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La narration dans le soin des enfants souffrant de troubles envahissants du développement

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 266–273

Article original

La narration dans le soin des enfants souffrant de troublesenvahissants du développement

Narrative in the care of children suffering from pervasivedevelopment disorders

J. HochmannPsychiatrie de l’enfant, université Claude-Bernard (Lyon 1), 15, rue Saint-Paul, 69005 Lyon, France

ésumé

À partir d’une expérience de suivi au long cours d’enfants souffrant de troubles envahissants du développement, nous présentons les grandsrincipes d’un traitement global, conjuguant soin, éducation et pédagogie, tel qu’il se pratique dans la majorité des structures sanitaires etédicosociales francaises. Ce traitement est basé sur la mise en route chez l’enfant d’un récit intérieur, à partir des événements de la vie quotidienne.

l implique dans le réseau de prise en charge, une différenciation des lieux et des temps, une articulation, une narration du vécu, une supervisiont surtout le partenariat avec les parents.

2011 Publie par Elsevier Masson SAS.

ots clés : Autisme ; Troubles envahissants du développement ; Narration ; Soin psychique ; Programme institutionnel ; Intégration scolaire

bstract

A personal experience of long-term follow-up of children suffering from pervasive development disorders, has led us to formulate some principlesf a global treatment — a conjunction of care, education and pedagogics — which are shared by the majority of psychiatric and social Frenchervices. This treatment is focused on the facilitation of the child starting an inner narrative, from the everyday life events. It implies in the care

etwork a differentiation between various places and times, a coordination, a narrating of what happens to the child when engaged with differentnterlocutors, a supervision and above all a partnership with the parents.

2011 Published by Elsevier Masson SAS.

eywords: Autism; Pervasive developmental disorders; Narrative; Psychic care; Global treatment; Mainstream school program

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Depuis une trentaine d’années, un certain nombre de travauxcientifiques a permis de reformuler les principaux signes cli-iques de l’autisme infantile et des troubles du développementui lui sont associés et de préciser les mécanismes psychopatho-ogiques qui semblent en cause dans ces troubles. Ces travauxnsistent sur un défaut de la mise en place des cognitions socialeshez ces enfants et suspectent, soit un défaut de théorie de l’esprit

1], soit un trouble de l’empathie, lié à une anomalie de la simu-ation interne des attitudes et des émotions d’autrui [2]. Lesecherches actuelles, plus en faveur de l’hypothèse simulation-

Adresse e-mail : [email protected]

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222-9617/$ – see front matter © 2011 Publie par Elsevier Masson SAS.oi:10.1016/j.neurenf.2010.12.003

iste que de la « théorie de la théorie », apportent des élémentsouveaux sur les particularités des conduites d’imitation chezes enfants autistes [3,4].

Le suivi d’enfants autistes nous a convaincu de l’intérêt d’unaramètre voisin de l’empathie, la narration [5]. Ce paramètreet en jeu un processus complexe, l’identification, élaboré à

artir des conduites d’imitation et de simulation interne. Notrexpérience a associé un suivi psychothérapique individuel et deroupe ambulatoire, des rééducations orthophoniques et psycho-

otrices, différents groupes d’acquisition des habiletés sociales

t d’accompagnement dans des lieux culturels, sociaux ou spor-ifs de la communauté environnante et, surtout, une scolarisation.e lieu de soin, un Centre d’accueil thérapeutique à temps

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J. Hochmann / Neuropsychiatrie de l’en

artiel (CATTP) inclus dans un centre médicopsychologiqueolyvalent1, est nettement distinct des lieux pédagogiques :’école ordinaire pour une petite minorité, sept classes spécia-isées à petit effectif (six à sept enfants), pour le plus grandombre — dont deux maternelles, deux primaires, deux UPIe collège et une UPI de lycée professionnel — toutes inséréesans des établissements scolaires standard et servant de départt de soutien à l’intégration partielle dans des classes normalest dans les activités périscolaires de l’établissement ou encore,our les grands adolescents, à des stages en milieu profession-el, normal ou protégé. Des véhicules de service assurent leransport des enfants du lieu de soins aux lieux pédagogiques etes chauffeurs, des aides-soignants, jouent un rôle essentiel dans’articulation et l’échange d’informations. Des réunions régu-ières rassemblent soignants et enseignants. Dans certains cas,es groupes de parole, constitués dans le lieu de soin par lesnfants d’une classe, ont permis aux participants, encadrés pares soignants, de prendre une certaine distance par rapport auxncidents qui avaient émaillé la vie de la classe, de traiter, deommer et de mettre en lien les émotions vécues à l’occasione ces incidents, développant ainsi leurs capacités d’empathiet de narration.

Notre expérience a pu se prolonger sur une longue durée (deix à plus de 20 ans, pour un enfant donné) et offrir une grandeiversité de prises en charge adaptées individuellement à desas variés. Tous les dispositifs ne disposent pas de cette pos-ibilité. Certains sont tenus d’observer des limites d’âge ou deiveau (ce qui nous est aussi arrivé parfois). Lorsque des pas-ages ont dû intervenir, nous nous sommes efforcés d’organiserne articulation entre l’équipe que quittait l’enfant et celle quillait l’accueillir, articulation soutenue matériellement par desocuments écrits, des photos, des vidéos et, si possible, par unécit verbal, afin d’éviter les ruptures d’histoire de vie.

Nous préparons actuellement un bilan rétrospectif de’évolution d’un groupe de 20 jeunes adultes suivis, dans ce dis-ositif, depuis leur petite enfance. Dans l’attente de ce bilan,ous souhaiterions préciser les principes qui nous ont guidés.

