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Prostate La tuberculose prostatique. À propos de 2 cas Prostatic tuberculosis. Two cases A. Benchekroun *, A. Iken, A. Qarro, H. Aelalj,Y. Nouini, L. Benslimane, Z. Belahnech, H. Jira, H. Kasmaoui, M. Marzouk, M. Faik Clinique urologique A, hôpital Avicenne, Rabat, Maroc Reçu le 26 décembre 2001 ; accepté le 3 avril 2002 Résumé Les auteurs rapportent 2 observations de tuberculose prostatique isolée. Il s’agit de 2 patients âgés respectivement de 59 et 62 ans. Les 2 patients ont consulté pour une symptomatologie obstructive du bas appareil urinaire. Chez un malade, l’aspect dur de la prostate au toucher rectal et le taux élevé de l’antigène spécifique de la prostate nous ont conduits à réaliser une biopsie prostatique qui s’est révélée négative. Le diagnostic a été posé sur l’analyse des copeaux de résection. Le traitement se fonde essentiellement sur les antibacillaires et la résection transurétrale de la prostate. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract The authors report 2 cases of prostatic tuberculosis. The patients are 59 and 62-years-old respectively. They presented obstructive and irritative symptoms of the lower urinary tract. The prostatic finding and PSA were abnormals. The prostatic biopsy was negative. The diagnosis of prostatic tuberculosis was made by histologic analysis after transuretral resection of prostate. The treatment is based on chemotherapy anti-tuberculosis. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Prostate ; Tuberculose Keywords: Prostate; Tuberculosis 1. Introduction La première description de tuberculose prostatique a été faite en 1882 par Jasmin [1]. La forme isolée est extrême- ment rare, comme en témoigne la rareté des observations publiées dans la littérature. À la lumière de 2 observations colligées dans notre ser- vice, les auteurs se proposent de rapporter les particularités anatomopathologique, clinique et thérapeutique de cette af- fection. 2. Observations 2.1. Observation n o 1 Il s’agit d’un patient de 59 ans, hospitalisé au service pour une symptomatologie obstructive du bas appareil urinaire associant une dysurie et une pollakiurie invalidante. Le toucher rectal montre une hypertrophie prostatique de consistance élastique, à limite nette et dont le poids est estimé à 50 g. L’urographie intraveineuse montre une empreinte prostatique sur le bas-fond vésical avec un haut appareil urinaire normal, le résidu postmictionnel est estimé à 120 cc. La radiographie pulmonaire est normale. Le patient a bénéficié d’une résection transurétrale de la prostate. L’étude histologique des copeaux de résection est * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Benchekroun). Annales d’urologie 37 (2003) 120–122 www.elsevier.com/locate/anndur © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. DOI: 10.1016/S0003-4401(03)00032-9

La tuberculose prostatique. À propos de 2 cas

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Prostate

La tuberculose prostatique. À propos de 2 cas

Prostatic tuberculosis. Two cases

A. Benchekroun *, A. Iken, A. Qarro, H. Aelalj,Y. Nouini, L. Benslimane,Z. Belahnech, H. Jira, H. Kasmaoui, M. Marzouk, M. Faik

Clinique urologique A, hôpital Avicenne, Rabat, Maroc

Reçu le 26 décembre 2001 ; accepté le 3 avril 2002

Résumé

Les auteurs rapportent 2 observations de tuberculose prostatique isolée. Il s’agit de 2 patients âgés respectivement de 59 et 62 ans. Les 2patients ont consulté pour une symptomatologie obstructive du bas appareil urinaire. Chez un malade, l’aspect dur de la prostate au toucherrectal et le taux élevé de l’antigène spécifique de la prostate nous ont conduits à réaliser une biopsie prostatique qui s’est révélée négative. Lediagnostic a été posé sur l’analyse des copeaux de résection. Le traitement se fonde essentiellement sur les antibacillaires et la résectiontransurétrale de la prostate.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The authors report 2 cases of prostatic tuberculosis. The patients are 59 and 62-years-old respectively. They presented obstructive andirritative symptoms of the lower urinary tract. The prostatic finding and PSA were abnormals. The prostatic biopsy was negative. The diagnosisof prostatic tuberculosis was made by histologic analysis after transuretral resection of prostate. The treatment is based on chemotherapyanti-tuberculosis.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Mots clés : Prostate ; Tuberculose

