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LA QUESTION DE L’IMPUTABILITÉ AU SERVICE DES · PDF fileSELARL&Cabinet&Coudray,&& JulieCOHADON,&Avocat&à&la&Cour&& 15&octobre&2012& ! Le cas particulier des maladies psychiques

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SELARL  Cabinet  Coudray,    Julie  COHADON,  Avocat  à  la  Cour    

15  octobre  2012  www.cabinet-­‐coudray.fr

 

LA QUESTION DE L’IMPUTABILITÉ AU SERVICE DES MALADIES RÉSULTANT DE LA

FRAGILITÉ PSYCHOLOGIQUE D’UN FONCTIONNAIRE EN DEHORS DE TOUTE FAUTE DE L’EMPLOYEUR PUBLIC

Le dispositif de la maladie imputable au service Que l’on parle de la fonction publique d’Etat (article de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984) de la fonction publique hospitalière (article de la loi n°86-33du 9 janvier 1986 ) ou de la fonction publique territoriale (article 57 de la loi 84-53 du 26 janvier 1984), les dispositions statutaires prévoient systématiquement que lorsque la maladie d’un fonctionnaire survient dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l’intégralité de son traitement jusqu’à ce qu’il soit en état de reprendre son service ou jusqu’à sa mise à la retraite. Le législateur a ainsi entendu garantir les agents publics de l’essentiel des conséquences financières d’une maladie contractée en raison de l’exercice de leurs fonctions (hormis la réparation des préjudices purement personnels). Le poids financier non négligeable d’un tel dispositif (paiement de l’intégralité du traitement et prise en charge des frais médicaux) est ainsi mis à la charge des employeurs publics. Les conséquences de la reconnaissance de l’imputabilité au service d’une maladie, extrêmement favorables aux agents visés mais particulièrement lourdes financièrement pour l’employeur public, expliquent l’abondance du contentieux administratif en la matière. En effet, ce dispositif conduit les agents publics à solliciter la reconnaissance de l’imputabilité au service de leur maladie dès lors qu’ils estiment qu’elle aurait un lien, même très tenu, avec le service alors que les employeurs publics sont, à l’inverse, de plus en plus regardants quant à la réalité de l’imputabilité au service d’une maladie contractée par l’un de leurs agents. Le juge administratif est donc régulièrement saisi de ce contentieux dont la question essentielle est de déterminer s’il existe un lien de causalité direct et certain entre la maladie contractée par l’agent public et les fonctions qu’il exerce au sein de la collectivité ou de l’établissement public.

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Les conséquences de l’état antérieur Parmi les nombreuses interrogations posées par cette problématique se trouve celle des conséquences de l’état de santé antérieur de l’agent sur la reconnaissance de l’imputabilité au service de sa maladie. Pratiquement, il s’agit de savoir si l’existence d’une affection préexistante de l’agent est, ou non, susceptible de remettre en cause le lien de causalité entre la maladie contractée et le service. Le Conseil d’Etat a clairement jugé qu’il n’était pas nécessaire que le service soit la cause exclusive de la maladie pour reconnaître l’imputabilité (CE 22 avril 2005, n° 248767). Ainsi, une affection préexistante ne peut, à elle seule, faire obstacle à l’imputabilité au service dès lors qu’il existe bien un lien de causalité entre la maladie et le service (13 juin 1997, N°122902). En revanche, la Haute Juridiction considère que lorsque la maladie (ou l’accident) est due à une fragilité du fonctionnaire qui ne trouve pas son origine directe, certaine et déterminante dans un fait de service, l’imputabilité doit être écartée :

« Considérant que Mme X..., agent technique qualifié de la COMMUNE DE CHELLES a été victime d'une éventration, le 21 janvier 1986 dans les locaux du restaurant scolaire, alors qu'elle brassait une importante quantité de légumes dans un récipient contenant 150 litres d'eau ; Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et notamment des procès-verbaux de la commission départementale de réforme des agents des collectivités locales qui a examiné à trois reprises le cas de Mme X... que l'accident dont elle a été victime est principalement imputable à la déficience de sa paroi abdominale, pour laquelle elle avait d'ailleurs été opérée en 1984 ; qu'il suit de là que cet accident, alors même qu'il est survenu à l'occasion et sur le lieu du service, doit être regardé comme ayant une origine dont la relation directe, certaine et déterminante avec le service n'est pas établie et ne constitue donc pas un accident de service ; que c'est dès lors à tort que, pour annuler les décisions du maire de Chelles des 22 juin et 16 décembre 1987 refusant de reconnaître l'imputabilité au service de cet accident, le tribunal administratif s'est fondé sur ce qu'il avait le caractère d'un accident de service ; » (CE, 30 juin 1997, n° 144621)

Dans ce cas, seule la faute de l’employeur public, liée notamment au fait qu’il ait eu connaissance des fragilités relatives à l’état de santé de l’agent et qu’il n’ait pas pris les mesures nécessaires pour éviter une aggravation de santé, est de nature à renverser cette analyse et à permettre la reconnaissance de l’imputabilité au service (CE 19 novembre 1997, n° 151732).

