitgrandtempsqueFeyreleurbottelesfesses!Jerefermaimonromanetpressaimonfrontcontrelacouverturelisse.
Moncœurbattaitlachamade.Lescinqdernierschapitresavaientfaillimecauser une crise cardiaque. J’espérais que le troisième tome était déjàsorti.Sinon,j’allaissauterdubalcon.
Posantlelivresurmesgenoux,jem’assisplusconfortablementsurlavieillechaiseenbois.Cen’étaitpaslachaiselapluscosydumonde,mais
avecuncoussinsouslesfessesetlesjambesperchéessurlarambardedubalcon,c’étaitlecoinlectureidéal.
Uncourantd’airchaudpassa,caressantmesjambesnuesetsoulevantlespetitscheveuxsurmanuque.Unsecondromanétaitposéparterre,àcôté de ma chaise. Celui-ci se déroulait dans un monde pluscontemporain.
Jeneconnaissaispasdemeilleurefaçondepasser lederniersamediavantlarentrée:bouquineretmanger.
J’échangeaimonlivreavecl’autrequiavaitunecouronnedoréesurlacouvertureetleposaisurmesgenoux.Avantdel’ouvrir,jejetaiunœilàFacebooksurmontéléphone.Aucunmessageprivé.Enrevanche, j’avaisplusieurs notifications Snapchat. Une vidéo de la veille montrant lesfootballeurs, complètement ivres, qui tentaient tant bien que mal demarcherdroit sur le trottoir. Sebastianquimangeait sonpetitdéjeuner.Dary,elle,avaitprisunephotoduWashingtonMonumentainsiquetouteunesériedepanneauxdesignalisation.Daryadoraitlespanneaux.
J’ouvris ensuite Instagram et fis défiler les selfies et les dernièresphotos de vacances sans vraiment les regarder. J’étais sur le point derefermer l’application quand je me rendis compte que la plupart desphotos se ressemblaient. Les filles étaient en bikini. Les garçons, enmaillotdebain.Tous tenaientungobeletrougeà lamain.Etsur touteslesphotos,ilfaisaitnuit.
Keith.Ilavaitsansdouteorganiséunesoiréelaveille.Quandjevis laphotoqu’avaitpostéeSkylar,monpoucesefigeasur
monécran.Moncœurseserra.J’étaisstupide.Tellementstupide.Skylar était assise sur lebordd’une chaise longue, lesmainsposées
derrière elle. Elle portait unmaillot deuxpièces bleu roi quimettait envaleursoncorpsderêve.Enfaced’ellesetrouvaitSebastian.Ilsouriait.Ilssouriaienttouslesdeuxetils…ilsallaientsuperbienensemble.
Je restai bloquée sur cette photo pendant un long moment. Troplongtemps.
Qu’est-cequim’avaitprisdelasuivresurlesréseauxsociaux?Je connaissais la réponse à cette question. J’avais commencé à la
suivreplusieursannéesauparavantparcequ’ellesortaitavecSebastianetque,visiblement,j’étaismaso.Jemeforçaismêmeàlikersesphotospournepasavoirl’aird’êtrejalouse.
Celanem’empêchaitpasdel’être.Commeunpou.JemerendisaussitôtsurlecomptedeSebastianpourvoirs’ilyavait
desphotosde lasoirée.C’étaitplus fortquemoi.Toutefois, sondernierpost datait de trois semaines plus tôt. Sebastian n’avait jamais aimé lesréseauxsociaux.Ilypassaitseulementdetempsentemps.
J’avaisdenouveauenviede sauterdubalcon,maispourune raisoncomplètementdifférente.
Sebastianm’avaitenvoyéplusieursmessagesdepuislebaiser,maisjene l’avais plus revu. Je neme faisais pas d’illusions. Les choses avaientchangéentrenous.D’habitude,quandSebastianétait chez lui,etmêmelorsqu’ilétaitencoupleavecSkylar,jelevoyaispresquetouslesjours.Lesseuls moments où l’on restait séparés aussi longtemps, c’était lorsqu’ilpartaitenvacances.
Ilm’évitait.Jurant, je fermai l’applicationet laissai tombermontéléphonesur le
livre que j’avais posé par terre. L’angoisseme retournait l’estomac. Lesyeuxrivéssurl’érableimposantdenotrejardin,jesecouailatête.S’était-ilréconciliéavecSkylarquelquesjoursaprèsquejel’avaisembrassé?Est-cequecelaavaitlamoindreimportance?
Àmesyeux,oui.Agacée par mes propres sentiments, j’ouvris mon second roman.
J’avaisbesoindemeperdredansunehistoirecomplètementdifférentedelamienne.
Je n’avais lu que deux pages lorsque j’entendis un bruit de pasrésonnersurl’escalierextérieurquimenaitaubalcon.Quandjerelevaila
tête,jemefigeai.C’étaitSebastian.Jenesavaispassijedevaisallermecacherdansmachambreoul’accueillirlesbrasouverts.
Jenefisnil’unnil’autre.Le cœur battant à cent à l’heure, je refermai doucementmon livre.
Sebastianarrivaenhautdesmarches.J’eneuslesoufflecoupé.Seigneur.Sebastianétait torsenu. Je l’avaisdéjà vu sans tee-shirt,mais ilme
faisaittoujoursautantd’effet.Ses muscles étaient parfaitement dessinés et ses abdos semblaient
avoirétésculptésdanslemarbre.Iln’étaitpastropmusclé.Aucontraire,il était l’exemplemême des bienfaits du sport sur un corps. En plus, ilportaitunecasquette.Àl’envers.
J’étaissurlepointdefondre.Jeledétestais.Unsourireencoin,iltraversal’étroitbalcon.—Salut,l’intello!L’espaced’un instant, je fus incapablede répondre. Jeme retrouvai
propulsée au bord du lac, sur ses genoux, mes lèvres effleurantbrièvement les siennes. Le rouge me monta aux joues et une doucechaleurdescenditplusbas,bienplusbas.
Sijevoulaisfairecommes’ilnes’étaitrienpassé,ilallaitfalloirquejemecontrôle.Lui,visiblement,n’avaitaucunproblèmeà le faire,alors jepouvais y arriver, moi aussi. Il le fallait, parce que si je n’en étais pascapable,commentpourrions-nouscontinuerd’êtreamis?
Quand il releva la tête, son regard croisa le mien avant de sedétourner.Jecrusapercevoirunelégèreteinteroséesursesjoues.Était-ilentrainderougir?Finalement,iln’étaitpeut-êtrepassidouépourfairesemblant.
Jem’éclaircislavoixetserraileromancontremapoitrine.—Salut,l’idiot!Tuasoubliédet’habilleravantdesortirdecheztoi?Quand ilme regarda de nouveau, ses yeux brillaient demalice. Ses
épaulessedétendirent.
— J’étais tellement excité à l’idée de venir te voir que je n’ai pasvouluperdredetempsàtrouveruntee-shirtpropre.
—Situledis.—Jevoulaist’envoyerunmessage,dit-ilens’adossantàlarambarde,
àcôtédemespieds,maisjesavaisquetuseraislà.—Jesuissiprévisiblequeça?—Oui.—Tantpis,marmonnai-jeenréfléchissantàcequejepouvaisbienlui
dire.Tu…Tuaseuunentraînement,cematin?Sebastianhochalatête.—Ouais.Jusqu’àmidi.J’aifaitlasiestequandjesuisrentré.—Tut’escouchétard?demandai-jeinnocemment.Monpoulss’emballa.Ilhaussauneépauleathlétique.—Pasvraiment,répondit-il.Jemedemandaissicelavoulaitdirequ’ils’étaitremisavecSkylarou
s’ilétaitsortiavecquelqu’und’autre.Enmêmetemps,cesdeuxmotsauraientpusignifiern’importequoi.— Keith était tellement bourré qu’il a mis le feu à un tas de feux
d’artifice. (Il croisa les bras, attirant de nouveaumon attention sur sontorse.Commesi j’avaisbesoindeça.)Çam’étonnequ’iln’aitpasperduundoigt.Ouunemain.
—Jet’avouequemoiaussi.—Bref.Jesuisvenupouruneraison.Keithorganiseunbarbecuece
soir. Enfin, plutôt son grand frère. En petit comité, reprit-il. Tu devraisveniravecmoi.
Mon cœur se mit à danser dans ma poitrine en criant « oui, oui,oui!».Moncerveau,lui,eutunmouvementdereculetordonnaàmoncœurdelafermer,parcequ’ilétaitstupideet lui faisait fairedeschosesquil’étaientencoreplus.
—Jenesaispas…—Allez!
Ilm’attrapalepied.Quandjetentaidemelibérer,ilresserrasapriseen enroulant ses doigts autour dema cheville. Je refusais d’interprétersongeste.
—Onn’apaseubeaucoupd’occasionsdesevoir,cesderniersjours.Jenesuisrentréqueleweek-enddernier.
Peut-être,maisjet’aiembrasséetçanet’apasplu.Pourtant,ilagissaitnormalement… À tel point que je commençais à me demander si jen’avaispasimaginécequis’étaitpasséaulac.
— Viens passer du temps avec moi. Au moins pour manger descheeseburgersaufeudebois.
Jeposaimon livre surmesgenouxetagrippai lesaccoudoirsdemachaise.
—Jen’aipasfaim.—Commesitupouvaisdirenonàdescheeseburgers.Tuveuxqueje
tesupplie,c’estça?Jefronçailessourcilsettentaidelibérermajambe,sanssuccès.Sebastianbaissalatête.—C’estmoiquiconduis.Tuvast’amuser,tuverras!Toutcequetu
asàfaire,c’estlevertesjoliespetitesfessesdecettechaise.Jem’occupedureste.
Lesyeuxécarquillés,jemefigeai.Iltrouvaitmesfessesjolies?Sonsourires’élargitetsoudain, jesentissesdoigtsmechatouiller la
plantedupied.—Arrête!Arrête!m’écriai-jeenriant.Il s’exécuta, mais garda les doigts contre mes pieds d’un air
faussementmenaçant.—Alors,tuviens?Jerespiraisfort.Jeneluifaisaispasconfiance.—Tutriches!—Pourquoijem’enpriveraisalorsquejepeuxtefairefairecequeje
veux en te chatouillant ? répliqua-t-il en posant un doigt aumilieu de
monpied.(Majambeeutunsoubresaut.)Qu’est-cequetuchoisis,Nana?—«Nana » ? répétai-je, incrédule, en enfonçant les doigts dans les
accoudoirs de la chaise. (Quand m’avait-il appelée comme ça pour ladernièrefois?Avantquejeneportedessoutiens-gorge?)Jen’aiplusdixans,Sebastian.
Ilbaissalesyeux.—Crois-moi,j’enaiparfaitementconscience,dit-ild’unevoixrauque.Leslèvresentrouvertes,jerépétaisesmotsencoreetencoredansma
tête.Quandilrelevalatête,ilmeregardadanslesyeux.Moncœuravaitcessédedanser,ilsecontentaitdebattreàuneallurefolle.Jesentaissapulsationdanstouteslespartiesdemoncorps.
Pourquoiest-cequetunem’aspasrendumonbaiser?—Viensavecmoi,medit-ilencoreunefois.S’ilteplaît?Jefermailesyeux.J’avaisenvied’accepter,mais…j’avaisbesoind’un
soutienmoral.—JepeuxdemanderàMeganetAbbidenousaccompagner?—Biensûr!répondit-il.Aucontraire,Keithseraravi.Tusaisqu’il…—…essaiedesortiravecAbbi?Oui.(Jeprisunegrandeinspiration
avantderouvrirlesyeux.)D’accord.—Super.(Avecungrandsourire,ilreposamajambesurlarambarde.
Sesdoigtss’attardèrentunesecondecontremapeauavantdemelâcher.)Jesavaisquetunepouvaispasmerésister.
Feignantdenepasl’avoirentendu,jefistombermesjambesparterreetramassaimeslivresetmonportable.
— Donne-moi cinq minutes. (Je me levai et, le rouge aux joues,rentraidansmachambre.)Ilfautquejepréviennemamère.
—Prends tonmaillot ! lança-t-il en s’écartantde labalustradepours’asseoirsurmachaise.
JerevisalorsSkylardanssonbikinietdécidaiqu’ilvalaitmieuxquej’oublielemien.
Après avoir posé les livres sur mon lit, j’envoyai rapidement unmessageàAbbietMegan,puisplaçaimonportabledansmonsac.
Au rez-de-chaussée, je trouvaimamèredans la cuisine.Des papiersétaient étalés devant elle, certains agrafés. Ses cheveux blonds étaientcoiffés en queue-de-cheval haute et elle portait ses lunettes au bout dunez.
—Qu’est-ce que tu fais ? lui demandai-je enme postant devant lachaiseàcôtédelasienne.
—Jepasseenrevue lesdernières loisconcernant lesgaranties.(Mamèrerelevalatête.)Autrementdit lafaçonlaplusennuyeusedepasserunsamediaprès-midi.Ettoi?Tunetravaillespasceweek-end,jecrois?
—Non.(Jeposailesmainssurledossierdelachaise.)JepensaisalleràunbarbecueavecSebastian.
—Super.(Mamèreposasonmentonsursapaumeetm’observa.)Çaressembleàunrendez-vous.
—Maman…l’avertis-je.— Quoi ? (Elle écarquilla les yeux.) Tu sais bien que je vous
soutiendraisàcentpourcent…—MonDieu,grognai-jeenlevantlesmainsauciel.(Jejetaiuncoup
d’œilderrièremoi,avecunpeudechance,Sebastianallaitdescendreetcoupercourtàcetteconversation.)Cen’estpascommeçaentrenous.Tulesais.
—Laissetamèrerêver,soupira-t-elle.C’estunbongarçon,Lena.—AbbietMeganserontsansdoutelàetilyaurad’autrespersonnes.
(Jemeredressai.)Désoléedebrisertesrêves.—Mince.(Elleaffichaunemouedéçue.)Jem’imaginaisdéjàtricoter
deschaussonspourvotrepremierenfant.— Oh, mon Dieu ! hoquetai-je. (J’étais horrifiée, mais en même
temps, cela ne m’étonnait pas. Ma mère avait toujours eu de drôlesd’idées.)Tuesridicule.Jesuisentouréedegensridicules.
—Ce sont lesmeilleurs ! s’exclama-t-elleen riantavantde reportersonattention sur lespapiersdevantelle. (Je secouai la tête.)Tupensesrentreràquelleheure?
—Jeneseraipaslàpourdîner.Danslasoirée?
—Trèsbien.Commeça,jen’auraipasàfaireàmanger.(C’étaitmamère tout craché. Elle cherchait toujours le bon côté des choses.) Aufait…reprit-elleenrelevantlesyeuxversmoi.
Ellearboraitcetteexpressionqu’elleavaitchaquefoisqu’elleallaitmedirequelquechosequin’allaitpasmeplaire.
C’étaitforcémentàproposdemonpère.Jemecrispai.—Répondsautéléphone,Lena.Çaduredepuistroplongtemps.Croisantlesbras,j’inspiraiprofondémentparlenez.—Passuffisammentpourmoi.—Lena,medit-elle. Tu es belle, gentille, loyale…mais ce qui s’est
passéentreton…—Maman,jedécrocherai,d’accord?C’estpromis.(Jen’avaispasla
moindre envie de parler de celamaintenant.) Je dois y aller. Sebastianm’attend.
Elleeutl’airdevouloirdireautrechose,maisseravisa.—D’accord.Amuse-toibien.Soisprudente.Jemepenchaipourl’embrassersurlefront.—Commetoujours.
— Jedis juste qu’il y a deuxpoids, deuxmesures. (J’avais posé les
pieds sur le tableau de bord chaud de la Jeep de Sebastian. Laclimatisation soufflait au maximum, mais elle ne faisait pas le poidscontrelatempératureextérieure.)Toi,tupeuxconduiretorsenu,maissiune fille s’amusait à conduire avec un haut de maillot, ou topless, ceseraitlarévolution.
—Etmoi,jedisjustequej’approuvel’idéequelesfillesconduisentenbikini, répondit-il, unemain sur le volant, l’autre sur ledossierdemonsiège.
Ilavaitremissacasquetteàl’endroitpourbloquerlesrayonsdusoleil,mais il était resté torse nu. Il ne portait qu’un maillot et des sandalesNike.
Derrièremeslunettesdesoleil,jelevailesyeuxauciel.—Çanem’étonnepas.— Écoute, lesmecs semoquent de ce genre de choses. On ne sera
jamaiscontrel’égalitéfaceàlanudité.Jamais.(Ilralentitenapprochantdelasortiedelavoierapide.)Leproblème,cesontlesfillesentreelles.
Jetournailentementlatêtedanssadirection.Ilregardaitlaroute.— Une fille traiterait facilement une autre de pouf parce qu’elle
conduitsavoitureenmaillot.Parcontre,siunmec le fait,ellediraquec’estsexy.
Sebastiann’avaitpastort,maisilpouvaitcourirpourquejel’admette.Jeretiraimespiedsdutableaudebordetmetournaisurmonsiègepourregarder les arbres défiler derrière la vitre. Abbi et Megan nousrejoignaient. C’était le cousin deMegan, Chris, qui jouait au foot avecSebastian,quilesemmenait.
J’avais la sensation que le barbecue en petit comité allait setransformer en grosse fête avant la fin de la soirée. Ce ne serait pas lapremièrefoisquecelaarriverait,surtoutavecKeithcommeorganisateur.
Les rayons du soleil perçaient à travers les branches des arbres quibordaient la route étroite et sinueuse. Celui qui avait tracé cette routeavaitsansdouteétédistraitparunserpentpourarriveràcerésultat.
Latêteposéecontremonsiège,jeregardailesérablesimposantsetlesfougèreslaisserplaceauxvergersdepommiers.Ilss’étendaientàpertedevue,enrangssoignés,surchaquecolline.LafamilledeKeithenpossédaitlamajorité.
J’avais emprunté cette route des centaines de fois avec Sebastian etmesamis,maisaujourd’hui,c’étaitlederniersamediavantnotrerentréeenterminale.Ladernièrejournéecommecelle-ci.Dansunan,Sebastianetmoi ne serions plus dans cette Jeep, sur cette route. Il n’apparaîtraitplus surmon balcon sansm’avertir. Dary ne viendrait plus au Joanna’spourmerappelertoutcequej’avaisratédanslavie.
Jeprisuneinspirationtremblante.Mapoitrinemefaisaitmal.
Seigneur.J’avaisenviedepleurercommeunbébé.Pourtant,jen’avaisaucune raison de le faire : les changements qui s’annonçaient étaientpositifs.J’entreraisàlafac.Avecunpeudechance,Meganetmoiserionstoutes les deux acceptées à l’université de Virginie, et le vendredi, ellecontinueraitdemedireque j’allaisdevenirunevieille fille,entouréedechats, qui nemangerait que du thon en boîte bonmarché. Dary ne segênerait pas pour m’expliquer tous les mauvais choix que je ferais parFaceTime.Abbiétudieraitdansune facvoisineetonseverrait leweek-end.
S’il continuaitde jouerau foot,Sebastian intégrerait l’universitéquilui ferait un pont en or et, soyons sérieux cinqminutes, tout lemondesavaitqueceseraitlecas.Ongarderaitcontact.Ons’appellerait.PuislesappelssetransformeraientenSMSqui,petitàpetit,deviendraientdeplusen plus espacés jusqu’à ce qu’on ne se parle plus que pendant lesvacances,lorsquenousserionstouslesdeuxàlamaison.
On grandirait et on s’éloignerait. C’était terrifiant. Mais pour lemoment, à cet instant précis, demain existait encore. La semaineprochaineaussi.L’annéetoutentière.Uneéternité.
Pourlemoment,jen’avaispasàfairefaceàl’inévitable.Sebastiantapotamongenou.Jesursautaiettournailatêteverslui.—Çava?medemanda-t-il.—Oui,répondis-jed’unevoixenrouée.Jemeraclailagorge.Sonexpressionsefitinquiète.—Àquoitupensais?Jehaussailesépaules.—Jemedisaisquel’annéeprochaine,onseratouslesdeuxàlafac.
C’estledernierétéavantlafindulycée,tuvois?Sebastian ne répondit pas. Il se contenta de regarder la route, la
mâchoirecrispée.Ilfaisaittoujourscelaquandilétaitencolèreouquandilrefusaitdedirequelquechose.
J’étais sur le point de l’interroger sur la question, quand il reprit laparole.
—Tuferastoujourspartiedemavie.Tulesais?Priseaudépourvu,jenesusquerépondre.—Même si onn’étudiepasdans lamême fac, continua-t-il, comme
s’il y avait une chance qu’on se retrouve aumême endroit.On ne serajamais des étrangers, toi et moi. (On aurait dit qu’il lisait dans mespensées,maislavérité,c’étaitqu’ilmeconnaissaittropbien.)Çanenousarriverajamais.Pasànous.
J’aurais voulu lui dire que, même avec toute la bonne volonté dumonde, ce genre de choses arrivait auxmeilleurs. Avant de partir pourl’université, ma sœur avait promis à ses amis de rester en contact.Aujourd’hui,elleétaitendeuxièmeannéedefacetelleavaitdenouveauxamisetuncopain.
Quand les gens cessaient de se voir tous les jours, ils cessaientégalementdesemanquer.Jelesavaismieuxquequiconque.
Etce,mêmes’ilsdisaientvousaimer.—Onresteratoujoursamis.(Iljetauncoupd’œildansmadirection
commepourjaugermaréaction.)Quoiqu’ilarrive.Merde.Est-cequ’ilvenaitdememettredanslafriend-zone?Entoutcas,celayressemblait.J’inspirai, en tentant dene pas prêter attention à la douleur sourde
quiétaitapparuedansmapoitrine,etpassailesmainssurmonshort.—Oui,moncapitaine!Unlégersourireétiraseslèvres.—Skylarvient,elleaussi?Jeregrettaimaquestionàl’instantoùellequittameslèvres.—Aucuneidée,merépondit-ild’untonsecquineluiressemblaitpas.Jememordisleslèvrespendantquelavoitureralentissait.Sebastian
pritàdroitesur laroutequimenaitaumonstrequiservaitdemaisonàKeith, au milieu des vergers. C’était une ferme immense, le genre de
maison dont seuls les polygames avec cinquante enfants avaientréellementbesoin.
Sa famille avait de l’argent. Ils exploitaient ces vergers depuis desgénérations. Plus tard, Keith reprendrait sans doute les rênes del’entreprisefamiliale,maispourlemoment,ilcomptaitalleràl’universitéetjoueraufootcommeSebastian.D’aprèscequej’avaisentendu,ilavaitdéjàétéacceptéà l’universitédeVirginie-Occidentale. Ilavait lacarrurepourêtredéfenseurdansleuréquipe.
Plusieurs voitures étaient déjà garées le long de l’allée pavée. J’enreconnus certaines. Dieu merci, il n’y avait ni la BMW de Skylar ni le4×4deCody.
—Petitcomité?Sebastianrit.—C’étaitl’idée.—Jevoisça.IlsegaraderrièreuneHonda,enlaissantsuffisammentdeplacepour
sortirplustard.Jeramassaimonsac,quej’avaisposéparterre,etsortisde voiture. En silence, on passa les doubles portes en verre et suivit lechemin en galets qui faisait le tour de la maison. À chaque pas, lesconversations et les rires se faisaient plus forts, tout comme le bruit del’eau. L’odeur de viande grillée embaumait l’air, faisant gargouillerjoyeusementmonestomac.
Sebastianavaitraison:jenedisaisjamaisnonàuncheeseburgercuitaufeudebois.
—Aufait,ditSebastianenmedonnantunlégercoupdecoude.Situveuxpartir,dis-le-moi,d’accord?Net’enfuispasavecn’importequi.
—Net’inquiètepas.Aubesoin, jetrouveraitoujoursquelqu’unpourmeramener.
—Jenem’inquiètepas.Jeteramène,c’esttout.Il tenait son tee-shirt contre son épaule. Je suppose que l’enfiler lui
auraitdemandétropd’efforts.
Del’extérieur,Sebastiandevaitparaîtreautoritaire,maisenréalité,iln’étaittoutsimplementpasdugenreàamenerquelqu’unàunefêtepuisàlelaissersedébrouillerpourrentrer.
— Peut-être que je ne veux pas rentrer avec toi, dis-je en faisantbalancermonsac.Ilyadestasdegensquiaccepteraientdemeramener.
—Onhabiteàcôté.Ceseraitidiot,non?—Ne remets pas en causema logique. (Je contournai Sebastian et
marchaidevantlui.)Maisjesuissérieuse.Jen’aipasenviederestertrèslongtemps.
—Moinonplus…—Aïe!m’écriai-je.Il m’avait tapé la plante du pied que je venais de soulever. Je me
retournaietlefrappaiavecmonsac.Ilseprotégeaavecsonbrasenriant.—Faisattentionoùtumetslespieds.—Crétin,marmonnai-jeenmeretournant.—Jenecomptepasresterlongtemps,moinonplus,reprit-il.J’aiun
entraînement à la première heure demain. Seul avec l’entraîneur. (Ils’interrompit.)Etmonpère.
Jegrimaçai.—Commentvatonpère?—Iln’yapassuffisammentd’heuresdansunejournéepourrépondre
àcettequestion,répondit-il.(Avantquej’aieeuletempsd’insister,ilmeprit la main. Je m’arrêtai et me tournai vers lui.) Je compte rentrer àcause de l’entraînement, mais aussi parce que… (Ses yeux d’un bleubrillantplongèrentdanslesmiens.)Ilfautquejeteparle.
Mon cœur se serra. J’aurais voulu retirer ma main de la sienne etm’enfuirencourantdans lesvergers…maisonm’auraitprisepourunefolle.
— De quoi est-ce que tu veux parler ? demandai-je même si je lesavaispertinemment.
—Dechosesetd’autres.Jehaussaiunsourcil.
—Ettunepeuxpaslefairemaintenant?—Non,toutàl’heure,merépondit-il.(Illâchamamainetmepassa
devant.)D’abord,j’aibesoind’unverre.
CHAPITRE8
—Monpote!Keith sauta de la terrasse en bois et se laissa tomber devant nous
comme Tarzan l’aurait fait s’il avait porté…Oh,mon Dieu, un slip debain?Keithn’étaitpaspetit:grand,aveclesépauleslarges,ilressemblaitàunours.Lesslipsdebainetlui,cen’étaitpascompatible.
—TuasamenéLena!Sebastians’arrêtadevantmoi.—C’estquoi,cetrucquetuportes?Jemefisviolencepournepasbaisser lesyeux,maisce futplus fort
quemoi.Monregardétaitattiré,commeparmagie.Delamagienoire.Etlevêtementnelaissaitpasgrand-choseàl’imagination.Jereculai,maisilétaittroptard.KeithdépassaSebastianet jemeretrouvaidanssesbras,les pieds à plusieurs centimètres du sol, écrasée contre son torse. Jecouinaicommeunjouetpourchien.
—Ça fait des siècles que je ne t’ai pas vue ! (Keithme balança dedroiteàgauche.)C’étaitquand,ladernièrefois?medemanda-t-il.
Uneforteodeurdebièreémanaitdelui.— Je ne sais pas, soufflai-je, les bras bloqués contre lui. Il y a un
mois?—Nooon!(Ilallongealemot.)Plus!—Lâche-la!aboyaSebastian.Putain,tuesquasimentàpoil,mec!Keithritàgorgedéployéeetsemitàtournersurplaceavecmoidans
sesbras.Puis,sanscriergare,ilmerelâcha.Jetrébuchai.Sebastianposa
lesmainssurmesépaulespourm’empêcherdetomber.—Vousaimezmonmaillot?(Ilposalesmainssurseshanchespour
bien dégager la vue. Seigneur. Ma rétine était en train de brûler.) Jebougeplusfacilementetjetrouvequeçametmonculenvaleur.Enplus,levertfaitressortirmesyeux,vousnetrouvezpas?
—Si,si,murmurai-jeensecouantlentementlatête.Sebastianpassalamainsoussacasquettepoursefrotterlecrâne.—Jesuistraumatiséàvie.—Aucontraire,tuasbeaucoupdechance.Vousvoussouviendrezde
cemomentbéni jusqu’àlafindevos jours!(Keithabattitsesmainssurnosépaules etnouspoussavers leportail ouvert.)Leshamburgers sontpresquecuits.Onvabientôt fairegrillerdessaucisses.Lesboissonssontdanslesglacières.
LamaisondeKeithétait l’endroitoùl’onseréunissait toujourspourfairelafête.Del’automnejusqu’auprintemps,onseréchauffaittouslesweek-ends autour d’un feu de camp, dans les champs au-delà despelousesparfaitemententretenues.Enété, tout lemondevenaitprofiterdesapiscine,quiétaitaussigrandequelerez-de-chausséedemamaison.Et encore, je ne comptais pas le carrelage rouge qui l’entourait. Unedizaine de chaises longues y étaient installées. Dessus, je reconnus desélèvesdulycée.Certainsnousfirentsignedelamainennousapercevant.
LesparentsdeKeithavaientdûdépenserdessommesastronomiquespour aménager cet espace… des sommes qui auraient facilement purembourserlecréditdemamère.Àcôtédelapiscine,ilyavaitunjardinfleuriparsemédebancs,unjeudelancerdefersàchevalderrièreunpoolhouse plus spacieux que beaucoup d’appartements et un terrain debadminton.
Jen’étaispasrevenueicidepuislafameusesoiréedumoisdejuillet.— Au fait ! (Keith passa la main sur son crâne rasé, attirant mon
attention.)TacopineAbbivient,cesoir?—Oui.(Enimaginantlatêtequ’Abbiferaitenvoyantcequeportait
Keith, je faillis éclaterde rire.)Ellenevapas tarderàarriver.Elle sera
raviedetevoir.Elleallaitmetuer.—Génial, répondit-il. (L’idée semblait beaucoup lui plaire.) Je suis
contentquetusoisvenue.Jecommençaisàcroirequetunevoulaisplusêtremonamie.
Jesecouailatête.—Jet’aimetoujours,Keith.J’étaisoccupée,c’esttout.—Onn’estjamaistropoccupépourvenirmevoir!s’exclamaKeithen
reculantverslebarbecueoùsetenaitJimmy,songrandfrère.Celui-ciledétailladespiedsàlatêteavantdes’esclaffer.—Oh,merde!Tul’asvraimentmis!—Ausecours,marmonnaSebastian.Sans lâcher Sebastiandes yeux, j’essuyai la sueur qui perlait àmon
frontd’unreversdemain.Ilfaisaittellementchaudquejecommençaisàregretterdenepasavoirapportémonmaillot.
—C’esttonami,jeterappelle.—Jesais,répondit-ilenriant.Ilenjambauneplanteenpotcolorée.Quandjejetaiuncoupd’œilauxportesvitréesquidonnaientdansla
maison,jecrusvoirdumouvementàl’intérieur.—TucroisquelesparentsdeKeithsontlà?— J’espère ! répondit Sebastian en observant la piscine. J’adore
quandsonpèrevientjoueravecnousauxfersàcheval.C’esttropdrôle.Jeposaimonsacàcôtédesautres.— Je n’arrive toujours pas à croire que ses parents acceptent qu’il
organisetoutescesfêtes.Mamèreestcool,elleaussi,maisellen’aimeraitpasquej’invitedesgenstouslesweek-ends.
—Keith et Jimmy ont de la chance, à ce niveau. (Il se tourna versmoi. Sa casquette dissimulait le haut de son visage.) Avant qu’on soitinterrompusparlemaillotperturbantdeKeith,je…
—Hé,Seb!(Derrièrelui, jevisPhillipseleverd’unechaiselongue.Sapeaunoireétincelaitausoleil.)Jenet’avaispasvu!
—Jeviensd’arriver,réponditSebastianenseretournant.Phillipnous rejoignit. Ildonnaune tapedans ledosdeSebastianet
mefitsignedelatête.Jeluirépondisd’unsignedelamain.Ensemble, ilsparlèrentdumatchamicaletde lapremière rencontre
officiellede lasaisonquiaurait lieu levendredi suivant,pendantque jechantais«Quelemondeestpetit»dansmatête.Auboutd’unmoment,Keithdéposaungobelet rougedansmamain et un autredans celle deSebastian.
—Justeune,dit-ilenprenantunegorgéedebière.Jeconduis,cesoir.Keithricana.—Mauviette.— Si tu le dis. (Sans se laisser démonter, Sebastian attrapa des
assiettes et on s’installa pour manger nos cheeseburgers.) Tu as vu lequarterbackdesWood?Ilpeutlancer…
Je cessai de nouveau d’écouter. Je me contentai de boire ma bièrejusqu’àcequej’aperçoiveChrisarriversurlecôtédelamaison.Laissantlesgarçonsseuls,j’allaiàlarencontredeMeganetAbbidevantleportail.
—Vousêtesenfinlà!m’exclamai-je.Ilsparlentfoot.Maisalorsquedefoot.Dufootetencoredufoot.
— Tu n’as pas ton maillot ? fut la première chose qui sortit de labouchedeMegan.
Elle portait un short en jean et un haut de bikini. Lamoitié de sonvisageétaitdissimuléesousdegrandeslunettesdesoleil.
—Abbiettoi,vousnesavezvraimentpascommentvoushabillerpourunefêteavecpiscine.
Abbis’étaitfaitdescouettes.—Jetepréviens,ellen’apasarrêtéderâlerpendanttoutletrajet.—J’aieuunelonguejournée.(Ellemepritmongobeletdesmainset
enbutaumoinslamoitiéd’unetraite.)D’abord,cetabruti,là-bas,dit-elleenpointantPhillipdudoigt(desonmajeur),nem’apasréponduhiersoiralorsquejesaistrèsbienqu’ilétaitici.Megaussi.EttusaiscommemoiqueMegluicourtaprèscommeunpetitchiendepuisdeuxans.
Jefislamoue.Jen’avaispasl’impressionqueMegCarrcouraitaprèsquiquecesoit,maisjepréféraisnepasleluifaireremarquer.Abbinefutpasaussisage.
— Je te rappelle que vous ne sortez plus ensemble. Vous vousreparlez,d’accord,maisçaneveutriendire.(Abbipassaunbrasautourdemesépaules.)Oùest-cequetuveuxenvenir?
—J’yarrive,dit-elleenprenantunenouvellegorgée.Ilditqu’ilveutqu’onseremetteensembleetj’yréfléchis.Maiss’ilestsérieux,ilpourraitaumoinsrépondreàmesmessages.
Abbimeregarda.Jenedisrien.— Pour couronner le tout, mon crétin de cousin… (Cette fois son
majeur pointa Chris, qui était allé rejoindre Sebastian et les autres.) Jel’adore, mais il n’a pas arrêté d’envoyer des messages à Mandi sur laroute.Etjesuisquasimentsûrequ’ilestdéjàbourré.J’aicruqu’onallaitcrever.
Mon ventre se serra.Mandi était amie avec Skylar. SiMandi sortaitavecChris,cequejen’avaispasprévu,elleviendraitsansdoutecesoir.EtSkylarl’accompagnerait.Cegenredefillessedéplaçaitenmeute.
Moiaussi,maiscen’étaitpaslesujet.—Ça,c’estvrai,confirmaAbbi.J’aicruqu’onallaitmourir,moiaussi.—Etcommesicen’étaitpassuffisant,mamèrevoulaitquej’ailleau
restaurantavecsonnouveaucopainetellecesoir.Soitditenpassant,iln’aquedixansdeplusquemoi.C’estdégueulasse.
Je jetaiun coupd’œil àAbbi.Malgré ses soupçonspar rapport à samère,ellesouriait.
— J’ai dû lui expliquer que c’était le dernier week-end avant madernièreannéedelycéeetquejen’avaispasenviedelepasseravecelleet un mec qui sera remplacé dans un mois par une version tout aussijeune.
—Waouh,murmurai-je.—Ellel’amalpris,maisjesuislà,doncj’aigagné.
Ellelevamonverrecommepourporteruntoast,puismelerendit.—Garde-le,luidis-jeavecungestedelamain.Tuasl’aird’enavoir
plusbesoinquemoi.— Merci, soupira Megan en m’embrassant sur la joue. Tu es la
meilleureamiedumonde.Abbipenchalatêtesurlecôté.—Etmoi?— Tu as dit que je n’arrêtais pas de râler, alors tu descends à la
deuxièmeplace,réponditMeganpar-dessuslegobelet.Jeris.—Daryestàlatroisièmeplace,sijecomprendsbien?—Ellerentrequand,d’ailleurs?demandaMeganenregardantautour
d’elle.—Demain,luirappelaAbbi.Elleeutl’airdéçue.—Ellememanque.Ondevraitprendredestonnesdeselfiesetleslui
envoyertoutelasoirée.Jeris.—Jesuissûrequeçaluiferaitplaisir.—Maisavant:commentçava,avecSebastian?demandaAbbienle
désignantd’ungestedelatête.—Bien,répondis-jerapidement.Onenparleraplustard,d’accord?Abbi eut l’air de vouloir insister, mais elle n’en fit rien. J’avais
simplement enviedeprofiterde cette soiréeavantdem’inquiéterde cequeSebastianvoulaitmedire.
Onpassauntempsfouàprendredesselfiesavectouteslespersonnesquisetrouvaientautourdelapiscineetdanslapropriétéetàlesenvoyerà Dary depuis nos téléphones respectifs. Après des premières réactionsamusées, elle avait cessé de nous répondre. La connaissant, elle avaitcommencé à s’énerver vers le vingtième selfie, ce qui rendait la choseencoreplusdrôle.
Plustarddanslasoirée,KeithpritAbbidanssesbrasetlafittournercomme il l’avait fait avec moi. Sa tenue paraissait l’horrifier, mais jesavais qu’au fond d’elle cela l’amusait beaucoup. Elle se dégagea en letraitant d’idiot, mais elle souriait. Megan, elle, alla s’asseoir à côté dePhillipetd’unautregarçon,del’autrecôtédelapiscine.
—Elleavraimentl’intentiondeseremettreaveclui?demandai-jeàAbbi.
—Quisait?(Ellesoupira.)Jen’espèrepas.C’estunpeu lesSelenaGomezetJustinBieberdeClearbrook.
—Saufquepersonneneveutqu’ilsseremettentensemble?Unéclatderireluiéchappa.—Tul’asdit.Alors que je jetais un coup d’œil dans le jardin, en essayant deme
persuader que je ne cherchais pas Sebastian, j’aperçus Cody à côté dubarbecue,unverreàlamain,aveclesautresgarçons.
—Ilestarrivéquand?—Qui?Oh.Aucune idée. (Abbi remonta ses lunettesde soleil rose
vif.)Ilyapleindegensquisontapparusdenullepart.C’estdingue.Ons’approchad’uneglacière.Abbisortitunsodadelaglace,moi,je
choisisunebouteilled’eau.—Sebastianm’aditqu’ilvoulaitmeparler,toutàl’heure.—Àquelpropos?Elleouvritsacannette.—Jenesaispas.D’habitude,iln’estpasaussiévasif,maisjemedis
qu’iln’yapastrente-sixsujetsàaborder…Abbirestasilencieuseuninstantavantdereprendrelaparole.—TuasvulepostInstagramdeSkylar,hiersoir?Monventresenoua.—Oui.— Il a peut-être l’intention de se remettre avec elle, dit-elle et je
grimaçai. Ilvapeut-être te l’annoncer. Jem’enveuxde tedireça,mais
après cette histoire de baiser, il croit sans doute que tu mérites del’entendredesabouche.
Un nuage passa devant le soleil. Abbi remonta ses lunettes sur sonfront.
—C’estvraiqueSkylaretluiformentlecoupleparfait.Je jetai un coup d’œil aux garçons. Keith ondulait des hanches et
levaitlebrasenrythme.—Non,lecoupleparfait,ceseraitSebastianettoi.Toutàcoup,j’eusenviedemecacherderrièrelesbuissons.—Jeneveuxplusypenser.C’estagaçant.Jem’énervetouteseule,je
tejure.(Jetournailatête.)Jesuisentraindemerendrefolle.— Alors, tu devrais te trouver un mec, canon de préférence, pour
passerletempsavantdepartiràlafac.—Arrête, on diraitMegan, rétorquai-je.Mais jeme trouverai peut-
êtrequelqu’un.Unbeaumecquiaimelireetquis’intéresseàl’Histoire.—Là, tuparlesd’unevraie relation,dit-elled’un tonsec.Moi, je te
proposais juste quelques galipettes devant Netflix. N’en demande pastrop.
Jerisetbusunegorgéed’eau.AbbisetournaversMegan,quiavançaitversnousd’unpasdansant.
Arrivéeànotrehauteur,elles’arrêtaetremontaseslunettesdesoleilsursonfront.
—Lesfilles,vousn’allezjamaiscroirecequej’aientendu!—Quoi?demandai-je,contentedechangerdesujet.LavoixdeMegantremblaitd’excitation.—GriffithetChristieviennentdepartiravecStevenpouralleracheter
delacokeàunmecultraloucheenville.Souslechoc,jebaissaimabouteille.Jenem’étaispasattendueàune
chosepareille.—Çanem’étonnepas,marmonnaAbbi.Ilsl’ontdéjàfaitenjuillet,je
terappelle.Christieasupermalréagi.Keithafailliappelerlespompiers.Meganenrestabouchebée.
—Tuétaisaucourant?Ilslefontsouvent?—Suffisammentpoursavoiroùentrouver.Je n’arrivais toujours pas à croire qu’ils étaient partis acheter de la
drogue, ni vu ni connu, comme s’ils étaient allés au supermarché pourrapporterdeschips.
Cen’étaitpasanodin.Je n’étais pas naïve,mais je nem’étais pas attendue à ce genre de
comportement de leur part. Pour être honnête, j’aurais été surprised’apprendrequen’importequidansmonentourageprenaitdelacokeoudel’héroïne.
— Eh bien… (Megan baissa les yeux vers son gobelet rouge. Elles’étaitresservie.)Phillippenseessayer,cesoir. Ila faillipartiraveceux.Tuycrois,toi?
Abbigrimaça.—Quelidiot!—Pasvrai?(Meganpritunegorgéedebière.)Jevaisallerluicrier
dessus.Jereviens.—TucroisqueKeithenprend?Jerecoiffaiunemèchedecheveuxderrièremonoreille.— Je ne savais même pas que Griffith et les autres en prenaient,
alors…Aucuneidée.—Çaexpliquerait le slipdebain,en toutcas,dit-elleavecun lourd
soupir.Ilfautvraimentêtredéfoncépouravoircegenred’idées.Jegloussai.—Tuasraison.—Hé,soufflaSebastianàmonoreilleavantdepasserunbrasautour
demesépaules.Quandjesentissontorsechaudetmusclésepressercontremondos,
jecessaiderespirer.Unfrissondescenditlelongdemacolonnevertébraleetlerougememontaauxjoues.
—Oùétais-tupassée?Abbihaussalessourcilsennousobservant.
Jetournaiaussitôtlesyeuxverslapiscine.—Jen’aipasbougéd’ici.Ettoi,tuétaisoù?—Partout,répondit-ilenmeforçantàmeretourner.Il avait remis sa casquette à l’envers. Nos visages n’étaient qu’à
quelquescentimètresl’undel’autre.Onétaitpresqueaussiprochesqu’aulac.Siprochesque jepouvaissentirune légèreodeurdebièredanssonsouffle.
— J’aimerais tester quelque chose. Avec toi. Mais tu vas être…mouillée.
Bouchebée,jesentismonbas-ventreseréveiller.—Ahoui?intervintAbbid’unevoixamusée.J’aihâted’entendrede
quoiils’agit.Oh,bonsang.Lesourireauxlèvres,Sebastianmeretirameslunettesetlesposasur
sacasquette.—J’aitoujourspréférémontrer,plutôtqu’expliquer.Jenepouvaisrienfaired’autrequeledévisager.J’avaisl’impression
d’avoiratterridansunedimensionparallèle,dansl’universdesromancesquejelisais,oùlesdéclarationsd’amourenpublicabondaientetoùlafinétaittoujoursheureuse.J’étaisincapablededétournerlesyeuxdessiens,sibleusqu’ilsparaissaientpresque irréels.Nousétions siprochesque jevoyaislapetitetachederousseursoussonœildroit.
—Qu’est-ce que tu…?murmurai-je avantdeperdre l’usagedemavoix.
Sebastianbaissa latêteet fitdescendresonbras le longdemondospour m’attraper par la taille. Puis il m’attira à lui. Mon cœur battaittellementfortquej’allaisavoirunecrisecardiaque.
Cela allait vraiment arriver. Avec tous nos amis autour. Cela allaitvraimentarriver.
Ilpenchalatêtesurlecôté.Noslèvresétaientalignées.—Lena,Lena,Lena…
Jefermai lesyeuxetsentissonsoufflechaudcontremabouche.Lesmuscles de mon corps tout entier se tendirent. L’espoir et le désirm’empêchaientderespirer.
Celaallaitvraimentarriver.Etcettefois,lafinseraitdifférente.
CHAPITRE9
Je posai les mains sur le torse de Sebastian, puis les fis remonterjusqu’àsesépaules.Leséclatsderireetlamusiquequirésonnaientautourde nousme parvenaient de très loin. Je sentis Sebastian bouger contremoi, se baisser jusqu’à passer un bras sous mes jambes. Quand il mesouleva,jerouvrisvivementlesyeux.
Ilm’embrassasurleboutdunez.Tout à coup, jeme retrouvai propulsée en arrière. J’étais tellement
choquéequejen’eusmêmepasleréflexedecrier.J’atterris dans l’eau, les fesses en premier, incapable de respirer.
Malgré les mouvements frénétiques de mes bras, je coulai comme unepierre.Lorsquemespiedstouchèrentlefonddelapiscine,jemefigeaietneremontaipastoutdesuite.Jen’arrivaispasàycroire.
Quevenait-ildesepasser?J’avaiscruqueSebastianétaitsurlepointdem’embrasser,maispour
lui,cen’étaitqu’unjeu,legenredeplaisanteriesqu’ilfaisaitàsesamis.Ilse conduisait comme s’il ne s’était absolument rien passé le jeudiprécédent.Je…j’étaisvraimentstupide.
Pourceuxquiavaientassistéàlascène,lasituationdevaitêtreclairecomme de l’eau de roche. Moi, les yeux fermés, les mains sur sesépaules…
J’étaisuneimbécile.Etj’allaismenoyer.
Les poumons en feu, je pris appui sur le fond de la piscine pourremonter.Crachantdel’eau,jem’écriai:
—Tuesvraimentunconnard!—Hé!Jevoulaisseulementt’aider.(Sebastiansetenaitauborddela
piscine,unsouriretaquinauxlèvres.)Tuavaisl’aird’avoirtropchaud.—Àmonavis,cen’estpascommeçaqueLenavoulaitêtremouillée,
rétorquaAbbi.Sebastiantournavivementlatêteverselle.Megan,quil’avaitrejointe
pendant que jemenoyais dansmapropre stupidité, faillit s’étouffer enbuvant.Elleseretournaets’éloignadelapiscinetoutens’éventantavecsamain.
Jemelaissaidenouveauglissersouslasurfacedel’eau,desenviesdemeurtrepleinlatête.J’allaisétranglerAbbi.
Celafaisait longtempsquejen’avaispasressentiuntelembarras.Jenageai jusqu’aupetit bassin, puis sortis de l’eau. Sebastianme rejoignitavecuneserviettedebainàlamain.
—Tuesmignonne,toutemouillée,medit-il.—Laferme.Jemontailesmarches.—Jet’aimebien,commeça.Je me penchai en avant pour m’essorer les cheveux. De grosses
gouttes ruisselèrent, formant une flaque autour de mes tongscomplètementimbibées.
—Etmoi,j’aienviedetefrapper.—Quelleagressivité!Jetiraisurmontee-shirtpourl’égoutter,maiscelaneservitàrien.Il
continua de coller à ma peau. Heureusement, il n’était pas blanc et jen’avaispasnonpluschoisiunshort trop largequi, trempé,auraitglissésurmesjambes.
—Situcontinues,jevaisvraimentdeveniragressive.Ilritàgorgedéployée.—J’aimeraisbienvoirça.
—Non,çaneteplairaitpas.(Jemehissaisurlapointedespiedspourrécupérermeslunettes.)Crois-moi.
Keithpassaàcôtédenous.—Toi,tusaiscommentfairemouillerunefille,Seb.Levisageécarlate,jeserrailespoings.—Visiblement, vous êtes aussi peu doués l’un que l’autre, intervint
Abbi.Keithhaussalessourcils.— Chérie, je me mettrais à genoux devant toi, ici, devant tout le
monde,situacceptaisquejetemontreàquelpointjesuisdoué…—Stop.Tuviensdeconfirmercequejepensais,ditAbbienlevantla
main pour le réduire au silence. Si tu savais ce que tu faisais, tu n’enparleraispasautant.
—Ellen’apastort,commentaSebastian.Keithritettiralégèrementsurunecouetted’Abbi.—Jepeuxteprouverquetuastort.Donne-moicinqminutes.—Cinqminutes?demanda-t-elleengloussant.J’arrachailaserviettedesmainsdeSebastianetm’éloignaipouréviter
defairequelquechosedestupide,commeluibalancermonpoingdanslafigure,parexemple.Jetraversailaterrasseendirectiondupoolhouseetdujeudefersàcheval.
—Cen’étaitpastrèssympa.Jemeretournaivivement.Codysetenaitlà,unebouteilleàlamain.
Nepouvait-onmeficherlapaixcinqminutesetmelaisserruminerdansmoncoin?Était-cetropdemander?
—Non,marmonnai-je.—Tuasl’airtrèsencolère.Jeprisunegrandeinspirationetrelevailesyeuxverslui.—Etenplus,ilestperspicace.Ilritdoucementetlevasabouteille.—Ducalme.Cen’estpasmoiquit’aijetéeàlaflotte.
Jepassailaservietteautourdemesépaulesetcomptaidansmatêtejusqu’àdix.Codyn’avaitrienfaitdemal.
—Qu’est-cequetufabriquesici?—Pasgrand-chose.(Ilpritunegorgéedesaboisson.)Jesuisentrain
d’essayerdedécidersijeveuxresterouallerailleurs.Mêmesijen’étaispasd’humeuràbavarder,jen’avaisriendemieuxà
faire. Abbi continuait de se disputer avec Keith, et Sebastian était alléretrouverPhillipetMegansurleschaiseslongues.
—Oùça,«ailleurs»?—Aucuneidée.Maisjenesuispasd’humeuraujourd’hui.(Adosséau
murdupoolhouse,ilcroisalesjambesauniveaudeschevillesetobservalapiscine.)Ilmanqueunedetesamies,non?
Jehochailatête.—Dary.ElleestàWashingtonavecsafamille.—Sympa.(Ilavaitpourtantl’airdepenserlecontraire.)Tucomptes
restertard?Lanuitcommençaitàtomber.Ildevaitêtreunpeuplusde20heures.
J’étaisdéjàrestéepluslongtempsqueprévu.—Non,pastrop.Jemouraisd’enviederentrerchezmoietdemejetersurlesbiscuits
quemamèrem’avaitachetés.—Tun’aspasl’aird’humeur,toinonplus.(Ilsetournaversmoi.)On
pourraitvolerlesclésdeSebastianetallerfaireuntour.Jeravalaiunricanement.—Jenepensepasqueceseraittrèsprudent.— Pourquoi ? (Un souriremalicieux étira ses lèvres.) Aumoins, ce
seraitdrôle.—Oui,oui.(Jeretiraimestongsenespérantquelespierresavaient
suffisammentabsorbélachaleurdusoleilpourlessécher.)Alors,premierproblème:çam’étonneraitquetuarrivesàvolersesclésdanslapochedesonmaillot.
—Fais-moiunpeuconfiance, répondit-il. Je suis trèshabiledemesdoigts.
—Jen’endoutepas.Cequim’amèneaudeuxièmeproblème.Onm’adit que tu t’étais remis avec Jessica et ça m’étonnerait qu’elle soitcontented’apprendrequ’onavoléunevoituretouslesdeux,luidis-je.Jen’aipasenviedem’attirerdesennuis.
—Décidément,lesnouvellesvontvite!(Codysecoualatête.)Jessicapeutêtre…passionnée,c’estvrai.
—C’estlemoinsqu’onpuissedire,rétorquai-jeenriantunpeu.Sansvouloirêtreméchante.
—Net’enfaispas.Jecomprends.(Ilposalamainsurmonbras.)Onadelacompagnie.
Jen’euspasletempsdemeretourner.—Hé,ditSebastianderrièremoi.Jevousdérange?Je me crispai. Il était hors de question que je lui prête la moindre
attention.—Onétaitentraindediscuter.—Jevoisça.(Sebastianvintseplaceràcôtédemoi.Ilétaittellement
proche que je sentais la chaleur émaner de son corps.) Vous parliez dequoi?
—Onétaitentraindecomploterdanstondos,réponditCody.Sebastianricana.—Tusaiscequeveutdire«comploter»,toi?—Tuesenformecesoir,Seb.(Codytoussapourdissimulerunéclat
derire,puispointasabouteilleversmoi.)Amuse-toibienaveccenuméro.(Toutsourire,iltournaensuitesabouteilleversSebastian.)J’aientendudirequetuavaisuncoursderattrapageavec l’entraîneur,demain.Tantmieux. Tu n’étais pas là pendant unmois. Tu as intérêt à retrouver leniveau.
—Net’inquiètepaspourça,ditSebastian.—Onverra,ripostaCodyavantdes’éloigner.Jejetaiuncoupd’œilàSebastian.
—Cen’étaitpastrèspolidenousinterrompre.— Je n’avais pas l’intention de l’être. Je voulais surtout te sauver
d’uneconversationaveclui.—Jenemesouvienspasdet’avoirappeléausecours.— Waouh. (Il se plaça devant moi au moment où les guirlandes
lumineuses accrochées dans les arbres s’illuminaient. Il fronça lessourcils.)Tues…
—Sij’étaistoi,jeferaisattentionàcequejevaisdire,l’avertis-jeenrelevantlatêteverslui.Choisistesmotsavecsoin.
Refermant la bouche, il tourna la tête sur le côté, puis retira sacasquetteetsepassalamaindanslescheveuxavantdelaremettre.
—Tum’enveuxdevousavoirinterrompus?Oui, bien sûr. J’étais en colère parce que je n’avais pas pu parler à
Cody plus longtemps. Je sentis mon visage s’empourprer. L’éclairageextérieur n’était pas assez fort pour que Sebastian le remarque. Lafrustrationm’envahit.
—N’importequoi.— Attends une minute. (Il rit, mais son rire sonnait faux.) Tu es
intéresséeparCody?Ilteplaît?—Quoi?—Est-cequetuveuxsortiravecCody?medemanda-t-il.Je serrai davantage la serviette contre moi. J’avais sans doute mal
entendu.Commentpouvait-ilmeposercettequestionalorsquejel’avaisembrassé,lui.
—Qu’est-cequeçapeuttefaire?Àlevoir,onauraitditquejevenaisdeluiannoncerquej’abandonnais
lelycéepourallerfairelamancheavecuneguitare.—Codyn’estpassérieux,Lena.Ilestsortiaveclamoitiédulycéeetil
s’estremisavec…—Jesaistoutça,mais jenecomprendspasenquoiçateconcerne,
répliquai-jeenfaisantmonpossiblepournepaséleverlavoix.Incrédule,Sebastianmedévisageait.
—Tunet’esjamaisintéresséeàlui.Jamais.Tuesentraindemedirequeçaachangé?
Codynemeplaisaitpasdutout.Cetteconversationétaitridicule.— Pourquoi tume poses toutes ces questions ? Tu n’étais pas avec
Skylar,hiersoir?Sebastiantournasoudainlatête.—Jenevoispaslerapport.Marespirationsebloquadansmespoumons,brûlantmapoitrine.La
jalousie et l’amertume avaient un goût rance etmétallique. Cela faisaittroplongtempsquecessentimentscouvaient.Jelesavaisenfouisaufondde moi et avais fait semblant qu’ils n’existaient pas. À présent, ilss’étalaientaugrandjour.Jemesentaismiseànu.Jenepouvaisplusmecacher.
Sebastiansefrottaletorse,justeàhauteurducœur.—Jen’arrivepasàcroirequ’onaitcetteconversation.—Tun’arrivespas à y croire ? répétai-je en colère.C’est toi qui as
commencé ! Et tu sais quoi, je n’ai pas envie de te parler. Je suis tropénervéecontretoi.
—Énervée?(Ilhaussalessourcils.)Pourquoi?Je laissai tomber la serviette et regardai ostensiblement mes
vêtementsmouillés.Une petite flaque d’eau s’était formée àmes pieds.Aufonddemoi,jesavaisbienquecen’étaitpaspourm’avoirjetéeàl’eautouthabilléequejeluienvoulais.Ill’avaitdéjàfait.Moi-même,jel’avaispousséplusieursfoisdanslapiscinedeKeith.Maisj’avaisenvied’êtreencolère, parce qu’être en colère, c’était toujours mieux qu’êtreembarrassée,blesséeou,pire,déçue.
