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La Contribution au Développement du Droit International Général de la Jurisprudence Arbitrale Relative aux Investissements Etrangers 11 La Contribution au Développement du Droit International Général de la Jurisprudence Arbitrale Relative aux Investissements Etrangers 1 The Foreign Investment Case Law’s Contribution to the Development of General International Law MATHIAS FORTEAU 2 Resumo Diferentemente da arbitragem comercial na qual o Estado participa como opera- dor privado, no contencioso relativo aos investimentos estrangeiros o Estado inter- vém como entidade soberana, jure imperii. Considerando-se o fato de que a maioria das reclamações introduzidas perante os tribunais arbitrais especializados, tal como o ICSID, tem como fundamento o descumprimento por parte do Estado de um tra- tado bilateral de investimentos, as decisões decorrentes dos litígios propostos pelos investidores estrangeiros privados em face do Estado hospedeiro têm constantemente evocado a aplicação do direito internacional público geral. O fenômeno da aplicação de uma jurisprudência interestatal na arbitragem mista é o foco principal do presente artigo. Ele realça os julgados oriundos de tribunais arbitrais que enriqueceram o direi- to internacional público, desenvolvendo uma interpretação própria de seus institutos que, atualmente, serve para reorientar a disciplina nas suas articulações com a esfera privada, com o direito interno e com as suas próprias técnicas jurídicas. Abstract Differently from commercial arbitration in which the State participates as a private operator, the State intervenes as a sovereign entity – jure imperii – within litigations that are related to foreign investments. Considering that the major part of complaints presen- ted at specialized arbitration courts, such as the International Center for Settlement of Investment Disputes (ICSID), has its basis on a State-part non-fulfillment of a bilateral treaty on investments, decisions that are fruit of litigations proposed by private foreign investors concerning hosting States have constantly evoked the general international public law application. The phenomenon of applying a interstate jurisprudence on a mixed arbitration is the main focus of this article. It stresses the decisions from arbitra- tion courts that enrich international public law, developing a proper interpretation of its institutes that are currently used to redirect this topic within its articulations inside the private sphere, the internal law and its own juridical techniques. 1 Cet article fait suite au cours thématique dispensé en juillet 2008 dans le cadre de la 4 ème session des International Law Winter Courses de l’Université de Belo Horizonte (Brésil). Qu’il nous soit permis ici de remercier leurs organisateurs, en premier lieu Leonardo Neimer Caldeira Brant, pour leur accueil si chaleureux et fraternel. 2 Professeur à l’Université Paris X-Nanterre Mathias Fortheau.indd 11 18/06/2009 20:49:26

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La Contribution au Développement du Droit International Général de la Jurisprudence Arbitrale Relative aux Investissements Etrangers

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La Contribution au Développement du Droit International Général de la Jurisprudence Arbitrale Relative aux Investissements Etrangers1

The Foreign Investment Case Law’s Contribution to the Development of General International Law

MATHIAS FORTEAU2

Resumo

Diferentemente da arbitragem comercial na qual o Estado participa como opera-dor privado, no contencioso relativo aos investimentos estrangeiros o Estado inter-vém como entidade soberana, jure imperii. Considerando-se o fato de que a maioria das reclamações introduzidas perante os tribunais arbitrais especializados, tal como o ICSID, tem como fundamento o descumprimento por parte do Estado de um tra-tado bilateral de investimentos, as decisões decorrentes dos litígios propostos pelos investidores estrangeiros privados em face do Estado hospedeiro têm constantemente evocado a aplicação do direito internacional público geral. O fenômeno da aplicação de uma jurisprudência interestatal na arbitragem mista é o foco principal do presente artigo. Ele realça os julgados oriundos de tribunais arbitrais que enriqueceram o direi-to internacional público, desenvolvendo uma interpretação própria de seus institutos que, atualmente, serve para reorientar a disciplina nas suas articulações com a esfera privada, com o direito interno e com as suas próprias técnicas jurídicas.

Abstract

Differently from commercial arbitration in which the State participates as a private operator, the State intervenes as a sovereign entity – jure imperii – within litigations that are related to foreign investments. Considering that the major part of complaints presen-ted at specialized arbitration courts, such as the International Center for Settlement of Investment Disputes (ICSID), has its basis on a State-part non-fulfillment of a bilateral treaty on investments, decisions that are fruit of litigations proposed by private foreign investors concerning hosting States have constantly evoked the general international public law application. The phenomenon of applying a interstate jurisprudence on a mixed arbitration is the main focus of this article. It stresses the decisions from arbitra-tion courts that enrich international public law, developing a proper interpretation of its institutes that are currently used to redirect this topic within its articulations inside the private sphere, the internal law and its own juridical techniques. 1 Cet article fait suite au cours thématique dispensé en juillet 2008 dans le cadre de la 4ème session des International Law Winter Courses de

l’Université de Belo Horizonte (Brésil). Qu’il nous soit permis ici de remercier leurs organisateurs, en premier lieu Leonardo Neimer Caldeira Brant, pour leur accueil si chaleureux et fraternel.

2 Professeur à l’Université Paris X-Nanterre

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Chacun sait tout ce que le droit international général, dans sa forme actuelle, doit à «l’âge d’or» de l’arbitrage in ternational3. La codification du droit de la responsabilité internationale des Etats en porte à elle seule un témoignage exemplaire4.

Depuis l’institution d’une juridiction internationale permanente (la Cour perma-nente de Justice internationale en 1919, à laquelle a succédé en 1945 la Cour interna-tionale de Justice), les internationalistes ont naturellement eu tendance à privilégier les décisions des Cours de La Haye pour y déceler les évolutions de leur matière. Leurs «grands» arrêts sont devenus incontournables, et si les étudiants en subissent désormais les délices, c’est de manière tout à fait justifié epuisqu’«[a]u fil des années, la Cour, en interprétant de nombreuses règles dans différents domaines du droit in-ternational, a éclairci leur contenu et leur portée et a contribué d’une manière subs-tantielle au développement du droit international»5. Plus enthousiaste encore, mais avec l’esprit provocateur qu’on lui connaît, Alain Pellet va jusqu’à voir dans l’organe judiciaire principal des Nations Unies un véritable «législateur mondial» qui, «dans le monde actuel, est sans doute le plus inattendu mais aussi le plus efficace des organes susceptibles d’adapter le droit aux nécessités changeantes de la vie internationale»6.

Que la maîtrise de la jurisprudence des deux Cours de La Haye soit devenue à ce point indispensable pour la pratique comme pour la compréhension du droit international contemporain ne signifie toutefois pas qu’elle y suffise. Dans un or-dre juridique marqué depuis plusieurs années par un phénomène remarquable de «fragmentation» du droit et de «prolifération» des juridictions7, les sources juris-prudentielles du droit international général se sont inévitablement diversifiées. On pourrait même se demander si leur importance respective ne s’est pas inversée avec le temps. Tandis que le style judiciaire des arrêts de la Cour internationale de Jus-tice est devenu éminemment casuistique, empêchant de plus en plus l’identification d’une authentique jurisprudence, à l’inverse, de très intéressantes questions de droit international général sont de plus en plus souvent débattues devant des juridictions au contentieux pourtant (très) spécialisé. Cela contraint du même coup l’interna-tionaliste à une saine gymnastique puisqu’il lui faut désormais s’orienter dans plu-sieurs directions à la fois, au lieu de puiser à une source unique, lorsqu’il souhaite, sur une question donnée, connaître ou établir l’état du droit international général8. 3 V. J.-P. Cot, « Le monde de la justice internationale » in SFDI, La juridictionnalisation du droit international, Pedone, Paris, 2003, p. 521,

qui rappelle qu’entre 1795 et 1922, pas moins de 350 arbitrages ont été rendus.4 Les commentaires des Articles de 2001 de la Commission du droit international sur la responsabilité de l’Etat pour fait internationalement

illicite (A/56/10, pars. 76-77) (ci-après les « Articles de 2001 »), et plus encore les commentaires du projet adopté en première lecture en 1996 (A/51/10, par. 65), se réfèrent très abondamment à cette pratique arbitrale au soutien des règles codifiées.

5 P. Tomka, «Article 92», in J.-P. Cot, A. Pellet, M. Forteau (éd.), La Charte des Nations Unies. Commentaire article par article, Economica, 2005, vol. II, p. 1961..

6 A. Pellet, «L’adaptation du droit international aux besoins changeants de la société internationale», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 2007, vol. 329, pp. 43-47.

7 V. notamment J.L. Charney, «Is International Law Threatened by Multiple International Tribunals?», Recueil des cours de l’Académie de droit international de La Haye, 1998, vol. 271, pp. 101-382; S. Karagiannis, «La multiplication des juridictions internationales», in SFDI, La juridictionnalisation du droit international, op. cit. (note 1), pp. 7-161.

8 Fort heureusement, la tâche est en partie facilitée par l’existence d’interactions (procédant par renvois souvent explicites) de plus en plus intenses entre les jurisprudences des différentes juridictions internationales, ainsi qu’entre celles-ci et la jurisprudence des juges internes. V. sur ces deux points M. Kamto, «Les interactions des jurisprudences internationales et des jurisprudences nationales», in SFDI, La juridic-tionnalisation du droit international, op. cit. (note 1), pp. 393-460.

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Le constat vaut tout particulièrement aujourd’hui pour les juridictions arbitrales internationales intervenant dans le domaine des investissements étrangers (les tribu-naux CIRDI, bien sûr9, mais ceux-ci ne sont pas les seuls impliqués10). Cause ou effet d’ailleurs (sans doute l’une et l’autre), l’ampleur prise par les questions de droit international général dans le contentieux des investissements étrangers s’observe sur un plan sociologique par la présence de plus en plus fréquente dans le prétoire de ces juridictions, comme avocats ou comme arbitres, d’internationalistes «généralistes», pour beaucoup d’entre eux habitués de la Cour internationale de Justice pour y avoir siégé ou y avoir plaidé11.

De cette évolution, la doctrine internationaliste n’a pris acte que très récemment. Parmi les précurseurs, il faut citer Geneviève Bastid-Burdeau dont le cours – malheu-reusement non publié – dispensé en septembre 2005 dans le cadre des Cours euromé-diterranéens Bancaja de droit international portait sur l’«Arbitrage transnational et [le] droit international public»12. Exactement au même moment, Charles Leben, dans un article prophétique, interpellait les internationalistes en les appelant à «prendre conscience [que] le droit international, le vieux droit des gens de Grotius, connaît un essor nouveau dans le domaine des relations économiques internationales»13. Quel-ques études anglo-saxonnes se sont depuis inscrites dans ce mouvement14 et il faut saluer par ailleurs l’heureuse initiative de l’Annuaire français de droit international qui accueillera bientôt une chronique de recension des aspects de droit international général présents dans le contentieux des investissements étrangers15.

Si les petits ruisseaux font les grandes rivières, il y a loin cependant avant qu’ils ne se transforment en de paisibles fleuves au cours bien maîtrisé. Dans l’état actuel de la littérature juridique, un vaste champ de recherches s’ouvre ainsi aux internationalistes 9 Le Centre international pour le règlement des différends liés aux investissements (ICSID en anglais et CIADI en espagnol, les trois langues

officielles du CIRDI) a été créé sous les auspices de la BIRD par la convention de Washington du 18 mars 1965. 155 Etats y sont parties mais, de manière remarquable, pas le Brésil. La question de son adhésion fait aujourd’hui débat (v. J. Kalicki et S. Medeiros, «Revisiting Brazil’s Traditional Reluctance Towards ICSID, BITs and Investor-State Arbitration», Arbitration International, 2008, vol. 24, No. 3, pp. 423-446). Sur le CIRDI, consulter en particulier Ch. Schreuer, The ICSID Convention. A Commentary, Cambridge University Press, 2001, XLVIII-1466 p.

10 D’autres juridictions arbitrales, à côté des arbitrages ad hoc (éventuellement rendus sous l’égide de la Cour permanente d’arbitrage) inter-viennent également dans le domaine des investissements étrangers. Citons en particulier la Chambre de commerce de Stockholm. Toutes les sentences citées dans cet article sont disponibles sur le site www.ita.law.uvic.ca (à l’exception de certaines sentences rendues dans le cadre de la Cour permanente d’arbitrage, pour lesquelles il faut consulter www.pca-cpa.org ; le site du CIRDI est évidemment lui aussi très utile: www.worldbank.org/icsid/index.html).

11 Citons, parmi d’autres et, espérons-le, sans froisser quelque susceptibilité, G. Abi-Saab, I. Brownlie, L. Caflish, A. Cançado Trindade, J. Crawford, P.-M. Dupuy, Ch. Greenwood, G. Guillaume, V. Lowe, A. Pellet, M. Reismann, F. Rezek, Ph. Sands, S. Schwebel, B. Simma, B. Stern, P. Tomka, Ch. Tomuschat, Sir A. Watts, P. Weil, etc.