. Préalables psychopathologiques

Ces principes reposent sur une hypothèse psychopatho-ogique construite progressivement à partir de l’expériencelinique et thérapeutique rassemblée par une équipe particulière-ent stable, œuvrant depuis plus de 40 ans, pour les plus anciens,

t qui a traité environ 200 enfants TED. Cette hypothèse peut seormuler ainsi :

Les enfants souffrant de troubles envahissants du dévelop-ement présentent, à des degrés divers, un trouble du récit

ntérieur, une difficulté à organiser une histoire des événementsui rythment leur vie, non tant du point de vue descriptif que deelui de la cohérence émotionnelle. Ces événements sont vécus,

1 L’ensemble fait partie du dispositif de secteur du centre hospitalier le Vinatiersecteur de psychiatrie infantojuvénile de Villeurbanne) et représente l’Institute traitement des troubles de l’affectivité et de la cognition (ITTAC) actuellementirigé par le Professeur Nicolas Georgieff.

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oit dans une synchronie plus ou moins confuse, soit coupéses uns des autres sans être reliés et articulés entre eux par unentiment continu d’existence. Ils sont présentés souvent sur unode concret et hyperréaliste, dénotés plutôt que connotés. Un

es principaux signes de l’autisme : le besoin d’immuabilité et’intolérance à l’imprévu, mais aussi les stéréotypies, la fixa-ion sur des intérêts restreints faits de petits détails isolés deeur contexte [6,7] peuvent être rapprochés de ce dysfonctionne-ent narratif. Cette hypothèse conduit à privilégier dans la prise

n charge de ces enfants le récit des événements vécus quoti-iennement avec eux et à articuler entre eux les récits de leursnterlocuteurs : récits des parents, récits des soignants, récits desééducateurs, des éducateurs, des enseignants.

Notre hypothèse, issue de l’observation clinique, s’appuie surne conception du développement de l’enfant déjà proposée, ila près d’un demi siècle, sous la forme d’une sorte de mytho-

ogie imagée, notamment par le psychanalyste anglais Bion [8],t qui trouve aujourd’hui un certain nombre de confirmationsbjectives dans les travaux des psychologues du développe-ent [9]. Selon cette conception, les éprouvés émotionnels

ruts de l’enfant contemporains de l’inévitable expérience dea frustration sont transformés par la pensée (et les activitésoignantes) de la mère, ou de l’agent maternant, et introjec-és par l’enfant en « protopensées ». En d’autres termes, en’occupant de l’enfant et en reliant entre elles ses activitésoignantes, verbalement ou par des équivalents agis de dis-ours, la mère (ou l’agent maternant) organise une sorte deécit qu’elle communique à l’enfant et que l’enfant, peu à peu,’approprie. Elle établit un lien de causalité, une causalité qu’oneut qualifier de narrative [10], entre ses propres comportements,ttitudes ou ressentis et les comportements du bébé. Inscrivantes comportements encore réflexes du bébé dans un nouveauegistre, celui de l’intersubjectivité, elle transmet à l’enfantne sorte d’« enveloppe narrative » où un événement percu (parxemple, le tintement du biberon sur le bord de l’évier) annonce,e manière prévisible et coordonnée, une suite d’événementsntersubjectifs organisés entre eux sur le mode d’un « script »11]. La découverte des systèmes miroirs à la base de l’empathieonne aujourd’hui un début d’explication scientifique à ces don-ées de l’expérience [12]. L’enfant qui deviendra autiste, poures raisons que, dans la grande majorité des cas, nous ignorons etui sont probablement polyfactorielles, ne peut participer plei-ement au processus intersubjectif (ou mieux intersubjectivant)ue nous venons de décrire. On peut supposer qu’il n’a pas,u fait d’un déficit précoce des mécanismes qui sous-tendent’acquisition des cognitions sociales, la possibilité de se saisire la transformation que la rêverie maternelle fait subir à ses pro-ections. On peut supposer aussi que l’extrême violence de sesrojections, liée à une intolérance native à la frustration, désor-anise l’appareil psychique rêveur de la mère et ses capacités deransformation et de mise en narration. On peut encore suppo-er, dans des cas de carences affectives précoces, que l’enfant n’aas trouvé dans son environnement d’interlocuteur susceptible

e donner du sens à ses vécus de frustration, de se les raconter ete les lui raconter dans une attitude consolatrice. Contrairementlors aux symptômes de l’autisme en situation non carentielle,e tableau de l’hospitalisme ou de déprivation majeure, régresse
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e manière spectaculaire lorsque l’environnement est modifiévant l’âge de deux ans, dans un sens favorable, bien que deséquelles soient toujours possibles : troubles des conduites, défi-ience mentale plus ou moins prononcée, mais également delus rares tableaux d’autisme [13]. Quels que soient les facteurséterminants ou précipitants, l’enfant se trouve, dès lors, faceun univers désorganisé par des projections qui, faute de cible

ocalisée, fusent dans tous les sens. Cet univers devient, pour lui,démantelé » [14] et proprement inénarrable. Il doit donc s’enrotéger par une série de mécanismes de défense, dont les prin-ipaux ont été décrits par Kanner : isolement, imposition d’unrdre immuable, fixation sur des intérêts restreints, des stéréoty-ies et des rituels [15]. Au processus normal intersubjectivant,l substitue un « processus autistisant », plus ou moins marquéelon la place qu’il occupe dans ce qu’on appelle aujourd’hui lepectre autistique.

