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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 56 (2008) 461–467 Article original L’adoption à l’épreuve de l’adolescence The adoption in the event of the adolescence F. Body Lawson a,, L. Dacqui a , D. Sibertin-Blanc b a 4 e secteur de psychiatrie infanto-juvénile, hôpital d’Enfants, CHU de Brabois-Nancy, allée du Morvan, 54510 Vandœuvre-lès-Nancy, France b 2 e secteur de psychiatrie infanto-juvénile, centre psychothérapique Nancy-Laxou, CMP, 1, avenue Voltaire, 54300 Lunéville, France Résumé La fréquence des situations cliniques impliquant un adolescent adopté et ses parents, la violence des conflits qui s’y expriment comme les difficultés à les dénouer plaident pour la mise en place d’une consultation spécialisée avec plusieurs objectifs : rassembler des expériences souvent éparses, faciliter l’accès aux soins, développer des approches thérapeutiques précoces, voire préventives. En effet, dans la quête identitaire qui les pousse à vouloir connaître impérativement la vérité sur leurs origines, ces adolescents mettent à rude épreuve la réciprocité de leurs liens avec leurs parents adoptifs, et de manière souvent déterminante pour l’avenir. Dans cet article, nous comptons faire partager notre démarche actuelle en l’éclairant de vignettes cliniques. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract There has been a recent increase in frequency of clinical cases involving often violent and complex conflicts between an adopted teenager and his/her parents. In their quest to understand the truth about their previous familial history, these teenagers tend to severely challenge the reciprocity of their relation with their foster parents, with often decisive consequences for their future. This increase in incidents urges for the implementation of a new specialized approach with the following objectives: collect the too-often sparse experiences and history from the patient(s) and family, facilitate the access to care and, finally, develop early-on (and possibly preventive) therapeutic approaches. In this article, we plan to describe our current approach and illustrate its implementation with clinical cases. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Adolescence ; Adoption réciproque ; Traitement précoce et préventif Keywords: Adolescence; Mutual adoption; Early-on and preventive treatment 1. Introduction La complexité des liens avec toute leur charge affective qui unissent adoptés et adoptants rend compte de l’intensité parfois dramatique des conflits qui surgissent entre eux, comme de la difficulté à les prévenir, les circonscrire et même les com- prendre. L’adolescence, comme chacun sait, période de tension, de crise et moment charnière pour la construction de l’identité est, à cet égard, attendue avec appréhension par nombre de parents adoptifs comme une épreuve de vérité. Pour le clinicien qui intervient alors à leur demande, souvent pour des troubles Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Body Lawson). du comportement particulièrement insistants, la difficulté est double. Il doit recenser et démêler les nombreux facteurs actuels et ceux plus anciens à l’origine des symptômes pour tenter de les hiérarchiser, mais surtout pacifier les conflits de savoir et de pouvoir qui, sinon, risquent de jeter les protagonistes dans des rapports de force sans fin. Souvent en effet, chacun se défausse sur l’autre, les parents en ayant tendance à incriminer le patrimoine génétique ou l’histoire antérieure de l’enfant, l’adolescent en ayant tendance à accuser ses parents adoptifs ou l’un d’eux d’injustice ou pire d’indifférence à son égard. Quant au psychiatre, il serait plutôt enclin à attribuer le mal aux sou- venirs traumatiques de l’enfant d’avant son adoption, souvenirs enfouis, réprimés et rendus à jamais inaccessibles, mais révélés par un effet d’après-coup par les comportements actuels. La 0222-9617/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2008.04.016

L’adoption à l’épreuve de l’adolescence

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Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 56 (2008) 461–467

Article original

L’adoption à l’épreuve de l’adolescence

The adoption in the event of the adolescence

F. Body Lawson a,∗, L. Dacqui a, D. Sibertin-Blanc b

a 4e secteur de psychiatrie infanto-juvénile, hôpital d’Enfants, CHU de Brabois-Nancy, allée du Morvan, 54510 Vandœuvre-lès-Nancy, Franceb 2e secteur de psychiatrie infanto-juvénile, centre psychothérapique Nancy-Laxou, CMP, 1, avenue Voltaire, 54300 Lunéville, France

ésumé

La fréquence des situations cliniques impliquant un adolescent adopté et ses parents, la violence des conflits qui s’y expriment comme lesifficultés à les dénouer plaident pour la mise en place d’une consultation spécialisée avec plusieurs objectifs : rassembler des expériences souventparses, faciliter l’accès aux soins, développer des approches thérapeutiques précoces, voire préventives. En effet, dans la quête identitaire qui lesousse à vouloir connaître impérativement la vérité sur leurs origines, ces adolescents mettent à rude épreuve la réciprocité de leurs liens aveceurs parents adoptifs, et de manière souvent déterminante pour l’avenir. Dans cet article, nous comptons faire partager notre démarche actuelle en’éclairant de vignettes cliniques.

2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

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There has been a recent increase in frequency of clinical cases involving often violent and complex conflicts between an adopted teenager andis/her parents. In their quest to understand the truth about their previous familial history, these teenagers tend to severely challenge the reciprocityf their relation with their foster parents, with often decisive consequences for their future. This increase in incidents urges for the implementationf a new specialized approach with the following objectives: collect the too-often sparse experiences and history from the patient(s) and family,

acilitate the access to care and, finally, develop early-on (and possibly preventive) therapeutic approaches. In this article, we plan to describe oururrent approach and illustrate its implementation with clinical cases.

