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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE La tuberculose intestinale : à propos de 11 observations Intestinal tuberculosis: report of 11 cases N. Bel Kahla · N. Naija · H. Ouerghi · S. Chouaib · F. Ben Hariz · H. Chaabouni · N. Maàmouri · N. Ben Mami © Springer-Verlag France 2010 Résumé Introduction :L incidence de la tuberculose intes- tinale (TI) a augmenté au cours de ces dernières années. Cette augmentation est, en partie, liée à la pandémie due à linfection par le VIH. Le diagnostic de la maladie peut être difficile et repose le plus souvent sur des éléments de forte présomption. Le but de notre étude est de décrire les aspects épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques dune série tunisienne de TI de ladulte. Matériel et méthodes : Il sagit dune étude rétrospective de tous les cas de TI colligés au service de gastroentérologie B de lhôpital La Rabta de Tunis sur une période de 12 ans (de janvier 1996 à décembre 2007). Résultats : Onze patients ont été inclus : cinq hommes et six femmes, dâge moyen égal à 35 ans. Les manifestations cliniques étaient dominées par les douleurs abdominales. Le syndrome inflammatoire biologique (SIB) était constant. L intradermoréaction (IDR) à la tuberculine était positive dans 27 % des cas. Le Mycobactérium tuberculosis a été isolé dans les crachats dans un cas et dans les urines chez un patient. La sérologie VIH était négative dans tous les cas. Les lésions siégeaient dans la majorité des cas au niveau de la région iléocæcale (36 %) et étaient représentées dans la plu- part des cas par des ulcérations (72 %). Une sténose valvulaire ou iléale était notée dans 54,5 % des cas. L examen histolo- gique des biopsies iléales et/ou coliques a montré la présence de granulomes épithéliogigantocellulaires avec nécrose caséeuse dans 27 % des cas. Le bacille acidoalcoolorésistant (BAAR) a été isolé sur les biopsies iléocoliques chez trois patients. Une tuberculose extradigestive était associée dans 45 % des cas. Un traitement antituberculeux a été institué chez sept patients pendant une durée moyenne de neuf mois (quatre patients étaient perdus de vue). L évolution était favo- rable sur le plan clinique et endoscopique dans 86 % des cas. Conclusion : Bien que la Tunisie soit un pays de forte endé- micité pour la tuberculose, la localisation intestinale de la maladie semble rare. Elle doit cependant être évoquée de principe, notamment en présence dantécédents personnels ou familiaux de tuberculose ou devant des signes cliniques ou radiologiques évocateurs. Mots clés Tuberculose intestinale · Coloscopie · Iléoscopie · Traitement antituberculeux Abstract Introduction: In recent years, the incidence of intestinal tuberculosis has been increasing. This is, in part, due to the pandemic of HIV. Intestinal tuberculosis can be difficult to diagnose and needs a high index of suspicion. The aim of our study is to describe epidemiological, clinical and therapeutic aspects of intestinal tuberculosis in Tunisian adults. Material and methods: Retrospective study of all intestinal tuberculosis recorded from January 1996 to December 2007 in gastroenterology B department of Rabta Hospital in Tunis. Results: Eleven patients were included: five males and six females. Mean age was 35. Clinical manifestations were dominated by abdominal pain. Biologic signs of inflamma- tion were constant. The intradermal tuberculin reaction was positive in 27% of the cases.Mycobacterium tuberculosis- was identified in sputum or urine in two patients. HIV sero- logy was negative in all cases. Lesions were more frequently localized in the ileo-caecal area (36%). Ulcerations were pre- sent in 72% of the cases. In histology reports, a granuloma with caseating necrosis was present in three cases (27%).M. tuberculosiswas isolated on ileo-colonic biopsies in three patients (27%). Morphologic studies showed ileo-caecal valve or ileal stenosis in six patients (54.5%). Extraintestinal tuberculosis was associated in 45% of the cases. Antituber- culous therapy was given in seven patients for a mean dura- tion of nine months (four patients were lost). Clinical and endoscopic outcome was favourable in 86% of the cases. Conclusion: Although Tunisia is a high endemic country for tuberculosis, intestinal tuberculosis is rare. However, it should be suspected mainly in patient having history of tuberculosis or in case of characteristic clinical or radio- logical signs. N. Bel Kahla (*) · N. Naija · H. Ouerghi · S. Chouaib · F. Ben Hariz · H. Chaabouni · N. Maàmouri · N. Ben Mami Service de gastroentérologie B, hôpital La Rabta, Tunis, Tunisie e-mail : [email protected] J. Afr. Hépatol. Gastroentérol. (2010) 4:236-240 DOI 10.1007/s12157-010-0203-9

