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La mort d’autrui sanctionnée par le droit pénal, un principe absolu ? Par Sophie CORIOLAND,

Docteur en droit et chargée d’enseignements en droit privé à l’Université de Strasbourg1.

De longue date, le fait de causer la mort d’autrui2 est sanctionné par le Droit3. Il suffit pour

s’en convaincre de feuilleter un Code pénal. On s’aperçoit alors de l’étendue de la protection

assurée : tout comportement conduisant au décès d’autrui se solde en principe par le prononcé

d’une sanction contre l’auteur de l’acte qu’il s’agisse de punir un comportement volontaire ou

involontaire.

A première vue, il apparait que le droit pénal appréhende très largement les atteintes à la vie

humaine. Il n’est donc évidemment pas question de dresser ici un inventaire des différentes

incriminations existantes. A y regarder de plus près, la protection ne parait pas absolue. Il

arrive parfois que certaines atteintes à la vie humaine demeurent impunies. Il en est ainsi

lorsque l’élément moral de l’infraction fait défaut, par exemple4 parce que l’auteur est jugé

irresponsable en raison de son âge (art. 122-8 du Code pénal) ou parce qu’il est atteint d’un

trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes

(art. 122-1 du Code pénal).

Dans le même sens, aucune sanction ne peut être prononcée lorsqu’un fait justificatif trouve à

s’appliquer. Ce dernier entraine la disparition objective de l’infraction qu’il s’agisse de la

légitime défense, de l’état de nécessité ou encore de l’ordre, de la permission de la loi ou du

commandement de l’autorité légitime5.

1 Intervention lors du colloque des doctorants et jeunes docteurs du Centre de droit privé fondamental de l’Université de Strasbourg, « La mort, une fin ? », 29 avril 2011, sous la direction scientifique de Ségolène PERRIN et Christel SIMLER. 2 Le fait de se suicider n’est pas incriminé en droit français (malgré l’atteinte portée à la vie humaine). A noter toutefois que le fait de provoquer au suicide est visé par l’article 223-13 du Code pénal. Cette dernière incrimination n’a d’ailleurs pas été une évidence en droit français, puisque si le fait d’attenter à sa propre vie n’est plus constitutif d’une infraction depuis la Révolution française, il a fallu attendre la loi no 87-1133 du 31 décembre 1987 pour qu’un comportement de provocation au suicide soit sanctionné pénalement. L’adoption de ce texte de loi est d’ailleurs liée, pour l’essentiel, à la publication de l’ouvrage intitulé Suicide, mode d’emploi : histoire, technique et actualité de C. GUILLON et Y. LE BONNIEC. Suite à la parution de ce livre, plusieurs personnes se sont en effet suicidées, mettant en œuvre les conseils prodigués par l’auteur ; T. corr. Paris, 20 nov. 1985, D. 1985, jp. p. 369, note B. CALAIS ; Rev. sc. crim. 1987, p. 202, obs. G. LEVASSEUR. V. également J.-Y. LASSALLE, V° « Provocation », Rép. Dalloz pén., octobre 2003, nos 70 et s. ; C. CARREAU, « L’acte mortifère en droit pénal », D. 2000, p. 266. 3 J.-P. VAUTHIER, « L’atteinte à la vie tolérée par le droit criminel », in B. PY (dir.), La mort et le Droit, Presses Universitaires de Nancy, coll. Santé, qualité de vie et handicap, 2010, p. 158 ; F. DEBOVE, « La mort et le droit pénal », Gaz. Pal. 2007, n° 214, p. 2. 4 Outre les deux cas évoqués, l’irresponsabilité pénale peut être retenue en cas de contrainte (art. 122-2 du C. pén.) ou d’erreur sur le droit (art. 122-3 du C. pén.). 5 F. DESPORTE, F. LEGUNEHEC, Droit pénal général, op. cit., p. 660 et s., n° 693 et s. ; B. BOULOC, Droit pénal général, op. cit., p. 330 et s., n° 377 et s.

