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45 Revue Foéven - Ressources éducatives Numéro 171 l JEUNES JEUNESSES D e nombreuses interventions ayant pour sujet Internet, les réseaux sociaux et le cyber-har- cèlement sont assurées par l'Aroéven Dijon- Bourgogne depuis plusieurs années scolaires. Un partenariat avec le Conseil régional de Bourgogne a permis sur deux années scolaires de rendre gratuites ces interventions au sein des lycées. Les séances de prévention à destination des élèves et auxquelles les membres de la communauté éducative sont conviés ré- pondent à une commande effectuée par les établissements. Deux grands thèmes sont ainsi régulièrement abordés : les risques liés aux réseaux sociaux et le cyber-harcèlement qui sont intimement liés. La visée globale de l'action est de faire s'interroger les jeunes sur leurs pratiques sans porter de jugement et de les faire ré- fléchir aux éventuels risques auxquels ils s'exposent an allant surfer sur Internet et/ou en s'affichant sur les réseaux sociaux. Le propos est, en somme, d'amener les jeunes à un usage rai- sonné, à une utilisation responsable de l'outil riche et po- tentiellement à risque que représente Internet. L'association n'a cependant pas pour objectif de diaboliser cet outil de- venu indispensable. A fin d'amener le public visé à réfléchir, l'association pro- pose - comme pour toutes ses formations - différentes méthodes grâce auxquelles les élèves sont acteurs de leur réflexion et s'impliquent activement. A la fin de chaque séance est distribué aux élèves un petit questionnaire ano- nyme permettant aux intervenants d'évaluer l'intervention et de la modifier en tenant compte des réflexions des jeunes. Selon la tranche d'âge, les outils utilisés varient et sont adap- tés : pour les collégiens par exemple, une vidéo interactive est utilisée. Mettant en scène deux personnages auxquels il Le cyber harcèlement Sarah Marchal, Aroéven de Dijon. Lycée agricole La Barotte (Chatillon-sur-Seine) - Photo Aroéven de Dijon

JEUNES JEUNESSES Le cyber harcèlement D

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45Revue Foéven - Ressources éducatives

Numéro 171 l JEUNES JEUNESSES

De nombreuses interventions ayant pour sujetInternet, les réseaux sociaux et le cyber-har-cèlement sont assurées par l'Aroéven Dijon-Bourgogne depuis plusieurs années scolaires.Un partenariat avec le Conseil régional deBourgogne a permis sur deux années scolaires

de rendre gratuites ces interventions au sein des lycées. Lesséances de prévention à destination des élèves et auxquellesles membres de la communauté éducative sont conviés ré-pondent à une commande effectuée par les établissements.Deux grands thèmes sont ainsi régulièrement abordés : lesrisques liés aux réseaux sociaux et le cyber-harcèlement quisont intimement liés.

La visée globale de l'action est de faire s'interroger les jeunessur leurs pratiques sans porter de jugement et de les faire ré-fléchir aux éventuels risques auxquels ils s'exposent an allantsurfer sur Internet et/ou en s'affichant sur les réseaux sociaux.Le propos est, en somme, d'amener les jeunes à un usage rai-

sonné, à une utilisation responsable de l'outil riche et po-tentiellement à risque que représente Internet. L'associationn'a cependant pas pour objectif de diaboliser cet outil de-venu indispensable.

Afin d'amener le public visé à réfléchir, l'association pro-pose - comme pour toutes ses formations - différentesméthodes grâce auxquelles les élèves sont acteurs de

leur réflexion et s'impliquent activement. A la fin de chaqueséance est distribué aux élèves un petit questionnaire ano-nyme permettant aux intervenants d'évaluer l'interventionet de la modifier en tenant compte des réflexions des jeunes.Selon la tranche d'âge, les outils utilisés varient et sont adap-tés : pour les collégiens par exemple, une vidéo interactiveest utilisée. Mettant en scène deux personnages auxquels il

Le cyber harcèlement

Sarah Marchal, Aroéven de Dijon.

Lycée agricole La Barotte (Chatillon-sur-Seine) - Photo Aroéven de Dijon

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leur est facile de s'identifier, elle permet aux élèves d'effec-tuer des choix et de se mettre dans la peau des protagonistesce qui facilite l'échange au sein de la classe mais aussil'échange des élèves avec l'intervenant. Est ainsi abordé lethème du respect de l'intimité. L'un des buts est de leur faireprendre conscience que ce que l'on publie sur Internet sepropage extrêmement rapidement et appartient une foisposté sur internet, à tous les utilisateurs. Le droit à l'imageest un thème sous-jacent à chaque intervention. Un travailde réflexion avec les élèves de ce qui relève de l'intime ou dupublic est mené et les débats sont bien souvent vifs et ex-trêmement riches. L'idée est que les élèves confrontent leursreprésentations et échangent sur leurs propres pratiques.