La tuberculose intestinale : à propos de 11 observations

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ARTICLE ORIGINAL / ORIGINAL ARTICLE

La tuberculose intestinale : à propos de 11 observations

Intestinal tuberculosis: report of 11 cases

N. Bel Kahla · N. Naija · H. Ouerghi · S. Chouaib · F. Ben Hariz · H. Chaabouni · N. Maàmouri · N. Ben Mami

© Springer-Verlag France 2010

Résumé Introduction : L’incidence de la tuberculose intes-tinale (TI) a augmenté au cours de ces dernières années.Cette augmentation est, en partie, liée à la pandémie due àl’infection par le VIH. Le diagnostic de la maladie peut êtredifficile et repose le plus souvent sur des éléments de forteprésomption. Le but de notre étude est de décrire les aspectsépidémiologiques, cliniques et thérapeutiques d’une sérietunisienne de TI de l’adulte.Matériel et méthodes : Il s’agit d’une étude rétrospective detous les cas de TI colligés au service de gastroentérologie Bde l’hôpital La Rabta de Tunis sur une période de 12 ans(de janvier 1996 à décembre 2007).Résultats : Onze patients ont été inclus : cinq hommes et sixfemmes, d’âge moyen égal à 35 ans. Les manifestationscliniques étaient dominées par les douleurs abdominales. Lesyndrome inflammatoire biologique (SIB) était constant.L’intradermoréaction (IDR) à la tuberculine était positivedans 27 % des cas. Le Mycobactérium tuberculosis a étéisolé dans les crachats dans un cas et dans les urines chezun patient. La sérologie VIH était négative dans tous les cas.Les lésions siégeaient dans la majorité des cas au niveau de larégion iléocæcale (36 %) et étaient représentées dans la plu-part des cas par des ulcérations (72 %). Une sténose valvulaireou iléale était notée dans 54,5 % des cas. L’examen histolo-gique des biopsies iléales et/ou coliques a montré la présencede granulomes épithéliogigantocellulaires avec nécrosecaséeuse dans 27 % des cas. Le bacille acidoalcoolorésistant(BAAR) a été isolé sur les biopsies iléocoliques chez troispatients. Une tuberculose extradigestive était associée dans45 % des cas. Un traitement antituberculeux a été instituéchez sept patients pendant une durée moyenne de neuf mois(quatre patients étaient perdus de vue). L’évolution était favo-rable sur le plan clinique et endoscopique dans 86 % des cas.Conclusion : Bien que la Tunisie soit un pays de forte endé-micité pour la tuberculose, la localisation intestinale de la

maladie semble rare. Elle doit cependant être évoquée deprincipe, notamment en présence d’antécédents personnelsou familiaux de tuberculose ou devant des signes cliniquesou radiologiques évocateurs.

Mots clés Tuberculose intestinale · Coloscopie ·Iléoscopie · Traitement antituberculeux

Abstract Introduction: In recent years, the incidence ofintestinal tuberculosis has been increasing. This is, in part,due to the pandemic of HIV. Intestinal tuberculosis can bedifficult to diagnose and needs a high index of suspicion.The aim of our study is to describe epidemiological, clinicaland therapeutic aspects of intestinal tuberculosis in Tunisianadults.Material and methods: Retrospective study of all intestinaltuberculosis recorded from January 1996 to December 2007in gastroenterology B department of Rabta Hospital in Tunis.Results: Eleven patients were included: five males and sixfemales. Mean age was 35. Clinical manifestations weredominated by abdominal pain. Biologic signs of inflamma-tion were constant. The intradermal tuberculin reaction waspositive in 27% of the cases.Mycobacterium tuberculosis-was identified in sputum or urine in two patients. HIV sero-logy was negative in all cases. Lesions were more frequentlylocalized in the ileo-caecal area (36%). Ulcerations were pre-sent in 72% of the cases. In histology reports, a granulomawith caseating necrosis was present in three cases (27%).M.tuberculosiswas isolated on ileo-colonic biopsies in threepatients (27%). Morphologic studies showed ileo-caecalvalve or ileal stenosis in six patients (54.5%). Extraintestinaltuberculosis was associated in 45% of the cases. Antituber-culous therapy was given in seven patients for a mean dura-tion of nine months (four patients were lost). Clinical andendoscopic outcome was favourable in 86% of the cases.Conclusion: Although Tunisia is a high endemic country fortuberculosis, intestinal tuberculosis is rare. However, itshould be suspected mainly in patient having historyof tuberculosis or in case of characteristic clinical or radio-logical signs.

