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CAS CLINIQUE La place du lambeau total de cuisse en chirurgie reconstructrice The total thigh flap in reconstructive surgery C.-C. Lazar * , I. Auquit-Auckbur, P.-Y. Milliez Unité de chirurgie plastique et reconstructrice-chirurgie de la main, centre hospitalo-universitaire Charles-Nicolle, 1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France Reçu le 1 er avril 2006 ; accepté le 22 septembre 2006 MOTS CLÉS Amputation ; Carcinome ; Escarre ; Lambeau cuisse ; Ostéite ; Paraplégie Résumé Les chirurgiens plasticiens doivent parfois prendre en charge de larges pertes de subs- tance du bassin, le plus souvent dans les suites de décubitus prolongé chez les patients para- plégiques. Dans ce cas, différents lambeaux sont habituellement utilisés afin de pouvoir faire face aux problèmes posés. Cependant, lorsque les méthodes conventionnelles de reconstruc- tion ont échoué ou sont dépassées, le lambeau total de cuisse représente lultime solution permettant dapporter des tissus bien vascularisés au niveau des pertes de substance. Nous rappelons ici la technique opératoire, ainsi que lintérêt de ce lambeau fiable en chirurgie reconstructrice en présentant deux cas où nous lavons employé avec succès. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Amputation; Carcinoma; Osteitis; Paraplegia; Pressure sore; Thigh flap Abstract Plastic surgeons have sometimes to face large pelvic tissue defects, particularly in paraplegic patients with recurrent pressure sores. This is frequently a reconstructive chal- lenge and different locoregional flaps may be useful to manage those wounds when medical solutions were unsuccessful. However, in cases when other reconstructive options have been exhausted the total thigh flap represents the last acceptable solution to cover the defects by providing a large volume of healthy tissue. We remind here the operative technique and its interest in reconstructive surgery by reporting our experience in two patients for which this flap was successfully used. © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Annales de chirurgie plastique esthétique 52 (2007) 144147 Sujet présenté sous forme de communication orale à loccasion de la Journée des jeunes plasticiens du 11 mars 2006 à la Maison de la Chimie à Paris, sous le titre : « Lambeau total de cuisse avec désarticulation : sa place en chirurgie reconstructrice. À propos de deux cas et revue de la littérature ». * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (C.-C. Lazar). 0294-1260/$ - see front matter © 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anplas.2006.09.003 available at www.sciencedirect.com journal homepage: www.elsevier.com/locate/annpla

La place du lambeau total de cuisse en chirurgie reconstructrice

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Annales de chirurgie plastique esthétique 52 (2007) 144–147

ava i lab le at www.sc ienced i rect .com

journa l homepage: www.e l sev ier.com/locate/annp la

CAS CLINIQUE

La place du lambeau total de cuisse en chirurgiereconstructrice ☆

The total thigh flap in reconstructive surgery

C.-C. Lazar*, I. Auquit-Auckbur, P.-Y. Milliez

Unité de chirurgie plastique et reconstructrice-chirurgie de la main, centre hospitalo-universitaire Charles-Nicolle,1, rue de Germont, 76031 Rouen cedex, France

Reçu le 1er avril 2006 ; accepté le 22 septembre 2006

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MOTS CLÉSAmputation ;Carcinome ;Escarre ;Lambeau cuisse ;Ostéite ;Paraplégie

Sujet présenté sous formeimie à Paris, sous le titre : «vue de la littérature ».

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : lazarcalin

94-1260/$ - see front mattei:10.1016/j.anplas.2006.09.