—Tuessérieuse?Tum’enveuxpourça?(Ilrecula.)Qu’est-cequit’arrive?Tu…?
—Jet’aiembrassé!Àl’instantoùcesmotsfranchirentmes lèvres, jesentisuneboulese
formerdansmagorge.Ilsecrispaetpenchalatêteversmoi.
—Quoi?—Jet’aiembrassé,mardi,et…Jen’avaispasl’intentiondelefaire.
C’estarrivé, c’est tout.Etavantque j’aiepum’expliquer, tu t’étaisdéjàenfui.Toutàl’heure,avantquetumejettesdanslapiscine,j’aicruquetuallaism’embrasseràtontour,avouai-je.(Jerespiraisfort.J’avaisenviedevomir.)J’aicru…
Danslalumièretamisée,sesyeuxavaientlacouleurdel’océanlanuit,unbleusombred’uneprofondeurinfinie.
—Lena,jepensais…—Sebastian!LavoixdeSkylarlefitreculer.Ilpritunegrandeinspirationettourna
latêtedanssadirection.Oh,non.Ilnemanquaitplusqueça.Skylar descendait l’allée vers nous. Elle portait une robe bustier qui
couvrait à peine ses cuisses et marchait si vite que ses cheveux sesoulevaientsursesépaules.Onauraitditqu’elledéfilaitsurunpodium.
—Ah,tueslà!Jet’aicherchépartout!Leslèvrespincées, jemefisviolencepournepasluifaireremarquer
quenousn’étionspascachésetque,parconséquent,ellen’avaitpasdûchercherbienloin.
Quand elle nous rejoignit, elle arborait un sourire digne de MissAmérique.ElleposalamainsurlebrasdeSebastian.Jebaissailatêteverslesol.
—Onpeutdiscutercinqminutes?luidemanda-t-elle.Jefermaibrièvementlesyeux.Ilallaitdireoui.Ilétaittempspourmoi
declorecetteconversationavantdecauserdesdommagesirréparablesànotrerelation.J’enfilaimestongs.
—Ilfautquej’aille…là-bas.Sebastianreportasonattentionsurmoi.—Lena…—Àplustard,lecoupai-jeenm’efforçantdesourireàSkylar.
Ellemerenditmonsourireetjecroismêmequ’ellemeparla,maisjene distinguai pas unmot avec le bourdonnement du sang qui battait àmes tempes.Lorsque je retournaiaubordde lapiscine, jemeprécipitaiversAbbi.
—Çava?medemanda-t-elle.Elle était assise sur le bord d’une chaise longue sur laquelle était
allongéKeith.Visiblement, ilavaitdécidéque le slipdebainn’étaitpaspourluietavaitenfiléunshortetuntee-shirt.C’étaitbeaucoupmieux.
—Oui.(Jem’éclaircislavoix.)Toutvabien.Elle n’eut pas l’air de me croire et jeta un coup d’œil vers le pool
house.Quandelleouvritlabouche,jel’empêchaideparler.—Onendiscuterademain.—D’accord.(Elletapotalesiègeàcôtéd’elle.)Assieds-toiàcôtéde
moi.Jem’installaiaubordde lachaise longue.Dosaupoolhouse, jene
regardaipasuneseulefoisenarrière.Pendantquej’écoutaisKeithetAbbise chamailler, je tentai de me convaincre que ce qui s’était passé avecSebastian n’était pas important. La soirée avait été un fiasco, maisdemain,toutiraitmieux.
Oui,ilyavaittoujoursunlendemain.
AUJOURD’HUI
CHAPITRE10
Dimanche20août
Je ne pouvais pas bouger. J’avais mal partout : ma peau semblaittenduejusqu’aupointderupture,mesmusclesmebrûlaientcommes’ilsétaientenfeuetmesosmefaisaienttellementsouffrirquejeressentaisladouleurauplusprofonddeleurmoelle.
La confusion m’envahit. J’avais l’impression que mon cerveau étaitremplidebrouillardetdetoilesd’araignées.Quandj’essayaideleverlesbras,ilsrestèrentimmobiles,lourdscommeduplomb.
Jecrusentendreunsonaiguetrépétitif,ainsiquedesvoix,mais ilsmeparaissaienttrèsloin,àl’opposédutunneldanslequeljemetrouvais.
Jenepouvaispasparler.Il…Ilyavaitquelquechosedansmagorge,au fond dema gorge.Mon bras convulsa, hors de contrôle, et je sentisquelquechoseleretenir,surledosdemamain.
Pourquoiétais-jeincapabled’ouvrirlesyeux?Lapaniquecommençaàs’insinuerenmoi.Pourquoinepouvais-jepas
bouger?Ilyavaitunproblème.Ungrosproblème.Jevoulais justeouvrir les
yeux.Jevoulais…Jet’aime,Lena.—Moiaussi,jet’aime.
Les voix résonnèrent dans mon esprit. L’une d’entre elles était lamienne.Celanefaisaitaucundoute.L’autre…
—Elleestentraindeseréveiller.Une voix féminine interrompit mes pensées. Elle me parvenait de
l’autreboutdutunnel.Desbruitsdepass’approchèrent.—Jeluiadministredupropofol,ditunhomme.—C’est ladeuxièmefoisqu’elleseréveille, fit remarquer la femme.
C’estunesacréebattante.Samèrevaêtrecontentedel’apprendre.Unebattante? Jene comprenaispasdequoi ilsparlaient.Pourquoi
mamèreaurait-elleétécontentedesavoirque…Jedevraispeut-êtreconduire?Unedoucechaleurserépanditdansmesveines,depuislabasedemon
crâne,etsepropageadanstoutes lescellulesdemoncorps.Alors, iln’yeutplusaucunrêve,plusaucunepenséeetplusaucunevoix.
Mardi22août
Lanauséemeretournaitl’estomac.Ce fut la première chose que je remarquai lorsque j’émergeai de
nouveau d’un sommeil profond et oppressant. J’avais mal au cœur. Sij’avaiseuquelquechosedansleventre,j’auraissansdoutevomi.
J’avaismalpartout.Mon crâne m’élançait, ma mâchoire aussi, mais la douleur la plus
intenseprovenaitdemapoitrine.Àchaqueinspiration,mespoumonsmebrûlaient davantage et ne semblaient pas fonctionner normalement.J’avaisdumalàaspirerdel’oxygène.Enfait,quelquechosemeserraitauniveaudelapoitrine,commedesélastiques.
Comme jenecomprenaispascequim’arrivait, je tentaid’ouvrir lesyeux.Audébut,riennesepassa.J’avais l’impressionquemespaupières
avaientétécousuesentreelles,maisjepersistaiencoreetencorejusqu’àyparvenir.
Une lumière éblouissante m’aveugla. Malgré tous les efforts quej’avaisfaits,jerefermailesyeux.J’auraisvoulumerecroquevillersurmoi-même. Je commençai à bouger, mais m’arrêtai aussitôt. Des piques dedouleurmetransperçaientdepartenpart.
Quesepassait-il,àlafin?—Lena?(Lavoixserapprocha.)Lena?Tuesréveillée?Je connaissais cette voix. Elle appartenait à ma sœur. Mais c’était
impossible.ElleétaitàRadford,àlafac.Jecrois.Je n’avais pas la moindre idée de la date. Était-on samedi ?
Dimanche?Desdoigtsfroidsseposèrentsurmonbras.—Lena?Cette fois, quand j’ouvris les yeux, je ne fus pas surprise par la
lumière.Ma vision s’éclaircit et je vis un faux plafond comme ceux dulycée,au-dessusdemoi.Surmadroitesetrouvaitmasœur,Lori.Elleétaitassisesurl’unedesdeuxchaisesdisposéesàcôtédulit.
C’étaitbienelle.Maiselleavaitunemineaffreuse.Jene l’avais jamais vue commeça.Elle avait toujours été très jolie,
mêmelematin,auréveil.C’étaitdanssesgènes.Pourtant,àcetinstant,elle avait les cheveux attachés en un chignon informe et on aurait ditqu’ellene lesavaitpas lavésdepuisdes jours.Deprofondscernes roséscreusaient ses yeux injectés de sang. Le tee-shirt gris de l’université deRadfordqu’elleportaitétaittoutfroissé.
— Salut, murmura-t-elle. (Elle souriait, mais je savais que quelquechose clochait. Son sourire paraissait faux.) Tu te réveilles enfin,marmotte!
Avais-jedormilongtemps?J’enavaisl’impression.J’avaislasensationd’avoirdormidesjours.Maisjen’étaispasdansmonlitnimêmedansma
chambre. Jem’humectai les lèvres.Ellesétaient sèches, tout commemaboucheetmagorge.
—Qu’est-ce…?(J’avaisdumalàrespirer.Lesmotsétaientdifficilesàprononcer.)Qu’est-cequisepasse?
—Qu’est-cequisepasse?répéta-t-elleenfermantlesyeux.(Ellelesserrasifortquelapeauseplissaauxcoins.)Tuesauxsoinsintensifsdel’hôpitaldeFairfax.ÀINOVA.
Quandellerouvritlespaupières,ellejetauncoupd’œilàlaporte.—Je…Jenecomprendspas,murmurai-jed’unevoixrauque.Sonregardseposadenouveausurmoi.—Quoi?Parlerm’épuisait.—Pourquoi…jesuisàl’hôpital?Lorimedévisagealonguement.—Tuaseuunaccidentdevoiture,Lena.Unaccident…(Savoixse
brisaetellepritunegrandeinspiration.)Unaccidenttrèsgrave.Un accident de voiture ? Je l’observai un instant avant de reporter
monattention sur le fauxplafondet les lampeséblouissantes.Quelquessecondess’écoulèrent.Quandjetournailégèrementlatêtedel’autrecôté,je grimaçai. Une douleur fulgurante ricocha sous mon crâne. Les mursétaient blancs. Devant, il y avait des machines et des boîtes, dont lecontenuétaitindiquécommedangereux.
Voilàqui expliquait le tiraillementque j’éprouvais à lamain.C’étaituneintraveineuse.J’étaisbienàl’hôpital.Mais…unaccidentdevoiture?J’avais beaume creuser la tête, c’était comme simes souvenirs étaientdissimulésderrièreunécrandefumée.
—Je…Jenemesouvienspas…d’unaccident.—MonDieu,murmuraLori.Laportes’ouvritetmamèreentra.Derrièreellesetrouvaitungrand
hommemincequiportaituneblouseblanche.Enmevoyant,mamèresefigeaetportalesdeuxmainsàsoncœur.Elleavaitl’airaussimalenpointqueLori.
—Monbébé,s’écria-t-elleenseprécipitantversmonlit.Unsouvenirremontaàlasurface.Desparoles…desparolesquel’on
m’avaitdites.«Tum’aimesassezpourmeporter jusqu’àchezmoisansréveillermamèreetmemettreaulit?»
Quelqu’unm’avaitposé cettequestion.Dehors,devant lamaisondeKeith. La voix remontait des profondeurs de mon inconscient et meparaissaittrèsfamilière.«Maisd’abord,onvapasserauMcDo.J’aienviedenuggets.»
Desnuggets?Le souvenir s’évanouit aussi vite qu’il était apparu. J’étais incapable
demettre un nom sur cette voix oumême de savoir s’il s’agissait d’unrêveoudelaréalité.
—Oh,merci,monDieu.(Mamèresepenchaenavantetm’embrassasur le front, le nez et le menton.) Merci. Merci. (Elle m’embrassa denouveausurlefront.)Commenttutesens?
—Perdue,réussis-jeàarticuler.Jenecomprenaisabsolumentrienàcequiétaitentraindesepasser.—Elleneserappellerien,ditLorienselevantetenposantlesmains
surseshanches.Elleneserappellepasl’accident.—C’estunphénomènecourantchezlespatientssouffrantdecegenre
de blessures. Cela peut aussi être dû aux sédatifs que nous lui avonsadministrés,ditl’hommeenblouseblanche.Sessouvenirsfinirontparluirevenirentièrementouparbribeslorsquetoutetracedemédicamentauraquittésonorganisme.
Dessédatifs?Mamères’assitàlaplacedeLori,surlachaiselaplusprochedulit,et
mepritlamain.Celleavecl’intraveineuse.—Chérie,voicileDrArnold.C’estluiquit’a…Elle détourna le regard et secoua la tête. Elle avait l’air d’avoir des
difficultésàrespirer.Jesavaisquecequ’elles’apprêtaitàm’annoncerétaittrèssérieux.En
la regardant, je la revis assise à la table de la cuisine, penchée sur des
textesjuridiques.Elleportaitseslunettesdereposetm’avaitdemandéderépondre au téléphone, la prochaine fois quemonpère appellerait. Ellem’avaitaussiditautrechose.
Soisprudente.—Commetoujours.C’étaitquand?Samedi.Samedi,avant…LeDrArnolds’assitauborddulitetcroisalesjambes.—Tuaseubeaucoupdechance,jeunefille.Je reportaimon attention sur lui. Comme je n’avais pas lamoindre
idéedecequisepassait,j’étaisbienobligéedelecroiresurparole.Mamèremeserralamain.Quandjemetournaiverselle,jemerendis
comptequ’elleétaitauborddeslarmes.SesyeuxétaientaussirougesetgonflésqueceuxdeLori.
Lemédecinattrapamondossiermédicalauboutdulit.—Commenttutesens?Àpartfatiguée?Je déglutis. J’avais l’impression d’avoir du papier de verre dans la
gorge.—Fatiguée.Et…J’aimalaucœur.— C’est sans doute à cause des sédatifs, dit-il en faisant courir ses
doigtssurlafeuilledevantlui.Noust’avonsadministrédesantidouleursassez puissants. Ils peuvent donner la nausée. Est-ce que tu as malquelquepart?
—Oui…àlatête.(Jeregardaimamère.Ellemesouritcommepourmerassurer.)Etàlapoitrine.J’aimal…partout.
—Tuasprisdesacréscoups,réponditleDrArnold.J’écarquillailesyeux.Descoups?Jecroyaisquej’avaiseuunaccident
devoiture.Avantquejepuisseposerlaquestion,ilrepritlaparole:— Tu souffres d’une commotion, mais nous n’avons trouvé aucun
signedegonflementducerveau.Tantqueceseralecas,toutirabienàceniveau.(Ilparcourutmondossier.)Tut’essansdouterenducomptequetonbrasgaucheétait fracturé.Tugarderasunplâtrependant troisàsixsemaines.
Jeclignailentementlesyeux.Unplâtre?Je ne pouvais pasme permettre d’avoir un bras cassé ! J’avais des
entraînementsetdesmatchsàassurer.Lorsquejelevailebrasgauche,unedouleursourdem’envahit.Oui.Il
yavaitbienunplâtreautourdemonavant-bras.Monregardseposadenouveausurlemédecin.Riendetoutcelanemeparaissaitréel.
—Je…jenepeuxpasavoirunplâtre.Je…joueauvolley.—Machérie.(Mamèremeserradoucement lamain.)Net’inquiète
paspourlevolley,pourl’instant.Ilyadeschosesplusimportantes.Plus importantes ? C’était ma dernière année de lycée. Notre
entraîneurpensaitquejepouvaistaperdansl’œild’unrecruteur.Sijenepouvaispasjouer,Meganallaitm’envouloiràmort.
Lemédecinrefermamondossier.— Tu souffres de blessures graves, Lena, dont un traumatisme à la
poitrinequiacauséunpneumothoraxbilatéral.Jeleregardaisanscomprendre.Unpneumoquoi?Monexpressionlefitlégèrementsourire.—Celasignifiequedel’airs’estretrouvébloquédanstapoitrineeta
appuyé sur tes poumons, ce qui les a empêchés de se gonfler. Dans lamajorité des cas, cela se produit d’un seul côté et il suffit de faire uneponctionmineurepourfairesortirl’air.
Vulesbandagesquientouraientmapoitrine,quelquechosemedisaitquecen’étaitpascequis’étaitpassé.
—Danstoncas,tescôtesontétécasséesdesdeuxcôtésetontdoncperforétonthoraxdesdeuxcôtés.Tesdeuxpoumonssesontaffaissés.Jetiens à ce que tu comprennes que c’est très grave. Dans ce genre desituation, il est très rare que l’on puisse avoir une conversation avec lepatient,aprèscoup.
Mamèresepassalamainsurlevisagepuislaposacontresabouche.Lemédecinposasonbrassursesgenoux.—Nousavonsdûopérerdesdeuxcôtés. (Ilmemontra lesendroits
concernés sur mon corps.) Pour faire sortir l’air bloqué à l’intérieur et
boucherlesfuites.Oh.MonDieu…—Pourlaisserletempsàtespoumonsdeguérir,noust’avonsplacée
sous sédatifs et avons laissé la machine respirer pour toi, mais nousn’avons pas eu à le faire très longtemps. Tu étais prête à te réveillerdepuishier.
Ledocteursouritencoreunefois.Jemerappelaisvaguementavoirentendudesgensdirequej’étaisen
traindemeréveiller,maisunautresouvenirsemêlaitàcelui-ci.Desgensparlaient.Quelqu’uncriait.Cen’étaitpasdansl’hôpital.
—Commejel’aidéjàdit,tuasbeaucoupdechance,jeunefille.Nousavons pu retirer l’assistance respiratoire sans problème. Toutefois, nousallons te garder encore un jour ou deux en soins intensifs. Ta pressionsanguineestencoreunpeubasseetjepréfèresurveillerça.
Jecomprenaiscequ’ildisaitetcelameparaissaitlogique,maisj’avaisencoredesdifficultésàycroire.
— Quand le moment sera venu, nous te déplacerons dans unechambreoùnouspourronsvérifierquetunedéveloppesaucuneinfectionni inflammation. Dès aujourd’hui, tu devras faire des exercices derespiration,etdemain,tupourrasteleverpourmarcherunpeu.
Celafaisaitbeaucoupàencaisser.—Sitoutsepassebien,etjesuisconfiant,tuserasderetourcheztoi
endébutdesemaineprochaine.Endébutdesemaineprochaine?—Tuaurasdeshématomesetdescourbatures,biensûr,et jepense
quetudevras,malheureusement,mettrelevolley-balldecôtépendantuncertaintemps.
Moncœurseserra.Non.Ilfallaitquejejoue.Jepouvais…— Mais tu devrais guérir à cent pour cent sans avoir à subir la
moindre séquelle sur le long terme. Il faudra juste éviter certainesactivités,bien sûr.Maisnousenreparleronsplus tard. (LeDrArnoldse
leva et je me demandai de quelles activités exactement je devraism’abstenir.)Laceinturedesécuritét’asauvélavie.Silesautresl’avaientportée…
—Merci,lecoupamamère.Mercipourtout,docteur.Jenepeuxpasvous dire à quel point je vous suis reconnaissante, à quel point nous lesommestous.
Attendez une minute. J’avais l’impression d’oublier quelque chose.Une chose plus importante que le volley et les respirateurs artificiels.Commentétais-jearrivéeici?Ques’était-ilpassé?
—Lesautres?hoquetai-jeenjetantuncoupd’œilàLori.Masœurblêmitetselaissatomberdanslachaiseàcôtédemamère.Levisagedumédecinsefitimpassible,commes’ilvenaitd’enfilerun
masque. Ilme rappela combiende temps j’allaispasser à l’hôpital, puispritsesjambesàsoncou.
Jemetournaiversmamère.—Lesautres?Qu’est-cequ’ila…vouludire?—Quelleestladernièrechosedonttutesouviens?medemandama
sœurcommemamèrenemerépondaitpas.Mamèreluiadressaunregardfurieux.—Pasmaintenant,Lori.—Si.(Jeprisunefaibleinspiration.)Si,maintenant.Dans mon esprit, je tentais de recoller les pièces du puzzle. Je me
souvenaisd’avoirparléàmamèrelesamedipourluidirequeje…— Je suis allée… chez Keith, pour une fête. (Fermant les yeux, je
tâchaide faireabstractionde ladouleur lancinantesousmoncrâne.)Jemerappelle…
—Queterappelles-tu?murmuramamère.Jeserrailesdents.Mamâchoiremefaisaitmal.Lafêteauborddela
piscine. Sebastian. J’avais cru qu’il allait m’embrasser, mais il m’avaitjetéedanslapiscine.Onavaitparlé.Non,ons’étaitdisputés.Puis…
—Jeme rappellem’êtreassiseà côté…d’Abbiprèsde lapiscine…après,plusrien.
Jet’aime,Lena.—Moiaussi,jet’aime.Quim’avaitditça?Abbi?Megan?C’étaitl’uned’elles.Frustrée,je
levailamainetgrimaçaiensentantl’intraveineusetirersurmachair.Mamèremepritlamainetlaportaàseslèvresavecprécaution.Elle
déposaunbaisersurmesdoigts.—Tuasdéjàbeaucoupd’informationsàdigérerd’uncoup.Tudevrais
tereposer.Plusvitetuteremettras,plusviteturentrerasàlamaison.Onparleradetoutçaplustard.
Qu’avaitditledocteur?Laceinturedesécuritém’avaitsauvélavie,mais lesautres…Àsavoix,onauraitditque lesautresn’avaientpas…Oh,monDieu!Ilyavaitd’autrespersonnesdanslavoitureavecmoi!
— Non. (Les bips de la machine s’emballèrent au rythme desbattements de mon cœur. J’essayai de me relever, mais j’avaisl’impression que le litme retenait contre lui.) Je veux savoir… Je veuxsavoircequis’estpassé…Maintenant.
Lesyeuxdemamères’emplirentdelarmes.—Machérie,jenecroispasquecesoitunebonneidée.Quelqu’uncria.Megan?—Si,crachai-je.Moi,jecroisquesi.Ellefermabrièvementlesyeux.—Jenesaispascommenttel’annoncer.—Dis-le,lasuppliai-je.Mon cœur battait si fort que j’avais peur qu’il s’échappe de ma
poitrine. Était-ce Megan ? Non. Abbi ? Je ne pouvais plus respirer.Sebastian?Oh,monDieu…Sebastianm’avaitconduiteàlafêteenJeep.Pitié,pasça!
Je rejetai la tête en arrière. Je n’arrivais pas à faire entrersuffisammentd’oxygènedansmespoumons.
Mamèrebaissalentementmonbras.—Tun’étaispastouteseuledanslavoiture.Oh,non.Oh,non.
Lecœurbroyédansunétau,jeregardaitouràtourmamèreetLori.Masœurtournalatêteverslapetitefenêtreetfermalesyeux.
—TuétaisavecMeganet…etsoncousinChris.IlyavaitaussiPhillipet Cody. (Lori cligna les yeux avant de reporter son attention surmoi.C’estàcemomentquejelesvis:leslarmesquicoulaientsursesjoues.)Jesuisdésolée,Lena.Ils…ilsn’ontpassurvécu.
CHAPITRE11
—Non,murmurai-je sans quitter Lori des yeux.Non.Ce…Cen’estpaspossible.
Masœurse laissa tomberenavantet seprit la têteentre lesmains.Sesépaulestremblèrentetunfrissonsecouasoncorps.Moncœurbattaitàtoutrompre.J’avaisdumalàrespirer.
—Non,répétai-je.—Jesuisdésolée,dit-elle.Jemetournaiversmamère.—Ellesetrompe,pasvrai?Maman…Dis-moiqu’ellesetrompe.—Non,mapuce.(Ellemetenait toujours lamain.Elle laserraplus
fort.)Ils…ilsn’ontpassurvécu.Secouantlentementlatête,jemelibéraidesapoigne.Quandjelevai
monbrasgauche,uneviolentedouleurremontajusqu’àmonépaule.—Jene…comprendspas.Mamère respira profondément, commepour sedonnerdu courage.
Des larmesbrillaientdans ses yeux.Elle sepenchaenavant etposa lesmainssurlelit,prèsdemahanche.
—Tunetesouvienspasdutoutdel’accident?J’avaisbeauchercher,iln’yavaitrien.Riend’autrequedesbribesde
conversation.Unehistoiredenuggetsdepoulet.Sijemeconcentraistrèsfort, jeme revoyais devant chezKeith, en train de regarderCody et depenser,dedire…
Jedevraispeut-êtreconduire?
C’était moi. J’avais posé cette question. J’en étais persuadée. Unesensation demalaise remonta à la surface, une impression d’hésitation,d’inquiétude.Jemevism’arrêterdevantlaportearrièred’un4×4,celuideChris.«Jedevraispeut-êtreconduire?»
Non.Non.Jefermai lesyeuxtandisquemoncœurseserrait.Jenecomprenais
pas. J’étais assise à côté d’Abbi. Sebastian m’avait emmenée à la fête.Comment m’étais-je retrouvée en voiture avec eux ? Comment Meganétait-elle…?
Il ne fallait pas que je pense à cela. De toute façon, j’en étaisincapable.
—Ques’est-ilpassé?demandai-jed’unevoixrâpeuse.Jeveux…toutsavoir.
Plusieurssecondess’écoulèrentensilence.— La police… un policier est venu frapper à la porte à 23 heures.
J’étaisencoredebout.J’étaisdanslacuisineetquandj’airegardédehorsetquejel’aivu,j’aicomprisqu’ilétaitarrivéquelquechosedegrave.Lapolice ne vient pas te voir à moins que… (Ma mère s’interrompit. Jerouvris les yeux. Ses lèvres tremblaient.) Il m’a dit que tu avais eu ungraveaccidentdevoitureetqu’ont’avaittransportéeàl’hôpital.Jedevaism’yrendreleplusvitepossible.
—Ellem’aappeléeavantdepartir.J’ai toutdesuitesautédansmavoiture,ditLoriensepassantlamainsurlefront.Audébut,onnenousariendit.Ona justeentenduquedeuxpatientsavaientétéamenés icietqu’ilsétaientensalled’opération.
Jeremuailesjambessouslafinecouverture.—Deux?Est-ceque…?—C’était Cody, répondit Lori en secouant la tête, les yeux rivés au
plafond.Ilestmorthiersoir.Hiersoir?Dimanche?—Comment?
—Onnesaitpastrop.Jen’aipasparléàsesparentsdepuisqu’ilsontétéappelésdanssachambre,ditmamèreenmeregardantdanslesyeux.Cequiestsûr,c’estqu’ilsouffraitd’untraumatismeimportantàlatête.Jene crois pas… (Elle souffla bruyamment.) Je ne crois pas qu’ils avaientespoirqu’ilseréveille.
Non. Ilnepouvaitpasêtreparti. Jeme souvenaisde luiavoirparléchez Keith. En plaisantant, il m’avait proposé de voler les clés deSebastian pour aller se promener. Il ne pouvait pas être…mort. Codyétait…ilétaitquarterback.IlétaitcenséjouervendredisoiravecChrisetPhillip.Selonlesrumeurs,ilavaitmêmeétérepéréparl’universitéd’Étatde Pennsylvanie. J’avais l’impression que cela ne faisait que quelquesminutesqu’ilm’avaitparlé,qu’onavaitriensemble.
Mais siChris etPhillip se trouvaientdans la voiture, euxaussi, celasignifiaitque…Celasignifiaitqu’ilsn’avaientpas…
Meslèvresbougèrent,maisjefusincapabled’émettrelemoindreson.Jen’avaispaslecouragedeposerlaquestionquimedémangeait.Jen’enavaispaslaforce.Magorgesenoua.Jen’arrivaisplusàparler.
Mamèreposalamainsurmonbrasdroitavecdélicatesse.—Meganetlesautres…onpensequ’ilssontmortssurlecoup.Ilsne
portaientpasleurceinturedesécurité.—Comment?demandai-je.J’ignoraispourquoi jeposais laquestion.J’ensavaisdéjàbienassez.
Codyétaitmort.Phillipet ses tee-shirtsàmessages stupidesaussi.SansoublierChris.
EtMegan…Nous avions prévud’étudier dans lamême fac et peut-être d’intégrer la même équipe de volley-ball. Elle était l’une de mesmeilleuresamies,laplusextravertieetlaplusspontanéedetoutes.Ellenepouvaitpasêtrepartie.Cen’étaitpascensésepassercommeça.
Etpourtant.Ilsétaienttousmorts.Leslarmesmemontèrentauxyeux.—Comment?répétai-je.
Mamèreneréponditpas.Loripritlerelais,sansmeregarderenface.—D’aprèslesjournalistes,ilsontétééjectésdelavoiture.Le4×4a
heurtéunarbreavantdefaireplusieurstonneaux.Lesjournalistes?L’accidentpassaitauxinfos?Jenesavaispasquoipenser.Toutmesemblaitsiirréel.Jereposaila
têtecontremoncoussinetgrimaçaiàladouleurquidescenditlelongdemacolonnevertébrale.Jemouraisd’enviedemelever,desortirdecettechambreetdem’éloignerdemamèreetdeLori.
Je voulais retourner chezmoi, en arrière, aumoment où tout étaitnormal.Où lemonde continuait de tourner normalement.Où tousmesamisétaientenvie.
Mamèreditquelquechose,mais jene l’entendispas.Je fermaimesyeuxemplisde larmes.Lori répondit. Jenepus comprendreunmot. Jecomptai jusqu’àdix.Quand j’ouvrirais les yeux, jeme retrouverais chezmoi, dans mon lit, et tout ceci n’aurait été qu’un cauchemar. Cettesituationnepouvaitpasêtrelaréalité.Cen’étaitpaspossible.
Meganétaittoujoursvivante.Toutlemondeétaitenvie.—Lena?fitmamère.Personnen’étaitmort.Meganallaitbien.Lesautresaussi.J’allaisme
réveillerettoutseraitderetouràlanormale.Mamèreparlaencore.J’avaisbeauessayerdetoutesmesforces,jene
parvenaispasàmeréveiller.Cen’étaitpasuncauchemar.Jenepouvaispasyéchapper.—Jeneveuxplus…parler,dis-jed’unevoix tremblante. Jen’enai
pas…envie.Unsilencemerépondit.Alors,jerestaiallongéelà,lesyeuxfermés,àmerépéterquecen’était
pasréel.Querienn’étaitréel.Celan’avaitpaspunousarriver.Pasànous.C’étaitimpossible.Une seconde passa, puis deux et je… je m’effondrai comme un
châteaudecartes.Uncrid’animalblesséretentitetilmefallutquelques
instantspourcomprendrequec’étaitmoi.C’étaitmoiquipleuraissifortquejen’arrivaispasàreprendremonsouffle.Ladouleurm’empêchaitderespirer.Leslarmescoulaientsurmesjoues,magorgeétaitnouée.J’étaisincapabledem’arrêter.
—Mapuce…Machérie,soufflamamèreenposantlesmainssurmoi.Calme-toi.Respireprofondément.
Jenepouvaispas.Ilsétaientmortsetaufonddemoivenaitd’éclaterun orage d’été, violent et imprévisible. Je sanglotai pendant ce quimeparut une éternité jusqu’à ce que des voix que je ne connaissais pasrésonnentautourdemoietqu’unechaleurmordantesedéversedansmesveines.Après,iln’yeutplusaucunelarme.
Iln’yeutplusriendutout.
Bienplustard, jesentismamèremetoucher lebras.Quandj’ouvrislesyeux,j’étaistoujoursallongéedansunlitauxsoinsintensifs.L’odeurdu désinfectantmemontait toujours au nez. Lesmachines continuaientd’émettre des sons stridents. C’était ma réalité. Je ne pouvais m’ysoustraire.
Mamèremeregardait.Iln’yavaitplusdelarmesdanssesyeux.Masœuretellenesemblaientpasavoirbougépendantquej’avaisdormi.Lesédatif,ou,entoutcas,leproduitqu’onm’avaitadministré,commençaitàquitterlentementmonorganisme.
— Il faut que je te pose une question, dit ma mère au bout d’unmoment.
Loriselevaetvintseplaceraupieddemonlit.—Pasmaintenant,Maman.Mamèrepoursuivitnéanmoins.—Onnousaparléd’alcool.Onnousaditqueleconducteur,Cody,
étaitpeut-êtreenétatd’ébriété.Jefronçailessourcils.Codyétaitauvolant?Cen’étaitpaslogique.Je
savaisqu’iln’étaitpasvenuenvoiture,carilm’avaitproposédevolerlaJeepdeSebastian,àmoinsque…
—Àquiétait…lavoiture?—ÀChris,réponditLori.Ellecroisalesbrassursapoitrine.—Et…c’est…Codyquiconduisait?Celan’avaitaucunsens.Ellehochalatête.—Lesjournalistespensentqu’ilavaitbu.Ilsontmêmeparlédelafête
chezKeith.Apparemment,lespoliciersysontallés.Çafait…Chez Keith ? Je levai mon bras droit, mais le reposai aussitôt en
sentant l’intraveineuse tirer. Pourquoi aurait-il conduit la voiture deChris?
C’estalorsque jemesouvinsdesparolesd’AbbietdeMeganà leurarrivéeàlafête.EllesétaientpersuadéesqueChrisavaitbuetje…Jenem’en étais pas vraiment inquiétée. Je n’avais pas trouvé révoltant qu’ilprenne la voiture complètement ivre. Mes questionnements sur marelationavecSebastianétaientmaseulepréoccupation.
—Est-cequ’ilavaitbu?demandamamère.J’avaisvuCodyboire:d’aborddansunverreenplastiquerouge,puis
une cannette. Jem’en souvenais. Et jeme rappelais… Jeme rappelaisavoirpensé…
Jenesavaispass’ilétaitsuffisammentsobrepourconduire,maislesgarçons me regardaient d’un air agacé et Megan insistait parce qu’ellevoulaitàtoutprixmangerdesnuggets.J’auraispeut-êtredûdemanderàAbbi si je pouvais rentrer avec elle, mais elle semblait en grandeconversation avec Keith et, contre toute attente, elle n’allait sans doutepaspartirdesitôt.Unepetitevoixaufonddemonespritmemettaitengarde.J’avaismêmeunebouledansl’estomac.Mais…c’étaitridicule.
J’étaismontéedanslavoiture.—Maman, elle ne se souvient pas de l’accident. Comment veux-tu
qu’elleteréponde?fitremarquerLori.Ma mère me dévisageait. Sa poitrine se soulevait de plus en plus
rapidementet,toutàcoup,elleneputsecontenirdavantage.Sonvisage
se décomposa. Elle se leva, puis se rassit – ou plutôt retomba – sur sachaise.
—Maisenfin,àquoipensais-tu,Lena?J’ouvris la bouche. Mon esprit fonctionnait à cent à l’heure. Je ne
savais pas ce quim’était passé par la tête. Je ne comprenais pas.MonDieu.C’étaitimpossible.Cegenredechosesn’étaitpascenséarriver,pasenvrai.
—Maman,ditLorienrevenantsurlecôtédulit.— Tu es montée dans cette voiture, voilà ce qui s’est passé. Tu es
montéedanscettevoitureaveccegarçonqui,apparemment,avaitbu.Lapolice a dit que vous empestiez tous l’alcool. Tu aurais pumourir. Lesautressonttousmorts!(Elleselevad’unbondetcettefoisrestadebout,lespoingsserrésetremontéscontresapoitrine.)Jet’aimeetjeremercieDieu de t’avoir gardée en vie, mais je suis extrêmement déçue. Je t’aipourtant appris… Ton père et moi t’avons appris qu’il ne fallait pasprendrelevolantaprèsavoirbunimonterenvoitureavecquelqu’unenétatd’ébriété.
—Maman,murmuraLori.Sesjouesétaientdenouveaumouilléesdelarmes.Lesmiennesaussi.—Savais-tuqu’ilavaitbu?medemandamamèred’untondur.Jedevraispeut-êtreconduire?—Jenemerappellepas.Ma voix trembla tandis qu’un nouveau souvenir remontait à la
surface. « Tout ira bien. Je te jure. Je connais cette route comme mapoche.»Unevoixfamilière.CelledeCody.Maisc’étaitimpossible,parcequ’il n’aurait jamais pris le volant ivre. Personne ne faisait ce genre dechoses.PourtantChrisavait conduitdans cet étatunpeuplus tôtdans lasoiréeettun’avaispasréagi,memurmuraunepetitevoixàl’intérieurdematête.Toutefois, la situationétaitdifférente.Si j’avais su, jeneseraispas montée dans la voiture. J’en étais persuadée. Et je ne l’aurais paslaisséconduire.
Jen’étaispascegenredepersonne.
J’étaisquelqu’underesponsable.Jelejure.
CHAPITRE12
Lemardisoir,jereçuslavisitedepoliciers.C’estainsiquej’apprisqu’onétaitmardi.Troisjourss’étaientécoulés
depuislesamedi.Depuisque…mesamisétaientmortspendantquemoi,jedormais.
Ilsétaientdeuxetquandilsentrèrentdansmachambred’hôpital,lapeurmeglaça l’estomac.J’étais terrifiée.Jen’arrêtaispasderegarderàtour de rôle ma mère et ces deux hommes en uniforme bleu clair etcasquetteétrange.Uneinfirmièrelesaccompagnait.Avantqu’ilsaienteuletempsdedirequoiquecesoit,ellelesmitengarde.
—Vousavezquinzeminutesmaximum.Après,onluiadministrerasesmédicaments.Nelacontrariezpas.Ellen’apasbesoindeça.
Leplusvieuxdesdeuxretirasacasquette.Sescheveuxblondsétaientparsemésdegris.
—Nousseronsbrefs.L’infirmièreleuradressaunregardméfiantavantdequitterlapièce.Lagorgenouée,j’écoutaileplusvieuxseprésenter.—Jesuisl’agentDaniels.Etvoicil’agentAllen,dit-ilendésignantson
cadet à la peau ébène, qui avait également ôté son couvre-chef. Nousenquêtonssurl’accidentquiaeulieusamedisoiretsitutesenscapablederépondre,nousaimerionsteposerquelquesquestions.
—Jenesuispascertainequ’ellesoitprête.(Mamèresetournaversmoi d’un air inquiet.) Elle s’est réveillée cematin et vient d’apprendrequesesamis…
L’agentAllenbaissalatête.—Toutesnoscondoléances.(Iltenaitsacasquettedepoliciercontre
sahanche,soussonnombril.)Maisnousaimerionsquandmêmeteposerces questions, en espérant que tu pourras éclairer certaines zonesd’ombre.
Jen’enavaispaslamoindreenvie.Leslarmesmemontaientdéjàauxyeux, mais je parvins à m’éclaircir la voix. En réalité, je n’avais pasvraimentlechoix.
—D’accord.—Bien. (L’agentDaniels vint se placer à côté demoi.)Nous avons
besoinquetunousracontestoutcedonttutesouviens.Tucroisenêtrecapable?
Jefermailesyeux.J’auraispréférénepasêtreicietnepasparlerdessouvenirsquicommençaientàmerevenir,maisc’étaitlapolice…
Alors,jem’exécutai.Tandis que je parlais, jeme remis à pleurer. Le visage demamère
trahissaitsadéceptionetsapeine.Lespoliciers,eux,restaientstoïques.Ilssecontentaientdemeposerdesquestionspour faireavancermonrécit.« Y avait-il de l’alcool à cette fête ? » « Les parents deKeith étaient-ilsprésentsetsavaient-ilsquevousbuviez?»«Terappelles-tuavoirvuCodyboire?» «Chrisétait-il trop ivrepourconduire sonproprevéhicule?»«Ettoi,tuavaisbu?»
Je supposais qu’ils connaissaient déjà la réponse à certaines de cesquestions,maisilsvérifiaientsansdoutequelesfaitsconcordaient.Quandl’interrogatoire se termina, j’eus la sensation que je devais dire quelquechose.Lesmotsfranchirentmeslèvressansquej’yréfléchisse.
—On… je ne pensais pas que çanous arriverait,murmurai-je. (Mavoix,monâme,moncœur…toutenmoiétaitbrisé.)Onn’apasréfléchi.
— C’est le problème de notre époque. Plus personne ne réfléchit,répondit l’agent Daniels d’une voix rauque. Surtout les jeunes. On voitbientropsouventcegenredechoses.
Iln’yavaitriend’autreàdire.
«Surtoutlesjeunes.»Pourlui,cettehistoireétaitbanale.Quandilsquittèrent lapièce, jegardai lesyeuxrivéssur laporteun
longmoment. Dans la chambre, tout était silencieux. C’était un silenceterribleetangoissant.Jefermailesyeux.Jenepouvaispasfairefaceàmamèreetàcequ’ellepensaitdemoi.
J’étaisdevenuelegenredepersonnequejenevoulaispasêtre.Imprudente.Irresponsable.Coupable,danstouslessensduterme.
Les médicaments qu’on m’administra à travers l’intraveineuse
rendirent la situation plus… supportable. Je me contentai de resterallongéelà,sansrienfaire.Jen’avaisplusmal.Jen’étaisplusobligéedeparler. Assises sur les chaises à côté de mon lit, Lori et ma mèreregardaientunerediffusionensilence.
Moncerveaurefusaitdesemettreenpause.Mais,heureusement,jenepensaispasàcettenuit-là.J’enétaisincapable.J’avaisl’impressiondeflotteràunoudeuxmètresau-dessusdulitet,
danscetétatd’apesanteur,jemerappelaiuneautresoirée.La dernière fois que nous avions tous été réunis au bord du lac, au
moisdejuillet.C’était leweek-enddu4Juillet, le jourde l’indépendancedesÉtats-
Unis,ettoutlemonde,vraimenttoutlemonde,étaitprésent.Quelqu’unavaitapportéunvieuxbarbecueaucharbondeboisetSebastianavaitmislaradioàfonddanssaJeep,lecoffreouvert.
Jem’étais installéedansun coinavecAbbi,DaryetMeganpendantqueKeithessayaitdefaireduskinautiqueavecdesskisdeneige.Toutlemonderiait,saufAbbi.Sesyeux…Elleécarquillaitlesyeuxdepeuretnecessaitdemurmurer:«Ilvasetuer.Onvatousleregardermourir.»
MaisKeithn’étaitpasmort.
Ilétaittombéets’étaitplaintdes’êtrecassélecul,ouunebêtisedanscegenre.Puis il était sortidu lacen tenant sonmaillot.PhillipetChrisl’attendaientsurlarive.JenemerappelaispasavoirvuCody.
Dans mon souvenir, j’avais passé mon temps à observer Sebastian,deboutprèsduponton,avecunautregarçon.Jel’avaisbeaucoupregardécesoir-là,parcequ’ilétaitsurlepointdepartirenvacances.Jenepouvaism’enempêcher.
J’aurais voulu revenir en arrière et me comporter différemment.DétournerlesyeuxdeSebastian,regarderPhillipetChris,tournerlatêtesurmadroitepourvoirMegan.L’écouteravecplusd’attention,carjenemesouvenaispasdecequ’ellem’avaitraconté.Toutefois,jesavaisqu’ellesouriaitetqu’elleétaitheureused’êtrelà.
Lorsqu’elles’était levéepouraller rejoindrePhillipaubordde l’eau,j’auraisvoulu l’avoir retenue. J’auraisvoulu lesavoir suivis,avoirgravédans ma mémoire l’image d’eux, près du lac, pour l’éternité. Mais jen’avaisrienfaitdetoutcela.J’étaisrestéeassisependantquequelqu’untiraitdesfeuxd’artificedepuislabergeopposée.
J’auraisvouluchangermessouvenirs.Mais, après, il y avait euSebastian.Quand le ciel s’était illuminé et
que le premierbang avait retenti, il avait passé un bras autour demesépaules. Un autre feu d’artifice s’était élevé dans les airs dans unsifflement et avait explosé en une cascade d’étincelles rouge vif. J’étaisblottie,bienauchaud,contreSebastian.Lajoueposéecontresonépaule,j’avaisregardélespectacle.Àcemoment-là,notrerelationétaitaubeaufixeetjemesouvenaisd’avoirpenséque…quelavieétaitbelleetquejedevaisenprofiter.
Etcesoir-là,j’étaisloindemedouteràquelpointc’étaitvrai.
Lemercredi,mamèrem’annonçalagrandenouvelle.—Tonpèrevavenirtevoir.—Pourquoi?demandai-je,lesyeuxrivésauplafond.—Parcequec’esttonpère,répondit-elled’unevoixfatiguée.
Cen’étaitpasuneexplicationvalable.Certes,ilétaitmonpère,maisjusqu’àprésent,iln’avaitjamaisvraimentassumécerôle.Alors,pourquoicommencermaintenant?
Unepenséeterriblemevintàl’esprit.J’étaisàl’hôpitaldepuissamedisoir,ensoinsintensifs.Aujourd’hui,nousétionsmercredi.Ilnes’étaitpaspressépourvenirmevoir.
C’étaitmon père tout craché. J’aurais voulu en rire,mais j’en étaisincapable.
—IlvientenvoituredepuisSeattle,ajouta-t-ellecommesielleavaitlu dans mes pensées. Tu le connais. Il n’aime pas prendre l’avion. Ildevraitarrivercesoir,oudemainmatinauplustard.
Jeneconnaissaisplusvraimentmonpèreet,àcetinstant,jen’avaisniledésirnilaforced’essayerdelecomprendre.Jen’avaispasenviedelevoir,maisjenepouvaispasnonplusm’opposeràsavenue.
J’aurais voulu qu’onme laisse seule avecmes souvenirs, au lieu dem’imposercettenouvelleréalité,carj’avaispeurqu’ellelesefface.
MamèreetLoriserelayaientàmonchevet.L’uned’ellesrentraitàlamaison(celaprenaitquaranteminutes),vérifiaitquetoutétaitenordre,sedouchaitetsechangeaittandisquel’autrerestaitici.Mamèren’avaitpasmentionnéuneseulefoiscequej’avaisavouéauxpoliciers.
Quandcefut le tourdeLorideresteravecmoi,ellem’expliquaquel’accidentavait eu lieuàquatrekilomètresde lamaisondesparentsdeKeith.Nousn’avionsmêmepasatteintlavoierapide,cequi,enunsens,étaitunechance.Lecheminsinueuxquimenaità lafermen’étaitguèrefréquenté. Si nous avions atteint la route, nous aurions pu entrer encollisionavecunautrevéhicule.
Ettuerdesgens.Tueurd’autrespersonnesquenous-mêmes.Lorsque Lori et ma mère ne disaient rien ou quand les infirmières
venaients’assurerquetoutallaitbien,jenecessaisdepenseràMeganetauxgarçons.C’était plus fort quemoi. Leur souvenirme consumait.Denombreusesquestionsmetaraudaient:commentallaitAbbi?Quelqu’un
avait-il prévenu Dary ou avait-elle découvert l’horrible nouvelle à sonretour?QuepensaitSebastiandetoutcela?Commentnotreentraîneur…Comment notre entraîneur vivait-il la perte de Megan ? J’étaisremplaçable.Megan,elle,était indispensableà l’équipe.Larentréeavaiteulieulejouroùjem’étaisréveillée.Commentallaientmescamarades?
En soins intensifs, seules les visites de la famille étaient autorisées.Cela changerait dès que je serais assignée à une chambre classique.D’aprèscequej’avaisentendu,l’hôpitaldeFairfaxétaitplutôtsouple,ence qui concernait les horaires de visite. On pouvait venir à n’importequelleheure,même lanuit.Mais, pour l’instant, la seule compagniedemamèreetdeLorim’allaittrèsbien.
Voirmesamism’auraitobligéeàpenserenprofondeuràcequis’étaitpassé,dans tous lesdétails.Et j’enétais incapable.Celaaurait rendu lachoseplusréelle,plusdouloureuse.Tantquej’étaisàl’hôpital,endehorsdelavraievie,jepouvaisfairesemblantquetoutallaitbien.
—M.Millers’estmontrétrèsgentilavecMaman,ditLori,lemercredi,tarddanslasoirée.
Notremèreétaitpartiemangerquelquechoseàlacafétéria,quelquepart dans le bâtiment. M. Miller était son patron, le propriétaire de laboîted’assurances.
—Illuiadonnédeuxsemainesdecongésanslesdéduiredesesjoursdevacances. Il luiaditquec’étaitpour tous les congésmaladiequ’ellen’avaitpaspris.
—C’estsympa,murmurai-jeenregardantparlapetitefenêtrecarrée.Onn’yvoyaitriend’autrequeleciel.Loris’assitdel’autrecôtédulit,lesbrasposéssurlematelas,prèsde
mes jambes glissées dans des sortes de bas de contention pour,apparemment, faciliter la circulation du sang et éviter la formation decaillots.
—Sebastianm’aenvoyéunmessage,m’annonça-t-elle.Jefermailesyeux.
—Ildemandedetesnouvelles.Tous les jours.(Unriresans joie luiéchappa.) Tu sais, quand je suis rentrée à la maison lundi, pour lapremièrefois,ildevaitnousattendre,Mamanetmoi,derrièresafenêtre.Cen’estpaspossibleautrement,cardèsquejesuissortiedelavoiture,ils’estprécipitéversmoi.Ilesttrèsinquiet.AbbietDaryaussi.
Moncœurseserra.Jenevoulaispaspenseràeux.Jenevoulaispasles imaginer s’inquiéter pour moi alors que Megan n’était plus parminous.Alorsqueleursamis,leursamisproches,nousavaientquittés.Jenevoulaispaspenser,toutcourt.
Lorisoufflabruyamment.Unmomentdesilences’ensuivit.—Les funéraillesdeMeganetChrisont lieudemain.Leur famillea
décidédenefairequ’unecérémonie.Jem’arrêtaiderespirer.Leur enterrement avait lieu le lendemain ? Cela me paraissait
tellement rapide ! J’avais l’impression que c’était terminé avant mêmed’avoir commencé.Cette famille n’enterrait pas seulementMegan,maisaussiChris.Jenepouvaismêmepasimaginercequ’ilsressentaient…Jenepouvaispas.
—CellesdePhillipaurontlieuvendredietcellesdeCodydimanche.C’estunpeupluslongpourlui,parceque…
Elles’interrompit.J’ouvris lesyeux.Lecielcommençaitàs’assombrir.Il faisaitpresque
nuit.—Pourquoi?croassai-je.Lorisoupiraencoreunefois.— Ils ont dû… procéder à une autopsie parce que c’est lui qui
conduisait. Pour les autres, ils se sont contentés de prélever deséchantillonsdesang.
Desautopsiesetdeséchantillonsdesang.Mesamisétaient-ilsréduitsàcela?
— Le lycée autorise les élèves à assister aux funérailles s’ils lesouhaitent.L’absenceneserapascomptée.
C’était…un beau geste de la part de l’école. Il y aurait sans douteénormément demonde à chacun des enterrements. Les garçons étaienttrèspopulaires.Meganégalement.Unepenséefutilemetraversal’esprit:comment l’équipe allait-elle se débrouiller pour lematch de vendredi ?C’était le premier de la saison et il manquait trois de leurs meilleursjoueurs.
Jesupposaisqu’unecellulepsychologiqueavaitétémiseenplaceaulycée.L’annéeprécédente,uneélèveétaitdécédéedessuitesd’uncancer.Despsychologuesétaientvenusnousparler.
—Mamanvaà l’enterrementdeMegandemain, reprit Lori. (Jemecrispai.) Jene saispas si elleva te ledire.Ellenevoulaitpasque je teparledesfunérailles,maisjepensequetuasledroitdesavoir.
Jenerépondispas.Unlongmoments’écoula.Uneéternité.J’auraisvouluquelesilence
duretoujours.—Tun’aspasàenparlermaintenant.Tun’esmêmepasobligéed’y
penser,ditmasœurd’unepetitevoix.Maistôtoutard,ilfaudraenpasserpar là. Tu devras faire face à ce qui s’est passé. Pas maintenant. Maisbientôt.
Le jeudi matin, on me libéra des soins intensifs. Dans ma nouvellechambre, ilyavaitmoinsdemachinesétrangesetplusdechaises.Lelits’inclinaitpourmepermettredemieuxrespirer.Aprèsplusieursexercices,onm’aidaàmeleveretàmarcherdanslecouloir.L’infirmièrerestaprèsdemoietmaintintl’arrièredemablouseferméeavecsamain.
Lesimplefaitdemarcherétaitépuisant.Selon le médecin, il me faudrait au moins deux semaines pour
récupérer. En attendant, je me fatiguerais facilement, mais je devraisrester active pour ne pas que du fluide s’écoule dansmes poumons ouqu’uncaillotdesangseformedansmesveines.
Avant l’accident,cegenrederecommandationsm’aurait terrifiée.Lamoindredouleuràlajambeauraitétéunsigneavant-coureurd’unemort
imminenteetj’auraispassédesheuressurInternetàfairedesrecherchessurmessymptômes.
Maintenant?Cela…m’étaitégal.Tandis que je mettais péniblement un pied devant l’autre dans le
couloir, jeme dis que développer un caillot serait unemort rapide. Dumoinslepensais-je.Enuninstant,toutseraitterminé.
Commecetinstantoùlavoitureavaitpercutécetarbre.ToutavaitététerminépourMegan,ChrisetPhillip.Enunclaquementdedoigts.
Lori retournerait à Radford durant le week-end. Le Dr Arnold étaitplutôtoptimistesurmonétatetpensaitmelaissersortirdimanche,lundiauplustard.
Laviereprendraitsoncours.Dumoins,surlepapier.Carenréalité,rienneseraitjamaispluscommeavant.
Ma mère finit par m’avouer qu’elle était allée aux funérailles de
Megan.—C’étaittrèsémouvant,cequ’ilsontditenmémoiredeChrisetelle.
(Elle marqua une pause.) Quand tu seras prête, on ira voir leurssépultures.
Etladiscussionfutclose.Elleétaitassisesur lachaiseprèsdelafenêtre.Lavitreétaittachée,
comme si elle n’avait pas été nettoyée depuis longtemps, et pour uneraison qui m’échappait, cela me fascinait. On était dans un hôpital.Comment pouvaient-ils laisser des mouches mortes sur le bord de lafenêtre?
Mamèrenem’avaitpasdemandécequim’avaitprisdemonterdanscettevoiture.Depuisqu’elles’étaitmiseencolèreauxsoinsintensifs,ellereflétaitl’imaged’unefemmeforte.Sescheveuxblondsétaientcoiffésenqueue-de-cheval. Son pantalon de yoga était impeccable. Toutefois, sesyeuxétaient toujoursaussigonflés. J’avais le sentiment terriblequedès
qu’ellerentraitàlamaisonouquejedormais,elles’autorisaitàperdrelecontrôle.
Ilétaitclairqu’ellepleuraitbeaucoup.CommeaprèsledépartdePapa.— Je suis passée au lycée avant de venir, dit-elle en fermant le
magazine qu’elle était en train de feuilleter. Ils savent que tu neretourneraspasenclasseavantdeuxsemaines. (Elle fourra lemagazinedanssonsac.)Jesuiscertainequetuserasprête.
Jen’avaisquefairedulycée.Commentpouvais-jem’ensoucieralorsqueMegann’yretourneraitplusjamais?AlorsqueCody,PhillipetChrisnereviendraientplus?Cen’étaitpasjustepoureux.
Rien,danscetaccident,n’étaitjuste.Par exemple… pourquoi avais-je survécu ? Les autres auraient
davantageméritédevivrequemoi.— Les professeurs sont fantastiques, poursuivit-elle. Ils mettent les
cours de côté pour toi. Sebastian doit me les apporter demain, à lamaison.
Sebastian.Commentpourrais-jeluifaireface?Commentpourrais-jerevoirAbbietDaryensachantque…jen’aurais
jamaisdûmonterdanscettevoiture.Quej’auraisdûempêcherMegand’ymonter.Quej’auraisdû…
Malàl’aise, je levai lesyeuxvers leplafondetclignai lespaupières.J’étais au bord des larmes. Comment étais-je censée retourner au lycéealors qu’ils étaient tous morts ? Alors queMegan ne m’attendrait plusjamais devantmon casier pour aller à l’entraînement ?Alors qu’elle neme ferait plus jamais son sermon agaçant du vendredi soir pour que jesorteetquejemetrouveuncopain?
Comme je ne répondais pas, ma mère désigna les livres que Lorim’avaitapportés,poséssurmatabledechevet.
— Tu as fini de les lire ?me demanda-t-elle. Si tume donnes uneliste,jepeuxallert’enchercherd’autres.
Jenelesavaismêmepasouverts.Jenemerappelaismêmeplussijelesavaisdéjàlus.Prenantunegrandeinspiration,jemeconcentraisurlatélévision.Mamèreavaitalluméunechaîned’infos.
—Net’inquiètepaspourleslivres.Elleneréponditpastoutdesuite.—Tupeuxrecevoirdesvisiteurs,maintenant.Jesais…—Jeneveuxpasdevisiteurs.Mamèrefronçalessourcils.—Lena…—Jeneveuxvoir…personne,insistai-je.—Lena,AbbietDarym’ontditqu’ellesviendraient.Sebastianaussi.
(Ellesepenchaversmoi.Ellemurmuraitpresque.)Ilsattendaientque…—Jeneveuxpas…lesvoir.(Jetournailatêteverseux.)C’esttout.Elleécarquillalesyeux.—Jepensequeçateferaitdubien,après…— Après avoir perdu Megan ? Ou Cody et les autres garçons ?
rétorquai-je. (Les battements demon cœur s’emballèrent. On l’entenditsur lemoniteur.) Tu trouves que ce serait une bonne idée de voirmesamis,alorsquec’estmafautes’ilssontmontésdanscettevoitureetqu’ilssontmorts?