12 http://www.epd.uji.es/derecho/frances/c2005.htm.13 «La responsabilité internationale de l’Etat sur le fondement des traités de promotion et de protection des investissements», Annuaire fran-

çais de droit international, 2004, pp. 682-714, p. 714 pour la citation.14 V. A. Maniruzzaman, «The Relevance of Public International Law in Arbitrations concerning International Economic Development Agree-

ments — An Appraisal of Some Fundamental Aspects», The Journal of World Investment & Trade, 2005, pp. 263-296 ; T. Gazzini, «The Role of Customary International Law in the Field of Foreign Investment», The Journal of World Investment & Trade, 2007, pp. 691-715; C. McLahan, «Investment Treaties and General International Law», International and Comparative Law Quarterly, 2008, pp. 361-401 (malgré son intitulé, cette étude porte essentiellement sur les apports jurisprudentiels au droit international général, en lien avec les traités dans le domaine des investissements); et O. Fauchald, « The Legal Reasoning of ICSID Tribunals – An Empirical Analysis», European Journal of International Law, 2008, pp. 301-364.

15 La première chronique, rédigée par F. Latty, devrait paraître à l’Annuaire 2008 (publication en octobre 2009). Une chronique du même type existe déjà pour ce qui concerne la Cour européenne des droits de l’homme et les comités établis au sein des Nations Unies dans le domaine des droits de l’homme (v. Annuaire français de droit international, 2007, pp. 584-607 et 779-796).

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désireux de redécouvrir leur discipline à la lumière d’une jurisprudence arbitrale de plus en plus volumineuse.

C’est dans cette perspective qu’a germé l’idée de consacrer notre contribution aux International Law Winter Courses de Belo Horizonte à «la contribution de la jurisprudence arbitrale relative aux investissements étrangers au développement du droit international général». Dans le cadre restreint qui est le sien, il ne saurait être question évidemment d’épuiser l’analyse d’une pratique arbitrale immensément riche. Il s’agira seulement d’en souligner les principaux aspects pour mieux faire ressortir la dynamique générale qui l’anime.

De ce point de vue, deux tendances fortes, antinomiques à certains égards, frap-pent le lecteur régulier des sentences rendues par ces juridictions arbitrales dans leur rapport avec le droit international général: d’une part, le souci de ces juridictions de mettre leurs pas dans ceux des juges interétatiques classiques; d’autre part, la manière originale dont celles-ci appréhendent et mettent en œuvre les règles de droit inter-national général. En conséquence de la nature particulière des litiges portés devant elles (litiges de nature mixte ou même «hybride»16, qui opposent systématiquement un individu, l’investisseur étranger, à un Etat, dont la responsabilité est recherchée), ces juridictions contribuent en effet autant à la consolidation du droit international général (I) qu’à sa réorientation (II).

1. La consolidation du droit international généralQue les tribunaux arbitraux statuant dans le domaine des investissements étran-

gers aient fréquemment l’occasion de trancher des questions de droit international général n’a rien de surprenant.

Puisque dans la majorité des cas aujourd’hui la réclamation introduite devant eux porte sur l’allégation de violation d’un traité par un Etat (les traités bilatéraux d’investissement constituent de nos jours la source principale des obligations dues aux investisseurs étran-gers17), le droit primaire comme les règles secondaires du droit international entrent iné-vitablement en jeu. Même lorsque d’ailleurs le litige porte sur l’application d’un contrat d’Etat, les tribunaux arbitraux n’hésitent plus aujourd’hui à en soumettre directement le régime au droit international public sans estimer devoir s’en justifier longuement18.

Il serait vain, par ailleurs, de vouloir doter le droit international des investisse-ments d’un particularisme irréductible. Cette branche du droit, si spéciale soit-elle, «is not to be read in isolation from public international law»19; comme le reconnaissent 16 V. Z. Douglas, « The Hybrid Foundations of Investment Treaty Arbitration », British Yearbook of International Law, 2003, pp. 151-287.17 Raison pour laquelle dans l’affaire Diallo la Cour internationale de Justice a pu affirmer que la protection diplomatique des investisseurs

étrangers n’a plus vocation à intervenir « que dans les rares cas où les régimes conventionnels n’existent pas ou se sont révélés inopérants » (arrêt du 24 mai 2007, par. 88, www.icj-cij.org – italiques ajoutés). Il existe aujourd’hui en effet plus de 2000 traités bilatéraux d’investis-sement reconnaissant en général un droit de réclamation internationale à l’investisseur qui le dispense d’en passer par les fourches caudines de la protection diplomatique.

18 V. ainsi Eurotunnel c. France et Royaume-Uni, sentence partielle du 30 janvier 2007 (dans le cadre de la Cour permanente d’arbitrage), pars. 92, 107, 114 et 173 et s.

19 CIRDI (ALENA), Archer Daniels Midland Company and Tate and Lyle Ingredients Americas, Inc, c. Mexique, n° ARB(AF)/04/05, sentence du 21 novembre 2007, par. 195, et plus largement, sur les relations entre droit international général et lex specialis, pars. 116-123.

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les juridictions intéressées, «[i]nternational law is not a fragmented body of law as far as basic principles are concerned»20.

De fait, ces tribunaux arbitraux manifestent une très nette volonté d’inscrire leurs décisions dans la lignée de la jurisprudence interétatique classique, là où on aurait pu s’attendre, compte tenu de la nature mixte de leur contentieux, à ce qu’ils se réfèrent plutôt à la jurisprudence de juridictions connaissant elles aussi de récla-mations individuelles (les juridictions des organisations économiques régionales, ou les juridictions compétentes en matière de droits de l’homme, par exemple). La démarche, qui doit être saluée en ce qu’elle réduit les risques de fragmentation du droit international, leur permet du même coup de renforcer l’autorité des règles in-ternationales générales (A) tout autant que d’en préciser la portée (B).

A. Le renforcement de l’autorité des règles du droit international généralEn payant leur tribut au droit international général, et notamment à la jurispru-

dence des deux Cours de La Haye dont les décisions sont très fréquemment sollicitées, les tribunaux arbitraux escomptent sans doute renforcer leur autorité en se plaçant sur un pied d’égalité avec le juge interétatique. Toujours est-il que par ce biais, l’assise des règles consacrées par ce dernier s’en trouve renforcée, à un double titre: d’abord par le phénomène de citation et d’application de la jurisprudence interétatique (l’ac-cumulation, on le sait, produisant son effet juridique, comme le démontre le méca-nisme coutumier), ensuite par le processus de fécondation mutuelle qui en découle. Ainsi l’emprunt se fait-il à l’avantage réciproque du droit international général et des tribunaux compétents dans le domaine des investissements étrangers:

«This process of cross-fertilization in the development of the customary stan-dards through the treaty jurisprudence saves general international law from being cast in aspic at some earlier point in time; and saves treaty tribunals from isolation and inconsistency»21.

1. De très nombreuses sentences pourraient être citées pour illustrer le premier point (le phénomène de citation et d’application de la jurisprudence interétatique).

Dans le domaine de la réparation par exemple, c’est devenu un lieu commun pour les juges arbitraux de se référer à la célèbre décision rendue par la Cour permanente de Justice internationale en 1928 dans l’affaire de l’Usine de Chorzow. Dans l’affaire ADC Affiliate Ld c. Hongrie par exemple, le Tribunal CIRDI, après avoir constaté qu’à défaut de régime particulier dans le traité bilatéral d’investissement sur la question de la réparation, le droit coutumier devait s’appliquer, trouve le reflet de celui-ci dans la décision Chorzow, laquelle, selon le Tribunal toujours, a été « subsequently (…) affir-med and applied in a number of international arbitrations relating to the expropriation 20 CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, ARB/02/16, sentence du 28 septembre 2007, par. 378. V. également C. McLahan, « In-

vestment Treaties... », op. cit. (note 12), pp. 369 et s.21 C. McLahan, « Investment Treaties… », op. cit. (note 12), p. 395.

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of foreign owned property », puis reprise par la Cour internationale de Justice et enfin codifiée par la Commission du droit international22. L’héritage du passé est ainsi clai-rement assumé tout autant qu’il est raffermi par le rappel de sa descendance. Aux côtés du juge interétatique et du codificateur international, les tribunaux CIRDI se sentent manifestement non seulement en bonne compagnie, mais aussi en famille.

C’est encore la décision Chorzow qui est invoquée, cette fois-ci dans le domaine des actes unilatéraux des Etats, par le Tribunal CIRDI dans l’affaire Siemens c. Ar-gentine à l’appui du principe selon lequel « neither party may hold against the other positions that it may have taken during a good faith negotiation »23.

Le même type de démarche se retrouve dans le domaine des règles contentieuses in-ternationales où, malgré leur singularité, les tribunaux arbitraux « mixtes » s’assimilent à des juridictions internationales classiques pour mieux en importer la jurisprudence. Ainsi dans l’affaire Wintershall Aktiengesellschaft c. Argentine où le Tribunal affirme:

«International Tribunals (like this one) set up to decide cases registered with the Centre under the Washington Convention (like the present arbitration case) are bodies of limited competence. They are empowered to adjudicate such cas-es only if the conditions for the exercise of their jurisdiction are fulfilled. There is considerable authority in the field of international law (starting with the PCIJ – predecessor of the ICJ) as to how such bodies of limited competence should approach questions of jurisdiction»24.

L’effet d’amplification produit par ce renvoi à la jurisprudence interétatique est parfois tel qu’un principe initialement énoncé par la Cour internationale de Justice peut connaître une fortune autrement plus considérable dans le prétoire de ces tribu-naux arbitraux que devant le sien propre, quitte, en retour, à « revenir » devant elle avec une autorité renforcée.

Le cas est flagrant pour le «platform test». Seuls, à l’époque, les spécialistes du contentieux procédural devant la Cour internationale de Justice avaient pu constater l’évolution de jurisprudence découlant de son arrêt du 12 décembre 1996 rendu dans l’affaire des Plates-formes pétrolières (Iran c. Etats-Unis). Selon l’arrêt rendu dans cette affaire au stade des exceptions préliminaires, l’examen de la compétence ra-tione materiae de la Cour exige de rechercher si les violations alléguées «entrent ou non dans les prévisions» des dispositions invoquées à l’appui de la réclamation en responsabilité25. Formule excessivement sibylline, que seule la lecture de l’opinion individuelle de la Juge Higgins permettait en réalité de déceler, de comprendre, 22 ARB/03/16, 2 octobre 2006, pars. 479 et s. V. de même, sans être exhaustif, CIRDI, CMS Gaz Transmission Company c. Argentine, n°

ARB/01/8, sentence du 12 mai 2005, pars. 399 et s. ; CIRDI, Enron Corporation and Ponderosa Assets c. Argentine, ARB/01/3, sentence du 22 mai 2007, pars. 359-360 ; CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, ARB/02/16, sentence du 28 septembre 2007, pars. 400 et s. Comparer avec la démarche suivie par le tribunal irano-américain, telle que décrite in P. Daillier et autres, « Tribunal irano-américain de réclamations », Annuaire français de droit international, 2003, pp. 310 et s.

23 ARB/02/8, sentence du 6 février 2007, par. 306.24 CIRDI, Wintershall Aktiengesellschaft c. Argentine, ARB/04/14, sentence du 8 décembre 2008, par. 65. V., pour la citation de la jurispru-

dence pertinente, pars. 66 et s.25 CIJ Recueil 1996, p. 810, par. 16.

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mais aussi de mettre en perspective par rapport à la jurisprudence antérieure des deux Cours de La Haye26. La Cour a voulu signifier par là qu’au stade de la compé-tence, il lui appartient de déterminer si les faits allégués, en admettant qu’ils soient établis, sont de nature à pouvoir entraîner une violation de l’obligation invoquée – il s’agit autrement dit d’un contrôle de la qualification juridique, un peu comme lorsqu’en droit pénal, le juge se demande de manière préalable si l’incrimination retenue est la bonne.

Très discrètement amorcée, cette évolution jurisprudentielle, qui opère une re-distribution des rôles entre la compétence et le fond dans un sens qui mériterait très certainement d’être étudié de manière approfondie, a été très rapidement reprise et assumée, cette fois-ci au grand jour, dans la jurisprudence arbitrale mixte, sous le nom de «platform test», certains tribunaux se payant le luxe, dans une démarche il est vrai habituelle en common law, d’en attribuer la paternité à la Juge Higgins davantage qu’à la Cour en invoquant la «Judge Higgins’s approach» ou le «test proffered by Judge Higgins»27. L’appropriation est remarquable, qui conduit à donner à une juris-prudence une portée que son auteur n’avait sans doute pas anticipée. L’appropriation induit d’ailleurs sans doute une extension de la portée du «test», qui semble avoir été depuis appliqué au-delà de la question de la compétence, à propos de la recevabilité de la réclamation28.

2. Ce jeu de va-et-vient juridictionnel, par son dynamisme intrinsèque, peut bien entendu aboutir à un dialogue fructueux des juges et en conséquence à des évolutions dans le régime des principes empruntés. Le droit international géné-ral se lit aujourd’hui certainement plus dans l’interstice de ce dialogue que dans l’analyse statique des décisions rendues par les juridictions internationales cha-cune de son côté.