. Objectifs du soin psychique

Le soin psychothérapique a pour fonction de contrer le pro-essus autistisant et de contribuer, autant que faire se peut, àa remise en route chez l’enfant d’une activité narrative, qui estécessairement une activité fondée sur des relations entre sujets.n récit, même si on ne se le raconte qu’à soi-même, présup-ose un interlocuteur. Configuré, comme l’a montré Ricœur,partir d’un certain nombre de figurations élémentaires, qu’il

rticule, dramatise et « met en intrigue », il est adressé à un tiersprésent ou absent, réel ou imaginaire) pour qui il est fait et àui le narrateur prête la capacité de le refigurer à son propresage, éventuellement de le reraconter à autrui [16]. Au départ’un récit, il y a un fait brut, un événement susceptible d’êtreaconté, donc se déroulant déjà sur une scène organisée deanière à donner à l’événement une certaine visibilité et ce

u’on pourrait appeler une valeur de narrabilité, une potentialités’inscrire dans une histoire. La psychothérapie institutionnellen France, les « thérapies de milieu » dans les pays anglo-saxonsnt consisté à mettre en place des scènes de ce genre où les évé-ements de la vie quotidienne pouvaient être mis en exergue,solés par une recherche de sens et utilisés comme moyen deelance de l’activité narrative chez des sujets en grande difficulté.es différentes activités, informelles ou formalisées, spontanéesu organisées, certaines nécessaires à l’entretien de la vie : lesepas, les toilettes, le coucher et le lever, d’autres plus spéci-ques : les divers ateliers utilisant des médiations, les activitésvisée éducative ou pédagogique, les moments de loisir, deve-aient l’occasion de récits, d’abord pour l’équipe encadrante,ans ses réunions dites d’équipe ou de synthèse, ensuite pour leujet lui-même auquel ces récits étaient progressivement resti-ués, à l’occasion de rencontres aléatoires, mais aussi dans desieux et des temps individuels ou collectifs spécialement dédiés.

. Les programmes à temps partiel. Principes deonctionnement

Développées au départ dans des institutions résidentielles,es thérapies ont trouvé une impulsion nouvelle avec la multi-lication des services à temps partiel. À l’institution qualifiée

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e « totale » [17], se sont alors substitués des dispositifs beau-oup plus légers, inscrits dans des réseaux sociaux complexes,ui permettaient des complémentarités diversifiées et favori-aient, par leur caractère « lacunaire » [18], l’écoulement d’unourant narratif, allant d’un lieu à un autre [19]. Les hôpitauxe jour ont généralement transformé leur projet global de prisen charge quotidienne en demi-journées à la carte au sein derojets individualisés. Les CATTP et, dans le secteur médicoso-ial, les services d’éducation et de soins spécialisés à domicileSESSAD) se sont multipliés. Nous voudrions insister sur plu-ieurs aspects du soin institutionnel commun aujourd’hui à cesiverses structures, qui nous semblent en cohérence tant avecotre expérience pratique qu’avec nos partis pris théoriques etu’on pourrait retrouver en œuvre dans de nombreuses expé-iences similaires [20].

Le premier aspect est la nécessaire différenciation des rôles,es fonctions et des lieux. L’enfant souffrant de troubles envahis-ants du développement a tendance à vivre, avons-nous dit, dansn monde synchronique et chaotique où tout revient au même,ù aucune différence ne marque la passage d’un lieu à un autre.es rituels répétitifs, ses stéréotypies, ses réactions violentes,

orsque l’immuabilité qu’il tente d’imposer à son environne-ent laisse passer de l’imprévu, sont bien connus de tous ses

nterlocuteurs, en particulier des familles qui, sous peine de subirris, violences ou spectacle angoissant et parfois insoutenable’automutilations, ont appris, à leur tour, à éviter les change-ents. Un certain nombre de méthodes éducatives essaient de

imiter ces réactions en structurant l’environnement spatiotem-orel de manière à le rendre prévisible par l’enfant [21]. Tout eneconnaissant le grand intérêt de ces méthodes et l’incontestableécessité de cette structuration, il nous est apparu intéressante leur adjoindre un travail de différenciation indispensable auéveloppement d’un récit. Quand tout revient au même, quandout est prévisible, quand le temps n’est que répétition circu-aire, il n’y a rien à raconter. Seul un événement, c’est-à-dire’irruption de la nouveauté, peut donner lieu à un récit. À condi-ion, dans le cas présent, que cette nouveauté soit supportable,u’elle n’introduise, au départ, qu’un léger décalage par rap-ort à ce qui est attendu. Le psychologue du développementongrois, Gergely, a repéré, à partir de trois mois, chez l’enfantormal placé devant deux moniteurs — l’un visualisant ses mou-ements de jambes en train de se produire, l’autre visualisant unnregistrement décalé dans le temps — l’apparition d’un intérêtlus grand pour le « presque comme » que pour le « tout à faitomme ». Ce switch ne se produirait pas chez l’enfant autiste,ui continuerait longtemps à privilégier le « tout à fait comme »22].