—Lena…Mamèreselevapourserapprocherdavantage.Elleposalamainsur
latêtedelitetsepenchaenavant.—Tun’espaslaseuleresponsabledecequis’estpassécesoir-là.Tu
asprisunetrèsmauvaisedécision,c’estvrai,maistun’étaispasseule…—Jen’avaispasbu !m’écriai-jeet jevismamèreblêmird’unseul
coup. Jem’en souviens ! J’avais… bu quelques gorgées au début de lafête.S’ilsontfaitdesanalyses…quandjesuisarrivéeici…ilsontdûvoirquejen’étaispas…ivre.J’étais…sobre.J’auraispuconduire!(Mavoixsebrisa.)J’auraisdûprendrelevolant.
Mamères’éloignalentementetserassitlourdementdanssachaise.
—Pourquoiest-cequetune l’aspas fait?medemanda-t-elled’unevoixrauque.
—Jenesaispas.(Jeserraistellementmacouverturequej’avaismalaubrasgauche.)Jecroisquejenevoulaispas…
—Quetunevoulaispasquoi,Lena?Lesimplefaitderespirermefaisaitsouffrir.—Jenevoulaispas…êtrelarabat-joiequis’inquiètepourcegenrede
choses.—Oh.Oh,mapuce…(Elleposalamaindevantsaboucheavantde
fermerlesyeux.)Jenesaispasquoidire.Iln’yavaitrienàdire.Àprésent,jemerappelaiscequis’étaitpassédevantlavoiture.Jeme
rappelaisavoirvuCodytendrelamainverslapoignéedelaportièreetlarater.Jemerappelais luiavoirdemandésiçaallaitets’ilvoulaitque jeconduiseavantdecéderàlapressionambiante.
Jemesouvenaisdetout.Uncoupsurlaportenousinterrompit.Mamèresecrispaetbaissale
bras. Quand je me tournai vers la porte, une déferlante d’émotionsm’envahitetenmêmetemps,jemesentisvide.
Monpèreétaitarrivé.
CHAPITRE13
Jen’avaispasvumonpèredepuisquatreans.Ladernièrefois,ilétaitassisàlatabledenotrecuisine.AvecMaman,
il avaitattenduqueLori etmoi rentrionsde l’écolepournousparler.Àl’instantoùj’avaisfranchilaporte,j’avaiscomprisdequoiils’agissait.Mamèreavaitlesyeuxrouges.
Lori,elle,nes’étaitdoutéederien.Mon père paraissait… plus vieux désormais, mais il avait l’air en
forme.Ilavaitdavantagederidesauxcoinsdesyeuxetdeslèvresetsescheveuxétaientdevenuspoivreetsel,maisvisiblement,lavieàSeattleluiréussissait.
Pendantdesannées,ilavaitétépromoteurimmobilier.Sonentreprise,WiseHomeIndustries,avaitconstruitplusdelamoitiédesmaisonsdelarégion. Puis le marché s’était effondré et mon père avait été obligé deralentir la cadence. Les contrats s’étaient fait de plus en plus raresjusqu’aujouroùilavaitdûmettrelaclésouslaporte.Iln’yavaitpluseuaucunerentréed’argent.Lasituationétaitdevenuedifficile.
Ilnel’avaitpassupporté.Alorsilnousavaitabandonnées,Mamanetnous,etavaitdéménagéà
Seattlepour se recentrerouuneconneriedans legenre.D’aprèscequej’avaiscompris,iltravaillaitpouruneagencepublicitaire.
J’avais toujours cru que le jour où je le reverrais, l’émotion seraitinsoutenable. En réalité, je ne ressentais qu’une légère surprise mêléed’inconfort.J’avaispassédesannéesàignorersesappels.Desannéesàlui
envouloir.Pourtant,aujourd’hui,iln’yavaitrien.J’étaisvide.Sansdouteétait-celiéauxantalgiquesquicouraientdansmesveines.
Sesyeuxnoisetteseposèrentsurmamèreavantderevenirversmoi.Un sourire triste étira ses lèvres. Quand il s’approcha de mon lit, ils’éclaircitlagorgeetmedévisagea.
—Tues…Tuasl’air…D’avoir survécu à un accident de voiture ? D’avoir les poumons
abîmés, lamâchoire et le visage enflés etunbras cassé ?D’être allée àunefêteetd’avoirprislespiresdécisionsdetoutemavie?D’avoirlaissémesamismourir?
Dequoiavais-jel’air,aujuste?Monpèrevintseposteràcôtédemoi.Ilétaitraidecommeunpiquet.—Jesuiscontentdetevoir.Qu’étais-jecenséerépondre?Mamèreselevaetsepenchapourm’embrassersurlefront.— Je vais aller manger un morceau, dit-elle en se relevant. (Elle
regardamonpèredanslesyeux.)Jereviens.Une partie de moi aurait voulu lui demander de rester, parce que
c’étaitellequiavaitsouhaitélaprésencedemonpère,pasmoi.Maisjelalaissaipartir.Êtreforcéedefairefaceàmonpèreétaitunepunitionquejeméritaisamplement.Jeméritaispirequecela.
Il hocha la tête, puis alla s’asseoir. Si Lori avait été présente, elleaurait été très heureuse de le voir. Ils continuaient de se parler. Passouvent,maiscelaleurarrivait.
Ilposa sesmains jointes sur sesgenoux tandisqu’ilm’observait.Delonguessecondess’écoulèrentainsi.
—Commenttutesens?Jevoulushausserlesépaules,maismescôtesmefaisaientmal.—Çava.—J’aidumalàcroirequetuaillesbienaprèstoutcequis’estpassé,
soupira-t-il,enfonçantuneporteouverte.Tamèrem’aditqueturentrais
à lamaison ceweek-end et que le docteur pensait que tu ne garderaisaucuneséquelle.
—Ilparaît,oui.Jeglissaiundoigtsousmonplâtrepouressayerdemegratter.Monpèrerestasilencieuxuninstant.—Jenesaispasparoùcommencer,Lena.Quandtamèrem’aappelé,
c’était… l’un des piresmoments dema vie. Je sais que tu as vécu uneépreuvedifficileetjeneveuxpasenrajouter.
—Alorsnelefaispas,dis-jed’unevoixrauque.—Mais ce qui s’est passé aurait pu être évité, poursuivit-il malgré
tout.(Ilavaitraison,évidemment,maisjenem’attendaispasàl’entendredesabouche.)Cen’étaitpasunsimpleaccident.Vousavezprisde trèsmauvaises…
—Tuesentraindemefairelamorale?(Unéclatderirem’échappa.Jegrimaçaidedouleur.)Sérieusement?
Lesépaulestendues,ilpritunegrandeinspiration.—Je comprends. Jene t’en veuxpasde réagir commeça, Lena. Je
n’aipasétéprésent.Maisj’aiessayédet’appeler.J’aiessayéde…—Tuesparti.Onn’apas eudenouvellesde tapartpendantdeux
ans!Comment pouvait-il occulter ce petit détail ? Comptait-il réellement
revenirdansmavieaprèsunseulcoupdefil?— Je suis désolé, s’empressa-t-il d’ajouter. (Et peut-être était-il
sincère,maissonexcusemeparutaussividequenotremaison.)Mais jesuistoujourstonpère,Lena.
—Oui.Tuesmonpère.Maisj’aicessédeteconsidérercommetelaumoment où… tu as franchi la porte et disparu pendant deux ans. (Àchaquemot,mescôtesmefaisaientsouffrirdavantage.)Qu’est-cequitefaitpenserquetuasledroitdemefairelamorale?
Lerougeluimontaauxjoues.—Lena…
—Jen’aipasenviede…deparlerdeçamaintenant,répondis-jeenfermantlesyeux.
J’espérai, non, je priai pour qu’il disparaisse. Pour que tout cecauchemarn’ait jamaiseu lieu.Pourque jepuisseme lever,sortirde lachambreetm’enfuirloind’ici.
— Je ne veux pas parler. Je suis… fatiguée et je… j’aimerais êtreseule.
Monpèreneme réponditpas. Lesyeux fermés, je tournai la têteetattendisd’entendrelebruitdesespass’éloigner.Commejem’yattendais,ilpartit.
Etj’étaiscertainequejenelereverraisplusjamais.
Après ledépartdemonpère, jem’endormis.Onm’avait injectédesantidouleurs. J’ignorais si ma mère et Lori étaient revenues dans lachambreousiellesavaientpassédutempsaveclui.Loriavaitsansdouteprofitédesaprésence.Jeneluienvoulaispas.Cen’étaitpasparcequenotrerelationétaitenlambeauxquelaleurdevaitenpâtir.
Je ne sais pas combien de temps je dormis. Sans doute pas trèslongtemps.Biendormiràl’hôpitalétaitmissionimpossible.Ilyavaittropdebruit.Lebipdesmachines.Lesgensquimarchaientdanslecouloir.Lesconversationsauloin.Lejargonmédicalquifusaitdèsqu’unpatientavaitun problème. Avec tout cela, je dormais rarement plus de quelquesheures.Àmonréveil,jerepensaiaujouroùMeganavaittentéd’imiterlachorégraphie qu’elle avait vue dans l’émission Dance Moms, dans monsalon.
Elles’étaitfoulélacheville.Etavaitcassélevaseposésurlatablebasse.Notre entraîneur était furieux. Megan avait été dispensée pour
plusieursmatchs.Pendantqu’illaréprimandait,j’avaiseudumalàrestersérieuse.
Meganétaitunsacrénuméro.
Unpoidsm’oppressait lapoitrine.Etçan’avait rienàvoiravecmespoumons ni avec mes côtes douloureuses. Je restai ainsi, quelquessecondes,jusqu’àcequejemerendecomptequejen’étaispasseule.
À l’odeur stérile et écœurante propre aux hôpitaux se mêlait unesenteur plus fraîche. Ce n’était pas le parfum vanillé demamère ni lacrèmehydratanteàlaframboisedeLori.J’avaisl’impressiondesentirlegrandair,lepinetleboisdecèdre.
Marespirationsebloquadansmagorge.J’ouvrisaussitôtlesyeuxettournailégèrementlatête.
Ilétaitlà,assissurlachaiseprèsdelavitretachée.Jenevoyaisquesonprofil,maisc’étaitsuffisant.
Sebastian regardait par la fenêtre. Un léger duvet recouvrait samâchoire puissante. Le coude posé sur l’accoudoir de la chaise, ilsupportaitsatêted’unemain.Ilparaissaitpluspâlequed’habitude.Sescheveux,malcoiffés,tombaientsursonfront.
Quefaisait-ilici?J’avaisditàmamèrequejenevoulaispasdevisiteurs.Jen’étaispas
prêteàlevoirniàvoirAbbi,Daryoulesautres.Jen’avaispasémislemoindreson,pourtantiltournalatêtedansma
direction. De grands cernes s’étaient formés sous ses yeux magnifiquesaux couleurs de la nuit. Son regard était empli d’émotion. Il paraissaithanté.
Onsedévisagea longuement. Ilnebougeapas. Jen’étaismêmepascertainequ’ilrespirait.Ilsecontentaitdemecontemplercommes’ilavaitcrunejamaismerevoir…etjesupposequecelaavaitétélecas.
Le regard de Sebastian se posa ensuite sur le côté enflé et bleui demonvisage.Ilouvritlabouchepourparler,maisaucunsonn’ensortit.Ilrestamuet un longmoment et j’aurais aimé que ce silence se prolongeindéfiniment, car entendre sa voix me rappellerait ma vie d’avant ettoutes les préoccupations stupides quim’obsédaient alors. Les occasionsratées.Laraisonpourlaquellej’avaisquittélafête.
—Que…Qu’est-cequetufaisici?murmurai-je.
Il ferma les paupières et son visage se crispa comme s’il souffrait.Quandilrouvritlesyeux,j’ylusunefragilitéquejeneluiconnaissaispas.
—Bonsang,dit-ild’unevoix rauque. J’aienviede tedirequec’estunequestionstupide,maislaseulechoseàlaquellejepense,c’estquetupeuxparler.Quetuestoujourslà.
Lesmusclesdemoncorpssetendirent.Unedouleursourdeseréveillaentremescôtes.
—Je…j’aiditàmamèrequejenevoulaisvoirpersonne.—Jesais.(Sebastiansepenchaenavant,lesmainssursesgenoux.)
Pourquoi?—Pourquoi?répétai-je,incrédule.—Tupensais vraiment que je n’allais pas venir te rendre visite dès
que possible ? Abbi et Dary ont peut-être accepté de se plier à tademande,mais ilesthorsdequestionque jete laisseseuleaprèscequis’estpassé.(Ils’avançajusqu’auborddesonsiège.)J’avaisenvie…non,il fallaitque je tevoiedemespropresyeuxpourm’assurerque tuétaisbienvivante.Quetuallaist’ensortir.
Moncœurs’emballa.—Tusaisquejevaisbien.Jesuislaseulequivabien.—Qui va bien ? (Il grimaça avant de se reprendre.)Tune t’es pas
fouléunorteil,Lena.Tespoumonsontcessédefonctionner.Tuasunbrascassé.Tu faispeuràvoir.Tu…(Savoixsebrisa.)Tuauraispumourir.Aujourd’hui, j’ai assisté à l’enterrement d’une fille que je connaissaisdepuisdesannées,maisçaauraitpuêtrepire.Çaauraitpuêtretoi.
Jenesavaisplusquoidire.—J’aienterréuneamie,aujourd’hui.Demain,j’enterrerail’undemes
meilleurs potes, poursuivit-il d’une voix rauque, les lèvres pincées.Dimanche, j’en enterrerai un autre. En trois jours, j’aurai assisté auxfunéraillesdequatrepersonnesquejeconnaissais.
Seigneur.—Megannemeparleraplusjamais.Jenemecreuseraiplusjamaisla
têtepourchercheràcomprendrecequ’elleraconte,dit-il,etmagorgese
noua.Jen’entendraiplusCodymepousseràcontinueràjoueraufoot.Jene verrai plus Chris tricher pendant les contrôles, en me demandantcommentilfaitpournepassefairechoper.JenejoueraiplusàlaconsoleavecPhillip.(Savoixtremblait.Jevoulaisqu’ilarrêtedeparler.)Samedi,jen’aiditaurevoiràaucund’entreeux.Àtoinonplus.
MonDieu.—Ettusaisquoi?Jen’arrivetoujourspasàcroirequ’ilssontpartis.
Peut-êtrequejen’yarriveraijamais.Maisteperdre,toi?(Ilseredressa.Ilavaitlamâchoireserrée.)Jenem’enseraisjamaisremis.
Fermant les yeux, je réussis à respirer malgré le nœud qui s’étaitformédansmagorge.
—Jenepeuxpasfaireça.—Fairequoi?medemanda-t-il.—Tu…(Jeprisunegrandeinspiration.)Cequis’estpassé…c’estma
faute.—Quoi?(Ilavaitl’airperplexe.Ilparaissaitmêmechoqué.)Cen’est
pastoiquiconduisais,Lena.Tun’aspasprislevolantalorsquetuavaistropbu.
—C’est…toutcomme,murmurai-je.—Lena…—Tunecomprendspas ! (Je levai lebrasgaucheetmecouvris les
yeux.Jenevoulaispaspleurerdevantlui.Jenevoulaispluspleurer,toutcourt.)Je…Jeneveuxplusenparler.
Quelquessecondespassèrentavantqu’ilreprennelaparole.—Onn’estpasobligésdedirequoiquecesoit.J’étaisincapabledemecalmer.Quelquechosegrandissaitenmoi.Un
horrible amoncellement d’émotions brutes et puissantes qui enflait etenflaittoujours.
— Tu peux me laisser ? lui demandai-je. (J’avais l’impression desupplier.)S’ilteplaît?
Sonregardplongeadanslemien.Quandilseleva,j’eusenviedemefondredansmonmatelasetdedisparaître.
Toutefois,Sebastiannefranchitpaslaporte.Iln’étaitpascommemonpère.Iln’étaitpascommemoi.Ilsoulevasachaiseetvintl’installeràcôtédematêtedelit,avantde
s’asseoir.Moncœurbattaitàtoutrompre.Ilposasonbrasdroitprèsdumien, sur lematelas,puis sepenchaet,de samaingauche, effleura lesmèches de cheveux qui étaient tombées devant mon visage pour lesrecoifferenarrière.
—Jenepartiraipas.Tupeuxtemettreencolère.Tupeuxteplaindre.Jeresterai.Quetuenaiesconscienceounon,tunedoispasresterseule.Jen’irainullepart.
CHAPITRE14
Sebastianresta,maisonneparlapas. Ilavaitallumé la télévisionetécoutaitlesinfos.Jeneleregardaispas,maisdetempsàautre,jesentaisses yeux sur moi. J’attendais qu’il prenne la parole, qu’il me pose desquestions.Iln’enfitrien.Lorsquelesinfirmièresvinrentmechercherpourmapromenadequotidienne,ilétaitencorelà.
Horrifiéeà l’idéequ’ilvoieàquelpoint ilétaitdifficilepourmoidemeleversansmontrermesfesses,jemecrispai.
L’infirmièrequim’aidaitfronçalessourcils.—Vousavezmal?Leslèvrespincées,jesecouailatête.LeregarddeSebastianmebrûlait
ledos.L’infirmièresemblacomprendremonproblème.—Celavousdérangeraitd’allerchercherunpeudeglaceauprèsdes
autresinfirmières?luidemanda-t-elle.—Aucunproblème.Sebastianseleva.Jegardailesyeuxrivésausoljusqu’àcequ’ilsorte
delapièce.—Merci,murmurai-je.—Cen’estpas lapeinedeme remercier, répondit-elle en saisissant
monbrasvalidesansménagement.C’estvotrepetitami?Jesecouailatêteetmeglissaihorsdulit.—Juste…justeunami.
Avant,celam’auraitfaitsouffrirdel’admettre.Iln’étaitpasrarequeles gens croient que l’on était en couple et cela m’avait toujours faitplaisir,mais aujourd’hui, tandis que j’enfilaismes pantoufles etmettaisun pied devant l’autre, je ne ressentais rien. Aucune excitation. Aucunespoir qui finissait par se transformer en amertume. Aucune tristesseparcequecen’étaitpaslavérité.
J’étais…J’étaisvide.Pendant que nous avancions dans le couloir, l’infirmièremaintenait
ma blouse fermée. Après plusieurs allers-retours, mes genoux netremblaientplusetmarespirations’étaitgrandementaméliorée.J’auraispucontinuer,maisl’infirmièremeraccompagnaàmachambre.
Sebastianétaittoujourslà,assissursachaise.Quandjem’approchaidulit,ilseleva.Iltenaitunpetitverreenplastiquejaunepâleàlamain.
—J’ailaglacequevousm’avezdemandée.—Parfait,réponditl’infirmièresanslâchermablouse.Vouspouvezla
posersurlatable?PendantqueSebastians’exécutait,l’infirmièrem’aidaàresterdécente
enmontantsurmonlit.Celui-ciavaitétéremontéenpositionassise.Lesyeux rivés sur mes mains, je sentis Sebastian s’approcher. L’infirmièreétaitoccupéeàsortirdesinhalateurspourmontraitement.
Sebastianyassistaégalement.Quand l’infirmière partit, il resta, et quandmamère revint, il était
toujourslà.Jefissemblantdedormirpendantqu’ilschuchotaientdetoutet de rien. Leurs voix auraient dû m’être familières et réconfortantes.Pourtant,j’avaisl’impressiond’entendredesinconnusparler.Malgrétout,jefinisparm’endormirpourdebon.
Le vendredi après-midi, j’appris que le match de football avait étéannulé.Sebastianétaitvenumerendrevisiteuneheureaprès la findescours.
Contrairementà laveille, jeressentisunepetiteétincelleaufonddemoienlevoyantàlaporte.C’étaittoujoursmieuxquerien.
Sebastianavaitl’airplusenforme.
Il ne s’était toujours pas rasé,mais les cernes sous ses yeux avaientdiminuéetilétaitmoinspâle.
C’estluiquifitlaconversation.Ilévoqualelycée,lesdeuxcoursquenousavionsencommun,AbbietDary.Ilparladetout,saufdel’accidentetdes funérailles.Moi, jene réagissaispas. Je restaisallongée, lesyeuxposéssurlatélévision.
Ilrevintlesamediaprès-midi.Unenouvelleétincelles’allumaenmoiet je ressentis dans la poitrine une chaleur à laquelle j’aurais voulum’accrocher,mais…jen’enavaispasledroit.
Entout,jeprononçaipeut-êtrecinqphrases.Jen’avaispaslecouragedeparleretdemettredesmotssurcequise
passaitdansma têteou sur ceque je ressentais…oune ressentaispas,d’ailleurs.
Sebastianmerenditégalementvisiteledimanche.Cettefois,ils’étaitrasé, portait un pantalon noir et une chemise blanche. Ses manchesétaientremontéesetilavaitsouslebrasunsacenpapiermarron.Jesustoutdesuited’oùilvenait.
—Tuasl’airenforme,aujourd’hui,dit-ilens’asseyantsurlachaiseàcôtédelafenêtre.(Ilplaçalesacenpapierentreses jambes.)Oùesttamère?
J’avaistoujoursdumalàrespirer.—Àlamaison.Elle…Ellerevientbientôt.—Cool.(Sesyeuxbleuintensecroisèrentlesmiens.)Tupensesquetu
pourrassortirdemain?Merasseyantunpeuplusconfortablement,jehochailatête.Ilrelevalesyeuxetsoulevalesac.—Jevoulaistedonnerçahier.Jel’avaisoubliédanslaJeep.Ilensortitungrandrectangleenpapier.Unecartedevœuxgéante.Meslèvressèchess’entrouvrirent.—Qu’est-ceque…c’est?Ileutunsourireencoin.—Unecarte.Elleabiendûfaireletourdel’école.
Unecarte.Unecartedevœuxderétablissement.Je relevai les yeux vers Sebastian. Il me la tendait, mais j’étais
incapabledebouger.Jenepouvaispas l’accepter.Jene laméritaispas.MonDieu,jeneméritaisriendutout.
Sebastian me dévisagea longuement. Le silence s’étira. Il prit unegrandeinspiration,posalesacsurleborddelafenêtre,puisserapprochadulit.
— Tout le monde pense à toi. (Avec précaution, il ouvrit l’énormecarteetlatintdevantmoi.)Tuleurmanques.
Je posai les yeux sur la carte. Il y avait des signatures sur toute lasurface,ainsiquedescœursetdesmessagestelsque«Remets-toivite!».J’aperçusmêmedeux«Ont’aime»,l’unenmajuscule,l’autreenécriturecursive.Laculpabilitémeserral’estomacetemplitmesveinesd’acide.
N’étaient-ilspasaucourant?—Tumemanques,ajoutaSebastiand’unevoixdouce.Lentement,jelevailesyeuxversluietl’émotionmenoualagorge.Je
leur manquais et ils me souhaitaient un prompt rétablissement…seulementparcequ’ilsignoraientquej’auraispu…quej’auraisdûévitercequis’étaitpassé.
Sebastianrefermalacarteetreculaenseraclantlagorge.—Jelaposelà,d’accord?Sansattendremaréponse,ildéposalacartesurlatableàcôtédemon
lit.Jel’observaiàladérobée.Sansunmot,ilrapprochasachaisedemon
lit et s’assit, les bras posés sur les cuisses. Il arborait cette expressionperdue,commes’ilcherchaitquoidireouquoifaire.
— Tu… Tu n’es pas obligé de rester, lui dis-je en reportant monattentionsurmesmains.Jenesuispasdetrèsbonnecompagnie.
—Jen’aipasenviedepartir,répondit-ilensoupirant.Tu…Tuveuxenparler?
Moncorpstoutentiersetendit.
—Non.Lesilenceretomba.—TumanquesbeaucoupàDaryetAbbi.Ellessaventquetupréfères
qu’ontelaissetranquillepourlemoment,mais…— Je sais, l’interrompis-je. C’est juste que… je ne veux pas les
embêter.Passersontempsdansunhôpital,c’estchiant.—Çanelesdérangeraitpas.J’enavaisconscience.—Peuimporte,detoutefaçon.Jerentrechezmoidemain.Ils’adossaàsachaise.— Les funérailles de Cody ont eu lieu aujourd’hui. Dans la grande
église sur la Route 11. Tu vois de laquelle je veux parler ? On allaitsouventchercherdesbonbonsdanscequartier,àHalloween,merappela-t-il.C’étaitbondé.Toutlemondeétaitdebout.Enfin,ilyaeudumondeàtous les…à tous lesenterrements,mais tuconnaisCody.(Ileutunrirerauque.) Il aurait adoré toute cette attention. Tu sais, d’avoir réussi àattirerautantdepersonnes.
Leslèvrespincées,j’acquiesçai.Codyaurait…Ilauraitétéfier.—Sesparents…(Sebastians’interrompitets’éclaircitlavoix.)Tusais
qu’ilaunpetit frère,pasvrai?Toby? Ilaquoi?Douzeans?Treize?Seigneur.C’estleportraitcrachédeCody.Ilétait…bouleversé.Ilsontdûlefairesortirpendantlacérémonie.Il…
Lespoingscrispés,jemetournaiversSebastian.Ilavaitlesyeuxrivéssurlelitetserraitlesdents.
—Ilquoi?Ilpritunegrandeinspiration.—Ilfinirapars’enremettre.Unjouroul’autre.Jenerépondispas.J’auraisvouluacquiescer,carj’espéraisqueToby
s’en relèverait,mais commentpouvions-nousenêtrecertains? Il venaitde perdre son grand frère. Comment surmontait-on un tel drame ? Lapeines’amenuisait-elleaufildesans?Levidequecettepersonnelaissaitfinissait-ilparêtrecombléparautrechose?
Pouvait-onunjourallerdel’avant?
CHAPITRE15
Franchir la porte de ma chambre, le lundi matin, fut encore plusdifficilequejel’avaisimaginé.
Mamère était déjà à l’intérieur, en train de taper sur des oreillersultra fermes qu’elle avait achetés. Selon les ordres du médecin, j’étaiscenséedormirenpositioninclinéependanttroisjours,carmarespirationn’étaitpasencorerevenueà lanormale.Étantdonnéquenousn’avionspasdelitinclinable,lesoreillersdevraientfairel’affaire.
Jesavaisquemamères’étaitserviedescongésmaladiequ’elleavaitaccumulés pour prendre des jours de repos, mais nous n’avions pasbeaucoupd’argent,encoremoinspouracheterdesoreillershorsdeprix.Je luiavaisproposéde lesacheteravec lessousque j’avaismisdecôté,mais elle avait refusé. Heureusement, le docteur m’avait assuré que jepourrais reprendremon travailde serveusedèsquemongénéralistemedonnerait le feu vert. Le volley-ball, en revanche, à cause demon brascassé,allaitdevoirattendre.
JenesavaispassijemesentaiscapablederetournerauJoanna’s.Jenesavaispassijemesentaiscapablederetournerm’entraîner.Jenesavaispassijemesentaiscapabledefairequoiquecesoit.Mamèreseredressaettournalatêteversmoi.—Tuvasbien?Non.J’étaisplantéedansl’entrée,pétrifiée,etobservaismachambre.Tout
était comme je l’avais laissé, à part une pile de cahiers et de livres sur
monbureau qui n’étaient pas là àmondépart. Sebastian les avait sansdouteapportés.J’avaisunesemainepourrattrapermonretard.
J’ignoraismêmesij’avaislecouraged’entrerdansmachambre.Elleétait restée intacte,alorsquemavieavait littéralementexplosé.
Celanemesemblaitpasjustedepouvoiryretourneralorsquejerevoyaisencore Megan assise en tailleur sur mon lit, en train d’entortiller unemèche blonde entre ses doigts ou de faire rebondir un ballon de volleycontrelemurtoutenparlantdePhillip.J’auraispuremonterdavantagedansletemps,etlarevoiràtreizeans,entraindeparcourirmeslivreslesplusadultes,àlarecherchedescènesérotiquesqu’ellelisaitàDarypourleplaisirdelavoirrougircommeunetomate.J’entendaisencoreMeganetAbbisedisputerpoursavoirquidansaitlemieuxdansDanceMomsoulaquelledesdeuxgagneraituncombatderue.Meslèvresseretroussèrentencoin.
Jen’avaismêmepasassistéauxfunéraillesdeMegan.Fermant les yeux, je posai lamain contre le cadre de la porte pour
garderl’équilibre.—Lena?—Oui,soufflai-je,lagorgesèche.Jesuisjuste…Jenesavaisplusoùj’étais.Si.J’étaisàlamaison.J’étaisenvieetàlamaison.Contrairementauxautres.Quigisaientsixpiedssousterre.—Tudoisêtreépuisée.Ilfautquetut’allonges.Nerestepasdebout.
(Mamèrerepoussalacouette.)Allez,viens.C’estpourtonbien.Mamère insista jusqu’àceque j’obéisse.Ellemecouvrit les jambes.
Puisellem’apportaunverred’eau,unecannettedesodaainsiqu’unboldechips.Quandjecrusqu’elleavaitenfinterminé,ellerevintencoreunefois.Elletenaitquelquechoseàlamain.
—Jen’aipasvouluteledonneràl’hôpital.Commetunetesentaisdevoirpersonne…(Elles’approchadulitettenditlamainversmoi.)La
police l’a rapporté mercredi quand… les autres familles ne l’ont pasréclamé.
C’étaitmontéléphoneportable.—Jel’aimisencharge.Tuasl’aird’avoirpasmaldemessages.(Elle
baissa les yeux vers l’objet.) Je me demande comment il a pu resterintact…
Lentement,jeluiprismonportabledesmainsetletournaipourvoirl’écran. Comment mon téléphone avait-il pu survivre à l’accident ? Lavoitureavaitfaitdestonneauxet…jel’avaisàlamainlorsqueCodyavaitpercutél’arbre.
Jem’ensouvenais.J’étaisentraind’écrireunmessageàAbbi.Les yeux rivés surmon téléphone, j’entendis à peinemamère dire
qu’elledescendait au rez-de-chausséepasserquelques coupsde fil.Monportable n’était pas endommagé. Il n’avait pas une seule égratignure.Commentétait-cepossible?
Lapremièrechoseque jevis fut lesappelsmanqués, lesmessagesetles notifications. Il y en avait beaucoup. Beaucoup trop. J’ouvrisdirectementmesSMSet les fisdéfiler jusqu’à trouver lenomd’Abbi.Jeneluspassesmessages.Non.Monregardfutattiréparlemien,celuiquejen’avaispaseuletempsd’envoyer.
JesuisrentréeavecMegan.Jenevoulaispaste
—Oh,monDieu,murmurai-jeenlaissanttombermontéléphonesurmonlitcommes’ils’agissaitd’unebombe.
Monmessageétaittoujourslà,àattendrequejel’envoie.Commeunepensée interrompue. Comme une lettre qui n’avait jamais trouvé sondestinataire. Si les choses avaient été différentes, cemessage aurait puêtre mon dernier, mais c’était compter sans une ceinture decinqcentimètresdelargequim’avaitsauvélavie.
Jeme passai lamain dans les cheveux et repoussai lesmèches quitombaientdevantmonvisage.Puisjerestaiassise,sansbouger,pendantde longues minutes. Il était bientôt l’heure de mon traitementrespiratoire.L’inhalateurétaitposé sur la tabledenuit. Je repoussai lescouvertures et posai les pieds par terre. Quand je me levai, j’eusl’impressionqu’onm’écrasaitlescôtesdansunepoignedefer.Toutefois,jerepoussailadouleuretparcouruslacourtedistancequimeséparaitdemonbureaupourattrapermonordinateur.
Deretoursurmon lit, je l’ouvrisetallaidirectementsurGoogle.J’ytapailenomdujournallocal.SonsiteInternetapparutdanslespremiersrésultatsetjetrouvaicequejecherchaisenunriendetemps.
Lesarticlesausujetdel’accident.Le premier, le lendemain du drame,montrait une photo du 4× 4.
Quandjevisl’image,jedusmeplaquerlamaincontrelabouchepournepascrier.Elleavaitétépriselesoirmême.Deslumièresrougesetbleuessereflétaientsurlacarrosserie.
Commentavait-onpulesautoriseràprendreunetellephoto?Après la collision, le véhicule était à peine reconnaissable. Le toit
s’était affaissé, certaines portes avaient été arrachées, les vitres avaientexplosé.L’unedesailessemblaitavoirétédécoupéeàl’ouvre-boîte.Unebâchejaunecouvraitunepartiedupare-brise.
Chrisétaitassisàcetteplace.Je retiraivivement lamainde la souris.Assise, immobile,dansmon
lit, je me demandai comment j’avais pu survivre à un tel accident.Comment une ceinture de sécurité avait-elle pume garder en vie aprèsça?
Au moment où l’article avait été publié, aucun nom n’avait étédivulgué. Les familles n’avaient pas encore vu leur monde s’effondrer.Deux blessés avaient été transportés en hélicoptère à l’hôpital. Onsuspectaitdéjàunesoiréetroparrosée.
Revenantenarrière,jepassaienrevuelesgrostitresetm’arrêtaisurceluiquidisait:«QuatrelycéensdeClearbrookdécédésdansunaccident
devoiture.Lechauffeuravaituntauxd’alcoolélevédanslesang.»Ilétaitparulemardiprécédent.
Je lus l’articleavecdétachement, commes’il s’agissaitd’inconnusetnonpasdemesamis.Cettefois,leursnomsétaientcités.CodyReece,dix-huit ans. Chris Byrd, dix-huit ans. Megan Byrd, dix-sept ans. PhillipJohnson, dix-huit ans. Mon nom n’y figurait pas. On parlait seulementd’unemineurededix-septans,dontl’état,bienquecritique,étaitstable.
Tous, excepté une personne, avaient été éjectés du véhicule,totalement,oupartiellementpourl’und’entreeux.Jerevislabâchejaunesurlepare-brise,côtépassager,etje…Jenevoulaispasypenser.
Jecontinuaidefairedéfilerl’articleetdelelire.Lespremiersrapportstoxicologiques avaient confirmé que le conducteur, Cody, avait unealcoolémiedeuxfoissupérieureàlalimiteautoriséeparlaloi.Cemardi-là, ils n’avaient pas encore eu entre lesmains le rapport complet de lapolice.Je…JerevisCodydansmatête,ratantlapoignéedelaportièreetje l’entendisdenouveau,commes’ilétaitassisàcôtédemoi,medire :«T’essérieuse?J’aibuqu’unverre!»Jenevoulaispasensavoirplus,maisjen’arrivaispasàm’arrêter.
Je parcourus rapidement l’article qui annonçait que le lycée deClearbrookavaitannulélematchcontreHadley,levendrediprécédent,etdéclaré forfait, par respect pour les joueurs disparus. Ils parlaient desgarçonsetdeleursprouessessurleterrain,del’espoirdeCodyd’intégrerl’universitéd’ÉtatdePennsylvanie.OnévoquaitégalementlesprojetsdePhillipetdeChris,quivisaientl’universitédeVirginie-Occidentale.
Un autre article avait été mis en ligne la veille. Un moment derecueillementallaitavoirlieulevendredisoir,aprèslepremiermatchdel’équipedefootdeClearbrook,pourunesaisonquis’annonçaitdifficile.Mais cet article mentionnait également autre chose : une nouvelleenquête.
Une plainte avait été déposée contre…Oh,monDieu ! Le cœur auborddeslèvres,jerelusleparagrapheplusieursfois.
Unenouvelleenquêtevientd’êtreouvertedanslecadredel’accident.Lesautoritéslocalesontrévéléquelespassagers,tousmineurs,avaientquitté,cesoir-là, la résidence d’Albert et Rhonda Scott. Il semblerait que les deuxadultes se trouvaient chez eux au moment des faits et étaient donc aucourant de la fête qui s’y tenait. Ils pourraient être reconnus coupables denégligence,miseendangerdelavied’autruietd’avoirfournidel’alcoolàdesmineurs.
Oh,bonsang.C’étaientlesparentsdeKeith.Jesavaisqu’ilsétaientprésents,cesoir-
là. Je les avais vus dans lamaison, dans la cuisine. Et ce n’était pas lapremièrefêtequisedéroulaitchezeux.
Sonnée, j’arrivai à la fin de l’article et… commis l’erreur de lire lescommentaires laissés sous l’article qui avait annoncé leurs noms. Lepremier commentaire disait simplement : « Je vais prier pour eux. » Ledeuxième : « Quel gâchis ! RIP. » Le troisième : « J’avais vu ce Reecejouer.C’estvraimentdommage.Ilauraitpufinirpro.»
«C’estpourçaqu’ilne faut jamaisconduireaprèsavoirbu !Quelletragédie!»
« Cette route n’est déjà pas facile, sobre. Il faut vraiment être idiotpourlaprendrebourré.»
Àpartirdelà,letondescommentairesempirait.Deparfaitsinconnussepermettaientdeparlerdemesamisàtortetàtravers.Ilsécrivaientdeschosesaffreuses.Onauraitditqu’ilssemoquaientquelesamisdeCodyetdePhillipoulafamilledeMeganetChrispuissentleslire.
«Ilsontprisunedécisionstupide.Ilssontmorts.Findel’histoire.»«Pourquoiest-cequ’ondevraitserecueillirpourunebanded’abrutis
quiontprislevolantalorsqu’ilsétaientbourrés?»«Aumoins,cesquatre-làn’aurontpasd’enfants.»« Les parents du gamin qui a organisé cette fête devraient être
poursuivispourmeurtre!!!»
« Je suis méchante de me réjouir qu’ils n’aient tué personned’autre?»
«Heureusement,ilsn’onttuépersonned’autre.Abrutis.»Les commentaires continuaient ainsi à l’infini. Des centaines
d’inconnusdonnaientleursavis.Certainspriaient,d’autresplaignaientlesparents.
—Lena?(Mamèreétaitdevantmaporte.)Qu’est-cequetufais?Sesyeuxseposèrentsurmonordinateur.Elles’approcharapidement
demon lit pour jeter un coup d’œil à l’écran.Quand elle vit ce que jelisais,ellem’arrachal’ordinateurdesmainsetlereferma.
Je la regardai faire en tremblant.Mon corps tout entier frissonnait.Monvisageétaithumide.Jenem’étaispasrenducomptequejepleurais.
—Tuaslucescommentaires?—Non,répondit-elleenposantmonordinateursurlebureau.J’enai
aperçuquelques-uns.Çam’asuffi.—Tusais…cequ’ilsdisent?—Çan’a aucune importance. (Elle s’assit au bord du lit, à côté de
moi.)Cen’estpas…— C’est ce qu’ils pensent d’eux ! m’exclamai-je en désignant mon
ordinateurdel’index.(Jetâchaiderespirerprofondément.Jesavaisqu’ilfallaitquejemecalme.)C’esttoutcequ’onretiendrad’eux,pasvrai?
—Non.Pasdutout.(Ellepassaunbrasautourdemesépaules.)Parceque ce n’est pas le souvenir que tu garderas ni que leurs famillesgarderont,etc’estleplusimportant.
Ellesetrompait.Désormais,lemondeentierlesvoyaitdifféremment.Megan, Cody, Phillip et Chris se résumaient à ces commentaires. Leursquatreviesseréduisaientàunemauvaisedécisionetàdestauxd’alcoolélevés.Ilsn’étaientplusriend’autre.
Nidesstarsdufoot.Nidesfutursétudiants.Niuneproduvolley.
Niuneamiequipouvait tout laisser tomberpourvenirvousécoutervousplaindred’ungarçon.
Niungarçonquis’inquiétaitassezpourlefuturd’unamipourposerdesquestionsautourdelui.
Niungarçonquiportaittoujourslespirestee-shirtsdelaTerre.Nidespersonnesquisavaientvousfairerireentoutescirconstances.Désormais, ils étaient un taux d’alcool deux fois supérieur à celui
autoriséparlaloi.Ilsétaientirresponsablesetirréfléchis.Ilsnetransmettraientpasleursgènes,etheureusement.Ilsl’avaientbiencherché.Ils n’étaient qu’une bande de gamins stupides qui avaient pris la
mauvaisedécisionetenétaientmorts.Ilsétaientdevenusunmauvaisexemple.Voilàtoutcequ’ilsétaient,àprésent.Leursviesentièresneserésumaientplusqu’àunspotdeprévention
surlesdangersdel’alcoolauvolant.Riend’autre.Etcelamerendaitmalade.Parcequecesinconnus,ilsavaientraison.
CHAPITRE16
Jelesentendisaurez-de-chausséeenvirontrenteminutesaprèslafindu lycée. Leurs voix s’élevaient jusqu’à l’étage. Je ne discernais pas cequ’ellesdisaient,mais je savaisquemamèrene lesempêcheraitpasdemonter.
Prised’unepaniquesoudaine,jemeredressaid’unbondetmetournaivers la porte du balcon. Pouvais-je réussir à m’échapper ? Non, c’endevenaitpresque risible.Si jememettais à courir, je risquaisdeperdremescôtesaupassage.Etdetoutefaçon,oùserais-jeallée?J’étaispriseaupiège.
AbbietDaryarrivaient.Lorsquejeperçusleurspasdansl’escalier,jemetendisdelatêteaux
pieds.Une douleur intense se réveilla dansmes côtes et je n’avais plusaccès aux puissants antalgiques de l’hôpital. On m’avait donné descachets,maisjenelesavaispasencorepris.
Je fis tomber le classeur rempli de cours et de devoirs. La pressiondansmapoitrineaugmentaencore.
Abbifutlapremièreàpasserlaporte.Elles’arrêtanet.Darylasuivait,mais Abbi resta un long moment immobile. On aurait dit qu’elle nepouvaitpasentrer,carcettechambrereprésentaittoutcequenousavionsperdu.J’avaisressentilamêmechose.
Ses cheveux étaient attachés en chignon haut. Elle avait des pochessous les yeux. Quand Dary la contourna et que je la vis entrer, je merendiscomptequ’elleparaissaittoutaussi…dévastée.
Ses cheveux noirs frisés étaient coiffés en arrière avec du gel et lamontureblanchedeseslunettesneréussissaitpasàdissimulerlarougeurdesesyeux.Entempsnormal, lestenuesdeDaryétaientextravagantes.Aujourd’hui,elleportaitseulementunjeanetuntee-shirtàcolenV.Pasdecouleursvives.Pasderobedécaléenidebretelles.
—Tu faispeuràvoir,déclaraAbbid’unevoix rauqueauboutd’unmoment.
J’avaislabouchesèche.—Crois-moi…cen’estpasmarrantàvivrenonplus.LevisagedeDarysedécomposa.Ellevints’asseoirsurmonlit.Abbi,
elle,selaissatombersurlefauteuildebureau.Penchéeversmoi,Darysepritlatêteentrelesmains.Sesépaulestremblaient.J’auraisvoululuidirequelquechose,larassurer.
— Pardon. (Sa voix était étouffée.) J’avais dit à Abbi que je nepleureraispas.
— C’est vrai. (Abbi releva les jambes sur le siège et passa les brasautour.)Ellemel’avaitpromis.
—C’est justeque…tum’asmanqué.(Elle repoussases lunettes sursonfrontavantdes’essuyerlesyeuxetdeseredresser.)Quandtamèrenousadit que tunevoulaispasdevisiteurs, il a falluattendrepour tevoir,pours’assurerquetuallaisbien.
— J’essaie de ne pas t’en vouloir à ce sujet, intervint Abbi, la têteposéecontresesgenoux.MaisdevoirpasserparSebastianpouravoirdetesnouvelles,cen’étaitvraimentpascool.
—Jesuisdésolée.(Jemelaissaiallerenarrièreenfaisantattentionànepasdérangerlesoreillers.)Sebastian…s’estimposé.
—Tu avais besoin de temps. J’essaie de comprendre,mais… (Darypassa le dos de sesmains sur ses yeux.) C’était dur. (Ellemarqua unepause.)Toutesttellementdur.
—Trèsdur,admis-jed’unepetitevoix.—Commenttutesens?demandaDaryenbaissantlesmains.—Mieux.Courbatue.
Elleremitseslunettes.—Ettapoitrine?Tespoumons?C’estpourça,l’inhalateur?Ellejetauncoupd’œilàl’objetposésurlapiledecahiers.Jehochailatête.—Oui.Ledocteurpensequejen’auraipasdeséquelles,maisjedois
utiliserl’inhalateurdeuxfoisparjourpendantaumoinsunesemaine.—Ettonbras?demandaAbbi.Jelevaimonbrasgaucheetgrimaçai.—Ça ira aussi. Avec un peu de chance, onm’enlève le plâtre dans
deuxsemaines.Abbicontinuaàl’observer.—Qu’est-ceque…tuvasfaire,pourlevolley?—Jenesaispas.(Jem’installaiunpeumieuxcontrelesoreillers.)Je
n’yaipasencorevraimentréfléchi.—Quand je me suis cassé le bras, j’ai porté un plâtre pendant six
semaines,ditDaryd’unairrenfrogné.Jemesouviensquedulierreavaitréussi à se glisser à l’intérieur, cet été-là. Mon Dieu. C’était une vraietorture.
Jejetaiuncoupd’œilàAbbi.Elleneregardaitplusmonplâtre,maislepieddulit.
—Et…vous?Vousallezbien?Abbieutunriresansjoie.—Bien?Jenesaismêmepluscequeçaveutdire.—C’est justeque…(Dary ferma les yeux et secoua la tête.)Megan
était folle…adorable et si folle.C’est bizarredeneplus l’avoir prèsdenous,deneplusentendresavoix,denepluslavoirs’exciterparcequ’elleavuunchatdanssonjardin.Plusrien…neserajamaiscommeavant.
—Tutesouviensdel’accident?medemandasoudainAbbi.Unfrissonmeparcourut.—Seulementdebribesdeconversations.—Tamèrenousaditquetuavaissouffertd’unecommotionetquetu
avaisdumalàterappelerquoiquecesoit,ditDary.
Jemecontentaidehocherlatête.—Alors, tune te souviensvraimentpasde toutcequi s’estpassé?
insistaAbbi.Jereportaimonattentionsurelle.—Non,répondis-jeàcontrecœur.Maisje…Jemerappellequej’étais
entraindet’envoyerunSMSpourtedirequeje…quejepartais.—Jenel’aipasreçu.Abbiposalespiedsparterre.—Jen’aipaseu…letempsdel’envoyer.Daryfermalesyeux.— Je sais que tu ne te souviens de rien, mais… tu crois qu’ils ont
souffert?Je pris une grande inspiration et fis glissermes doigts le longde la
couette.—Jenecroispas.EtCodynonplus.—Ilnes’estjamaisréveillé,murmuraAbbi.Jesecouailatête.Jenesavaispasquoidire.L’absencedeMeganétait
commeuneentité,lourdeettangible,danslapièce.Elles restèrentunpetitmoment,Daryassise surmon lit,Abbi sur le
fauteuildebureau.Ellesmeparlèrentdulycée,deMeganetdeschansonsqui avaient été diffusées à son enterrement. Elles me racontèrentcomment les parents de Keith faisaient face à l’enquête qui avait étéouverteàleurencontre.C’étaitsurtoutDaryquiparlait.
Moi, jeme contentais de hocher la tête et de répondre quand il lefallait, mais je n’étais pas vraiment là. Mon esprit était à des milliersd’années-lumière.C’étaitpresquel’heurededînerlorsqu’ellesselevèrentpourpartir.Darymeserradanssesbras.
Puis,cefutletourd’Abbi.— Je sais que tu as besoin de temps et de tranquillité, dit-elle en
pressantsonfrontcontrematempe.(Ellemurmuraitet j’étaislaseuleàl’entendre.) Je sais que c’est difficile pour toi, mais ça l’est aussi pour
nous.Nel’oubliepas.Tuasbesoindenous.(Savoixsebrisaetpar-dessussonépaule,jevisDarybaisserlatête.)Commenousavonsbesoindetoi.
J’entendis qu’on appuyait sur la poignée. Quand je relevai la tête,j’aperçus une ombre sur le balcon. Mon cœur fit un bond dans mapoitrine.Jeposail’inhalateuràcôtédemoi.Aumêmemoment,laportes’ouvritetSebastianentra,refermantderrièrelui.
Ilportaitdéjàsonpyjama:pantalonenflanelleetdébardeurblanc.Çalui allait bien. À dire vrai, il était toujours beau, mais quelque chosem’empêchaitd’apprécierl’instant,commesijeneleméritaispas.
Commesij’enavaisperduledroit.—Jenet’aipasenvoyédemessage,dit-ilenvenants’asseoirsurmon
lit,parcequejemesuisditquetunerépondraispas.—Alorspourquoies-tuvenu?Ileutunsourireencoin.—Tulesaistrèsbien.Je restai perplexe,mais avant que j’aie eu le temps de répondre, il
s’allongea à côté de moi, sur le dos. On était épaule contre épaule.Hanche contre hanche. La sensation que j’éprouvais à son contact étaittoujours la même. Une sorte de courant électrique qui parcourait mapeau.Maiscettefois,uneombredeculpabilitévenaits’ymêler.Commesicen’était pas juste pour les autres que je ressente toujours ce genredechoses.
—Qu’est-cequetufais?demandai-je.— Jememets à l’aise, répondit-il en souriant. Je compte rester un
boutdetemps.J’enrestaibouchebée.—Jenesaispassi tuesaucourant,mais jemefatiguevite.Jesuis
censéemereposer…—Tuterappellesquandtuasattrapélamononucléose,àonzeans?
medemanda-t-iltoutàcoup.
Jefronçailessourcils.Biensûrquejem’ensouvenais.Lafièvreavaitété terrible. J’avais eu l’impressionquema têteallait exploser. J’étais àpeuprèssûrequeDarymel’avaitrefilée.
—Nosparents voulaient qu’ongardenosdistances.Monpère avaitpeur que je l’attrape et que je rate l’entraînement. (Il rit doucement.)Bref.Tun’allaispasbien,parcequetutesentaisseule.Tun’arrêtaispasdepleurnicher…
— Je ne pleurnichais pas ! protestai-je. J’étais cloîtrée dans machambre.Quandjenedormaispas,jem’ennuyais.
—Tuétaismaladeettunevoulaispasêtreseule.(Ils’interrompitetattenditquejeleregardepourcontinuer.)Tuvoulaismevoir.
Lerougememontaauxjouesetjehaussailessourcils.Avait-ilfumé?—Jenevoulaispastevoir,toi,enparticulier.J’avaisjusteenvieque
quelqu’un…—Tuastoujoursvouluêtreavecmoi,m’interrompit-ilsansmequitter
desyeux.Pasavecn’importequi.Moi.Ébahie, je le dévisageai pendant plusieurs secondes. Alors les
événementsdelafêtemerevinrentenmémoire.Nousnoustenionstousles deux au bord de la piscine. Je croyais qu’il allaitm’embrasser. Puisnousnousétionsdisputés.Jerepensaiaussiaumardiprécédent,auborddulac.Jel’avaisembrassé.Maisjenem’autorisaipasàm’appesantirsurlaquestion,parceque,encoreunefois,cen’étaitpasjuste.
—Cequejeveuxdire,c’estquesituneveuxpasquejereste,çan’arienàvoiravec la fatigue.Je saiscequi sepassedans ta tête.Enfin, jecrois.On reparlerade tonbesoindem’avoirprèsde toi, toutà l’heure,dit-ilencroisantlesbrassursontorse.Pourl’instant,j’aimeraisquetumeraconteslavisited’AbbietDary.
Commentça,onallaitreparlerdemonbesoindel’avoirprèsdemoi?Ilétaithorsdequestionquejesoisprésentepourcetteconversation.
—Jenepartiraipas.(Ilpressasongenoucontrelemien.)Alorsparle.Auboutd’unmoment,jeposailesyeuxsurlatélévision.Aufondde
moi,jesavaisquejepouvaislefairepartir.Ilsuffisaitquejeluidisequeje
n’avais vraiment pas envie qu’il reste. Il ne serait pas content, mais ilcéderait.Toutefois,jesavaisquejen’enavaispasenvie.Jenevoulaispasêtreseule.J’avaisbesoindemesamis.
J’avaisbesoindelui.— Ça m’a fait plaisir de les voir, admis-je d’une voix enrouée.
Commentsais-tuqu’ellessontvenues?Tum’espionnes?—Peut-être.(Ilrit.)Non.Ellesm’enontparlé,aujourd’hui,aulycée.
Elles m’ont dit qu’elles n’hésiteraient pas à insister jusqu’à ce que tufinissesparaccepter.Tuleurasbeaucoupmanqué,Lena.Lasemainequivientdes’écouleraététrèsdifficilepourelles.
—Jesais.Ilrestasilencieuxuninstant.—Meganétaitleuramieaussi.Laculpabilités’enroulaautourdemesboyauxcommeunserpent.—Jelesaisaussi.—Jen’endoutepas,maisilsepassequelquechosedanstatête.Jelissainerveusementlacouette.J’avaistantàdire,maisjenesavais
pasparoùcommencer.—Ilsepassebeaucoupdechosesdansmatête.—C’estcompréhensible,murmura-t-il.Ils’enpassebeaucoupdansla
mienne aussi. C’est très étrange. Parfois, au réveil, je me rappelle desphrasesqueCodym’adites.Oudestrucsstupidesquejeluiairacontés.
Lagorgenouée,jefermailesyeux.— En cours, aujourd’hui, quelqu’un a fait une super blague. Mon
premierréflexeaétédevouloirlarépéteràPhillip.Ill’auraitadorée.Puisjemesuisrappeléquecen’étaitpaspossible,continuaSebastian.Ethier,quandjesuisrentrédanslacantine,jet’aicherchéeduregard.
Jenesavaispasquoidire.—Ilsmemanquent,Lena.(Ilpressasonépaulecontrelamienne.)Tu
memanques.J’ouvrislesyeuxetmelaissaiallercontrelui.—Pourtant,jesuislà.
—Tuessûre?Jeclignailesyeux.—Oui.Sebastianrestasilencieuxunmoment.—Ça fait dubiendeparler d’eux, tu sais ?Dumoins, c’est ce que
disentlespsychologuesquisesontinstallésaulycée.Lorsque je parlais de Megan et des garçons, j’avais l’impression de
recevoir une balle en plein cœur. Je ne comprenais pas comment celapouvaitfairedubien.
Commejenerépondaispas,ilmeposalamêmequestionquem’avaitposéeDary.
—Tutesouviensdel’accident?Etjeluidonnailamêmeréponse.—Seulementdesbribes.Ilhochalentementlatête.—Tuterappelles…pourquoituespartieaveceuxsansmeprévenir?Monpetitdoigtmedisaitqu’ilvoulaitmeparlerdequelquechose…
quejefaisaisdemonmieuxpourocculter.J’ignoraiscommentrépondreàsa question. À présent, mon raisonnement me semblait stupide.Terriblementstupide.Maisj’étaisfatiguéederépondre«jenesaispas»,épuiséederaconterdesdemi-véritésetdesdemi-mensonges.
—Tu étais avec Skylar. Je… Je ne voulais pas vous déranger, c’esttout. (Je jetai un coup d’œil dans sa direction. Il ne semblait pascomprendreceque jedisais.) Jene t’aiplusvuaprès sonarrivée.Alorsj’aipréférénepasvouschercher.Jemesuisditquevousvouliez…êtreseuls.
Uneémotionquejefusincapabledereconnaîtrepassasursonvisage.Ildétournalatête.Unmuscletressaillitdanssamâchoire.
—Bordel,marmonna-t-ilensepassant lamaindans lescheveux.Jene sais pas pourquoi tu as cru que Skylar et moi avions besoin d’êtreseuls. Au contraire, j’aurais préféré qu’on vienne nous interrompre. Jepensaisquetut’amusaisaveclesautres.
Souslescouvertures,jecroisaimesjambes.—OK.—Hé, je suis sérieux. (Ilbaissa lamainet ses cheveux retombèrent
sursonfront.)Skylarvoulaitqu’ondiscute.Ellevoulaitqu’onseremetteensemble. J’aipassémon tempsà lui expliquerquec’était terminé.Ellem’enavoulu.Elleamêmepleuré.
Lasurprisem’envahit.—Tunet’espasremisavecSkylar?— Non. (Il rit.) C’était fini à l’instant où l’on s’est séparés, au
printemps. Je ne reviendrai pas en arrière. Je n’ai rien contre elle, jel’aimebeaucoup,maisc’estterminé.
Unepartdemoi, cellede l’ancienneLena, aurait vouludisséquer lamoindredesesparolespourdéterminers’ilmementaitpournepasmefairesouffrir.
Lanouvellemoin’avaitpasbesoindeça.Sebastiann’avaitaucuneraisondemementir.—Pendantquejediscutaisavecelle,j’aireçuunmessaged’Abbi.Elle
vous cherchait, Megan et toi. (Il se frotta le menton.) Des gens quiquittaient la fête ont vu l’accident et ont reconnu le 4 × 4 de Chris.Commelarouteétaitbloquée,ilssontrevenussurleurspas.C’estlàquej’aisuqu’ils’étaitpasséquelquechosedegrave.J’aiessayédet’appeler.Jet’aienvoyédesmessages.
Je n’avais toujours pas consulté les appelsmanqués ni les SMS surmontéléphone.