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Le cas particulier des maladies psychiques Cette jurisprudence s’est essentiellement construite dans le cadre de maladies (ou d’accidents) « physiques » contractées par les agents dans l’exercice de leurs fonctions. Mais la période plus récente, dominée par la notion de plus en plus prégnante de harcèlement moral au travail et, plus généralement, par la remise en cause des pratiques managériales de certaines entreprises, voit apparaître des demandes de reconnaissance d’imputabilité au service de maladies psychiques dont, notamment, les états dépressifs. Ce contentieux, récent, est évidemment bien plus difficilement appréhendable notamment quant à la question du lien de causalité entre la maladie et le service. Naturellement, dès lors qu’une faute de l’employeur public est reconnue, en particulier une situation de harcèlement moral, le juge considérera, sauf circonstances particulières, que l’état dépressif de l’agent est la conséquence de cette situation et confirmera l’imputabilité au service. Mais qu’en est-il lorsqu’il n’existe aucune faute de l’employeur public c’est à dire lorsque la dépression se révèle dans le cadre de l’exercice normal des fonctions de l’agent ? Doit-on considérer que l’arrêt de travail d’un agent public, lié aux difficultés qu’il ressent dans l’exercice de ses fonctions en raison de sa propre sensibilité (problèmes relationnels, stress, fatigue…) voire en raison de ses propres fautes (conflit avec sa hiérarchie, sanctions disciplinaires…), est imputable au service ? Autrement dit, l’exercice normal des fonctions d’un agent peut-il être considéré comme à l’origine directe, certaine et déterminante de la survenance d’un état dépressif ? La question est complexe et n’a, à ce jour, pas reçu de réponse claire.

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Des réponses jurisprudentielles peu satisfaisantes Récemment, deux juridictions de fond ont été saisies de la question et ont rendu, suivant une analyse tout à fait similaire, des décisions en faveur de l’imputabilité au service de l’état dépressif d’un agent en dehors de toute faute de l’employeur public :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier et notamment des rapports d’expertise établis par deux psychiatres les 16 juin 2008 et 14 juin 2009 que la symptomatologie d’état dépressif majeur qui a motivé les arrêts de travail de Mme T. du 25 mars au 12 mai 2008 est en relation directe avec les difficultés professionnelles qu’elle a connues au travail alors qu’elle était en conflit avec sa supérieure hiérarchique, conseillère à la protection de l’enfance ; qu’il est constant qu’aucune prédisposition, ni aucune manifestation pathologique de la même nature n’avait été décelée antérieurement chez ce fonctionnaire ; qu’à la suite d’un changement d’affectation dont a bénéficié Mme T. à sa reprise de fonctions, préconisé par le médecin du travail, l’intéressée, malgré les observations qui lui ont été adressées pour améliorer la qualité du travail, n’a plus bénéficié d’arrêts de travail ; que, dans ces conditions, la pathologie dont a souffert Mme T. du 25 mars au 12 mai 2009 doit être regardée comme ayant été contractée dans l’exercice des fonctions quand bien même seul le comportement de l’intéressée serait à l’origine des difficultés professionnelles rencontrées, justifierait les remarques que lui adressait sa supérieure hiérarchique ce qui exclurait toute hypothèse de harcèlement moral ; que, par suite, Mme T. est fondée à soutenir que c’est à tort que le président du conseil général de MEURTHE ET MOSELLE a refusé de reconnaître l’imputabilité au service de sa maladie (…) » (TA NANCY, 10 mai 2012, n° 1000893)