Pour que l’enfant autiste puisse accéder à ce switch, il fautrendre des précautions et, notamment, qu’un léger décalageuisse aussitôt être métabolisé par une organisation du temps ete l’espace suffisamment claire et attendue pour pouvoir servire contenant à l’angoisse. La différenciation répétée, progressi-ement apprise par l’enfant, des rôles, des fonctions et des lieux

st à la base de la constitution de ce contenant. Il est donc néces-aire de proposer à l’enfant une série d’activités aussi distincteses unes des autres que possible, avec des personnes différentes.econnaissant progressivement que son orthophoniste est
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ifférente de sa thérapeute ou de sa psychomotricienne, que telroupe ou tel atelier n’est pas la simple reproduction d’un autre,ue le lieu de soin n’est pas l’école et réciproquement, que lesntervenants professionnels sont distincts de sa famille et que le

ode de relation induit par les activités qu’il partage avec eux’est pas le même que celui qu’il a avec ses parents ou ses frèrest sœurs, l’enfant peut, petit à petit, s’imaginer racontant à une ses interlocuteurs ce qu’il a fait avec un autre, évoquer l’un,bsent, en présence de l’autre. Mettant chacun des moments dea vie en opposition significative avec les autres et s’étayant sures oppositions matérialisées dans son emploi du temps (éven-uellement visualisé par des pictogrammes et maintes fois reluevant lui), il peut apprivoiser, notamment avec l’aide d’unerthophoniste, un langage fait lui-même d’oppositions phoné-atiques et sémantiques. Avec les enfants peu verbaux ou sans

angage, cette activité de représentation peut être soutenue pare petits objets, transportés d’un lieu à un autre, par des dessins,ventuellement par des photos ou des vidéos commentées.

Il est important, de toute manière, avec les enfants ver-aux comme avec les enfants sans langage, que chacun desnterlocuteurs garde présente à l’esprit l’existence des autres.a différenciation (et l’idée de complémentarité qui va avec)ommence à se constituer dans l’esprit des accompagnants quioivent toujours veiller à maintenir une différenciation quee comportement de l’enfant et ses exigences d’immuabilité

ettent continuellement en échec. Soumis aux impératifs autis-iques, les accompagnants peuvent, en effet, se laisser enfermerans une bulle, une sorte d’autisme à deux, une illusion où seulea méthode, son rôle professionnel, voire sa simple attention eton souci pour l’enfant seraient efficaces. L’autisme, avons-nousit, est contagieux et ce genre de dérive guette tout dispositif soi-nant ou éducatif pour enfants atteints de troubles envahissantsu développement. Cette dérive peut aussi atteindre la famille eta mettre en difficulté pour accepter des modalités d’interventionifférentes des siennes ou qui échapperait trop à son contrôle.

Le deuxième aspect du soin institutionnel est l’articulation.’enfant autiste, répétons-le, a tendance à « démanteler » sonnivers en séquences rigoureusement isolées les unes des autrest n’ayant plus aucun rapport entre elles. On a pu compa-er son monde à une série de diapositives, par opposition auôtre qui, grâce au récit intérieur que nous nous constituonsn permanence, a davantage la forme d’un film avec ses fon-us enchaînés. Les éléments différenciés du dispositif soignant,ducatif et pédagogique doivent être articulés entre eux. Pourela, il importe d’abord de favoriser, au maximum, un échange’informations et une coordination entre les différentes activi-és, au sein de l’institution soignante. Un dispositif thérapeutiqueuelconque : un atelier, une technique de soin particulière n’onte sens qu’articulés avec les autres à l’intérieur d’un programmelobal. On pourrait presque dire de ces dispositifs, comparante programme à un langage articulé, que ce qu’ils ne sont passt aussi important que ce qu’ils sont, que ce qu’ils évoquentt qui n’est pas là est aussi important que leur contenu. C’est

ourquoi on ne peut qu’être inquiet devant la tendance actuellee certaines familles à vouloir substituer à un programme globalne juxtaposition de praticiens et de techniques de leur choix,ans autre lien les uns avec les autres qu’une réunion, au mieux

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rimestrielle au pire annuelle, tenue à l’école par les partenaires’un réseau purement nominal.

La dimension soignante, la dimension éducative et la dimen-ion pédagogique, toutes trois nécessaires, doivent ensuite être,lles-mêmes, articulées entre elles. Naguère les institutionsui recevaient des enfants atteints de troubles envahissants duéveloppement, hôpitaux de jour ou instituts médicoéducatifs,ffraient dans le même lieu, les activités d’éveil, les activitéshérapeutiques, les activités éducatives et pédagogiques. Lesssociations de famille avaient longtemps souhaité préservereurs enfants des moqueries ou des persécutions des autresnfants, ainsi que des exigences pédagogiques et comportemen-ales de l’école [23]. L’école, elle-même, se montrait souventeu tolérante et préférait contribuer, en détachant du personnelans les institutions spécialisées, à une ségrégation qui se vou-ait protectrice. Depuis une trentaine d’années, on a assisté àn changement de mentalité des familles, qui réclament mainte-ant l’insertion sociale et scolaire de leur enfant, quelle que soita gravité de son handicap. Un certain nombre d’expériences’intégration en milieu scolaire normal (dont la nôtre), enga-ées à l’initiative d’institutions sanitaires ou médicosociales,yant montré la faisabilité et l’intérêt de la démarche, l’écolest devenue, à son tour, désireuse de rapatrier son personnelétaché et d’intégrer les enfants scolarisés jusque-là en institutédicoéducatif ou en hôpital de jour.Aujourd’hui, la loi prévoit l’inscription de tous les enfants

andicapés à l’école, avec des projets personnalisés. Il estegrettable que ce changement de perspective s’accompagnearallèlement d’un effacement de la dimension soignante,avalée au rang de simple adjuvant, comme si la seulenormalisation » de l’accueil social suffisait à faire disparaître

a souffrance de l’enfant et la nature de son handicap [24]. Deême que les déficiences visuelles, auditives ou motrices ne dis-

araissent pas lorsque l’accueil scolaire se normalise, de mêmees troubles envahissants du développement persistent et néces-itent, à côté de l’école et différente d’elle, une aide spécifique,ue nous appelons le soin psychothérapique et éducatif au sensarge, articulée avec la pédagogie.