Ilsoufflabruyamment.Plusieurssecondess’écoulèrent.—Commenttutesens?Vraiment?Contretouteattente,saquestionm’ébranlaetcraquela lesmursque
j’avaisérigésautourdemoi.—Jeneveuxpasretourneraulycée,murmurai-je.Jenesaispassije
peuxfairefaceàtoutlemondealorsquejesuis…—Alorsquetuesquoi?Responsabledelamortdemesamis.
Cette simple pensée me souleva le cœur. Je n’étais pas prête àretourner à l’école. Je n’étais pas prête à parler de la souffrance, de lapeine, de la culpabilité. Je n’étais pas prête à mettre des mots sur cesémotions amères. Je ne savais pas comment avouer à mes amis quej’aimaisetaugarçondontj’avaistoujoursétéamoureusequej’avaiseulepouvoirdechangerlecoursdeschoses,quej’auraispuéviterl’accident.
—Cen’estpasgrave,dit-il.Onn’estpasobligésdeparler.Magorgeseserra.—Merci.— Tout finira par s’arranger. (Il prit ma main posée sur les draps
entre nous et noua délicatement nos doigts ensemble.) Tu veux savoircommejelesais?
—Comment?Mespaupièresétaientlourdes.J’avaisdumalàlesgarderouvertes.Ilmeserralamainunpeuplusfort.—Tuaslaissélaportedubalconouverte.
CHAPITRE17
J’étais allongée dansmon lit, les yeux rivés surmon téléphone.Onétait mardi après-midi et ma mère, qui avait pu apporter quelquesdossiers à la maison, travaillait dans la cuisine. Le matin, elle m’avaitannoncéqu’elleavaitparléavecmonpère.C’étaitlapremièrefoisqu’ellementionnaitsonnomdepuisqu’ilétaitpassémerendrevisiteàl’hôpital.
Ellem’avaitdit qu’il comptait faireuneffortpourêtreplusprésent.J’ignoraiscequecelaimpliquait.
Je ne m’attendais pas à ce que les choses changent. Mon pèrecontinuerait à m’appeler de temps à autre et je ne lui répondrais pas.L’accidentavaitchangébeaucoupdechoses.Pasça.
Lorsquejeregardai l’espacesur le lit,àcôtédemoi, jerepensaià laveille. J’ignorais à quelle heure Sebastian était parti, car je m’étaisendormie.Toutcequejesavais,c’étaitqu’àmonréveililavaitdisparu.
«Toutfinirapars’arranger.»Serait-cevraiment le cas ?Lorsque jem’étais réveillée, avantque la
brumedusommeilnesedissipe, j’yavaiscru.Puis j’avaisbougé,etunedouleuratrocem’avaitparcourulapoitrine.
Oui,j’yavaiscru…jusqu’àcequejemerappellequemesamisétaientmorts.
Jusqu’àcequejemerappellequej’auraispuleursauverlavie.Je pris une grande inspiration et grimaçai.Mes côtesme brûlaient.
Plusletempspassait,plusjemesentaismalàl’aise.Jenesavaispasquoifaire.
Monentraîneuravaitappelécematin-là.Jenesavaispasquiétaitàl’autreboutdufil jusqu’àcequemamèremepasselecombiné.Alorsilétaittroptardpourrefuserdeluiparler.
Lesmains tremblantes, l’estomac noué, j’avais attrapé le téléphone.L’entraîneur était un homme sévère. Il avait viré des filles de l’équipepourmoinsqueça.
Jemepassailamainsurlefront.Ils’étaitd’abordenquisdemonétat.Je lui avais répondu que jeme sentaismieux. Puis il m’avait posé desquestions surmonbras et je lui avaisdit que j’étais censéegardermonplâtrependantplusieurssemaines.
Malgrétout,ilmedemandad’êtreprésenteauxentraînementsetauxmatchs.J’étaisstupéfaited’apprendrequej’avaistoujoursmaplacedansl’équipe.
Ceretournementdesituationétaitpourlemoinsinattendu.Ilm’annonçaqu’ilallaitessayerdelaissersachanceàuneélèveplus
jeune.Jecroisquej’avaisacquiescé.IlneparlapasuneseulefoisdeMeganoudesgarçons.Jemedemandaissimamèreluiavaitdonnédesinstructions.Sinon,
pourquoin’aurait-ilpasévoquéMegan?Elleétaitunmembreimportantde notre équipe. Elle étaitmêmemeilleure que notre capitaine.Megann’auraitaucunmalàintégreruneéquipeuniversitaire.
N’auraiteu.Megan aurait été repérée.Avantde raccrocher, notre entraîneurme
ditdeprendresoindemoietmerépétaqu’ilvoulaitmevoirlasemaineprochaine.Aprèsquoimamèrerécupéralecombinéetjerestaiimmobile,lesyeuxrivéssurmonpropretéléphone.Jesavaisqu’ilcontenaitdesSMSetdesmessagesvocauxquejen’avaispasconsultés,maisjen’arrivaispasàm’enpréoccuper.Jenepensaisplusqu’àcequel’entraîneuravaitdit.
Ilvoulaitquejecontinuedefairepartiedel’équipe,maispourmoi…c’était difficile à envisager. Voyager avec l’équipe, rester assise sur unbanc,nepassongerquej’avaiscommencéàjoueràcausedeMegan.Nepaspenseràsonabsence.
Lorsque jeposai lesyeuxsurmesgenouillères,dans le fonddemonplacard,jesusquemadécisionétaitprise.
Jeme glissai hors du lit etm’en approchai. Le plâtre plaqué contremescôtes,jemepenchaipourlesramasserpuislesjeterdansl’armoire,surleslivresetlesjeans.Jerefermailaporteetreculai.
Jen’enauraisplusjamaisbesoin.
Lesamedimatin,Loriétaitassiseàlatabledelacuisine,lespiedssurledossierd’unechaise.Sinotremèreavaitétéprésente,ellene l’auraitpas laissée faire,maiselleétaitsortie fairedescourses.D’habitude,Lorinerentraitpasleweek-end,carRadfordn’étaitpaslaporteàcôté,maisMamannevoulaitpasmelaisserseule.Elleavaitsansdoutepeurquemespoumonsnemelâchent.
Cela faisait deux semaines que j’avais été grièvement blessée, etphysiquement,jecommençaisàmesentirnormale.Jem’essoufflaisviteetmescôtesetmonbrasmefaisaientsouffriràchaqueheuredujouretdela nuit, mais les hématomes sur mon visage s’étaient résorbés et mamâchoiren’étaitplusdouloureuse.
Plusimportant:j’étaisenvie.Jemarchaisautourde la tablede la cuisineparceque j’étais censée
fairedel’exercice,maisaussiparcequej’avaisdumalàresterenplace.Marchermefaisaitmalauxcôtes,maisjecommençaisàm’habitueràlabrûlure.
Loriépluchaituneorange.Leparfumd’agrumeembaumaitlapièce.—TusavaisquePapaétaittoujoursenville?Jem’arrêtai,àmi-cheminentrelefrigoetl’évier.Notremèrem’avait
ditqu’elleluiavaitparlé,maisellen’avaitpaspréciséqu’ilétaittoujoursenville.JelecroyaisrepartipourSeattle.
—Quoi?—Etoui.(Elledéposal’écorcesurlaservietteenpapieràcôtéd’elle.)
Ilestdescendudansunhôtelavecsuites,tusais,ceuxoùtupeuxresterlongtemps.
—Ilcompterestercombiendetemps?Ellehaussalesépaules.—Aucuneidée.Jemangeavecluicesoir.Tudevraisveniravecmoi.Jerisetleregrettaiaussitôt.Celafaisaitunmaldechien.—Horsdequestion.Maismerci.Lorilevalesyeuxaucieletdétachaunquartierd’orange.—Cen’estpasgentil.Sansreleversoncommentaire,jerecommençaiàmarcher.—Commentest-cequ’ilpeutsepermettredepayercegenred’hôtel?
Çadoitcoûtersupercher!—Apparemment,ilgagnebiensavie,répondit-elle.Ilarriveàmettre
pasmald’argentdecôté.Tulesauraissituluiparlais.—Oh,génial,ilgagnesuffisammentd’argentpoursepayerunesuite
dansunhôtel,rétorquai-je,énervée.J’ouvrislefrigod’ungesterageurpourprendreunsoda.Loriavalalederniermorceaud’orangesansmequitterdesyeux.—Mamannes’ensortpastropmalnonplus.—Çan’apasétéfacile,luidis-je.Tulesais.Je m’échappai vers le salon et allumai la télévision. Après m’être
installée sur le canapé, je zappai entre les différentes chaînes. Lori mesuivit,maisavantqu’elleaitpus’asseoir,onfrappaàlaporte.
—J’yvais.Elleseretournaetdisparutdanslepetitvestibule.CelanepouvaitpasêtreSebastian.Ilétaitvenumerendrevisitetous
lessoirsdepuis lundi,mais ilétaitcensés’entraîner,àcetteheure.Touslessoirs.
—Elleestlà-bas,indiqualavoixdeLoridanslecouloir.Uninstantplustard,Daryentradanslesalon.—Salut,dit-elleenfaisantunsignedelamain.Jem’ennuyais.Mes lèvress’étirèrentenunlégersourire.Lasensationétaitétrange.
Jemerendisalorscomptequejen’avaispassouridepuis…depuiscettesoirée-là.
—Alorstuasdécidédevenirmevoir?—Exactement ! (Elle se laissa tomber sur le fauteuil.) Jem’ennuie
tellementquejemesuisditquej’allaisregarder…(Ellejetauncoupd’œilàlatélévision.)…undocumentairesurlaguerredeSécessionavectoi.
Lorigloussaets’assitsurlecanapé.—Tuvasregretterdenepasêtrerestéecheztoi.— Ça m’étonnerait. (Dary remonta ses jambes sur le fauteuil.) Ma
mèreveutréorganisernosrangements.Vouspouvezcroirequej’exagère,mais vous ne la connaissez pas. Quand je suis rentrée, ellem’attendaitavecune listedes tâchesàeffectuer.Alors j’aimentiet je luiaiditquej’avaispromisdet’aideravectesdevoirs.Jesuisvenueàpied,d’ailleurs.Pourquoiest-cequ’ilfaitsichaud?Onestenseptembre!
— Le réchauffement climatique, répondit Lori en attrapant latélécommandepourdésactiverlesondelatélé.OùestAbbi?
Je grimaçai. Abbi n’était revenue me voir qu’une seule fois depuislundi,lemercredi.Ellen’étaitpasrestéelongtempsetm’avaitlaisséeavecDary.Depuis,ellenem’avaitplusenvoyédemessagesetnem’avaitpasnonplusappelée.
—Elleestavecsesparents,réponditDary.Ilsfontuntrucensemble.Jenedisrien,mais jesavaisquec’étaitunmensonge.Lesamedi,sa
mère travaillait à l’hôpital et vu les relations tendues entre ses parents,celam’auraitétonnéequ’ilsfassentunesortiefamiliale.
Labananequej’avaismangéeplustôtmepesasoudainsurl’estomac.Abbinevoulaitpasmevoir.Lesraisonsauraientpuêtremultiplesetjeneluienvoulaispas.
— Quand est-ce que tu retournes au lycée ? Lundi oumardi ? medemandaDary.
— J’ai vu lemédecin hier. Il veutme revoir lundi. Si tout va bien,j’iraiencoursmardi.
Darysepassalamaindanssescheveuxcourts.—Jesupposequetuashâte.—Pasvraiment,murmurai-je,lagorgenouée.
Ellefronçalessourcils.—Ahbon?Si j’étais à taplace, je croisque je seraisdéjàdevenue
folle.Etpuistuaimesbienl’école.Je commençais à devenir folle et j’aimais l’école,mais retourner au
lycéesignifiaitquej’allaisdevoirfairefaceauxautreset…—Toutlemondeahâtedetevoir,ditDaryquiavaitremarquémon
hésitation.Situsavaislenombredepersonnesquim’ontdemandédetesnouvelles!Onpensebeaucoupàtoi.
JeprisunegorgéedesodaetsongeaiàlacartedevœuxqueSebastianm’avait apportée. Elle était toujours sur mon bureau, dans le sac enpapier.
—C’estjusteque…ceneserapaspareil,sanseux,avouai-je.Cen’étaitqu’unepartiedelavérité.J’avaisdéjàutilisécestratagème
avecSebastianquandjeluiavaisditquejen’avaispasenviederetourneraulycée.
Darybaissalatêteetpritunegrandeinspiration.—Cen’estpaspareil.Pasdutout,même,mais…ons’yhabitue.Vraiment?Quandellerepritlaparole,savoixtremblait.—Bref.Tuaspurattrapertonretard,côtédevoirs?Contentedechangerdesujet,jemedétendis.—Presque.Ilnemerestequ’uneoudeuxlecturesetdesexercices.— Tant mieux. Au moins, tu ne te sentiras pas dépassée. (Elle
s’appuyasurl’accoudoirdufauteuil.)Commentçava,avecSebastian?Loriricana.—Ilvitpratiquementici,maintenant.Jeluijetaiunregardnoir.—N’importequoi.— Et moi qui pensais que ça ne pouvait pas être pire qu’avant,
continua ma sœur sans m’écouter. J’avais déjà l’impression d’avoir unfrère,maismaintenant,ilestlàtoutletemps.
Daryéclataderire.
—Commenttupeuxlesavoir?luifis-jeremarquer.Tunevispasici.—Cen’estpasl’heuredetoninhalateur?répliqua-t-elleensouriant.Jelevailesyeuxauciel.— Je ne sais même pas pourquoi tume demandes comment ça va
avecSebastian.Daryémitunsonquiressemblaitàungrognementdeporcelet.—Pitié,Lena…Cen’estpasparcequejesuispartieenvacancesune
semaineque jene suispasau courantdubaiser etde ladisputeà la…(Elle s’interrompit et je me crispai. Elle secoua la tête.) Abbi m’a toutraconté.
C’étaitsansdouteunebonnechosequ’Abbinesoitpaslà,parcequej’avaisenviedelafrapper.
—Attendsuneminute,nousinterrompitLoriensepenchantversmoi.TuasembrasséSebastian?
J’ouvrislabouche.—Oui!réponditDaryàmaplace.Aulac,apparemment.— Il était temps ! (Le sourire aux lèvres, Lori se rassit.)MonDieu,
attendsquejelevoie!Jesuissuper…— Ne lui dis rien. S’il te plaît, Lori. C’était… Je ne sais pas. Une
erreur. Ilnem’apas rendumonbaiser.C’est simplementarrivé commeça,parhasard…
—Embrasserquelqu’unn’estpasquelquechosequiarriveparhasard,tusais.(Loripenchalatêtesurlecôté.)Enfin,jecroyaisquetulesavais.
—Abbim’aditquevousvousétiezdisputésaprèsqu’ilt’ajetéedansla piscine ? Tu étais censée lui en parler plus tard. (Dary posa sa jouecontresonpoing.)Qu’est-cequis’estpassé?Allez,dis-moi !Tuasdéjàavoué à Abbi… et àMegan que tu étais amoureuse de lui.On était aucourant,maisbon.
—Iln’yapasgrand-choseàdire.Jesoupiraietcherchaiuneéchappatoireautourdemoi.Aprèscequi
s’était passé, je n’avais pas très envie de parler de Sebastian. Cela me
paraissaitdéplacé.Maisellesmeregardaienttouteslesdeux,patiemment,commesiellesnepartageaientpasmonsentiment.
—Avantqu’ilmejetteàl’eau, jecroyaisqu’ilallaitm’embrasser.Jeme suis énervée et je l’ai laissé en plan. J’étais en train de parler à…Cody,expliquai-je.(Ladouleurquis’éveillasoudaindansmapoitrinemecoupa le souffle.) Quand il est revenume voir. Je neme rappelle pluspourquoi on a commencé à se disputer. Il a dit quelque chose. J’airépondu,puisjeluiaiavouéquejepensaisqu’ilallaitm’embrasser,maisSkylarestarrivéeetjemesuisenfuie.
Jem’interrompisetmetournaiversDary.—Ilm’aditqu’ilnes’étaitpasremisavecSkylar.— Je n’en ai pas l’impression, confirma-t-elle, les lèvres pincées, en
regardantleplafond.Ilsnesont jamaisensemble,aulycée.Enfin, je l’aidéjàvuealler luidirebonjour,mais iln’a jamais l’air ravi, si tuvois cequejeveuxdire.Ondiraitqu’ilsecontented’êtrepolienattendantquesameilleureamieLenaviennelesauver.
Ellesouritàpleinesdents.Jesecouailatête.—Attends.Revenonsunpeuenarrière,demandaLori.Mamanestau
courant que tu l’as embrassé ? Parce que si tu crois qu’elle ne sait pasqu’ilvientdanstachambreà1heuredumat’,tuesbiennaïve.
J’écarquillailesyeux.—Elleestaucourant?Loriéclataderire,commesielletrouvaitmacrédulitéadorable.—Jepensequ’elleadessoupçons.Oh.Cen’étaitsansdoutepasbonsigne.—Toutlemondesaitquevousallezvousmarierunjour.Vousserez
tellementmignonsqueçaenseraécœurant,ditDary.—Jen’ensuispassisûre,protestai-jeenlevantmonbrasvalide.On
peutparlerd’autrechose?—J’avaisuneautreraisondevenir,enfait,avouaDaryenremontant
ses lunettes sur son nez. Je me demandais si tu voulais aller au
cimetière… je peux conduire ta voiture. (Elle jeta un coup d’œil à masœur.)ÀmoinsqueLoriveuilleveniravecnous?
Moncœur se serra. Jeblêmis.Alleraucimetière?Voir la tombedeCodyetdePhillip?CelledeMeganetdeChris?La terreseraitencorefraîche.L’herben’auraitpascommencéàrepousser.
—Jenesaispassic’estunebonneidée,ditLorienm’examinant.Ilfaitchaud,dehors,etilfautbeaucoupmarcher.Jenesuispassûrequecesoitconseillé.
Darysemblaacceptersonexcuse.Cen’étaitpascomplètementfaux.Quandellepartit,deuxheuresplustard,ellemepromitdem’envoyer
unmessage.—Merci,dis-jeàLoriquandellerefermalaporte.Pourl’histoiredu
cimetière.Ellehochalatêted’unairdétaché.—Tun’espasprêteàyaller.Etpasseulementphysiquement.J’attrapai un coussin et le serrai contre moi. Je savais qu’elle avait
raison.—TuneparlesjamaisdeMeganoudesgarçons.(Elles’approchadu
canapé.)Tuneparlespasdel’accidentnonplus.Alorsjemedoutaisquetunevoudraispasallervoirleurstombes.
Leurstombes.Jedétestaiscemot.Ilétaitfroid,dénuédesentiments.—Tusais,ilfaudraquetuyailles,unjour.(Loris’assitàcôtédemoi
etposa lespieds sur la tablebasse.)Tuenaurasbesoin.Pour faire tondeuil.Enfin,quelquechosecommeça.
— J’en ai conscience. C’est juste que… (J’avais l’estomac noué.) Jepeuxteposerunequestion?
—Biensûr.—Tucroisquecequis’estpasséestvraimentunaccident?Ellefronçalessourcils.—Queveux-tudire?—C’est difficile à expliquer,mais…est-ce qu’onpeut considérer ça
comme un accident ? Cody… avait bu avant de prendre le volant. (Je
serrailecoussinunpeuplusfort.)S’ilavaitsurvécu,ilauraitétépoursuivipourhomicideinvolontaire,non?
—Jepense.— Alors, comment est-ce qu’on peut appeler ça un accident ?
(N’aurais-je pas dû être poursuivie, moi aussi, pour ne pas l’avoirempêchédeconduirealorsquej’étaissobre?)Pourmoi,unaccidentestunévénementqu’onn’auraitpaspuéviter.Cequi s’estpasséauraitpul’être.
Loriposalatêtecontreledossierducanapé.—Jecomprendscequetuveuxdire,maisje…jenesaispasquoite
répondre. Cody ne pensait pas perdre le contrôle de la voiture. Il nepensait pas qu’il tuerait les autres et te blesserait, pourtant il l’a fait.Chaqueactionauneconséquence.
—L’inactionaussi,murmurai-je.Ellerestasilencieuseuninstant.—Mamanm’atoutraconté.Jemecrispai.Quelquessecondess’écoulèrent.—Ellem’aditqu’ilsontvérifiétonalcoolémiequandtuesarrivéeà
l’hôpital,pendantqu’ilstefaisaienttouslesautrestests.Lesmédecinsontditquetun’avaisrienbu.Tuétaisclean.
Lagorgenouée,jefermailesyeux.—Qu’est-cequis’estpassé,Lena?(Ellesetournaversmoietpliaune
jambepourposerlepiedsurlecanapé.)Tusaisquetupeuxteconfieràmoi.Jenetejugeraipas.Çateferaitdubiendeparler.
J’ouvris la bouche. Le besoin de m’ouvrir à elle était presque tropintense.Mais,quoiqu’elledise,ellemejugerait.C’étaitnaturel.
Alorsjegardailesilence.
CHAPITRE18
Lesamedisoir,Sebastianallachercherunevieillechaisedejardinenplastique dans la cabane de ses parents et la hissa jusqu’àmon balconpours’installeràcôtédemoi.
Nousétionsassiscôteàcôte.Sespiedsétaientposéssurlarambarde,les miens par terre. Lever les jambes mettait trop de pression sur mescôtes.
Lajournéeavaitétéchaude,digned’unmoisd’août.Maislesoir,l’airs’était rafraîchi. Le temps avait toujours été comme ça par ici. Le jour,l’étérefusaitdes’enaller.Leventétaitchaud,l’atmosphèrehumide.Puis,durantlanuit, l’automnes’installaitpeuàpeu.Ilfaisaitplusfroidetlesfeuilles tombaient jusqu’à ce que la nature se pare de teintes orange etrouge.D’ici la fin dumois, des citrouilles commenceraient à apparaîtresurlesperrons.Dansdeuxmois,onparleraitdeThanksgivingetdeNoël.Laviepoursuivaitsoncours,nonpasàunevitessed’escargot,maisàunrythme effréné où tout allait si vite que j’avais l’impression de voir lascèneauralenti.
—Tun’asriendemieuxàfaire,cesoir?luidemandai-je.Ilétaitarrivédepuisunedemi-heure.Unmoisplustôt,ilauraitpassé
son samedi soir chez Keith. Ou au bord du lac avec Phillip et Cody.Aujourd’hui,ilétaitassissurmonbalcon.
—Pasvraiment.Jeréarrangeailecoussindansmondos.—Jesupposequ’iln’yapasbeaucoupdefêtes,encemoment.
—Si,deuxoutrois.PaschezKeith,biensûr.(Ildonnaunpetitcoupcontrelabouteilled’eauplacéeentresesgenoux.)Maisjepréfèreêtreici.
Saréponsemegonflalecœur,maisaulieudeprofiterdelasensation,jeleperçaicommeunballon.
—CommentvaKeith?—C’estdifficilepourlui.Iln’enparlepasbeaucoup.Jenecroispas
qu’ilaitledroit.Dumoins,c’estsansdoutecequel’avocatdesesparentslui a conseillé de faire. J’ai entendudire que la famille de Phillip allaitporter plainte contre eux. Apparemment, ils essaient de convaincre lesautres familles de s’allier à eux. Je ne serais pas surpris qu’ils tecontactent.
Tandisquej’observaislesfeuillessedétacherdesbranches,emportéesparunebriselégère,jesecouailatête.
—Jeneveuxpasm’enmêler.—Jem’endoutais.Keithsesenttrèsmal.Ilsesentcoupable.Jetriturailalanguettedemacannette.— Est-ce qu’on peut vraiment dire qu’il est coupable ? Ses parents
savaient qu’on organisait des fêtes chez eux. Tout le monde était aucourant. Ils ne nous en ont jamais empêchés. Mais ils n’ont obligépersonnequiaitbuàprendre levolant. (Jem’interrompis. Jene savaispas ceque je voulaisprouver.Sansdouteessayais-jedeme trouverdesexcuses.)Excuse-moi.Jeréfléchisàvoixhaute.
Àdirevrai,unmoisplus tôt, jen’yauraismêmepaspensé.Faire lafête, boire un verre ou deux, rentrer en voiture… cela nous arrivaitconstamment.Jen’avaisjamaiscruqu’unteldramepouvaits’abattresurnous.J’avaisconsciencequec’étaitidiotdemapart.Etterriblementnaïf.Etquecelanousavaitmenésàunetragédie.
Sebastianneréponditpastoutdesuite.Quandjetournailatêteverslui,jevisqu’ilobservaitlesétoiles.
—Tuveuxsavoircequej’enpense?—Oui,murmurai-je.J’avaispresquepeurdecequ’ilallaitmedire.Ilsetournaversmoi.
—Jecroisqu’onesttousresponsables.Incapablededétournerlesyeux,jemefigeai.—J’yaibeaucoupréfléchi,cesdernierstemps.Cesoir-là, j’avaisbu,
maisjecomptaisquandmêmeteramener.Ilnem’estjamaisvenuàl’idéequejepouvaistemettreendanger.Nimoi-même,d’ailleurs.
—Tun’étaispasivre,luifis-jeremarquer.Jenet’aijamaisvuessayerdeconduirecomplètementbourré.
—Non,c’estvrai,maisquelleest la limite?medemanda-t-il.Deuxbières?Trois?Cen’estpasparceque jemesensbienetque jenemeconduis pas n’importe comment que l’alcool n’a aucun effet sur moi.Peut-être que je suis incapable de m’en rendre compte. Je sais qu’oncroirait entendre une vidéo de prévention, mais il suffit de quelquessecondesd’inattention.
—Oui,murmurai-je.— Je suis sûr que Cody s’estimait en état de conduire. Il n’aurait
jamaisprislevolants’ilpensaitvousmettreendanger.Non,jelesavais.Ma poitrine me faisait souffrir, mais cette douleur n’avait aucun
rapport avec mes blessures. Cody était persuadé de pouvoir conduire.Chris,MeganetPhillipluiavaientfaitconfiance.
—Allez,viens,ilteditqueçava!(Meganmepritlamainetsepenchaversmoipourmemurmurerà l’oreille :)J’ai enviedemangerdesnuggetsavecdelasaucechinoise!
Lagorgenouée,jelaissailesouvenirs’envoler.Aucund’entreeuxnes’était inquiété de l’état de Cody, parce qu’ils avaient tous bu. Moi ?J’avaisbienvuqu’ilétaitivre.
Toutefois,Sebastianavaitraison.Nousétionstousresponsablesàuncertaindegré.Nousnousétionstousmontrésirresponsablesàunmomentouàunautre.Leproblème,c’étaitquepersonnenepensaitquecegenred’accidentpouvaitseproduire,jusqu’àcequ’ilsoittroptard.Auboutducompte,j’étaisaussicoupablequeCody.Peut-êtrepasdevantlaloi.Maisd’unpointdevuemoral.
Etj’ignoraissijepouvaisvivreaveccepoidssurlaconscience.—Darym’aenvoyéunmessage,toutàl’heure.Jehaussaiunsourcil.—Pourquoi?Elleestvenuemevoir,aujourd’hui.— Je sais. (Sebastian reposa la bouteille entre ses genoux.) Elle
s’inquiètepourtoi.—Ellenedevraitpas.(Jemepenchaisurlecôté.Ladouleurdansmes
côtess’amplifia.)Jevaistrèsbien.Sebastianeutunriresansjoie.—Tuesloind’allerbien,Lena.—Qu’est-cequetuinsinues,aujuste?—J’insinuequecen’estpasparcequetudisquetuvasbienquec’est
lavérité.Repoussantmes cheveux en arrière, j’observai une étoile disparaître
derrièrelesnuages.—Tuasdécidéd’étudierlapsychologie,ouquoi?Ilricana.—C’estunebonneidée.Jesuisplutôtdoué.Jegloussai.—Situledis.Il tendit lamain versmoi et tira doucement sur unemèchedemes
cheveux.—Tutesenscapabledeconduirepouralleraulycée,cettesemaine?
medemanda-t-il.J’enparlaisavecmonpère.L’undesescollègues,à lacentrale,aeuunpneumothorax,luiaussi.Lesmédecinsnel’ontpaslaisséconduireavantqu’ilsoitcomplètementguéri.
— Je n’y ai pas encore réfléchi. J’espère que je serai autorisée àconduire.
—Malgré ton plâtre ? Ce n’est que ton bras gauche,mais avec tespoumons,çacommenceàfairebeaucoup.(Ilbaissalebrasetreportasonattention sur le ciel.) J’habite à côté. On peut très bien aller au lycéeensemblejusqu’àcequetuterétablisses.
—Tun’espasobligé.Jesuissûreque…—Jesaisquejenesuispasobligé.J’enaienvie.Jemetournaiverslui.Nosregardssecroisèrent.—Jevaisbien.Jepeuxconduire.—Oupas.Jepariequetesréflexessont lentsparcequetescôtes te
font souffrir. Et si tu as des difficultés à respirer, tu peux causer unaccident. (Il se pencha en avant. Même si nous étions assis sur deuxchaisesdifférentes,l’espaceentrenousparutseréduiredangereusement.)J’aifailliteperdre.Jeneveuxplusjamaisrevivreça.
Marespirationsebloquadansmagorge.Celan’avaitrienàvoiravecl’étatpathétiquedemespoumons.
—Etcommentjevaisrentrer?Tuvasaufootaprèslescours.Moi,jen’aiplusd’entraînement,luidis-je.J’arrête.
—J’aiuneheuredebattemententrelelycéeetlefoot.Sebastian n’eut aucune réaction par rapport au volley. L’entraîneur
m’attendraitsansdoutemardisoir,maisilétaithorsdequestionquej’yaille.
— Et pourquoi est-ce que je ne te rendrais pas ce service ? Si nossituationsétaientinversées,tun’hésiteraispasuneseconde.
Il avait raison,mais les situations n’auraient jamais été inversées. Iln’étaitpasaussistupidequemoi.Toutefois,sedisputerpourcegenredechoses était ridicule. Sebastian étaitmon voisin et, quoi qu’il ait pu sepasserentrenous,ilétaittoujoursmon…meilleurami.Dumoins,jusqu’àcequ’ilapprennelerôlequej’avaisjouédanscetaccident.
Il semordit la lèvre inférieure,puis la libéra lentement.D’habitude,cettemaniemerendaitfolle.
—Ilfautqu’onparle.—Dequoi?Jecontemplaisaboucheetrepensaiàlasensationdeseslèvrescontre
lesmiennes.Ilpenchalatêtesurlecôté.—Detasdechoses.
Oui.Destasdechosesauxquellesjenevoulaispaspenser.Jereculaietm’adossaiàmachaiseavecprécaution.—Jecommenceàêtrefatiguéeetje…—Nefaispasça,medit-ild’unevoixdouce.Neterenfermepassur
toi-même.Moncœurseserra.—Jenemerenfermepas.—Si.TurepoussesAbbietDary,etlaseuleraisonpourlaquelletune
faispaslamêmechoseavecmoi,c’estquejenetelaissepasfaire.—Tum’énerves,marmonnai-je.Ilretiralespiedsdelabalustradeetposasabouteilleparterre,àcôté
desachaise.—J’aiquelquechoseàtedire.Tun’espasobligéedemerépondre.
Tu n’es pas obligée de dire quoi que ce soit. J’aimerais juste que tum’écoutes.
—Jevaisêtrefrancheavectoi, luidis-jeenmetournantverslui.Jenesaispasdutoutdequoituveuxmeparler.
Ilesquissaunsourireencoin.—Tulesaurasbienasseztôt.J’attendis.Sebastianmeregardadanslesyeux.—Quelâgeonavaitquandons’estrencontrés?Sixans?Sept?—Huit,répondis-jesanssavoirquelétaitlerapport.Onaemménagé
iciquandj’avaishuitans.Tujouaisauballonavectonpèredanslejardinderrièrecheztoi.
—Oui,c’estça.Tuétaissurlebalconettumeregardais.J’enrestaibouchebée.—Tum’asvue?Nousn’avionsjamaisdiscutédecejour-là.Pourquoil’aurait-onfait?
J’ignoraisqu’ilm’avaitremarquée.Lelendemain,ilavaitfrappéàlaporteetm’avaitdemandésijevoulaisfaireduvéloaveclui.
—Je t’aivue,meconfirma-t-ilenposant lamainsurmonbras.J’aiaussientendutonpèretecrierdetedépêcherderentrerpourdéfairelescartons.Jecroisquetuluiasréponduquefairetravaillerlesenfantsétaitinterdit.
Jenepusréprimerunsourire.—Çameressemblebien.—C’estàcemomentquejesuistombéamoureuxdetoi.Jeclignailesyeux.—Qu…Quoi?Comme il regarda soudainpar terre, ses cils dissimulèrent ses yeux.
Seuleunefaibleampoulenouséclairaitdansl’obscurité.—Quandtum’asembrassé,auborddulac,j’aiétédéstabilisé.Mesyeuxs’arrondirent.Qu’était-ilentraindesepasser?— Je ne regrette pas. Ça nem’a pas déplu. C’est juste que je n’ai
jamaiscruquetu…mevoyaisdecettefaçon.(Lerirequiluiéchappaétaitgêné,dénuédeconfianceensoi.)Non.C’estfaux.J’avaisdesdoutes.Jeregretted’avoirpaniqué.Siseulementjet’avaisembrassée,moiaussi.Siseulement, je…Si seulement je t’avais embrassée à la piscine… (Il pritune grande inspiration et releva les yeux versmoi.) J’en rêve depuis silongtemps.
—Quoi?répétai-je,hébétée.Sebastiannedétournapasleregard.—Jenesaispasàquelmomentleschosesontchangé,àquelmoment
j’ai commencé à te voir vraiment. Non, tu sais quoi ? C’est encore unmensonge.Jem’ensouviens trèsbien. Je suis tombéamoureuxde toiàl’instantoùjet’aientenduerépondreàtonpèrecejour-là.Maisjen’avaispaslamoindreidéedecequeçasignifiaitnidecequejeressentais.Ilm’afalludesannéespourcomprendre.LorsquetuascommencéàsortiravecAndre,toutestdevenuclair.J’étais…disonsquejen’étaispasravi.Jenel’aimais pas. Je trouvais que tu valaismieux et je ne supportais pas lafaçondontiltetouchaitsansarrêt.
Jerestaipétrifiée,àledévisager.
—Pendantlongtemps, jemesuisvoilélaface.Jemesuisconvaincuquej’étaisduravecluiparcequej’étaistonmeilleurami.Maiscen’étaitpasqueça.Chaquefoisque je levoyaist’embrasser, jevoulais luicollermonpoingdanslafigure.Quandjemerendaiscomptequ’ilétaitcheztoi,j’avaisenviedevousinterrompreetdem’assurerquevousnepouviezpasresterseuls.(Ilritencore.)Àbienyréfléchir,jel’aisouventfait.
Sebastiannementaitpas.Àplusieursreprises, ilétaitentrédansmachambre sans prévenir en passant par le balcon. Ce qui s’était parfoisavéré gênant. Il n’hésitait pas à s’installer sur le lit et à squatter machambrependantdesheures.Jemerappelaisqu’Andrenetrouvaitpasçaparticulièrementdrôle.
—Quandtul’asquitté,jen’aipasseulementressentidusoulagement.J’étaisfoudejoie.Jet’aientendueenparleravecAbbietjemesouviensd’avoirpensé:«C’estmachance!»
Moncœurs’arrêta.Net.—Mais…tuétaisavecSkylar…—C’estlaraisonpourlaquellejel’aiquittée.Elleavaitraisonquand
elledisaitquejemesouciaisdavantagedemesamisqued’elle,maisellen’avaitpastoutcompris.L’amiedontjemesouciaisdavantage,c’étaittoi,medit-il.Jepensaisàtoidelafaçonquej’auraisdûpenseràelle.
J’ouvrislabouche,ébahie.—Jen’ai jamais cruune secondeque tupouvais ressentir lamême
chose.Jenevoulaispasdétruirenotreamitié.(Sebastiansepenchaversmoi.Sonvisagen’étaitplusqu’àquelquescentimètresdumien.)Lorsquetu m’as embrassé, j’ai… J’ai paniqué. Je me sens vraiment bête,maintenant.J’auraisdûdirequelquechose.Jenepeuxpasretournerenarrière,maisjeveuxquetusachesquejeneregrettepascebaiser.Cequejeregrette,c’estdenepast’avoirembrasséeenpremier.
Sebastianpritunegrandeinspiration.—Cejour-là,jecomptaisteledire.C’estpourçaquejet’aiditqu’il
fallaitqu’onparle.Avec lerecul, j’auraisdûdemanderàSkylardenouslaisser. Je regrette tellement !Car si je l’avais fait, je… jenepensepas
quetuseraismontéedanscettevoiture.Onnelesaurajamais,mais…Jesuisamoureuxdetoi,Lena.Maintenant,tulesais.(Unrireunpeuforcélui échappa encore.) Je… Je t’aime vraiment beaucoup et j’aurais dût’embrasser, devant la piscine. J’aurais dû te dire que… (Il se racla lagorge.)…quej’aienviedet’embrasserdepuistrès longtemps.Quejenetevoispasseulementcommeuneamie.
Était-ceunrêve?Celayressemblait.J’attendaisd’entendrecesmotsdepuistoujours.
— Je pense… Je pense savoir ce que tu ressens, mais tu n’es pasobligée de me répondre tout de suite, dit-il en me regardant dans lesyeux,commepourjaugermaréaction.Jevoulaisjusteteledire.
Jemecontentaideledévisager.Jen’arrivaispasàcomprendreoùilvoulaitenvenir.
Enfin,si.Jecomprenais.Ilmedisaitqu’ilavaitenviedem’embrasser.Depuisdesannées.Qu’ilm’aimait.D’amour.Depuis longtemps.Lechocme rendait muette. J’avais gagné le gros lot. Mes rêves devenaientréalité…maispourquoifallait-ilquecelaarrivemaintenant?Alorsquejeneméritaispluslebonheur?Alorsquequatredemesamisétaientmorts,parmafaute?
Jesecouailatête.—Pourquoi…pourquoimaintenant?Pourquoiest-cequetu…?(Ma
voixsebrisa.)Pourquoiest-cequetuasattenduçapourmel’avouer?—Jen’auraispasdûattendre.—Tuas le pire timingde l’histoire. (Jeme levai pourmettrede la
distanceentrenous.Lemouvementbrusqueréveillaladouleurdansmescôtes.)Lemomentestmalchoisi,Sebastian.
—Moi,jecrois,aucontraire,quelemomentestidéal,rétorqua-t-ilenmeregardantcontournerlachaise.Parceque,tusaisquoi?Attendreesttroprisqué.Iln’yapasdemauvaismomentpourdireàquelqu’unqu’onl’aime.
Sebastian m’aimait. Il m’aimait ? Non, c’était impossible. Pasmaintenant.Ilauraitfalluqu’ilmelediseavant.
Lorsquejereculaiendirectiondemachambre,ilselevaetmesuivit.Jemeretrouvaidoscontre laporte.Jepassai lamainderrièremoipourl’ouvrir,maismefigeaienlevoyants’approcher.
Debout devant moi, il posa la main contre la vitre, à côté de monvisage.
—Lemeilleurmomentpourteledireauraitsansdouteétéquandjeme suis rendu compte de mes sentiments pour toi, souffla-t-il en sebaissant vers moi. (Mon cœur s’emballa. On aurait dit un marteaupiqueur.)Depuis,j’aieudescentainesd’occasionsdelefaire.
—Jen’arrivepasàréfléchir.Mavoixétaitrauque.Lesyeuxécarquillés,jeledévisageai.— Tu n’as pas à réfléchir. Je voulais juste clarifier les choses.
(Sebastiandéposaunbaisercontrematempe.Jefermailespaupières.)Àquoi ça sert d’attendre ? Qui peut dire si on sera encore là demain ?L’accidentnousarappeléque,danslavie,rienn’estjamaiscertain,qu’iln’yapastoujoursun«plustard».(Ilm’embrassadenouveaucontrelatempeavantdereculeretdemeregarderdanslesyeux.)Alorsj’aidécidéd’arrêterdevivrecommesij’avaisl’éternitédevantmoi.
CHAPITRE19
En temps normal, ma première réaction aurait été d’appeler mesamies.Laconversationquej’avaiseueavecSebastianétaituncoderouge.J’avaisbesoindelaraconterencoreetencoreàquelqu’un.
Maisplusrienn’étaitnormal.Je mourais d’envie d’appeler Abbi et Dary. J’avais failli le faire le
dimanchematin,mais jem’étais contentée de fixermon téléphone desyeux jusqu’à ce que des larmesme troublent la vue. Je n’avais pas étécapable de composer leurs numéros. J’avais l’impression de ne plus enavoirledroit.Aprèscequis’étaitpassé,ellessemoquaientsansdoutedecequim’étaitarrivéavecSebastian.
Àprésent,onétaitlundisoiretj’étaisassisesurmonlitentraindemerongerlesonglescommeunemortedefaim.Untoutautreproblèmemepréoccupait.
Lemédecinm’avaitautoriséeàretournerau lycéedès le lendemain.Jen’avaispluslechoix.Biensûr,sijedisaisàmamèrequejenevoulaispas y aller, elle contacterait le secrétariat pour le leur dire, mais elledemanderait sansdouteun jourde congéà sonpatronpournepasmelaisserseule.LoriétaitrentréeàRadford.Ilyavaittoujourslapossibilitéd’appelermonpère,maisj’ignoraisoùilsetrouvaitetmamèresavaitquecela ne me plairait pas. Dans tous les cas, même si son patron s’étaitmontréextrêmementcompréhensif,jenevoulaispascauserdeproblèmesàmamère.Alorsj’iraisaulycéelelendemain.Jeverraistoutlemonde.Jenepourraisplusmecacher.
Sebastianm’accompagnerait envoitureet,Seigneur, ilne fallaitpasquejepenseàluisinonj’allaisressasserjusqu’àl’obsessionsesparolesdesamedisoir.
«C’estàcemomentquejesuistombéamoureuxdetoi.»Jesentismoncœurs’affolerdansmapoitrine.Il faut que je pense à autre chose. Je tentai d’oublier l’aveu de
Sebastian.Malheureusement,c’étaitaussiaiséquedescendreunescalierlesjambesligotées.Unfrissondescenditlelongdemacolonnevertébrale.Mon regard se posa sur la mappemonde accrochée au-dessus de monbureau. Quelques années auparavant, j’avais attrapé un feutre bleu etentourélespaysquejevoulaisvisiter.Sebastianavaitfaitlamêmechoseavec un feutre rouge. De nombreuses destinations se recoupaient. Àl’époque,nousavionstreizeouquatorzeans.
Était-ildéjàamoureuxdemoi?Je fermai les yeux. L’espace de quelques secondes, un ou deux
battements de cœur, je laissai le souvenir de ses paroles pénétrer mapeau,sefrayeruncheminàtraversmesmusclesetvenirsegraverjusquedansmesos.Monpoingsefermacontremapoitrineetmonestomacserenversa comme si j’avais été sur des montagnes russes. Durant cesquelquessecondes,jem’autorisaiàimaginermavietellequ’elleauraitdûêtre.
Sebastianm’auraitavouéqu’ilm’aimait.Onseseraitembrassés,avecplusd’ardeurqu’avant.J’auraisréponduàsonbaiser.Ilestfortpossiblequ’onseseraitlaissésunpeuemporter.Peut-êtremêmequ’onseraitallésplusloin,etcelaauraitétéincroyable,parfait.Onseraitallésaucinéma.On se serait tenu la main au lycée et on se serait rendus aux fêtesensemble.Tout lemondeaurait souri etmurmuré « c’estpas trop tôt »dansnotredos.Onauraitpassénotretempsànoustoucheret…
Delamain,j’essuyaimesjoueshumides,puisjeglissaijusqu’auborddu lit et posai les pieds par terre. Ce n’est que lorsque jeme levai quej’ouvrislesyeux.Unedouleurintensemetraversalethoraxetmeramenaàlaréalité.Jeprisuneinspirationtremblante.
Laculpabilitém’envahit,écrasante.De quel droit pensais-je à ce genre de choses ? Je me sentais
tellement, jene saispas…égoïste !C’étaitmal. J’ignoraisceque j’étaiscenséeressentiroucommentj’allaispouvoircontinueràavancer,maisjesavaisquejeneméritaispasuntelbonheur.
Pasmaintenant.Peut-êtreplustard,dansunecentainedelendemains.Maispasaujourd’hui.
—Tuessûrequetutesensprête?Assiseàlatabledelacuisine,jerelevailatêteetfistomberlesmiettes
debiscuitsaccrochéesàmesdoigts. Jen’avaispas faim,mais jem’étaisforcéeàmanger.Lesrestesdemonpetitdéjeunersucrés’accrochaientàmagorgecommedelasciure.
—Oui.Mamèresetenaitdevantl’évier.Elleavaitenfiléunpantalonnoiret
unchemisierbleuclairpourallertravailler.Enapparence,elleavaitl’airde la professionnelle parfaite,mais je savais, à son regard, qu’elle étaitinquiète.
— Si tu ne te sens pas bien ou si tu es fatiguée, je veux que tum’appellestoutdesuite.Jeviendraitechercher.
— Tout va bien se passer, lui dis-je en me levant. (Je froissai maservietteenpapieretallailajeteràlapoubelle.)Nepassepastajournéeàt’inquiéterpourmoi.
—Jesuistamère.C’estmonboulot.Unlégersourireétirameslèvres.—Tout irabien.Promis.Lemédecinaditquemaguérisonétaiten
bonnevoieetquejenedevraisrencontreraucunproblème.—Jesais.J’étaislà.Maisilnousaaussiavertiesquecinquantepour
cent des personnes qui ont souffert d’un pneumothorax subissent unerechute.
—Maman…Je soupirai. Avant que j’aie eu le temps de dire quoi que ce soit
d’autre,onfrappaàlaporte.Quandelles’ouvrit,jemetournailentementversl’entrée.Moncœurbattaitlachamade.
—Bonjour,ditSebastian.C’estmoi.Lesouriredemamèresemblailluminerlapiècecommeunsoleil.Des
bruitsdepass’approchèrentdelacuisine,puisSebastianapparut.Ilavaitles cheveux humides et son tee-shirt usé mettait en valeur ses largesépaules.
Ilétaitvraimenttrèsbeau.Jemepassailesmainssurlejean.Toutàcoup,manervositén’avait
plusrienàvoiraveclelycée.Dimanche,Sebastianétaitrevenumerendrevisite et n’avait pasmentionné une seule fois la conversation que nousavionseuelaveille…maiselleétaitlà,danssesyeux,danslafaçondontilmetouchaitoupressaitsajambecontrelamienne.
—Bonjour,répéta-t-ilenentrantdanslapièce.Tuesprête?Jehochailatête.Ilfallaitquejemereprenne.—J’aimeraisquetumerendesunservice,luiditmamèretandisqu’il
s’approchaitdemoi.(J’étaisrestéefigéedevantl’évier.)J’aimeraisquetugardesunœilsurLena.
—Maman,grognai-je.Ellenemeprêtapaslamoindreattention.—Jeneveuxpasqu’elleenfassetrop.Lajournéevaêtrelonguepour
elle.J’écarquillai les yeux. Sebastian venait de passer un bras sur mes
épaules. Il l’avait fait des centaines de fois et faisait attention à ne pasmettretropdepoidssurmondosetmescôtes,mais je fus incapablederéprimerunfrisson.
Sebastianlesentit.Jelesavaisparcequ’ilavaitunsouriremalicieuxauxlèvres.
—Nevousinquiétezpas,madameWise.Jenevaispaslaquitterdesyeux.
Oh,monDieu.L’enviedemelaisserallercontreSebastianetdecollermajouecontre
sontorsefaillitavoirraisondemoi,maisjeréussisàm’écarterpourallercherchermonsacàdos.L’enfileràmonépaulefutdouloureux.Ilfaudraitquejem’ensouvienne.
—Onferaitmieuxd’yaller.Onvaêtreenretard.—Lemondeextérieurt’attend!s’exclamaSebastianenattrapantles
livresquejedevaisrangerdansmoncasier.Ma mère nous suivit jusqu’à la porte. Avant que je descende les
marchesduperron,ellemeretintetmepritlevisageentresesmains.—Je t’aime,murmura-t-elleavec ferveur.La journéevaêtre longue
pourtoi.(Ellemeregardaitdanslesyeux.)Pourdenombreusesraisons.—Jesais.Dessanglotsavortésmebrûlaientlesyeuxetlagorge.MamèremelibéraetsetournaversSebastian.—Jetelaconfie.Ellemeconfiaitàlui?Jegrimaçai,maisniluiniellenes’enrendirent
compte.—Comptezsurmoi,luipromit-il.Etilyavaitunesolennitédanssesmots,commes’ilprêtaitserment,
commes’ilacceptaituneresponsabilitétacite.—Merci,luiditmamèreenluitapotantl’épaule.Jemeretinsàpeinedeleverlesyeuxauciel.—Ondevraityaller,insistai-jeendescendantl’allée.Riantdanssabarbe,Sebastiandévalalesmarchespourmerejoindre.
Jefisunsignedelamainàmamère,puistraversailejardinetfranchisleportillonendirectiondechezSebastian.
— Tu sais, lui dis-je en repositionnant l’anse de mon sac sur monépaule,tun’aspasàt’occuperdemoi.
Grâceàsesgrandesenjambées,Sebastianm’avaitdépassée.—Si.(Ilchangeameslivresdebraspourouvrirlaportearrièredesa
Jeep,puislesdéposaàl’intérieur.)Jeveillesurtoidepuispluslongtemps
quetunelepenses.Leslèvrespincées,jeluiadressaiunregardagacé.—Queveux-tuquejerépondeàça?—Rien. (Il passa les doigts sous l’anse demon sac etme le retira.
J’inspiraidoucement.)Tuasl’airbeaucoupmieux,aujourd’hui.Commejenem’attendaispasàcecompliment, jeclignai lesyeuxet
baissailatêtepourmeregarder.Jeportaisunvieuxtee-shirt,unjeanetdestongsquipartaientenmorceaux.
—Tutrouves?—Oui.Ilplaçamonsacàl’arrièredelaJeepavantderefermerlaportière.Il
se tourna versmoi et s’approcha jusqu’à ce que ses pieds touchent lesmiens.Jeduspencherlatêteenarrièrepourleregarderdanslesyeux.
—Tun’asplusunseulbleusurlevisage.Jefaillisbiennepascomprendrecequ’ildisaittantj’étaistroublée.— Ils avaient presque tous disparu, mais tu avais encore quelques
marques,parici.Son pouce glissa sur le côté gauche de ma mâchoire. J’en eus le
soufflecoupé.Sonintenseregardbleunuitcroisadenouveaulemien.—Iln’yenaplusaucun.—C’estvrai?soufflai-je.—Oui…(Sonpoucecontinuaitdemecaresserlevisage.)C’étaittrès
léger,maisjelevoyais.Jefrissonnai.Ilremontalégèrementjusqu’àmeslèvresetlescaressadoucement,du
boutdesdoigts.Ilbaissalatête.—Çane vapas être facile, aujourd’hui, dit-il d’une voixplus grave
qu’àl’accoutumée.Physiquement,tutefatiguesencorevite…(Sonpoucepassa de nouveau surma lèvre inférieure.) Et toutes ces émotions vontt’épuiser. Le jour de la rentrée, j’ai… Je ne sais même pas commentl’expliquer.
Chaquecellule,chaquemuscledemoncorpsétaittenduetdétenduàla fois. J’avaisdumalàmeconcentrer surcequeSebastiandisaitalorsqu’il me touchait comme il ne l’avait jamais fait auparavant, commej’avaistoujoursrêvéqu’illefasse.
— Toi… Toi, tu as encore fait des recherches sur la psychologie,soufflai-je.
Onauraitditquejehaletais.Sebastianaffichaunsourireencoin.— Disons que ces derniers temps, j’ai beaucoup parlé… et écouté,
aussi.Surprise, je penchai la tête sur le côté. J’étais sur le point de lui
demander ce qu’il voulait dire lorsque, soudain, il déposa un baiser aucoindemeslèvres.Cefutbref,encoreplusquelebaiserauborddulac,pourtantjeleressentisauplusprofonddemonâme.
—Qu’est-cequetufais?hoquetai-je.Ilreculaetsesyeuxvoilésmedétaillèrentdelatêteauxpieds.—Jetiensmespromesses.
Quandj’entraidanslapremièresalledecours,unmotm’attendait.Laprofesseurem’interpellaavantquej’atteignemonbureaupourmetendreune feuille de papier. Son visage parcheminé arborait une expressioncompatissante.
—Tuesattendueaubureaudelaviescolaire,mapuce.Mapuce?Personnenem’avaitjamaisappeléeainsiaulycée.Malgré
tout,j’acceptailemotetressortisdelasalle.Je gardai la tête baissée. Pour entrer. Pour sortir. Dans le couloir.
Mêmedevantmoncasier,oùSebastianm’avaitaidéeàrangermeslivresavantdem’embrasserencoreunefois,surlajoue,etdemelaisserpourallerencours.
Tout le monde me regardait et murmurait derrière mon dos. Enrefermant la porte de mon casier, j’avais commis l’erreur de relever latête.Unefilleàlaquellejen’avaisjamaisparlés’étaitprécipitéeversmoi
etm’avaitprisedanssesbras.Ellem’avaitensuitedébitéunmonologueextrêmement gênant pourm’expliquer qu’elle était désolée pourmoi etqu’elleétaitcontenteque jesoissaineetsauve.Jeneconnaissaismêmepas son prénom. Quelque chose me disait qu’avant l’accident elle nesavaitpasquij’étaisnonplus.
J’étaisrestéeplantéelà,sanssavoirquoifaire.Notefroisséeàlamain,jemedirigeaiversl’entréedulycéeetpoussai
les portes en verre qui menaient au bureau de la vie scolaire. Uneemployée administrative était assise à l’accueil.C’était une vieille damequiportaitlerougeàlèvresleplusrosequej’avaisjamaisvu.
Jem’approchaid’elle.—Onm’aditdevenirici.Jem’appelleLenaWise.— Oh ! (Quand elle reconnut mon nom, ses yeux chassieux
s’illuminèrent.)Resteici.Jevaisleurdirequetuesarrivée.Leurdire?Décontenancée,jereculai.Quesepassait-il?J’observaila
vieille dame traverser l’étroit couloir quimenait aux autres bureaux. Jen’attendispas très longtemps.Ungrandmonsieurauxcheveuxargentésvintbientôtàmarencontre.
— Mademoiselle Wise ? dit-il en me tendant la main. Je suis leDrPerry.Jefaispartiedel’équipequiaétéappeléeicisuiteauxrécentsévénements.
Oh.Oh,non!—Vousvoulezbienvenirdiscuteravecmoi,quelquesminutes?Il se plaça sur le côté et attendit.Cen’était pas comme si j’avais le
choix.Ravalantunsoupir,jemedirigeaiàmontourdanslecouloiretsuivis
le Dr Perry dans une salle de réunion, d’habitude réservée aux rendez-vousaveclesparents.Despostersstupides,censésêtreinspirants,étaientaccrochés auxmurs. Dessus, des chatons s’accrochaient à des cordes etvantaientlesméritesdutravaild’équipe.
Je laissai tomber mon sac par terre et m’assis sur une chaise enplastique inconfortable tandis que ledocteur allait s’installer en facedemoi de l’autre côté du bureau. Une tasse, proclamant qu’il était le«meilleur Papa dumonde » (sans doute un cadeau de fête des Pères),étaitposéeàcôtéd’undossierfermésurlequelétaitinscritmonnom.
—Est-cequejepeuxt’appelerLena?medemanda-t-il.J’acquiesçaietglissailesmainsentremesgenoux.Lemouvementtira
surmonbrascassé.Jelerelevaietposaileplâtresurlatable.—Parfait,s’exclama-t-ilavecunsourire.Commejetel’aidéjàdit,je
suisleDrPerry.J’aimonproprecabinet,maisjetravailleégalementdansles différentes écoles de la région lorsqu’il n’y a pas suffisamment depsychologuesattitrés.
Ilme déclina alors tout son pedigree. Je devais admettre qu’il étaitimpressionnant:universitéd’ÉtatdePennsylvanie.UniversitéBrown.Destasdediplômesdontlestitresauraienttoutaussibienpuêtreenlangueétrangère.Puislaconversationrevintàmoi.
—Commenttesens-tu?Tuescontented’êtrerevenueaulycée?—Ça va, répondis-je en croisant les chevilles. Je suis… jeme sens
prête.Ilposaunbrassurlebureau.—Cenedoitpasêtrefaciled’avoirmanquédeuxsemainesetdegérer
lamortdetesamis.Son franc-parler me surprit tellement que je sursautai. C’était la
première personne à aborder le sujet de manière aussi directe en maprésence.