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Enfin, il arrive parfois que le décès d’autrui reste impuni parce qu’un obstacle procédural

paralyse l’exercice des poursuites. La mort du mis en cause se présente notamment comme

une cause d’extinction de l’action publique (art. 6 du Code de procédure pénale) mettant un

terme à l’exercice de toute poursuite, ou comme une cause d’extinction de la peine,

neutralisant l’exécution de cette dernière (art. 133-1 du Code pénal).

Dans toutes les hypothèses que nous venons de lister, l’atteinte à la vie humaine causée à

autrui ne pourra pas être sanctionnée. Pourtant, il s’agit incontestablement de cas spéciaux,

précisément réglementés et encadrés par le législateur et dont l’application est contrôlée par

les juges.

En marge de ces cas, il demeure encore une hypothèse dans laquelle aucune sanction ne peut

être prononcée alors pourtant qu’une atteinte à la vie humaine a bien été commise. Il s’agit de

l’homicide involontaire du fœtus.

Selon plusieurs arrêts de la Cour de cassation6, avant la naissance, le statut de personne

humaine n’est reconnu ni à l’embryon7 ni même au fœtus8. En conséquence, en cas de mort

accidentelle de l’enfant à naître, la qualification d’homicide involontaire ne peut pas être

retenue. Les juges statuent au visa de l’article 111-4 du Code pénal posant le principe de

l’interprétation stricte de la loi pénale. Ils affirment que le texte incriminateur, l’article 221-6

du Code pénal, visant autrui9, étendre cette qualification au fœtus serait contra legem.

Cette position constante de la jurisprudence10 fait l’objet de vives critiques et ce, de la part de

la majorité de la doctrine11. Il faut dire que cette solution aboutit en pratique à la relaxe,

6 Pour quelques exemples récents : CA Toulouse, 17 mai 2005, n° 04/00299 ; Cass. crim., 27 juin 2006, n° 05-83.767, D. 2007 p. 399. 7 Définition proposée par le Petit Robert, éd. 2007 : « produit de la segmentation de l’œuf jusqu’à la huitième semaine du développement dans l’utérus ». 8 Définition proposée par le Petit Robert, éd. 2007 : « produit de la conception à partir du troisième mois de développement dans l’utérus ». 9 Art. 221-6 du Code pénal : « Le fait de causer, dans les conditions et selon les distinctions prévues à l’article 121-3, par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement, la mort d’autrui constitue un homicide involontaire puni de trois ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende ». 10 V. sur ce point, Cass. crim., 30 juin 1999, Bull. crim. no 162, Rapp. Cour de cass., p. 442 ; Dr. pén. 2000, n° 3 et chron. n°12 de M.-L. RASSAT, « La victime des infractions contre les personnes après l’arrêt de la chambre criminelle du 30 juin 1999 » ; D. 1999, p. 710 ; Rev. sc. crim. 1999, p. 813 et s., obs. Y. MAYAUD ; Cass. Ass. plén., 29 juin 2001, Bull. AP 2001, no 8, D. 2001, chron. J. PRADEL, p. 2907, « La seconde mort de l’enfant conçu (à propos de l’arrêt d’Assemblée plénière du 29 juin 2001) » ; RTD civ. 2001, p. 560, obs. J. HAUSER ; Dr. et Patrimoine, nov. 2001, p. 99, obs. G. LOISEAU ; Cass. crim., 25 juin 2002, Bull. crim. no 144, Dr. pén. 2002, no 9, p. 4 et s., et p. 12 et s., note D. COMMARET et M. VÉRON, JCP G. 2002, II, no 10155, note M.-L.

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devant le tribunal correctionnel, de toute personne impliquée dans un accident ayant causé

involontairement le décès de l’enfant à naître. Elle est d’autant plus paradoxale, voire absurde,

que la qualification d’homicide involontaire est appliquée, si l’enfant a survécu quelques

instants après sa naissance, avant de décéder. La qualification d’homicide involontaire peut

ainsi être retenue même si l’enfant est décédé des suites des lésions irréversibles subies in

utero, c’est-à-dire en raison de la survenance des faits objets de la poursuite12.