2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

ots clés : Adolescence ; Adoption réciproque ; Traitement précoce et préventif

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eywords: Adolescence; Mutual adoption; Early-on and preventive treatment

. Introduction

La complexité des liens avec toute leur charge affective quinissent adoptés et adoptants rend compte de l’intensité parfoisramatique des conflits qui surgissent entre eux, comme dea difficulté à les prévenir, les circonscrire et même les com-rendre. L’adolescence, comme chacun sait, période de tension,e crise et moment charnière pour la construction de l’identité

st, à cet égard, attendue avec appréhension par nombre dearents adoptifs comme une épreuve de vérité. Pour le clinicienui intervient alors à leur demande, souvent pour des troubles

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (F. Body Lawson).

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222-9617/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.neurenf.2008.04.016

u comportement particulièrement insistants, la difficulté estouble. Il doit recenser et démêler les nombreux facteurs actuelst ceux plus anciens à l’origine des symptômes pour tenter dees hiérarchiser, mais surtout pacifier les conflits de savoir ete pouvoir qui, sinon, risquent de jeter les protagonistes danses rapports de force sans fin. Souvent en effet, chacun seéfausse sur l’autre, les parents en ayant tendance à incriminere patrimoine génétique ou l’histoire antérieure de l’enfant,’adolescent en ayant tendance à accuser ses parents adoptifs ou’un d’eux d’injustice ou pire d’indifférence à son égard. Quant

u psychiatre, il serait plutôt enclin à attribuer le mal aux sou-enirs traumatiques de l’enfant d’avant son adoption, souvenirsnfouis, réprimés et rendus à jamais inaccessibles, mais révélésar un effet d’après-coup par les comportements actuels. La
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ancœur des uns et des autres peut aussi se conjuguer pour incri-iner la défaillance des systèmes sociaux, en principe garants

u processus d’adoption. Faute de pouvoir partager sa vérité,ouvent chacun à la longue s’enferme dans ses convictions enefusant tout dialogue mais au prix d’une radicalisation desonflits.

Les données épidémiologiques montrent la très granderéquence et la diversité des troubles du comportement à’adolescence des enfants adoptés [1,2]. Il peut s’agir de troubleses conduites et des conduites alimentaires, de troubles anxieux,épressifs avec ou sans tentatives de suicides. . . Plusieurs fac-eurs de risques d’ordre socio-environnemental, génétique etiologique ont été identifiés. Mais beaucoup d’auteurs insistentur l’importance de la baisse de l’estime de soi, soumise elle-ême à des influences très diverses, comme le sexe, la race,

’échec scolaire, les événements de vie, la famille, la consom-ation de tabac, d’alcool, la prise de drogue. . . [3]. Si cette

aisse de l’estime de soi généralement durable inhibe tout pro-essus adaptatif (Alaphilippe et al. cité par Guillon) [3], elle’associe souvent à une peur de l’intimité dans les relationsonduisant parfois à des ruptures inattendues par crainte d’êtreejeté. Ces paroles d’adolescents illustrent bien ce ressenti : « sia propre mère ne m’a pas aimé, qui va m’aimer ? » ; « j’ai étébandonné parce que j’étais mauvais et depuis je sais que jee vaux rien ». Ces adolescents, habités par une « blessure pri-itive » [4], n’imaginent pas un instant qu’ils aient jamais été

imés par leur mère et comprennent à vrai dire assez mal ceuxui leur assurent que leur abandon a été « un geste d’amour ».À qui va-t-on faire croire que quand on aime son bébé, on peut

e quitter, voire le donner ? ». La haine qu’ils nourrissent contreux rejaillit aussi sur leur « mère de naissance » qui aurait dû lesn protéger. Du même coup, ils sont sans illusion sur leur aveniru’ils imaginent à l’image de leur passé, perdu d’avance.

. L’adolescent sous l’emprise du passé revisité

L’adolescence, à travers ses mouvements contradictoires etes ambivalences, fait surgir avec force la question des liens auxutres. Il en est ainsi des liens avec l’enfance dont l’adolescentoit faire le deuil, des liens noués avec les figures parentalesont il cherche à se détacher, mais dont ses aspirations identifi-atoires l’appellent à rester encore à leur côté. Le processus deéparation–individuation se joue aussi à travers les liens avec lesairs qui l’accompagnent. Entre le passé dont il doit se séparer et’avenir auquel il a à se préparer, il hésite, procède par essais etrreurs, mais malgré tout chemine. Ainsi prend-t-il peu à peu laesure des difficultés qui l’attendent comme de ses ressources

nternes pour leur faire face et finit-il par s’approprier le nouveaut l’inconnu qui émergent en lui. « Qui suis-je ? », « À qui vais-jeessembler ? ». Parmi ses interrogations, certaines portent ainsilutôt sur l’identité et d’autres sur les identifications. Certes,ien de vraiment nouveau car toute son enfance en a été bercée.a nouveauté tient à la place que ces interrogations occupent

ésormais dans ses pensées, mais surtout aux initiatives déci-ives qu’elles vont lui faire prendre face à son destin d’adulte qui’appelle à assumer la perpétuation de la lignée. Mais laquelle etvec qui ? Si pour certains, sûrs de leur appartenance familiale

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t de leur filiation, ces questions sont l’occasion d’un regain deonfiance et d’un sentiment nouveau de liberté, pour d’autres,omme les enfants adoptés, elles sont source d’indicibles tour-ents qui les ramènent à leur existence d’êtres privés d’attaches,

e repères et de ressorts pour se diriger, choisir, grandir, espérer.Parmi ces derniers, nombreux ont été privés précocement de

gures parentales stables, sécurisantes et propres à les inspirer, àes aider à contenir leur violence interne et à les décider à dépas-er leurs conflits. Leur adolescence les confronte à un sentimente vide interne ou un trop plein de haine envers eux-mêmes,ais surtout ceux aussi qui, estiment-ils, ont failli dans leurs

onctions d’éducation et de transmission en ne leur laissant enéritage que la nostalgie d’un passé perdu.