Keywords: Prostate; Tuberculosis

1. Introduction

La première description de tuberculose prostatique a étéfaite en 1882 par Jasmin [1]. La forme isolée est extrême-ment rare, comme en témoigne la rareté des observationspubliées dans la littérature.

À la lumière de 2 observations colligées dans notre ser-vice, les auteurs se proposent de rapporter les particularitésanatomopathologique, clinique et thérapeutique de cette af-fection.

2. Observations

2.1. Observation no 1

Il s’agit d’un patient de 59 ans, hospitalisé au service pourune symptomatologie obstructive du bas appareil urinaireassociant une dysurie et une pollakiurie invalidante.

Le toucher rectal montre une hypertrophie prostatique deconsistance élastique, à limite nette et dont le poids est estiméà 50 g. L’urographie intraveineuse montre une empreinteprostatique sur le bas-fond vésical avec un haut appareilurinaire normal, le résidu postmictionnel est estimé à 120 cc.La radiographie pulmonaire est normale.

Le patient a bénéficié d’une résection transurétrale de laprostate. L’étude histologique des copeaux de résection est

* Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

(A. Benchekroun).

Annales d’urologie 37 (2003) 120–122

www.elsevier.com/locate/anndur

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.DOI: 10.1016/S0003-4401(03)00032-9

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en faveur d’une tuberculose prostatique caséofolliculaire. Untraitement antibacillaire de 6 mois associant la streptomy-cine, la rifampicine, l’ isoniazide et la pyrazinamide lui a étéproposé. L’évolution est favorable.

Actuellement, avec un recul de 2 ans, il ne présente pas detroubles mictionnels et l’urographie intraveineuse decontrôle est normale.

2.2. Observation no 2

Il s’agit d’un patient de 62 ans, présentant depuis 8 moisune symptomatologie obstructive du bas appareil urinaire. Ilest admis au service pour rétention aiguë d’urine.

Le toucher rectal objective une prostate hypertrophiée, deconsistance dure et à surface nodulaire.

Le diagnostic de cancer prostatique a été fortement sus-pectéet le taux de l’antigène spécifique de la prostate (PSA)est à 49 ng ml–1. L’échographie prostatique a montré uneprostate hétérogène avec des zones de calcifications au cen-tre. Une échographie endorectale avec biopsie a étéen faveurd’une prostatite chronique non spécifique.

L’urographie intraveineuse et la radiographie pulmonairesont sans particularités. Devant le caractère obstructif, unerésection transurétrale de la prostate a été réalisée. L’étudeanatomopathologique des pièces de résection était en faveurd’une tuberculose prostatique (Fig. 1). Le patient a reçu lemême schéma thérapeutique que le premier malade. Actuel-lement, avec un recul de 2 ans, le patient a un bon statutmictionnel et l’urographie intraveineuse est normale.

3. Discussion

Notre expérience de la tuberculose urogénitale nous amontré une grande rareté de la tuberculose prostatique. Eneffet, parmi 200 patients colligés dans notre service au coursde ces 20 dernières années, 2 seulement ont une tuberculoseprostatique.

Cette rareté est soulignée par la majorité des auteurs.Benjelloun [1], sur une série de 54 patients, ne rapporte

aucun cas de prostatite tuberculeuse alors que Tazi en a décrit2 [2] ; sur une série de 80 patients. Scoth du « BradyUrological Institute » de Baltimore estime à6,6 % le taux detuberculose prostatique dans une série de 227 patients.