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Résumé Les chirurgiens plasticiens doivent parfois prendre en charge de larges pertes de subs-tance du bassin, le plus souvent dans les suites de décubitus prolongé chez les patients para-plégiques. Dans ce cas, différents lambeaux sont habituellement utilisés afin de pouvoir faireface aux problèmes posés. Cependant, lorsque les méthodes conventionnelles de reconstruc-tion ont échoué ou sont dépassées, le lambeau total de cuisse représente l’ultime solutionpermettant d’apporter des tissus bien vascularisés au niveau des pertes de substance. Nousrappelons ici la technique opératoire, ainsi que l’intérêt de ce lambeau fiable en chirurgiereconstructrice en présentant deux cas où nous l’avons employé avec succès.

© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSAmputation;Carcinoma;Osteitis;Paraplegia;Pressure sore;Thigh flap

Abstract Plastic surgeons have sometimes to face large pelvic tissue defects, particularly inparaplegic patients with recurrent pressure sores. This is frequently a reconstructive chal-lenge and different locoregional flaps may be useful to manage those wounds when medicalsolutions were unsuccessful. However, in cases when other reconstructive options have beenexhausted the total thigh flap represents the last acceptable solution to cover the defects byproviding a large volume of healthy tissue. We remind here the operative technique and itsinterest in reconstructive surgery by reporting our experience in two patients for which thisflap was successfully used.

© 2006 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

munication orale à l’occasion de la Journée des jeunes plasticiens du 11 mars 2006 à la Maison de lau total de cuisse avec désarticulation : sa place en chirurgie reconstructrice. À propos de deux cas et

.fr (C.-C. Lazar).

6 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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Introduction

Les chirurgiens plasticiens sont parfois amenés à opérer despatients présentant d’importantes lésions du bassin. Ils setrouvent alors confrontés à des problèmes de couverturequi relèvent de différents lambeaux locorégionaux ou libres[1,2]. Le lambeau total de cuisse a été initialement décritdans la prise en charge d’infections chroniques [3], puis desplaies volumineuses ou bien des escarres pelviennes éten-dues, souvent chez des paraplégiques [4–8]. Actuellementpeu utilisé, il ne doit être proposé qu’à des patientsconsentants, préalablement prévenus de ses risques et desséquelles qu’il entraîne. Il constitue une méthode fiablepermettant de gérer les rares situations où les autres tech-niques se trouvent dépassées ou ont échoué. Nous rappor-tons ici notre expérience à propos de deux cas.

Cas cliniques

Il s’agit de deux hommes paraplégiques de 53 et 44 ans.Le premier avait une escarre sacrée surinfectée étendue

(Fig. 1A), compliquée d’un carcinome spinocellulaire infil-trant confirmé par les biopsies. L’IRM préopératoire préci-sait la taille de la lésion (20 × 23 × 5 cm) et retrouvait une

Figure 1 A : carcinome spinocellulaire développé sur une volumet la lyse sacrée sous-jacente.

Figure 2 A : escarre trochantéro-ischiatique avec luxation et expl’ostéite majeure accompagnant la perte de substance.

extension présacrée ainsi qu’une lyse osseuse sacrée sous-jacente (Fig. 1B). Le reste du bilan d’extension était néga-tif.

Le second présentait une volumineuse escarretrochantéro-ischiatique avec exposition de la tête fémorale(Fig. 2A), le tout avec une altération de l’état général. Ilavait déjà subi plusieurs interventions au niveau du bassinet des membres, ce qui réduisait notre choix de lambeaux.Les biopsies étaient négatives et le scanner mettait en évi-dence une ostéite du cotyle, des branches ischiopubienneset de l’extrémité supérieure du fémur gauche (Fig. 2B).