Notons encore qu’un médecin peut être poursuivi et condamné du chef de blessures

involontaires s’il blesse l’enfant à naître, à condition que l’enfant naisse vivant et viable13. Le

2 octobre 200714, la Cour de cassation rejetait d’ailleurs le pourvoi formé par un médecin,

auteur de blessures involontaires causées in utero, fondé sur l’extension de la jurisprudence

applicable en matière d’homicide involontaire. Les juges refusaient d’accéder à cette demande

au motif que l’enfant était né vivant et viable. Cette dernière illustration laisse apparaître le

caractère choquant et surtout inadapté de notre jurisprudence. Les tribunaux acceptent de

sanctionner sous la qualification de blessures involontaires, mais refusent de le faire sous celle

d’homicide involontaire lorsque l’atteinte a entraîné le décès, autrement dit lorsqu’en réalité,

elle s’avère plus grave. La qualité de « personne » serait circonstancielle et dépendrait de la

capacité du fœtus à survivre et donc de la gravité des blessures infligées15 !

La situation découlant de cette jurisprudence est fortement critiquable, en raison du vide

juridique constaté. Peut-on envisager un revirement ou faudra-t-il attendre une intervention

législative ?

RASSAT ; LPA, 10 sept. 2002, n° 181, p. 7, note B. DAILLE-DUCLOS ; Rev. sc. crim. 2003, p. 91, obs. B. BOULOC, et p. 95, obs. Y. MAYAUD ; Cass. crim., 4 mai 2004, Bull. crim. no 108, D. 2004, p. 3097, obs. J. PRADEL ; J. SAINTE-ROSE, « L'enfant à naître : un objet destructible sans destinée humaine ? », JCP G, 2004, I, p. 194 ; A. DECOCQ, « La main d’Isabelle », Mélanges en l’honneur de Philippe Malaurie: liber amicorum, Défrénois, 2005, p. 199 et s. ; Cass. crim., 27 juin 2006, préc. 11 J. PRADEL, «Violences involontaires sur femme enceinte et délit d'homicide involontaire », note sous Cass. crim., 2 décembre 2003, D. 2004, jp p. 449 et s. L’auteur rappelle à cette occasion que la jurisprudence rejetant la qualification de l’homicide involontaire du fœtus a été condamnée par 28 auteurs sur 34. 12 Cass. crim., 2 décembre 2003, Bull. crim. n° 230 ; D. 2004, jp 449, note J. Pradel ; AJ pénal 2004, p. 118, obs. A. PITOUN ; Rev. Sc. crim 2004, p. 348, obs. Y. MAYAUD ; JCP 2004, II, 10054, note M.-L. RASSAT ; Dr. fam. 2004, comm. n° 26, obs. B. De LAMY ; Dr. pén. 2004, comm. n° 18, obs. M. VERON. 13 Cass. crim., 9 janvier 1992, Dr. pén. 1992, no 7, p. 7 et s., 172, note M. VÉRON ; Rev. sc. crim. 1993, p. 328 et s., obs. G. LEVASSEUR. 14 Cass. crim., 2 oct. 2007, n° 07-81.259, AJ pénal 2008, p. 32, obs. S. LAVRIC ; Rev. sc. crim. 2008, p. 337, obs. Y. MAYAUD ; Dr. pénal 2008, comm. n° 1, obs. M. VERON ; Gaz. Pal. 28 juin 2008, p. 7, obs. Y. MONNET. 15 J.-C. GALLOUX, H. GAUMONT-PRAT, Droits et libertés corporels, D. 2007, p. 1102.

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Concernant l’éventualité d’un revirement de jurisprudence, il semble que cette solution soit à

exclure. En effet, la Cour de Cassation a déjà pris position à plusieurs reprises et notamment

en formation plénière le 29 juin 200116.

Pourtant, les arguments invoqués par les juges peuvent être contestés à plusieurs égards.

Tout d’abord, pour justifier le rejet de la qualification d’homicide involontaire, les magistrats

se fondent sur le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, principe en vertu duquel, il

est interdit d’étendre le texte à des hypothèses non visées. Se retranchant derrière ce principe,

la Cour de cassation soutient que l’article 221-6 du Code pénal réprimant l’homicide

involontaire ne peut donc pas s’appliquer au cas de l’enfant à naître car le texte s’applique à

autrui et que le fœtus n’est pas autrui.