L’emprunt se double dans certains cas d’une critique, par exemple lorsque le juge CIRDI, tout en se réclamant de la jurisprudence Chorzow et des Articles de la CDI de 2001 sur la responsabilité des Etats, estime utile de tancer le codificateur international pour ne pas avoir distingué, mais au contraire confondu, la «compensation», qui sanctionne un acte licite, et les «dommages», qui concernent la réparation découlant d’un acte illicite29. 26 CIJ Recueil 1996, p. 847.27 V. ainsi (à titre non exhaustif) : (CNUDCI) EnCana Corporation c. Equateur, London Court of International Arbitration Case No. UN3481,

décision sur la compétence du 27 février 2004, par. 25 ; CIRDI, Plama Consortium Ltd c. Bulgarie, ARB/03/24, 8 février 2005, pars. 118-119 ; CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, ARB/03/15, décision sur la compétence du 27 avril 2006, pars. 40-46 ; (NAFTA - CNUDCI) Canfor Corporation c. Etats-Unis, Decision on preliminary question, 6 juin 2006, pars. 167-173 ; CIRDI, Jan de Nul N.V. and Dredging International N.V. c. Egypte, ARB/04/13, décision sur la compétence du 16 juin 2006, pars. 69-71 ; CIRDI, Pan American Energy LLC and BP Argentina Exploration Company c. Argentine, ARB/03/13, décision du 27 juillet 2006, pars. 43-51 ; CIRDI, Saipem S.p.a. c. Bangladesh, ARB/05/07, décision sur la compétence du 21 mars 2007, pars. 84-91 ; CIRDI, Waguih Elie George Siag and Clorinda Vecchi c. Egypte, ARB/05/15, décision sur la compétence du 11 avril 2007, pars. 139-141 ; CIRDI, Desert Line Project LLC c. Yémen, ARB/05/17, sentence du 6 février 2008, pars. 129-132 ; CIRDI, Noble Energy c. Equateur, décision sur la compétence du 5 mars 2008, pars. 151-152 ; (CNUDCI) Chevron Corporation (USA) and Texaco Petroleum Corporation (USA) c. Equateur, sentence partielle du 1er décembre 2008, pars. 93-113.

28 Par exemple, dans l’affaire Ioan Micula, Viorel Micula, SC European Food SA, SC Starmill SRL et SC Multipack SRL c. Roumanie, le Tribu-nal CIRDI a estimé nécessaire de trancher (par l’affirmative) le point de savoir si le demandeur avait un « prima facie case » en matière de préjudice – l’Etat défendeur ayant fait valoir que le dommage étant hypothétique, il n’y avait pas de différend entre les parties (ARB/05/20, décision sur la compétence et la recevabilité du 24 septembre 2008, pars. 129-141).

29 CIRDI, LG&E Energy Corp., LG&E Capital Corp., LG&E International Inc c. Argentine, ARB/02/1, sentence du 25 juillet 2007, par. 38.

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Dans d’autres situations, la jurisprudence procède par accrétion «inter-juridictionnel-le». Le phénomène est notamment marquant par exemple dans le domaine des mesures conservatoires, dont le régime s’est édifié (et continuera de le faire très certainement dans un avenir proche) à plusieurs voix.

Dans l’affaire Lagrand tranchée le 27 juin 2001, la Cour internationale de Justice reconnaît pour la première fois la valeur obligatoire de ses mesures conservatoires. Quelques mois plus tard, et malgré le terme de «recommandation» employé dans son Règlement d’arbitrage, un Tribunal CIRDI, s’appuyant expressément sur l’affaire La-grand, décide à son tour que ses propres mesures conservatoires sont sources d’obli-gations pour leurs destinataires30 – conclusion que par la suite la Cour européenne des droits de l’homme fera également sienne31.

En conséquence de ce caractère obligatoire, le Juge Abraham réclame de la Cour internationale de Justice dans l’affaire des Usines de pâte à papier sur le fleuve Uruguay qu’elle introduise une condition supplémentaire à l’indication de mesures conservatoires: l’exercice d’un contrôle minimum de l’existence des droits dont la protection est demandée, par recours au critère du fumus boni juris (critère, soit-dit en passant, que le Juge Abraham déclare emprunter à la Cour de Justice des Communautés européennes)32; mais la Cour n’en dit mot dans son ordonnance de juillet 2006. Un an plus tard cependant, une condition comparable réapparaît, cette fois-ci sous la plume du CIRDI: l’indication de mesures conservatoires suppose de vérifier que le droit dont la protection est réclamée est «an actual right or a legally protected interest»33. La Cour internationale de Justice suivra-t-elle le mouvement ainsi amorcé?

3. De manière plus générale enfin, l’attention portée par les juges arbitraux mixtes

aux évolutions du droit international général se manifeste par une ouverture globale aux évolutions de la matière, qu’elles soient enregistrées ou non dans la jurisprudence interétatique.

La valeur coutumière des travaux de codification de la Commission du droit inter-national, en particulier dans le domaine de la responsabilité des Etats et du droit des traités, est ainsi fréquemment soulignée34.

De même et pour ne se limiter qu’à ce seul exemple, les promoteurs du concept international de «l’Etat de droit»35, en premier lieu les organisations universelles comme l’ONU, apprendront avec bonheur que celui-ci se voit désormais attribuer un effet normatif dans la jurisprudence du CIRDI: l’investissement doit être réalisé 30 Victor Pey Casado c. Chili, ARB/98/2, décision du 25 septembre 2001 sur les mesures conservatoires, pars. 17-26.31 V. les deux arrêts de la CEDH dans l’affaire Mamatkulov c. Turquie des 6 février 2003 et 4 février 2005, commentés notamment et respecti-

vement par H. Tigroudja et G. Cohen-Jonathan à la Revue générale de droit international public, 2003, pp. 601-633 et 2005, pp. 421-434.32 CIJ, ordonnance du 13 juillet 2006, opinion individuelle du Juge Abraham, www.icj-cij.org.33 CIRDI, Occidental Petroleum Corporation and Occidental Exploration and Production Company v. Republic of Ecuador, n° ARB/06/11,

décision sur les mesures conservatoires du 17 août 2007, par. 65.34 V. par exemple CIRDI (ALENA), Archer Daniels Midland Company and Tate and Lyle Ingredients Americas, Inc, c. Mexique, n°

ARB(AF)/04/05, sentence du 21 novembre 2007, par. 116 ; CIRDI, Jan de Nul NV, Dredging International NV c. Egypte, ARB/04/13, sentence du 6 novembre 2008, par. 156.

35 Auquel la SFDI a jugé utile de consacrer son colloque annuel en juin 2008 (SFDI, L’état de droit en droit international, Pedone, Paris, 2009 (à paraître)).

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en conformité avec le droit interne pour pouvoir bénéficier du régime de protection offert par la Charte de l’énergie, au motif que «l’Etat de droit» est visé dans le préambule de celle-ci36.

B. Les précisions apportées au contenu des règles du droit international généralLa mise en œuvre du droit international général est également l’occasion pour les

juridictions arbitrales mixtes d’en préciser la portée lorsqu’elle est discutée ou incer-taine sur un point précis. Il leur appartient alors, au sens propre, de faire jurisprudence, en l’absence de précédents très fermes auxquels il suffirait de renvoyer pour résou-dre le problème juridique qui leur est concrètement soumis. Cela vaut en particulier lorsqu’est en cause le droit international de la nationalité (1), le droit des traités (2) et le droit de la responsabilité internationale (3).

1. Le droit international de la nationalitéParce que son objet est limité aux investissements étrangers, le contentieux ar-

bitral mixte intègre une condition de nationalité, à l’égard des personnes physiques comme des personnes morales.

Pour ce qui concerne les secondes, l’existence de nombreuses règles spéciales dans les traités bilatéraux d’investissement, qui définissent en général de manière ex-tensive la nationalité étrangère des personnes morales, n’a pas vraiment permis aux juridictions arbitrales d’éclairer les aspects coutumiers de la question37. En revanche, leur apport mérite d’être souligné pour ce qui concerne les règles coutumières appli-cables à la nationalité des personnes physiques.

Celui-ci a consisté en particulier dans les précisions apportées quant au rôle du droit international en matière de reconnaissance de la nationalité. Question classique que celle de savoir si le droit international a vocation à priver d’effet une nationalité qui serait par ailleurs parfaitement valable au regard du droit interne. Dans plusieurs affaires où la question faisait débat, les juges CIRDI ont confirmé qu’il n’appartenait pas à un tribunal appliquant le droit international d’attribuer ou de retirer une natio-nalité mais qu’en revanche, il lui appartenait d’en reconnaître ou non les effets pour ce qui concerne le différend porté à son jugement, en déterminant si l’existence de la nationalité est effectivement établie par les moyens probatoires qui siéent à une juri-diction internationale, voire en tirant les conséquences de l’éventuelle contrariété de son octroi avec les exigences du droit international public. Sur ces différents aspects, les sentences rendues notamment dans les affaires Soufraki38, Siag39 ou Pey Casado40 n’ont rien à envier à la célèbre affaire Nottebohm41. 36 CIRDI, Plama Consortium Limited c. Bulgarie, ARB/03/24, sentence du 27 août 2008, par. 139.37 V. par exemple la démarche suivie par Prosper Weil dans sa très intéressante opinion dissidente dans l’affaire Tokio Tokéles c. Ukraine,

ARB/02/18, décision sur la compétence du 29 avril 2004. On soulignera toutefois que la voie mesurée suggérée par Prosper Weil n’a pas vraiment été suivie par la jurisprudence ultérieure.

38 CIRDI (comité annulation), Hussein Nuaman Soufraki c. Emirats arabes unis, ARB/02/07, décision du 5 juin 2007, pars. 55 et s.39 CIRDI, Waguih Elie George Siag and Clorinda Vecchi c. Egypte, ARB/05/15, décision sur la compétence du 11 avril 2007, pars. 142 et s.40 CIRDI, Victor Pey Casado c. Chili, ARB/98/2, sentence du 8 mai 2008, pars. 236 et s.41 V. également CIRDI, Ioan Micula, Viorel Micula, SC European Food SA, SC Starmill SRL et SC Multipack SRL c. Roumanie, ARB/05/20,

décision sur la compétence et la recevabilité du 24 septembre 2008, pars. 70-106. V. plus largement sur la question, avec de très nombreux

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La dernière des trois affaires est caractéristique de la méthode «internationaliste» suivie par les tribunaux arbitraux mixtes. La convention de Washington instituant le CIRDI interdit à un investisseur étranger doté d’une double nationalité d’introduire une instance contre l’un de ses Etats de nationalité. En l’espèce, l’Etat défendeur, qui se trou-vait être le Chili, contestait la compétence du Centre au motif que M. Pey Casado aurait été l’un de ses nationaux, ce à quoi le demandeur répondait qu’il avait, préalablement à la saisine du CIRDI, renoncé volontairement à sa nationalité chilienne. La difficulté en l’occurrence résidait dans le silence du droit interne chilien qui n’autorisait pas, mais qui n’interdisait pas non plus, la renonciation volontaire à sa nationalité.

Pour trancher le problème, le Tribunal CIRDI prit notamment appui sur la conven-tion américaine des droits de l’homme qui reconnaît un droit au changement de natio-nalité, pour en déduire que le droit interne chilien devait s’interpréter à la lumière de cette obligation internationale (donc comme autorisant le système de la renonciation volontaire)42. Les vertus du raisonnement méritent d’être soulignées, puisque celui-ci permet d’assurer l’harmonie entre le droit interne de l’Etat défendeur et ses diverses obligations conventionnelles, quitte à faire du juge CIRDI l’organe de mise en œuvre de conventions pour laquelle il n’a pourtant pas reçu compétence.

2. Le droit des traitésL’apport est très substantiel ici, et il n’est guère possible que d’en donner une vue

très superficielle et sélective. Les juges arbitraux mixtes ont eu l’occasion en effet de balayer la presque totalité des têtes de chapitres de cette branche fondamentale du droit international.

1. La remarque vaut d’abord pour la définition des traités comme acte écrit s’oppo-sant aux accords verbaux, lesquels n’en sont pas moins créateurs d’obligations juridi-ques à condition que leur existence soit dûment prouvée. La sentence Salini43 (reprise par la suite dans l’affaire MCI Power Group44) fait œuvre pédagogique sur ce point en expliquant clairement – jurisprudence interétatique et doctrine internationaliste clas-siques à l’appui – dans quelles conditions un accord verbal, même s’il n’est pas un traité, peut être source d’obligations juridiques. Que l’on place ainsi le volontarisme au dessus du formalisme n’étonnera guère dans un ordre juridique comme l’ordre juridique international, même s’il peut paraître légitime de se demander en définitive – vieux débat, mais rarement évoqué – à quoi peuvent bien servir les règles draconien-nes de conclusion des traités qu’il est si facile de contourner.

2. Presque toutes les sentences arbitrales rendues dans le domaine des inves-tissements étrangers n’échappent pas ensuite aux questions d’interprétation des normes conventionnelles invoquées, et par conséquent à l’application des règles

renvois jurisprudentiels, C. Santulli, Droit du contentieux international, Monchrestien, Paris, 2005, pp. 222 et s.42 CIRDI, Victor Pey Casado c. Chili, ARB/98/2, sentence du 8 mai 2008, pars. 313-315.43 CIRDI, Salini Costruttori S.p.A. c. Jordanie, ARB/02/13, sentence du 31 janvier 2006, pars. 76-80.44 CIRDI, MCI Power Group L.C. and New Turbine, Inc c. Equateur, ARB/03/6, sentence du 31 juillet 2007, pars. 318-325.