—Je…C’est…(Jeclignailesyeux.)C’estcompliqué.— J’imagine. La mort de quatre jeunes gens qui avaient un avenir
brillant devant eux n’est pas évidente à accepter. Et encore moins àcomprendre.(Pendantqu’ilparlait,ilsemblaitjaugermaréaction.)C’estencoreplusdifficilepourtoi,quiétaisdanslavoitureaveceux.Tuasétégravement blessée et, selon ton dossier, tes blessures t’empêchent dejouerauvolley-ball?Celafaitbeaucoup.
Jemecrispai.Aussitôt,unedouleuraiguëmeparcourutlapoitrine.Jejetaiuncoupd’œilàlaporte.Avecunpeudechance,jepouvaisréussiràm’échapper.
—Onneparlerapasde ça aujourd’hui,medit-il d’une voixdouce.Détends-toi.
Jereportaimonattentionsurlui.—Aujourd’hui?— Nous allons nous voir trois fois par semaine pendant un mois,
m’annonça-t-il en attrapant sa tasse.Visiblement, tamèrene t’en apasinformée.
Elleavaitoubliédementionnercelégerdétail.Énervée,jecroisailesbrassurmonventre.
— Normalement, nos sessions auront lieu les lundis, mercredis etvendredis.Aujourd’hui,c’estunpeuparticulierpuisquec’esttarentrée.Àpartirdedemain,onsuivranotreemploidutemps.
Troisfoisparsemaine?MonDieu…Jesoufflaibruyammentetlevailesyeuxpourregarderleplafond.
—Jenecroispasquecesoitnécessaire.Ilsirotasoncafé.—Jepensequesi,aucontraire.Tun’espaslaseuleàvenirnousvoir
ici,tusais?Tun’espasseuledanstonchagrin.Jebaissailatêtepourleregarder.J’auraisvoululuidemanderdequi
il parlait. S’agissait-il de Sebastian ? Cela aurait expliqué sa soudaineclairvoyanceparrapportàcequejeressentais.
Je ne posai pas la question. Après tout, il n’était sans doute pasautoriséàdivulguercegenred’informations.
—Personnenesemoqueradetoiparcequetuviensmevoir.Jen’enétaispassicertaine.Iloubliaitqu’onétaitaulycée.Jugerles
autresétaitmonnaiecourante.—Tuenasbesoin,Lena.Tun’enaspeut-êtrepasl’impressionpourle
moment,etaudébut,tutrouverassansdoutequecesrendez-voustefont
plusdemalquedebien…mais tunepeuxpas toutgarderen toi. Ilvafalloirqueçasorte.
Serrantlesdents,jenedisrien.Ilm’examina.J’avaislasensationdésagréablequ’illisaitenmoi,qu’il
devinaitleschosesdontjenevoulaispasparler.—Laculpabilitéquel’onressentlorsqu’onestl’uniquesurvivantd’un
accident est très lourde à porter, Lena.On appelle cela le syndromedusurvivant.Cen’estpasunechosequ’ilfautprendreàlalégère.Tunetedébarrasseras jamaisentièrementdecefardeau,maisensemble,onpeutparveniràl’alléger,àlerendresupportable.
Jesoufflaidoucement.—Comment?—Je saisquepour lemomentcela teparaît impossible,mais lavie
continue. Tu seras là demain. La semaine prochaine. Lemois prochain.L’annéeprochaine.Dansquelquetemps,turéussirasàallerdel’avant.
Effectivement,celameparaissaitimpossible.—Je…jenepensaispasqueçapouvaitnousarriver,murmurai-jeen
fermant brièvement les yeux. Je sais que c’est idiot,mais je ne pensaisvraimentpasqueçapouvaitnousarriverànous.
— Ce n’est pas idiot. Personne ne réfléchit à ce genre de choses.Personnenecroitquelaprochainefoisçapourraitêtresoi.
Lorsqu’ils’interrompit,jecomprisqu’ilétaitaucourant.Ilsavait.Mesyeuxseposèrentsurledossierdevantluietlesbattementsdemoncœurs’emballèrent.Avait-ilparléà lapolice?Àmamère?Quandilreprit laparole, j’aurais voulu me lever et m’enfuir de cette pièce, mais j’étaiscommecolléeàmonsiège.
—Jesaistout.
CHAPITRE20
—Tunevaspasàl’entraînementdevolley?medemandaDary.—Pasaujourd’hui.Jene luidonnaipasplusd’explications.Notreentraîneurétait venu
me voir àmon casier après la pause déjeuner. Ilm’avait demandé si jecomptais assister à l’entraînement. Je lui avais répondu que je mefatiguaisviteetquemamèrepréféraitmesavoiràlamaison.
Cen’étaitpastoutàfaitunmensonge.Quandilm’avaitditqu’ilespéraitmevoiràl’entraînementlasemaine
suivante,j’avaishochélatête.Celaauraitétél’occasionparfaitepourluiannoncer que je quittais l’équipe, mais j’avais choisi de repousserl’échéance.
End’autrestermes,jem’étaisdéfilée.Sebastian avançait devant nous dans le couloir, en dehors du
gymnase,sonsacàdosàl’épaule,lemienàlamain.—Lavueestplutôtpasmal,mesoufflaDary.Un sourire fatigué étirames lèvres. Je ne pouvais pas le nier, et en
même temps, la seule chose dont j’avais envie était de faire la sieste.J’étaisvidée.
De l’autre côté de Dary, Abbi tapait sur l’écran de son téléphone àtoutevitesse.
—Ilesttellementserviable!Surprise,jemetournaiverselle.Quecesoitenchimieouàlacantine,
Abbi avait été peu bavarde. Tout le monde avait discuté sauf elle. À
l’instardelafillequim’avaitprisedanssesbraslematinmême,d’autrespersonnesm’avaientapprochéedanslajournée.J’avaisreçudescâlinsetdes vœux de rétablissement de camarades que je connaissais à peine.D’autres,commeJessicaetsesamies,restaientàl’écart,maisétantdonnéque Jessica était sortie avec Cody, ce n’était pas étonnant. Skylar nem’avaitpasadressélemoindreregardnonplus.
Dans tous les cas, j’avais la nette impression qu’Abbi m’en voulait,mais j’ignoraispourquoi.Elleavait tantde raisonspotentiellesd’êtreencolèrecontremoi.
—Oui,ilest…serviable.— Ça s’appelle comme ça, maintenant ? plaisanta Dary. Quand un
mect’aimebien,ilestserviable?—Ditcommeça,c’estmignon,réponditAbbi,lesyeuxrivéssurledos
deSebastian.Leschosesontchangé,entrevous?J’ouvris la bouche pour leur raconter ce que Sebastian m’avait dit
avant de me reprendre. J’étais certaine qu’elles s’en moquaient. MonabsencederéponsesemblaagacerAbbi.
Quandon sortit du bâtiment, le ciel était gris et l’odeur de la pluieimprégnaitl’air.
Visiblementinquiète,Darynousobserval’uneaprèsl’autre.— Et si on se retrouvait tout à l’heure pourmanger unmorceau ?
Comme…Commeavant?Commeavant,avecMegan.— Je ne sais pas, répondis-je d’une voix rauque. J’ai beaucoup de
travailàrattraper.Lesourireencoind’Abbiétaitamer,savoix,tranchante.—Biensûr.L’estomacnoué, jemetournaivivementverselle.Abbi fitunemoue
agacée.—Tuseraspeut-êtrepluslibrelasemaineprochaine?demanda-t-elle.Jehochailatêteetmurmurai:—Sansdoute.
—Jevousenvoieunmessagetoutàl’heure!s’exclamaDaryavantdenousembrasserchacunesurlajoue.
Aprèsnousavoirsaluées,elles’éloignaverssavoiture.Devantnous,Sebastianseretournapourmeregarder.Ilétaitpresque
arrivé à sa Jeep et je savais qu’il n’avait pas beaucoup de temps àmeconsacrer,maisilfallaitquejeparleàAbbi.Lesquestionss’amoncelaientdansmonesprit. Jesavaisque j’auraismieux faitdemetaire,mais j’enétaisincapable.
Aussim’arrêtai-jeetmetournai-jeverselle.—Onpeutdiscutercinqminutes?Ellehaussalessourcilsetrelevadoucementlesyeuxdesonportable.
Sonregardn’étaitpashostile,maisiln’étaitpasfranchementamicalnonplus.Ilyavaitcommeunmurentrenous.
—Qu’ya-t-il?Prenantunegrandeinspiration,jeluidemandai:—Tues…encolèrecontremoi?Abbibaissasontéléphoneetpenchalatêtesurlecôté.L’espaced’un
instant,jecrusqu’ellen’allaitpasmerépondre.—Jepeuxêtrehonnête?Moncœurseserra.—Onatoujoursétéhonnêtesl’uneenversl’autre.Ellelevalesyeuxverslesgrosnuagesetsecoualatête.—Laisse-moiteposerunequestion.—D’accord.— Qu’est-ce qui se passe entre vous deux ? demanda-t-elle en
désignantSebastiand’ungestedumenton.—Rien,répondis-jeaussitôt.Ilm’aide,c’esttout.— Tu es sérieuse ? C’est tout ce que tu as à dire ? (Ses doigts se
resserrèrentsurl’ansedesonsac.)Jesaisqu’ilnefaitpasquet’aider.—Il…—IladitàSkylarqu’ilétaitamoureuxdetoi,m’interrompit-elle.Sonregardétaitglaçant.
Jeclignailesyeux.—Iladitquoi?— Skylar a dit à Daniela que Sebastian lui avait avoué qu’il était
amoureux de toi. C’est pour ça qu’ils ont rompu, au printemps,m’expliqua-t-elleensedandinantd’unpiedsurl’autre.Ilnepouvaitpasseremettreavecelleparcequ’ilavaitdessentimentspourtoi.Ettoi,tuesen train de me dire que tu ne le savais pas ? Depuis le temps qu’ilt’obsède,tunet’esjamaisdoutéederien?Ettuvasmefairecroirequ’iln’ajamaisétéhonnêteavectoiàcesujet?
—Je…Je reculai.Mes yeux trouvèrent Sebastian. Il était en train de poser
monsacsurlabanquettearrière.—Jen’arrivepasàcroirequetunem’enaiespasparléalorsqueje
saiscequeturessenspourlui!J’étaislàquandtuétaisbouleverséeparceque tu l’avais embrassé et qu’il n’avait pas l’air intéressé, dit-elle d’unevoixcassée.Jesuisl’unedetesmeilleuresamies,etmoi,jesuistoujourslà.Jesuistoujoursvivante.Pourtant,tunem’enaspasparlé.Tunem’aspasparléd’unechosetrèsimportantepourtoi.
Seigneur.Moncorpstoutentiertremblait.Jenem’étaispasattendueàavoircetteconversationavecelle.
—Jen’avaispasenvied’enparler.Enfin,si.J’aivouluvousappeler,Daryet toi, à l’instantoùSebastianm’aavoué ses sentiments,mais j’aiencoredumalàycroire.Sadéclarationsortunpeudenullepart.Jenesais pas s’il est sincère ou s’il dit ça à cause de… ce qui s’est passé,m’empressai-je d’ajouter. Et puis je ne me sentais pas de parler deSebastianaprèsça.
—C’esttoutleproblème,Lena.Tun’espaslaseuleàavoirsouffert.D’accord,tuétaisdanslavoitureetjen’aipaslamoindreidéedecequetu as vu ou vécu. Pas la moindre. Et tu sais pourquoi ? Parce que turefusesd’enparler.TuneteconfiespasàDary…
—Jesuisrevenueaulycéeaujourd’hui,luifis-jeremarquer,lagorgenouée.Çafaitseulement…
—Troissemainesetdeuxjoursquevousavezeucetaccident.Jesais,rétorqua Abbi en respirant fort. Je sais parfaitement quand sont mortsMegan,Cody,PhillipetChris.Etjemerappelletrèsbienquej’aicruquetuallaismourir,toiaussi.
Jeprisunegrandeinspiration.—Abbi…Savoixsemitàtrembler.—Est-cequetuenasconscience?Est-cequetucomprendsqu’ona
touscruquetuétaismortedanscettevoiture?Ouquetuallaismouriràl’hôpital,commeCody?Qu’avecDaryetSebastian…(Elleledésignadudoigt.)Onavaitpeurdeça?Etquandonaapprisquetuétaisvivante,tun’asmêmepasdaignénousvoir!
Deslarmesmebrouillaientlavue.—Jesuisdésolée,murmurai-je.(Jenesavaispasquoidired’autre.)
Jesuisdésolée.Matête…Je…Abbilevalamain.—Jepeuxcomprendrequetuneveuillespasparler.Jepeuxmême
comprendrequetun’aiespasenviedediscuterdechosestriviales.Jesuisdésolée,jeneveuxpasêtreméchante.Jesaisquec’estdifficilepourtoi.Mais pour moi aussi ! Et pour Dary, Sebastian, Keith et toute l’écoleaussi!Enrevanche…(Elleserralespoingset levalatêteverslecielencomptant jusqu’à cinq à voix basse.)Ce que je ne comprends pas, c’estcomment tu t’es retrouvée dans cette voiture, Lena. Comment tu as pulaisser Cody conduire s’il était bourré. Tu n’as rien bu. J’étais avec toiavant que tu partes. Tu n’avais pas une goutte d’alcool dans le sang.PourtanttuesmontéedanscettevoitureettuaslaisséCodyconduire.
Jereculaicommesiellem’avaitfrappée.Audébut,jenesuspasquoidire,puislechoclaissalaplaceàlacolère,unecolèrenoireetardentequiexplosaenmoicommeunvolcan.
—Meganettoi,vousêtesalléesàcettefêteavecChris,alorsquevouspensiezqu’ilétaitivre.Tu…
—On le soupçonnaitd’avoirbu.Onn’enétaitpas sûres, rétorqua-t-elle,agacée.Etest-cequ’ilaquittélarouteettuéquatrepersonnes?Non.
Sa réponseme laissa bouche bée.Qu’aurais-je pu lui dire de plus ?Elleavaitraisonet,enmêmetemps,elleétaitcomplètementàcôtédelaplaque.Ellenesaisissaitpasàquelpointelleavaitdelachancedesetenirenviedevantmoi.Àquelpointnousavionstouteslesdeuxdelachance.
— Hé ! Tout va bien ? demanda soudain Sebastian qui nous avaitrejointes.
Il posa lamain contremes reins et porta son attention sur Abbi. Ilavaitlamâchoirecrispéeetleregarddur.
—Oui, dit Abbi avant de prendre une grande inspiration. Tout estparfait.Àplus.
Les épaules tendues, je l’observai se retourner et s’éloigner vers savoiture.Abbiavaitmenti.
Toutn’étaitpasparfait.Aucontraire.
Unefoisrentréechezmoi, j’entendismonportablesonnerdansmonsacàdos.Jesortismontéléphone.C’étaitmonpère.
—Ilnemanquaitplusqueça,marmonnai-jeenraccrochant.Jen’avaispaslaforcedeluiparler.Aussimetraînai-jejusqu’àmachambreetpassai-jel’heuresuivanteà
fairemesdevoirs.Dumoinsessayai-je,carjen’arrêtaispasdepenseràcequ’Abbi et le Dr Perry m’avaient dit. Quand ma mère rentra, je merésignaiàdescendrelarejoindre.Elleétaitentraindeposersonsacsurlatabledelacuisine.
—Alors,commentças’estpassé,aulycée?— Bien. (Jem’assis à la table.)Même si j’aurais préféré qu’onme
préviennequej’avaisrendez-vousavecunpsy.Mamèreretirasaveste.— Je ne t’en ai pas parlé parce que je savais que ça n’allait pas te
plaire et parceque jene voulais pas que tu t’inquiètes avantmêmed’y
aller.Lajournées’annonçaitsuffisammentdifficilesansquej’enrajoute.— Tu aurais mieux fait de me le dire, histoire que je me prépare
psychologiquement.Ellefitletourdelatableetvints’asseoiràcôtédemoi.—Lelycéem’acontactéelasemainedernièrepourmeparlerdeleur
cellule psychologique. J’ai pensé que ce serait une bonne idée que tuparlesàquelqu’un.
—Jen’ensuispassisûre,marmonnai-je.Mamèresouritlégèrement.—Ilfautquetut’ouvresàquelqu’un.J’auraispréféréquecesoitmoi,
maisceserasansdouteplusfacileavecuninconnu.(Elles’interrompit.)Dumoins,c’estcequeleDrPerrym’adit.
Jemepassaiunemainsurlevisageetfermailesyeux.— Est-ce que… Est-ce que tu lui as répété ce que j’ai avoué à la
police?—Jeluiaidittoutcequ’ilavaitàsavoir,répondit-elleenmeprenant
lamaingauche.Touslessujetsquetudevaisaborderaveclui.Jelibéraimamainetmelevai.Lacolèrequej’avaisressentieplustôt
enversAbbim’envahitdenouveau.—Jen’aipasenvied’enparler!C’estsidifficileàcomprendre?Ouà
respecter?Mamèremeregardadanslesyeux.—Danscettesituation, respecter tavolontén’estpas forcémentune
bonnechose.— Quoi ? m’exclamai-je en me retournant. Ce n’est même pas
logique!Çaneveutabsolumentriendire!Je me dirigeai vers l’escalier, bien décidée à aller bouder dans ma
chambre.—Lena.Jen’avaispaslamoindreenviedem’arrêter,maisjelefis,aubasdes
marches.—Quoi?
—Jenet’enveuxpas.Jemecrispai.Mamèresetenaitdansl’entrée.Lorsqu’ellecroisalesbras,sonvieux
chemisier bleu usé se tendit sous le geste. Je repensai à ce que Lorim’avaitdit.D’aprèselle,mamèresedébrouillaitbien,financièrement.Sic’étaitlecas,pourquoin’achetait-ellepasdenouveauxchemisiersaulieudeprendresoindesanciensàl’excès?
—Audébut, j’étaisénervée.Biensûr, j’étais rassuréeque tusoisenvie,mais je t’en voulais parce que tu avais pris unemauvaise décision.C’estfini.Jesuistoujoursaussibouleverséeparl’accidentetcequetuastraversé,maisjenet’enveuxplus.
Jemecontentaideladévisager.Commentpouvait-elledireunetellechose?Commentpouvait-ellenepasm’envouloir?
Ellepritunegrandeinspiration.—Jevoulaisquetulesaches.Jecroisquetuenasbesoin.Je ne savais pas quoi dire. Mes genoux étaient sur le point de me
lâcher.Mamèrenem’envoulaitpasetcelanemeplaisaitpas.Elleauraitdûmedétester.
Je me dépêchai de monter l’escalier avant qu’elle ne reprenne laparole.Jefisclaquerlaportederrièremoi.Enferméedansmachambre,jefissemblantdemeconcentrersurmesdevoirsetnedescendisaurez-de-chausséequepourledîner…parcequej’avaissentiuneodeurdepouletgrillé.
Riennepouvaitm’empêcherdemangerdupouletgrillé.Il était un peu plus de 19 heures lorsque j’enfilaimon pyjama : un
shortavecunvieuxdébardeur.Unecouverturesurlesjambes,j’étaisbiendécidéeàreprendremesdevoirs,maisjem’assoupisavantmêmed’avoirouvertmon livre d’Histoire. Ce ne fut pas un sommeil reposant. Jemeréveillaistouteslesquinzeminutes.J’ouvraisdenouveaulesyeuxlorsquej’entendisuneporteserefermer.Jetournailatêteendirectiondubalcon.Uncourantd’airétonnammentfroidparvintjusqu’àmoi.
Sebastianentradanslapiècesansunmot.
Avecungrognement, jesortisunemaindesous lacouvertureetmefrottailevisage.
—Tusais,cen’estpastrèslégalderentrerchezlesgenscommeça.—Mais si, répondit Sebastian en venant s’asseoir surmon lit. C’est
unemarquedegalanterie.Jebaissailamainetfronçailessourcils.—Commentça?—Je t’évitede te leverpour aller ouvrir laporte. (Ilme fit un clin
d’œil.Pourquoiétait-ilaussisexy?)Jenepensequ’àtoi.Levant les yeux au ciel, je me déplaçai de manière à ce que mes
jambespointentverslui.—Situledis.Etsijen’avaispasenviedetevoir?—Tuauraisfermélaporteàclé,merépondit-il.Situneveuxpasme
voir,tun’asrienàfairedeplus.Ilavaitraison.Jenel’avaispasfait,parcequej’avaisenviedelevoir.
Jelevoulaisici,avecmoi,alorsquejen’auraispasdû.Danstouslescas,ilétaithorsdequestionquejel’avoue.
—Tuempiètessurmaliberté.Sebastian rejeta la tête en arrière et rit à gorge déployée. Très fort.
J’écarquillailesyeux.—Chut!(Jemetournaivivementversmaporteclose.)Mamèreva
t’entendre.—Jesuisàpeuprèssûrqu’elleestaucourantquejevienstevoirtous
lessoirs.C’étaitplusoumoinscequem’avaitditLori.—Çam’étonneraitqu’ellesachequeturestesdesheures.—Non, sansdoutepas. (Il se laissa tomber sur le lit, la tête sur les
coussinsàcôtédemoi.)Tudormaisdéjà?Iln’estque21heures.—J’étaisfatiguée.Lajournéeaété…Jem’interrompis.Commentaurais-jepudécrirecequej’avaisvécu?—Elleaétéquoi?(Commejenerépondaispas,ilinsista.)Elleaété
quoi,Lena?
Jesoupiraibruyammentpourluifairecomprendrequ’ilm’ennuyait.— Difficile ! J’ai l’impression d’être unemamie de quatre-vingt-dix
ans.J’avaisenviedefairelasiesteaprèslacantine.Mescôtesm’ontfaitmaltoutelajournéeetjenepouvaispasprendremesmédicaments,sinonjemeseraisendormieencours.
—Et?mepressaSebastianquandjem’arrêtai.—Etc’étaitdifficile,c’esttout.Sebastian demeura silencieux. Je savais qu’il attendait que je
continue.Plusieurssecondess’écoulèrentavantquejereprennelaparole.—J’étaiscenséeavoircoursd’écriturecréativeavecMegan.C’était…
(J’avaisunebouledans lagorge.)C’étaitétrangedenepas laretrouveren cours et à la cantine. Je n’ai pas arrêté d’attendre qu’elle viennes’asseoir. Et ne pas aller à l’entraînement m’a fait bizarre. J’ai eul’impressiond’avoiroubliéquelquechosetoutelasoirée.
—Pareilpourlesgarçons.(Sebastiancroisalesbrassursontorse.)Jem’attends toujours à entendre Chris jeter des poids dans la salled’entraînement.ÀentendrePhillipsemoquerdesautres.OuàvoirCodyàcôtédemoi,pendantlesentraînements.
Nous étions confrontés à des pertes terribles. Tant de chosesn’auraientplusjamaislieu.Jefiscourirundoigtlelongdemonplâtreetinspiraidoucement.
—Onm’aobligéeàvoirunpsychologue.—Moiaussi,répondit-il.Jecroisquelamoitiédesélèvesdedernière
annéeyestpassée.Jeleregardaiencoin.—Jedoislevoirtroisfoisparsemaine.Jenelusaucunjugementsursonvisage.—Çateferasansdoutedubien.Jen’enétaispasaussisûrequelui.—Tuluiasparlé?Vraimentparlé,jeveuxdire?luidemandai-je.Ilneréagitpastoutdesuite.
—Oui. Çam’a aidé. (Son regard rencontra lemien.) Et ça t’aideraaussi.
Sauf que Sebastian ne portait pas le poids de la culpabilité quimerongeait.
—Qu’est-cequis’estpasséavecAbbi,toutàl’heure?medemanda-t-ilenroulantsurlecôtépourmefaireface.
Mesépauless’affaissèrent.Labrûlurefamilièredeslarmesmenoualagorge.
—Rien.—J’aipourtantl’impressiond’avoirinterrompuquelquechose.Vous
aviezl’airénervées.(Sebastianm’attrapalementonetmeforçaàtournerlatêteverslui.)Parle-moi,Lena.
Jebaissailesyeux.Lecontactdesesdoigtsmeréchauffalapeau.—Elle…Elleestencolèreaprèsmoi.—Pourquoi?medemanda-t-ilenmelibérant.Samainglissalelongdemamâchoire.Unfrissonmeparcourut.—Parcequeje…Parcequejelatiensàdistance,admis-jeenfermant
lesyeux.(Ilmecaressaitlescheveux.)Jenemeconfiepasàelle.Cen’étaitpaslaseuleraisondesacolère,maisjenepouvaispasme
résoudreàluiparlerdelaseconde,pasquandilmetouchaitainsi.—Jenefaispasexprès.C’estjusteque…Jemesensresponsable.Samainsefigea.—Lena,tun’espasresponsable.Cen’estpastoiquiconduisais.MonDieu.Ilnesavaitpas.Ilnesedoutaitderien.J’allaism’écarter
quand ilme retint. J’ouvris les yeux.Sesdoigts glissèrentdemanuquejusqu’àl’espaceentrenosdeuxcorps.
Sebastianétaitallongésurleflanc,àcôtédemoi,latêtesoutenueparsonbrasplié.Ainsi, ilmedominaitpresque. Il yavaitquelquechosedetrèsintimedansnospositions,commesinousnousétionsretrouvésainsides centaines de fois. Et c’était le cas, mais ce qu’il m’avait avoué lesamedi précédent changeait tout. Nous n’étions plus seulement deuxmeilleurs amis allongés côte à côte sur un lit. Il n’était plus seulement
monvoisin.Peuimportaitcequisepasseraitàpartirdemaintenant,nousne pourrions plus jamais revenir en arrière, et même si c’était ce quej’avaisdésirépendantsilongtemps,j’étaismortedepeur.
—Lena,murmura-t-il.Entreseslèvres,monprénomressemblaitàuneprière.—Jeneveuxplusparler,dis-je.Je…Jeveuxqueturestesici,maisje
neveuxplusparler.Il comprit tout de suite. Son regard changea. Un éclat vif remplaça
l’inquiétude. Il semordit la lèvre inférieure.Enun instant, l’atmosphèredelapiècesetransforma.Cefutradical.J’étaissurlepointdepleureretdem’enfuirquelquesinstantsauparavant,etvoilàquejemeretrouvaisaubordd’untoutautreprécipice.
Sebastianm’avaitditqu’ilm’aimait…qu’ilétaitamoureuxdemoi.Etmoi,jel’aimaisdepuis…depuistoujours.Jen’avaispas l’impressionde lemériter,pasplusquecette seconde
chancequis’offraitàmoi.Jen’auraispasdûavoir ledroitdesentirmarespirations’accéléreroucettechaleursoudainesubmergermessens.
Peut-être ne m’aimait-il pas de cet amour magnifique etinconditionnel que je lisais dans les romans qui jonchaient chaquecentimètrecarrédemachambre?Cettechaînequiconnectaitdeuxâmesentreelles, ce lien indestructiblequi survivait auxcirconstances lesplusterribles et aux décisions les plus difficiles. Il était clair que Sebastianpensait m’aimer, mais face à l’épreuve, il était courant de croire etd’éprouver des choses qui n’existaient pas vraiment. Avec le temps, cessentiments s’évanouissaient en même temps que la douleur diminuait.Puislaviereprenaitsoncours.
Pour l’instant, je n’avais pas envie de réfléchir à ce qui nous avaitamenésàcettesituationniàcequisepasseraitaprès.Jenevoulaispaspenserdutout.J’avaisseulementenviedemelaisserporterparl’incendiequis’étaitéveillédansmonbas-ventre,parcettedifficultéàrespirerquin’avaitrienàvoiravecmescôtesetmespoumonsblessés.
Peut-être réagissais-jeainsi à causedemon retourau lycée?OudemonentretiensurpriseavecleDrPerry,pendantlequelilm’avaitannoncéqu’il était au courant de tout ? Cela aurait aussi pu être lié à madiscussion avec Abbi, qui savait que j’avais quitté la fête suffisammentsobrepourfairelebonchoix…Àmoinsquecenesoitàcausedecequem’avaitditmamère.
OuparcequeSebastianm’avaitavouéqu’ilm’aimait.Ouunmélangeinextricabledetoutescesraisons,mais…nepouvais-
jepas,jenesaispas,fairesemblantl’espaced’uninstant?Fairecommesitoutn’étaitquedansmatête?Moncœurbattaitàtoutrompre.Mesyeuxdescendirent le long de sa pommette jusqu’à la cicatrice qui barrait salèvresupérieure.
Je levai la main pour le toucher, mais m’interrompis à la dernièreminute.
Unlégersourireétiraseslèvres.— Tu peuxme toucher, si tu veux. Tu n’as pas àme demander la
permission.Je voulais le toucher. J’en mourais d’envie, mais j’hésitais. Si je le
touchais, jene faisaisplus semblant.Cen’étaitplus seulementdansmatête.Commentallais-jem’enremettre,après?
Sontorsesesoulevacommeilprenaituneprofondeinspiration.—J’aimeraisquetumetouches.J’eneuslesoufflecoupé.Alors,d’ungestehésitant,jeposailamainsursajoue.Quandjesentis
un frissonparcourir soncorpsmusclé, j’éprouvaiunplaisiretune fiertéimmenses. Son visage était doux. Sa barbe commençait à peine àrepousser.Jefisglissermesdoigtslelongdesajoueetpassaimonpoucesursalèvreinférieure.Il inspirasoudainetjefrissonnai.Jecontinuaidesuivrelecontourdeseslèvresavecmesdoigts,sentantlarugositédesacicatrice.Ilfermalesyeux.
Pendanttoutescesannées,jenel’avaisjamaistouchédecettefaçon.Jamais.J’étaisperduedanscemoment,dansl’instant.Mamaindescendit
le longde sagorge.Mesdoigtseffleurèrent sonpouls.Soncœurbattaitaussivitequelemien.
Jecontinuai.Je posai la main à plat sur son torse. Le son qu’il émit était à mi-
cheminentrelegémissementrauqueetlegrognement.C’étaitcommesij’avais laissé tomber une allumette dans une flaque d’essence. Un feuardent s’était allumé. Enhardie par ses réactions, je poursuivis moncheminplus bas, le longde ses pleins et ses déliés. Sesmuscles étaientdurs et ciselés, comme je l’avais imaginé en les regardant et en leseffleurantparmégarde.
Maisaujourd’hui,jenemecontentaispasdeleseffleurer.Jeprenaismontemps.Jecaressaisesabdosavecundoigt,puisdeux,
lestraçantcommepourlesapprendreparcœur.Jedescendisencore.Jefisletourdesonnombril,puism’aventuraiplusbas.Ilportaitun
basdepyjamaenflanelle.Iltrembladenouveauets’approchaencore.Sacuisseétaitcolléeàlamienne.
Onn’apasledroit.Je ne méritais pas d’avoir tout ça, pourtant j’étais incapable de
m’arrêter.Lentement,jerelevailatêtepourleregarder.Ses yeux bleus avaient la couleur de toutes cesmers que je n’avais
jamais vues en vrai, mais que j’avais entourées sur la mappemondeaccrochée au-dessus demon bureau. Pendant que j’explorais son corps,nosvisagess’étaientrapprochés.Nossoufflessemêlaient.
Sansréfléchir,jefranchisladistancequinousséparait.La sensationde sa bouche contre lamienne fut aussi électrisante et
remarquablequelapremièrefois.Peut-êtreplusencore.Lapressionétaitdouce,tendre.Meslèvresbougeaientlentementcontrelessiennes.
Quand il posa la main sur ma nuque, je laissai échapper ungémissement qui me surprit moi-même. J’ouvris la bouche et alors, lecontrôlequeSebastianavaitsurluicédaetilm’embrassapleinement.Detoutsonêtre.Moncœurallaitexploser.Salanguevintàlarencontredela
mienne.Elleavaitungoûtdementheetd’unesaveurquiluiétaitpropre.Ma main descendit vers sa hanche et l’agrippa pour l’intimer de serapprocher,maisavecmescôtesetmonplâtre,c’étaitimpossible.
Ilcontinuadem’embrasser,deboiremessoupirs.Quandils’écarta,ilme mordilla la lèvre inférieure. Je gémis. Puis il déposa des baisersjusqu’àmagorge.Jerejetai la têteenarrièrepour lui faciliter l’accès. Illécha et suça ma peau, surtout ce point sous mon oreille qui faisaitonduler mes hanches et fléchir mes orteils. Lorsqu’il m’embrassa denouveauetquenoslanguesseretrouvèrent,leseulsonquel’onpouvaitentendredanslapièceétaitnotrerespirationaffolée.
J’ignore combien de temps on resta là, à s’embrasser. J’eusl’impression que ça durait une éternité. Chaque fois qu’on se séparait,c’était pourmieux se retrouver. Ce n’était pas un jeu.Ni lui nimoi nefaisions semblant. De simples amis ne s’embrassaient pas ainsi. Ils nes’accrochaientpasdésespérément l’unà l’autre commenous le faisions.Mesdoigts s’enfonçaientdans seshanches et ilme tenait par lanuque,comme pourm’empêcher dem’échapper alors que je n’en avais pas lamoindreenvie.
Oncontinuades’embrasser.Jusqu’àplussoif.Lorsqu’ilfinitpars’écarter,jeposailefrontsursonépaule.Lesouffle
court, j’agrippai le tissu de son tee-shirt. Pendant un longmoment, onrestaainsi,l’uncontrel’autre.Puisils’allongeadenouveausurlecôtéetme caressa doucement le dos. Son souffle chaud dansait sur ma joue.C’étaitapaisant.
Lerestedelanuitsepassaensilence.
CHAPITRE21
Un poster stupide était accroché au mur. C’était une photo deparachutistesquisetenaientlamainenpleinechuteavecpourlégende:«Letravaild’équipe».
Il n’y avait qu’un lycée pour choisir des gens qui sautaientvolontairement dans le vide pour illustrer le travail d’équipe.Personnellement,cegenred’équipesnemefaisaitpasrêver.
LeDrPerryattendaitquejerépondeàsaquestion.Ilavaitprocédédelamêmefaçonlesmercredietvendrediprécédents.Nousétionslundi,lepremierjourdemadeuxièmesemained’école.Rienn’avaitchangéetenmêmetemps,toutétaitdifférent.
La question d’aujourd’hui n’était pas la même que la semaineprécédente.Jusqu’àprésent,ils’étaitconcentrésurmonretouraulycéeetsur la possibilité d’assister à l’entraînement de volley alors que je nepouvais rien faire. Je n’avais pas répondu à ce dernier problème, toutcomme j’évitais de parler àM.Rogers. Ilm’avait demandé comment jeréagissaisà lacuriositémorbidedecertainscamarades.Comment jemesentaisenclasse.Ilm’avaitparlédel’accident.Pasdecequ’ilyavaitdansmondossier,maisdeladifficultéàsedétacherdelaculpabilitéd’êtrelaseulesurvivanteetdel’importancedecontinueràvivre.
Cette semaine, ilm’avaitdemandési jemesentaisprêteàallervoirlestombesdemesamiscar,selonlui,ils’agissaitd’uneétapeimportantedu deuil. Je ne voulais pas lui répondre et enmême temps, jemouraisd’enviedemeconfieràlui,carjenepouvaispaslefaireavecmesamis,
surtoutpasavecAbbi,quisemblaits’êtremisdans la têteque j’étaisunêtrehumainexécrable.Etmêmesijepartageaissonavis,cen’étaitpaslecontexte idéal pour m’ouvrir à elle. Je n’avais pas non plus parlé àSebastian,pasmêmeaprèslesbaisersquenousavionséchangéslemardisoir.
Jepassailapaumedemamaindroitesurl’accoudoirdemachaise.— Je ne veux pas penser à eux de cette façon, répondis-je au bout
d’unmoment,sansquitterdesyeuxleposterdesparachutistesaccrochéderrièrelui.(Ilsportaienttousdescombinaisonsdecouleursdifférentes.Ilsmefaisaientpenseràuneboîtedecrayonsdecouleur.)Quandjepenseà Megan, je la vois assise dans ma chambre en train de me parlerd’émissions qu’elle regardait. L’idée de me rendre au cimetière où ilssont…(Jefrissonnai.)J’ensuisincapable.
LeDrPerryhochalentementlatêteetportasatasseàseslèvres.Le« meilleur Papa du monde » avait été remplacé par une photo d’ElvisPresley.
—Tun’aspasencoredépasséletraumatismedel’accident.Tantquetunel’auraspasfait,tunepourraspasfairetondeuil.
J’enroulaimesdoigtsautourdel’accoudoir.—Jepeuxt’yaider.Qu’est-cequetuendis?Jereportaimonattentionsurluietprisunegrandeinspiration.— J’aimerais surtout, plus que tout au monde, que les choses
redeviennentcommeavant.—C’est impossible, Lena.Onne peut pas revenir en arrière. Il faut
quetul’acceptes.Quoiqu’ilarrive,tesamisnereviendrontjamais…—Jelesais!lecoupai-je,frustrée.Cen’estpascequejevoulaisdire.—Alors,queveux-tudire?medemanda-t-il.— Je… veux redevenir celle que j’étais, parvins-je à articuler.
(Soudain, ce fut comme si j’avais ouvert une vanne et un torrent deparolesm’échappa.)Jeneveuxplusêtrecellequejesuismaintenant.Jene veux plus y penser toute la journée. Même quand je pense à autrechose,jemesensmalparcequejen’aipasledroitd’oublier.Jeneveux
plusvoircetteexpressionsurlevisagedemamère.Jeveuxrecommencerà jouer au volley parce que je… j’adorais ça,mais l’idéeme révolte, àcausedeMegan. Jeneveuxpluspasserdu tempsavecmesamisetmedemander ce qu’ils pensent réellement de moi. Je ne veux pas qu’ilss’imaginentquejenesaispasquel’accidentaététerriblepoureuxaussi.Je veux croire que Sebastian m’aime vraiment et pouvoir l’aimerlibrement en retour. (J’ignorais s’il comprenait ce que je disais, n’étantpassûred’yparvenirmoi-même.)Jeneveuxplusressentirtoutça.Maisjesaisquec’est impossible.Quand jemeréveilleraidemain, rienn’aurachangé.Jen’enpeuxplus.
Ilplissalesyeux.—Commentvois-tutonfutur,Lena?Je me laissai retomber contre ma chaise. Mes côtes m’élancèrent
aussitôt. Je grimaçai. La douleur n’était plus aussi présente, mais meheurteràunechaiseenboisn’étaitdéfinitivementpasunebonneidée.
—Quevoulez-vousdire?—Oùtevois-tudansunan?—Jenesaispas.(Quelleimportance?)Àlafac,jesuppose.— Pour étudier l’histoire et l’anthropologie ? me demanda-t-il. J’ai
discuté avec ton conseilleur d’orientation. Ilm’a parlé desmatières quit’intéressaient.
—Oui.Voilà.Jeferaiça.—Etdanscinqans?Oùtevois-tu?Unsoudainagacementm’envahit.—Qu’est-cequeçapeutfaire?—C’estimportant,carsitun’acceptespasdefaireuntravailsurtoi-
mêmeaujourd’hui,danscinqans,tuenserastoujoursaumêmepoint.Mesépauless’affaissèrent.Cinqans,çameparaissaituneéternité.—Est-cequetuveuxdépassertontraumatismeettondeuil?Est-ce
quetuveuxtesentirmieux?medemanda-t-il.Fermantlesyeux,j’acquiesçaiensilence,maisaufonddemoi,jem’en
voulais.Jem’envoulaisdesouhaiterallermieux.
—Alorsilfautcommencerparletraumatisme,avantdes’attaqueraudeuil.Aprèsça,jeteprometsquetuirasmieux.(Ils’interrompit.)Maisjenepeuxpas faire le travail à ta place. Il va falloir que tu sois honnête,mêmesilavéritétemetmalàl’aise.
J’ouvrislesyeux.Leslarmesmebrouillaientlavue.—Jene…Jenesaispassij’ensuiscapable.—Tuesensécurité ici,Lena.Personnenete jugera, insista-t-ilavec
douceur.Pourallermieux,tuvasdevoirrevivrecettefête.Tuvasdevoirparlerdecedonttutesouviens,decequis’estréellementpassé.
—Tun’aspasfaim?JeclignailesyeuxetrelevailentementlatêteversSebastian.Ilétait
assisdetraverssurlachaisevoisinedelamienne.L’undesesbrasétaitposésurlatable,l’autresursesgenoux.Leboutdesesdoigtseffleuramacuisse.Moncorpsréagitaussitôt.Unechaleursoudainecaressamapeauet le désir et l’excitation se répandirentdansmes veines.Nousnenousétions plus embrassés depuis mardi soir. Pourtant, il venait me rendrevisitetouslessoirs,etlematin,ilcontinuaitdem’emmeneraulycéealorsquejepouvaisconduire.Àmidi,ils’asseyaitàcôtédemoiàlacantineetme touchait de temps en temps. Il posait lamain surmon bras oumataille,ilm’effleuraitlebasdudosoulanuque.
Jevivaispourcesmoments…mêmesij’avaisconsciencequejen’enavaispasledroit.
—Quoi?demandai-je.Jen’avaispaslamoindreidéedecequ’ilm’avaitdit.— Tu n’as pas touché ton repas, dit-il en désignant mon plateau.
Enfin,sionpeutappelerdelasaladeunrepas.Delasalade?Surprise, jebaissailesyeuxversmonassiette.Ahoui.
Elleétaitpleinede feuillesvertes.Jenemesouvenaispasd’avoirchoisiça,mais ce n’était pas surprenant. Depuisma séance avec le Dr Perry,j’étaiscomplètementdéphasée.Lesimplefaitdesavoirquej’allaisdevoir
luiraconterl’accidentlemercredisuivantmemettaitsensdessusdessous.Lamatinéeétaitpasséesansquejem’enaperçoive.
Ils’attendaitàcequejeparledecesoir-là.Sanstabou.Etj’ignoraissij’enétaiscapable.LeDrPerryétaitdéjàaucourant,biensûr.Abbiaussi.Quandjeregardaismesamis,jenepensaisqu’àça.EtlorsqueSebastianvenaitchezmoietfaisaitsesdevoirsàcôtédemoi,jen’entendaisqueçadansmatête.J’avaiségalementcesouveniràl’espritquandj’avaiscroiséJessica, la copine de Cody, dans le couloir entre deux cours. Elle nem’avaitpasremarquée,maismoi,jel’avaisvue.
LeriredeDarymeramenaàlaréalité.—Jemedemandaispourquoituavaisprisdelasalade.Jecroisqueje
net’aijamaisvueenmangersansbaconoupouletfrit.—Aucuneidée.Jejetaiuncoupd’œilàAbbi,assiseenfacedemoi.CommeDary,elle
avaitdelapizzadanssonassietteetcequiressemblaitàducoleslaw.Abbiavaitmangéseulementlamoitiédesapartdepizza.Elleétaiten
train de dessiner une rose sur la couverture d’un cahier. Ellem’avait àpeineadressélaparoleenclassedechimieetencoremoinsaudéjeuner.Sansdoutemefaisait-ellelatête.Maispouvait-onfairelatêteàquelqu’unquin’étaitpasvraimentlà?
J’observainotretable.Désormais,toutlemondesemélangeait.Avant,Abbi, Dary, … Megan et moi mangions toutes les quatre. Nous étionstoujours assises avec d’autres élèves, mais nous restions entre nous.Désormais,Sebastianetplusieursjoueursdefoots’asseyaientavecnous.
DontKeith.Il était à côtéd’Abbi. Jene l’avais jamais vu si silencieux. Lui aussi
avait changé. Il n’étaitplus exubérant commeautrefois. Il continuaitdejoueraufootetj’avaisentenduAbbidireàDaryplustôtdanslasemaine,avantqueKeitharriveàlacantine,qu’ilavaitétéréprimandépendantunmatchparcequ’ils’étaitmontréviolentsurleterrain.
Aujourd’hui, il gardait la tête baissée. De temps en temps, il sepenchaitversAbbietluimurmuraitàl’oreille.Ellerépondaitsurlemême
ton.Sortaient-ilsensemble?Jel’ignorais.Jen’avaispasposélaquestion.Sebastianserapprochadavantage.Songenoutouchaitlemien.—Çava?medemanda-t-ilàl’oreille.— Oui. (Je m’éclaircis la voix et m’efforçai de lui sourire.) Je suis
fatiguée,c’esttout.Ilmedévisageaunmoment.Jesavaisqu’ilnemecroyaitpasetqu’il
m’interrogeraitplustard.— Tu travailles au Joanna’s ce soir, puisque tu ne joues pas ?
demandaDary.Jesecouailatête.—Euh,non.Cen’estpasprévu.Jevaisauvolleyd’habitude.—Tuvasquandmêmeassisteraumatch?Je secouai de nouveau la tête. Notre entraîneur m’avait laissée
tranquillelasemaineprécédente,maisjesavaisquecelanedureraitpas.Iltenaitàcequejevienneàl’entraînementaujourd’hui.
—Ça,alors!(Daryremontaseslunettessursonnezetjetauncoupd’œilautourd’elle.)Jecroisquejet’aitoujoursvuesoitenmatch,soitauJoanna’s!
—Oui…(JeregardaiSebastiancoupersonpouletrôtiendeux,puisenpetitsmorceaux.)Ilssonttoustrèsgentils.Etpatients.
—Qui?demandaDary.Jemeraclailagorge.—L’entraîneur,parexemple.Ilesttrèspatientavecmoi.Sebastian rassembla lesmorceauxdepouletqu’ilavait coupéset les
déposa sur ma salade. J’écarquillai les yeux. Venait-il de couper manourriturecommesij’étaisunegamine?
—Tiens,dit-il.Maintenant,tuasquelquechoseàmanger.—Cen’est toujourspasdupoulet frit, commentaDary en souriant.
Maisçafaisaitlongtempsquejen’avaisrienvud’aussimignon.
Moi,jetrouvaisçaridicule.Etmignon,d’accord,parcequejesavaisqueSebastiancherchaitàme
faireplaisir.Unsouriretimideauxlèvres,j’attrapaimafourchette.—Etenplus,ilfautlanourrir,maintenant?demandaAbbi.Le rouge aux joues, je relevai vivement la tête.Abbimedévisageait
d’unairagacé.—Pardon?demandaSebastian.Abbihaussalesépaulesetsetournaverslui.—Elle se fait conduire.Ellenepeutallernullepart toute seule.On
doitfaireattentionàcequ’onditensaprésence…alors,jemedemandaissienplus,ilfallaitlanourrir.
Jemefigeai.Moncœur,mespoumons,moncerveau,toutsemitsurpause.
— C’est quoi, ton problème, Abbi ? demanda Sebastian d’une voixénervée.
En facedemoi, jevis l’expressiond’Abbi se fissurerunpeu,commeunedéchiruredanssonmasque.Savoixsefitrauque.
—C’estunequestionvalide.Jenedoispasêtrelaseuleàmelaposer.—Abbi,ditKeith.(Pourlapremièrefoisdepuisledébutdurepas,il
avaitparlésuffisammentfortpourquejel’entende.)Arrête.Àcôtédemoi,Darys’étaittendue.—Quoi?C’estuneadulte,non?rétorquaAbbi.(Lorsqu’ellereporta
sonattentionsurmoi,seslèvrestremblaient.)Ellepeuttrèsbienparleretmettreuntermeàtoutça!
J’eus un mouvement de recul, comme si elle m’avait frappée. Jecomprenais très bien ce qu’elle voulait dire. Elle neparlait pasde cetteconversation.Elleparlaitdecefameuxsoir.
Cefutlagoutted’eauquifitdéborderlevase.Jeme levaiet ramassaimonsacposépar terre.Sebastianessayade
me retenir, mais je ne l’écoutai pas. Lorsque je me redressai, je meretournaisansprononcertouscesmotsquimedémangeaient.
J’étaisdanslecouloirquandDarymerattrapaetmepritparlebras.—Hé,attends!medit-elleenm’obligeantàm’arrêter.Çava?Jelevailesyeuxversleplafond.—Jevaisbien.SiAbbit’avaitentenduemeposerlaquestion,satête
auraitsansdoutefaituntourcomplet.—Abbi…—…secomportecommeuneconnasse? terminai-jeàsaplace.(Je
m’en voulus aussitôt. Fermant les yeux, je secouai la tête.) Pardon. Cen’estpasvrai.Elle…
—Elleadumalàgérerlasituation.(Darymeserralebras.)Maislà,elleaétéparticulièrementméchante.
Jerepoussailescheveuxquitombaientdevantmonvisageetjetaiuncoupd’œilàlaportedelacantine.
—Ellet’aditquelquechose?—Àquelpropos?—Àproposdemoi…àlafêtedeKeith?Darymelâcha.— Elle m’a dit que Sebastian et toi vous étiez disputés et elle m’a
aussiparlédeKeith.(Ellemarquaunepause.)Pourquoi?Visiblement,Abbineluiavaitpasconfiésesdoutes.—Parcuriosité.—Est-cequ’ilyaquelquechosequejedevraissavoir?medemanda-
t-elle.Lemoment était idéal. J’aurais pu avouer à Dary ce qu’Abbi savait
déjà. J’aurais pu lui expliquer pourquoi Abbim’en voulait autant.Maisquandj’ouvrislabouche,lesmotsmemanquèrent.
Plusieurs minutes s’écoulèrent. Dary passa un bras autour de mesépaules.
— Tout finira par s’arranger. Je sais que pour l’instant ça paraîtdifficileàcroire,maisçavas’améliorer.Tuverras.
Je ne répondis pas, car je savais que ce n’était pas parce que l’ondésiraitardemmentquelquechosequ’onl’obtenaitforcément.
Daryposasatêtecontrelamienne.—J’aimeraisque leschoses redeviennentcommeavant,murmura-t-
elle.Megannereviendrapas.Ellenereviendrajamais.Maisnous,onestlà.Onpeutretrouvercequ’onavaitavant.J’ensuispersuadée.
CHAPITRE22
Celundin’enfinissaitpas.Quand la dernière sonnerie de la journée retentit, je me rendis
directementàmoncasier.J’étaisplusqueprêteàrentrerchezmoi.Aussiregrettai-jedenepaspouvoirmecacherentremes livresetmescahierslorsquej’aperçusM.Rogerss’approcherdemoi.
Réprimantunarsenalde jurons, je fourraimon livredechimieaveclesautresetpriaipourqu’ilneviennepasmevoir.Aprèstout,peut-êtresebaladait-ildans lecouloir,audouxsondesclaquementsdeportesenmétaletdesconversationsbruyantes?
J’étais en train de récupérermon cahier d’Histoire quand j’entendisl’entraîneurm’appeler.Parmonnomentier.Ilnemanquaitplusqueça.
—Bonjour,luidis-jeenrangeantmoncahierdansmonsac.—Tu vas à l’entraînement ?me demanda-t-il en se postant devant
moi.Jen’étaispasprêtepourcetteconversation.J’auraispréférém’enfuir
loind’ici.Aulieudequoijesecouailatêtetoutenrefermantmonsac.— Je sais que tu ne peux pas jouer à cause de tes blessures, mais
j’aimerais que tu assistes à l’entraînement, Lena, dit-il. (Sans même leregarder, je savaisqu’ilavaitcroisé lesbras.)Ceseraitbienpour toi.Etpourl’équipe.
—Jecomprends,mais…(Lagorgenouée,jerefermailaportedemoncasier.)Jenepeuxpas.
— Médicalement, tu ne peux pas rester assise sur un banc ? medemanda-t-il.
Jen’arrivaispasàdéterminers’ilétaitsérieuxousarcastique.Vusonexpressionimpassible,ilétaitsansdoutesérieux.—Jepensequejepourrais,maisje…jenevaispascontinueràjouer
auvolley.Ilhaussalessourcils.—Tuquittesl’équipe?L’estomacnoué,jehochailatête.—Oui.Jesuisdésolée,maisavecmesblessureset leretardque j’ai
prisenclasse,c’estsansdoutelameilleurechoseàfaire.M.Rogerssecoualentementlatête.—Tuesunmembreimportantdel’équipe,Lena.Onpeut…— Merci, l’interrompis-je en me dandinant d’un pied sur l’autre,
pendant qu’un groupe d’élèves nous dépassait. Et j’apprécie vos effortspourm’intégrer,maisjevaisraterdestasdematchsetd’entraînements.Jeneseraipascapablederetrouvermonniveauàlafindel’année.C’estmieuxainsi.
— Si on t’enlève ton plâtre à la fin du mois, tu pourras jouer enoctobreetdanstouslestournoisauxquelsonaccédera,contra-t-il.Tuasencoreunechancedetaperdansl’œild’unrecruteur.Tutesouviensdelaboursedontonaparlé?
—Megan aurait obtenu une bourse, répondis-je sans réfléchir. Ellen’enauraitpaseubesoin,maiselleenauraitdécrochéune.Pasmoi.
Lasurprisedéformasonvisage.—Toiaussi,tupourrais…—Cen’estplusdansmesprojets,coupai-jeenreculant.(Derrièrelui,
je vis Sebastian approcher. Je pris une inspiration tremblante.) Je suisdésolée,dis-jeenlecontournant.Lapersonnequimeramènechezmoiestlà.
Rogerssetournaversmoi.—Jepensequetucommetsuneerreur.
Sic’étaitlecas,elleiraits’ajouteràlalistedetoutesleserreursquej’avaisdéjàfaites.
—Situchangesd’avis,viensmevoir,dit-il.Ontrouveraunesolution.Jenecomptaispaschangerd’avis,maisjehochaiquandmêmelatête
avantderejoindreSebastian.Sonregards’attardaàl’endroitoùl’entraîneurs’étaittenu.—Toutvabien?—Oui, évidemment, lui répondis-je en le laissantme prendremon
sac.Onpeutyaller.Ses yeux se posèrent surmoi et, l’espace d’un instant, je crus qu’il
allaitdirequelquechose,maisiln’enfitrien.Tandisqu’onmarchaitdanslecouloirensilence,jerepensaiàcequeM.Rogersm’avaitdit.
Mon estomac se noua davantage. Avais-je pris la bonne décision ?Danstouslescas,ilétaitdéjàtroptard.
Lesoirmême,jemeretrouvaiassiseàlatabledelacuisine,entraindepoussermespetitspoisdansmonassietteavecmafourchette.Parfois,j’avaisdumalàcroirequemamèrecontinuaitdem’enserviralorsqu’ellesavaitpertinemmentquejenelesmangeaispas.
Quandellem’avaitdemandécomments’étaitpassémonrendez-vousavecleDrPerry,jeluiavaisraconténotreconversation,sansentrerdanslesdétails.Ellem’avaitensuiteposédesquestions surAbbietDary, carellen’avaitplusvuAbbidepuisuncertaintemps.Jeluiavaismentienluidisant qu’Abbi était occupée. En revanche, elle ne me parla pas deSebastian,cequimeconfirmaqu’elleétaitparfaitementaucourantdesesvisitesnocturnes.Toutefois, jenecomprenaispaspourquoiellenedisaitrien.
—Lori pense rentrer ceweek-end,m’appritmamère en découpantunetranchedupaindeviandequiavaitmijotétoutelajournée.
—Ahoui?(Mêmesijen’avaispastrèsfaim,jeplantaimafourchettedanslaviande.)Çafaitbeaucoupderoute.
—C’estvrai,maiselleaenviedetevoir.(Mamèremeregardadanslesyeux.)Elles’inquiètepourtoi.
Lemorceaudepaindeviandeeutsoudainungoûtamer.—Papaesttoujoursenville?Mamèresetenditlégèrement.—IladûrentreràSeattle,maisjesaisdesourcesûrequ’ilt’aappelée
etaessayédetevoiravantdepartir.Jehaussai lesépaules.Leplusdrôledanscette situation, c’étaitque
rienn’empêchaitmonpèredemevoirs’ilenavaitréellementenvie.Jenerépondaispasàsesappels,maisilauraittrèsbienpupasseràlamaison.Ilauraitpumevoir.J’avaisconsciencequemarancœuràcesujetn’étaitpaslogique.Aprèstout,jen’avaispasenviedelevoir.Jecrois.
Jenesavaispluscequejevoulais.—Ilreviendra,ditmamèreenreposantsonverre.PourThanksgiving.
Onferaundîner…—Etonferasemblantd’êtreunefamilleheureuse?J’avaisconsciencequejemecomportaiscommeunegamine.— Lena, dit ma mère d’un air exaspéré. (Elle posa sa fourchette.)
C’estunhommebien.Jesaisquevousavezdes…différendsàrésoudre,maisquoiqu’ilarrive,ilresteratoujourstonpère.
—Unhommebien?(Jen’arrivaispasàcroirequemamèreprennesadéfense.)Ilt’aquittée!Ilnousaquittéesparcequ’ilnesavaitriengérer.Rien!
—Machérie…(Ellesecoua la têteetposa lebrassur la table.)Nosproblèmesnevenaientpasseulementdelafaillitedesonentrepriseetdumanqued’argent.Ilyavaitd’autresfacteurs.J’aimaistonpèreet,quelquepart,jepensequejel’aimeraitoujours.
Les lèvres pincées, je levai les yeux vers le plafond. Je m’en étaistoujoursdoutée,maiscelam’énervaitqu’ellel’admettesiouvertement.
—Il fautquetucomprennesunechoseausujetdetonpèreetmoi,dit-elle en prenant une grande inspiration. Ton père, Alan, nem’aimaitpasautantquemoijel’aimais.