Pour implacable qu’elle paraisse, cette démonstration est-elle pour autant incontestable ? Cela

n’est pas certain. En effet, le législateur n’a jamais défini ce qu’il fallait entendre par

« autrui », même si de par la position du texte dans le Code (livre, titre et chapitre consacrés à

la personne), il apparait qu’autrui s’entend nécessairement d’une personne humaine. Peut-on

alors en conclure avec certitude que le législateur souhaitait ne viser par là que les individus

nés vivants ? Autrement dit, les juges pensant respecter le principe d’interprétation stricte de

la loi pénale ne procèdent-ils pas en réalité à une interprétation restrictive de l’article 221-6,

lui ôtant dès lors une partie de sa portée initiale ?

Second argument avancé par les juges pour rejeter la qualification d’homicide, l’embryon et

le fœtus relèvent d’une règlementation spéciale. Là encore, loin de convaincre cet argument

nous apparait au contraire bien fragile ! Parce qu’il existe une réglementation spéciale,

l’enfant à naître devrait être de facto exclu des infractions de droit commun ? S’il est vrai

qu’en vertu du principe « specialia generalibus derogant », les textes spéciaux priment sur le

droit commun, encore faut-il que le texte spécial trouve effectivement à s’appliquer17, ce qui

n’est pas le cas, dans l’hypothèse d’un décès accidentel de l’enfant à naître.

En conséquence, ces deux arguments fondant le raisonnement des juges n’emportent pas la

conviction mais cette jurisprudence semble solidement établie.

16 Arrêt précité. 17 S. LABARUSSIAS-COMMENT, Grossesse et droit criminel, mémoire de Master 2, Université de Strasbourg, 2008-2009, p. 56 et s. ; M.-L. RASSAT, « La victime des infractions contre les personnes après l’arrêt de la chambre criminelle du 30 juin 1999 », préc. ; Y. MAYAUD, « Ultime complainte après l'arrêt de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 29 juin 2001 », D. 2001, p. 2917.

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La solution passerait alors nécessairement par une intervention législative, d’autant plus que

la Cour européenne des droits de l’Homme estime qu’il appartient à chaque Etat de

déterminer à partir de quand il entend protéger le droit à la vie18, délivrant ainsi une sorte de

« brevet de conformité aux droits de l’Homme »19 de la jurisprudence française.

Le combat est donc loin d’être gagné. Pour preuve, les propositions de lois et autres

amendements se sont, pour l’heure, tous soldés par un échec et pour des raisons qui ne nous

paraissent pas solidement justifiées.

En avril 2003, lors de l'examen de la loi sur la sécurité routière, un amendement était proposé

ajoutant à l'article 221-6 du code pénal un alinéa réprimant spécialement l’homicide

involontaire sur l'enfant à naître. Puis, Jean-Paul Garraud déposait un autre amendement

instituant le délit d’interruption involontaire de grossesse aux articles 223-11 et 223-12 du Code

pénal20.

Ces amendements seront cependant tous retirés en raison d’une opposition virulente, notamment

des défenseurs du droit à l’avortement21. Les propositions ultérieures resteront également lettre

morte. Le principal argument avancé par ces opposants tenait au fait que l’existence d’un texte

spécial créerait une dissociation entre la mère et l’enfant, tandis qu’aujourd’hui, une femme peut

avorter au nom de son droit à disposer de son corps (ce qui induit que le fœtus serait en quelque

sorte le prolongement de cette dernière). Or, une telle dissociation permettrait l’instauration d’un

statut spécial pour le fœtus et consécutivement une possible remise en cause du droit à

l’avortement22.