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codifiées aux articles 31 à 33 de la convention de Vienne sur le droit des traités de 1969, reconnues par les tribunaux arbitraux mixtes comme codificatrices du droit international coutumier45.

3. Il en va de même pour la question très complexe de l’appréciation de l’effet dans le temps des clauses conventionnelles, qui a donné lieu à une jurisprudence aussi riche que complexe, qu’il est impossible de synthétiser ici en quelques lignes46.

4. Le degré d’applicabilité du traité avant son entrée en vigueur officielle a posé également problème dans un certain nombre d’affaires soumises au CIRDI, sur plu-sieurs terrains distincts:

- sur le terrain de l’application de l’article 18 de la convention de Vienne sur le droit des traités tout d’abord, qui exige de l’Etat signataire qu’il s’abstienne d’actes qui priveraient le traité de son objet et de son but avant son entrée en vi-gueur. L’article 18 a par exemple été invoqué (concurremment avec la sentence arbitrale du Tribunal arbitral gréco-turc de 1928 dans l’affaire Megalidis et l’affaire Opel Austria tranchée par le Tribunal de première instance des Com-munautés européennes en 1997) dans l’affaire MCI Power Group pour contour-ner, en vain en l’espèce, le fait que le traité bilatéral d’investissement n’était pas en vigueur au moment où le fait reproché par l’investisseur avait été commis47;

- la question du degré d’applicabilité du traité avant son entrée en vigueur a également été posée sur le terrain de l’application provisoire des traités, com-me dans l’affaire Kardassopoulos où le Tribunal CIRDI a tiré toutes les consé-quences de cette application provisoire en estimant qu’elle devait conduire, lorsqu’elle était conventionnellement prévue comme en l’espèce, à reformuler, par la voie interprétative, les termes du traité (ici le traité portant Charte de l’énergie de 1994) de manière à leur donner tout leur effet utile aux fins de leur application provisoire. Cette sentence contient également des indications utiles quant à la méthode à utiliser pour déterminer si le droit interne des Etats doit être considéré comme autorisant ou comme proscrivant l’application pro-visoire des traités que ceux-ci ont pu signer48.

5. A l’autre extrémité de la vie des traités, la sentence Eastern Sugar rendue dans le cadre de la Chambre de commerce de Stockholm contient d’intéressants passages relatifs à la question de la caducité des traités, refusée en l’espèce par le Tribunal ar-bitral dans un domaine au demeurant très sensible, celui de la compatibilité des traités 45 V. sur ce point précis la très riche analyse de O. Fauchald, « The Legal Reasoning of ICSID Tribunals – An Empirical Analysis », European

Journal of International Law, 2008, pp. 301-364 ; ainsi que P. Daillier, M. Forteau, A. Pellet, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), LGDJ, Paris, 2009 (à paraître), n° 168-169.

46 Nous nous permettons de renvoyer cet égard à J. Matringe, « La compétence ratione temporis et l’applicabilité du traité dans le temps », in IHEI, La procédure arbitrale relative aux investissements internationaux : aspects récents, colloque du 3 avril 2008 (à paraître).

47 CIRDI, MCI Power Group L.C. and New Turbine, Inc c. Equateur, ARB/03/6, sentence du 31 juillet 2007, pars. 98-117. 48 CIRDI, Ioannis Kardassopoulos c. Georgia, ARB/05/18, décision sur la compétence du 6 juillet 2007, pars. 201 et s.

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bilatéraux d’investissement conclus par les Etats membres de l’Union européenne avec d’autres Etats membres de l’Union, avant leur adhésion à celle-ci.

Le défendeur plaidait dans cette affaire la caducité du traité bilatéral d’investisse-ment applicable au litige au motif qu’il était désormais contraire à ses engagements communautaires, ce qui d’ailleurs posait la question de l’éventuelle compétence ex-clusive de la Cour de Justice des Communautés européennes pour connaître de ce litige. Sur ce dernier point, la sentence fera sans doute date par l’autonomie du juge arbitral qui s’y trouve pleinement revendiquée face aux instances communautaires. Quant à l’argument de la caducité, il est rejeté par le Tribunal par application des rè-gles internationales générales du droit des traités49.

Signalons que le débat juridique initié dans cette sentence est d’une grande portée puisque sont également mis en cause à l’heure actuelle, toujours sur le terrain de l’article 307 du Traité instituant la Communauté européenne qui régit les relations entre les conventions conclues par un Etat antérieurement à son ad-hésion et ses obligations communautaires, les traités bilatéraux d’investissement conclus par des Etats membres cette fois-ci avec n’importe quel Etat tiers. A en croire en tout cas les conclusions rendues récemment par l’Avocat général devant la Cour de Justice des Communautés européennes dans deux affaires en manque-ment introduites à propos de tels traités bilatéraux d’investissement, il semble qu’au dialogue entre juridictions risque de se substituer dans un proche avenir une regrettable «guerre des juges»50.

6. La jurisprudence des tribunaux CIRDI permet également d’éclairer non pas seulement le régime des actes unilatéraux des Etats – on y retrouve par exemple le principe classique suivant lequel un Etat peut s’engager unilatéralement, comme la Cour internationale de Justice l’a reconnu en 1974 dans l’affaire des Essais nucléai-res, principe assis dans certaines sentences sur l’arrêt de 1926 de la Cour permanente dans l’affaire Certains intérêts allemands en Haute-Silésie polonaise et la décision de la Cour internationale de Justice sur les mesures conservatoires dans l’affaire des Usines de pâte à papier de 200651, elle permet aussi d’aider à mieux comprendre ce qui oppose certains actes unilatéraux comme une notification ou une déclaration à la catégorie particulière des réserves aux traités.

Pour ce qui concerne la possibilité de notification offerte à l’article 25, paragraphe 4, de la Convention CIRDI («Tout Etat contractant peut, lors de sa ratification, de son acceptation ou de son approbation de la Convention ou à toute date ultérieure, faire 49 SCC (CNUDCI) Eastern Sugar B.V. c. République tchèque, SCC n°088/2004, sentence partielle du 27 mars 2007. V. le commentaire de B.

Poulain à la Revue générale de droit international public, 2007, pp. 803-828.50 La Commission a introduit un recours en manquement contre, respectivement, l’Autriche et la Suède, au motif que la clause des traités

bilatéraux d’investissement conclus avec des Etats tiers qui garantit aux investisseurs étrangers le transfert des capitaux liés à leurs investis-sements porterait atteinte à la compétence de la Communauté d’apporter des restrictions à la liberté de circulation des capitaux entre Etats membres de la Communauté et Etats tiers (v. les conclusions de l’Avocat général du 10 juillet 2008 dans les affaires C-205/06, Commission c. Autriche et C-249/06, Commission c. Suède, disponibles sur www.curia.europa.eu : celui-ci demande à la Cour de condamner les deux Etats en les obligeant, si nécessaire, à dénoncer les traités en question).

51 V. ainsi CIRDI (Comité d’annulation), CMS Gaz Transmission Company c. Argentine, n° ARB/01/8, décision sur la suspension d’exécution du 1er septembre 2006, pars. 47 et s. ; jurisprudence reprise par exemple dans CIRDI, MCI Power Group L.C. and New Turbine, Inc c. Equateur, ARB/03/6, sentence du 31 juillet 2007, pars. 352-353.

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connaître au Centre la ou les catégories de différends qu’il considèrerait comme pou-vant être soumis ou non à la compétence du Centre»), le Tribunal arbitral constitué dans l’affaire PSEG a par exemple considéré que

«[i]t has become increasingly common for treaties to exclude reservations and allow for declarations instead. These declarations do not alter the legal rights and obligations under the treaty nor do they amend any of its provisions. They are simply an instrument that allows States to express questions of policy to which they are not bound and that do not create rights for the other parties. It is a matter of information, normally resorted to for domestic needs. This is also the legal nature of the declarations made by States in the form of notifications under Article 25 (4) of the Convention»52.

7. Pour ne prendre qu’une dernière série d’exemples, qui se situent certes à la lisière du droit des traités mais dont il faut dire un mot car elles s’avèrent tout à fait fondamentales par leurs implications potentielles sur la structure même de l’ordre juridique international, les tribunaux CIRDI ont récemment accueilli dans leur juris-prudence, en lui octroyant un effet décisif sur leur compétence, la notion d’«ordre pu-blic transnational» – c’est-à-dire une conception coutumièrement partagée de l’ordre public international au sens du droit international privé.

Dans l’affaire World Duty Free c. Kenya le Tribunal s’est estimé incompétent en effet pour connaître de la réclamation de l’investisseur étranger au motif que la clause compro-missoire était contenue dans un contrat d’Etat conclu à la suite d’un acte de corruption. En l’espèce, décida le Tribunal, l’Etat défendeur pouvait parfaitement arguer de sa propre turpitude (ses autorités étaient à l’origine de l’acte de corruption) pour demander l’incom-pétence du juge (international) du contrat dès lors que l’interdiction de la corruption relève de l’ordre public transnational qui s’impose à toute relation contractuelle, quelle que soit sa localisation, et cela indépendamment de la volonté des parties53.

En l’occurrence, il est vrai que le Tribunal CIRDI devait appliquer le droit interne à l’égard d’un différend contractuel, et non le droit international. Mais les effets de la recon-naissance d’un «ordre public transnational» à propos de réclamations en responsabilité dirigées contre un Etat souverain et pas un Etat «commerçant» (particularité fondamentale qui éloigne d’autant l’ordre public transnational de son contexte d’apparition, l’arbitrage commercial privé, pour le rattacher au contentieux international public), ne peuvent évi-demment rester sans effet sur la théorie du jus cogens dans le cadre du droit des traités.

Pareil ordre public, parce que «transnational» et donc d’origine coutumière, se forme en effet dans le contexte, et donc suivant les mécanismes propres, d’un ordre ju-ridique décentralisé. A ce titre, il se distingue radicalement des règles internes d’ordre public qui répondent à la logique d’un ordre juridique centralisé et des règles interna-52 PSEG Global, Inc., The North American Coal Corporation, and Konya Ingin Electrik Uretim ve Ticaret Limited Sirketi c. Turquie,

ARB/02/5, décision sur la compétence du 4 juin 2004, par. 144. V. plus largement pars. 125-147.53 CIRDI, World Duty Free Company Limited c. Kenya, ARB/00/7, sentence du 4 octobre 2006, spécialement pars. 138 et s.

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tionales d’ordre public découlant d’actes de droit dérivé d’organisations internationa-les (ainsi des règles impératives en matière contractuelle découlant de directives com-munautaires54). Dans le cas de l’ordre public transnational, l’émergence de valeurs impératives se fait de manière tout aussi diffuse que celle des normes de jus cogens, par l’examen de l’opinio juris de la communauté internationale. Dès lors, reconnaître celui-là, c’est nécessairement admettre que la structure particulière de l’ordre juridi-que international ne peut être tenue comme interdisant par principe l’apparition d’un droit international impératif dans les relations interétatiques55. Ainsi se trouve déjouée la principale critique avancée traditionnellement contre le jus cogens56.

L’ironie de l’histoire est que la consécration d’un ordre public transnational dans le cadre du contentieux mixte investisseur étranger-Etat souverain est venue d’un tribunal présidé par l’un des plus farouches contempteurs du jus cogens57. Les termes, même précautionneux quant à la méthodologie probatoire, utilisés dans cette sentence sont cependant tels qu’ils autorisent de manière évidente l’analogie avec le mécanisme du jus cogens, en même temps qu’ils en enrichissent le concept en dégageant à côté des valeurs fondamentales s’imposant dans le domaine des relations internationales de droit public des règles impératives encadrant les relations internationales de droit privé:

«138. The concept of public policy (“ordre public”) is rooted in most, if not all, legal systems. Violation of the enforcing State’s public policy is grounds for refusing recognition or enforcement of foreign judgments and awards. The principle is enshrined in Article V.2 of the New York Convention of 10 June 1958 and Article 36 of the UNCITRAL Model Law recommended by the Ge-neral Assembly of the United Nations on 11 December 1985. In this respect, a number of legislatures and courts have decided that a narrow concept of public policy should apply to foreign awards. This narrow concept is often referred to as “international public policy” (“ordre public international”). Although this name suggests that it is in some way a supra-national prin-ciple, it is in fact no more than domestic public policy applied to foreign awards and its content and application remains subjective to each State.

54 V. ainsi Cour de Justice des Communautés européennes, Ingmar Gb Ltd, affaire C-381/98, arrêt du 9 novembre 2000 (www.curia.europa.eu), spécialement pars. 15 et 21 : «Les parties au principal, les gouvernements du Royaume-Uni et allemand et la Commission s’accordent à reconnaître que la liberté des parties à un contrat de choisir la loi qu’elles désirent voir régir leurs relations contractuelles est un principe fondamental du droit international privé et que cette liberté ne cesse qu’en présence de dispositions impératives. (…) Les articles 17 à 19 de la directive [la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants], en particulier, ont pour objectif la protection de l’agent commercial après la cessation du contrat. Le régime instauré à cette fin par la directive présente un caractère impératif».