Cette articulation a, pour premier avantage, de faciliter laâche des enseignants, souvent isolés dans leur classe ou neecevant qu’une aide limitée d’auxiliaires de la vie scolaireeu formés. Elle participe donc, de manière essentielle, à unrogramme d’insertion scolaire digne de ce nom et qui ne seimite pas à un leurre. Le fait, pour un enseignant spécialisé et aortiori pour un enseignant non spécialisé, de pouvoir raconteres difficultés, ses surprises, ses émotions, éventuellement sesnquiétudes, à des tiers qui connaissent également l’enfant ete suivent par ailleurs, représente déjà, dans notre expérience,ne aide considérable. Le fait de savoir que l’enfant bénéficie’une autre prise en charge, de recevoir d’autres interlocuteursn autre point de vue, évite l’enfermement, déjà mentionné, dansa bulle autistique, l’abandon à une fascination apitoyée aussiien que le rejet. Dans les moments de crise, le récit élaboré en

ommun devient un contenant qui permet de mieux faire facela situation, surtout si l’équipe soignante fonctionne comme

ne sorte de SAMU, capable aussi d’apporter concrètement à’enseignant un soutien dans sa classe ou, en cas de besoin, de

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ettre en place un relais temporaire. La confrontation de plu-ieurs approches pédagogiques, celle de l’enseignante dans salasse, celle de l’orthophoniste ou de la psychomotricienne auentre de soins facilite de plus, pour l’enfant, la généralisationes acquis et dialectise l’enseignement. Une articulation entrerthophonistes ou psychomotriciens et enseignants peut ainsiermettre des avancées très fécondes au plan de la pédagogie,ar exemple, concernant l’acquisition du langage oral ou écrit.

De l’autre côté, la pédagogie et ses règles, la nécessitéour l’enfant d’adopter un comportement compatible avec’intégration sociale, enrichissent le travail de l’équipe de soin.es émotions réveillées au cours d’un travail thérapeutique

névitablement excitant trouvent dans les activités éducatives etédagogiques un processus de mise au calme. Le rôle d’élève etes contraintes est, en outre, un élément de maturation. L’enfant,epuis qu’on lui communique plus précocement le diagnostic,ourrait se complaire dans un rôle de handicapé et recourir à’autisme pour justifier ses comportements régressifs. Élève, ilrouve, à l’école, avec une discipline cadrante, d’autres modèles’identification. Voyant les résultats de l’apprentissage scolairet de celui des rôles sociaux, l’équipe soignante évite de céderla tentation de se focaliser sur la seule manifestation des

ngoisses et de ne voir dans l’enfant qu’un sujet en souffrance,ncapable de faire face aux exigences normatives. L’attente de laemande ou de l’émergence du désir, qui tenaient autrefois tropouvent lieu de projet thérapeutique, est vigoureusement remisen cause par la confrontation et l’articulation des démarchesoignantes, éducatives et thérapeutiques. Cette confrontation etette articulation favorisent un récit possible.

Il est alors important qu’une attention particulière soit appor-ée aux moments de passage d’une occupation à une autre, d’unieu ou d’un temps à un autre, que dans un lieu on mette l’enfantn situation pour en évoquer un autre et pour établir, dans sonsprit, des représentations différenciées et articulées des élé-ents constitutifs de son réseau social.La narration est, en effet, le troisième aspect essentiel du soin

nstitutionnel. Dans notre expérience, chacun des enfants a puénéficier, pendant des années, d’un(e) soignant(e) de référenceui le rencontrait individuellement, plusieurs fois par semaine,our des séances de 45 minutes. Rencontrant par ailleurs laamille et les divers autres intervenants (enseignants, réédu-ateurs, éducateurs des groupes, animateurs de clubs sociaux,ulturels ou sportifs), ce(tte) référent(e) pouvait mettre en rela-ion ce qui se passait entre lui(elle) et l’enfant avec les diversvénements de sa vie quotidienne. Il(elle) aidait ainsi l’enfant àe tisser une histoire de vie où il(elle) faisait fonction de narrateuruxiliaire.

Par ailleurs, l’enfant participait à différents groupes :

des groupes de parole, aidés par des adultes (y compris avecdes enfants sans langage) et centrés sur la découverte, lacompréhension et la nomination des émotions vécues dansle groupe ;

des groupes d’initiation au langage parlé ou écrit ;des groupes d’appentissage de la vie sociale ;des groupes à médiation utilisant diverses activités collectivesartistiques, ludiques, culturelles ou sportives.

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Certains de ces groupes étaient plus spécifiquement centrésur le faire semblant et le jeu symbolique ou théâtral. Ces groupesnt permis aux enfants de développer leurs cognitions socialest une activité imaginaire, en s’appuyant les uns sur les autres.ls ont surtout permis de développer une activité narrative. Unes principes fondateurs de l’institution a toujours été, en effet,ue toute activité devait, à un moment ou à un autre, donner lieuune narration, que tout ce qu’on faisait ensemble, quelle que

oit la médiation utilisée, était source de récit. Au fil des années,es groupes ont constitué autour de l’enfant, devenu adolescentuis jeune adulte, une sorte de prothèse sociale qui a facilité’insertion dans la cité et la fréquentation des lieux sociauxcinéma, équipements sportifs, etc.) Les jeunes, aujourd’hui, ontris l’habitude de sortir à plusieurs, de manière autonome, par-ois en se critiquant, voire en se contrôlant, lorsque leurs attitudesépassaient le seuil de tolérance moyen supposé et risquaient dees mettre en difficultés parmi les autres. Ils se retrouvent, uneois par semaine, dans un groupe d’entraide mutuelle, animéans un cadre associatif par une de leurs anciennes thérapeutes,ù ils peuvent continuer à se raconter les uns aux autres ce qu’ilseviennent et, donc, soutenir leur activité narrative.