Pourtant, « il ne s’agit pas de revenir sur la dépénalisation de l’interruption volontaire de

grossesse mais d’offrir un statut aux enfants à naître »23. D’ailleurs, quelques pays autorisant

l’avortement tels que l’Italie ou l’Espagne bénéficient d’une législation spéciale permettant de

réprimer le décès involontaire de l’enfant à naître24, sans pour autant que le droit à l’IVG ne

18 CEDH, 8 juillet 2004, affaire Vo c/ France, D. 2004, jp 2456, note J. PRADEL ; Rev. sc. crim. 2005, p. 135, obs. F. MASSIAS ; Rev. Trim. Dr civ. 2004, p. 799, obs. J.-P. MARGUENAUD et p. 714, obs. J. HAUSER ; JCP G 2004, II, 10158, note M. LEVINET. 19 F. DEBOVE, « La mort et le droit pénal », préc. 20 Ibid. 21 B. BEIGNIER, « La liberté de concevoir un enfant », Dr. fam. 2004, chron. n° 3. 22 F. BELIVIER, P. EGEA, « Les chemins de la liberté. Petite leçon de biopolitique », D. 2004, p. 647 ; S. LABARUSSIAS-COMMENT, Grossesse et Droit criminel, op. cit., p. 43-44. 23 I. CORPART, « Sort des 351 fœtus découverts à l’hôpital Saint-Vincent de Paul : recherche du statut juridique applicable », JAC n° 57. V. également, Y MAYAUD, « Ultime complainte après l’arrêt de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 29 juin 2001 », D. 2001, p. 2917, spéc. p. 2919. 24 J. PRADEL, « La seconde mort de l’enfant conçu (à propos de l’arrêt d’Assemblée plénière du 29 juin 2001) », préc., p. 2908 ; S. LABARUSSIAS-COMMENT, Grossesse et Droit criminel, op. cit., p. 82 ; CEDH, 8 juillet 2004, préc., considérant n° 42.

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soit remis en cause. Dès lors, la frilosité de notre législateur ne nous semble ni satisfaisante ni

même justifiée.

Cette exception mise à part, toutes les formes d’atteinte à la vie d’autrui sont sanctionnées. Si,

pour reprendre la formule d’un auteur, « le législateur ne pouvait, sans aveuglement ou sans

risque, doter « le plus grand de tous les biens », d'une protection moindre »25, l’existence de

l’interdit peut cependant être une source de difficulté pour le juge, en raison des circonstances

entourant la commission de l’infraction. Dans ce cas, l’interdit/les interdits s’avère(nt)

inadapté(s).

En pratique, en effet, le choix de la qualification ou le prononcée d’une sanction adaptée peut

s’avérer délicat.

Sans revenir sur le cas de l’euthanasie qui vient de vous être évoqué26, nous insisterons

simplement sur le fait que la diversité des qualifications retenues - allant de l’homicide

volontaire avec préméditation (art. 221-3 du Code pénal) à l’administration de substances

nuisibles (art. 222-15 du Code pénal) - ou des peines prononcées en cas d’euthanasie,

témoignent de la difficulté dans l’appréhension pénale de cette mort désirée, parfois si

ardemment, par un individu qui n’est plus en mesure de se l’auto-infliger. Si l’objectif de

protection de la vie humaine et l’absence de reconnaissance d’un « droit à mourir », comme

pendant du droit à la vie27, justifient sans doute l’interdiction de l’euthanasie, le prononcé

d’une sanction ne parait pas toujours approprié au juge, comme peuvent en témoigner certains

verdicts d’acquittement ou certaines peines de principe28.

Il faut dire que derrière l’acte, qui en lui-même est pénalement répréhensible (éléments

constitutifs présents ; absence d’exceptions trouvant à s’appliquer et indifférence du

consentement de la victime), se profile la souffrance d’un être humain. Cette souffrance,

vectrice d’émotion, conjuguée à l’absence de nocivité de l’auteur de l’acte (parfois le fait d’un

personnel soignant) complique incontestablement la mission du magistrat.

25 C. CARREAU, « L’acte mortifère en droit pénal », préc. p. 270. 26 C. FREYD, « La mort, un remède aux souffrances ? », Intervention lors du colloque « La mort, une fin ? ». 27 CEDH, 29 avril 2002, affaire Diane Pretty c/ Royaume Uni, JCP G, 2002, I, 157, nos 1 et 13, obs. F. SUDRE ; Rev. sc. crim. 2002, p. 644, obs. MASSIAS ; JCP G 2003, II, 10068 note C. GIRAULT ; Rev. trim. Dr. Hommes 2003, p. 71, note DE SCHUTTER. 28 A. PROTHAIS, « Accompagnement de la fin de vie et droit pénal », JCP G 2004, I, 130, spéc. no 10. L’auteur souligne notamment que « les rares condamnations (de proches de la victime, car on n'en relève pas de médecins (…) sont purement symboliques, c'est-à-dire toujours avec sursis ».