55 E. Gaillard considère ainsi que l’ordre public transnational constitue «le pendant [du jus cogens] en droit des affaires» («Aspects philoso-phiques du droit de l’arbitrage international», Académie de droit international de La Haye (version actualisée, en livre de poche, du cours publié au volume 329 des Recueils des cours de l’Académie de droit international), Martinus, 2008, p. 182). V. plus largement l’analyse que cet auteur livre de l’ordre public transnational, qui révèle combien sa mécanique est identique à celle du jus cogens (ibid., pp. 162 et s., spécialement pp. 176 et s.).

56 V. dernièrement M. Glennon, «De l’absurdité du droit impératif (jus cogens)», Revue générale de droit international public, 2006, pp. 529-536, spécialement pp. 531 et s. où l’auteur tente de montrer que «le jus cogens ne peut être réconcilié avec les fondements d’un ordre juridique international positiviste».

57 L’ancien président de la Cour internationale de Justice, M. Gilbert Guillaume. Répondant à une question posée par le présent auteur sur l’impact éventuel de la sentence World Duty Free sur la théorie du jus cogens, le président Guillaume a eu l’occasion de s’expliquer sur les rapports entre le jus cogens et l’ordre public transnational lors d’une conférence tenue à Bruxelles pour le lancement du Commentaire des conventions de Vienne sur le droit des traités édité par O. Corten et P. Klein. V. la reproduction des débats in Revue belge de droit international, 2006-2.

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139. The term “international public policy”, however, is sometimes used with another meaning, signifying an international consensus as to universal stan-dards and accepted norms of conduct that must be applied in all fora. It has been proposed to cover that concept in referring to “transnational public policy” or “truly international public policy” (see, for example, P. Lalive – “Transnational (or Truly International) Public Policy and International Arbitration”, ICCA Congress Series n°3, 1986 p. 257 ; see also the report of the International Law Association on “International Commercial Arbitration on Public Policy as a Bar to Enforcement of International Arbitral Awards”, Report of the Seventieth Conference, New Delhi, 2002).

140. Domestic courts generally refer to their own international public policy. One should nonetheless mention some judgments in which reference has been made, in one way or another, to a universal conception of public policy (see, for example, the Milan Court of Appeal decision dated 4 December 1992, reported in (1997) XXII Yearbook Com. Arb. 725; the judgment of the Paris Court of Appeal in European Gas Turbines SA v. Westman International – 30 September 1993 - Revue de l’arbitrage 1994 p. 359; the decision of the Swiss Federal Tribunal in W. –v- F. and V dated 30 December 1994 (1995) Bull. ASA 217).

141. Arbitral tribunals have more often based their decisions on universal values in using various formulations such as “good morals”, “bonas mores”, “ethics of international trade” or “transnational public policy” (see Abdulhay Sayed – Corruption in International Trade and Commercial Arbitration – Kluwer Law International 2004). But it has been rightly stressed that Tribunals must be very cautious in this respect and must carefully check the objective exist-ence of a particular transnational public policy rule in identifying it through international conventions, comparative law and arbitral awards. (See, for example, Emmanuel Gaillard – Trente ans de Lex Mercatoria – Pour une application sélective de la méthode des principes généraux de droit – Journal du droit international 1995 p.5).

(...) 157. In light of domestic laws and international conventions relating to cor-ruption, and in light of the decisions taken in this matter by courts and arbitral tribunals, this Tribunal is convinced that bribery is contrary to the international public policy of most, if not all, States or, to use another formula, to transnational public policy. Thus, claims based on contracts

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of corruption or on contracts obtained by corruption cannot be upheld by this Arbitral Tribunal».

Signe de son caractère directement opératoire, l’ordre public transnational ain-si consacré n’a pas tardé à être invoqué dans d’autres affaires, avec un cynisme tel d’ailleurs que certains tribunaux arbitraux ont tenté d’en restreindre la portée par la définition de règles probatoires très strictes. Ainsi dans l’affaire African Holding où l’Etat défendeur invoquait l’existence d’un état de corruption généralisé sur son terri-toire pour tenter d’obtenir l’incompétence du Tribunal, sans avoir prouvé pour autant l’existence en l’espèce d’un acte de corruption. Le Tribunal s’inquiéta légitimement de cette défense, mais en en tirant des conséquences qui, paradoxalement, viennent limiter la règle prohibant la corruption (c’est, il est vrai, le prix à payer pour accéder à un rang normatif supérieur : une responsabilité pénale ou une obligation d’ordre pu-blic méritent d’être établies de manière autrement plus certaine qu’une responsabilité civile ou une obligation ordinaire, comme la Cour internationale de Justice l’a par exemple rappelé dans l’affaire du Génocide58):

«Le Tribunal s’inquiète de constater qu’un certain nombre d’administrations des parties défenderesses dans des cas d’arbitrage international ont recours à des allégations de corruption pour empêcher que le tribunal ne se déclare compétent ou pour en influer la décision sur le fond, ce qui constitue une rai-son supplémentaire pour laquelle la norme de la preuve doit, à cet égard, être particulièrement élevée»59.

3. Le droit de la responsabilité internationaleLe contentieux des investissements étrangers étant exclusivement, à l’instar du

contentieux international des droits de l’homme, un contentieux en responsabilité, les tribunaux concernés ont inévitablement apporté leur pierre à l’édifice – jamais achevé – du droit de la responsabilité internationale (d’autant mieux d’ailleurs que l’article 33, paragraphe 2, des Articles de la CDI de 2001 réserve et ne prétend donc pas avoir codifié les droits que les individus peuvent tirer de l’engagement de la responsabilité interna-tionale d’un Etat). Ils l’ont fait, là encore, sous de multiples aspects. L’apport au régime de la réparation a déjà été remarqué (v. supra, A, pars. 1. et 2.). Bien d’autres exemples – nous nous contenterons ici des cinq suivants – vont dans le même sens.

1. Les questions d’attribution du fait dont l’illicéité est alléguée sont nécessaire-ment examinées par les tribunaux chargés de sanctionner les violations éventuelles du droit des investissements étrangers. Les solutions retenues par la Commission 58 Application de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), arrêt

du 26 février 2007, pars. 209-210.59 CIRDI, African Holding Company of America, Inc., et Société africaine de construction au Congo S.A.R.L. c. RDC [Zaïre], ARB/05/21,

sentence sur les déclinatoires de compétence et la recevabilité du 29 juillet 2008, par. 55. V. également CIRDI, TSA Spectrum de Argentina SA c. Argentine, ARB/05/5, décision sur la compétence du 19 décembre 2008, pars. 163-176.

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du droit international dans ses Articles de 2001 servent alors de point de départ du raisonnement dont ces tribunaux déclinent ensuite les implications pour les faits de l’espèce, quitte à en éclairer la logique générale par d’utiles commentaires60.

Un nouveau souffle est également donné aux règles d’attribution du droit de la res-ponsabilité internationale par le biais, d’une part, de leur transposition, sous réserve d’une certaine adaptation, aux questions de compétence ratione personae (démarche que l’on a retrouvé ailleurs, même si de façon maladroite, dans la décision récente de la Cour européenne des droits de l’homme dans les affaires Behrami et Saramati61), d’autre part, de leur aménagement en cas d’existence d’une lex specialis d’attribution, dont les contours doivent être alors précisément définis par les juges arbitraux62.

2. La règle classique de droit inter-temporel suivant laquelle un Etat ne commet de fait illicite que si son comportement est contraire à une obligation qui le lie à ce moment-là est souvent rappelée et mise en œuvre elle aussi dans la jurisprudence arbitrale. Dans l’affaire Jan de Nul, le tribunal CIRDI prend soin de rappeler que la licéité s’apprécie au regard du droit applicable au moment de la commission du fait litigieux en se référant à la convention de Vienne sur le droit des traités, les Articles de la Commission du droit international de 2001 et la jurisprudence internationale, en indiquant par ailleurs que dans la mesure où le traité bilatéral d’investissement sur la base duquel l’instance a été introduite ne restreint pas les normes applicables à celles qu’il contient, il est possible d’engager la responsabilité de l’Etat pour la violation d’actes commis antérieurement à l’entrée en vigueur de ce traité, du moment qu’ils heurtent d’autres obligations alors en vigueur63.

3. Dans plusieurs affaires, les demandeurs ont par ailleurs tenté de tirer profit de la distinction introduite par la Commission du droit international entre les faits instantanés, les faits continus et les faits composites pour établir de manière rétroactive l’illicéité du comportement de l’Etat d’accueil de leur investissement. Confrontés à des faits domma-geables commis à une époque où leur investissement n’était pas protégé par un traité bi-latéral d’investissement, les réclamants ont argué du caractère continu et/ou composite de ces faits pour en étirer l’existence jusqu’au moment de l’entrée en vigueur d’un tel traité. Stratégie astucieuse, d’autant qu’elle était fondée sur l’invocation de décisions de la Cour européenne des droits de l’homme qui allaient en ce sens, mais stratégie insuffisante à emporter la conviction de tribunaux maîtrisant parfaitement les arcanes d’une distinction pourtant parmi les plus complexes du droit de la responsabilité internationale. La stratégie ne prospéra, ni dans l’affaire MCI Power Group, ni dans l’affaire Pey Casado64.60 V., par exemple, CIRDI, Jan de Nul NV, Dredging International NV c. Egypte, ARB/04/13, sentence du 6 novembre 2008, pars. 142-175.61 CEDH, Behrami c. France (requête n° 71412/01) et Saramati c. France, Allemagne et Norvège (requête n° 78166/01), arrêt du 31 mai 2007.62 Sur ces différents aspects, nous nous permettons de renvoyer à notre étude « L’Etat selon le droit international: une figure à géométrie

variable?», Revue générale de droit international public, 2007, spécialement pp. 757-764.63 CIRDI Jan de Nul NV, Dredging International NV c. Egypte, ARB/04/13, sentence du 6 novembre 2008, pars. 132-141.64 CIRDI, MCI Power Group L.C. and New Turbine, Inc c. Equateur, ARB/03/6, sentence du 31 juillet 2007, pars. 82 et s.; CIRDI, Victor Pey

Casado c. Chili, ARB/98/2, sentence du 8 mai 2008, pars.600 et s. V. sur la question N. Gallus, «Recent BIT Decisions and Composite Acts Straddling the Date», International and Comparative Law Quarterly, 2007, pp. 491-514. V. également depuis (CNUDCI) Chevron Corpo-ration (USA) and Texaco Petroleum Corporation (USA) c. Equateur, sentence partielle du 1er décembre 2008, pars.285-301.

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4. Plus connues sans doute sont les sentences du CIRDI relatives à la crise argen-tine qui ont réclamé des juges arbitraux de se pencher sur le régime, et les conditions d’invocation, de l’état de nécessité comme circonstance excluant l’illicéité.

Douloureusement codifié par la Commission du droit international en raison de son passé sulfureux65, l’état de nécessité tel qu’on le retrouve à l’article 33 du projet de la Commission de 1996 puis à l’article 25 des Articles de 2001 a été timidement appréhen-dé par les quelques juridictions interétatiques devant lesquelles celui-ci a été invoqué depuis une dizaine d’années66. Les tribunaux CIRDI n’ont pas eu cette réserve. Ils en ont examiné attentivement les conditions d’application, ont tenté d’en circonscrire les contours, notamment d’en interroger la nature comme circonstance excluant l’illicéité ou comme simple circonstance atténuant la responsabilité67, quitte à encourir la sévère critique du comité d’annulation pour en avoir mal compris le mécanisme68.

Sans doute cela a-t-il abouti, comme certains auteurs en ont fait la critique, à une jurisprudence peu uniforme, qui mérite encore d’être ajustée69. L’analyse des déci-sions les plus récentes semble néanmoins montrer que l’ère de la maturité jurispruden-tielle n’est pas loin d’être atteinte sur la question70. En tout état de cause, sur un sujet comme celui-ci, on ne peut avancer qu’en tâtonnant. En attendant que la jurisprudence se fixe définitivement, il faut saluer l’intense débat judiciaire qui a le mérite de se tenir dans le prétoire de ces tribunaux arbitraux sur les conditions d’invocation d’une telle circonstance excluant l’illicéité.

5. Signalons enfin l’apport du Tribunal ad hoc dans l’affaire Eurotunnel c. France et Royaume-Uni au régime, pour le moins incertain, de la responsabilité conjointe et solidaire des Etats en droit international71.

Constatant le silence du droit international général sur la question, qui ne prévoit ni n’interdit la mise en place d’une telle responsabilité comme d’ailleurs le reconnais-sent expressément l’article 47 des Articles de la Commission du droit international de 2001 et son commentaire, le Tribunal commence par indiquer la méthodologie à suivre pour trancher la question : il convient de se reporter aux obligations primaires dont il est allégué qu’elles ont été violées, pour établir si elles peuvent être tenues pour 65 V. notamment J. Salmon, «Faut-il codifier l’état de nécessité? », in J. Makarczyk (ed.), Etudes de droit international en l’honneur du juge

M. Lachs, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague, 1984, pp. 235-270.66 V. Cour internationale de Justice, Projet Gabcikovo-Nagymaros (Hongrie/Slovaquie), arrêt du 25 septembre 1997,CIJ Recueil 1997, pp.39 et

s., pars. 49 et s.; Tribunal international du droit de la mer, Affaire du navire «Saïga» (N°2) (Saint-Vincent-et-les-Grenadines c. Guinée), arrêt du 1er juillet 1999, pars.132-136 (www.itlos.org); Cour internationale de Justice, Conséquences de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé, avis consultatif du 9 juillet 2004, CIJ Recueil 2004, pp. 194-195, pars. 140-142.