Son ton était désinvolte, comme si elle ne venait pas de lâcher unevéritablebombe.
Jelaregardai,bouchebée.Lesyeuxrivéssursonassiette,ellesoupirabruyamment.—Jecrois…Non,jesais…Jel’aitoujourssu.Ilm’aimait.Iltenaità
moi,maiscen’étaitpassuffisant.Alanaessayé.Ilafaitdesonmieux.Jeneluicherchepasd’excuses,mais…ilnem’aimaitpasassezpourqueçafonctionne.
Je continuai de la dévisager. Je ne savais pas quoi dire, car… carc’étaitlapremièrefoisquej’entendaiscetteversiondesfaits.
—Ons’estmariéstrès jeunesquandonaapprisquej’étaisenceintedeLori.C’étaitcommeça,àl’époque.(Ellechoisitcemomentpourlâcherunedeuxièmebombe.)Tonpèrenevoulaitpaspartir,Lena.Ilmevoyait,il nous voyait, comme sous sa responsabilité. Et c’est vrai, il étaitresponsable de vous, mais pas de moi. Je voulais être son égale. Sapartenaire.
—Quoi?murmurai-je.Mafourchettefaillitmeglisserdesdoigts.—C’estmoiqui luiaidemandédepartir.C’estmoiquiaidemandé
qu’onsesépare.(Sonsourireétaittristeetunpeuamer.)J’aicruquelemettrefaceàcequej’avaistoujourssoupçonné,luidirequejesavaisqu’ilne m’aimait pas assez et lui demander de partir lui ferait prendreconsciencequ’ilsetrompaitetquesessentimentsétaientaussifortsqueles miens. (Son rire se fit cassant, comme du verre.) Je suis peut-êtreadulte, Lena,mais de temps en temps, je crois aux contes de fées. Luidemanderdepartirétaitmadernièrechance.J’espéraisqu’il…
—…seréveilleraitettomberaitamoureuxdetoi?demandai-jed’unevoixsuraiguë.
Y avait-elle vraiment cru ? Je fermai brièvement les yeux.Avait-elleréellementpenséqu’enluidemandantdepartirellevivraitheureusepourtoujours,commedansleslivres?
—Oui.Aujourd’hui,jecomprendsqu’onnepeutpasforcerquelqu’unànousaimerdavantageenluifaisantpeur.Çanefonctionnepascommeça.
Jenesavaispasquoidire.— Je l’aime. Plus que tout.Mais dès que j’ai cessé demementir à
moi-même,notremariageétaitterminé.Jeme laissai tomber en arrière contrema chaise, lesmains sur les
genoux.—Pourquoi…pourquoinenousl’as-tupasdit?Sonpetitsouriretristes’évanouit.—Parfierté?Parcequej’avaishonte?Quandonadivorcé,tuétais
tropjeunepourcomprendre.Loriaussi.Cen’estpasfaciledeparlerdecegenredechoses,d’avoueràtesfillesquetuesrestéeaussilongtempsavecunhommequinet’aimaitpas.Pasvraiment.
— Mais je… (J’avais toujours cru que mon père avait fui sesresponsabilités.)Tuluiasdemandédepartir?
—C’était lameilleure solution. Je sais que j’aurais dû être honnêteavec vous, mais… (Elle s’interrompit et se tourna vers la fenêtre quidonnaitsurlejardin.Elleposalamainsursaboucheetclignarapidementlesyeux.)Danslavie,onnefaitpastoujourslesbonschoix.Êtreadultenesignifiepasêtresage.
Comme tous les soirs, la porte du balcon s’ouvrit un peu après20 heures. Cette fois, je ne dormais pas. Je regardaismon livre sans levoiretessayaisdelirelemêmeparagraphepourlacinquièmefois.Depuisledîner,jen’arrivaisplusàmeconcentrer.
Enmevoyant,Sebastiansouritd’unairamusé.—Sympa,tontee-shirt,dit-ilenrefermantlaportederrièrelui.—Ilestgénial,tuveuxdire!C’était un tee-shirt noir trop large avec un bébé Deadpool dessiné
dessus.Sebastianapprochadulitàgrandesenjambées.Monventreseserra.
—C’estvrai,maisjepréfèrequandtuportesmonmaillotdefoot.Lerougeauxjoues,jerepoussailescheveuxquimetombaientdevant
levisage.—Jel’aijeté.—Situledis.(Ilselaissatombersurmonfauteuildebureaucomme
Abbiavaitl’habitudedelefairelorsqu’ellemeconsidéraitencorecommesonamie.)Qu’est-cequetuasfait,cesoir?
—Pasgrand-chose.Je leregardai lever les jambesetétendre lespiedssur le lit,prèsde
meshanches.Ilétaitpiedsnus.Jeposaimonsurligneursurmonlivre.—Ettoi?—Jesuisalléàl’entraînement,commed’habitude.(Ilcroisalesbras
sursapoitrine.)Oh,etj’aiprisunedouche.Jefusincapablederéprimerunsourire.—Bravo.Ilrejetalatêteenarrièreenriant.—Mavieestpassionnante.Tandis que je l’observais, je croisai son regard et on resta ainsi, les
yeuxdanslesyeux,unlongmoment.Unedoucechaleurserépanditdansmagorge,mapoitrine,puisplusbas.Beaucoupplusbas.Détournant leregard,jeprisunegrandeinspirationpourmecalmer.
—Aufait,euh…mamèrem’aapprisunenouvellefracassantecesoir.—Àquelpropos?— Elle m’a avoué pourquoi mon père était parti. (Je récupérai le
surligneurpourjoueravec.)Tusaisquej’aitoujourscruqu’ils’étaitenfuiparcequ’iln’arrivaitpasàgérersesresponsabilités?
—Biensûr.(Ilreposasespiedsparterreetsepenchaenavantpourm’accordertoutesonattention.)C’estpourçaqu’ilestparti,non?
Jesecouailatête.—Enfait,ilestpartiparcequ’iln’aimaitpasassezmamère.Enfin,il
l’aimait,mais il n’était pas amoureux d’elle. (Je lui répétai tout ce que
m’avait dit ma mère tout en triturant le surligneur.) C’est dingue, pasvrai?
—Waouh.(Ilhaussalessourcils.)Qu’est-cequeturessens?Tonpèreettoi,vousn’êtespas…
Pasbesoindeterminercettephrase.J’enavaistoujoursvouluàmonpèredenousavoirabandonnées.Jelevailesmainspourlecouper.
— Je n’en sais rien. Je crois que je suis trop choquée pour être encolère.Commentest-cequemamèreapunouscacherlavéritépendantsilongtemps?Etenmêmetemps, j’aidelapeinepourelle.Jecomprendsqu’ellen’aitpaseuenvied’enparleràquiconque.
D’enparler,toutcourt.Cesentimentm’étaitfamilier.—J’aitropdechosesentêtecesjours-ci,avouai-je.J’ail’impression
qu’ellevaexploser.Mamèrenousa laissépenser,Lorietmoi,quemonpèreétaitunmoinsquerien.Enfin…ilaquandmêmeépouséquelqu’unqu’iln’aimaitpas,donciln’estpasparfaitnonplus,mais…jenesaispas.
—Ilesttempsdetechangerunpeulesidées.Il se leva, attrapamon livre, le referma et le posa surma table de
chevet.—Hé!m’exclamai-je,j’étaisentraindefairemesdevoirs!— Oui, oui. (Mon cahier, mon stylo et mon surligneur rejoignirent
monlivre.PuisSebastians’assitsurlelit,devantmoi,unejamberepliéesouslui-même,songenoutouchantmonmollet.)Onestlundisoir…
— Il paraît. (Je posai les mains sur mes genoux.) Merci de me lerappeler.Queferais-jesansteslumières?
Seslèvresseretroussèrentencoin.—Tusaiscequeçaveutdire?—Quejedevraisattendreunesemainepourvoirleprochainépisode
deTheWalkingDeadsilanouvellesaisonavaitcommencé?—Non,dit-ild’unevoixfaussementagacée.Jeleregardaiposerlamaindroiteprèsdemongenougauche.—Euh…Qu’il resteseulementquatre joursdecoursavant leweek-
end?
—Aussi, oui. (Il se pencha légèrement en avant. Les battements demon cœur s’accélérèrent et tout à coup, mes problèmes de la journées’évanouirent.)Maislelundi,çaveutdireautrechose.Quelquechosedebeaucoupplusimportant.
—Quoi?Mesyeuxseposèrentbrièvementsurseslèvres.Jesentismonventre
setendre.Ilpenchalatêtesurlecôté.—Lelundi,onneparlepas.—Onneparlepas?répétai-jebêtement.Unedoucechaleurs’éveilladansmapoitrineetdescendit le longde
moncorps.Pensait-ilàlamêmechosequemoi?— Non. (Il s’approcha encore, à tel point que je sentis son souffle
danser contre ma joue.) J’ai décidé que le lundi était un soir sansdiscussion.Ettusaiscequeçasignifie?
Jeserrailepoing.—Non?—Qu’onvadevoirtrouverd’autresfaçonsdeseservirdenoslèvreset
denoslangues.Lesyeuxécarquillés,jetoussaipourdissimulermonrire.—Tuasvraimentosédireçaàvoixhaute?— Absolument ! Et je ne regrette rien. (Quand il pressa son front
contrelemien,jesursautai.)Jen’aimêmepashonte.—Ilfaudraitdéjàquetufassesquelquechose,pouravoirhonte.—Oh,jepeuxfairedestasdetrucs,répondit-ild’unevoixsuave.Mais
jenesaispassitulesupporterais…Unlégerrirem’échappa.—Sebastian…—Aujourd’huiestunlundiunpeudifférent.(Samaingauchetrouva
mamaindroiteetsesdoigtsfrôlèrentmapeau.)Jepeuxtemontrer?medemanda-t-il en les faisant remonter le long de mon bras, jusqu’à la
manche de mon tee-shirt. (Un violent frisson me parcourut.) Tu veuxbien?
J’enmouraisd’envie,mais je…jepensaisàcequemamèrem’avaitdit pendant le dîner. Sebastian et moi étions amis depuis toujours. Oupresque.Jesavaisqu’iltenaitsincèrementàmoi,maism’aimait-ilcommejel’aimais?Depuisl’accident,ilmeconduisaitaulycée,s’assuraitquejemangeaiset faisaitpreuvedetoutessortesd’attentionsàmonégard.Cen’étaitpas toutà fait lamêmesituationquemesparents. Jen’étaispastombéeenceinte.Maisj’avaisfaillimourir.
—Est-cequejesuissoustaresponsabilité?—Quoi?medemanda-t-il.—Est-cequetuasl’impressiond’êtreresponsabledemoi?—Dansquelsens?Qu’étais-jeentraindeluidemander,aujuste?—Rien.Cen’estpasgrave.—Non.Jesuiscurieux.Queveux-tudire?Etmerde.J’auraismieuxfaitdemetaire.—Est-ce que tu t’occupes demoi parce que tu te sens obligé de le
faire,aprèscequis’estpassé?—Quoi?Non!Jem’occupedetoiparcequej’enaienvie.Il… Il avait bien répondu, mais cela ne changeait rien. Son front
bougeacontrelemienetsoudain,jesentissonsoufflecontremeslèvres.Jemouraisd’enviedemejetercontreluisanspenserauxconséquences.
—Tucroisquec’estraisonnable?—J’ensuis sûr. (Sesdoigts tracèrent lecontourdemamanche.)Je
pensequ’ilfautquetuarrêtesderéfléchir.JedoutaissérieusementqueleDrPerrysoitd’accordaveclui,maisje
metrompaispeut-être.Aprèstout,ilm’avaitditquejedevaiscontinueràvivre et faire face au traumatisme et au deuil… et personne ne medonnaitcommeSebastianlasensationd’êtrevivante.
Toutefois,jen’étaispascertainequeleDrPerryaitentêtelesbaisersd’ungarçonquandilmeparlaitd’allerdel’avant.
Lorsque je reculai, je vis le visage de Sebastian se crisper. Il meregardadanslesyeux.
—Tusaiscequejeressenspourtoi.Moncœurfaillitbondirhorsdemapoitrine.—Seb…—Jet’aime,reprit-ilenposantlamaincontremanuque.(J’eneusle
soufflecoupé.Moncœursegonfla.)Jesuisamoureuxde toidepuisdesannées.
—Sebastian,lesuppliai-je,auborddeslarmes.— Je sais que pour l’instant tout semélange dans ta tête et que la
seulechosequejepuissefairepourtoi,c’estêtreàtescôtéspendantquetuguéris,pasàpas,maissacheque j’attendrai letempsqu’il faudra.(Ilpassa lamain dansmes cheveux.) S’il y a une chose dont tu peux êtresûre,c’estquecequejeressenspourtoiestbienréel,etcedepuis…
Moncœurbattaitsifortqu’ilmefaisaitsouffrir.—Ilfautquejetedisequelquechose.—Tun’espasobligéedemedirequoiquecesoit.—Tunecomprendspas,répondis-je,lagorgenouée.—Jen’enaipasbesoin.Sonpoucedescenditlelongdemagorgeenunecaresseréconfortante
etsensuelleàlafois.Jesecouaifaiblementlatête.—Pourquoimaintenant?demandai-jeencoreunefois.Pourquoi?—Parcequ’onétait tropstupidespour le faireavantetparcequ’on
estvivants.Maintenant.Jenesaispasquibougeaenpremier,luioumoi,ousionavançaau
mêmemoment,maisnosbouchessetrouvèrentsanshésitation.Pendantquejel’embrassais,mamainseposasursontorse,puisremontajusqu’àson épaule. Son baiser me consumait, allumait en moi un brasier quidévoraitmapeau,transformaitmesmusclesenlaveetmesosencendre.On se servait de nos langues et de nos dents. Andre nem’avait jamaisembrasséecommeça.Aucungarçonnem’avaitjamaisembrasséedecettemanièreetc’étaitaussieffrayantqu’excitant.
Sebastianm’embrassaitcommes’iln’avaitpasl’intentiondes’arrêteret, sans m’en rendre compte, je me retrouvai allongée sur le dos. Ilm’avait aidée à basculer sur le lit avec beaucoup de douceur et deprécaution.
—C’estmontour,murmura-t-ilcontremabouche.Jen’avaispaslamoindreenviedel’arrêter.Sebastianselançadansuneexplorationtoutaussiminutieusequela
mienne, la semaine précédente. Ses lèvres tracèrent le contour desmiennes pendant que ses doigts descendaient le long de ma poitrinejusqu’àmonventre.Despapillonss’étaientréveillésenmoietleursailesbattaientfollement,enrythmeavecmoncœur.Samainglissasousmontee-shirt,contremonventre.
Quandilrelevalatête,unequestiondanslesyeux,jehochailatête.Alors, laquestionsetransformaenpromesseet la tensionfut…presqueinsoutenable.
Pendant que ses doigts remontaient lentement, légers comme uneplume, jusqu’à mes côtes, je m’accrochai à lui, à ses cheveux les pluslongs. Quand sa main monta encore plus haut, je hoquetai contre sabouche.Lesonquis’échappadeseslèvresmefitmecambrerdavantage.J’avaismalauxcôtes,maisjem’enmoquais.
Sebastian eut un rire rauque et sensuel. Lorsqu’il retira samain, jetiraiunpeuplussursescheveux.
—Jen’aipasterminé.Seigneur.Ses lèvres se posèrent de nouveau sur les miennes, tandis que ses
doigts experts descendaient, cette fois, jusqu’à mon bas de pyjama. Ilhésitauninstant.Moncœurs’arrêta.Moncorpstoutentiersetenditsouslecoupdel’excitation.Puissamainglissaentremes jambes.Unviolentfrissonmetraversa.C’étaitdelafolie,mais jem’enmoquais.Monshortétaittrèsfin.J’avaisl’impressionqu’iln’yavaitrienentresamainetmoi.Toutemonattentionétait focaliséesursesdoigts.Uncourantélectriquedéferladansmesveineset…
Dans le couloir, une porte se ferma. J’ouvris vivement les yeux.Sebastian s’arrêta, les lèvres au-dessus des miennes, et sans retirer samaind’entremesjambes,tournalatêteverslaporte.Jem’attendaisàcequ’elles’ouvred’uninstantàl’autresurmamère,maisjenesavaispassielle nous tuerait ou nous féliciterait. Comme rien ne se passa, je medétendisunpeu.
—Oh,monDieu,murmurai-je.Àprésent,moncœurbattaitfortpourunetoutautreraison.Avecunsourireamusé,Sebastianmeregardadanslesyeuxethaussa
unsourcil.—Çaauraitétégênant.—Ahoui?Tucrois?(Jelerepoussaidemamaindroite,mêmesi,en
réalité,j’auraispréférél’attireràmoi.)Tudevraisyaller.— Oui. (Sebastian ricana et s’allongea sur le flanc.) Mais avant, je
voulaistedemanderunechose.—Quoi?—Tusaisqu’onfinitl’entraînementplustôtlejeudi,quandonaun
match?medemanda-t-il.(Jehochailatête.)Donccommejerentreplustôt,mesparentsaimeraientquemapetiteamieviennedîneràlamaison.
Je me figeai. Avais-je bien entendu ? C’était impossible, pourtantquandjemetournaiversluietvissonsourire,sonsouriresexy,àcouperlesouffle,jesusquejenem’étaispastrompée.Unemyriaded’émotionsetdepenséescontradictoiresm’envahirent.La joiemerendait tellementlégère que j’aurais pu m’envoler jusqu’au plafond, mais une aiguilledouloureuse fit éclater ma bulle avant que je l’atteigne. La culpabilitéenfonçaprofondémentsesgriffesglacéesdansmapoitrine.
—Tapetiteamie?murmurai-jeenmerelevantsivitequemescôtesm’élancèrent.
Ils’appuyasursoncoudesanssedépartirdesonsourire.—Oui,jecroisquec’estcommeçaqu’ungarçonappellelafillequ’il
embrasseetàqui ilaenviede fairedes tasdechoses…(Sonregardsevoila.)Sapetiteamie.
MonDieu.Commentpouvais-jeêtreallongéeiciaveclui,l’embrasseretressentir
toutes ces nouvelles émotions alors que Megan reposait six pieds sousterreparcequejen’avaispas…parcequejen’avaisrienfaitpourstoppercequis’étaitpassé?
J’avaisenviedem’arracherlapeau.C’étaitlapremièrefoisquejemesentaisaussisaleetégoïste.
LesouriremalicieuxdeSebastiandisparutdesonbeau,presquetropbeau,visage.
—Quoi?Jemelevaietmisdeladistanceentrenous.—Jene…Jenepeuxpasêtretapetiteamie.
CHAPITRE23
Sebastianmeregardaitcommesijem’étaisexpriméedansunelangueétrangère.
—OK,dit-ilauboutd’unmoment.J’auraisdût’enparleravant,c’estvrai.J’aipeut-êtreétéunpeutropsûrdemoi…
—Oui,jesuisàpeuprèscertainequecegenredechosesnesedécidepastoutseul.
Seslèvresseretroussèrentencoin.—Veux-tu êtrema petite amie, Lena ?me demanda-t-il d’une voix
tendreetmoqueuseàlafois.Mon cœur bondit dans ma poitrine comme s’il sautait sur un
trampoline.Combiendetempsavais-jeattenducesmots?Desannées.Detrès longues années. Pourquoi fallait-il qu’il les prononce maintenant,aprèstoutcequis’étaitpassé?
Jesecouailatête.—Jenepeuxpas.—Tunepeuxpasquoi?—Jenepeuxpasêtretapetiteamie.L’espace d’un instant, Sebastian resta immobile. Puis il se redressa
d’uncoup.—Tuessérieuse?—Oui.Jefisletourdulittoutenrecoiffantunemèchederrièremonoreille.
J’ouvris la porte du balcon et sortis. L’air frais me fit un bien fou. Je
m’approchaidelarambarde.Quandj’entendisSebastianmerejoindre,jefermailesyeux.
—Jenecomprendspas,dit-il.Pourquoiest-cequetunepourraispasêtremacopine?(Commejenerépondaispas,ilseplaçaàcôtédemoi.)Ilyaquelqu’und’autre?
—Quoi?(Jefailliséclaterderire.)Non.Iln’yapersonned’autre.—Tucomptespartirdemainetneplusjamaismerevoir?—Nonplus,répondis-jeenfronçantlessourcils.—Alorspourquoiest-cequ’onnepourraitpasêtreensemble?(Ilse
tournaentièrementversmoi.)Cequivientdesepasserestlapreuvequejeteplais,queturessenslamêmechose.Lafaçondonttum’astouchélasemaine dernière… La colère que tu as ressentie lorsque tu as cru quej’allaist’embrassermaisquejet’aijetéeàl’eau…Tuneressenspastoutçasitunedésirespaslapersonne.(Samainseposacontremesreinsetjemefisviolencepournepasmelaisserallercontrelui.)Àmoins…Àmoinsquetuneveuillesqueça?Tefairedubien?
J’auraispudireoui.Aumoins,celaauraitclos laconversation,maisj’enétaisincapable.
—Non,cen’estpasça.—Alors,qu’est-cequisepasse?Jepassailamainsurmonplâtre.Jen’arrivaispasàcroirequej’aieà
leluiexpliquer.— C’est juste que ça fait bizarre. On a vraiment le droit d’aller de
l’avantetd’êtreheureux?Aussivite?Sebastianrestasilencieuxunmoment.—Mais…C’estlavie,Lena.—Waouh,marmonnai-je,estomaquée.—Quoi?Peut-êtrequec’étaitunpeutropdirectpourtoi,maisc’est
lavérité.Onnepeutpass’arrêterdevivreparcequed’autres…parcequed’autressontmorts.
Ça,jelesavais.C’étaitluiquinecomprenaitpasleproblème.Cequejeressentaisn’étaitpaslaculpabilitédusurvivant.C’étaitplusinsidieux.
Plusamer.—Cen’estpassisimple.—Si.(Ilmepritlementonetmeforçaàleregarderdanslesyeux.)
Si,c’estaussisimplequeça,Lena.Jepoussaiunsoupirexcédéetm’écartai.—Tunecomprendspas!—Tun’arrêtespasdedireça!(Lafrustrationétaitperceptibledans
savoix.)Jefaisdemonmieuxpourcomprendre.Pourêtrepatient.Pourêtre làpour toi.Mais tunemedispascequi sepassedans ta tête.Pasvraiment. Tu as l’air d’oublier que je traverse exactement la mêmeépreuvequetoi,justeàcôté.
Jerefermailaboucheetcroisailesbrassurmapoitrine.—Cequiestarrivéànosamism’afaitl’effetd’unedouchefroide.Je
saisqueçapeutparaîtrecliché,maisonnesaitpassionseraencore làdemainoul’annéeprochaine…
—Tuesentraindemedirequ’ilfautquej’ailledel’avant!Qu’ilfautquej’oublie…
—Cen’estpascequej’aidit!Pasdutout!—Tun’aspasprononcécesmots,maisçaveutdirelamêmechose.—Lena…—Tutefousdemoi,ouquoi?(Mavoixétaitmontéedanslesaigus.)
Tudisquemaintenant,tufaistoutcedonttuasenvieparcequetuvoislavie différemment, mais c’est des conneries. Tu sais que c’est desconneries.
—Cenesontpasdesconneries,dit-ild’unevoixgrave.—Tuneveuxplusjoueraufoot,Sebastian.Tumel’asavoué.Ilseredressadetoutesahauteur.—Etsionparlaitunpeudeça?ajoutai-jeenserrantlepoing.Tune
veuxplus jouer au foot,mais je te parie quedansun an, tu seras dansl’équipedetafacparcequetun’aspaslecouragedefairefaceàtonpère.Alors n’essaie pas de me faire croire que tu as complètement changé
depuis l’accident, que tuasmûri etque tuaffrontes tesproblèmes sansrechigner.
Illevalatêteversleciel.Onauraitditqu’ilcherchaitsesmots.—Çan’arienàvoiraveclefoot.Onparledenous.—Comment est-ce que tupeuxpenser ànous ?m’exclamai-je.Nos
amissontmorts!Ilsviennentjustedemourir.Ilsnereviendrontjamais,ettoi,laseulechoseàlaquelletupenses,c’estbaiser!
Jeprisunegrandeinspiration.Dèsquelesmotsétaientsortisdemabouche,j’avaisvoululesravaler.
J’étaisalléetroploin.LesyeuxdeSebastiantrahirentsonchoc,puissamâchoiresecrispa.—Jen’arrivepasàcroirequetuaiesditça.Tut’entends?Moinonplus.Jen’arrivaispasàycroire.Lagorgenouée,jetentaidecalmerlesbattementsfousdemoncœur.—Sebastian,je…— Non. (Il leva la main pour m’interrompre.) Je vais te répondre
rapidement.Ettuasintérêtàécouter.Jefermailabouche.Etécoutai.— Nos amis sont morts, c’est vrai. Merci de m’avoir rappelé que
j’avaisperdutroisdemespoteslesplusprochesetquej’aifailliperdremameilleure amie, la fille dont je suis amoureux. Ce qui nous différencie,c’estquemoi,jenepassepasmesjournéesàruminer.Ettusaisquoi?Çanefaitpasdemoiquelqu’undemauvais.Nosamisn’auraientpasvouluqu’onselamentesurnotresort.PasmêmeCodyetsonegodémesuré.(Ilfitunpasversmoi.)Jenesuispasmortaveceuxetjenemettraipasmaviesurpause.D’accord,çanefaitqu’unmoisetpersonnenes’attendàceque tu aies fait ton deuil. Mais reprendre le cours de ta vie et aimerquelqu’unneveutpasdirequetuastournélapage.Çaneveutpasnonplus dire que tu les oublies. Je peux très bien mener ma vie tout enpleurantleurmort.
J’ouvrislabouchepourparler,maisiln’avaitpasfini.
—Etcommentoses-tuinsinuerquejenetienspasàeuxouquejenepensepasàeuxtouslesjours?Cequenousétionsentraindefairesurcelitn’estpasunemarqued’irrespect.Maistusaisquoi,c’estenpartiemafaute.Tun’esclairementpasprêtepourça.Tuescomplètementàcôtédelaplaqueetj’aicru…Jenesaismêmeplus,maisjesuisvraimentdésolé.Pardon.(Savoixsefitrauqueetilsepassalamaindanslescheveux.)Cequejeressenspourtoi,cequ’onétaitentraindefaireetcequej’aienviedetefaire…cen’estpasseulementpourbaiser.Je…n’arrivepasàcroirequetupuissespenserçademoi.
Leslarmesmemontèrentauxyeux.Jelesfermaiaussitôt.— Je ne suismême pas sûr que je puissemettre ta réaction sur le
compteduchagrin,dit-il, et je sentismoncœur se craqueler.Parcequemalgrécequis’estpassé,malgrénosproblèmes,tudevraismeconnaîtremieuxqueça.
Mes larmes me brûlaient et malgré tous mes efforts, l’une d’elless’échappaetcoulasurmajoue.Jel’essuyaid’unemain.Jerestaideboutainsiquelquesinstantsavantd’ouvrirlesyeux.
Sebastianavaitdisparu.Jenel’avaismêmepasentendupartir.C’étaitcommes’iln’avaitjamaisétélà.
Lelendemain,jenemerendispasaulycée.Lematin,j’avaisditàmamèrequejenemesentaispasbien.Ellene
m’avait pas demandé pourquoi et c’était tout aussi bien. J’ignorais siSebastianétaitvenumechercherpourm’emmeneràl’école.J’avaiséteintmon portable pour me couper du monde extérieur. Plus que tout, jevoulaismecacher.
Je ne pourrais pas en vouloir à Sebastian s’il décidait de ne plusjamaism’adresserlaparole.
J’avaisconscienced’avoirtoutgâché.Jen’avaispasétéhonnête,jenelui avais pas avoué ce que j’éprouvais réellement, ni pourquoi mon
sentimentdeculpabilitén’étaitpaslemêmequelesien.Jen’étaisfrancheavecpersonne.J’étaislâche.
Commemonpère.Pourtant,jen’avaispasenvied’êtrecommeça.Alorsjerestaiallongée
desheuresàréfléchir.Ilétaitunpeuplusde13heuresquandj’entendismamèremonterà
l’étage.— Je suis venue voir comment ça allait, dit-elle en entrant. Tu as
éteinttontéléphone.Jevoulaism’assurerquetoutallaitbien.—Pardon,murmurai-jedepuismonlit,pathétique.—Oùesttonportable?D’un geste las, je désignai mon bureau et regardai ma mère s’en
approcheretleramasser.Puisellel’allumaetlefittombersurmonlit,àcôtédemesjambes.
—N’éteinsplusjamaistontéléphonequandtuesmaladeàlamaison.Je veuxpouvoir te joindre. (Sa voix était sévère, son regarddur.)C’estcompris?
—Oui.Sesépaulessetendirentsoudain.Ellecroisalesbrassursapoitrine.—Lena…Jesaispourquoitun’espasalléeaulycéeaujourd’hui.—Maman…grognai-jeenmeprenantlevisageentrelesmains.Mamèrecroyaitsansdoutequecequ’ellem’avaitapprisausujetde
mon père m’avait bouleversée. Pour être honnête, je ne savais qu’enpenser.
Elles’assitauborddulit.— Sebastian est passé te prendre cematin, pour aller à l’école.On
aurait dit qu’il n’avait pas beaucoup dormi et il n’a pas eu l’air surprisquandjeluiaiditquetunetesentaispasbien.
Mon cœur stupide se gonfla. Sebastian était venume chercher alorsquejel’avaisinsultédelapiredesfaçons.
Mamèremarquaunepauseavantdereprendrelaparole.
— Tu crois que je ne sais pas que Sebastian vient te voir tous lessoirs?
Jemecouvrislesyeuxaveclamain.—Vousessayezd’êtrediscrets,maisjevousentendsparler,parfois.Je
ne t’ai pas fait la remarque,parceque je penseque tu as besoinde tesamis en cemoment etparceque jen’ai pasbeaucoupvuDary etAbbi,m’expliqua-t-elle.EtpuisjefaisconfianceàSebastian.
J’avaisenviedemecachersousmonlit.—Jetefaiségalementconfiancepourfairelesbonschoixvis-à-visde
lui,ajouta-t-elleetjen’étaispascertainedelacroire,carilétaitclairqueje n’étais pas douée dans ce domaine. J’ai entendu une partie de votreconversation,hiersoir.
Oh,Seigneur.Jegrimaçai.—Lena,souffla-t-elle.Cegarçont’aimedepuislepremierjour,quand
ilestvenufrapperàlaportepourtedemandersituvoulaisfaireduvélo.—Jesais,Maman.(Jeposailamainsurlelitetlaregardai.J’avaiseu
tout le temps de réfléchir durant lamatinée.) Je pense… je pense qu’ilm’aime vraiment, murmurai-je. (Mes lèvres tremblaient.) De tout soncœur. Mais je… je ne sais pas si je suis prête pour ça. J’ai attendu cemomentuneéternité,maismaintenant…j’ail’impressionquec’estmal.
—Machérie,dit-elled’unevoixtremblanteensepenchantversmoipour me prendre la main. Tu traverses des épreuves difficiles en cemoment.Jesaisqu’iln’yapasqueSebastian.Tonentraîneurm’aappeléecematin.Ilm’aapprisquetuavaisquittél’équipe.
—Je…Mesenviesontchangé.—C’estpareilpourSebastian?— Non. Pas vraiment. C’est juste que… je ne le mérite pas. Je ne
méritepastoutça.—Pourquoidis-tuunechosepareille?Jeposailesyeuxsurlamappemondeavantdereportermonattention
surelle.
—Tusaispourquoi.Sesyeuxs’arrondirentdesurpriseetsoudain,elleeutl’airsurlepoint
depleurer.— Oh, mon cœur, ne dis pas ça. Tu mérites d’être heureuse. Tu
méritesd’avoirunavenirettoutcequetuastoujoursdésiré.Cettenuit-lànedéfinirapastavietoutentière.
—ElleapourtantdéfinicelledeMeganetdesautres.Quandlesgensparleront de Cody, son souvenir sera toujours terni par ce qu’il a fait.PareilpourChrisetPhillip.
Etceseraitlamêmechosepourmoisimoncomportementvenaitàsesavoir.
Mamèremeserralamainunpeuplusfort.Àsonexpressionhorrifiée,jecomprisqu’ellenesavaitpascommentmeréconforter.
Jeretiraimamaindelasienneetmeredressailégèrement.— J’aimerais revenir en arrière et agir différemment. J’ai été si
stupidedem’inquiéterpourdeschosesfutiles.Mescraintesdecettenuit-làmeparaissenttellementridicules,aujourd’hui.
—Mapuce,tescraintesn’ont jamaisétéridicules.(Ellemereprit lamain.)Aujourd’hui,tuvoisleschosesdifféremment.Voilàtout.
Lemercredimatin, Sebastianme conduisit au lycée. Le trajet se fitdans un silence gêné et je sus que je ne reproduirais pas l’expérience.J’allaisdemanderàDarydemeramenerchezmoi,etdès le lendemain,j’essaieraisdeconduireseule.J’avaisbesoindeprendrelevolant.
Deprendrelecontrôle.Demeprendreenmain.Tandis que j’avançais vers les bureaux administratifs, je ne pensais
plusàSebastianniànotredisputeouàcequemamèrem’avaitavoué.Jeréfléchissaisàcequiallaitsepasserdurantlestrenteprochainesminutes.
Aujourd’hui,j’allaisdevoirparlerdelasoiréedel’accident.Sansriencacher. Il fallait que je le fasse et que je m’allège de ce poids qui
m’écrasait la poitrine. J’ignorais si celame soulagerait oum’accableraitencore davantage,mais il était grand temps que je le dise à quelqu’un,avecmespropresmots.
Lesmainstremblantes, j’entraidans lapetitesalle.Jevisàpeine lesaffichesdébilesaccrochéesauxmurs.LeDrPerrym’attendait,assisàsonbureau,avecune tasseque jeneconnaissaispasdevant lui. J’étais tropnerveusepourlirecequiétaitécritdessus.Jesavaisqu’elleétaitnouvellecar,àladifférencedesprécédentes,elleétaitorange.
—Bonjour, Lena. (Le sourire aux lèvres, il se laissa aller en arrièredanssachaisetandisquejem’asseyaisenfacedelui.)Onm’aditquetun’étaispasvenueàl’écolehier.Tunetesentaispasbien?
Après avoir posémon sac par terre, jem’assis sur la chaise. J’étaisraidecommeunpiquet.
—C’étaitunemauvaisejournée,voilàtout.—Tuveuxenparler?Mon premier réflexe fut de refuser, mais cela aurait été contre-
productif.Aussiluiracontai-jecequis’étaitpasséavecSebastian.J’omisquelques détails, bien sûr, car cela aurait été trop gênant. Quand j’eusterminé, jeme sentais épuisée tant sur le plan physique qu’émotionnel.Pourtant,laséancenefaisaitquecommencer.
— Tu penses que Sebastian a tort de vouloir continuer à vivrenormalement?
—Oui.Non.(J’avaisenviedemetaperlatêtecontrelatable.)Jenesaispas.Enfin,non.Iln’apastort.Ilaledroitdecontinuer.Ilaledroitde…
—Etpastoi?m’interrompitleDrPerry.Je secouai la tête et ouvris la bouche pour lui dire la vérité, mais
mêmes’ilétaitdéjàaucourant,elleétaitdifficileàavouer.—Pourquoiest-cequej’enauraisledroit?Ilposasatasse.—Pourquoinel’aurais-tupas?—Parcequetoutestmafaute,répondis-je.
J’avaisenviedevomir.—Jecroisqu’avanttoutechoseilfautquetumeracontescequis’est
passé cette nuit-là, me dit-il d’une voix douce. Tu crois que tu en escapable?
—Oui,répondis-je.Ilfautquejelefasse.Ilfautquejeparledecettenuit-là. (Les larmesmemontèrentauxyeuxetmoncœurs’emballa.) Jesavais que Cody avait bu et je… j’aurais pu l’empêcher de prendre levolant.Jen’étaispasivre.
Alorsjemeremémoraitoutcequis’étaitpasséavantl’accident.
J’étais dans l’allée qui menait à la maison des parents de Keith avecMegan.Jevoulaisrentrer.Jesentaisunemigrainepoindre,justederrièrelesyeux,etlamusique,lescrisetlesriresn’aidaientpas.
Toutefois, je refusais de demander à Sebastian de me raccompagner.C’était hors de question après notre discussion – ou plutôt notre dispute.Sanscompterquejenel’avaisplusvudepuis l’arrivéedeSkylar.Jen’avaisaucuneenviedelessurprendreentraindeseroulerdespelles.
Uneboulepesaitsurmonestomac.Jeregrettaisd’avoirparléàSebastian.Demain,toutseraitdifférententre
nous. On ne reviendrait plus jamais en arrière. On ne pourrait pas fairesemblant.
Jevoulaisjusterentrerchezmoi.—OùestChris?demandai-je.Megan,quiétaitappuyéecontremoi,désignaCodyd’ungestedelatête.
Celui-ci était penché en avant, le bras posé sur la portière ouverte d’unevoiture, et discutait avec quelqu’un.Chris, le cousin deMegan, se tenait àcôtédelui.
—L’undesdeuxvanousramener,dit-ellelentement.C’esttoutcequejesais.
Codypartaitavecnous?—Jecroisquejesuisbourrée,reprit-elled’unevoixtraînante.
—Ahbon?Tucrois?raillai-je.Jel’enviaispresque.—Justeunpetitpeu.(Avecunsoupir,ellepassaunbrasautourdema
taille.)Jet’aime,Lena.Jesourisetrecoiffaimescheveuxhumidesenarrière.—Moiaussi,jet’aime.—Tum’aimesassezpourmeporter jusqu’àchezmoisansréveillerma
mèreetmemettreau lit?medemanda-t-elleens’écartant.(Lechantd’uncriquet capta un instant son attention.) Mais d’abord, on va passer auMcDo.J’aienviedenuggets.
Jeris.— Je peux sans doute t’aider pour les nuggets, mais je ne suis pas
certainedefairelepoidsfaceàtamère.Ellegloussaetobservalesalentoursentanguant.—Attends…TuasditàSebastianquetupartais?— Jene saispasoù il est, répondis-je en regardantCodyetChris,qui
revenaientversnous.Elletapadanssesmains.Lemouvementlafitreculer.—Onvalechercher!—Chercherqui?demandaCody.—Sebastian!s’exclamaMegan.Jegrimaçai.Cody,lui,passasonbrasautourdemesépaules.— Il est avec Skylar.Dans le pool house, je crois, dit-il enme serrant
contrelui.Jelesaivusyentrer.Le trouqui s’était formédansmoncœur tripladevolume.Codyaurait
très bien pu mentir, mais je n’avais aucun moyen de le savoir. De toutefaçon…celan’avaitpaslamoindreimportance.
Megangrimaça.—Bon,d’accord.Onnevapaslechercher.—Çameva,répondis-jeenmelibérantdel’étreintedeCody.Chris bâilla et lança ses clés à Cody. Elles heurtèrent son torse et
tombèrentparterre.
—Tuveuxbienconduire?luidemanda-t-il.Jesuiscrevé.— Ouais. D’accord. (Cody se pencha pour ramasser les clés.) La
prochainefois,préviens-moiavantdeleslancer.—Maintenant,jecomprendspourquoituesquarterbacketpasreceveur,
letaquinaChris.—Vatefairefoutre,rétorquaCody.Leretourpromettaitd’êtretrèslong.—Hé!Attendez!s’exclamaPhillipderrièrenous.(Ilcouraitdansnotre
directionentenantsonmaillotd’unemain.)Jeviensavecvous!Àcôtédemoi,Megansouffla.—Etmoiquipensaisavoirréussiàm’endébarrasser.Visiblement,leurdiscussionnes’étaitpasbienpassée.—Montez!ditCody.Iltenditlamainverslaportièreetlamanqua.Lapoignéeclaqua.— Hé ! s’exclama Chris qui s’asseyait à l’avant, à côté de lui. Fais
attention!Certainsd’entrenousprennentsoindeleurvoiture.— Si tu t’inquiètes pour ta voiture, pourquoi est-ce que tu le laisses
conduire?demandaPhillipendonnantunetapesurlesfessesàMeganaupassage.
Elleseretournasivitequ’ellefaillittomberàlarenverse.Jelarattrapaipar le bras tout en regardant Cody ouvrir sa portière. Ses mouvementsétaient étranges, saccadés. Dans la lumière de l’habitacle, son visage avaitl’airunpeurouge.
—Tuvasbien?Tupeuxconduire?—Pourquoiest-cequeçan’iraitpas?Ils’assitderrièrelevolant.Jem’arrêtaidevantlaportièrearrière.—Ondiraitquetuastropbu.Ilfronçalessourcils.—T’essérieuse?J’aibuqu’unverre.Sontonagressifmesurprit.—C’étaitjusteunequestion.
—Allez,viens,ilteditqueçava!(Meganmepritlamainetsepenchaversmoi pourmemurmurer à l’oreille.) J’ai envie demanger des nuggetsavecdelasauceaigre-douce!
—Beurk,murmurai-je,distraite.Toutenmemordantl’intérieurdelajoue,j’essayaidemerappelerceque
Codyavaitbu.Jel’avaisvuavecunebouteilleàlamain.Oubienétait-ceunverre?Jen’avaispasfaitattention.
—Jedevraispeut-êtreconduire?proposai-je.Chrisgrogna.—Situveuxrentrercheztoi,montedanscettevoiture,Lena.Phillips’installaitdéjàdel’autrecôté.Megan,elle,mepoussaitpourque
jemonte.—Jeneveuxpasm’asseoiràcôtédelui,souffla-t-elle.— Je t’entends, tu sais ? (Phillip tapota la place dumilieu.) De toute
façon,jepréfèreêtreàcôtédeLena.Elleestplusgentille.— «Elle estplusgentille », l’imitaMegande lavoix laplusaiguëque
j’avaisjamaisentendue,lesmainsposéessurleshanches.Dépêche-toi,Lena.J’aifaim.
— Tout ira bien,me dit Cody en s’asseyant au volant du4×4. (Sesyeuxbrillaientdanslalumièreartificielle.)Jetejure.Jeconnaiscetteroutecommemapoche.
Je ne savais pas s’il était suffisamment sobre pour conduire, mais lesgarçons me regardaient d’un air agacé, et Megan insistait parce qu’ellevoulaitàtoutprixmangerdesnuggets.
—Ilteditqu’ilvabien!s’exclamaMeganavantdeglousser.J’aiunedecesfaims!
—Allez,dépêche-toi,insistaCody.Arrêtedechipoter.Assieds-toi.Jesentismonvisages’empourprer. Ilavaitraison.Jem’inquiétaispour
rien. Aussim’installai-je dans la voiture, serrée entreMegan et Phillip. Auboutd’uneoudeuxminutes,jeréussisàrécupérerlaceinturequiétaitsousPhillipetm’attachai.Pendantquelesautresbaissaientleursvitres,jesortismontéléphonedemonsac.J’avaisplusieursmessagesdeDary.
MeganpassalebrasdevantmoipourenfoncersonindexdanslajouedePhillip.
—Hé,tum’achètesdesnuggets?Jem’écartai touten lisant lesmessagesdeDary.Ellem’avaitenvoyé la
photod’un tableauqu’un enfantdedeuxansauraitpupeindre,avecpourlégende:«C’estdel’art,ça?Jecroisquejen’ycomprendsrien.»
—Bébé,jepeuxt’acheterdeuxmenusnuggets,réponditPhillip.Ettoutelasauceaigre-doucequetuveux.
Quelromantisme…Megansoupira.—Tumeconnaistellementbien.Tusaisquej’aibesoindesaucechinoise
pourêtreheureuse.Pourquoiest-cequ’ons’estséparés?Jegrimaçai,sansleverlesyeuxdemontéléphone.La radio s’alluma soudain. Quand je relevai la tête, je vis que Chris
s’endormait déjà. Cody faisait défiler les stations tellement vite que je nereconnaissaispasleschansons.
Je retournai àmesmessages, sans prêter attentionàMegan et Phillip.J’espéraissimplementqu’ilsn’essaieraientpasdes’embrasseralorsquej’étaisentre eux. Dary m’avait envoyé la photo d’une robe et me disait qu’ellecomptaitcoudrelamême.Jeluirépondis.
Çat’iraitsuperbien.OnrentredechezKeith.
Jet’appelledemain.
L’air frais s’engouffrait par les fenêtres et soulevait mes cheveux. Jerelevailatête.J’avaisl’impressionqu’onallaitvite,maisjenevoyaisrienàl’extérieur. Après avoir envoyé ma réponse à Dary, j’écrivis un message àAbbipournepasqu’elles’inquiètedemonabsence.
JesuisrentréeavecMegan.Jenevoulaispaste
—Put…!Codyneterminapassonmot.Le4×4viraàdroitesibrusquementque
monportablefutéjectéd’entremesmains.Quelqu’un (Megan?) cria.On fit une embardée.Vite. Trop vite. Jene
comprenaispascequisepassait.Lapeuretladésorientationm’empêchaientderespirer.
Letemps…Letempssemblaralentiretaccéléreràlafois.Jelevailesbraspouressayerd’attraperlesiègeavant,maissoudain,je
me retrouvai en l’air. Quand on retomba, le choc fut si terrible que je lesentis se répercuter dans tous les os de mon corps. Un coup de tonnerretonitruantsecoualavoiture.J’entendisduverresebriser,puisretomberenpluied’éclatsdeglace.Unedouleurinsupportableexplosadansmonvisage.Quelquechosem’avaitheurtée…unbras…non,unejambe.
On volait. L’air nous soulevait. La ceinture de sécurité me bloqua,s’enfonça dans mon ventre et ma poitrine, tandis que ma tête partait enarrière. Une douleur fulgurante me traversa tout le corps. La gorge mebrûlait.
Dumétalgrinça.C’étaitletoit.Oh,monDieu,letoits’étaitarraché.Onétait à l’envers, puis à l’endroit, puis encore à l’envers, et ainsi de suitependantcequimesembladureruneéternité.Toutcequej’entendais,c’étaitlebruitdu4×4quisedésintégrait,morceauparmorceau.Ladouleurquejeressentaisétaitinsupportable.Iln’yavaitplusriend’autrequelapeine,laterreur,lestonneauxdelavoiture,lescris.
Alors,toutdevintnoir.
DEMAIN
CHAPITRE24
Assise sur mon lit, j’observais mon téléphone portable comme jel’avais fait des centaines de fois depuis l’accident. Il était petit et noir.L’écranétaitaussilisseetparfaitquelejouroùjel’avaisacheté…toutlecontrairedemoi,quimesentaisbrisée,détruite.
Lagorgenouée, je fermai lesyeuxetprisunegrandeinspiration.Laséance avec le Dr Perry m’avait anéantie. Si on ne comptait pasl’interrogatoire de la police à l’hôpital, c’était la première fois que jeparlaisde cequi s’était réellementpassé et que jemettaisdesmots surmessouvenirs.
Je croyais que m’ouvrir m’aiderait à avancer, que les choseschangeraient, que je ressentirais un certain soulagement… mais celam’avait seulement donné envie d’effacer à jamais ces souvenirs de mamémoire.
Ce soir-là, j’étais suffisamment lucidepour savoir queCodyn’auraitpasdûprendrelevolant.J’auraisdûécouterlapetitevoixdansmatêteetle sentiment de malaise qui me retournait l’estomac. Pourtant, je nel’avais pas fait. Si j’avais insisté, tout serait différent aujourd’hui. Et lesjoursàvenirseraientaussiradieuxquelesplusbeauxdenosjourspassés.
Je ne croyais tout simplement pas qu’un tel drame pouvait nousarriver.Pasànous.
Quand j’ouvris les yeux et aperçus le téléphone devant moi, mapoitrine se serradavantage.Celame rappelait ceque j’avais ressenti en
meréveillantà l’hôpital.Depuis, jem’étaisserviedemonportablepourpasserdesappelsouenvoyerdesmessages,mais…
Maisilmerestaitdesmessages,écritsetvocaux,quejen’avaisjamaislusouécoutés.Jenelesavaispasoubliés.Jelesavaissimplementmisdecôté.
J’attrapai mon téléphone et ouvris mes messages. Je les fis défilerjusqu’àatteindreceuxquejen’avaispaslus.Ilyenavaitunedizaineetilsdataientd’aprèsl’accident.Jelus les«J’espèrequetuvasbien!»,puislesnombreux«Jesuistellementcontentequetuaillesbien!Écris-moi!»Je les ouvris les uns après les autres sans rien ressentir, jusqu’à ce quej’atteigneunmessaged’Abbi.Sursonicône,elleportaitunbonnetpanda.
Jenesavaismêmepasoùelleavaitpudénicherunbonnetpareil.Le derniermessage qu’ellem’avait envoyé datait dumercredi après
l’accident.
Pourquoi est-ce que tu ne veux pas nous voir ?
Tunousmanques.Ons’inquiètepourtoi.
Chaqueinspirationmebrûlaitlagorge.Abbisavait-ellequejen’avaispas mon portable avec moi à l’hôpital ? Est-ce que c’était important ?J’avaisrefusédevoirmesamis.J’avaisattenduunmoisavantd’ouvrircesmessages.Non.Çan’avaitpaslamoindreimportance.
Enremontantdanslesmessages,jevisqu’ellem’enavaitenvoyédeuxle soir de l’accident. « Où es-tu ? » et « RÉPONDS-MOI TOUT DESUITE!»
Le message précédent avait été envoyé pendant la fête. C’était unselfie de nous deux. On souriait, nos visages collés l’un contre l’autre.Derrièrenous,ondevinaitlatêtedeKeith.
Commesi celane suffisaitpas, j’allai ensuiteouvrir lesmessagesdeSebastian. La gorge sèche, je remontai jusqu’à ceux que je n’avais pasencorelus.Lespremiersressemblaientàceuxd’Abbi.
Oùes-tu?
Il y en avait plusieurs, qu’il avait dû envoyer les uns à la suite desautres.
Tuespartiesansmeledire?Bon. Réponds-moi. Je commence à paniquer.
Quelqu’un a dit qu’il y avait eu un accident
graveprèsd’ici.Allez.Réponds.S’ilteplaît.
Moncœurbattaittrèsfort.Jesavaisqu’ilm’avaitégalementlaisséunmessagevocal,quim’attendaitsurmonrépondeurcommedenombreuxautres.
Je refermai ses messages et continuai mon exploration. Mon pouces’arrêtasurl’icônedeMegan.Lederniermessagequ’ellem’avaitenvoyécomportaitunepiècejointe.Jesavaisdequoiils’agissait.C’étaitlaphotod’un ballon de volley-ball sur lequel elle avait dessiné un visage. Elles’était amusée, un soir, après l’entraînement. J’ignorais ce qui lui avaitpris.Meganétaitcommeça.Elleaimaitfairedeschosesincongrues.
Jemouraisd’enviedeliresesmessages,maisjenem’ensentaispaslaforce.J’étaisincapabledevoirsesmots,demereplongerdanscequiavaitétéetcequineseraitplusjamais.Jefermail’applicationetconsultaimesmessagesvocaux.
Jelesécoutaitous.Lorim’avaitlaisséunmessageaprèsqueMamanl’avaitcontactée.Elle
medisaitqu’ellearrivaitetqu’ellem’aimait.Savoixétaitcalmeetposée.Rien à voir avec celle d’Abbi, quim’avait appelée, cemême soir, parcequ’elle ne me trouvait pas, ni celle de Dary, le dimanche suivant. Jecomprenaisàpeinecequ’elledisait.
Ilyavaitdesmessagesdemonéquipedevolleyetdecamaradesquiétaientdanslamêmeclassequemoil’annéeprécédente,auxquelsj’avaisàpeineparlédepuis.Leursvoixm’étaientétrangères,maislesmessages,eux,étaienttouslesmêmes.
Lorsque j’arrivai à la fin desmessages, je voyais à peine l’écran demontéléphone.J’avaislesyeuxembuésdelarmes.Lamaintremblante,jeretournaienarrière,versceluiquej’avaismisdecôté.CeluideSebastian.
Lorsquej’appuyaisurlebouton«Lecture»,jesentistouslesmusclesdemoncorpssecrisper.Quelquessecondess’écoulèrentensilenceavantquej’entendesavoix.
—Réponds,Lena.Jet’ensupplie.Répondsàtonfoututéléphone.(Savoixétaitrauque.Ilétaitclairqu’ilcommençaitàpaniquer.)Tun’espasdanscettevoiture,tum’entends?Putain,jet’enprie.Dis-moiquetun’espasdanscettefoutuevoiture.Appelle-moi.Dis-moiquetun’espasdanscettevoiture.
Lemessages’arrêtait là.Je laissai tombermonportableetpressai lapaumedemesmainscontremesyeux.Sebastianparlaitdelamêmefaçonquelorsqu’ilm’avaitvueàl’hôpital.
Ilparaissait…détruit.Parcequ’àcemoment,aufonddelui,ilsavait.Ilavaitcomprisqueje
ne le rappellerais pas, que j’étais dans cette voiture avec Cody, Phillip,ChrisetMegan.
Je fis glisser mes mains le long de mes joues humides. Mon cœurn’étaitplusqu’uneblessureouverteetdouloureuse.Unenuitavaitsuffiàfairebasculernosviespourtoujours.Unmauvaischoixavaitchamboulénotreavenir.
Qu’aurais-je fait différemment ce soir-là si j’avais su qu’il n’y auraitpasdelendemain?
Tout.Absolumenttout.
CHAPITRE25
Descitrouillesornaientlesperrons.Lesfeuillesdujardinavaientprisdesteintesorangeetrouges,toutcommelesérablesquibordaientlesrueset entouraient le lycée. Les décorations d’Halloween avaient fait leurapparitiondanslesvitrinesdesboutiquesdelaville.
Lesbanderolesannonçantlebaldel’automneétaientaccrochéesdanslescouloirs.Onpouvaitsentirl’excitationfrémirdanslessallesdeclasseetlacantine,oùtouteslesdiscussionstournaientautourdubal,delafêteetdesrobes.
L’air s’était rafraîchi. Les tee-shirts à manches longues et les giletsavaientremplacé lesdébardeurs,mais jen’avais toujourspasrangémestongs.Jelesporteraisjusqu’auxpremièresneiges.
Jecommençaisàpréparermademanded’inscriptionàl’universitédeVirginie.
Deux semainesplus tôt, onm’avait retirémonplâtre.Mes côtesmefaisaientencoresouffrirdetempsentemps,maisjepouvaisdormirsurleflancetjerespiraisdenouveaunormalement.Celafaisaitunpeuplusdedeuxmoisquel’accidentavaiteulieuet…
Lesgenscommençaientdéjààoublier.Laviereprenaitsoncours.Parler auDr Perry de ce qui s’était passé le soir de l’accident avait
allégélepoidsécrasantquejeportaissurlesépaules,sanspourautantlefairedisparaître.
Quandjeluiavaisannoncéquej’avaisenfinécoutéetlulesmessagessur mon téléphone, il m’avait félicitée. J’avançais. Petit à petit. Aprèsavoirracontémaversiondesfaits,jen’avaiseuaucunerévélation,aucunmomentdegrâce.
Laseulevéritéquicomptait,c’étaitquej’avaiseuunchoixàfaire.Etquej’avaisfaitlemauvais.Lemercrediprécédent,leDrPerrym’avaitditceci:— Certains diront et croiront fermement que Cody est le seul
coupable, parce qu’il se trouvait derrière le volant. D’autres diront quepersonnen’estàblâmer.Maisilsauronttoustort.Sais-tupourquoi?
—Non,pourquoi?demandai-je.—Lebutn’estpasderejeterlafautesurquelqu’unpourl’accablerou
le blesser. L’action comme l’inaction ont leurs conséquences. Si onn’assumepasnosresponsabilités,onestcondamnésàrépétersanscesselesmêmeserreurs,m’expliqua-t-il.Touteslespersonnesprésentescesoir-là,cellesquivousontvuspartir,quisavaientquevousaviezbu,etmêmeles parents qui vous ont autorisés à consommer de l’alcool, sontcoupables.Toiaussi,tul’esenpartie.
Enpartie.Pasentièrement.Enpartie.Cela neme semblait pas faire une grande différence,mais il me le
répéta à la fin de la séance, puis le vendredi suivant. Je n’étais pas laseuleresponsabledel’accident.Etcettenotionmemarqua.
Les choses ne changèrent pas du tout au tout. Il n’y avait pasd’interrupteur magique capable de me faire accepter la situation. Aucontraire, j’eus soudain l’impression que tout était plus réel, que messouvenirsn’enétaientqueplusclairs.
Etpuis,aprèslaséancedumercredi,lescauchemarscommencèrent.J’étaisderetourdanslavoiture,secouéedanstouslessens.Parfoisje
rêvaisque jen’étaispasmontéededans,maisque je savais cequiallaitarriveràmesamis.Mespiedsétaientrivésausol.Ilfallaitquej’appelleà
l’aide,que jeprévienne tout lemondeparcequ’ilsallaientmourir,maisj’étais incapabledebouger.Jerestais figée jusqu’àceque jemeréveilleenhaletant.Souvent,quandj’ouvraislesyeux,mamèremesecouaitparlesépaulesetj’avaismalàlagorge.Jecomprenaisalorsquej’avaiscrié.