Un exemple souvent utilisé est celui-ci : «Vous avez réglé vosparamètres de confidentialité afin que seuls vos “amis” Face-book aient accès à vos publications. Vous ne savez cependantpas quels sont les paramètres utilisés par vos amis. Vous publiezune photo sur votre compte Fa-cebook, l'un de vos amis la “like”,cette photo se retrouve donc surson propre fil d'actualité, l'undes amis de votre ami (que vousne connaissez pas) “like” à sontour cette fameuse photo. Elle seretrouvera donc sur le fil d'ac-tualité d'une personne que vousne connaissez pas et ainsi desuite... La question est donc desavoir quel type de photo vous acceptez de voir apparaître surla page Facebook de personnes que vous ne connaissez pas carc'est bien souvent ainsi que cela se passe...»Est ensuite abordée l'idée qu'une fois publié et partagé pard'autres utilisateurs, il est très difficile voire impossible desupprimer un élément utilisé sur Internet. L'auteur pourratoujours ôter la photo, l'image ou le commentaire publié deson propre profil, mais qu'en est-il des personnes qui aurontrelayé le dit élément ? Quelle garantie qu'elles en fassent demême ? Sur Internet donc, rien ne se perd et tout se re-trouve...

Dans un établissement de l'Yonne plusieurs jeunesfilles, quand a été évoqué le fait que sur Internet toutpouvait être retrouvé ou presque, se sont décompo-

sées et ont timidement levé la main en demandant : «Ma-dame, quand vous dîtes “tout”, vous voulez dire que dans 10 ans onretrouvera des choses que nous avons publié il y a deux jours ? Rienne disparaît jamais ?» Ce type de réaction de la part des élèvesprouve donc qu'ils/elles ont conscience que certaines deleurs publications, si elles ne leur causent pas nécessaire-ment de tort, n'ont pas leur place sur un outil tel qu’Internet.Suite à cette prise de conscience, le but est d’expliquer queles paramètres de confidentialité sont extrêmement impor-tants s'ils utilisent les réseaux sociaux mais que certaines

images n'ont tout bonnement pas leur place sur les réseauxsociaux. Est ainsi évoquée la notion qu'une fois publiée surInternet, une photo n'appartient plus à la personne qui l'apostée mais à toute la communauté des utilisateurs. C'estainsi que chacun évoque ce qu'il/elle considère comme digned'être publié ou non.Le seuil de tolérance des élèves est extrêmement différent.Les avis au sein d'une même classe et les comportementspeuvent être très variables, d'où l'intérêt d'initier le débat ausein du groupe classe.

«Perso une photo de mes vacances où je suis sur la plage enmaillot de bain, c'est comme quand je vais à la piscine... Je nevois pas en quoi ça gêne.»1 (Camille, 13 ans).«Bah moi je ne publierai jamais ça ! Je ne veux pas que ma photosoit récupérée ! T'imagines si après il y a quelqu'un qui l'utilise ?»(Chloé, 13 ans).

Durant le travail sur le cyber-harcèlement, l'objectif est defaire émerger chez les élèves l'idée qu'une blague peut pren-dre des proportions inattendues et en dépasser très rapide-ment l'auteur. Le fait que tous les individus ne sont passensibles aux mêmes choses au même moment est large-ment développé. Un travail sur le fait de se mettre à la placede l'autre, de se décentrer, est effectué afin de faire com-prendre aux élèves que leurs actions ont des conséquenceset qu'avant d'agir, ils doivent se demander quelle serait leurpropre leur réaction si quelqu'un leur faisait à eux ce qu'ilss'apprêtent à faire à autrui. Grâce à la vidéo interactive utili-sée, les élèves avancent progressivement en partant du scé-nario le plus positif pour se diriger progressivement vers uneissue plus dramatique. Tout au long du visionnage est men-tionnée l'influence de l'effet de groupe, la difficulté pour cer-tains de ne pas être tentés de faire comme les autres : «Maismadame quand même, quand tout le monde fait quelque choseet nous encourage à le faire aussi, c'est pas forcément facile derépondre qu'on ne veut pas participer. Après ils risquent de nousdire qu'on est nul et de ne plus nous parler...» (Alexia, 12 ans).«Bah il vaut mieux que ces gens-là ne nous parlent plus... S'ils lefont, c'est qu'ils n'en valaient pas la peine.» (Arthur, 12 ans).Là encore, les réactions sont variées et le but n'est surtoutpas de juger ces élèves qui s'interrogent où pour certains, sereconnaissent dans les situations visionnées mais bien de les

1 Les évaluations renseignées de manière anonyme à la fin des séances sont, dans la majorité des cas, positives, ce qui est encourageant quant à la mise en place de ce type d'ac-tion. Le fait que l'intervenant n'adopte pas une posture de censeur ou de juge et que les élèves puissent s'exprimer librement apporte probablement plus de poids et facilitetrès certainement la remise en question de certains des élèves présents. Ils sont ainsi probablement moins tentés - même si cela se produit parfois - de s'inscrire dans la pro-vocation ou le refus total de participer.