. Récupérer l’identité errante

Il en est ainsi pour de nombreux adolescents qui ont enommun d’avoir été adoptés. Ils sont poussés par un besoinmpérieux et vital de revisiter leur passé, de le reconstruire poure construire et combler ainsi les trous de leur histoire commeutant de trous dans leur identité. Certains s’engagent alors avecne rare obstination dans l’aventure risquée de la recherche deeurs origines, mus par le besoin de rencontrer leurs parents bio-ogiques ou au moins de connaître leur destin ainsi que celuie leur éventuelle fratrie. Peu à peu, beaucoup découvrirontes risques qu’ils ont pris en cherchant à ouvrir les portes ver-ouillées de leur histoire : une amère désillusion et beaucoup deéception face à un silence abyssal ou le retour intact de souve-irs douloureux du passé, ceux de l’enfant livré à lui-même quie débattait comme il pouvait pour survivre au chaos insensé deon histoire.

C’est ce même et incessant questionnement pour Naomi, der-ière d’une fratrie de trois enfants, tous adoptés. Elle passe sesuits à la recherche d’internautes qui voudraient échanger aveclle leurs textos. Elle dit en avoir besoin pour supporter sesarents qui sont trop exigeants avec elle, bien plus que pouron frère et sa sœur, très doués sur le plan scolaire. Elle penseême « qu’elle n’est pas dans la famille qu’il lui faut ». Elle

’argumente en expliquant que son adoption a été difficile sur lelan administratif, au point que ses parents y auraient un tempsenoncé avant de se raviser. Naomi en déduit qu’ils ne sont pasuthentiques dans leur amour pour elle et « qu’elle n’est pasa fille qu’il leur fallait ». Son frère et sa sœur ont été adoptésébés, alors qu’elle avait déjà trois ans. Elle sait que sa mère aû l’abandonner, car elle avait enfreint les règles de son villagen fréquentant un étranger à sa tribu « ce n’était pas l’hommeu’il fallait. . . Et c’est à elle de payer ! ».

Dans son existence, tout est affaire de mauvais apparie-ent, pense-t-elle : elle trouve que ses parents ne vont pas bien

nsemble, elle voulait pratiquer un sport, mais cela ne plaisaitas à sa mère, elle voudrait faire plus tard de la photographieais sa mère a décidé qu’elle devrait faire plutôt des études

aramédicales, etc. Dans sa classe, « elle n’est pas la fille qu’il

aut parce qu’elle n’a pas de marques » (pas de vêtements de

arque). Sa mère la trouve « pénible » car « elle ne veut rien ».l reste à Naomi à attendre d’avoir la majorité pour « ne plusvoir de parents ».

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Certains s’effondrent, d’autres se protègent par le déni etrrêtent leur recherche en espérant tout oublier. Mais quelquesns s’acharnent et s’insurgent contre les silences, les mensongest les mystères entretenus sur leur filiation. Ils projettent alorsouvent leur rage impuissante contre leurs parents adoptifs, auoint de mettre en doute la légitimité de leur autorité ou deécuser l’authenticité de leur engagement à leur égard. Leur exi-ence de vérité les pousse dans des positions radicales où ils’ont de cesse de vouloir retrouver l’autre filiation, la « vraie »,la bonne », là où ils ont leurs vraies racines et où ils pourraient

écupérer la part errante de leur identité et reconstituer leur unitéerdue. Mais au lieu de l’expression protestataire d’un désir’autonomie, on assiste bien souvent à des engagements exaltésans des choix identificatoires aliénants. La mise en acte du fan-asme du « retour aux origines» avec l’espoir de reconquérir unemnipotence perdue met dangereusement à l’épreuve les liensvec leurs parents adoptifs, au risque d’une rupture déchirantet souvent catastrophique.

. Sous le regard des parents adoptifs

C’est parfois le scénario auquel se préparent depuis le débutertains parents adoptifs, qui à trop craindre une rupture lorse l’adolescence de leurs enfants la précipitent. Le deuil quees parents ont fait de leur fertilité s’est déplacé sur l’exercicee leur parentalité avec l’anticipation d’un échec annoncé.ertains tentent de le conjurer en se lancant dans l’aventuree l’adoption d’« un enfant à problèmes ». D’autres, à court’arguments pour tenter de rétablir une autorité parentale mal-enée, menacent ouvertement leur enfant de l’abandonner, voire

e le renvoyer dans son pays d’origine. Mais en attisant sonngoisse d’abandon, ils l’incitent surtout à durcir ses positionsontre eux et à contester un peu plus l’adoption qu’ils lui ontfferte. Il ne lui reste plus alors comme seul horizon qu’à rêver’un monde meilleur dont il a été injustement privé et à réinscrireon passé dans un roman familial idéalisé auquel il lui arriveraeut-être de croire.