Dans les deux cas, nous avons réalisé au cours d’unmême temps opératoire et après accord du patientl’exérèse lésionnelle (Fig. 3), la levée du lambeau aprèsamputation au niveau de l’extrémité supérieure de lajambe droite chez le premier et inférieure de la cuisse gau-che chez le second (Fig. 4) et son positionnement sur laperte de substance avec une couverture finale satisfaisante(Fig. 5). Les suites opératoires ont été relativement sim-ples, le retour dans le service se faisant après seulement24 heures de réanimation. Des soins quotidiens, une alimen-tation hypercalorique et une prévention accrue de nouvel-les escarres par changements positionnels et lits fluidisésont été assurés. L’obtention d’une cicatrisation de bonnequalité a été la règle, malgré une souffrance transitoire

ineuse escarre sacrée ; B : IRM montrant l’étendue lésionnelle

osition de l’articulation coxofémorale ; B : scanner visualisant

Figure 3 A : aspect périopératoire après excision de l’ensemble de la lésion, dévoilant une très grande perte de substance ; B :aspect préopératoire après un premier temps de résection tête et col.

Figure 4 A et B : lambeaux levés après ablation du fémur et amputation.

Figure 5 A et B : aspect des lambeaux positionnés sur la perte de substance en fin d’intervention, avec lames de drainage enplace.

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de l’extrémité du lambeau dans le premier cas. Les seulescomplications ont été un problème de colostomie avec chocseptique d’évolution favorable pour le premier patient etune reprise du lambeau pour dégraissage à un mois chez lesecond.

Discussion

Dans cette technique, l’ensemble des tissus musculocuta-nés de la cuisse est utilisé comme un lambeau pédiculésur les vaisseaux fémoraux. Comme il s’agit de patients fra-giles, il faudra, avant la chirurgie, traiter les facteurs decomorbidités associés et corriger les éventuels troublesnutritionnels. Par ailleurs, compte tenu du risque accru decomplications et des lourdes séquelles postopératoires, ilfaut prendre le temps d’expliquer aux patients les raisonsde notre choix en leur proposant, au besoin, un soutien psy-chologique, de les informer des avantages et inconvénientsde cette chirurgie et de recueillir leur consentementéclairé.

Lors de l’intervention, on utilise une voie d’abordpostéro-interne exposant fémur et genou. La désarticula-tion coxofémorale, le dépériostage et l’ablation de l’osfémoral sectionné seront successivement réalisés en pre-nant soin de préserver les pédicules vasculaires précités.Le membre sera ensuite amputé à une hauteur variableselon les besoins tissulaires. Enfin, le lambeau seraretourné et suturé sur la zone à couvrir, après mise enplace de dispositifs de drainage. Une à deux interventionspeuvent ainsi être nécessaires selon les auteurs, mais ilsemble qu’il vaut mieux préférer un seul geste opératoireafin d’éviter l’apparition de calcifications musculaireshétérotopiques [9].

Il s’agit là d’une méthode adaptée à la couverture delarges pertes de substance, aboutissant à une bonne cicatri-sation malgré le terrain sous-jacent.

Nous rappelons cependant que la prévention de ce typede lésions reste le premier traitement à entreprendre, enassurant des soins adaptés, une bonne éducation et unsuivi multidisciplinaire au long cours aux malades à risque.Par ailleurs, nous pouvons nous demander quels seraient leretentissement et les thérapeutiques encore disponiblesdans le cas d’un échec de cette intervention. Enfin, onpeut craindre d’éventuels problèmes ultérieurs d’aménage-ment du matériel propre à ces patients (fauteuils roulants,chaises…), bien que dans notre expérience les deux soient

partis vers un centre de rééducation à six et dix semainespostopératoires avec une récupération secondaire d’auto-nomie jugée comme satisfaisante.

Conclusion

Le lambeau total de cuisse reste une technique fiable per-mettant d’apporter une quantité suffisante de tissus bienvascularisés pour des plaies étendues du bassin, au prix delourdes séquelles parfois mal acceptées aussi bien par lepatient que par l’équipe soignante. Il s’agit d’une chirurgieextrême, dont les indications doivent rester limitées auxcas où les autres solutions sont dépassées. Nous pensonsmalgré tout que ce lambeau a toujours sa place dans l’arse-nal thérapeutique de la chirurgie reconstructrice, et qu’ilfaut savoir l’évoquer et oser le proposer face à certainessituations désespérées.

Références

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