Le Dr Perry avait raison. Les titres ronflants attachés à son nom yétaient sans doute pour quelque chose. Je souffrais encore d’untraumatisme par rapport à l’accident, par rapport aux souvenirs quej’avais préféré taire. En parler les avait ramenés sur le devant de moninconscient.
Etjeparlaisbeaucoup.Les séances du vendredi et du lundi furent une leçon en thérapie
d’exposition.Serappelerlascène.Larevivre.Àmesurequejerépétaiscequi s’était passé, lesmotsme venaient avec de plus en plus de facilité.Maiscen’estquelevendredisuivantqu’undéclicseproduisit.
Mesamisétaientmorts.Ilsétaientmortspourdebonetmonsentimentdeculpabiliténe les
feraitpasrevenir.Riennelesferaitrevenirnineferaitchangerd’avislesinconnus qui se permettaient de les juger. Rien ne pouvait non plusarrêter la justicedepoursuivre la familledeKeith.Rienn’empêchait lesavocatsdenouscontacter,mamèreetmoi,chaquesemaine.
Àlafindenotrerendez-vous,j’avaistellementcherchéàretenirmeslarmes,envain,quej’avaismalauvisage.Jepassailerestedelajournéeàmecacherpournepasquelesgensvoientquej’avaispleuré.
LeDrPerryavaitraisonàproposduprocessusdedeuil.Jusqu’alors, je ne l’avais pas vraiment commencé. Aveuglée par le
traumatismeetrongéeparlaculpabilité,jen’avaispaseuletempsdemedétacherdemesamis.Jen’avaismêmepascherchéàlefaire.
Les jours, les semainesquipassèrent furent trèsdifficiles. J’avaisdumal à me concentrer en classe. Ils me manquaient : Megan et sonhyperactivité,Codyetsonarrogance,Phillipetsonsarcasme,Chrisetsonhumour.
Mes autres amis, ceux qui étaient toujours là, me manquaient, euxaussi.Ilsmemanquaientterriblement.
Dary faisait toujoursdesonmieuxpourque leschoses redeviennentnormales.Abbi,elle,m’adressaitàpeinelaparole.
Voir mes amis avancer alors que je me tenais toujours au bord duprécipice,àmoitiédanslevide,étaitépuisant.J’avaisl’impressiond’êtredansunecourseoùtoutlemondemedépassait.DaryetAbbidiscutaientdesrobesqu’ellesavaientachetéesleweek-endprécédent.Ellesm’avaientproposé de les accompagner, mais j’avais refusé. Elles agissaient…normalement.Commeavant.Pasmoi. J’étais coincéedans la souffrancedudeuilquis’étaitabattuesurmoi.
Maisceluiquimemanquaitleplus,c’étaitSebastian.Notrerelationétaitdevenuecompliquée. Ilnem’évitaitpas,maisce
n’étaitpluspareil.Ilcontinuaitdemangeravecnous,demeparler,maischacunedenosconversationsmeparaissaitforcéeetsuperficielle.Ilavaitélevédesmursautourdelui.
Plusrienn’étaitcommeavant.Jel’avaisblessé.Jem’étaisfaitdumalaussi.Etilnes’endoutaitmêmepas.Lorsque Skylar s’était approchée de notre table, le lundi précédent,
j’avaiscruqu’onm’arrachaitlecœur.SebastianétaitassisavecGriffithetKeith qui, comme d’habitude, se trouvait à côté d’Abbi. Une fois, je luiavais demandé s’ils sortaient ensemble, mais elle s’était contentée desecouerlatêtecommesij’avaisdûconnaîtrelaréponse.
Toutefois, à cet instant, je ne pensais pas à Abbi et Keith, jen’entendais que le rire cristallin de Skylar et celui, plus grave, deSebastian.
«C’estàcemomentquejesuistombéamoureuxdetoi.»Sebastianavaitacquiescé,puisavaitlentementtournélatêtedansma
direction.Nosregardss’étaientcroisés.Lesienétaitvoilé.Puis,tendu,il
avaitreportésonattentionsurSkylar.Sonrireavaitrésonnéunesecondefois.
Il avait dit m’aimer, mais lui aussi reprenait le cours de sa vie,retournaitversSkylar,avecsonjolisourireetsaconsciencetranquille.
Après les cours, lemardi suivant, je me traînai jusqu’àma voiture.Comme j’étais arrivée en retard, le matin, j’avais dû me garer tout aufond, à côté du terrain de football. Le soleil avait fait son apparition etréchauffait la froide journée d’automne. C’était le temps parfait pours’entraîner.M.Rogersadoraitnousfairefairedestoursdeterrain.C’étaitplusfacilequandleschaleursestivalesavaienttiréleurrévérence.
Maiscesoir,jenecouraispasavecl’équipe.Cegenred’entraînementne me manquait pas. Les matchs, oui. Pendant longtemps, je m’étaispersuadée que Megan était la seule raison pour laquelle je jouais.Aujourd’hui,jesavaisquecen’étaitpasvrai.
Je soupirai et pressai le pas. J’avais traversé la moitié du parkinglorsquej’entendisquelqu’uncriermonprénom.C’étaitSebastian.Enmeretournant, je le vis courir vers moi. Il portait déjà sa tenued’entraînement:collantsdesportetshortennylon.
Lesbattementsdemoncœurs’emballèrenttandisquejeleregardaisapprocher.
—Hey,croassai-je.—Hey.(Il laissasesbrasretomber.)J’aiunequestionàteposer.Je
voulaislefaireàlacantine,maisj’aioublié.—Oui?—Tuvasaubal?medemanda-t-il.Prise au dépourvu, je me contentai de le dévisager, bouche bée.
Comptait-ilm’y inviter ?Après leshorreursque je lui avais balancées ?Aprèsunmois sans separler?S’ilme ledemandait, jenepourraispasrefuser,mêmesijen’avaisaucundroitd’allerdanserquand…
Ravalantmonamertume,jesecouailatête.—Non.Jen’enaipasl’intention.
Ilplissasesbeauxyeuxbleus.—C’esttondernierbald’automne.—Jesais.J’avaisl’impressionquec’étaitmadernièrechanced’alleraubaletde
jouerauvolley,mais cen’étaitpas le cas.Paspourmoi.Ç’aurait été ladernièrechancepourMeganetlesautres.
—Tucomptesrestercheztoi?Il jeta un coup d’œil par-dessus son épaule avant de reporter son
attentionsurmoi.Je compris alors qu’il n’avait jamais eu l’intention de m’inviter. Le
rouge me monta aux joues. À quoi m’étais-je attendue ? Pourquoim’aurait-ilinvitée?Jemeraclailagorge.
—Oui.Jeresteraichezmoi.Sebastianmeregardalonguement.—C’esttoutcequetuvoulaismedire?luidemandai-jeenbaissant
lesyeuxverssonépaule.—Oui,répondit-ilenreculantverslelycée.J’étaiscurieux,c’esttout.
(Aumomentoùilallaitseretourner,ilhésita,avantdemedire:)Àplus,Lena.
—Salut,murmurai-jeenl’observantrepartirencourant.C’étaitlaconversationlapluslonguequenousavionseuedetoutela
semaine.«Jesuisamoureuxdetoi.»Debout dans le parking, je fermai les yeux. Un klaxon retentit non
loin.Ilm’avait aimée etmoi… j’avais gâché notre amitié et les prémices
d’unavenircommun…avantmêmequ’ilnecommence.
Daryétaitappuyéecontrelecasieràcôtédemoi.Sonnœudpapillonàpoisétaitassortiauxbretellesbleuetblancqu’elleportait.
—Tuasrendez-vousavecleDrPerry,aujourd’hui?
—Oui.(Jesortismonlivred’Histoiredemoncasier.)Jenelevoisquelundi et vendredi ces deuxprochaines semaines.Après, je pense que ceseraterminépourlemoisdenovembre.
—C’estplutôtbonsigne,non?Jehochailatêteetfermailaporteducasier.C’étaitbonsigne,maisj’ignoraissileDrPerrypensaitréellementque
j’allaismieuxousiletempsqu’ilpouvaitm’accordertouchaitàsafin.Jesavais, en tout cas, qu’il avait dit à ma mère, lors d’une de leursconversations téléphoniques, qu’un suivi psychologique en dehors dulycéeme ferait du bien.Malheureusement, lamutuelle demamère necouvrait pas ce type de consultations et nous n’avions pas d’argent àdépenserpourcegenredechoses.
Avecunpeudechance,monétats’amélioreraitavantqu’ilparte.Maisilnefallaitpasvendrelapeaudel’oursavantdel’avoirtué.— Je peux te poser une question ? (Quand j’acquiesçai, elle
continua:)Qu’est-cequisepasseavecSebastian?Çametracassedepuisplusieurssemaines,maiscommetuterenfermesdèsqu’onparledelui,jen’airiendit.
Jeremontail’ansedemonsacsurmonépaule.—Ilnesepasseriendutout.—Tuessûre?Parcequ’ilparlaitdetoivingt-quatreheuressurvingt-
quatreettoutàcoup,ilnes’assiedplusàcôtédetoietjenevousaiplusjamaisvusdiscuter.
—Ilestoccupé,c’esttout.Moiaussi,mentis-jeavantdeluitournerledos.
Darymarchaprèsdemoi.—Aufait, j’aientenduunerumeur,reprit-elleenparlantlentement,
commesiellechoisissaitsoigneusementsesmots.J’aihésitéàteledire,parcequejenevoulaispastefairedelapeine,maisenmêmetemps,jeneveuxpasquetul’apprennesparhasard,sic’estvrai.
Lesmusclesdemondossetendirent.Jem’attendaisàtout.
— Quoi ? (On s’arrêta au bout du couloir, près de projets d’artplastique tellement affreux que je me demandais pourquoi on les avaitexposés.)Quellerumeur?
Darysemorditlalèvreetsedandinad’unpiedsurl’autre.— J’ai entendu dire… Enfin, Abbi a entendu dire et m’a rapporté
que…—Attendsuneminute.Abbiaentenduunerumeuretellet’enaparlé
àtoi.Pasàmoi?Lacolèrefitmontermavoixdanslesaigus.—Oui,soufflaDary.—Ellen’auraitpaspum’enfairepart?—Elleauraitpu,maisvousn’êtespassuperproches,encemoment.
Etpuis jepensequ’elle savaitque je te le répéterais,meditDary. Je tesignalequetunefaispasbeaucoupd’effortspourapaiservotrerelation.
J’ouvris la bouche pour la contredire, mais elle avait raison. Je nefaisaispasbeaucoupd’effortstoutcourt.
—Bon,qu’est-cequ’elleaentendu?—ElletraînaitavecKeithaprèsl’entraînement…—Ilssontensemble?demandai-je.Daryhaussalesépaules.—Quisait?Jecroisqueoui,maisAbbineveutpasqueçasesache.
TuconnaisAbbi.Entoutcas,ilsvontaubalensemble,mêmesielledoitm’yconduire.Keithl’ainvitée.(Ellepritunegrandeinspirationavantdecontinuer.)Bref.Elle traînait avecKeithaprès l’entraînement.Sebastianétait avec eux. Skylar était dans les parages, elle aussi. Elle n’était pasaveceux,maiselleétaitlà.Tuvois?
Moncœurseserra.—Abbi a entendu Skylar et Sebastian parler du bal. Selon elle, on
auraitditqu’ilscomptaientyallerensemble.(Daryavaitl’airgênée.)Abbin’enestpassûreparcequ’ellen’apastoutentendu,maisc’estcequ’ellepense. La dernière fois que tu nous as parlé de lui, tu nous as dit qu’ilt’avaitavouéqu’ilt’aimait.Alorstuméritaisdelesavoir.
Jenesavaispasquoidire.Celan’auraitpasdûmesurprendre.Mêmesi j’avais l’impression qu’on m’avait piétiné le cœur avec des rangers,c’étaitmoiquiavaisrepousséSebastian.
Jecommençaisàcomprendrepourquoi ilm’avaitdemandési j’allaisaubal.Ilavaitvoulus’assurerqu’ilpouvaityalleravecSkylar,sansquejelesvoiesurleurtrenteetunetparfaitsl’unpourl’autre.
—C’estbien,murmurai-jeenclignantrapidementlesyeux.—Tuessérieuse?C’esttoutcequetuasàdire?Jehochailentementlatête.—Oui.Jesuiscontentepourlui.Poureux,mentis-je.Désormais,jedevaismecontenterdelesoutenir.C’étaitlamoindredeschoses.
CHAPITRE26
— Comment s’est passée ta reprise du travail, ce week-end ? medemandaleDrPerrylelundimatin.
Onétaitladernièresemained’octobre.Lebald’automneauraitlieuleweek-end suivant. Un gros match, suivi d’une grosse fête. En tempsnormal,jen’auraispascommencéàtravaillerauJoanna’savantlamioulafinnovembre,maiscommejenejouaispasauvolley,j’avaisdécidédegagnerunpeud’argent.
—Bien. (J’enroulai les bras autourdemesgenoux.)C’était étranged’y retourner. Felicia, une autre serveuse, m’avait préparé un gâteau.C’étaitgentildesapart.
—Ungâteauauchocolat,j’espère!dit-il.(Quandjehochailatête,ilsourit. Aujourd’hui, il n’y avait pas de tasse devant lui, seulement unthermosargenté.)Tuasfaitcequejet’avaisdemandé?
Leslèvrespincées,jesecouailatête.Unepatience infinie sepeignit sur sonexpression. Jemedemandais
commentilfaisait.—Etavectesamis?Commentçava?Ilmeposaitcettequestiontousleslundiscartouslesvendredis,ilme
demandaitdemeconfieràl’und’euxdurantleweek-end.C’étaientmesdevoirs.Pourlemoment,jen’avaispasréussi.
Jetâchaidemedétendreunpeu.— Dary est toujours pareille. Elle aimerait que tout le monde
redevienne comme avant, vous voyez ? Elle aimerait qu’on soit de
nouveau tous amis. Ce n’est pas qu’elle essaie d’oublier Megan ou lesgarçons,maisje…Jecroisqu’elleneveutplusypenser.Alorsjeneveuxpasfaireremontertoutçaàlasurface.
—Teconfiersurcequetutraversesneferapasforcémentremonterdes choses, me dit-il et je n’étais pas certaine d’être d’accord avec lui.Qu’enest-ild’Abbi?
— Elle nem’a plus jamais rappelé que je n’avais pas bu ce soir-là,maisellem’adresseàpeinelaparole.
Unetristesseterribles’abattitsurmoi.Abbimemanquaittoutautantque Megan. L’une d’elles était perdue à tout jamais. L’autre s’étaitéloignéeetjenesavaispascommentm’enrapprocher.
—Jenesaispassijevousenaiparlé,mais…jeluiaifaitremarquerqu’elle était venue à la fête dans la voiture de Chris tout en lesoupçonnantd’avoirbu.(Malà l’aise, jechangeaideposition.)Ellem’arépondu que ce n’était pas la même chose parce que personne n’étaitmort.
— Quand leurs actions n’ont pas eu de conséquences, certainespersonnesontdumalàadmettrequ’ellesontfaitdeschoixquiauraientpudébouchersurundrame.Ilestdifficiled’admettrequel’onn’estpasparfait,quel’onauraitpuêtrecettepersonne.Quel’onauraitpuprendreladécisionmenantàunecatastrophe.
LeDrPerrycroisalesjambes.—Certains ont de la chance.D’autres non.Mais ce n’est pas parce
qu’onn’apassouffertdirectementdelasituationqu’onnepeutpass’enservirpourévoluer.Parfois, ilsuffitd’êtretémoind’undramecommeletien pour se réveiller, pour se rendre compte qu’on aurait pu être à taplace. Et cette prise de conscience peut être la source de nombreuxconflitsintérieurs.Ilfautducouragepourl’admettre.C’estbeaucoupplusfaciledepointerdudoigtleserreursdesautresetdemettreunvoilesurlessiennes.(Iltapadoucementsurlebureauavecsonstylo.)Enfin,ilyaceux qui ne retiennent jamais la leçon.Ceux-là seront les premiers à tejuger.
Jemerongeailesongles.—Ilsontraisondemejuger.J’auraistrèsbienpurefuserdemonter
dans cette voiture. J’aurais pu essayer de prendre les clés de Cody.J’auraispuretourneràlapiscinepourchercherKeithouSebastianou…
— Oui. Tu aurais pu. Tu aurais pu ne pas céder à la pression etdéciderderesteràlafête.Tuauraispeut-êtreréussiàconvaincreMegande rester avec toi. Mais même avec la meilleure volonté du monde,l’accidentauraitpeut-êtreeulieu.TuauraispuprendrelesclésdeCody,maisilestplusprobablequ’ilnet’auraitpasécoutéeetqu’ilauraitprislevolant.(Ils’interrompitetsoufflabruyamment.)Codyétaitbeaucoupplusfortquetoi.Tunesaispassituauraisréussiàluiprendresesclésous’ilauraitattenduquetuailleschercherquelqu’und’autre.
—J’auraispuessayer,murmurai-jeenreposantlespiedsparterre.—Tuauraispu,Lena,maistunel’aspasfait.Tuluiasdemandés’il
allaitbienetquandilt’aréponduoui,tun’aspasécoutélavoixaufonddetoiquitedisaitlecontraire,mais…(Ilsouffla.)Jevaisêtrefrancavectoi.Tuveuxbien?
Jeplissailenez.—Jecroyaisquevousl’étiezdepuisledépart.Unlégersourireétiraseslèvres.—Tuasfaitdemauvaischoix,cesoir-là.Tulesaisettul’asaccepté.
Tune te voilespas la face.Tun’aspas cherchéà réécrire l’histoire.Tuaurais très bien pu te convaincre que tu n’aurais rien pu faire pourempêcherl’accident,maiscen’estpaslecas.Tuasconsciencedecequis’estpasséetdecequiauraitpusepasser.Celanechangerajamais.Ilvafalloirquetuapprennesàvivreaveclesdécisionsquetuasprises,quetules acceptes, que tu apprennes de tes erreurs, que tu évolues et que tudeviennesunemeilleurepersonnegrâceàelles.
Jemepassaiunemainsurlevisage.Heureusementquejen’avaispasmisdemascara,carilauraitcoulésurmesjoues.
—Comment est-ce que je peux accepter les erreurs que j’ai faites ?Comment devient-on une meilleure personne ? Pour l’instant, j’ai
l’impressiond’êtrelepiredéchetdel’humanité.—Tun’espaslepiredéchetdel’humanité.Jeluiadressaiunregardincrédule.Il haussa un sourcil et leva la main, comme pour m’empêcher de
parler.—Lesplusgrandschangementsseproduisentlentement…ettrèsvite
àlafois.—Çaneveutriendire.—Unjour,tuterendrascomptequetuasdépassél’étatdanslequel
tutetrouvesaujourd’huietquetuasacceptéqu’ilexistedeschosesquetu ne peux pas changer. La vie aura repris son cours. Et tu auras uneimpressiondesoudaineté,alorsqu’enréalitéleprocessusauraétélong.
Jeplissailesyeux.—Cen’estpastrèsencourageant.LeDrPerrysouritd’unefaçonquivoulaitclairementdirequ’unjourje
partageraissonopinion.—Pourcommencer,ilfautquetuteconfiesàtesproches.Unsentimentdepaniquemenoual’estomac.—Tuaslechoix.Soittucontinuesdevivredanslacraintequ’ilsne
découvrentlavérité,etonsaittouslesdeuxquec’estfatigantetquetesamitiésenpâtissent…Soittuleurparles.
—Mais…Ets’ilsmedétestent?demandai-je.— Alors ça voudra dire qu’ils n’étaient pas vraiment tes amis,
répondit-il. Ils seront peut-être en colère au début, ou déçus, mais unvéritable ami t’acceptera avec tes défauts parce qu’il ou elle tient à toi,toutsimplement.
Jemeremisàrongermesongles.Cedontj’étaiscoupablenerelevaitpasdusimpledéfaut.
—EtavecSebastian,commentçasepasse?medemanda-t-il.Unetristesseécrasantem’envahitdenouveau.JelerevisavecSkylar
et repensai à la rumeurqueDaryavait entendue. Je secouai la tête.Cen’était pas important. Il était venu déjeuner au Joanna’s le samedi
précédent, après son entraînement, comme avant… avant l’accident. Ilavaitcommandéunepartdetarteetunverredelait,maiscen’étaitpluspareil.
—Pastrèsbien,admis-jeauboutd’unmoment.J’aimeraisluiparler,mais…et s’ilmehait,après?Jesaisbienquevouspensezque, s’ilmedéteste,c’estqu’iln’étaitpasvraimentmonami,maisill’est.Ilétaitmonmeilleurami.Etcequej’aifait…
LeDrPerrymeregardadanslesyeuxd’unairsérieux.—J’aimeraisque tu comprennesquelque chose.Tun’aspas tué tes
amis,Lena.Tuasfaitunmauvaischoix,certes,maiseuxaussi.Tunelesaspastués.
Aprèslescours,jerefermailaportedemoncasieretpassaimonsacàmonépaule.Unedouleursourdedescendit le longdemonbras,mais jegrimaçaiàpeine.Jemeretournaietavançaidanslecouloirsansvoirlesvisagesautourdemoi.Depuismonrendez-vous,lematinmême,avecleDr Perry, je ne remarquais plus personne. Ses paroles se répétaient enboucledansmonesprit.
Avant qu’il me le dise, j’avais déjà assimilé que je n’étais pas, enthéorie,responsabledelamortdemesamis.Maconsciencen’avaitdoncpasétéplusapaiséedel’entendre.Jen’avaispasprislevolantaprèsavoirbu ce soir-là. Toutefois, je n’avais rien fait pour empêcher Cody de lefaire.Légalement,jen’étaispascoupable.Jen’avaisrienfait.
Toutefois,j’étaismoralementresponsable.C’étaitunpoidsdifficileàporter.Commentsedébarrassait-ond’untel
sentimentdeculpabilité?Jen’étaispascertainequecesoitpossible.Maisj’étaisprêteàessayer.Àmidi,jen’étaispasalléeàlacantine.J’avaisleventrenouéàcause
de ce que je m’apprêtais à faire. Pendant que je me cachais dans labibliothèque,Darym’avaitenvoyéunmessage.Je luiavaisréponduquej’étudiaispouruncontrôle.
En réalité, ce que je comptais faire une fois rentrée chez moi medonnait envie de vomir surmes chaussures. C’était peut-être pour celaque lorsque j’arrivai dans le hall qui menait au parking, je m’arrêtaidevantlesportesclosesdugymnase.
De l’autre côté des petites fenêtres, les filles s’échauffaient. Monventre se noua. L’entraîneur se tenait près du filet et donnait desinstructions.Lesmursetlesportesépaissesétouffaientsavoixpuissante.Ilrestaitencorequelquessemainesavantlafindelasaison.J’avaissuivileursprogrès.L’équipeavaiteuunebonneannéeetarriveraitsansdouteendemi-finales.
Jedevraisêtrelà-bas.Dès que cette pensée traversa mon esprit, je fermai les yeux pour
contenir la vague de regrets qui me submergeait. Cela faisait deuxsemainesqu’onm’avaitretirémonplâtre.J’auraispujouer.J’auraispu…
J’auraispufairedestasdechoses.Maisilétaittroptard.J’avaisprisladécisiondequitterl’équipeetje
ne pouvais pas revenir en arrière,même si le volley-ballmemanquait.Quandj’étaissurleterrain,jenepensaisàriend’autre.JenefantasmaispassurSebastian.Jenem’inquiétaispaspourmamèrenipourmonpèreabsent. Sur ce terrain, jeme contentais deme concentrer sur le ballon.Surmonéquipe.
—Jepeuxrecommenceràjouer,murmurai-je.Unesecoussemetraversadepartenpart.Surprise,j’ouvrislesyeux.
L’équipes’étaitdéplacéeverslesgradins.Oui,jepouvaisrecommenceràjouer.Tenterd’intégreruneéquipeàlafac.Cen’étaitpasgagné,maisjepouvaisessayer.Jepouvais…
Desbruitsdepasmesortirentdemespensées.Jeresserraimaprisesurl’ansedemonsacetreculaipourregarderdequiils’agissait.
Keith.Je ne l’avais pas vu de la journée. Il était habillé comme pour se
rendre à une réception : pantalon noir et chemise blanche. Son sac desportpendaitàl’unedesesépaulesetiltenaitsescramponsàlamain.
Quandilm’aperçut,ilralentit.—Salut,dit-ilenjetantuncoupd’œilàlaportederrièremoi.Qu’est-
cequetufais?Commejenesavaispascommentexpliquermaprésenceici,jehaussai
lesépaules.—Tuvasàl’entraînement?— Oui. (Il s’arrêta devant moi. Ses yeux étaient un peu rouges.)
J’avais rendez-vous avec mes parents et… les avocats. Ça a pris unegrandepartiedel’après-midi.
Monventre senoua.Keith, lui, devait faire faceàdes conséquencesd’untoutautreordre.Commentavais-jepul’oublier?
—Comment…Commentçasepasse?Ilpassasamainlibredanssescheveux.—C’est…Ças’annoncemal.Notreavocataconseilléàmesparents
de plaider coupables. Tu sais, pour écoper d’une amende et de travauxd’intérêt général, au lieu de se retrouver en prison. (Il prit une grandeinspirationetbaissalamain.)Uneplainteaétédéposée,tusais?
Jehochailatête.Jenesavaispasquoiluidire.—Jepeuxteposerunequestion?—Biensûr,répondis-je.Ilserralesdentsetdétournalesyeuxavantdereportersonattention
surmoi.—Pourquoiest-cequetun’aspasportéplainte,toiaussi?Tuasété
gravementblessée.Tuétaisdanslavoiture.Commejenem’attendaispasàcettequestion,jecherchaimesmots.—Je…Jenepensepasquec’étaitlabonnechoseàfaire,répondis-je.
(Etjelepensaisréellement.Jen’avaispasbucesoir-là.Enréalité,j’auraisdûêtrepoursuivie,moiaussi.)Jeneveuxpasm’enmêler.
Ilhochalatête.Plusieurssecondespassèrent.—Mesparentssontdesgensbien.Ilsnousontlaissésboirechezeux
parce qu’ils pensaient que ce serait plus sûr, qu’on ne prendrait pas levolant… (J’avais conscience de tout cela.) Cody aurait pu rester à la
maison. Il savait qu’il pouvait dormir sur le canapé. Tout le mondepouvaitrester.Ons’étaitmisd’accord.Amusez-vous,maisneprenezpaslavoituresivousavezbu.(Keithjuradanssabarbe.)Codylesavait.
Mapoitrineseserra.Sesparentsn’étaientpasmauvais. Ilsn’avaientsimplementpasenvisagétouteslesconséquencespossibles.C’étaientdesgensbienquiavaientpris lamauvaisedécisiond’autoriser lesfêteschezeux.
—Jesais.— J’ignore…J’ignore ce qui va se passer,maintenant. (Ses épaules
s’affaissèrent.) Ils vont perdre la ferme, les vergers… tout. (Il regardaderrièremoi et secoua la tête.) Je ne saismêmepas pourquoi je vais àl’entraînement.Àquoiçasert,putain?
—Jesuisdésolée,luidis-jetoutàcoup.Une expression de surprise passa sur le visage de Keith, bientôt
remplacéeparl’incrédulité.Seslèvresbougèrent,commes’ilvoulaitdirequelquechose,maisaucunsonn’ensortit.C’estalorsquejecompris.Jecompris qu’il ne savait pas pourquoi je m’excusais et cette prise deconsciencemefrappadepleinfouetaveclaforced’untrente-sixtonnes.
Keithétaitcommemoi.Ilblâmaitsafamille.Ilseblâmait,lui.Il ne voyait pas l’intérêt de continuer de faire ce qui le passionnait
avant.Ilressentaittoutçaetenmêmetemps,ilvoulaitdéfendresafamille.
Cen’étaitpasjuste,carKeithn’avaitrienfaitdemal.Ilneméritaitpascequiluiarrivait,maisil…
Ilétaitcommemoi.C’étaitlapremièrefoisquejeleremarquais.Abbi,elle,l’avaitcompris
depuislongtemps.Aveugléeparmaproprepeineetmonpropresentimentdeculpabilité,jen’avaispasvucequetraversaitKeith.Jen’avaispasvuceque traversaientAbbietDary.OumêmeSebastian. J’avaisocculté la
souffrancedu lycée toutentier. Jusqu’àprésent, jenem’étais intéresséequ’àmapetitepersonne.
Keithbaissalatête.—Je…Jedoisyaller,dit-ilenmedépassant.Àplus,Lena.—Salut,murmurai-je.Jeleregardais’éloigneretrestaiplantéelà,longtempsaprèsqu’ileut
disparu. Quand je repris ma route à travers le hall, des centaines depensées différentesme traversèrent l’esprit,mais une question sortit dulot.
Étais-je quelqu’un de bien qui avait simplement pris une mauvaisedécision?
Je faisais les cent pas sur mon balcon en attendant que Sebastianrentre de l’entraînement. Après les cours, assise dansma voiture, je luiavaisenvoyéunmessagepourluidemanderdepasser.Ilnem’avaitpasrépondutoutdesuite.Moncœuravaitbattulachamadetoutaulongdutrajet du retour. Sebastian n’était pas revenume voir depuis le soir denotredispute.
Il était un peu plus de 16 heures lorsqu’il m’avait répondu qu’ilviendrait. Depuis je respirais normalement, mais je n’avais jamais étéaussinerveuse.
Refermantlespansdemongiletsurmapoitrine,j’avançaiversleboutdubalcon et jetai un coupd’œil vers samaison.Mon souffle se bloquadansmagorge.SaJeepétaitgaréedans l’allée.Enrelevant lesyeux, jemerendiscomptequesachambreétaitallumée.Quandétait-ilrentré?Jen’en avais pas lamoindre idée. Les entraînements pouvaient durer desheures.
Je regrettai tout à coup d’avoir mangé une assiette entière despaghettis.J’avaisenviedevomir.
J’avais décidé de parler à Sebastian en premier parce que je leconnaissais depuis plus longtemps. Et aussi parce qu’ilm’avait dit qu’il
m’aimait. J’avais sans doute tout gâché en l’insultant la dernière fois,maisilméritaitdeconnaîtrelavérité.
AbbietDaryaussi.Ellesétaientlessuivantessurlaliste.Ilfallaitsimplementquejesurviveàcettediscussion.Quand la lumière disparut de la chambre de Sebastian, je laissai
échapperuncouinementdesurprise.J’étaispétrifiée.Deboutausommetdel’escalierquimenaitaubalcon,jeregardailaportedederrières’ouvriretSebastiansortirsurlaterrasseenbriques.
Malgréladistanceetlemanquedeluminosité,jevisqu’ilavaitprisletemps de prendre une douche. Ses cheveux mouillés étaient coiffés enarrièreetmettaientenvaleursonvisagetailléàlaserpe.Ilportaitunbasde jogging qui descendait très bas sur ses hanches et un tee-shirt àmancheslongues.
Il était à tomber par terre. Pourquoi ne pouvait-il pas puer latranspirationetêtrecouvertdeterreetd’herbes?
Pasquecelaauraitchangéquoiquecesoit.Je l’auraisquandmêmetrouvécanon.
Sebastiantraversalaterrasseenbriqueetrelevalatête.L’espaced’uninstant, il se figea. Il s’était sans doute rendu compte que je l’observaispendanttoutcetemps.
Puisillongealecôtédelamaisonetpassaleportillon.Lesbattementsde mon cœur s’emballèrent. Sebastian arriva alors dans mon jardin etentrepritdegravirlesmarches.
Cen’estqu’àcemomentquejeretrouvail’usagedemesjambes.Lesmainsliées,jereculai.Sonvisageapparutenpremier,etbientôt,il
se retrouva devant moi, me dominant de toute sa hauteur. Son regardbleu était prudent, comme chaque fois qu’il me voyait depuis notredispute.
Ilmeregardadanslesyeux.—Jesuislà.—Onpeut…alleràl’intérieur?demandai-je.
Sebastianexamina laporte. Ilhésitait et cela faisaitmal,parcequ’iln’avaitjamaishésitéàvenirchezmoi.Auboutd’unmoment,ilaccepta.
J’ouvris la porte et le laissai entrer avant qu’il changed’avis. J’allaiensuitem’asseoirauborddulit.Sebastian,lui,s’installasurmachaisedebureau.
—Keithm’aditqu’ilt’avaitvueavantl’entraînement,dit-il.—On…Onadiscutécinqminutes.Sebastianattenditquejedéveloppe.Commejen’enfisrien, jelevis
se renfermer. Lagorge sèche, jemedépêchaidedire lapremière chosequimepassaparlatête…etquiserévélaêtrelachoselaplusridiculedumonde.
—Commentçava,avecSkylar?Ilrestauninstantsilencieux.—C’estpourçaquetum’asdemandédevenir?Pourparlerd’elle?—Non,répondis-jeaussitôt.Oubliecequejeviensdedire.Jenesais
mêmepaspourquoijet’aiposélaquestion.—Çam’auraitétonné,marmonna-t-il.Jetressaillis.—J’aiquelquechoseàtedire.Maisd’abord,ilfautquejetedemande
pardonpourcequejet’aidit,euh,ladernièrefoisquetuesvenuici.Cen’étaitpasbiendemapart.
—Non,répondit-il.Eneffet.Jegrimaçai,maiscontinuai.—Jesavaisparfaitementquecequ’onfaisait…quetunevoulaispas
simplementcoucheravecmoi.(Lerougememontaauxjoues.)Etjesaisquetesamistemanquentautantqu’àmoi.Jen’auraisjamaisdûinsinuerlecontraire.
Sebastian ne répondit pas. Je relevai les yeux vers lui. Il medévisageait avec intensité, la tête penchée sur le côté. Ce n’est qu’à cemomentqu’ilpritlaparole.
—Ilt’afalluunmoispourt’excuser?
—J’auraisdû le faireplus tôt. J’enavais envie,mais…(Jedéglutispéniblement.)Jen’aipasderaisonvalable.Laseulechosequejepeuxtedire,c’estque j’ai faitungros travail surmoi-mêmeavec leDrPerry. Ilfautquetusaches lavérité.Jenesaispascomment tuvasréagir.Peut-êtrequetupartirasetquetunevoudrasplusjamaism’adresserlaparole.Peut-êtrequetuvasmehaïr.(Leslarmesmemontèrentauxyeux.)Maisjedoist’avouerquelquechose.
L’expression de Sebastian changea imperceptiblement, mais je leconnaissaistellementbienquejem’enaperçus.C’étaitcommesilesmursqu’il avait élevés autour de lui étaient soudain tombés. Il se pencha enavant,lesavant-brasposéssursesgenoux.
—Jenepourraijamaistehaïr,Lena.La tendresse brutale de ses paroles me brisa le cœur en mille
morceaux. Il ne se doutait de rien. Quoi qu’il dise, il risquait de medétester.C’étaitlavérité.Malgrétout,jeprisunegrandeinspirationpourmecalmeretluiavouai:
— Lorsque je suismontée dans lamême voiture que Cody, je… Jen’étaispasivre.J’auraispul’empêcherdeconduire.Jenel’aipasfait.
CHAPITRE27
Sebastian n’eut aucune réaction. Pendant un long moment, il restaimmobile,àm’observer,puis,sansmequitterdesyeux,ildéclara:
—Cequis’estpassécesoir-làn’étaitpastafaute,Lena.— Si, en partie, lui dis-je en reprenant lesmots du Dr Perry. C’est
pourçaquejen’enaiparléàpersonne.J’auraispuarrêterCody.J’auraisdûlefaire,maisjenel’aipasfait.
Il se redressa et je vis samâchoire se crisper. Le silence pesant quis’ensuivitmitmesnerfsàrudeépreuve.
—Dis-moitoutcequetuassurlecœur,Lena.Mes lèvres bougèrent,mais aucun son ne s’en échappa. Ilme fallut
plusieursessaisavantdetrouverlesbonsmots.J’avaisbesoindesuivrelaméthode que m’avait inculquée le Dr Perry : commencer du début etrevivrelascène,mêmesic’étaitdifficile.
—Aprèsnotre…Aprèsnotrediscussion,pendantlafête,jesuisalléem’asseoiravecAbbietKeith.Ilsparlaientfort.Jenemesouviensplusdequoi.Onaurait dit qu’ils sedisputaient et flirtaient enmême temps. Jesuis restée un peu avec eux,mais je n’ai rien bu.À part de l’eau et, jecrois…non,j’ensuissûre.J’aibuunCoca.Ilcommençaitàsefairetard.J’avaisenviederentrer.
Cesoir-là,assiseàcôtéd’Abbi,jenepensaisqu’àSebastian,quiavaitdisparuavecSkylar,sansmedouterunseulinstantque,quelquesheuresplustard,riendetoutcelan’auraitlamoindreimportance.
Je pris une grande goulée d’air et évitai son regard. Il savaitparfaitement pourquoi je n’étais pas allée le chercher, comme je l’avaispourtantpromis.
—Meganvoulait rentrer, elle aussi. Elle avait faim.Elle voulait desnuggets.JenemerappellepaspourquoiCodys’est jointànous.JesuissortieavecMeganetChris…etCodyétaitavecnous.Chrisétaitbourré.Quelqu’unnousaditqu’ilavaitcommencéàboireendébutd’après-midietlui-mêmenousaavouéqu’ilsesentaittropfatiguépourconduire.Codyaprissesclés.Audépart,ilavaitl’airbien.Jetelejure.Maisaprès,jemesouviens de l’avoir vu tendre lamain vers la poignée de la porte et lamanquer.
Jefermaislesyeux,résolueàcontinuermalgréladouleur.—Jeluiaidemandés’ilsesentaitcapabledeconduireetilarépondu
oui.Maquestionl’aagacé.Jen’avaispasenviedemonterdanslavoiture.L’instinct,jesuppose.Jesuisrestéedeboutàcôté,jusqu’àcequeChrismedisedem’asseoiretqueMeganmepousseàl’intérieur.Phillipplaisantait,commed’habitude,etCodym’aditqu’iln’avaitbuqu’unverre,mais jesavais…Jesavaisquecen’étaitpasvrai.Maisilm’aditqu’ilallaitbienetje…jenevoulaispasêtrecettefille,tusais?Cellequiprendlatêteàtoutlemondepourrien.
Leslarmesmebrûlaientlesyeux.— En cédant, je suis quand même devenue quelqu’un que je ne
voulaispasêtre. J’auraisdûessayerde l’arrêter. Je savaisqu’ilavaitbuplusd’unverre.Ilavaitlesjouesrouges.Jen’auraispasdûmonterdanscette voiture, parce qu’il n’aurait jamais dû prendre le volant et…Seigneur.Touts’estpassésivite.Jevenaisd’envoyerunmessageàDaryetj’étaisentraind’écrireàAbbipourluidirequej’étaispartie.Laradioétaitallumée.Jemesouviensdel’airquis’engouffraitparlesfenêtres.Jemerappellem’êtreditqu’onroulaitvite,puis j’aientenduCodycrieretMeganhurler.Et…voilà.(J’exhalaientremblant.)Tuvois?J’auraispufairequelquechose.L’arrêter.ResterchezKeith.Prendre levolant.Maisj’aiprislamauvaisedécision.Jesuis…
Jenesavaispasquediredeplus.J’avais terminé.Si j’avaispu, jemeseraiscachéesousmon lit,mais
j’en étais incapable. Au lieu de quoi je restai immobile et attendis queSebastianmefassepartdesacolèreetdesadéception.Jesavaisqu’enluiavouant la vérité je devrais affronter sa réaction. C’était tout le but del’exercice.
Lentement,j’ouvrislesyeuxetregardaiSebastian.Sonvisageétaittrèspâleetfermé.Sesmains,poséessursesgenoux,
étaientcrispées.—Tu…Tutesouviensdel’accident?Jehochailatête.—Detoutjusqu’àcequejeperdeconscience.J’aireçuuncoupàla
tête,maisjemerappellequelavoitureaheurtéunarbre.Jemesouviensdes tonneaux… Je n’ai jamais été aussi terrifiée de toute ma vie. J’aicru…
Jem’interrompis.Sebastiansavaittrèsbiencequej’avaiscru.J’avaiscruquemadernièreheureétaitarrivée.—MonDieu.(Ilfermalesyeux,avantdedire:)Jelesavais.—Quoi?soufflai-je.Ilsepenchadenouveauenavant.Lachaisegrinçasoussonpoids.—Jesavaisquetun’avaispasbu,cesoir-là.—Jenecomprendspas.Ilenlevalesmainsdesesgenoux.—Jecroisquejenet’aivuebourréequ’uneseulefoisetcen’étaitpas
àunefête.Megant’avaitmiseaudéfideboirelabouteilledevinquetamèreavaitoubliéderanger.Tuétaistellementivrequetun’arrivaispasàmonterl’escalier.Meganestvenuemechercherpourteporterjusqu’àtonlit.
Unsouriretristeétirames lèvres.Ah,Megan…J’avaisoublié lanuitd’horreurqu’ellem’avaitfaitpasseràcausedecettebouteille.
—J’aiététrèsmalade.
—M’enparlepas.(Ilrelevalatête,luiaussisouriaittristement.)Dèsqu’on est arrivés dans ta chambre, j’ai dû te porter jusqu’à la salle debains,oùtut’estransforméeenvolcancracheurdevomi.
Seigneur.Sebastian m’aidait à me tenir droite, un bras autour de ma taille,
pendantqueMeganmetenait lescheveux.Celas’étaitproduitdeuxansplustôt.
Celaavaitétéégalementlaseulefoisoùj’avaisvraimentbu.Je ne sais pas pourquoi, mais je ne croyais pas que Sebastian s’en
souvenait.—Jesaisquetuneboisjamaisplusdequelquesgorgées.Et,àmoins
quetun’aiesdécidédefaireuneexceptioncesoir-là,ilétaitclairquetuétaissobre,medit-il.
—Si jecomprendsbien…(Sonnée, jem’humectai les lèvres.)Tu tedoutaisdepuisledébutquej’étaismontéedanscettevoiturealorsquejen’avaispasbu?
Sebastianhochalatête.—J’ignoraisquetutesouvenaisdel’accident.Audébut,tuprétendais
lecontraireetcommetunevoulaispasendiscuter,jemesuisditquetun’avaispasencoretotalementrecouvrélamémoire.Maismaintenantquejesaisquetutesouviensdetout…?MonDieu…
Jen’arrivaispasycroire.Ilmeregardadanslesyeux.—Jeseraismontédanscettevoiture,moiaussi.—Quoi?soufflai-jeensursautant.Jevoulusmelever,maismesjambesrefusèrentdemesoutenir.—J’auraissansdoutefaitlamêmechose,dit-il.Non,iln’yapasde
doute. Je suis persuadéque j’aurais fait lamême chose. J’aurais pris laréponse de Cody pour argent comptant et je serais monté dans cettevoiture,commetoi.Jenesaismêmepassij’auraishésitéaussilongtemps.
—Arrête.Onsaittouslesdeuxquetunel’auraispasfait.TuauraisarrêtéCody.Tu…
—J’aibu,cesoir-là.Pourtant,j’avaisl’intentiondeteraccompagner,m’interrompit-ilense laissant tomberenarrière, sur lachaise.Je te l’aidéjàdit.J’auraistrèsbienpuêtreàlaplacedeCody.J’enaiconscience.Boiredeuxoutroisbièresetpenserquejepeuxconduirequandmême.Jel’aifaitbientropsouvent.
Jevoulais luidireque cen’étaitpas lamêmechose,mais ça l’était.J’enrestaisansvoix.Jem’attendaisàcequ’ilsoitfurieuxetdéçuparmoncomportement,maisaucundecessentimentsnese lisaitsursonvisage.Ilsnetransparaissaientpasnonplusdanssesparolesnidanssesactes.
Toutàcoup,ilselevaetvints’asseoirsurlelit,àcôtédemoi.Ilneditrien.Àcetinstant,lesmotsétaientinutiles.
Tandis qu’il me dévisageait, je pris conscience que pendant tout cetemps, il connaissait lavérité. Il savaitque j’avais fait lemauvais choix,mais il était assez lucide pour admettre qu’il s’était retrouvé dans dessituations similaires et avait fait lesmêmes erreurs. La seule différence,commel’avaitdit leDrPerry,étaitqu’ilavaiteudelachance.Iln’avaitjamaiseuàpayerpourlesconséquencesdesesactes.
Celanelerendaitpasinnocentpourautant.Etmoinonplus.Toutefoisilnemejugeaitpas.Etnel’avaitjamaisfait.Pendanttoutce
temps,j’avaiseupeurdesaréactionquandilapprendraitlavérité,alorsqu’ilsavaitdéjà.Ilsavaitmaisn’enavaitpasmoinsétéprésentpourmoi.Ilsavaitetm’avaitquandmêmeditqu’ilm’aimait.
Mesépaulessedétendirentpetitàpetit.—Tunemedétestespas?Tun’espasécœurénidég…—Arrête.Jenepourraisjamaispensercegenredechoses,Lena.Pas
detoi.Une vague de soulagement m’envahit. La douleur cruelle que je
ressentaiscommençaità retirer sesgriffesdemoncœur.Je reprisd’unevoixfêlée:
—Pourquoi?Moi,jemedégoûte.Jemedéteste.
—Tuascommisuneerreur,Lena. (Il sepenchaversmoi.)Voilàcequis’estpassé.Tunelesaspastués.Tuascommisuneerreur.
Uneerreurquiavaitcoûtélavieàquatrepersonnes.Jefrissonnaietessuyaimeslarmes.J’enavaisassezdepleurer.—Lena,murmura-t-ild’unevoixrauque.Viensici.Sebastiantenditlamainversmoi.Jebougeaisansmêmeypenser.Mesdoigtss’enroulèrentautourdes
siens et il m’attira à lui, jusqu’à ce que je me retrouve assise sur sesgenoux, une jambede chaque côté des siennes et les bras autour de sataille.
Puis ilpritmonvisageentresesmainset,sansunmot, ildéposaunbaisersurmajoue.Ilembrassachaquelarmequitombait.
Soudainjem’effondrai.Jem’autorisaiàressentirtoutelapeinequejerefoulaisjusque-là.
Sebastian grogna et guida ma tête contre son torse. En quelquessecondes,meslarmesimbibèrentsontee-shirt.Ilpassasesbrasautourdemoietm’étreignit.Ilmeserrafortcontreluipendantquejepleurais.PourMegan.Pourlesgarçons.PourAbbietDary.Etpourmoi.
Nousétionsallongéssurlelit,l’unenfacedel’autre.Seulsquelquescentimètres nous séparaient. Il était tard, après minuit, et le matinarriveraitbienasseztôt,maisnousnedormionspas.Quandmessanglotss’étaient calmés, nous avions continué à chuchoter. Je lui avais confiémonsentimentdeculpabilité,monenviederevenirenarrièreetdefaireunchoixdifférent.Jeluiparlaidescauchemarsetluiavouaiquemamèreétait au courant, qu’elle était déçue même si elle ne me le disait pas.J’admisque je regrettaisd’avoir arrêté le volley-ball. Je lui racontaimaconversationavecKeithetmonépiphanie.Jeluiparlaimêmed’Abbi.
Sebastianm’écoutaattentivement.—Tuvasleurparler?medemanda-t-il.ÀAbbietDary?—Illefaut.(J’avaislesbrascroiséssurmapoitrine.)Ceneserapas
facile,maisilfautquejelefasse.(Jerepliailesjambes.)Abbit’aditquoi
quecesoit,parrapportàl’accident?—Non.Riendeplusquelesautres.Rienàtonsujet,entoutcas.(Il
glissaunpeuplusversmoi.)Abbis’estbeaucouprapprochéedeKeith.Jecroisqu’ellel’aideàsurmonterl’épreuvequ’iltraverse.(Iltenditlamainversmoietattrapaunemèchedecheveuxtombéesurmajoue.)Cequ’ilvitestcomplètementdifférentdetasituation.Personnenerejettelafautesurtoioutafamille.Personnen’estaucourantdecequetuviensdemedire,etmêmesic’étaitlecas,ilsaccepteraientquetuaiesfaituneerreur.
Uneerreurmortelle.—MaisKeith…Toutlemondesaitquecesontsesparentsquinous
ontfournil’alcool.Ilsétaientlesadultesdansl’histoire.Àcausedeça,safamille est en train de se déchirer, m’expliqua calmement Sebastian.Personnenes’enestprisdirectementàKeith,maisilnevapasbien.Lui,parcontre,illaissesesamisl’aider.Jeneveuxpasêtreméchant,mais…
—Cen’estpasmoncas,terminai-jeàsaplace.Jemesentaismal.Jen’avaismêmepaspenséàcequeKeithvivaitde
soncôté.Sebastianlaissacourirundoigtlelongdemapommette.Jerelevailes
yeuxverslui.Quelquechose,jen’auraissudirequoi,avaitchangéentrenous.Cechangementétaitpresquepalpable.Jepensequ’ilavaiteulieulorsqu’ilavaitembrassémes larmesetm’avait serréecontre luipendantquejesanglotais.
—Tunecomptesvraimentpasalleraubald’automneceweek-end?medemanda-t-il.
LesujetmefitpenseràSkylar.—Ettoi?—Jesuiscenséyalleravecdespotes.—PasSkylar?Ilhaussaunsourcil.—Pasdutout.(Ilrit.)Qu’est-cequitefaitpenserça?Jesentismonvisages’empourprer.—Vousparlezbeaucoupencemoment,c’esttout.
—On a toujours parlé, répondit-il d’un air amusé. Si tu veux toutsavoir,elleyvaavecunmecd’unautrelycée.
—C’estvrai?m’exclamai-je,surprise.Pourtant,onm’aditquevousdiscutiezdubal.
—Onenadiscuté,oui,maisonn’ajamaisditqu’oniraitensemble.(Sonregardsefitsérieux.)Ellesaitquejenereviendraijamaisverselle.Tudevrais lesavoir, toiaussi.Cen’estpasparceque leschoses…nesesontpasdérouléescommejeledésiraisquejevaismejetersuruneautrefille.
C’étaitma faute si les chosesne s’étaientpasdéroulées comme il ledésirait.Jelesavais.
Sebastianmecaressalajoue.—Ilyatoujourslebaldepromo.J’aimaislafaçondontilavaitprononcécettephrase.—Oui,lebaldepromo.Ilrestasilencieuxuninstantavantdereprendrelaparole.—Mercipourcesoir.Jefronçailessourcils.—Pourquoiest-cequetumeremercies?— Parce que. (Sa main glissa jusqu’à mon épaule, qu’il serra.) Tu
portaiscefardeautouteseule,maismaintenant,c’estterminé.Tuasosém’enparler.TuvasenparleràAbbietDary.Tun’esplusseule.
Unsourirefatiguéétirameslèvres.—Cen’estpasmoiquidevraisteremercier,danscecas?—Non.Jen’airienfait.Jemesuiscontentéd’écouter.Etc’étaitlachoselaplusextraordinairequisoit.—Tuasfaittoutletravail,ajouta-t-il.Dans un sens, Sebastian avait raison. Il m’avait fallu beaucoup de
travailpourarriverjusqu’ici.Monsourires’élargit.ParleràSebastiancesoiravaitétéungrandpas
enavant.Désormais, j’avaisun choixà faire : laissermon sentimentdeculpabilitémedétruireouapprendreàvivreavec.
Etjecomptaisbienprendrelabonnedécision.
CHAPITRE28
Le mercredi suivant, le Dr Perry était tellement content de mesprogrès qu’il me confia une mission. Deux, en fait, à ajouter à ladiscussionquejedevaisavoiravecAbbietDary.
— Il y a deux choses que j’aimerais que tu fasses, me dit-il. Ellest’aiderontàfairetondeuil.Lapremièreseradet’autoriseràressentir lasouffrancequelamortdetesamistecauseunjourparsemaine.
Jefronçailessourcils.—Unejournéeentière?— Non, sauf si tu en éprouves le besoin, expliqua-t-il. Tu peux y
consacreruneouplusieursheuresparjour.Leplusimportant,c’estquetuprennes le tempsdetesouvenirdetesamis.Regardedevieillesphotos,visiteleursréseauxsociauxs’ilssontencoreenligne,écrisàleurpropos.Jeveuxquetupensesàeux,quetuterappelles,maissurtoutquetunebloquespascequeturessens.Tucroisquetuenescapable?
Peut-être.Ceseraitdifficilederegarderleursphotosetleursderniersposts,maisjepouvaislefaire.
—Faire sondeuiln’estpas facile.Ce le seraencoremoinspour toi,parcequeturessensdelaculpabilitéparrapportà l’accident.Et iln’estjamaisaiséd’accepterlamortdepersonnesquisontresponsablesdeleurpropredécès. (Ilposa lesbrassur la table.)Je travailleparfoisavecdespersonnesquiontperduunprochesuiteàuneoverdose.Cesgenssontencolère, ilsdoutent.Commetudoissansdoute le faire.Mais,auboutducompte, la seule chose qui importe, c’est que ces garçons et cette fille
étaienttesamis.Ilsoccupaientunegrandeplacedanstavie.Tuasledroitd’êtretriste.
Jehochailentementlatête.—Jepeuxlefaire.—Queljour?medemanda-t-ilaussitôt.—Euh…fis-jeenfronçantlenez.Ledimanchesoir?Cela ne changerait pas grand-chose : c’était déjà lemoment le plus
déprimantdelasemaine.—Parfait.Ladeuxièmechoseestunepromessequej’aimeraisquetu
mefasses.Jehaussaiunsourcil.— Je voudrais que tu me promettes de te rendre sur leurs tombes
avantlafindel’année.Àcetteidée,monventreseserra.Unelueurdecompassionbrilladanssesyeux.—Jesais.Àl’instantoùtuverrasleurstombes,celavoudradirequ’ils
sontvraimentmorts.Justement.Jepenseque,pourtoi,c’estunpassageobligé. Tu n’as pas pu assister aux funérailles. Te rendre sur leurssépulturest’aideraàfairetondeuiletplusencore.
Lapoitrineoppressée,jehochailatête.—Jeleferai.Ilfallaitquejelefasse.Parcequej’avaisprisladécisiondenepaslaisserleschoixquej’avais
faitsle19aoûtdernierdéterminerlecoursdemaviefuture.
J’avaisencorel’estomacretournélorsquej’arrivaiàlacantine,maisjemefisdemonmieuxpouravalercequiétaitcenséêtredeslasagnes.Enréalité, cela ressemblait à une bouillie de steak recouverte de fromage.Sebastianavaitreprissaplaceauprèsdemoi.Toutefois,ilmetournaitledos. Il semblait en pleine conversation avec l’un des autres garçons àproposdelameilleureboissonénergétiqueouuntrucdanslegenre.Keithlesécoutait.
C’étaitlemomentidéal.— Euh, jeme demandais si vous vouliez allermanger unmorceau,
aprèslescours…?demandai-jeàAbbietDary.J’étais tellement nerveuse qu’on aurait dit que je leur proposais un
rendez-vousgalant.LeregarddeDarys’illuminaaussitôtderrièreseslunettes.—Avecplaisir!(Ellejetauncoupd’œilàAbbi.)Jen’airiendeprévu.—Jenesaispas.(Abbiétaitentraindedisséquerseslasagnesavecsa
fourchette.)Jenepensepasquej’auraifaim.LesépaulesdeDarys’affaissèrent.Jem’étaispréparéeàcetteréponse.—Onpourrait aller boireun smoothie, suggérai-je, sachantqu’Abbi
nedisaitjamaisnonàunsmoothiebienfrais.Onn’estpasobligéesd’allerdansunrestaurant.
Levisaged’Abbinelaissaitrienparaître.Ellerelevalesyeuxversmoi.Leslèvrestremblantes,jemepenchaienavantpourmurmurer.
—S’ilteplaît.Ilfautabsolumentquejevousparle.Ses traits se détendirent. Je retinsma respiration. J’étais persuadée
qu’elleallaitrefuser,maiselleaccepta.—D’accord.Unevaguedesoulagementm’envahitetmanquamefairetomberde
ma chaise. Dary, elle, semit à taper dans sesmains comme une otariesurexcitée.
—Merci,murmurai-je.Abbi ne répondit pas, mais elle hocha la tête et c’était un début.
C’étaitsuffisant.
Smoothiesàlamain,ons’assitàunetableaufonddupetitbar.Abbis’installa en face de Dary et moi. J’avais choisi un « classique », unsmoothieà la fraise.Daryavaitprisuneboissonplusoriginale, avecdubeurre de cacahuète à l’intérieur. Abbi, elle, s’était contentée d’unsmoothieàlamangue.
SiMeganavaitétéavecnous,ellen’auraitpascommandéàboire.Elleaurait mangé une pita fourrée en nous assurant qu’elle prenaitsimplementsadosequotidiennedeprotéines.