« Considérant (…) qu’en tout état de cause l’imputabilité au service

d’une maladie, notamment d’une dépression nerveuse, n’est pas subordonnée à l’existence d’une situation de harcèlement moral mais uniquement à son lien direct avec le service, Mme R. est fondée à soutenir que les décisions attaquées sont entachées d’une erreur d’appréciation dès lors qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que l’intéressée, dont le père est décédé en 2008, présentait des antécédents d’ordre psychologique alors que ses difficultés au sein de son service remontent à 2003, à la suite de son premier retour d’arrêt maladie » (TA LYON, 26 septembre 2012, n° 1007806)

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Les décisions précitées s’appuient sur un raisonnement en trois temps :

- d’une part l’imputabilité au service n’est pas subordonnée à l’existence d’une faute de l’employeur public ni à l’absence de faute de la victime

- d’autre part il existe bien un lien entre le service et l’état dépressif de

l’agent - enfin il n’existe pas d’état pathologique antérieur de l’agent

Ces trois points apparaissent discutables. Il n’est certes pas contestable que le régime de l’imputabilité au service a vocation à s’appliquer, dès lors que la maladie est liée au service, indépendamment de toute faute de l’employeur public. En revanche, dans certaines hypothèses, la faute de la victime est susceptible de faire obstacle à l’application de ce régime. Le Conseil d’Etat rappelle en effet régulièrement, selon une formule consacrée, que la maladie (ou l’accident) « survenue sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet accident du service, le caractère d'un accident de service » (CE 15 juin 2012, n° 348258) L’existence d’une faute personnelle, ou d’une circonstance particulière, détachable du service a donc pour conséquence d’écarter l’applicabilité du régime de la maladie imputable au service puisque, fort logiquement, lorsque l’origine de la maladie se trouve dans un acte qui est détachable du service, elle ne peut être considérée comme imputable au service. Cette analyse, rendue dans le cadre des maladies « physiques » doit également trouver à s’appliquer dans le cadre des maladies « psychiques ». Ainsi, et lorsque, comme dans le premier cas d’espèce cité, l’état dépressif de l’agent trouve son origine dans les difficultés professionnelles qu’il a lui même provoquées du fait de son comportement fautif, il faut nécessairement s’interroger sur le caractère détachable ou non détachable de ce comportement au service. S’il est vrai que la faute personnelle détachable du service est (très) rarement retenue par le juge administratif, il n’en reste pas moins qu’admettre l’imputabilité au service d’une maladie sans examiner le caractère détachable ou non du comportement fautif avéré de l’agent reste critiquable.

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Par ailleurs, l’existence d’un simple lien avec le service n’est pas suffisante pour démontrer l’imputabilité au service d’une maladie. Comme l’a exposé le Conseil d’Etat dans l’arrêt précité du 30 juin 1997, il faut que la maladie soit en relation directe, certaine et déterminante avec le service. Ainsi, pour reprendre l’espèce jugée par la Haute Juridiction, l’éventration subie par un agent de cuisine, bien qu’elle soit la conséquence directe et certaine de l’action, effectuée dans le cadre de ses fonctions, de brasser une grande quantité de légumes, n’est pas imputable au service car l’origine déterminante de l’éventration est la déficience de la paroi abdominale de l’agent et non les fonctions exercées dans le cadre du service. Dans les deux cas d’espèce susvisés, si le caractère direct et certain du lien de causalité entre la maladie et le service a été évoqué, les juges du fond n’ont pas constaté l’existence d’un lien déterminant avec le service. Or, on peut véritablement s’interroger sur le fait que l’exercice normal des fonctions d’un agent public puisse être l’origine déterminante d’un état dépressif. Ne faut-il pas considérer, en relation avec le point évoqué ci-dessus, que la maladie est liée, de façon déterminante, à une circonstance particulière détachable du service qui serait la fragilité psychologique propre à l’agent concerné ? Cette interrogation renvoie au troisième point de l’analyse des juges du fond : la question de l’état antérieur. Certes les agents en cause n’avaient pas d’antécédents dépressifs mais cela suffit-il à écarter l’existence d’un état antérieur qui serait la cause déterminante de cet état dépressif ? Si l’on admet que l’origine déterminante de l’état dépressif est le service et non la fragilité psychologique des agents en cause, pourquoi les autres agents travaillant dans le même service que ces derniers n’ont pas connu les mêmes symptômes dépressifs ?

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Des questionnements aujourd’hui sans réponse Ces questionnements démontrent la complexité de la matière et n’ont, pour le moment, pas été tranchés par le Conseil d’Etat. Les deux pourvois engagés par les employeurs publics à l’encontre des deux jugements susvisés seront peut être l’occasion pour les juges suprêmes de clarifier la situation.

Julie COHADON