Pour que ce travail puisse être poursuivi sur la longue durée,n maintenant chez les soignants, attention, sollicitude et créa-ivité, il a fallu que les soignants trouvent dans leur travail uneertaine dimension de plaisir. On ne peut évidemment prescriree plaisir. On peut, du moins, mettre en place les conditions pourue ce plaisir soit possible. Le plaisir en question n’est pas unlaisir de décharge, un plaisir excité. Ce risque de déviation,énommée « défense maniaque » par les auteurs d’inspirationleinienne, guette, à tout instant, la prise en soin des sujetsn grande difficulté psychiatrique ou souffrant d’un handicapévère, en particulier si ce sont des enfants. L’enfant devientlors un objet dont on se saisit de manière ludique pour seouer de lui et non pour jouer avec lui. Son utilisation, comme

ascotte, fétiche ou objet de dérision, a pour principale fonc-ion d’écarter les sentiments pénibles d’ennui, d’incompétence,’incompréhension, de rejet ou de dégoût, bref, toute la tonalitéépressive du vécu que suscite son aspect et son comportement.n certain nombre de méthodes éducatives très invasives ont pu,

ous prétexte de faire disparaître des symptômes socialementênants, verser, au moins à leurs débuts, dans ce genre de mal-raitance [25] mais elles n’ont pas le monopole de ce risque. Il estl’origine de nombreuses crises institutionnelles, qui peuvent

ffecter n’importe quel type de programme. Il n’y a, dès lors,lus de récit possible, mais seulement retour à l’envoyeur de sesrojections, passage à l’acte en réponse au passage à l’acte, sanslaboration narrative, sans accueil, contenance et transformationans une psyché susceptible de mettre les actes en histoire. Lelaisir que nous avons ici en tête est d’un ordre tout différent.l s’agit d’un plaisir calme et réservé, d’un plaisir que certainsuteurs ont appelé « de fonctionnement » [26], le plaisir pris aveces pensées et avec le fonctionnement de ce que Bion appelaitétaphoriquement « l’appareil à penser les pensées ». Imagi-

er un sens au comportement de l’enfant, différencier, articulerntre eux et réunir dans un ordre cohérent, dans une histoireusceptible d’être racontée, des comportements apparemmentésordonnés, faire des hypothèses et, parfois, les vérifier, ces

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ctes mentaux, très analogues à ceux d’un chercheur, sont source’un plaisir spécifique. Il évoque celui qui accompagne la rêve-ie maternelle devant l’enfant. Il se double du plaisir du conteur,e celui de restituer à l’enfant ce qu’on croit avoir compris de luit de partager avec lui le plaisir de cette compréhension. Il arrive,ans les cas heureux, que cet échange de plaisirs aide l’enfant ànvestir positivement, à son tour, son fonctionnement mental etdévelopper, dans son imaginaire, ses propres interrogations et

es propres réponses.Tant pour éviter les défenses maniaques (ou les analyser et les

orriger lorsqu’elles se produisent) que pour soutenir le plaisir deonctionnement, il est apparu nécessaire d’offrir aux soignants,insi qu’aux enseignants des espaces où leur activité et leur éla-oration de ces activités seraient entendues et considérées avecttention.

La supervision est ainsi un quatrième aspect du soin institu-ionnel, tel qu’il est développé ici. Elle peut prendre des formesiverses, individuelle ou groupale, avec un intervenant exté-ieur ou un des leaders de l’institution, le superviseur ayantu n’ayant pas d’autres activités auprès de l’enfant et de saamille. Dans tous les cas, il n’est ni le représentant ni le pres-ripteur d’une méthode exclusive, à laquelle il formerait lesgents du programme en leur enjoignant des stratégies et desactiques codifiées. Bien qu’il puisse s’appuyer sur son expé-ience et ses connaissances pour conseiller des attitudes, corrigeres dysfonctionnements interactifs, suggérer des orientationsechniques et pratiques, sa fonction première est de permettreux soignants, comme aux enseignants, d’élaborer, à destina-ion d’un tiers, un récit du vécu partagé avec l’enfant, de dire ceu’ils ont fait et dit, en mettant leur action verbale et non verbalen relation avec le comportement et la parole de l’enfant, et derouver dans cette élaboration un plaisir de fonctionnement. Laupervision se fonde sur l’hypothèse que cette activité narrativees différents intervenants et le plaisir qui l’accompagne serontecondairement compris par l’enfant, qui cherchera, à son tour,ar identification, à se l’approprier. Ce qui sous-entend une basehéorique.