N. Bel Kahla (*) · N. Naija · H. Ouerghi · S. Chouaib ·F. Ben Hariz · H. Chaabouni · N. Maàmouri · N. Ben MamiService de gastroentérologie B, hôpital La Rabta,Tunis, Tunisiee-mail : [email protected]

J. Afr. Hépatol. Gastroentérol. (2010) 4:236-240DOI 10.1007/s12157-010-0203-9

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Keywords Intestinal tuberculosis · Colonoscopy ·Ileoscopy · Antituberculous treatment

Introduction

La tuberculose intestinale (TI) représente une localisationrare de la tuberculose extrapulmonaire. Son incidence a aug-menté ces dernières années, liée à l’émergence de l’infectionà VIH. Son diagnostic peut être difficile et repose le plussouvent sur des éléments de forte présomption. La mécon-naissance du diagnostic représente une cause importante demorbidité et de mortalité. Le but de notre étude est de décrireles aspects épidémiologiques, cliniques et thérapeutiques dela TI de l’adulte.

Patients et méthodes

Nous avons revu rétrospectivement tous les cas de TI colli-gés sur une période de 12 ans (de janvier 1996 à décembre2007) dans le service de gastroentérologie B de l’hôpital LaRabta de Tunis. Le diagnostic de tuberculose a été retenu surla mise en évidence de granulomes épithéliogigantocellulai-res associés à une nécrose caséeuse à l’examen histologiquedes biopsies iléocoliques et/ou sur la présence de bacilleacidoalcoolorésistant (BAAR) à la culture des biopsies.Ailleurs, le diagnostic a été retenu sur des éléments deforte présomption basés sur un faisceau d’arguments clinico-biologiques, morphologiques et évolutifs. Pour chaquepatient, nous avons précisé l’âge, le sexe, la présence d’unantécédent personnel ou familial de tuberculose et lescirconstances de découverte de la maladie. Nous avonsrevu les résultats du bilan biologique, de la sérologie VIH,de l’intradermoréaction (IDR) à la tuberculine et des exa-mens bactériologiques à la recherche du BAAR, ainsi queles résultats des examens endoscopiques et morphologiqueset les données histologiques des prélèvements biopsiques.Les localisations tuberculeuses extra-intestinales ont étérecherchées. Enfin, les données concernant le traitementantituberculeux et l’évolution ont été précisées.

Résultats

Au cours de cette période, nous avons inclus 11 cas de TI.Il s’agissait de cinq hommes et de six femmes d’âge moyenégal à 35 ans (extrêmes : 16–63 ans). Le début des symp-tômes était insidieux dans 72 % des cas avec une duréemoyenne d’évolution de 13 mois (extrêmes de deux semai-nes à deux ans) au moment du diagnostic. Les manifestationscliniques étaient variables et non spécifiques, dominées parles douleurs abdominales (90 %) (Tableau 1). Les autrescirconstances de découverte étaient représentées par un

syndrome appendiculaire (n = 2), un syndrome subocclusif(n = 3) et une masse de la fosse iliaque droite (n = 3) condui-sant à un geste opératoire dans six cas (une hémicolectomiedans cinq cas et une résection iléocæcale dans un cas). Sur leplan biologique, un syndrome inflammatoire biologique(SIB) était constamment présent. Une anémie était notéechez huit patients (72 %) et une hypoalbuminémie danshuit cas (72 %). L’IDR à la tuberculine était positive cheztrois patients (27 %) ; elle était phlycténulaire dans deux cas.Le BAAR a été isolé dans deux cas (18 %) : dans les crachats(n = 1) et dans les urines (n = 1). La sérologie VIH a étépratiquée chez tous les malades et était négative dans tousles cas.

L’iléocoloscopie a été pratiquée chez dix patients.L’atteinte prédominait au niveau de la région iléocæcale(36 %). Les lésions endoscopiques étaient dominées par lesulcérations (72 %) (Fig. 1). Les autres lésions étaient unesimple congestion (45 %), une sténose (45 %), des pseudo-polypes (36%) ou un aspect pseudotumoral (9 %) (Tableau 2).