Dans le roman Où es-tu ? de Lévy [5], Lisa, petite fille métissee mère étasunienne et de père inconnu, de nationalité hondu-ienne, est déclarée orpheline. Sa mère Susan, flirt de jeunessee Philip, est partie au Honduras en mission humanitaire aidera population meurtrie par un cyclone. Par simple lettre et allé-uant une promesse passée, elle confie Lisa à Philip qui l’imposeomme deuxième enfant à son épouse Mary. Lisa à l’âge de 14ns, en colère, adressera à Mary l’éternel « tu n’es pas ma mère »e certains adolescents. Mary avait fini par accepter cette filleu’elle n’avait pas désirée. Elle donnera cette réponse un soir àisa « Je suis ton paradoxe, il est vrai que tu ne seras jamaisa fille, mais je serai toujours ta mère ». Susan revient du Hon-uras pour la graduation (baccalauréat) de Lisa qui a alors 19ns. Lors de cette rencontre, Lisa déclara à sa mère : « tu es monaradoxe, je ne serai jamais ta fille mais tu seras toujours ma

ère » en refusant le collier hérité de la grand-mère maternelleue sa mère lui offre.

Question : de qui Lisa est-elle la fille ? Et qui est la véritableère de Lisa ?

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Ce que déclare Lisa peut être dit à sa propre mère biologique àui l’on accepte le fait qu’elle nous ait mis au monde, mais à qui’on ne reconnaît pas la capacité à donner l’amour si nécessairenotre existence en tant que personne. Une réponse possible estu’il y a deux « vraies » mères qui cohabitent : la mère adoptive eta mère biologique. Même si la réponse lui parait insatisfaisante,a mère nourricière doit faire savoir à l’enfant qu’il peut aimersa facon ses deux mères, tout comme une mère peut aimer de

acon différente deux enfants différents.Soulé et Noël nous font remarquer que « le plus grand besoin

e l’enfant est d’avoir une relation sécurisante avec ses parentst dans sa filiation ». Lorsque c’est le cas, sa mère adoptive est saère, son père adoptif, son père et ses parents sont ses « vrais »

arents [6]. En effet, la « vraie » mère, celle que l’on appelle avecffection maman et le « vrai » père, donc papa sont « ceux à qui’enfant a rendu leur statut de parent » [. . .] « Les sentiments deliations et de parentalité s’établissent, non entre procréateurt procréés, mais entre ceux qui ont vécu ensemble le conflitdipien et le roman familial » [7].

Hamad écrit dans L’enfant adoptif et sa famille : « une adop-ion ne marche que si l’enfant adopte ses parents adoptifs » [8].oubier-Boula nuance en ajoutant de surcroît que c’est selon

es capacités de l’enfant à gérer dans son économie psychiquee qui reste de son histoire traumatique [9]. On comprend laréférence de Hamad pour l’adjectif « adoptif » qui, par rapportu mot « adopté », rend compte d’un processus dynamique enours où l’enfant est lui-même « dans un projet à la fois portét porteur » et non le bénéficiaire passif d’un acte signé ou d’unrocessus définitivement abouti. Du côté de l’enfant, il s’agit’atténuer ou de panser (penser) les traces qu’ont laissées lesarents biologiques (abandonnants). Du côté des parents, enga-és dans un processus complexe de parentalité, il s’agit d’évaluerù en est le deuil de la stérilité et l’espoir d’enfanter un jour, et deesurer le niveau de disponibilité et d’engagement, la place de

’enfant idéal qu’ils avaient construit dans leur désir d’adoptionnitial.

. Une double appartenance menacante ?

La problématique culturelle vient parfois nourrir la méfianceéciproque et alimenter l’incertitude dans le tissage des liensntre parents et enfants adoptifs. L’écart ressenti à ce niveau pares parents comme une menace pour la pérennité des liens deliation et pour l’intégration de leur adolescent à leur propreulture encourage celui-ci à penser sa culture d’origine commen bien précieux et un vestige fragile qui le relie à ses racinest qu’il lui faut pour cette raison à tout prix sauvegarder. Mais’est au risque de rompre avec sa communauté d’appartenancet, finalement, de n’appartenir à aucune, de se vivre commeuspendu dans un état d’acculturation et étranger au monde,oué à vivre dans une extrême solitude.

Kaës a développé le concept de « différence du troisièmeype » qui illustre bien la situation des adolescents adoptés

l’étranger. « La différence culturelle consisterait dans laétaphorisation (le déplacement et/ou la condensation) de

a différence des sexes et des générations ». L’enfant, para présence et par sa recherche de lui-même, renforcerait

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l’étrangeté » de la situation [10]. Par sa différence physiquet son appartenance culturelle originelle, le jeu des identifica-ions se trouverait entravé et le sentiment d’étrangeté mis auremier plan avec des parents qui ne se reconnaîtraient pas danseur enfant, renforcant la difficulté « à faire famille ». On passe’une collusion fantasmatique à une collision du fantasme aveca réalité : l’enfant est étranger, différent, angoissant, au point’être une menace pour le couple car ne remplissant pas le contratarcissique familial [10].

Warwzyniak et al. pensent que dans la configuration cliniquee l’adoption internationale, il existe en plus d’un choc néces-aire à l’adolescent pour son développement (D.W. Winnicott),un choc des représentations relatives à l’autre et à sa cultureriginaire, elle aussi “autre”. C’est ce choc qui peut aboutirune destruction des liens tissés entre les enfants adoptés et

eurs parents adoptifs. . . aboutissant à une exacerbation desaines et rejets mutuels que l’avènement de l’adolescence rendpossibles” [11] ».