La théorie, incarnée par le superviseur, joue alors le rôlee ce que le psychanalyste américain Roy Schafer a appelé unmétanarratif » [27]. Elle devient un ensemble de concepts dans

esquels on peut puiser pour construire des hypothèses et donnerorme aux projections de l’enfant et aux récits des intervenants.lle est un récit de récits. Elle ne doit devenir ni un féticheu’on agite pour asseoir son identité ni un dogme auquel on’assujettit de manière religieuse. C’est plutôt une sorte de jouetsychique malléable qu’il y a plaisir à manipuler et à transformeru gré de son expérience, en l’enrichissant au contact d’autreshéories et d’autres expériences, en ouvrant en soi un théâtrentime où ces théories et ces expériences peuvent se confronter,e battre ou s’accorder. Ce jeu plaisant avec la théorie n’est pos-ible qu’avec des théories suffisamment souples, en l’occurrencevec des théories qui ne se limitent pas à rendre compte d’unomportement réduit à un apprentissage par stimulus et réponse

ais qui s’affrontent à ce que l’humain a de spécifique : une pen-

ée langagière [28]. Il nous paraît capital, dans le domaine de’autisme et des autres troubles envahissants du développement,e ne pas se contenter d’étudier et de traiter les seuls troubles

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u comportement visible, mais de reconnaître que l’autisme estussi, est peut-être avant tout, un trouble de la pensée ou, commen dit aujourd’hui, un trouble de l’« esprit » (mind). Ici aussi,l’essentiel est invisible pour les yeux » mais il est appréciablear cet autre organe des sens qu’est l’empathie.

Un dernier aspect du soin institutionnel (en fait le premier) este partenariat avec les parents. Trop longtemps tenus à l’écart desoins et de l’éducation de leurs enfants par des programmes rési-entiels qui s’inscrivaient dans la vieille tradition de l’isolementt de la mise à l’écart du malade mental, sous prétexte de prisee distance avec un milieu supposé nocif ou exagérément stimu-ant, ils s’imposent, aujourd’hui, avec force et légitimité, dansn débat qui les concerne au premier chef. Ils se sont élevés,vec raison, contre des hypothèses d’inspiration (pseudo ?) psy-hanalytique exclusive, non prouvées, qui traduisaient souventne déformation caricaturale de la théorie du traumatisme etjoutaient à leur détresse un sentiment de culpabilité inutile etnjustifié. Les programmes à temps partiel qui font reposer surux la plus grande partie du temps passé avec l’enfant ont faite la collaboration confiante avec eux un des préalables à toutraitement possible.

Cette collaboration ne va pas sans mal. Nous voudrions insis-er ici sur quelques difficultés qui doivent toujours être prises enompte dans le travail avec les parents, faute de quoi, s’installentes malentendus ou des incompréhensions qui obèrent le travailvec l’enfant.

Tout parent, plus encore s’il a un enfant handicapé, s’estimeesponsable du devenir de son enfant. Ce sentiment inévitablee responsabilité peut s’exacerber en sentiment de culpabilité etnduire des comportements réactionnels. La culpabilisation desarents, souvent attribuée de manière polémique aux psychiatresu aux psychanalystes, préexiste, en fait, à leur intervention.elle-ci ne fait que la révéler, surtout si elle est maladroite ou

ntrusive, si elle questionne avec trop d’insistance sur sa vieersonnelle et sur son histoire, un parent angoissé qui réclamene aide pour son enfant et non, directement, pour lui-même.

Le sentiment de responsabilité doit être entendu dans les deuxens du mot, responsabilité à l’égard du passé, responsabilité à’égard du futur. Il peut aussi conduire les parents à s’engagerans des conduites de réparation dont ils s’estiment les seulsapables. Les parents peuvent alors vivre comme une concur-ence, sinon comme un véritable vol d’enfant, l’activité d’unequipe dont ils pensent, à tort ou à raison, qu’elle cherche à seubstituer à eux et les disqualifie.

Les parents peuvent encore se sentir déroutés par un langaget des pratiques dont ils ne comprennent ni le sens ni la portée.

l’inverse de l’école, ils n’ont, dans l’immense majorité desas, pas eu l’expérience personnelle d’un établissement de soinsu d’une psychothérapie. Dans toute prise en charge psychia-rique, surtout si elle est d’inspiration psychodynamique, il y aorcément, pour les proches, la mise au contact d’une culturetrangère, avec sa langue (parfois son jargon), ses croyancest ses rites particuliers. C’est peut-être pourquoi des méthodes

trictement éducatives qui ont pour modèle l’usage millénairees sanctions et des récompenses sont si bien accueillies par cer-ains mouvements de famille. Cet écart transculturel est accruorsque les équipes, comme il y a peu, sous prétexte de préserver
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rbdpbiucnttcctmmfisiddqsitbsadlcomportementaux restreints ? À côté de ces méthodes, ne doit-

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n espace privé pour l’enfant, tiennent les familles au dehors etestent très frileuses et très réservées lorsqu’elles sont interro-ées sur leur pratique.

Ces difficultés doivent engager les équipes soignantes à évi-er un certain nombre de fausses routes : fausse route d’unerétention étiologique qui ne repose sur aucune donnée scien-ifique sérieuse, fausse route d’une psychanalyse des parents

leur insu quand c’est l’enfant qu’il s’agit de traiter, fausseoute d’un mur érigé entre l’institution et la famille là où devraitégner une atmosphère de confiance et une transparence desratiques (ce qui ne signifie pas que l’enfant n’ait pas le droit àn espace privé et à une certaine confidentialité). Elles doiventussi les engager à déculpabiliser et à requalifier la famille, enespectant et en articulant avec celles des soignants les straté-ies inventées par la famille pour faire face à ses difficultés (ceui ne signifie pas qu’on doive s’abstenir de relever des stra-égies qui semblent négatives et, éventuellement, de proposer’essai d’autres stratégies qui pourraient se révéler plus effi-aces). Il ne s’agit pas de transformer les familles en thérapeutese l’enfant, encore moins de leur prescrire une méthodologie par-iculière, un mode d’emploi du parfait parent d’autiste. Il s’agitlutôt d’en faire des partenaires, les gardiens et les témoins de’histoire de l’enfant, dont l’apport informatif est toujours néces-aire et auxquels l’équipe soignante restitue, en retour, ce qu’elleobservé. Il arrive que cet échange d’informations, sous-tenduar un échange d’affects, parfois d’espoir, parfois de découra-ement, permet aux parents de construire avec des membrese l’équipe soignante une relation solide qui les aide dans leurie quotidienne et peut les amener, dans certains cas, à deman-er, pour eux, une psychothérapie, orientée alors en dehors de’équipe.