67 V. les sentences CIRDI: CMS Gaz Transmission Company c. Argentine, nº ARB/01/8, sentence du 12 mai 2005, pars.304 et s.; LG&E Energy Corp., LG&E Capital Corp., LG&E International Inc c. Argentine, ARB/02/1, décision sur la responsabilité du 3 octobre 2006, pars. 201 et s.; Enron Corporation Ponderosa Assets, L.P. c. Argentine, nº ARB/01/3, sentence du 22 mai 2007, pars.294 et s.; Sempra Energy Interna-tional c. Argentine, ARB/02/16, sentence du 28 septembre 2007, pars.333 et s.

68 V. la décision du comité d’annulation dans l’affaire CMS Gaz Transmission Company c. Argentine, nºARB/01/8, décision du 25 septembre 2007, qui conclut à l’erreur de droit.

69 V. par exemple Th. Christakis, «Quel remède à l’éclatement de la jurisprudence CIRDI sur les investissements en Argentine? La décision du comité ad hoc dans l’affaire CMS c. Argentine», Revue générale de droit international public, 2007, pp. 879-896.

70 V. (CNUDCI) BG Group Plc c. Argentine, sentence finale du 24 décembre 2007, pars. 388 et s.; CIRDI, Metalpar SA y Buen Aire SA c. Argentine, ARB/03/5, sentence sur le fond du 6 juin 2008, pars. 208-213; CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, ARB/03/9, sentence du 5 septembre 2008, pars.160-236.

71 Sentence du 30 janvier 2007, disponible sur www.pca-cpa.org, pars. 162-187.

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organisant ou comme impliquant un principe de responsabilité solidaire. L’enquête menée, c’est une réponse négative qui s’impose en l’espèce.

Pour mieux lever l’incertitude, le Tribunal souligne encore que les arguments jus-tifiant l’établissement d’une responsabilité solidaire «tant en common law qu’en droit romano-germanique», à savoir «le risque de l’insolvabilité d’un partenaire/associé, de sa disparition ou encore de l’impossibilité de l’attraire en justice», sont privés de toute portée dans le cas présent, d’une part, parce qu’il n’existe aucun risque d’insolvabilité de la France et du Royaume-Uni, d’autre part, parce qu’il sera toujours possible de les attraire devant le Tribunal qui peut être unilatéralement saisi.

Aussi la question se résume-t-elle à l’existence d’obligations individuelles ou bien conjointes. Le point de savoir si des obligations ont été violées et par qui devient alors tout relatif: il «sera fonction de l’obligation particulière violée» (à qui s’imposait-elle?) «et de toutes les circonstances entourant ladite violation» (à qui la violation était-elle imputable?).

On se serait attendu à ce que le Tribunal tranche ce dernier point dans sa sentence engageant la responsabilité des deux Etats. Celui-ci préféra renvoyer la question au stade de l’évaluation du quantum au motif que la question n’avait «jamais été entière-ment débattue» entre les parties72, s’attirant les critiques de l’arbitre dissident73.

2. La réorientation du droit international général

Nous serons plus bref sur ce deuxième point qui se prête davantage à une esquisse qu’à un exposé méticuleux. C’est de tendances dans l’appréhension du droit international géné-ral dont il sera question ici, plutôt que d’apports concrets à son vaste corpus normatif.

Pour bien prendre la mesure de la réorientation que nous essaierons de mettre en lumière dans cette seconde partie, il faut en revenir à la réorganisation fondamentale du pouvoir, et par conséquent des règles juridiques destinées à en encadrer le déploie-ment, qui s’est dessinée à partir du 17ème siècle, lorsque naît le droit «moderne».

En faisant de l’Etat le point d’articulation de toute l’organisation politique, l’ordre moderne a donné naissance (dans l’ordre des représentations abstraites) à deux types de sociétés désormais radicalement différentes l’une de l’autre, auxquelles ont été attribués des domaines d’intervention distincts (tout ce qui relève des relations entre Etats pour la société internationale, comme la guerre ou la diplomatie, le reste relevant de la société interne, notamment les relations juridiques impliquant les personnes privées).

Cela s’est traduit, au plan juridique, de trois manières notamment: par l’exclusion des questions «privées» de l’ordre juridique international; par l’établissement d’un système dualiste de rapports entre le droit interne et le droit international; enfin, par la définition des règles internationales à partir du seul moule interétatique.

La jurisprudence arbitrale dans le domaine des investissements étrangers vient, sinon bouleverser, du moins ébranler cette architecture sur chacun des trois niveaux 72 Ibid., par. 351.73 Opinion dissidente de Lord Millett, pars. 27-29.

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qui la caractérisent, en obligeant le droit international général à se redéfinir dans son articulation avec la sphère privée (A), avec le droit interne (B) mais aussi avec ses propres techniques juridiques (C).

A. Dans son articulation avec la sphère privéeAffirmer que dans le cadre du contentieux des investissements étrangers le

droit international public s’applique à des intérêts privés n’a en apparence rien de très révolutionnaire; «there is nothing new in abandoning the simple dichotomy between public and private international law conceptions of dispute resolution»74. Ainsi la protection diplomatique a-t-elle longtemps constitué le mode privilégié de protection des intérêts des particuliers en droit international. Plus fondamen-talement, les personnes privées se sont vu reconnaître depuis 1945 des droits in-ternationaux de plus en plus nombreux dans le domaine des droits de l’homme ou du droit de l’économie.

Pour saisir l’ampleur du changement qui s’opère tout de même sous nos yeux, il faut réaliser que la reconnaissance de tels droits n’a cependant pas suffi jusqu’à aujourd’hui à remettre en cause le caractère «public» du droit international public. Lorsqu’un individu allègue la violation de l’un de ses droits internationaux, il le fait en mettant en cause l’exercice par la personne publique étatique de ses prérogatives, en invoquant à cet effet des règles interétatiques par leur origine. Comme le précisent Sir Robert Jennings et Sir Arthur Watts, l’atteinte portée à des intérêts privés «by a state as part of its internal law may directly involve the rights and obligations of the state as a matter of public international law, for example where the matter concerns the property of aliens (...)»75.

Le droit international public serait ainsi immunisé contre toute «privatisation» du seul fait qu’une personne publique est partie à la relation juridique et que les règles qui s’appliquent ont été définies par le biais d’instruments interétatiques76. Le contentieux des investissements étrangers, tout arbitral qu’il soit, se différencierait radicalement de ce fait de l’arbitrage commercial, l’Etat n’intervenant dans ce second contentieux que comme opérateur privé alors qu’il intervient dans le premier comme entité souve-raine, c’est-à-dire jure imperii et donc «within the public sphere»77.

Le droit international, en réalité, marque une indifférence aussi totale que tra-ditionnelle envers la nature «privée» du droit de l’individu (et le caractère «public» des contraintes pesant sur l’Etat). Seul lui importe qu’un droit, quel qu’il soit, ait été violé par celui (une personne publique) auquel s’imposait l’obligation correspondan-te. Matériellement en revanche, le caractère privé du droit protégé est sans incidence sur le règlement du litige. Autrement dit, le qualificatif accolé au droit international 74 Z. Douglas, « The Hybrid Foundations of Investment Treaty Arbitration », British Yearbook of International Law, 2003, p. 152.75 Sir R. Jennings, Sir A. Watts (ed.), Oppenheim’s International Law, Vol. 1, Peace, Introduction and Part 1, 9th ed., Longman, 1996, p. 7

(italiques ajoutés).76 V. à cet égard J. Combacau, S. Sur, Droit international public, Montchrestien, Paris, 2008, pp. 15-17.77 G. Van Harten, «The Public-Private Distinction in the International Arbitration of Individual Claims against the State», International and

Comparative Law Quarterly, 2007, p. 372 pour la citation et plus largement l’ensemble de l’étude, pp. 371-394. V. également infra, la note (et le texte qui y correspond) n° 85.

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«public», pour offrir un intérêt pédagogique, n’en est pas moins privé de tout effet juridique positif.

C’est sur ce point précisément que le contentieux des investissements étrangers pro-duit un basculement, qui s’est réalisé au demeurant de manière relativement tardive.

Jusqu’à la fin des années quatre-vingt dix en effet, les juges arbitraux n’ont éprou-vé aucune difficulté à raisonner dans le cadre classique. Aux fins de la mise en œuvre du droit des investissements étrangers, il suffisait de considérer la relation juridique entre l’investisseur étranger et l’Etat d’accueil de l’investissement comme une rela-tion classique de créancier à débiteur78 en vérifiant simplement si le second avait res-pecté ses obligations internationales à l’égard du premier. La nature privée des droits de l’un et publique des obligations de l’autre était indifférente en revanche aux règles de droit international mises en œuvre.

Avec la reconnaissance d’une portée de plus en plus large à l’interdiction de l’expropriation indirecte, les tribunaux arbitraux vont assister à la fin des années quatre-vingt dix à l’irruption dans leurs prétoires d’un débat traditionnellement cantonné à l’ordre interne. Dans l’hypothèse où un Etat souhaiterait adopter une réglementation destinée à protéger l’environnement ou la santé publique, doit-il in-demniser l’investisseur étranger qui subirait de ce fait une expropriation indirecte? Y a-t-il lieu à cet égard d’introduire une hiérarchie entre l’intérêt général défendu par l’Etat et les intérêts privés de l’investisseur79? Le débat judiciaire s’en élargit d’autant: il ne s’agit plus seulement de vérifier si l’Etat a eu un comportement «non-conforme à son obligation»; il faut aussi désormais tenir compte de la nature privée ou publique des droits et obligations en jeu aux fins de «départager les intérêts pri-vés des intérêts publics»80.

Traditionnellement étrangère au droit international public, cette mise en balan-ce des intérêts publics et des intérêts privés, dont les juges arbitraux reconnaissent d’ailleurs qu’elle est difficile à opérer81, revient à confier au juge international la ré-solution d’un débat (et pas seulement d’une question juridique technique) qui se dé-roulait essentiellement jusqu’à maintenant au niveau des sociétés internes82. Celles-ci sont tenues généralement en effet comme le cadre politique le plus approprié pour en traiter, comme en témoigne par exemple la reconnaissance d’une marge d’apprécia-tion des autorités internes dans le contentieux de la Convention européenne des droits de l’homme83. 78 Relation de type «privée», certes, au plan de la technique juridique, qui s’apparente ici à la méthode contractuelle et au droit civil des

obligations, mais il faut se rappeler que cela vaut pour toutes les relations entre Etats qui, pour publiques qu’elles soient, se développent dans un ordre juridique décentralisé.

79 V. spécialement sur la question Ch. Leben, «La liberté normative de l’Etat et la question de l’expropriation indirecte», in Ch. Leben (dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement, LGDJ, Paris, 2006, pp. 163-184, en particulier pp. 176 et s.

80 V. S. El Boudouhi, «L’intérêt général et les règles substantielles de protection des investissements», Annuaire français de droit international, 2005, p. 543.

81 V. en particulier (ALENA), SD Myers Inc. c. Canada, sentence du 13 novembre 2000, pars. 279-282; (ALENA), Feldman c. Mexico, sen-tence du 16 décembre 2002, pars. 98-100; (ALENA) Methanex c. Etats-Unis, sentence du 3 août 2005, Chapitre IV, D, par. 7.

82 Ch. Leben voit dans les questions impliquées par ce type de débat des «éléments très subjectifs dont la prise en compte est acceptée lorsqu’il s’agit d’institutions judiciaires internes ou de juridictions internationales telle la Cour européenne des droits de l’homme, mais qui peuvent étonner lorsqu’il s’agit de tribunaux arbitraux composés de personnes privées et sans aucun mécanisme d’appel ou de cassation» («La liberté normative de l’Etat et la question de l’expropriation indirecte», op. cit. (note 77), p. 179).

83 V. J.-S. Bergé, S. Robin-Olivier, Introduction au droit européen, PUF, Paris, 2008, pp. 240-241, n° 305.

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Deux raisons justifient le cantonnement classique de ce type de débat au ni-veau interne: d’abord une dépendance, difficilement déracinable, à l’origine his-torique du Politique en Occident, qui a d’abord à voir avec la Cité84 ; ensuite, le caractère relatif de ce qui relève du «public» ou de l’intérêt «général» – caractère relatif dont la Commission du droit international a pris acte par exemple dans ses Articles de 200185 – lequel fait des autorités internes les mieux à même de donner corps à son contenu.

Que le juge arbitral mixte soit désormais requis de départager les intérêts privés des intérêts publics entraîne de ce point de vue une rupture radicale avec le passé, entraînant une redéfinition du rôle politique du droit international et une interroga-tion quant à la légitimité des autorités internationales et du juge arbitral mixte en particulier, soit que celui-ci soit tenu comme moins légitime que les juridictions internes pour traiter de ce type de questions86, soit que le caractère par trop «privé» de la technique arbitrale soit considéré comme nécessitant, compte tenu de la mise en cause des compétences régaliennes de l’Etat dans le contentieux des investis-sements étrangers, l’institution d’un véritable organe judiciaire international qui permettrait de rattacher entièrement au droit public des questions censées en relever exclusivement87.