Nous pensons ici à Joséphine, petite fille originaire d’Haïti,ue sa mère adoptive, francaise, pense envoûtée car elle estméchante », ne lui obéit pas et ne fait que des bêtises. Trèsatholique, la mère a pensé faire venir un exorciste pour soignera fille. « Ne faut-il pas plutôt un sorcier ? » Cette collision entrees cultures renforce le vrai problème : celui d’une adoption quiarde à être prononcée car la mère hésite entre l’adoption simplet plénière et du même coup à reconnaître sa fille comme sienne.

Il en est ainsi de Gabriel, 14 ans, que ses parents amènent auxrgences, car ils n’en peuvent plus et souhaitent que l’on fasseite quelque chose pour lui. « Vous êtes notre dernière chancevant de lâcher l’affaire ». Ils décrivent Gabriel tel un garconnstable, « qui ne s’arrête jamais », « n’est jamais tranquille »,ne respecte pas les consignes ». Ses parents ne voient en lui

ien de positif et ne savent parler que de son ingratitude. Ilsspèrent cependant beaucoup d’un traitement médicamenteuxont on leur a beaucoup parlé pour le calmer (le méthylphéni-ate) et d’une solution durable pour que « leur fils se comportenfin comme il faut ». Depuis deux ans, Gabriel présente enffet des troubles du comportement de plus en plus difficilementaîtrisables. Il en convient mais dit ne pouvoir s’empêcher de

aire des bêtises, car « il est né mauvais garcon ». Et ajoute-t-l, « s’il fait tout pour se faire rejeter » – il y parvient avec sa

ère, en revanche son père tient encore – « c’est pour ressem-ler à ses parents naturels » dont il sait qu’ils ont versé dans laélinquance.

En reprenant en détail son histoire, nous constatons queabriel n’a intégré le domicile de ses parents que depuiseux mois. Il vivait jusqu’alors chez sa grand-mère maternelleui n’est autre que son ancienne assistante maternelle et avecaquelle il s’était plutôt bien entendu. Gabriel est le benjamin’une fratrie de six enfants. Tous ont été retirés de la garde deeurs parents pour carence affective. Après un long séjour enoyer, Gabriel est placé à l’âge de deux ans dans cette famille’accueil avec l’un de ses frères. Il est resté en contact avec

es autres frères et sœurs grâce à des rencontres fréquentes etédiatisées. Il le doit surtout aussi à sa sœur aînée qui a tou-

ours fait le lien entre eux et avait à cœur de voir chacun dees frères et sœurs, prolongeant ainsi son rôle de mère de sub-

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titution lorsqu’ils vivaient ensemble dans la maison familiale.ais c’était alors une nécessité car leur mère présentait après

haque grossesse une dépression du post-partum et était sou-ent alitée. Après le décès de ses parents (la mère d’un cancert le père des suites de son alcoolisme), Gabriel est devenudoptable. Maria, la « tata », aurait bien aimé l’adopter, maislle estimait être trop âgée (58 ans). Du jour au lendemain,abriel a été ainsi retiré de sa famille d’accueil pour retourner

n foyer dans l’attente d’une adoption. Mais très vite il dépé-it et tombe dans une dépression profonde tandis que de sonôté « la tata » pleurait, notamment à chaque visite de sa filleaya, en se culpabilisant de ne pas avoir accepté l’adoption.ela a duré environ un an, un an de souffrance pour l’enfant etour la famille « d’accueil-adoptive » jusqu’à ce que le juge soitessaisi par la Protection de l’enfance à la demande de Maya40 ans) et de son mari Patrice qui voyaient là l’occasion d’avoirn fils. Après les tribulations administratives, Gabriel bénéfi-ie d’un accueil chez Maya « pour faire une bonne action pourui et la mamie ». La « tata » devient alors Mamie. Il n’est pasllé directement et à temps plein chez ses parents momentané-ent indisponibles en raison d’une maladie de Maya. Il y allait

out de même certains week-ends. Au bout d’un an, Maya etatrice demandent au juge une adoption sans trop faire la dif-érence entre l’adoption simple et plénière. Gabriel avait alorsuit ans et c’est lui qui a dit au juge qu’il voulait l’adoptionlénière, une adoption qui s’est faite « naturellement » précisee père de Gabriel. Les contacts avec la famille d’origine ontté maintenus, particulièrement avec une des sœurs, Alexan-ra, mariée et mère de deux enfants chez qui Gabriel passaites vacances. Au sein de sa fratrie adoptive, il a une sœur,mélie, enfant du couple et âgée de 21 ans. Gabriel dit ne rienartager avec elle. Pour Amélie, Gabriel est aussi responsablees soucis de santé de sa mère, Maya (maladie auto-immunee type lupique découverte à l’âge de 13 ans ; accident vascu-aire cérébral deux mois après le décès de l’arrière-grand-mère

aternelle ; infarctus du myocarde dû au stress qu’elle affirmeen lien avec le comportement de Gabriel » et découverte d’un

rouble du rythme cardiaque à l’holter durant l’hospitalisationniquement pendant une visite de Gabriel). Ses parents recon-aissent que leur fils est intelligent et capable, mais justement,ela ne fait qu’accentuer leur rancœur contre lui car « il devraitomprendre ». Gabriel affirme clairement qu’il préférait le tempsù il vivait chez sa grand-mère, se sentant écartelé entre saère et celles qui ont fait office de mères, à savoir sa grand-ère et sa sœur depuis que sa mère lui fait l’injonction de