La tuberculose génitale est souvent secondaire à une in-fection rénale. Cependant dans certains cas, cette atteinte estabsente (le cas de nos 2 observations). Coulaud [3] a fourniles données expérimentales précises sur le cycle évolutif dubacille de Koch dans l’appareil urogénital en faisant varier lavirulence et la quantité du BK injecté. Il a démontré que lavoie hématogène est la plus probable. D’autres voies depropagation du bacille de Koch ont été également citées sansjamais être démontrées. Il s’agit de la voie lymphatique et dela voie canalaire. Pour Sporer également [4], c’est la voiehématogène qui est la plus probable. D’autres hypothèses ontété émises pour expliquer l’atteinte du tractus génital : conta-mination directe de l’urètre lors des manœuvres endoscopi-ques ; l’hypothèse que la tuberculose génitale peut être unemaladie sexuellement transmissible reste probable, surtoutque des BK vivants ont étémis en évidence dans le sperme encas de tuberculose prostatique. À ce jour il n’a étédécrit que9 cas de transmission sexuelle ayant abouti àune infection del’appareil génital féminin.

Certains auteurs ont également émis l’hypothèse du risquede contamination prostatique, au cours de la BCG thérapie.

Sur le plan anatomopathologique, les lésions histologi-ques n’ont aucun caractère particulier et se présentent sousforme de follicules tuberculeux typiques groupés en granula-tion ou un nodule dont la lésion élémentaire est représentéepar le granulome épithélio-giganto-cellulaire avec nécrosecaséeuse.

En revanche, l’aspect macroscopique dépend de 2 proces-sus opposés, l’un de destruction et de caséification créant lescavernes, l’autre de défense par fibrose limitant l’extensiondes lésions. C’est ce mécanisme de fibrose qui induit unensemble de signes d’obstruction. Les lésions prostatiquessont d’abord sous forme de traînées jaunâtres disposées en« rayon de roue ». Ensuite, il se forme des plaques caséeusesqui, après ramollissement, aboutissent à un véritable abcèsprostatique, non traité, l’évolution peut aboutir vers l’appari-tion de fistules périnéales. L’atteinte des vésicules séminalesest souvent associée à l’atteinte prostatique.

Sur le plan clinique, les signes d’obstruction du bas appa-reil sont souvent au premier plan. En effet, le patient peut seprésenter pour une dysurie, une pollakurie ou une pesanteurpérinéale. L’examen clinique prend toute son importance,dont le but est de rechercher une atteinte des organes géni-taux internes. Le toucher rectal pourra mettre en évidenceune prostate augmentée de volume soit de consistance élas-tique (1re observation) soit de consistance ferme voire pier-reuse ou nodulaire (2e observation). Néanmoins, les donnéesdu toucher rectal n’ont aucun caractère spécifique et peuventprêter confusion avec un adénome ou un cancer prostatique[2–4].

Ainsi, le diagnostic reposera sur la recherche du BK dansles urines ou dans le liquide séminal. Négative, cette recher-

Fig. 1. Aspect histologique montrant un granulome épithélio-giganto-cellulaire.

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che ne peut pas éliminer le diagnostic. Cependant, la recher-che de BK dans le liquide séminal semble donner lesmeilleurs résultats. Actuellement, la sérologie tuberculeusepar le test immunoenzymatique (Elisa) et la réaction depolymérisation en chaîne (PCR) sont les moyens de réfé-rence pour le diagnostic biologique de la tuberculose avecune sensibilité respectivement de 80 et 95 % [5–8]. La biop-sie prostatique est un élément de choix pour le diagnostic.Nous l’avons réalisée une fois mais elle a été négative. Larecherche de BK dans les urines ni dans le sperme n’a pas étéfaite pour les 2 malades, parce qu’on n’a pas pensé audiagnostic de tuberculose prostatique en préopératoire. Pourle premier malade, on était parti pour une hypertrophie béni-gne de la prostate, vu l’aspect élastique de la prostate autoucher rectal. Pour le deuxième malade, on avait pensé àuncancer de prostate vu l’aspect nodulaire de la prostate autoucher rectal et le taux élevé de PSA à 49 ng ml–1.