Ce qu’il faut bien comprendre ici est que l’intérêt «public» au sens évoqué plus haut ne se réduit nullement à la nature «publique» de l’Etat qui, dans la pensée tradi-tionnelle, suffisait à faire du droit interétatique un droit international «public». C’est concomitamment en effet que l’intérêt privé et l’intérêt général (distingué de l’intérêt public) surgissent sur la scène internationale. Comme un auteur l’a très subtilement écrit, «la notion d’intérêt général intervient pour départager les intérêts privés des intérêts publics (…)»88. Vu du côté de la juridiction internationale, cela signifie que l’intérêt général est désormais garanti par celle-ci dans le cadre d’un procès auquel l’Etat n’est qu’une partie parmi d’autres.

Cela explique sans doute que la procédure de l’amicus curiae, permettant à la société civile de faire entendre sa voix, ait à la même époque fait son entrée remarquable dans le contentieux international des investissements étrangers, au point d’avoir été rapidement codifiée (en 2006) dans le Règlement d’arbitrage du CIRDI (à son article 37) après que plusieurs juridictions arbitrales furent saisies 84 Ainsi dans le contentieux de la CEDH où la marge d’appréciation reconnue aux Etats s’explique par les «contacts directs et constants [des

autorités internes] avec les forces vives de leur pays» (Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976, A24, par. 48). De son côté, Stephen Breyer, juge à la Cour suprême des Etats-Unis, rattache à la pensée politique de l’Antiquité la «liberté active» (droit du peuple à une «parti-cipation active et constante à l’exercice collectif du pouvoir») dont les juges nationaux doivent tenir compte dans l’interprétation des normes qu’ils appliquent (ceux-ci devant attendre que le débat démocratique soit suffisamment mûr sur une question à forts enjeux sociétaux avant de la trancher dans ses aspects juridiques) (Pour une démocratie active, Odile Jacob, 2005, pp. 39 et s.).

85 A/56/10, par. 77, paragraphe 6 du commentaire de l’article 5: «L’article 5 ne vise pas à délimiter précisément le champ d’application de la «puissance publique» aux fins de l’attribution à l’Etat du comportement d’une entité donnée. Passé un certain point, ce qui est considéré comme «public» relève de chaque société, de son histoire et de ses traditions».

86 Ch. Leben, «La liberté normative de l’Etat et la question de l’expropriation indirecte», op. cit. (note 77), pp. 181-182: «on voit mal comment un tribunal arbitral n’ayant aucune des légitimités qui s’attachent à des juridictions nationales et encore plus aux juridictions nationales de dernière instance, pourrait remettre en cause telle disposition légale ou réglementaire d’un Etat si l’affaire qui lui est soumise n’est pas un cas très flagrant d’atteinte à la propriété de la personne privée».

87 G. Van Harten développe cette thèse dans son ouvrage Investment Treaty, Arbitration and Public Law, Oxford UP, 2007, XXXII-214 p.88 S. El Boudouhi, «L’intérêt général et les règles substantielles de protection des investissements», op. cit. (note 78), p. 543.

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de la question. Comme la jurisprudence correspondante des tribunaux arbitraux le montre clairement89, le critère principalement mis en avant pour accepter la participation de tiers à la procédure tient aux enjeux d’intérêt général – dépassant les intérêts de l’Etat comme partie défenderesse – impliqués par le litige relatif à l’investissement étranger. La participation est acceptée parce que l’atteinte portée à l’intérêt privé de l’investisseur ne peut être appréciée qu’à la lumière d’élé-ments d’information relatifs aux intérêts publics en jeu mais aussi parce que le juge considère que les informations soumises par l’Etat défendeur ne seront pas suffisantes à cet effet90.

La distanciation ainsi opérée entre l’intérêt général et l’intérêt de la personne pu-blique étatique, qui débouche sur une «remise en cause de la conception même de l’Etat»91, se montre encore dans le régime de l’amicus curiae. Si l’existence d’un «intérêt public», à laquelle les tribunaux arbitraux conditionnent la recevabilité de la demande de l’amicus curiae, se réduisait au seul fait qu’un Etat est partie à l’instance, alors toutes les demandes d’amicus curiae rempliraient le critère du «public interest». Ce n’est clairement pas la position des tribunaux arbitraux qui s’interrogent, affaire par affaire, sur l’objet particulier de l’arbitrage et ne décident d’accepter ou de refuser la demande d’amicus curiae qu’en fonction du fort degré d’implication de l’intérêt général dans l’affaire concernée (mise en cause d’un service public d’importance fon-damentale pour la population par exemple)92.

Tout cela mis bout à bout fait qu’aujourd’hui, la conciliation de l’intérêt général et des intérêts privés est devenue une question de droit international, ce qu’elle n’a jamais vraiment été depuis l’émergence du droit international moderne. Cela produit une redistribution des rôles, les intérêts privés étant admis comme tels en droit international tandis que l’intérêt général se détache de la figure étatique pour accéder à un statut internationalisé, sans qu’il soit encore possible pour l’instant de déterminer avec précision à quelle sphère et à quelle entité politiques ce dernier devra être rattaché. Peut-on aller jusqu’à dire aujourd’hui que les sociétés inter-nes ont le droit de défendre, au plan du droit international, «leur» intérêt général dans le cadre d’un litige opposant un investisseur étranger à leur Etat? On retrouve ici l’émergence plus générale d’une «société civile internationale» s’affermissant contre l’Etat, qui entraîne avec elle la nécessaire «définition d’un nouvel art de gou-verner à l’échelle globale»93.89 V. (ALENA) Méthanex Corporation c. Etats-Unis, décision du 15 janvier 2001, spécialement par. 49; CIRDI, Aguas Argentinas et al. c.

Argentine, ARB/03/19, décision du 19 mai 2005, spécialement pars. 19-21; CIRDI, Biwater Gauff (Tanzania) Ltd. c. Tanzanie, ARB/05/22, ordonnance de procédure n° 5 du 2 février 2007, pars. 46 et s.

90 Ce qu’assume du reste expressément l’article 37, paragraphe 2, alinéa a, du Règlement d’arbitrage du CIRDI, en posant comme condition à l’admission de sa demande que l’amicus curiae soit en mesure d’apporter au Tribunal «un point de vue, une connaissance ou un éclairage particulier distincts de ceux présentés par les parties au différend».

91 J. Verhoeven, «Conclusions», in Ch. Leben (dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement, LGDJ, Paris, 2006, p. 371.92 V. sur ce point B. Stern, «Un petit pas de plus: l’installation de la société civile dans l’arbitrage CIRDI entre Etat et investisseur», Revue

de l’arbitrage, 2007, pp. 19-21.93 V. P.-M. Dupuy, «Le concept de société civile internationale, identification et genèse», in H. Ghérari et S. Szurek (dir.), L’émergence de la

société civile internationale. Vers la privatisation du droit international?, Pedone, Paris, 2003, p. 6 pour la citation et pp. 6-18 de manière plus générale. A rattacher à la réflexion menée par E. Jouannet in «A quoi sert le droit international? Le droit international providence du XXIème siècle», Revue belge de droit international, 2007, pp. 5-51.

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B. Dans son articulation avec le droit interneLe rapprochement des sociétés internes et internationales, appréhendé à l’instant

sous l’angle de la mobilité des questions dont elles connaissent, connaît une autre traduction dans le contentieux des investissements étrangers, qui n’est pas sans lien d’ailleurs avec ce qui précède. Si le droit moderne s’est édifié sur la base d’une conception dualiste des rapports entre des ordres juridiques réputés autonomes, la nature particulière du juge arbitral mixte a eu pour effet progressif non seulement de gommer la frontière entre les ordres juridiques internes et international, mais plus fon-damentalement aussi de remettre en cause la pertinence même d’une pensée juridique tout entière articulée autour d’une répartition des règles entre des ordres juridiques réputés séparés.

Du point de vue de son office, le juge arbitral mixte se trouve en effet dans une position intermédiaire, à cheval sur les ordres juridiques internes et international. La nature des réclamations dont il connaît, parce qu’elles sont mixtes, ne permet pas d’en caractériser vraiment la fonction comme exclusivement interne ou internationale; il en va de même du droit qu’il est chargé d’appliquer, puisque la clause sur le droit applicable exige de lui, selon les espèces, qu’il règle le litige par application du (d’un) droit interne, du droit international, ou des deux concurremment. Aussi le juge arbitral mixte, et singulièrement les tribunaux CIRDI, ne sont-ils, du point de vue de leur of-fice, ni vraiment des juges internes, ni vraiment des juges internationaux, mais plutôt l’un et l’autre à la fois94.

D’un point de vue concret, la principale conséquence qui en découle tient dans l’attitude de plus en plus fréquente du juge arbitral mixte consistant à appréhender le droit interne et le droit international de manière «dé-contextualisée», c’est-à-dire en-dehors de tout ancrage dans leurs ordres juridiques respectifs de rattachement. Celui-ci raisonne exclusivement en termes de normes applicables, pas d’ordres juri-diques, ce qui l’autorise du même coup à articuler normativement les normes inter-nes et les normes internationales suivant une démarche que le dualiste n’hésiterait pas à qualifier d’hérétique, une norme interne ne constituant «normalement» qu’un fait au regard du droit international et réciproquement. Selon le raisonnement dua-liste, seules peuvent être articulées sur le plan normatif des normes relevant d’un même ordre juridique (dans l’ordre interne, une norme interne d’origine interne et une norme interne d’origine internationale par exemple ; dans l’ordre international, une norme internationale d’origine internationale et une norme internationale d’ori-gine interne par exemple). En revanche, une norme interne et une norme interna-tionale, n’appartenant pas au même ordre juridique, ne peuvent avoir de relations normatives.

Séduisant tout aussi que fréquemment repris dans la jurisprudence interétatique et dans la jurisprudence interne, le raisonnement dualiste n’en est pas moins écarté par les juges arbitraux mixtes, qui n’hésitent pas d’ailleurs (nouvelle hérésie!) à invoquer 94 V. à cet égard notre étude, dont nous synthétisons ici les grandes lignes, «Le «juge CIRDI» envisagé du point de vue de son office: juge

interne, juge international, ou l’un et l’autre à la fois?», Mélanges Jean-Pierre Cot (à paraître en juin 2009).

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cumulativement la hiérarchie normative consacrée par chaque ordre juridique. Ainsi dans l’affaire Enron Corporation où le tribunal CIRDI, après avoir reconnu le carac-tère «complémentaire» des normes internes et internationales, tranche en faveur de la primauté des secondes sur les premières en cas de conflit en se reposant à la fois sur la règle de primauté du droit international sur le droit interne formulée à l’article 27 de la convention de Vienne sur le droit des traités et sur la règle constitutionnelle argentine prévoyant la suprématie des normes conventionnelles internationales sur les autres normes internes95.

L’affaire Goetz est très significative sur ce point de l’abandon total des raison-nements dualistes au profit d’une lecture «unitaire» des normes internationales et internes. Compte tenu de la formulation de la clause sur le droit applicable figurant dans le tribunal bilatéral d’investissement applicable au cas d’espèce, le juge CIRDI a dû, d’abord, appliquer successivement le droit interne puis le droit international, chacun dans sa sphère d’application respective96. Il a dû, ensuite, s’interroger sur les incompatibilités éventuelles entre les solutions dictées par le droit interne et le droit international, lesquelles devaient être résolues, non pas par la règle dualiste de l’indifférence réciproque du droit interne au droit international qui est privée de tout effet lorsque le droit interne et le droit international sont déclarés applicables cumulativement, mais par recours à la «règle de conflit» définie par le traité bi-latéral d’investissement prévoyant que la norme la plus favorable à l’investisseur devait l’emporter. Cette règle constituait de ce point de vue une véritable règle de conflit de normes, de contenu purement matériel, supposant par son existence même l’établissement d’un rapport normatif direct entre les normes internes et les normes internationales applicables97.

Bien entendu c’est in fine une règle internationale (ici la règle de conflit inscrite dans le traité bilatéral d’investissement) qui permet de régler le conflit. Mais se fonder sur ce seul élément pour rattacher l’ensemble du jugement à l’ordre juridique interna-tional dans l’unique but de sauvegarder la vulgate dualiste prête le flanc à la critique en ce que cela ne permet pas de rendre compte de la dynamique jurisprudentielle qui est incontestablement à l’œuvre aujourd’hui. Très nettement, les juges arbitraux s’af-franchissent de la contrainte des ordres juridiques pour mieux laisser s’épanouir une conception plus réaliste du droit98. De nouveau, il n’est pas présomptueux d’affirmer que cela conduit à une redéfinition radicale des relations entretenues par le droit in-ternational avec le droit interne, qui doit conduire par ricochet les internationalistes à repenser les frontières de leur discipline.95 V. Enron Corporation Ponderosa Assets, L.P. c. Argentine, ARB/01/3, sentence du 22 mai 2007, par. 208. V. également IBM World Trade

Corporation c. Equateur, ARB/02/10, décision sur la juridiction et la compétence du 22 décembre 2003, pars. 71-73; ou (CNUDCI) BG Group Plc c. Argentine, sentence finale du 24 décembre 2007, par. 97. Le raisonnement était déjà présent dans la sentence Aminoil c. Koweït du 24 mars 1982, Journal du droit international, 1982, p. 872, par. 6.