Tableau 1 Manifestations cliniques de la tuberculose

intestinale

Manifestations cliniques Nombre de

patients (%)

Douleurs abdominales 10 (90)

Altération de l’état général 6 (54)

Diarrhée 6 (54)

Fièvre 5 (45)

Syndrome subocclusif 3 (27)

Masse de la fosse iliaque droite 3 (27)

Syndrome appendiculaire 2 (18)

Fig. 1 Coloscopie : aspect rétracté du cæcum avec une muqueuse

congestive parsemée de larges ulcérations

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Le diagnostic histologique a été posé sur les biopsiesiléales et/ou coliques perendoscopiques ou sur la pièce derésection (pour les malades opérés) montrant la présencede granulomes épithéliogigantocellulaires dans sept cas,associés à une nécrose caséeuse chez trois patients (27 %).Dans les quatre cas restants, l’histologie révélait une inflam-mation non spécifique. Le BAAR a été isolé à l’examendirect et à la culture des biopsies iléocoliques chez troispatients (27 %).

La radiographie du thorax a objectivé, chez une patiente,la présence de cavernes au niveau des deux sommets pulmo-naires. Un lavement baryté et/ou un transit du grêle ont étépratiqués chez huit patients. Une sténose a été objectivéedans six cas, de siège valvulaire (n = 2) ou iléal (n = 4)(Fig. 2) ; la longueur moyenne de la sténose était de 13 cm(extrêmes : 5–25 cm). La sténose était bifocale dans un cas.Ailleurs, une rétraction cæcale et un aspect lacunaire cæcalétaient retrouvés respectivement dans six et deux cas. Uneéchographie abdominale a été réalisée chez huit maladesmontrant un magma d’anses digestives (n = 3), une collec-tion de la fosse iliaque droite (n = 2), un épaississement desanses digestives (n = 2), une masse de la fosse iliaque droite(n = 1) et un épanchement intrapéritonéal (n = 1). Elle nemontrait aucune anomalie dans un cas. Une tomodensitomé-trie abdominale a été réalisée chez un patient qui s’estprésenté dans un tableau de syndrome appendiculaire. Ellea montré une collection liquidienne de la gouttière pariéto-colique droite fusant vers le muscle psoas-iliaque droit.

Au terme des différents examens, le diagnostic de TI a étéretenu de façon certaine chez sept patients par la mise enévidence de granulomes épithéliogigantocellulaires, associésà une nécrose caséeuse chez trois patients et par la présence

du BAAR sur les biopsies coliques (n = 3) et dans lescrachats dans le cas d’un patient ayant une tuberculose iléalepure. Le diagnostic de tuberculose était probable dans lesquatre cas restants.

Une tuberculose extradigestive était associée dans cinqcas (45 %) : ganglionnaire (n = 2), pulmonaire (n = 1),urinaire (n = 1) et du psoas (n = 1).

Le traitement antituberculeux a été instauré chezsept patients consistant en une quadrithérapie quotidienne(isoniazide, rifampicine, pyrazinamide, éthambutol et/oustreptomycine) pendant une durée de deux mois relayéepar une bithérapie quotidienne (isoniazide, rifampicine).La durée moyenne totale du traitement était de neuf mois(extrêmes : 6–13 mois). L’évolution était favorable sur leplan clinique et endoscopique chez six patients (86 %). Unerésistance au traitement antituberculeux a été notée chez unpatient ayant une sténose iléale bifocale avec persistance desyndromes subocclusifs ; une antibiothérapie associant clari-thromycine, azithromycine et ofloxacine lui a été instauréependant trois mois avec persistance des syndromes subocclu-sifs nécessitant le recours à une hémi colectomie droite avecrésection iléale. Quatre patients étaient perdus de vue.

Discussion

L’incidence de la TI a augmenté au cours de ces dernièresannées, notamment dans les pays ayant une forte prévalencede l’infection à VIH [1–3]. La physiopathologie de lamaladie a été attribuée à plusieurs mécanismes :

• la dissémination du BAAR par voie hématogène à partird’une localisation pulmonaire active ;

Tableau 2 Siège et aspect endoscopique des lésions de tuber-

culose intestinale

Nombre de patients (%)

Localisation

Iléocæcale 4 (36)

Cæcale pure 3 (27)

Iléale pure 1 (9)

Cæcoappendiculaire 1 (9)

Iléo colique droite 1 (9)

Cæcocolique droite 1 (9)

Aspect endoscopique

Ulcérations 8 (72)

Congestion 5 (45)

Sténose 5 (45)

Pseudopolypes 4 (36)

Rétraction cæcale 2 (18)

Pseudo tumeur 1 (9)

Fig. 2 Lavement baryté : longue sténose, ulcérée de la dernière

anse iléale

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• l’ingestion par des patients atteints de tuberculose pulmo-naire active de salive infectée ;

• l’ingestion de lait contaminé ;

• la contamination par contiguïté à partir des organesadjacents atteints [2].