Sur le plan de l’ imagerie, aucun signe radiologique n’estspécifique [8]. Sur l’échographie, la prostate apparaît aug-mentée de volume avec des limites souvent irrégulières etune échostructure hétérogène avec parfois des zones de cal-cification et de nécrose. L’échographie endorectale permetune meilleure analyse des lésions tout en offrant l’avantagede guider une éventuelle biopsie [2,9,10]. L’urographie intra-veineuse apporte des arguments de forte présomption detuberculose (rein mastic, caverne, petite vessie, etc.). C’estsur l’UIV et à la radiographie pulmonaire que nous avonsconclu chez nos 2 patients àune atteinte isolée de la prostate.

Le traitement est avant tout médical reposant sur l’utilisa-tion des antibacillaires (isoniazide, rifampicine, pyrazina-mide, streptomycine et l’ethambutol).

Les règles de base de l’utilisation de ces médicamentssont :

• l’association judicieuse d’au moins 3 antibacillairespendant la phase initiale du traitement, dont le but est deréduire le plus tôt possible la population bacillaire auniveau des lésions ;

• la durée suffisante du traitement ;• la prise régulière des médicaments ;• et la prise unique, à jeun, des antibacillaires.Chez nos 2 patients, un schéma thérapeutique de 6 mois a

étéproposé réparti, en 2 phases : une phase initiale associantla streptomycine, la rifampicine, l’ isoniazide et la pyrazina-

mide 3 jours sur 7 pendant 2 mois et une phase de continua-tion associant l’ isoniazide et la rifampicine 6 jours sur 7pendant 4 mois.

Le respect de ce schéma permet actuellement la stérilisa-tion de toutes les lésions tuberculeuses.

Le traitement chirurgical (résection endoscopique) trouveses indications dans le cas où existe une obstruction du basappareil urinaire.

4. Conclusion

La tuberculose prostatique est une affection rare et quipose le problème de diagnostic différentiel avec l’adénome etle cancer de la prostate. Son diagnostic est le plus souventhistologique grâce à la lecture minutieuse des copeaux derésection. Son traitement repose avant tout sur la chimiothé-rapie antibacillaire associée à la résection transurétrale de laprostate en cas d’obstruction.

Références

[1] Benjelloun S, Meziane E, Meziane F, Elmrini M. La tuberculoseurogénitale, Notre expérience à propos de 58 cas acta-urologica.Belgica 1987;55(4):566–77.

[2] Tazi K, Nouri M, Elkhadir K, Elghorfi A, IbnattyaA, Hachimi M, et al.La tuberculose prostatique, À propos de 2 cas. Ann Urol 1999;33(4):274–6.

[3] Gorse J, Belshe RB. The male genital tuberculosis. A Review of theliterature with instructive case reports. Rev Infect Dis 1985;7:511–24.

[4] Sporer A, Oppeinheimer G. Tuberculosis of prostate gland and semi-nal vesicules. J Urol 1957;78(3):278–86.

[5] Moor Ira. Tuberculosis of the prostate gland. J Urol 1937;37:372–84.[6] Rayyaan A, Crupta S. Detection of antigen of mycobacterium tuber-

culosis in patient of fertility by monoclonal antibody sandwichedenzyme linked immuno absorbant (Elisa). Tuberculosis au lung dis-ease 1993;74:200–3.

[7] Pveda JD. Apport de la PCR au diagnostic de la tuberculose. Lettreinfectiol 1993;8(1).

[8] De La Pena A, De La Pena E. Tuberculosis of the prostate gland. JUrol 1944;16:125–32.

[9] Galbis S, Sanjuan F, Cidke M, Rodriguez R. Tuberculous prostaticabcess in acquierd immunodeficiency syndrome. Arch Esp Urol 1997;50(4):393–5.

[10] Dana A, Michel J, Affre J, Moreau JF. Étude radiologique des lésionsprostatiques chez les tuberculeux urinaires. J Radiol 1979;1(60, no

6–7):379–85 Masson, Paris.

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