hoisir entre elles trois. Et il reste persuadé que si ses parentsdoptifs permettent le maintien de ses liens avec sa fratrie,’est pour se débarrasser de lui les week-ends, qu’il passehez sa sœur aînée « biologique ». Il peut d’autant plus justi-er cette pensée que sa mère adoptive, son mari, la grand-mèret leur fille à l’occasion de deux voyages en Amérique latineu pays d’origine de la mère l’ont confié à sa « sœur biolo-ique ». Les parents ont jugé bon de ne pas l’emmener avec eux,

lléguant que cela « n’avait rien à voir avec lui ». La grand-ère a été fille-mère à 17 ans et était issue d’une famille aisée.’est pour ces raisons que Maya n’a pas été élevée par saère mais par sa propre grand-mère. Ce n’est qu’à l’âge de
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8 ans, lors de l’émigration familiale en France après un coup’État dans son pays d’origine, qu’elle est arrivée au domi-ile de sa mère. L’histoire se répéterait donc. Toujours est-ilue la relation est tendue entre Maya et sa mère. La secondeeprochant à la première de toujours lui demander des comptes.n même temps, Maya dit tout à sa mère. Au retour de leurériple sud-américain, Gabriel n’a pas repris contact avec sasychothérapeute ! Un éducateur du service d’investigation et’orientation éducative nous contacte au même moment et nousit : « il a été oublié par ses parents chez sa sœur depuis la finoût ».

. Discussion

.1. Quand le roman adoptif s’opère

Même si parfois dans certaines situations de « crises »’adolescent rejette ses parents biologiques et revendique uneutre appartenance, nous savons que c’est souvent une recherchee soi. Selon Marcelli et Braconnier, à l’adolescence, « l’adoptéoit intégrer dans son identité une double généalogie, d’unôté celle des adoptants, de l’autre celle des parents géni-eurs ». Ces deux auteurs se réfèrent aux travaux de Mackie selonesquels « pour l’adolescent adopté il y a un risque réel derise avec une confusion de l’identité et l’établissement d’unedentité négative, qui s’exprime souvent par une hostilité mépri-ante et prétentieuse à l’égard des rôles que la famille et’entourage recommandent. C’est une identité perversement éta-lie sur toutes les identifications et les rôles qui, aux stadesritiques antérieurs du développement, avaient été présentésomme indésirables ou dangereux » [12]. L’adolescent peut alors’identifier à cette mauvaise partie supposée de lui-même : « jeuis né mauvais garcon, je fais comme mes parents », « est-ceue l’alcoolisme est héréditaire ? ». Gabriel se questionne maisente d’échapper à la sentence et au jugement de ses parentsdoptifs. Il fait le lien entre le mauvais comportement que luieproche son entourage, les traits de personnalités pathologiquese ses parents d’origine et la représentation négative qu’en faiton entourage. Cela induit la crainte d’une hérédité pathogène13] avec le risque de faire apparaître et de développer une iden-ité négative [14]. Pour Naomi adoptée à l’âge de trois ans, leoman familial s’élabore avec les parents adoptifs. Elle cherchecontacter sur Internet des inconnus, certainement « sa mère » à

aquelle elle pense avec nostalgie. Dans la mesure où ses parentsnt beaucoup hésité avant de l’adopter, elle a la conviction dee pas avoir été désirée par eux, mais de leur avoir été impo-ée. Mais Naomi est en échec scolaire, au contraire de son frèret de sa sœur. Elle se rendra compte plus tard que son oppo-ition agressive traduit un comportement de fuite et de refusu modèle de réussite proposé par ses parents [8]. Mais sonécu est désormais marqué par le sentiment « de ne pas être la

onne personne, de ne pas être à sa place. . . » Et elle sembleésormais condamnée à la chercher inlassablement. . . Peut-êtrera-t-elle un jour la chercher dans son lointain pays d’origine,ans doute pour se rendre compte que sa place n’est plus là-bason plus ?

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.2. Faut-il découdre les liens pour les tisser autrement ?

Si Gabriel garde beaucoup d’affection pour sa grand-mèreinsi que pour ses frères et sœurs biologiques, il a beaucoupe difficultés à trouver les mots pour qualifier son ressenti à’égard de sa famille adoptive. Sa mère lui reproche souvent deréférer sa grand-mère à elle. Elle ne cesse de le rendre res-onsable de son état de santé, « elle va mourir à cause de lui »t en retour il a bien sûr peur d’être responsable de sa mort.ous savons maintenant que Maya a une santé fragile depuis

’âge de 13 ans. Il est, comme elle aussi, sous l’emprise de sonassé car son histoire n’est reconnue que dans une élaborationamiliale « mauvaise » (représentation négative des géniteurs).abriel ne peut que s’identifier à une image d’enfant mauvais.

l y parvient assez bien à sa manière en se demandant souvent si’alcoolisme est héréditaire. Les parents dans leur demande deonsultation et de solution urgente, avec la menace de « lâcher’affaire », nous rapportent leurs difficultés et nous adressent ceue Warwzyniak et al. nomment « des demandes d’autorisationdressées à un “sous-moi de la parentalité”, en quelque sorte,continuer la réalisation de leur projet » [11]. La dernière

hance diront-ils même avant d’interpeller le juge, l’Autresur-moi ».