Daryn’avaitpascessédeparlerjusqu’àcequ’ons’assoie.Dèsqu’ellesetut,Abbipritlaparole.
—Alors,pourquoituvoulaisqu’onvienneici?Jemefigeaiàmi-chemindemapaille.—J’aibesoind’uneraison?—Non,réponditDaryenmêmetempsqu’Abbidisaitoui.Abbis’expliqua.—Çafaitdesmoisquetuneveuxrienavoiràfaireavecnous.Ilya
forcémentuneraison.—Cen’estpastoutàfaitvrai,luifitgentimentremarquerDary.—Pourtoi,peut-être,maismoi,jenelavoispresquejamais,rétorqua
Abbiavantd’avalerunegorgéedesmoothie.—OK.(Jelevailamainpourlesinterrompre.)Jel’aimérité.Jen’ai
pasétéunetrèsbonneamie,cesdeuxderniersmois.J’enaiconscience.C’est pour ça que je voulais qu’on discute aujourd’hui. J’aimerais…J’aimeraisvousparlerdel’accident.Decequis’estpassécesoir-là.
Daryposalesbrassurlatable.— Tu n’es pas obligée. (Quand elle se tourna vers moi, ses yeux
étaientbrillantsdelarmes.)Tun’espasobligéedefaireça.—Si.(Jecroisaileregardd’Abbi.)Ilfautquejevousdiselavérité.Alors,c’estcequejefis.Jeleurrépétaicequej’avaisracontéàSebastian.Cettefois,cefutplus
facile et moins douloureux, car c’était déjà la troisième fois que je meracontaiscettenuit.Enrevanche,j’avaisdumalàregarderAbbiouDarydanslesyeux.Jem’yforçai,carjesavaisqu’Abbiconnaissaitlavéritéetque Dary s’en doutait sûrement. Je remplis le silence amer qui nousséparait et étalaima vérité sur la table entrenous, en espérant qu’ellescomprendraientmoncomportementdepuisl’accident.Malgrétout, jenem’attendaispasàcequ’ellesmepardonnent.
Pendantquejeparlais,Daryrelevaseslunettesetsepritlatêteentreles mains. Je sentais ses épaules trembler contre moi. Poursuivre monrécit alors que je savais qu’il la bouleversait était aussi agréablequemarchersurdubrisdeverrechaufféàblanc.
— J’ai entamé un travail sur moi-même et je continue à le faire,terminai-je,vidéedetouteénergie.J’aiconsciencequ’apprendreàgérermonsentimentdeculpabilitén’estpasunebonneraisonpourvousavoirmises de côté. Je ne m’attends pas à ce que… à ce que vous mepardonniez.J’avaissimplementbesoind’êtrehonnêteavecvous.
Abbineme regardaitpas.Elle avaitdétourné les yeuxquand j’étaisarrivée à la partie où j’avais demandé à Cody s’il se sentait bien. Leslèvrespincées,ellejouaitavecsapaille.
Magorgemebrûlait.—Jesuistellementdésolée.C’esttoutcequejepeuxdire.Jesaisque
çanechangerienetqueçanelesferapasrevenir,maisjesuisvraimentdésolée.
Darybaissalesmains.Sesyeuxbrillaient.—Jenesaispasquoidire.—Tun’aspasàdirequoiquecesoit,répondis-je,tremblante.Elles’essuyalesjoues.—Jem’endoutais,tusais.Jesaisquetuneboisjamaisbeaucoupet
jemesuisdemandépourquoitun’avaispasprislevolant,maisje…C’estaffreuxdeseretrouverdanscegenredesituation.Tuveuxfairecequiestjusteetenmêmetemps,tun’aspasenvied’agacertoutlemonde.
Abbirestasilencieuse.—J’auraisdûfairelebonchoix,luidis-je.Darysouffla.Onauraitditqu’unfrissonluiavaitparcourulecorps.—Oui.Tuauraisdû.Jem’adossaià labanquetteetposai lesmainssurmesgenoux.Que
pouvais-je dire de plus ? De plus que la vérité ? En engageant cetteconversation, je savais que je pouvais perdre l’amitié de Dary, commej’avaisdéjàperducelled’Abbi.
Auboutd’unmoment,Abbipritlaparole.—Tuas…faituneerreur.Uneénormeerreur,dit-ellesanslever les
yeuxdesaboissonjaunevif.Maisc’esttout.Tuasjustefaituneerreur.Marespirationsebloquadansmagorge.Jen’auraispaspudécrirece
que jeressentais.Cen’étaitpas l’absolutionqu’onm’offrait,maisc’étaittoutaussipuissant.
Darysetournaversmoi.Sesjouesétaienthumides.Pendantunlongmoment, elle ne dit rien, puis elle posa la tête contremon épaule. Untremblementmeparcourut.
—Bon, reprit-elle d’une voix rauque.OK.Maintenant, j’ai envie defrites.Leproblème,c’estqu’ilsn’envendentpas,ici.
Unrirebrisém’échappa.—Oui,desfrites.Ceseraitparfait.Abbisecoualatête,faisantvolersesdeuxnattes.—Tuviensdeboireunsmoothieentier,etmaintenant, tuveuxdes
frites?—J’aibesoindesel.Detonnesdesel.Abbilevalesyeuxauciel.— Tu sais, dit Dary en relevant la tête de mon épaule. Je t’aime
toujours.Jevoulaisquetulesaches.Les larmesmemontèrentauxyeux,mais je lesrepoussai.Comme je
nemesentaispascapabledeparler,jehochailatête.Puis le sujet de conversation changea. Quand on sortit du bar à
smoothie,toutsemblaitêtrerentrédansl’ordre.Oupresque.Toutefois,avantd’allermangerdesfrites,ilfallaitencorequejeparle
àAbbiseuleàseule.Jem’arrêtaidevantmavoiture.—Abbi,attendsuneminute.AprèsavoirfaitsigneàDary,elleseretournapourmefaireface.Les
murs qu’elle avait élevés autour d’elle étaient retombés. Du moins,certainsd’entreeux.
—Jesaisqueleschosessontencoreunpeubizarresentrenous,maisjevoulaistedemanderdesnouvellesdetesparents.Commentçava,entreeux?
QuandAbbiouvritlabouche,jemepréparaiàcequ’ellem’assèneuneremarquemordante,maiscenefutpaslecas.
— Maman a arrêté de « travailler tard », dit-elle en mimant desguillemets. Et ils ne sedisputent plus autant qu’avant. Jene sais pas sielle a avoué la vérité à mon père, mais apparemment, ils essaient desauverleurcouple.
Jem’adossaiàmavoiture.—C’estunebonnechose,non?—Oui, je pense. En tout cas, on n’a plus à les écouter essayer de
s’entre-tuer.Ellerepoussal’unedesesnattesderrièresonépaule.—Jesuiscontentedel’entendre.Vraiment.Elleacquiesçaavantdeprendreunegrandeinspiration.—Ilfautquejetedisequelquechose,d’accord?Jemecrispai.—D’accord.— Je suis désolée pour ce que je t’ai dit à propos de Chris. J’ai
prétenduquecelan’avaitrienàvoirdemonterdanssavoiturealorsqueluiaussiavaitbu,maisjesaisquelasituationétaitexactementlamême…J’aieudelachance,c’esttout.(Elledéglutitbruyamment.)Jem’excusedet’avoirditça.Jen’auraispasdû.
Jefermaibrièvementlesyeux.—Cen’estpasgrave.Celan’avaitpluslamoindreimportance.—Jenet’envoulaispasparcequetuétaismontéedanscettevoiture.
Enfin, si, j’étais en colère. Je pense que tout le monde l’aurait été, audébut. Mais ce qui m’a vraiment mise en rogne, c’est que tu m’aiesempêchéedet’aider.Tut’escomplètementrenferméesurtoi-même.
—Jesais,murmurai-je.C’estvrai.
—Tute rendscomptedecequ’onapuressentir?Jenesavaispasquoifaire.Tunet’esconfiéeàpersonne.C’estpourçaquej’étaisénervée.J’aiperduMeganetj’avaisl’impressiondet’avoirperdue,toiaussi.
—Jesuisdésolée.Cen’étaitpasconscientdemapart.Je…—Jecomprends.Tun’étaispastoi-même.J’auraisdûfairelamême
chose que Dary : te laisser du temps. De l’espace. (Elle baissa la tête.)Excuse-moidenepasl’avoirfait.
—Tun’aspasà t’excuser. (Je fisunpasverselle.) Jeneveuxplusentendre la moindre excuse. J’aimerais juste que… les chosesredeviennentcommeavant.
—Moiaussi.Alors, Abbi me prit dans ses bras. C’était une étreinte rapide, à
l’opposé de celles dont nous avions l’habitude, mais c’était mieux querien.C’étaitundébut.Ellerecula.
—Ilfautquej’yaille,maisjet’enverraiunmessagetoutàl’heure.Turépondras,pasvrai?
—Biensûr.Abbimesouritavantdes’éloigner.J’avaisenviedepleurer,maispour
uneraisoncomplètementdifférente,cettefois.Tellementdifférente.
Mercredi soir, Sebastian était assis sur mon lit pendant que je lui
racontaismonaprès-midiavecAbbietDary.JeluiparlaiensuitedesdeuxchosesqueleDrPerrym’avaitdemandédefaire.
— Ça a été une longue semaine pour toi, me dit-il quand j’eusterminé.
J’étais assise à côté de lui, les jambes croisées, un coussin sur lesgenoux.
—Très.—Commenttutesens,maintenantquetuasparléàAbbietDary?Jehaussailesépaulesetserrailecoussinplusfortcontremoi.
—Mieux.Rassurée.Aumoins,ellessontaucourant.Jesaisqueçanechangerienetqu’ellessontdéçues,maisiln’yaplusaucunsecretentrenous.Alors,oui,c’estunsoulagement.
—Jecomprendsceque tuveuxdire.(Ilpencha la têtesur lecôté.)Parfois,dire lavéritéestplus importantque lapeurdedécevoir l’autre.(Quandildonnaunpetitcoupdanslecoussin,unlégersourireétiraseslèvres.)Tusais,lesoirdenotredispute,tuavaisraisonsurunpoint.
Jehaussailessourcils.—Jepensaispourtantavoireutortsurtoutelaligne.— Non. Pas sur toute la ligne. (Il attrapa le coussin posé sur mes
genoux et le plaçaderrière lui.)Tuavais raison : jen’avais pasparlé àmonpèreàproposdufoot.
Oh.Mince.J’avaiscomplètementoubliéquejeluiavaislancécelaauvisage.Jel’avaissansdouteocculté.
—J’aiparléàmonpère.Jesursautai.—C’estvrai?— Oui, me répondit-il, les yeux mi-clos. Ça ne s’est pas très bien
passé.Jememisàgenouxetmerapprochaidelui.—Qu’est-cequis’estpassé?Raconte-moitout!Un léger sourire apparut sur ses lèvres lorsque jeme laissai tomber
devantlui.—Jeluiaitoutavouéilyadeuxsemaines.Iln’yapasgrand-choseà
dire.J’aijusteétéfrancaveclui.— Et tu ne m’en parles que maintenant ? m’exclamai-je en lui
donnantunetapesurlebras.Sebastian!—Hé,fit-ilenm’attrapantlamain.(Ilriait.)Onn’étaitpasvraiment
enbonstermes,jeterappelle.Etpuistuavaisd’autreschatsàfouetter.—C’estvrai.Malgrétout,jemesentaiscoupabledenepasavoirétéprésentepour
lui. Je ne pouvais pas revenir en arrière. La seule chose que je pouvais
faire,c’étaitêtrelàpourluiàpartirdemaintenant.—Commentilaréagi?—Ilapétéuncâble. Ilm’aditque jen’étaispasmoi-même,que je
réagissaiscommeçaàcausedel’accident.Jeluiairépondulavérité,quelefootballnem’intéressaitplus.(Ilposanosmainsjointessursongenou.)Jeluiaiexpliquéquec’étaitcequejeressentaisdepuisuncertaintemps.
—Waouh.— Il ne m’a pas parlé pendant une semaine. (Quand je grimaçai,
Sebastians’esclaffa.)Maisjecroisqu’ilessaied’acceptermadécision.Ilarecommencéàm’adresserlaparole.Mamèreestsansdoutederrièretoutça.
Jeluiserrailamain.—C’estgénial.—Oui,murmura-t-ilensemordantlalèvreinférieure.Iln’apasl’air
dedéprimer.Alorsc’estbien.Toutsourire,jeluidemandai:—Bon,maintenantquetune jouerasofficiellementpasau footà la
fac,quelleuniversitévas-tuchoisir?— Mon Dieu, j’ai tellement plus de choix, maintenant ! dit-il en
regardantlamappemondederrièremoi.Jenesaispas…Jevaispeut-êtreétudierencollègecommunautairependantunanouenvoyermondossierà l’InstitutpolytechniquedeVirginieou…(Sesyeuxbleuscroisèrent lesmiens.) L’université de Virginie, tout court. (Il rougit pendant que je ledévisageai,bouchebée.)Ouailleurs.Quisait?J’aiencoreletempsdemedécider.Bref,dit-ilens’allongeantsurlelit.(Iltirasurmamain.)Tuveuxregarderunfilm?
J’observaisonprofiluninstantavantdehocherlatête.—Commetuveux.Sonsourirecontagieuxmeréchauffadel’intérieur.Ilm’attiraàluide
façon à ce que jem’allonge contre son flanc. Je tendis lamain vers latélécommande, qui se trouvait sur la table de chevet, et la lui tendis.Sebastianallumalatélévisionetfitdéfilerleschaînes.
—Sebastian,soufflai-je.Iltournalatêteetposasesyeuxmagnifiquessurmoi.—Jesuisfièredetoi.Jevoulaisquetulesaches.Jesuisvraimenttrès
fièredetoi.Unsourireéblouissantsedessinasurseslèvresetnelequittaplusde
toutelasoirée.
CHAPITRE29
Le soir du bal d’automne, il n’y avait absolument personne auJoanna’s,àtelpointqu’à21heuresFeliciamejetapratiquementdehors.
Après avoir retirémon tablier, je sortis du restaurant etmedirigeaiversmavoiture.Jerentrairapidementchezmoi.Unefoisgaréedevantlamaison, je jetaiuncoupd’œilàmonportable.Darym’avaitenvoyéunephotod’Abbietelledansleursjoliesrobes.Ellesposaientsousunearchedécoréedefleursetjouaientàlaperfectionlecouplegêné.Abbisetenaitderrière Dary et avait passé les bras autour de sa taille. Je leur avaisenvoyéunmessageunpeuplustôtpourleursouhaiterunebonnesoirée.Darym’avaitréponduaussitôtavecuncœuretunsmiley.Unedemi-heureplus tard, j’avais reçuunmessaged’Abbi. Il était simple,maisavait faits’envolerlepoidsquipesaitencoresurmesépaules.
Tunousmanques.
C’étaitundébut,untrèsbondébutmême,pourréparernotreamitié.J’aurais voulu les accompagner au bal, parce que je savais que je meseraisamuséeavecelles,maiscesoir,j’avaisl’intentiondefairequelquechosequejen’avaisplusfaitdepuistrèslongtemps.
Lire.Etj’avaishâte.J’allaislireunbonromantoutenmangeantaumoinslamoitiéd’un
paquetdechips.Peut-êtremêmelatotalité.Ilétaithorsdequestionqueje
culpabilise pour ne pas être allée au bal ou que j’imagine Sebastian entraindedanserentourédefilles.
Cedernierétaitpassémevoir,laveille,aprèslematch.Nousnenousétionspasembrassésetnousn’avionspasnonplusparlédel’accidentoudesonpère.Nousavionssimplementétudiéensemble.
J’ignorais comment notre relation allait évoluer. Une partie de moiespérerait toujours plus qu’une simple amitié, mais j’étais heureused’avoirretrouvémonmeilleurami.C’était…C’étaitsuffisant.
Jesortisdelavoitureetavançaiverslaporte.Aumomentoùj’allaisactionnerlapoignée,elles’ouvrittouteseule.
Mamèresetenaitdansl’entrée.Ellemefitsignedelarejoindre.—Viens.Dépêche-toi.Jefronçailessourcilsmaismedépêchaid’entrer.Quandmamèreme
débarrassademonsac,jelaregardaifaire,bouchebée.—Qu’est-cequisepasse?Jeregardaiautourdemoi.Àtouslescoups,monpèreallaitapparaître
danslecouloirsombre.— Rien du tout, répondit ma mère en me prenant la main pour
m’attirerdanslesalon.(Ellesoulevaunepiledevêtementsetmelesmitdanslesbras.)Vatechangerdanslasalledebains.
—Quoi?Je baissai les yeux sur ce que je tenais entre lesmains.C’étaitmon
pullleplusconfortableetunleggingnoirquemamèreavaitsansdoutelavé,carladernièrefoisquejel’avaisvu,ilétaitrouléenboule,sale,surlesoldemachambre.
—Jenecomprendsrienàcequisepasse.—Neposepasdequestions.Fais-moiconfiance.(Ellemepoussavers
l’escalier,puisjusqu’enhautdesmarchesetjelalaissaifaire.)Jet’attendsdanslecouloir.Tuasunquartd’heure.
Jem’arrêtaidevantlasalledebains.Unéclatderirem’échappa.—Pourquoifaire?Tuagisdefaçontrèsbizarre…
—Entredanscettesalledebains,répétamamèreensouriant.Sinon,tuespunie.
—Quoi?hoquetai-jeenriant.Tuasperdulatête?Mamèrecroisalesbras.—Jesuiscapabledetechangermoi-même,tusais.—Oh,monDieu.D’accord.D’accord.Lesvêtementsaubras,j’entraidanslasalledebains.Jen’avaispasla
moindre idée de ce qu’ellemijotait ni pourquoi jeme changeais. Est-ceque je sentais le poulet frit ? Je n’avais pas beaucoup transpiré auJoanna’s,maisjeprisquandmêmeunedouche.C’étaitl’undemesrituelslorsquejerentraisàlamaisonaprèsletravail.J’attachaitoutdesuitemescheveuxenchignonpournepasavoiràlessécher.Enm’habillant,jemerendiscomptequematenueincluaitunepairedechaussettesépaisses.Jelesenfilai.
Commeprévu,mamèrem’attendaitdanslecouloir.—Tucomptesmedirecequisepasse?demandai-jeenremontantles
manchesdemonpull.—Non!s’exclama-t-elleenseretournant.Suis-moi.Curieuse,jelasuivisaurez-de-chausséepuisdanslacuisine.—Enfilecesbaskets.(Elledésignaunepairedechaussuresposéesà
côtédelaporte.)Etsors.—Jet’avoueque jecommenceunpeuàpaniquer,dis-jeenenfilant
mesbaskets.J’ail’impressiondemarchertoutdroitdansunpiège.—Tucroisvraimentquejeferaisçaàmafille?Jeluiadressaiunregardméfiantavantd’ouvrirlaporte.Alorsjemefigeai.Sebastiansetenaitdehors,surlaterrassequemamèren’utilisaitplus.
Ses vêtements étaient semblables aux miens, à l’exception du bas desurvêtement et d’un bonnet tombant gris. Derrière lui, son jardinparaissaitplusilluminéqued’habitude.
C’estalorsquejeviscequ’iltenaitàlamain.
Unesortedebraceletenfleurs,commelesgarçonsenoffraientàleurcavalière de bal. Une rose rouge vif, parfaitement éclose, entourée depetitesfleursblanchesetdefeuillesverttendre.
Jerelevailesyeuxverslui.Ilarboraitunsouriretimide.—Commetun’espasalléeaubal,jemesuisditqu’onpouvaitpasser
lasoiréeensemble.Moncerveautoutentiersemitsurpause.—Soyezsages,ditmamèreavecunregardappuyé.Etamusez-vous.Lesyeuxgrandsouverts, jeregardaimamèrerefermerlaporte,puis
meretournaiversSebastian.—Tun’étaispascenséalleraubald’automne?Ilsecoualatêteets’approchademoi.—Non.Onpourratoujoursalleraubaldepromo,pasvrai?«On.»Àlafaçondontill’avaitdit,onauraitpucroire…—Oui,murmurai-je.—Jepeux?medemanda-t-il.La tête dans les nuages, je lui tendis le bras. Sebastian passa le
braceletàmonpoignetgaucheetl’attacha.—Çatevabien.Jeclignairapidementlesyeux.—Merci.—Nemeremerciepasencore,medit-ilenmeprenantlamain.(Ilme
guida jusqu’au portillon qui reliait nos deux jardins.) J’ai pensé qu’onpourraitfairequelquechosedeplusintéressantqu’alleraubal.
Lagorgenouée,jelesuivis.Lasurprisemerendaitmuette.—Situveuxtoutsavoir, j’enaienviedepuislongtemps,alors jeme
suisditquec’étaitlemomentidéal.(Ilpoussaleportillonetonlefranchitensemble.)Qu’est-cequetuendis?
Bouche bée, je découvris le spectacle qui s’offrait à moi. Desguirlandes lumineuses avaient été accrochées entre le cabanon et lesarbres et baignaient le petit jardin d’une douce lumière. Au centre, à
quelquesmètresdelaterrasse,avaitétéinstalléeunetente.Ilyavaitunelampeàl’intérieur.
—Tuveuxcamper?murmurai-je.Sebastian me libéra et enfouit les mains dans les poches de son
pantalon.Ilhochalatête.—Onlefaisaitsouventquandonétaitpetits,tuterappelles?—Oui.(Biensûrquejem’ensouvenais.)Touslessamedissoir.Ton
pèreoulemieninstallaitlatentepournous.—On faisait griller des chamallows. (Il tapa doucement son épaule
contrelamienne.)Jusqu’àcequetutebrûleslescheveux.—Jenemesuispasbrûlélescheveux!L’éclat de rire qui m’échappa me surprit tellement que je refermai
aussitôtlabouche.Depuiscombiendetempsn’avais-jepasriainsi?—Ahoui,pardon.Seulementlespointes.(Cettefois,ilselaissaaller
contremoi.Jemetournailégèrementetposailatêtecontresonbras.)Onneferapasgrillerdechamallowscesoir,maisj’aiapportéautrechose.
—Quoi?Mavoixétaitrauque.— Tu vas devoir attendre pour le savoir, répondit-il. C’est une
surprise.—Encoreune?—Encoreune.Seigneur.De ma main droite, je me frottai les yeux. Des larmes s’étaient
accrochéesàmescils.—Tuvasbien?—Biensûr.(Jemerepriset,enfaisantunpasenarrière,jejetaiun
œilàlaportearrièredelamaison.)Oùsonttesparents?—Ilssontallésaurestaurant.Ilsserontlàtoutàl’heure.—Ilssontaucourantpourtoutça?Ilrit.
—Oui.Mamèrevoulaitresterpournousprendreenphotodevantlatente.Selonelle,onluiagâchéleplaisirdenousvoirapprêtéspourlebald’automne.
Unnouvel éclat de rirem’échappa et secouamon corps tout entier.Quand il s’évanouit comme des cendres dispersées par le vent, je merendiscomptequeSebastianm’observaitsouslalumièredesguirlandes.
—Çam’amanqué,dit-ilensetournantversmoi.Det’entendrerire.Plusquejenel’auraisimaginé.
Lesoufflecourt,jerelevailesyeuxverslessiens.—Moiaussi.—Tantmieux.(Ilmeregardaunlongmomentdanslesyeuxavantde
soupirerbruyamment.)Prêteàvisiterlatente?Jelesuivisenjouantavecunepetitefleurblanchesurmonbracelet,
maistoutàcoup,undoutemetraversa.—Tun’auraispasparléàFelicia,parhasard?Ilsourit.Visiblement,ilétaitcontentdelui.Ilavaittoujourslesmains
danslespoches.—Çasepourrait.—Tuluiasparlé!(J’écarquillailesyeux.)C’estpourçaqu’ellem’a
autoriséeàrentrerdeuxheuresplustôt.Quandes-tualléelavoir?—Jeudisoir,répondit-il.Sesyeuxbrillaientdanslafaiblelumière.—Etdetouteévidence,mamèreétaitaucourant,elleaussi.— Je lui en ai parlé avant-hier. Elle m’a dit, et je cite : « Tu es
adorable.»Pasquej’endoutais.—Tuesadorable.Ilricanaetsoulevaunpandelatente.—Aprèstoi.Je retiraimes baskets avant d’entrer. Je pouvaisme tenir debout à
l’intérieur. Pas Sebastian. Il s’agenouilla à côté de moi tandis que jerespirais l’odeurderenferméquiéveillaitenmoi lesouvenirde longuesnuitsd’étépasséesdansunetenteencorepluspetitequecelle-ci.
Il y avait un matelas gonflable par terre ainsi que deux sacs decouchageetunecouverturequejemerappelaisvaguementavoirvuechezSebastian. Des coussins étaient disposés sur un côté du matelas. Unepetite lanterne LED reposait sur une table en plastique pliante. De lanourriture et des boissons nous attendaient dans un coin : sodas,tupperwareetmêmeunsachetdechips.
C’était l’une des raisons pour lesquelles j’aimais Sebastian et que jel’aimeraistoujours.
Sebastianattrapauntupperwareetretiralecouvercle.—Mamannousafaitdesbrowniesauxchamallows.J’ensalivai.—Desbrowniesauxchamallows?Çaal’airsuperbon.—Tun’imaginesmêmepas ! (Il replaça le couvercleetattrapaune
autreboîte.)Ladernièrefoisqu’elleenafait,j’enaitellementmangéquejemesuisrendumalade.
Je ris et le regardai ouvrir la deuxième boîte. Celle-ci contenait desfraisesetdescubesdepastèque.
—Jelesaicoupésmoi-même,dit-ilens’asseyantauborddumatelas.Jetrouvequeçaméritedesfélicitations.
Toutsourire, je le félicitaien lui tapotant légèrement la tête.Quandj’observaidenouveaulatenteautourdemoi,l’émotionmenoualagorge.C’étaitparfaitetterriblementadorabledesapart.
J’avaisenviedepleurer.—C’est…—Quoi?medemandaSebastianenrelevantlatête.—Merci.(Jemelaissaitombersurlematelas,àcôtédelui,puisme
penchai et pris son visage entre mes mains.) Merci infiniment. Je nem’attendaispasàceque tu fasses cegenredechoses. Je saisque jenele…
—Nedispasça.(Ilenroulasesdoigtsautourdemespoignetsetonseregardadanslesyeux.)J’aimeraisqu’onnepenseàriend’autre,cesoir.
C’est toi et moi et une tonne de calories qui n’attend que nous. Riend’autre.Pasdepassé.Rien.
Alors,àcetinstantprécis,àcetendroitprécis,jecessaidepenser.Etpourunefois,j’agis.Franchissant la distance qui nous séparait, j’embrassai Sebastian sur
les lèvres en essayant de lui transmettrema gratitude et tout ce que jeressentaispour lui à travers cebaiser. Iln’hésitapasune seule secondeavantdemerépondre.Ils’agenouilladevantmoietfitremontersamainjusqu’à ma nuque. Sa bouche était douce et ferme à la fois et quandj’entrouvrisleslèvres,ilapprofonditnotrebaiser.
Ils’écartaenpremier.Quandilrepritlaparole,savoixétaitdevenuedélicieusementrauque.
—Ondevraitcommenceràmanger.—D’accord.Àcestade,j’auraisditouiàn’importequoi.On se sépara puis on disposa les différents sachets et tupperware
devantnous.Enmangeant,ondiscutade toutetderien.C’étaitgénial.Cela faisait tellement longtemps que je ne m’étais pas contentée…d’exister.Quejen’avaispasparlédemonémissionpréféréeoudeslivresqui m’attendaient dans ma chambre et que je n’avais plus entenduSebastianréfléchiràcequ’ilvoulaitétudieràlafacsansquelepassémerattrape.
Quandj’eusassezmangé,Sebastianrefermalessachetsetlesboîtes.—Onvavraimentdormirici?luidemandai-je.Sebastianritdoucement.— Évidemment ! (Il tourna la tête versmoi et haussa les sourcils.)
Saufsi,biensûr,tun’espasàl’aise.—Si,répondis-je.C’étaitlavéritéet,enmêmetemps,c’étaitunmensonge,carpasserla
nuiticiavecluin’avaitrienàvoiraveccequenousfaisionsquandnousétionspetits.
Ilbaissalesyeux.
—Tuessûre?—Oui.(Jeglissaiverslui.)Maisj’aidumalàcroirequenosparents
nouslaissentfaire.—Ilsnousfontconfiance.Jericanai.Sebastians’allongeasurlematelas,surlecôté.—Tun’aspasà rester toute lanuit,dit-il.Tupeuxpartir quand tu
veux.Tandis que je m’installais à côté de lui, je ne pus m’empêcher de
songer que je n’aurais jamais cru partager de nouveau une tente avecSebastian. Enfant, je ne l’avais jamais imaginé torse nu, et jamais leschosesauxquelles jepensaisàcet instantnem’auraienttraversél’esprit.Jem’allongeaisurleflancpourluifaireface.J’ignoraiscombiendetempsj’allais rester, mais au fond de moi, je savais que, quoi que je décide,Sebastiannemeferaitaucunreproche.
Iln’attendaitriendemoi.Toutdemême,jetenaisàfairequelquechosepourlui.Lerougememontaauxjouesavantmêmequelaquestionfranchisse
meslèvres.—Est-cequejepeux…direquejesuistapetiteamie?Lesourirequiilluminasonvisagemecoupalesouffle.—J’enrêvedepuislejouroùjemesuisrenducomptequej’aimaisles
filles.Unsentimentdejoiem’envahit,pétillantcommeduchampagne,etje
refusaisdelaisserquoiquecesoitleternir.Riendutout.Jeposailamainsursontorse,sursoncœur,etilposalamainsurlamienne.Soudain,jemesentisportéeparunélandecourage.
Lesyeuxgrandsouverts,jeprononçailesmotsquejevoulaisluidiredepuissilongtemps.Desmotsquejen’avaispluspensémériterpendantquelquetemps.
—Jet’aime,soufflai-je.D’aussi loinquejemerappelle, j’aitoujoursétéamoureusedetoi.
SebastianréagitaussitôtIlposalamainsurmajoue,puispressaseslèvressurlesmiennes.Nos
bouchessefondirentavecfrénésie.Lasienneavaitlegoûtduchocolatetdu sel. Tout en approfondissant le baiser, Sebastian me serra plus fortcontrelui.
Ilpassaunbrassousmoietonseretrouvaplaquésl’uncontrel’autre,poitrinecontretorse,hanchescontrehanches.Lorsqu’ilmefitroulersurledos, ilme suivit etnosmains avidesglissèrent sous les vêtementsdel’autre.Lasensationdesapeaunuecontrelamiennemegrisa.
Mesdoigtsparcoururentsondosetsesflancs.Lessiensdescendirentlelongdemeshanchesetdemacuisse.Ilenroulamajambeautourdesataille,nousrapprochantencore.Sonpulldisparut,bientôtsuividumien,et alors, pour la première fois, on se retrouva réellement peau contrepeau.
Dedélicieux frissonsmeparcouraient tandisque son torseduveteuxcaressaitmapoitrine.Dessensationsdébridéesenvahissaientmessens.
—Cen’estpaspourçaquej’aiorganisécettesoirée,medit-ild’unevoixquejeneluiconnaissaispas.Onn’estpasobligésdefairequoiquecesoit.Onne…
—Jesais.(Lamainposéecontresanuque,j’ouvrislesyeux.)Jesais.Je rapprochai de nouveau mes lèvres des siennes. Quand on
recommença à s’embrasser, quelque chose avait changé. Nos baisersétaientpluspassionnés,plus…déterminés.Jemesentaislibredelaplusmerveilleuse des façons. J’ignorais ce que la nuit nous apporterait,comment les choses évolueraient, mais je faisais confiance à Sebastian.Commeilmefaisaitconfiance.
—Jet’aime,murmurai-jecontresabouche.Un grognement rauque, brisé lui échappa. Il s’installa entre mes
jambeset,toutàcoup,sontorseseretrouvadenouveaupressécontremapoitrine.Quandilbougea,j’eusl’impressiondesombrer,denager,demenoyerdanslessensations.
Alorsjem’autorisaiàvivre.
Àaimer.Etcenefutpaslafindumonde,bienaucontraire.Cefutmagnifique.J’étaisvivante.
CHAPITRE30
Lesdernièresfeuillesmordoréestombaientdesbranchespresquenuesets’écrasaientsur lesol.Nousétions laveilledeThanksgiving.Le lundisuivantauraitlieumadernièreséanceavecleDrPerry.
Ilm’avaitdonnédesdevoirs.Etjem’efforçaisdelesfaire.Ledimanchesoir, jemerappelaismesamis.Audébut,celaavaitété
difficile.Depuis l’accident, j’évitaisderegarder leurpageFacebook, leurcompteInstagramoumêmeleursphotos.Jen’avaispasnonplusluleursanciensmessagesete-mails.
La première fois, j’avais tenu une demi-heure avant de refermerl’albumphoto.Jen’avaispaspleuré.Jenesaispaspourquoi.Cen’étaitpas comme si, d’habitude, je ne me transformais pas en fontaine. Ledimanche suivant, j’avais à peine ouvert leurs réseaux sociaux que jem’étaiseffondrée.Voirleursdernierspostsm’avaitétéfatal.
Le samedi après-midi avant l’accident, Megan avait parlé deDanceMoms. À ce moment-là, elle n’avait pas la moindre idée qu’elle allaitmourir, plus tard dans la soirée. C’est cette idée quime bouleversait leplus.Aucundenousnes’étaitdoutéquenosviesétaientsurlepointdechangerdefaçonradicale.
Sur Instagram, il y avait une photo de Cody, datant de la veille dudrame. Il tenait un verre en plastique rouge dans lamain et souriait àl’objectif. Chris était avec lui. Ils avaient l’air tellement heureux… Je
regardai longuement leurs sourires, car c’était ce que je voulais merappeler.
Phillipavaitpartagéunevidéodecaméracachée,avecpourlégende:«PTDR».SesderniersmotssurInternetétaient«PTDR».
Tandisquejeparcouraisleurscomptes,leplusdifficileétaitdelirelesmessages qui avaient été laissés après l’accident. Les mots emplis dedouleur et d’incompréhension, les #RIP, le choc que leur mort avaitcausé.
Toutcelamebrisadenouveaulecœur.J’avais passé la soirée sur le canapé, dans les bras de ma mère, à
manger des chocolats et à parler d’eux. Le lendemain, au réveil, jemesentaistrèsmalet,enmêmetemps,jemesentaisunpeumieux.
Unpeupluslégère.Toutefois,jen’étaistoujourspasalléemerecueillirsurleurstombes.Lorsquej’étaissortiedelasalleauxafficheslesmoinsinspirantesdu
mondepourladernièrefois,leDrPerrym’avaitsouri,commed’habitude,maiscettefois,sonsourireavaitquelquechosededifférent.
Ilétaitemplideconfiance.Pasd’espoirnid’approbation,maisdeconfiance.Enmoi.Comme s’il savait que je finirais par fairemondeuil et la paix avec
moi-même. Peut-être avais-je même déjà commencé. Cela faisaitlongtempsquejenem’étaispassentieaussiapaisée.
Sebastian était assis sur une vieille chaise, les pieds relevés sur larambarde du balcon, et j’étais installée sur ses genoux, les jambes surl’accoudoir.Unedoucecouvertureenchenillenousprotégeaitdufroid.
Nouslisions.Ensemble.Pour une amoureuse des livres, la situation était tellement idyllique
quej’auraispudenouveautomberamoureusedelui.Je refermai le roman d’urban fantasy que je lisais, le posai surmes
genoux,puisrelevailesyeuxversSebastian.Ilétaittrèsconcentré.Ilavaitles sourcils froncés, les lèvres pincées…C’était adorable. Il avait choisi
uneBDqu’iltenaitd’unemain.Sonautrebrasétaitautourdemataille,souslacouverture,etsesdoigtsdécrivaientdelentscerclessurmapeau,commes’ilessayaitdemedireque,mêmes’illisait,iln’oubliaitpasquej’étaissursesgenoux.
Toutefois,jevoulaisqu’ilm’accordedavantaged’attention.Jepressaimeslèvrescontresajoueetsourisenl’entendantrefermer
saBD.Sonbrasseresserraautourdemataille.—Qu’est-cequetufais?medemanda-t-il.—Rien.Jedéposaidesbaisers le longde samâchoirepuissante. Il tourna la
têteversmoi.—J’aimebeaucoupce«rien».Cette fois, je l’embrassai sur la bouche. Ilme répondit avec tant de
fouguequejeregrettaiquemamèresoitàlamaison.Je fis glisser ma main le long de sa joue, puis reculai de façon à
pressermonfrontcontrelesien.—Tonrepasestàquelleheure,demain?—18 heures. Tu es sûre que tu ne veux pas venir ? (Sa famille se
rendait chez ses grands-parents pour célébrer Thanksgiving.) Tu es labienvenue.Ilsseraienttrèscontentsdetevoir.
—Jesais.(Jelaissaicourirmonpoucesursamâchoire.)Çameferaitplaisiraussi,maismonpèreest là,cetteannée.Si jenemangepasaveceux,mamèrevapéteruncâble.
Ilm’embrassaaucoindeslèvres.—C’est vrai. (Il s’interrompitpourm’embrasserde l’autre côté.) Je
suis surprise que ta sœur ne passe pas son temps à nous espionner endessinantdescœursavecsesdoigts.
Jeris.—Ellenepeutpas.Mamère l’a réquisitionnéedans lacuisinepour
cuisinerdestartes.—Jecroisqu’ilest tempsd’aller inspecter lacuisine,dit-ilaprèsun
tempsderéflexion.
—Etmoi,jecroisquetuvasvitechangerd’avisunefoisquetuaurasgoûtélestartesdemasœur.(Jepassaiunbrasautourdesoncouetposaila têtecontre sonépaule. Il ritdoucement.) Jene saispaspourquoimamèreluiademandédelespréparer.J’ail’impressiond’êtrepunie.
Unnouveléclatderiresecouasontorse.—Jeterapporteraidelatartedemagrand-mère.—Àlacitrouille?—Àlacitrouilleetàlanoixdepécan.— Miam. (Mon ventre gargouilla.) J’ai hâte ! Je peux avoir de la
crèmefouettéeavec?Mamèreprendtoujourslamoinschère.C’est…Toutàcoup,laportedubalcons’ouvrit.Jerelevaivivementlatêteen
m’attendantàvoirmasœuroumamère,maisc’étaitmonpère.Papa.Mon père venait de sortir dema chambre, sur le balcon, alors que
j’étaisaffaléesurlesgenouxdeSebastian.Merde.Dansunsursaut,jemedépêchaidemerelever.Malheureusement,je
meprislespiedsdanslacouvertureetmanquaitomberparterre,latêtelapremière.Jen’avaisvraimentpasenviequemonpère,mêmes’ilavaitétéabsenttoutescesannées,mevoiesurlesgenouxdemonpetitami.
La tête baissée, Sebastian m’aida à me libérer de la couverture. Jesavaisqu’ildissimulaitsonhilarité.Dèsqu’onseraitseuls, jen’hésiteraispasàmevenger.
LesyeuxnoisettedemonpèreseposèrentsurmoiavantdesetournerversSebastian,quiselevaitàsontour.
—Tamèrem’aapprisquevoussortiezensemble.Cefutlapremièrechosequ’ilmedit.Qu’ilnousdit.Jenel’avaisplusvuetjeneluiavaisplusparlédepuisqu’ilétaitvenu
merendrevisiteàl’hôpitaletiln’avaitriendemieuxàmedire?Jen’étaispasparticulièrementsurprise.Sebastianfitletourdelachaiseetluitenditlamain.—Bonjour,monsieurWise.
Unlégersourireauxlèvres,monpèreacceptadeluiserrerlamain.—Sebastian,mongarçon.Çamefaitplaisirdetevoir.—Moiaussi,réponditSebastianenreculant.Samaintrouvalamienneetilentrelaçadoucementnosdoigts.Lerougememontaauxjoues.— Je ne savais pas que tu étais là. Je croyais que tu ne venais pas
avantdemain.— Je viens d’arriver, m’expliqua-t-il. J’espérais qu’on pourrait se
parlerseulàseulpendantquetamèreettasœurs’appliquentàdétruirelacuisine.
Commejen’étaispascertainedevouloirmeretrouverseuleaveclui,j’hésitai un instant. Finalement, j’acquiesçai. Autant en finir. De toutefaçon, jenepouvaispas l’éviter. Il allait rester avecnouspendantdeuxjours.
—D’accord,dis-jeavantdereleverlatêteversSebastian.Jet’enverraiunmessagetoutàl’heure.
Ilmedévisagea longuement sansme lâcher lamain.Sonexpressions’étaitfaiteinquiète.
—Tuessûre?—Certaine,répondis-jeàvoixbasse.Net’enfaispas.Sebastianparaissaitréticentàl’idéedepartir.Jenepouvaispasluien
vouloir. Dire que ma relation avec mon père était tendue relevait del’euphémisme. Au bout d’un moment, il se pencha vers moi etm’embrassasurlajoue.
—D’accord.J’attendstonmessage.Après avoir dit au revoir àmon père, il se dirigea vers l’escalier et
nous laissa seuls. Je ne savais pas quoi dire. Aussi ramassai-je lacouvertureetlapliai-je.
Comme toutesmes pensées avaient été accaparées par l’accident ettoutcequis’yrapportait,jen’avaispasprisletempsderéfléchiràcequemamèrem’avaitavouéniàcequecelaimpliquait.
— Comment vas-tu ? me demanda-t-il en s’appuyant contre labalustrade.
—Çava.—TusorsvraimentavecSebastian?(Ilritavantmêmedeterminersa
question.)Enfin, j’espèrequec’est lecas,vu lapositiondans laquelle jevousaitrouvés.
Mes joues s’empourprèrent, mais je repoussai l’envie de lui faireremarquerquemamère le lui avaitdéjàdit.C’était terminé. J’enavaisassezd’êtreencolère,déchiréepar lesémotions.Avec leDrPerry,nousn’avions jamaisparlédemonpère,mais si j’avais réussi à surmonter letraumatisme causé par l’accident, je savais que je pouvais surmonter…toutcequiserapportaitàmongéniteur.
—Oui,onnesortpasensembleofficiellementdepuistrèslongtemps,répondis-je en regardant les baskets usées de mon père. Je suis… trèsheureuseaveclui.
Unsemblantdeculpabilitémetransperçadepartenpartcommeuneflèche. Avouer que j’étais heureuse m’était encore difficile. Et ce seraitsansdoutecommeçapendantunlongmoment.
—C’estunbongarçon.Jenepeuxpasdirequeçamesurprend.J’aitoujourssuquevousfiniriezensemble.
Jehaussailessourcils.—Ahoui?—OK. J’espérais que vous finiriez ensemble, admit-il. Je te l’ai dit,
c’estunbongarçon.Ildeviendraunhommebien.Jemedandinai.—Tu as l’air d’aller beaucoupmieux,medit-il, changeant enfin de
sujet.Tun’asplusdeplâtrenid’hématomes.Tumarchesettutedéplacesnormalement.Jesuisrassurédevoirça.
Lacouvertureserréecontremapoitrine, jerelevai latêteetregardaimonpère.Jeleregardaivraiment.Iln’avaitpaschangédepuisqu’ilétaitvenu me voir à l’hôpital. Il paraissait peut-être un peu plus vieux etfatigué,maisilétaittoujoursaussitendu.Laconversationétaitlaborieuse.
Pour être franche, cela avait toujours été le cas. Petites, Lori étaitprochedePapaetmoidenotremère.Peuimportaitoùnousallions(aurestaurant, au zoo ou dans des parcs d’attractions), nous choisissionsnotreparentpréféré.Ellepartaitavecnotrepère.Jem’accrochaisànotremère.Papaetmoi…nousn’avionsjamaiseudelienpuissant.Cen’étaitpasentièrementsafaute.J’auraisdûrépondreàsesappels,surtoutaprèsavoirappris lavéritédelabouchedemamère…maisluiauraitdûêtreunmeilleurpèreetnepasbaisserlesbrasfaceàmonmutisme.
Sesyeuxplongèrentdanslesmiens.Nousavionslemêmeregard.—Jemesuisfaitbeaucoupdesoucipourtoi.— Je vaismieux. Je ne suis pas encore… rétablie à cent pour cent,
maisçavamieux.Ilsouritlégèrement,maislatristesseétaittoujoursprésentedansson
regard.—Jesais.Tuesforte.Jenecroispasquetuterendescompteàquel
point.—Jenesaispas…(Jem’assissurlachaiseetposailacouverturesur
mesgenoux.)Sij’étaissifortequeça,jenemeseraispasretrouvéedanscegenredesituation.
Ilsemblayréfléchiruninstant.— Peut-être. Mais il faut avoir une grande force de caractère pour
surmontercequetuasvécu.Leslèvrespincées,jehochailatête.—Tuesplusfortequemoi,ajouta-t-il.Surprise,jesursautai.Monpèrenemeregardaitpas.Ilposalesmains
surlarambardeetobservalejardin.— Tu sais ce que me disait toujours ton grand-père, alors que je
détestais ça ? « Ça iramieux demain. » Ilme le disait quand j’étais encolèreouquandquelquechosemecontrariait.«Çairamieuxdemain.»Jenedétestaispascettephrase,audébut.Aucontraire.Pendantlongtemps,çaa étémaphilosophiedevie. (Il se retourna lentementpourme faireface.)Tucomprendsoùjeveuxenvenir?
Jebaissaidenouveaulesyeuxverssesbaskets.—Chaquefoisquelasituationétaitdifficile,irréparableoudifférente
de ce que je désirais, je me disais : « Ça ira mieux demain. » Cela nerendaitpaslasituationplusfacile.Celaneréparaitpasleschoses,maissijemesentaismalàl’aiseousijen’avaispasenviedefairequelquechose,jelerepoussaisaulendemain.Leproblèmeétaitquelejoursuivant,jenefaisaistoujoursrien.
Ladouleurquejeressentissoudainmefitfermerlesyeux.Jeprisunegrandeinspiration.
—C’est une jolie philosophie, pourtant, tu ne trouves pas ? Penserque,quoiqu’ilarrive,mêmesitonexistenceestrempliededéception,unevie meilleure t’attend dans le futur. Malheureusement, l’avenir estincertain. (Il s’interrompit et prit une grande inspiration.) Tu as appriscetteleçonbientropjeune,mapuce.
«Touteslesquatre,onseserreratoujourslescoudes.»«Quoiqu’ilarrive.»On ne serait plus jamais toutes les quatre. Jamais. Mon père avait
raison.L’avenirétaitincertain.—Iln’yapastoujoursun«demain».Etpasseulementàcausedela
mort. Parfois, c’est à cause des décisions que l’on prend pour nous-mêmes. (Il se passa la main sur le visage et je me rendis compte quej’avais hérité cette habitude de lui.) Jem’en veux de te l’avouer,maisc’estexactementcequej’aifaitavectoi.«Demain,j’arrangeraileschosesentrenous.»Mais,demainestpassé,etjen’aijamaisrienfait.
Leslarmesmebrûlaientlesyeux.—Je…Jenet’aipasfacilitéleschoses.—Cen’estpasgrave,répondit-ild’unevoixrauque.Jesuistonpère.
C’est ma faute. Pas la tienne. Alors j’aimerais qu’aujourd’hui soit le«demain»quejen’aipasarrêtéderepousser.Qu’endis-tu?
Monpèremetenditlamain.Pendantunlongmoment,jerestaifigée,àleregarder.Puisjelâchailacouvertureetentrelaçaimesdoigtsaveclessiens.
CHAPITRE31
Assise dans ma chambre, le téléphone plaqué contre ma poitrine,j’observais la mappemonde accrochée au-dessus de mon bureau. Lescercles que Sebastian etmoi avions tracés étaient flous.Ma respirationétaittremblanteetdouloureuse.
Jel’avaisfait.J’avaislulesanciensmessagesdeMegan.Ilyenavaitbeaucoup.Montéléphonelesgardaitenmémoireàmoins
quejeneleseffacemanuellement.Pendant que je lisais ses messages les plus absurdes, les larmes
s’étaientmêléesauxéclatsderire.J’auraisvoulul’appeleretlavoirunedernière fois. Pour de vrai. Pas sur une photo. Pas à travers quelquesphrases.
Maisjesavaisquec’étaitimpossible.Àpartirdemaintenant,messouvenirsdevraientsuffire.Soufflantbruyamment, jeposaimontéléphonesurmonbureauet le
branchai,puisjefistournermonfauteuilàroulettesversmonplacard.Laporteétaitentrouverteetildébordaitdevêtementsetdelivres.
Ensortantdulycée,laveille,j’avaisfaitungrandpasenavant.Celane faisait pas partie des tâches que le Dr Perry m’avait demandéd’accomplir, mais à mon sens, c’était la meilleure façon, pour moi,d’honorerlamémoiredeMegan,defairequelquechosepourelle.
Defairequelquechosepourmoi.
Je me levai et m’approchai du placard. Mes chaussettes épaissesbruissaient contre le sol. Une fois la porte ouverte en grand, jem’agenouillaietpoussaisurlecôtémesjeansfroissés.Avecdélicatesse,jedéplaçaiégalementlapiledelivrescontrelemuretmepenchaienavant.Jetâtonnaijusqu’àcequemesdoigtsrencontrentcequejecherchais.Matrouvailleàlamain,jereculaietbaissailesyeux.
Mes genouillères étaient rayées à force de rencontrer le sol dugymnase,maisellesmeservaientdepuisquatreans.Ellesmeserviraientaumoinsencoreunan.
Aprèslescours,laveille,j’étaisalléevoirM.Rogers,notreentraîneur.La saison était terminée, mais il connaissait des clubs hors cursus
scolairequijouaienttoutel’annéedanslarégion.L’und’euxrecrutaitenfévrier.Jecomptaispasserlesessais,cequisignifiaitquej’avaisintérêtàme bouger les fesses. Heureusement, Rogers m’avait concocté unentraînementsurmesure.
Cela ne me ferait pas obtenir une bourse, mais j’avais la fermeintention d’intégrer l’équipe de volley de l’université dans laquellej’étudierais.Jevisaistoujoursl’universitédeVirginie,mais lespremièresadmissionsn’avaientpasencoreétéannoncées.
Dès le lendemain, je me rendrais au gymnase et courrais dans lesgradins,arméedecesgenouillères,avec joie.JeleferaisensachantqueMeganserait…Qu’elleauraitétéfièredemoi.
Enattendant,lajournéen’étaitpasencoreterminée.Aucontraire,ellenefaisaitquecommencer.J’étais assise dansma voiture. Face àmoi s’étendaient des collines,
des tombes et des anges en pierre à perte de vue. Des arbres nusparsemaientlepaysage.Unelégèrecouchedeneigerecouvraitlesol.
L’arrivéedel’hiveravaitétébrusque.Enunclind’œil,legivres’étaitaccrochéàl’herbeetlaglaces’étaitétenduesurlesroutes.Nousétionsle20 décembre. Cela faisait exactement quatremois quema vie avait étémisesensdessusdessous.
Je n’avais rien planifié. J’étais venue au cimetière ce jour-là paraccident,maisenregardantau-dehors,bienauchauddansmavoiture,jemedisquelehasardfaisaitbienleschoses.
Lagorgenouée,jegardailesyeuxdroitdevantmoi.—J’airetrouvémesgenouillères.—J’aidumalàcroirequetuarrivesàretrouverquoiquecesoitdans
ce placard, me dit-il d’une voix taquine. (Un léger sourire étirait seslèvres.)Jeviendraiavectoi,demain.
Quand jeme tournaivers lui,monregardrencontraaussitôt le sien,bleuetbrillant.
—Tun’espasobligé.Tuassansdoutemieuxàfairequeresterassisdanslegymnaseoumonteretdescendrelesgradins.
—Sijen’enavaispasenvie,jenetel’auraispasproposé,répondit-il.Et puis je ne viens pas seulement pour te soutenir moralement. Je nevoudraispasquetutombesetquetutecassesquelquechose.
—N’importequoi.Jelevailesyeuxauciel,maismonsourires’élargit…jusqu’àcequeje
metournedenouveauverslestombessilencieuses.J’avaisencoredumalàaccepterdel’aide.Carc’étaitcequeSebastianmeproposait.Ilvoulaitêtreprésentpourmoi,carilsavaitquelarepriseduvolleyseraitdifficiletantsurleplanphysiquequ’émotionnel.Commecequejem’apprêtaisàfaire.
Danstouslescas,ilétaithorsdequestionquejemerenfermesurmoi-même.S’il yavaitbienunechoseque j’avaisapprise cesderniersmois,c’étaitquelorsqu’onvoustendaitlamain,ilfallaitlaprendre.Cen’étaitpastoujoursfacile,maislavien’enétaitqueplusbelle.
—D’accord,murmurai-je.Lesilenceretombaentrenous.Sebastianposalamainsurmongenou.—Tuesprête?Jereportaimonattentionsurluiethochailatête.Ilmedévisageaavecsoin.
—Tun’espasobligéedelefaireaujourd’hui.Onpeutrevenir…— Non. Si je ne le fais pas maintenant, je repousserai toujours à
demainetjeneleferaijamais.Je pensai à mon père, à nos appels désormais hebdomadaires que
nousnousobligionsàrespecter,mêmelorsquenousn’avionsrienànousdire.Notrerelationsereconstruisait,petitàpetit.
—Ilfautquejelefasse.—OK.Il passa la main derrière ma nuque et me rapprocha de lui pour
m’embrasser.Sonbaiserfutdouxetbref.—Cechapeautevatrèsbien.Jerisettouchailebonnetgrisquej’avaisempruntédanssachambre.
Lesienétaitnoir.—Tutrouves?—Oui.Iltirasurlescôtésdubonnetpourletendre.Quand je posai de nouveau les yeux sur le pare-brise, mon sourire
s’évanouit.Unfrissonmeparcourut.JemeretournaiversSebastian.— Tu n’es pas seule, murmura-t-il. (Son regard était doux et ses
gestesmesurés.)Jesuislà.EtAbbietDaryaussi.Nosamiessetrouvaientdanslavoiture,derrièrenous,etattendaient
que j’ouvre la portière pour sortir à leur tour. Les choses s’étaientamélioréesavecAbbi.Onsevoyaitdenouveauendehorsdulycéeetonse parlait comme de vraies amies. Je savais qu’un jour on retrouveraitnotre relation d’antan. Je le ressentais dans toutes les cellules de moncorps. Toutefois, cela allait prendre du temps, car en la repoussant, jel’avais blessée, et ce genre de blessures mettaient un certain temps àcicatriser.
Toutcommeletraumatismequenousavionssubi.Continuerdevivrealorsquenosamisétaientmortsnesefaisaitpas
du jour au lendemain, même si parfois j’en avais l’impression, commelorsque jeme rendais compte que je n’avais pas pensé àMegan ni aux
garçonspendantunoudeuxjours.Ilm’arrivaitencorederessentirdelaculpabilitéàcesujetoudepleurerenpensantàlaviequ’ilsauraientpuavoir,àtouteslesoccasionsquis’étaientenvoléesenl’espacedequelquessecondes.
Ilfallaitdutempsetlesoutiendelafamilleetdesamispouraccepterquelaviesuivaitsoncours.Lavieavançaitetonnepouvaitpasresterenarrière,surlebas-côté,dansunpasséquin’existaitplus.
Quantàl’autresentimentdeculpabilitéquejeportaisenmoi…c’étaitplus compliqué, plus difficile à effacer. Savoir que j’avais joué un rôledans ce drame me hanterait très longtemps. J’allais beaucoup souffriravantdem’endéfaireetcela laisseraitdescicatrices,mais,petitàpetit,j’apprenais à vivre avecmes responsabilités, avecmon silence, avec lesleçonsquejedevaistirerdemeserreurs.
Le passé et l’avenir de mes amis avaient été effacés en quelquessecondes. Les miens auraient pu l’être aussi. Les commentaires desarticlesdejournauxauraientpumeconcerner,etquelquepart,c’étaitlecas.Jesavaisquejenepourraisjamaisrevenirenarrièrepourchangercequi s’était passé. La seule chose que je pouvais faire, c’était devenirquelqu’undemeilleur.J’étaisvivante.J’étaistoujourslà.
Jesavaisque jenepouvaispasrecommencerdezéro.Jenepouvaispas réécrire lemilieu demon histoire. Tout ce que je pouvais changer,c’étaitdemain,tantqu’ilexistait.
Lagorgesèche,jeposaimamaingantéesurlapoignéedelaportièreet l’ouvris. L’air froid s’engouffra aussitôt dans la voiture. Je sortis. Legraviercraquasousmesbottes.
Je regardai le cimetière et laissai le parfum de la neige emplirmespoumons.Autourdemoi,desportièress’ouvrirentetserefermèrent.Ducoindel’œil,j’aperçusAbbietDaryapprocher,puisSebastianmepritlamain.Alorsjefisunpasenavantetjecompris.Jecomprisquemêmesil’avenirétait incertain,mêmes’iln’yavaitpas forcémentde lendemain,lespossibilités,elles,étaientinfinies.