La TI touche essentiellement l’adulte jeune entre 20 et40 ans [4]. Les deux sexes sont atteints de manière égale [5]bien que certaines études rapportent une prédominance fémi-nine [6] ou masculine [7]. Les manifestations cliniques et bio-logiques de la maladie ne sont pas spécifiques expliquant ladifficulté du diagnostic. Le début est généralement insidieuxavec un délai moyen variable selon les séries ; ce délai était de82 jours dans la série de Collado et al. [4]. Dans notre série, ladurée moyenne des symptômes était plus longue (13 mois).Les signes cliniques sont dominés par les douleurs abdomina-les, observées dans 82 à 88 % des cas dans la littérature etprésentes chez dix de nos patients [4,7]. Une masse abdomi-nale peut être révélatrice dans 23,5 % [4,8]. Une masse de lafosse iliaque droite a été retrouvée dans 27 % des cas dansnotre série. Des formes aiguës pseudochirurgicales ont parailleurs été décrites [7]. Ainsi, un syndrome appendiculaireet un syndrome subocclusif sont respectivement notés dans18 et 14 % des cas ; ces formes ont été observées respective-ment chez 18 et 27 % de nos patients. Beaucoup plusrarement (< 10 %), la maladie peut être révélée par uneperforation intestinale qui serait secondaire à la nécrosecaséeuse de nodules tuberculeux intrapariétaux [9–11].

Sur le plan biologique, un SIB est fréquemment retrouvé(41 à 94 %) ; il était constant dans notre série. Ailleurs, dessignes carentiels peuvent être présents à type d’anémie(45 %) ou d’hypoalbuminémie (36 %) [4]. La fréquence depositivité de L’IDR est variable entre 64 et 73 % selon lesséries [5] ; sa négativité n’élimine pas le diagnostic. Elle étaitpositive chez 27 % de nos patients.

L’examen endoscopique, notamment l’iléocoloscopie estle meilleur examen pour le diagnostic de la TI [12,13]. Eneffet, il permet de préciser le siège des lésions, de décrireleurs aspects et souvent de confirmer le diagnostic, et ce,grâce à l’examen histologique des biopsies iléocoliques. Latuberculose peut toucher tout le tube digestif avec une pré-dilection pour la région iléocæcale (35 à 50 %) [12,14]. Cettelocalisation prédominante pourrait s’expliquer par la stasephysiologique, par le pouvoir élevé d’absorption digestiveet par l’abondance du tissu lymphoïde au niveau de cetterégion [2,5,8]. L’atteinte colique intéresse surtout le côlonascendant, le côlon transverse et le sigmoïde [5,12]. Lesautres localisations du tube digestif (jéjunum, côlon descen-dant, rectum et anus) sont beaucoup plus rares [9,15]. Dansnotre série, l’atteinte iléocæcale était prédominante (36 %).Les lésions sont le plus souvent segmentaires. Lorsqu’ellesatteignent le côlon, elles sont multifocales dans un tiers descas [16]. L’aspect endoscopique n’est pas spécifique et est

dominé par les ulcérations souvent transversales ou circon-férentielles [12] et les nodules (80–90 %). Les autres lésionssont représentées par les pseudopolypes, la rétraction cæcaleet les sténoses souvent multiples et segmentaires [7]. Dansnotre série, l’aspect ulcéré était prédominant (72 %). Uneassociation des différentes lésions chez un même maladeest le plus souvent observée.

L’absence de spécificité des signes cliniques et des lésionsendoscopiques explique la difficulté du diagnostic qui peutprêter à confusion avec d’autres maladies notamment lamaladie de Crohn (MC), le cancer, l’amibiase, la yersinioseet l’abcès périappendiculaire. Ainsi, il est impératif de réali-ser de multiples biopsies iléocoliques (8 à 10), sur les bergesdes ulcères, à la recherche de granulomes épithélioïdes etgigantocellulaires associés à la nécrose caséeuse qui repré-sentent la clé du diagnostic. Ces granulomes sont présentsavec une fréquence variant de 22 à 50 % selon les séries. Ilsétaient retrouvés chez 27 % de nos patients. Ils sont généra-lement en nombre très important, larges et confluents etassociés dans la quasi-totalité des cas à une importanteréaction inflammatoire. Ces caractéristiques permettent dedifférencier la TI de la MC, où les granulomes sont généra-lement non confluents, sans nécrose caséeuse et survenantsur une muqueuse peu inflammatoire [17].