Sur le plan pratique, nous avons expérimenté un grandombre d’approches. À nos débuts, nous avions multiplié leravail à domicile. Voir l’enfant dans son milieu de vie, essayere comprendre avec ses proches la tyrannie qu’il pouvait exer-er sur son environnement et aussi les véritables cercles vicieuxelationnels qui, alors, se mettaient en place, nous aidaient à laois à mieux comprendre les souffrances des parents et à inscriree que nous pouvions observer chez nous dans le contexte d’uneistoire plus large.

Par la suite, nous avons réservé ces visites à domicile, d’uneart, à l’aide aux jeunes mères en difficulté avec un bébé, d’autreart, aux situations de crise, lorsqu’il fallait mieux comprendre etettre en histoire une séquence de comportements qui faisaient

clater l’enveloppe narrative de la famille et ne pouvaient, danseur intensité dramatique, que faire l’objet d’un compte rendu àhaud, d’une chronique et non d’un récit, où l’on peut calme-ent évoquer le passé. Nous avons alors proposé aux parents des

encontres, généralement mensuelles, avec le médecin référent,es contacts au moins hebdomadaires avec le(la) soignant(e)ndividuel(le) de l’enfant et des rencontres régulières avec lesééducateurs, les animateurs de groupes et les enseignants. Àes rencontres formalisées, s’ajoutaient des rencontres infor-

elles, fréquentes et inopinées entre l’un ou l’autre des parents et

es différents intervenants, à l’occasion des accompagnements.lles tissaient entre nous ce climat de confiance, fait d’histoiresntrecroisées, indispensable à la poursuite des soins.

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Plusieurs groupes de parents, généralement mensuels, ontermis aux parents de se connaître et d’établir entre eux deschanges et des aides. Des réunions plus informelles, goûtersu apéritifs, nous réunissaient, plusieurs fois l’an, à l’occasion’une fête, d’une rentrée, d’une présentation de projet, d’un bilane groupe. Des vidéos tournées lors de sorties ou d’activitésroupales donnaient aux parents une meilleure connaissance deotre travail et étaient l’occasion de débats. Pendant plusieursnnées, alors que le nombre de nos clients le permettait encore,ous avons invité les parents à une journée annuelle, à laquellearticipaient tous les soignants et tous les enseignants, et qui per-ettaient de larges discussions et une meilleure connaissanceutuelle. Ces journées ont disparu lorsque l’augmentation de

otre clientèle et de notre équipe en a rendu l’organisation pro-lématique. Elles sont restées dans le souvenir des plus anciensomme des souvenirs, des éléments d’histoire qu’on se racontearfois.

. Conclusion

Après des recommandations sur le diagnostic, la Haute Auto-ité de santé s’apprête à promulguer des recommandations deonnes pratiques. Nous avons voulu participer à l’élaboratione ces recommandations, en rappelant, à partir d’une expériencearticulière, un certain nombre des aspects d’un traitement glo-al multidimensionnel. Notre expérience actuelle de formateur,ntervenant pour des journées d’étude ou des supervisions dansn nombre conséquent d’institutions sanitaires ou médicoso-iales sur le territoire national, en Suisse romande et en Italie,ous a amené à constater que, sous ses aspects modernes de trai-ement à temps partiel articulé avec une scolarisation adaptée, ceraitement qu’on peut qualifier, au sens large, d’institutionnel,ar il vise à instituer le déroulement de la pensée dans un récitohérent, restait la référence dominante d’équipes motivées,ravaillant en partenariat avec les familles. À l’heure où des

éthodes à visée uniquement comportementale, un foisonne-ent de prises en charge rééducatives sans lien entre elles et sansl directeur, associées à une insertion scolaire désamarrée duoin semblent avoir la faveur de certaines familles, il paraissaitmportant d’insister sur l’importance de la narration (c’est-à-diree la mise en lien) dans la prise en charge des enfants souffrante troubles envahissants du développement. Si l’on n’a pas uni-uement pour objectif d’obtenir de ces enfants un comportementocialement acceptable, si l’on se préoccupe aussi de leur vientérieure, de développer, autant que faire se peut, leur imagina-ion et leur créativité, tout en apaisant leurs angoisses, si l’on veutien également tenir compte de la multiplicité et de la variété desituations qui sont masquées par le terme générique d’autisme,ppliqué de plus en plus largement à des modes d’existence trèsifférents, ne doit-on pas se défier d’une pensée unique qui neaisserait survivre que des méthodes ciblées sur des objectifs

n pas accorder, dans les programmes à venir et dans l’attentees évaluations nécessaires, une place à des approches coordon-ées, où le soin psychique pourrait continuer à s’articuler aveca pédagogie et l’éducation ?

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onflit d’intérêt

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