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Un autre exemple nous parait pouvoir être évoqué : le cas du déni de grossesse suivi

d’infanticide. Si nous ne connaissons que quelques affaires fortement médiatisées29, le déni de

grossesse n’est pourtant pas un fait rarissime. Une étude menée à la fin de l’année 2010 par

l’INSERM décomptait 2,1 néonaticides pour 100 000 naissances30. Là encore en pratique, les

peines prononcées sont extrêmement variables oscillant entre 5 ans d’emprisonnement dont

trois avec sursis et quinze ans de réclusion criminelle. Parfois même, aucune peine n’est

infligée31. Il faut dire que les experts ne s’accordent pas sur le point de savoir si le déni de

grossesse est pathologique ou non32. Le malaise est donc évident pour le jury ou le juge

amené à se prononcer. A tel point d’ailleurs, qu’une chaine de télévision avait lancé des

« paris » quant à l’issue du procès de Véronique Courjault, accusée d’infanticides, sur un

réseau social33. Si nous partageons évidemment l’avis de certains34 quant au caractère plus

que douteux de cette mise en scène, il convient néanmoins d’admettre qu’elle manifeste sans

équivoque la difficulté à laquelle les magistrats se retrouvent confrontés.

Le 10 septembre 2009, le Garde des Sceaux répondant à une question sénatoriale déclarait

qu’à défaut de définition claire et en raison des controverses suscitées par le déni de grossesse

au sein de la communauté médicale, aucun traitement juridique d’ensemble ne pouvait être

mis en œuvre. Seul un recours au cas par cas aux experts peut permettre d’envisager une

irresponsabilité pénale en cas d’altération/abolition du discernement35.

Très loin d’une solution globale, il nous apparait que le déni de grossesse demeure pour

l’heure une « énigme »36 pour le juriste rendant le prononcé d’une juste peine bien difficile…

29 « Plusieurs cas d’infanticides multiples ces dernières années », Le Figaro, 28 juillet 2010. 30 « Le nombre de néonaticides en France est largement sous-estimé, selon l'Inserm », Lemonde.fr, 8 décembre 2010 ; P. FREOUR, « Les infanticides à la naissance, un phénomène sous-estimé », Le Figaro, 8 décembre 2010. 31 « Déni de grossesse, une accusée acquittée dans le Bas-Rhin », Lemonde.fr, 16 décembre 2009 ; Cette difficulté se pose également dans d’autres Etats. Ainsi, en Belgique, une femme a-t-elle été acquittée alors qu’elle était accusée d’infanticide. Les juges ont estimé qu’elle avait agi à la suite d’un déni de grossesse massif, sous l’empire d’une contrainte interne irrésistible. V. « Une femme infanticide acquittée en Belgique », Nouvel observateur, 18 mars 2010. 32 Le déni de grossesse constitue une pathologie grave selon le Professeur Israël Nisand. V. S. MARINOPOULOS, I. NISAND, Elles accouchent et ne sont pas enceintes. Le déni de grossesse, Ed. Les liens qui libèrent, 30 mars 2011. 33 « France 24 retire du réseau Facebook des paris sur le procès Courjault », AFP, 10 juin 2009. 34 F. ROME, « Noir déni », D. 2009, p. 1521. 35 Question sénatoriale n° 8986, JO du 10 septembre 2009. 36 F. ROME, « Noir déni », préc.

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Tout ceci amène à s’interroger sur l’absolutisme de la sanction en cas de mort d’autrui car si

l’arsenal législatif se justifie par l’impératif de protection du droit à la vie, il apparaît que les

principes de répression se conjuguent parfois difficilement avec les « réalités judiciaires »37...

37 Nous empruntons ici la formule de Frédéric Debove qui estime que « la réalité judiciaire » doit être distinguée des principes imposant de réprimer l’euthanasie. V. F. DEBOVE, « La mort et le droit pénal », préc.