Ici, nous nous questionnons. Qu’est-ce qui fait obstacle à’adoption ? Du côté de l’enfant, a-t-on bien examiné en amonta capacité à être adopté, c’est-à-dire sa capacité à régressert surtout à accepter des repères totalement différents ? [15]’est-à-dire, selon Soulé et Lévy-Soussan, la capacité à repasserar une position plus infantile, plus immature et permettre ainsises parents une phase de maternage, de corps à corps, de

emandes orales exclusives [16].L’âge de l’adoption a été tardive (huit ans pour Gabriel

t trois ans pour Naomi). Le temps de carence ou la duréee latence, entre l’abandon (ici c’est le départ de la famille’accueil, de chez «tata-mamie » pour le foyer) et l’adoptiontait-il trop long ? [17] Est-ce la force des liens antérieurs et saermanence avec la fratrie et la tata-mamie qui n’a pas permisux nouveaux liens avec les parents de se tisser ? Ou bien sonnvestissement comme substitut maternel de sa sœur, puis deon assistante maternelle empêche-t-il sa mère de prendre uneosition parentale du fait d’un conflit œdipien non liquidé ?

Est-il seulement sous l’emprise de son propre passé ou est-e que son histoire ne fait pas écho avec celle de sa mère,ar le passage par la case « grand-mère » avant d’aller sur laase « mère » ? Gabriel « n’est certainement pas loyal, il seomporte comme ca, après tout ce qu’on a fait pour lui. Ilourrait être au moins reconnaissant » nous dira son père.our Soulé et Levy-Soussan, « cette exigence de reconnais-ance de l’enfant envers eux cache un processus d’idéalisationié à l’attente de réparation narcissique des parents par’enfant [16] ». Comme dans toute filiation, ce sentimentst un obstacle à la parentalisation. En même temps, saère biologique n’a pas été suffisamment disponible, puisque

épressive après chaque naissance et aussi certainement déjàouffrante du cancer qui l’a emportée trop tôt. Gabriel n’aas pu élaborer un objet maternel « suffisamment bon » etolide mais certainement fragile, et l’obstacle à la parentali-

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ation peut venir aussi du fait qu’il ait trouvé en Maya unetour figuré de ce sentiment et non une perte de sa capacité’attachement (la relation était et reste de bonne qualité avecata-mamie).

Peut-on avancer que le travail de deuil pour les parentsar rapport à l’enfant imaginaire n’est pas fait ? Gabriel neorrespond pas à cet enfant idéal sauvé de l’institution (Aideociale à l’enfance) et sans doute sauveur de la filiation. Le pèreeste ambivalent par rapport à ce garcon. Il a permis que la sœuroit tiers digne de confiance mais vient volontiers saboter touteécision qu’elle prend, comme re-remplir les papiers du collègeomme s’il en avait encore la garde, ou encore racheter des vête-ents, etc. Il est pris en tenaille entre son épouse qui menace deourir à chaque instant et le désir de poursuivre la relation à sonls. C’est un homme malheureux qui veut protéger sa femmet son fils et qui ne peut les protéger que séparément car saemme va mal dès que le garcon est là. Le père aurait rêvé d’unenité familiale et d’un « pouvoir vivre ensemble », mais il saitaintenant qu’il doit y renoncer. Il est décu et, par amour pour sa

emme, il est frustré dans l’expression même de son amour pouron fils : amour qu’il ne peut lui communiquer que furtivementorsqu’elle n’est pas là. En fait, l’autre femme qui aime Gabrielomme une mère, c’est Alexandra, la sœur, c’est pourquoi ilntervient dans ses choix mais toujours avec culpabilité carabriel est alors comme un enfant incestueux. Il en est de même

vec la tata-mamie. Le père de Gabriel est, quoi qu’il fasse, prisn faute ou en défaut entre son fils et les trois femmes-mères :a femme qui rejette l’enfant, la grand-mère qui l’aime maisui est vécue par sa fille comme une voleuse d’enfant (filleui a été elle-même élevée par sa grand-mère voleuse) et laœur qui a joué le rôle de mère et qui continue de le jouer,ême au risque de mettre, pour son frère, son propre couple en

éril.Cette observation soulève aussi la question complexe

ntre l’adoption simple et l’adoption plénière. Les critères deéfinition de l’adoption simple et de l’adoption plénière varientelon les origines culturelles, le contexte sociopolitique et laotion de famille de chaque pays. Cette diversité provoqueréquemment des complications entre juridictions sur les effetst la reconnaissance de ces adoptions [18]. Selon Bourgeois,Le jugement dans l’adoption plénière dote l’adopté d’unouvel état civil, le faisant en tout point apparaître, de manièreéfinitive et irrévocable, comme le fils légitime de ceux qui’ont adopté dont il portera désormais le nom » [19]. Gabrielevrait-il donc aussi de son côté abandonner tout lien à saamille biologique – et donc s’abandonner lui-même – pourieux dépendre de la relation adoptive ? Si l’adoption plénière

mpêche que soit rétabli tout lien légal avec la famille « pare sang » puisque la filiation instituée est irrévocable, elle’empêche pas le maintien ou la reprise des relations affectives,n l’occurrence entre frère et sœur. Mais fallait-il découdreour tisser des liens ? Pour Soulé, « le véritable risque de’adoption est lié aux mésententes entre l’adoptant et l’adopté

t plus simplement entre un enfant et ses parents. Reporter laesponsabilité de cette mésentente sur l’adoption elle-même,ur l’enfant, sur ses parents,. . .limite la compréhension d’unroblème composé de multiples facettes » [20].