La visée globale de l'action est de faire s'interroger les jeunes sur leurs pra-tiques sans porter de jugement et de les faire réfléchir aux éventuelsrisques auxquels ils s'exposent an allant surfer sur Internet et/ou en s'affi-chant sur les réseaux sociaux. Le propos est, en somme, d'amener lesjeunes à un usage raisonné, à une utilisation responsable de l'outil riche etpotentiellement à risque que représente Internet. L'association n'a cepen-dant pas pour objectif de diaboliser cet outil devenu indispensable.

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ce fait, faire en sorte que les personnes pas réellementproches aient un accès plus limité aux informations publiéessur les réseaux ?

Autant de questions qui, une fois posées rencontrent des ré-ponses une fois encore bien différentes selon les élèves : «Moij'ai des paramètres de confidentialité et les gens que je ne voispresque jamais, ils ne voient rien.» (Alban, 16 ans). «Bah quelintérêt de les avoir en amis alors ?» (Cécile, 16 ans). «On n'estpas tous comme certains à accepter tout le monde.» (Benoît, 17ans). «Bah moi si une fille est jolie, je l'accepte...» (Thomas, 16ans). «Et si en fait c'est un vieux de 50 ans, tu fais quoi ?» (rires,Claire, 16 ans).

Le propos de ces interventions n'est donc pas nécessaire-ment d'apporter aux élèves des réponses ou des règles à res-pecter mais bien de les faire s'interroger et tenter de lesresponsabiliser, de leur faire prendre conscience de certainsrisques qu'ils encourent.

Quelle que soit la tranche d'âge, l'alternance entre lesphases de visionnage et de débat permet une dyna-misation de l'intervention. Les réactions sont diffé-

rentes selon les niveaux et les individus, si un certain nombred'élèves -en lycée surtout- prend un air las et dit «déjà savoirtout ça», certains montrent clairement leur surprise, et disent«réaliser certaines choses» d'autres enfin ne montrent aucuneréaction.n

amener à se questionner avant de passer à l'acte et de deve-nir auteur d'actes relevant du harcèlement. Une élève de 5ème,sur l'évaluation de fin de séance a noté : «J'ai déjà publié descommentaires méchants sur des vidéos postées par ma pire en-nemie, je vais les supprimer ce soir !» Ce type de retour est en-courageant car il prouve que la formation fait prendreconscience à certains de leurs actes. Il serait présomptueuxde penser que le temps passé auprès des élèves produit uneffet similaire chez chacun d'entre eux mais nous pouvonsau moins espérer qu'un début de prise de conscience estamorcé.

Pour les lycéens, l'utilisation de vidéos type reportageest privilégiée. La séance débute la plupart du tempsavec une première vidéo faisant émerger une

problématique. Devoir répondre à cette probléma-tique en visionnant d'autres reportages, amène lesjeunes à (se) poser des questions et à réfléchir. Du-rant les formations effectuées à destination des ly-céens -public se rapprochant de l'entrée sur lemarché du travail ou en passe de rechercher unestructure afin d'y effectuer un stage- est fortementdéveloppée la notion de réputation numérique. Eneffet, faire comprendre que l’empreinte numériquepeut éventuellement être retrouvée et consultée parde potentiels recruteurs fait prendre conscience àcertains de l'importance de protéger leur vie privée.

L'une des vidéos présente un autoentrepreneur quipropose ses services aux cabinets de recrutementafin de vérifier la réputation numérique des candi-dats qui postulent aux offres d'emploi. Les réactionsne se font que rarement attendre au sein desgroupes classes : «Mais madame, les patrons ils vont pastous regarder sur Internet avant de recruter des gens ?»(Baptiste, 17 ans). «Ils ont pas le droit de faire ça !» (Tom,17 ans). «Bien sûr qu'ils ont le droit, t'as qu'à pas publiern'importe quoi !» (Gaëlle, 16 ans). «Ouais mais ce qu'onfait les week-end ou en soirée ça les regarde pas !» (Léa,17 ans).

Les réactions nombreuses et souvent vives des élèves prou-vent bien que cette vidéo éveille en eux des doutes quant àleurs publications, ce qui est le propos même des séancesréalisées avec eux. Tant avec les collégiens qu'avec les ly-céens est abordée la notion au sens large de l'amitié. En effetle nombre souvent considérable d'amis sur les réseaux so-ciaux révèle un désir de popularité numérique émanant desutilisateurs des différents réseaux. L'idée est de parvenir à dif-férencier les différents types de relations que peuvent en-tretenir les jeunes sur les réseaux sociaux. Les personnesqu'ils connaissent de vue, les amis d'amis, les amis de va-cances, les camarades de classe, les membres de leur famille,les personnes croisées une heure lors d'une soirée... Toutesces personnes doivent-elles avoir le même accès aux publi-cations ? Doivent-elles toutes pouvoir consulter les mêmeséléments ? Ne peut-on pas établir un degré d'intimité et de