96 V. déjà empruntant la même démarche la décision du Comité d’annulation du 3 mai 1985 dans l’affaire Klöckner c. Cameroun, ARB/81/2, ICSID Reports, p. 122.

97 CIRDI, Antoine Goetz c. Burundi, ARB/95/3, sentence du 10 février 1999, spécialement pars. 94-9998 Comme l’a très justement rappelé, en praticien aguerri, James Crawford, «there is only one world, however we may divide it conceptually:

there is no such place as the ‘international plane’ » («Treaty and Contract in Investment Arbitration», Arbitration International, vol. 24, 2008, p. 352).

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C. Dans son articulation avec ses propres techniques juridiquesCe sont enfin les propres techniques juridiques du droit international qui se trouvent

bousculées dans la jurisprudence arbitrale relative aux investissements étrangers. Si attentionnés soient-ils à inscrire leurs pas dans ceux des juges interétatiques, les

juges arbitraux mixtes ne peuvent pas échapper à leur destin. On n’applique pas impu-nément des règles définies à l’origine en considération exclusive de la nature particu-lière de leurs destinataires (les Etats) à des relations juridiques impliquant des individus. Dans un certain nombre de cas, les juridictions arbitrales concernées se voient ainsi contraintes de relire le droit international de manière à le rendre malgré lui applicable à des situations qu’il n’avait pas anticipées, voire qui heurtent son patrimoine génétique. De nouveau, la démarche conduit à enrichir le droit international, mais elle peut aussi aboutir à en dénaturer les termes d’une manière qui peut poser difficulté.

Le fait par exemple de soumettre des contrats aux règles du droit des traités (ou de la responsabilité internationale), comme l’ont fait certaines sentences99, en prenant appui par exemple sur la nature de principe général du principe Pacta sunt servan-da100, enrichit les règles correspondantes en en étendant le champ d’application, mais conduit aussi à en altérer les fondements, voire à les transgresser101. Dès lors qu’elles sont indifféremment appliquées à des traités et des contrats, les règles du droit des traités devraient désormais en effet être considérées comme trouvant leur ratio legis non plus dans la nature particulière des relations juridiques entre entités souveraines (puisqu’elles ne se limitent plus à elles), mais plus simplement dans la logique in-trinsèque du phénomène contractuel. Il en va de même lorsque sont transposés sans autre adaptation aux relations entre individus et Etats des principes applicables dans le domaine pourtant très particulier des relations diplomatiques102.

Si dans ces différentes situations la transposition peut être contestable, au moins s’opère-t-elle sans qu’il soit besoin de modifier les règles du droit international géné-ral. La souplesse d’adaptation dont ce dernier fait preuve ne vaut malheureusement pas dans tous les cas de figure. Il arrive dans certaines circonstances que le contenu, et plus seulement le fondement, de ses règles nécessite un aménagement, voire une relecture, si l’on veut en permettre l’application lorsqu’elle est requise.

L’affaire Archer Daniels Midland Company constitue un parfait exemple des dis-torsions occasionnées sur la mise en œuvre du droit international général par la nature mixte du contentieux des investissements étrangers.

Afin d’échapper à l’engagement de sa responsabilité, l’Etat défendeur (le Mexique) invoquait le mécanisme des contre-mesures en arguant que le fait intrinsèquement illicite 99 La démarche était déjà très explicite, et très claire, dans les sentences LIAMCO c. Libye du 12 avril 1977, International Law Reports, vol.

62, pp. 190-193, et Amco Asia Corporation and others c. Indonésie du 20 novembre 1984, ibid., vol. 89, pp.495-497. V. plus récemment la sentence du 30 janvier 2007 du Tribunal ad hoc dans l’affaire Eurotunnel précitée, pars. 92, 107, 114 et 173 et s.

100 Pour un rappel récent du principe, v. Desert Line Project LLC c. Yémen, ARB/05/17, sentence du 6 février 2008, pars. 205-206.101 V. (à propos de l’affaire Eurotunnel) M. Audit, «Un arbitrage aux confins du droit international public», Revue de l’arbitrage, 2007, p.

457: «(…) on décèle ici une contradiction. Il est un peu gênant d’affirmer qu’un accord de volonté n’est pas un traité, pour finalement le soumettre tout de même aux règles inhérentes à ce type d’actes».

102 V. par exemple, à propos des règles applicables aux négociations préalables à la saisine du juge international, la sentence du 30 janvier 2007 dans l’affaire Eurotunnel précitée, pars. 124-129 et 136-143 et la sentence du 6 février 2007 dans l’affaire Siemens c. Argentine, ARB/02/8, par. 306.

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commis au détriment de l’investisseur étranger était justifié par la riposte qu’il consti-tuait à un fait illicite antérieur attribuable à l’Etat de nationalité de l’investisseur (les Etats-Unis). Deux options s’offraient au tribunal pour trancher cette question inédite.

* Celui-ci pouvait tout d’abord se placer du point de vue unique de la relation juri-dique entre l’investisseur et le Mexique, en l’isolant de son contexte, pour décider que l’Etat défendeur ne pouvait invoquer le mécanisme des contre-mesures à l’égard d’un tiers (le fait illicite initial ayant été commis par les Etats-Unis et non par l’investisseur étranger). Cette première solution offrait l’avantage de donner leur plein effet aux droits internationaux de l’investisseur, mais elle avait l’inconvénient de nier le lien existant entre ce dernier et son Etat de nationalité. S’il est compréhensible que le fait illicite d’un Etat A ne puisse justifier qu’un Etat B adopte une mesure de représailles contre un Etat C103, puisque chacun d’entre eux est totalement indépendant des autres, il est plus délicat de faire du ressortissant d’un Etat quelqu’un d’entièrement étranger à celui-ci:

- d’une part, du point de vue de l’économie des contre-mesures interétatiques, parce que celles-ci ne peuvent très souvent avoir d’effet que si elles peuvent attein-dre les nationaux de l’Etat (en particulier dans le domaine économique) – l’Etat et ses nationaux sont généralement visés solidairement par la contre-mesure,

- d’autre part, cette fois-ci du point de vue de la condition statutaire de l’individu, parce que celui-ci est juridiquement lié à son Etat de nationalité, via le lien de na-tionalité qui autorisera par exemple l’Etat objet de la contre-mesure à prendre fait et cause pour son ressortissant s’il subit un dommage du fait de celle-ci.

* En suivant ce dernier raisonnement, le tribunal pouvait, à l’inverse, se placer du point de vue plus général des relations entre les Etats américain et mexicain pour décider que la contre-mesure ne pouvait être considérée comme frappant une personne véritablement « tierce » et qu’elle était donc de nature à pouvoir exclure l’illicéité du fait litigieux.

Aucune des deux options n’était satisfaisante et aucune ne l’était du fait même de l’écart qui existe entre la théorie classique des contre-mesures, qui a pris naissance dans le cadre des relations interétatiques104, et son invocation dans le cadre d’un litige international opposant un Etat et un individu (c’est-à-dire une personne à la personna-lité mineure et dérivée, assujettie par ailleurs à la souveraineté étatique).

Confronté à cette difficulté, le tribunal arbitral choisit en définitive une solution que beaucoup considèreront comme conservatrice, sinon incorrecte d’un point de vue juridique. Nous ne sommes pas loin de pencher dans ce dernier sens puisqu’en consa-crant une conception pour le moins datée du droit international, le tribunal en est venu à nier l’existence même de droits internationaux des investisseurs étrangers, ce qui 103 V. le paragraphe 5 du commentaire de l’article 22 des Articles de la CDI de 2001, A/56/10, par. 77: «Une contre-mesure ne peut exclure

l’illicéité que dans les rapports entre l’Etat lésé et l’Etat qui a perpétré le fait internationalement illicite».104 Il n’est qu’à voir la difficulté que la Commission du droit international éprouve à l’heure actuelle à en codifier le principe s’agissant des

organisations internationales. V. dernièrement A/63/10 (2008), pars. 148-163.

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donne lieu en l’espèce à l’affirmation – inconnue jusqu’alors des internationalistes – d’une sorte de protection diplomatique inversée qui conduit à voir dans l’action contentieuse de l’investisseur étranger un endossement des droits de l’Etat, dont il faudrait déduire, très curieusement, que l’indemnisation éventuellement obtenue par l’investisseur devrait être reversée à celui-ci (en tout cas que l’investisseur n’aurait pas un droit subjectif propre à être indemnisé, ce qui ne correspond pas à la pratique contemporaine). Quoi qu’il en soit, une fiction – la protection diplomatique inversée – en remplacerait une autre – la protection diplomatique classique. Tout ceci montre à quel point le droit international général, comme les particules, a tendance à «s’agiter» lors de sa mise en œuvre dans le cadre du contentieux des investissements étrangers.

Le plus frappant, peut-être, en définitive est que le tribunal assume crânement sa position, comme s’il était sûr de son fait, en la justifiant assez substantiellement:

«168. For the reasons that follow, the tribunal believes that the approach sup-ported by the Respondent respects the traditional structure of interna-tional law and the objet and purpose of Chapter Eleven. The Respond-ent is correct in its position that Section A of Chapter Eleven sets forth substantive obligations which remain inter-State, without accruing indi-vidual rights fort the Claimants

169. Different doctrinal theories coexist regarding the nature of investors’ rights under international investment agreements. The derivative theory, briefly de-scribed above, supports the proposition that investment treaties provide a set of obligations which require the State to treat investments of qualified inves-tors in accordance with the standards of the treaty ; but these obligations are only owed to the State of the investor’s nationality. If a breach of any of these standards occurs, the investor may bring the host State to an international arbitration in order to request compensation, but the investor will be in reality stepping into the shoes and asserting the rights of the home State.

170. The Tribunal agrees with Claimants that international law may under specific circumstances confer direct rights on individuals, the breach of which may amount to an international wrongful act if attributable to the State in question. Thus, the responsibility of a State may be invoked not just by other States, but also in certain areas, such as foreign investor protection, human rights and environmental protection, where there may be a significant role for individuals and non-state entites to assert state responsibility before international dispute settlement bodies.

171. However, the proper interpretation of the NAFTA does not substantiate that investors have individual rights as alleged by the Claimants. Nor is the na-ture of investors’ right under Chapter Eleven comparable with the protec-

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tions conferred by human rights treaties. Chapter Eleven may share (under Section B) with human rights treaties the possibility of granting to non-State actors a procedural right to invoke the responsibility of a sovereign State before an international dispute settlement body. But the fundamental difference between Chapter Eleven of the NAFTA and human rights treaties in this regard is, beside a procedural right of action under Section B, that Chapter Eleven does not provide individual substantive rights for investors, but rather complements the promotion and protection standards of the rules regarding the protection of aliens under customary international law.

(…) 178. (…) these rights are not owed by the host State to the investors, but to the investors’ home State. Therefore, the rights provided by Section A only exist at the international plane between the NAFTA parties »105.

Que l’on adhère ou non au raisonnement, il reste que ce dernier est symptomatique des soubresauts que le droit international général ne peut manquer de subir à l’occa-sion de sa mise en œuvre par des tribunaux qui ne sont pas de nature interétatique. Cette mise en œuvre révèle un certain nombre de non-dits ou d’ambiguïtés que la structure interétatique avait permis d’occulter et que d’ailleurs une partie de la doc-trine n’a jamais cessé d’interroger106.

***

Au moment de conclure, comment ne pas constater la complexité des relations qu’en-tretient le contentieux des investissements étrangers avec le droit international général? La jurisprudence arbitrale consolide, tout autant qu’elle réoriente, le droit international général. Et cette réorientation se fait elle-même à double sens: elle ouvre des perspecti-ves, en même temps qu’elle révèle des incohérences, restées jusque-là occultées.

Chacun aura compris l’urgence qui s’attache en conséquence à repenser le droit international à la lumière des évolutions considérables qu’il subit.

Sur la terre brésilienne qui nous a accueilli quelques jours magnifiques de l’hiver austral 2008, l’inspiration est heureusement à portée de main. Avec la clairvoyance qu’autorise son parcours d’homme universel, le natif de Belo Horizonte devenu prési-dent de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, arbitre au CIRDI et finalement juge à la Cour internationale de Justice, y insistait récemment dans un cours qui fera date : «the conditions are met (...) to move towards the construction of a new jus gentium»107. 105 CIRDI (ALENA), Archer Daniels Midland Company and Tate and Lyle Ingredients Americas, Inc, c. Mexique,ARB(AF)/04/05, sentence

du 21 novembre 2007. V. plus largement, outre les paragraphes cités, pars. 161-180.106 V. par exemple la remise en cause de la personnalité internationale de l’individu amorcée par G. Distefano in «Observations éparses sur les

caractères de la personnalité juridique internationale», Annuaire français de droit international, 2007, p. 113 et pp. 121-122.107 Antonio Augusto Cançado Trindade, «International aw for Humankind: Towards a New Jus Gentium», Recueil des cours de l’Académie

de droit international de La Haye, 2005, vol. 316, p. 34.

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