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. Modalités thérapeutiques

L’adoption est une filiation à risques tant sur le plan médicalue psychologique. Les consultations pédiatriques avant etprès l’adoption permettent déjà un rôle préventif de dépistage et’accompagnement à court mais aussi à long terme [21]. Le case ces enfants et de leurs familles en situation de détresse et deisque de rupture nous exhorte, nous, psychiatres et thérapeutes’adolescents, à nous engager à organiser des consultationspécialisées. Renard et al. insistent sur « l’attention particu-ière à apporter par les soignants dans la construction duadre thérapeutique qui permet un jeu suffisant entre réaliténterne et réalité externe et ménage un espace de réalité ». . .

’importance « d’une référence à un véritable travail d’équipe, ». . .] « impliquant plusieurs soignants » [23] rappelant ainsi lesifférentes figures adultes auxquelles l’adolescent est confronté.

Dans un premier temps, il s’agit d’aider les parents qui seulpabilisent de ne pas être parfaits et se désespèrent de ne pasrouver de solution face à cette « crise d’adolescence » particu-ière. Il existe ailleurs des lieux de consultations qui prennentn charge tout particulièrement les difficultés de la fonctionarentale dans les différentes filiations autres (adoptive, assis-ance médicale à la procréation). Lévy-Soussan pense, quant àui, que l’adoption en elle-même n’entraîne pas de problèmespécifiques et que la question de la particularité ou non de lalinique adoptive peut se poser [22]. La situation adoptive vaetentir sur l’imaginaire des parents, ce qui va plus ou moinsristalliser ou occasionner des problèmes. La situation adoptivea ébranler le sentiment de légitimité des parents à être parents.Il faut alors aider les parents adoptants qui dans cette par-

icularité ont un besoin spécifique d’être accompagnés tout auong de leur démarche d’affiliation » [24]. C’est une démarcheui va se faire par l’apprentissage des parents à « être » parentst non seulement dans le fait d’« avoir » un enfant. Et commeans toute parentalité, il y a une progressivité et un rythmeropre à la fois en fonction des parents et aussi en fonction desnfants. Ou, comme l’affirment Duyme et Capron, « L’adoptionn tant que telle n’est pas prédictive d’une manifestation deroubles plus fréquents ou plus importants » [24].

Le soutien doit débuter bien sûr au moment de la demande’agrément mais ne devrait pas s’arrêter six mois après l’arrivéee l’enfant. Pour cela nous avons, au sein de l’hôpital d’Enfantse Nancy, mis en place depuis le mois de novembre 2007 unroupe de parole de parents adoptants qui se réunit tous lesois. Ce groupe est ouvert et s’adresse aux parents adoptifs qui

nt consulté pour leur enfant dans l’un ou l’autre des centrese consultation du pôle infanto-juvénile. Nous ne sommesonc pas nécessairement les thérapeutes directs des enfantsn question. Des consultations thérapeutiques avec les parentst l’enfant peuvent aussi se mettre en place parallèlement. À’instar d’une expérience précédente de travail avec un groupee parents d’adolescentes anorexiques, nous constatons que cesencontres entre parents sont des occasions d’échanges authen-

iques propres à les aider à prendre du recul, à comprendre et àe délivrer d’un sentiment écrasant d’impuissance.

C’est à condition aussi que nous restions à une place deédiateurs.

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Dans le même temps, il est nécessaire d’offrir un espace dearole à ces adolescents, qui va du temps de la consultation psy-hiatrique classique à la psychothérapie analytique. L’indicationu psychodrame est soulignée à l’adolescence et serait parti-ulièrement une indication de choix pour la psychothérapie desnfants adoptés [25,26]. L’aménagement du cadre n’interditas – et au contraire, comme le souligne Agman – « l’utilisation’un groupe d’accueil d’adolescents comme dispositif deoins intensifs » [26]. Cet espace de discussion doit-il êtrebligatoirement homogène, composé d’adolescents adoptés,omme il est des groupes de parole de jeunes anorexiques ouuicidants, ou peut-il accepter ceux qui s’inscrivent volontiersans la destruction de l’autre, et par conséquent du lien, qu’ilsnt à co-construire en retour avec la société ?

. Conclusion

Les sujets adoptés enfants ou adolescents peuvent présen-er de graves troubles du comportement dont la significationait souvent largement écho à la problématique initiale de’abandon et à l’attente de limite salvatrice. Sauf que le sen-iment d’insécurité, combiné à celui de beaucoup d’adoptés’appartenir aux perdants, amplifie ici les problèmes. Selonewton Verrier, le mot clé est « enseigner » et non punir,l’amour comprend la discipline, et la discipline signifie des

imites » et mettre des limites entraîne du conflit [4]. La punitioneule est certainement la plus mauvaise chose dans la mesureù elle rentre en écho avec le sentiment d’être « méchant »,e qui stimule à se comporter de facon insupportable et fina-ement pour les parents à rejeter. Il peut y avoir surenchèret un risque d’escalade avec recherche de sensations par desonduites de risque. À cet égard, les adolescents ne manquentas d’imagination. L’intervention serait sans doute plus efficaceans un travail à la prime adolescence à condition de savoir lesegarder et d’aider parents et enfants à se regarder [11,25], un tra-ail un peu plus complexe quand il s’agit de parents adoptantst d’enfants adoptifs. Ceux-ci ont alors quasiment un choix àaire entre leur identité ou appartenance d’origine et celle de leuramille adoptive et du pays dans lequel ils vivent. Cependant, cesituations particulières nous parlent en les grossissant de don-ées universelles sur la nature humaine : « chacun se construitar l’ajout d’appartenances multiples qui pour notre équilibree doivent pas s’ignorer entre elles ni entrer en conflit » [27].

éférences

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