Bien que rarement isolée (0 à 40 %), la recherche duBAAR à l’examen direct (colorations spécifiques au Ziehl-Nielsen) et à la culture des biopsies iléocoliques doit êtresystématique [2,18]. Les résultats de la culture sont cepen-dant tardifs avec un délai minimal de trois semaines. Néan-moins, cette technique a l’avantage d’étudier la sensibilité duBAAR aux différents antibiotiques. L’utilisation de lapolymerase chain reaction (PCR), de spécificité importante(85–95 %), permet un diagnostic plus rapide (48 heures)[19]. Dans notre série, le BAAR a pu être identifié grâce àla culture des biopsies coliques dans 27 % des cas.

Bien que non spécifiques, les examens radiologiquespeuvent aider au diagnostic. Ainsi, la mise en évidence à laradiographie du thorax de lésions séquellaires ou évolutivesévocatrices d’une localisation pulmonaire de la maladie per-met de conforter le diagnostic de TI [2,5]. L’abdomen sanspréparation peut montrer une dilatation des anses intestinaleset des calcifications ganglionnaires. Le transit du grêle ou lelavement baryté peuvent être contributifs en montrant unerétraction cæcale, un épaississement de la dernière anseiléale, des sténoses iléales et/ou coliques pouvant être uni-ques ou multiples et segmentaires [20]. Chez un de nospatients, une double sténose de la dernière anse iléale a étéretrouvée au lavement baryté et au transit du grêle. Laprésence, à l’échographie abdominale, d’une splénomégalie(67 %), d’une hépatomégalie (37 %) ou d’une ascite (26 %)constitue un argument supplémentaire pour le diagnostic dela TI. La tomodensitométrie abdominale peut être

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contributive notamment pour écarter le diagnostic de MC enprésence d’adénopathies à centre hypodense correspondant àla nécrose caséeuse (89 %) [2].

Des localisations extra-intestinales peuvent être asso-ciées ; une tuberculose pulmonaire ancienne ou active estretrouvée dans 15 à 25 % des cas [7]. Dans notre série, unetuberculose ganglionnaire était associée dans 18 % des cas etune atteinte pulmonaire dans 9 % des cas.

Le traitement antituberculeux est sans particularité en casd’atteinte intestinale. Le schéma recommandé dans notre paysse base sur une quadrithérapie quotidienne de deux mois sui-vie par une bithérapie quotidienne. La durée totale du traite-ment n’est pas consensuelle. Toutefois, un régime de six moisest recommandé [21-23]. Ce traitement est généralement bientoléré et efficace dans plus de 90 % des cas (86 % dans notresérie). En effet, il permet de prévenir la survenue de compli-cations et de réduire le taux de morbidité et de mortalité [5]. Ilpermet par ailleurs une disparition complète des sténoses dans70 % des cas (66 % dans notre série). La résistance au traite-ment antituberculeux est rare ; elle est rapportée dans 3–10 %dans la littérature (14 % dans notre série). En cas de résis-tance, la modification du traitement antituberculeux doit sebaser sur la réalisation d’un antibiogramme. Les quinoloneset les macrolides sont les antibiotiques les plus utilisés, et ladurée du traitement est généralement prolongée à au moins12mois [5]. Le recours à un traitement chirurgical est estimé àun taux entre 25–75% dans la littérature [22]. La chirurgie estréservée aux cas de doute diagnostique et dans les formescompliquées (perforation, fistules, hémorragies incontrôla-bles). Elle peut également être envisagée en cas de sténosesymptomatique persistante après un traitement antitubercu-leux bien conduit. Dans notre série, un seul patient (14 %) aété opéré devant la persistance d’une sténose symptomatiquesous traitement médical.

Conclusion

Bien que la Tunisie soit un pays de forte endémicité pour latuberculose, la localisation intestinale de la maladie semblerare. Elle doit cependant être évoquée de principe devant dessymptômes cliniques et des anomalies radiologiques évoca-teurs et d’éventuels antécédents personnels ou familiauxde tuberculose. En effet, la confusion de la maladie avecd’autres pathologies, en particulier la MC peut amener à laprescription à tort d’une corticothérapie. Celle-ci peut aggra-ver la symptomatologie clinique et favoriser l’apparition decomplications.

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