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HISTOIRE DE LA MÉDECINE L’angine de poitrine selon Leriche et Fontaine (1931) 44 AMC pratique n°196 mars 2011 L es premières descriptions de l’angine de poitrine datent de 1768, rappor- tées en France par Nicolas Rougnon de Magny (« à la marche…une gêne régulière sur toute la partie antérieure de la poitrine en plastron ») et en Angleterre, quelques mois plus tard, par William Heberden (« une sensation très désagréable et douloureuse dans la poitrine…quand ils marchent ») [1]. En 1792, John Hunter et Edward Jenner montrent que les artères coronaires des malades atteints ressemblent « à de véri- tables tuyaux ossifiés » [2]. La première description détaillée de l’infarctus du myo- carde revient ensuite à René Marie, en 1896 [3], encore que nombre de cas de malades morts au cours d’une douleur d’angine de poitrine aient été signalés auparavant, dont les plus connus sont « Monsieur Charles », le premier malade de Rougnon, et, en 1791, Mirabeau, dont Cabanis indique que « la douleur se portait avec violence sur… la partie antérieure de la poitrine… une griffe de fer qui serrait… Je le trouvai respirant avec la plus grande peine, le pouls intermit- tent et convulsif, les extrémités froides…sa physionomie portait déjà l’empreinte des maladies funestes » [4]. La conception de la maladie coronaire prise dans son ensemble, telle que nous la connais- sons aujourd’hui, apparaît dans les années 30, déjà bien établie dans le traité de Pratique médico-chirurgicale de Couvelaire, Lemierre et Lenormant [5]. La rédaction de la sec- tion « Angine de poitrine » y a été confiée à R Leriche et R Fontaine, chirurgiens renom- més en particulier par la classification des stades de l’artérite des membres inférieurs, ce qui rend probablement compte de la moder- nité des concepts exposés. L’angine de poitrine selon Leriche et Fontaine (1931) J.-J. Monsuez Hôpital René Muret, Hôpitaux universitaires de Paris Seine Saint-Denis [email protected] La description clinique des crises angineuses d’effort est celle à laquelle nous nous réfé- rençons quotidiennement. « La douleur à la marche, contre le vent ou sur un terrain iné- gal, obligeant le sujet à s’arrêter,… s’exaspère lorsque le malade s’est remis en marche ». Ses irradiations, l’angoisse, la durée, la répétition et le danger des crises subintrantes sont bien décrits. « Une série de crises rapprochées, aboutissant au collapsus cardiaque aigu avec effondrement de la pression artérielle. Un tel tableau répond en général au développe- ment d’un infarctus du myocarde ». Plus loin, on note encore « l’ensemble de ces symp- tômes constitue l’état de mal cardio-gastro- angineux ». La physiopathologie insiste surtout à cette époque, sur la douleur. « le primum movens est l’excitation des filets sympathiques, intra- aortiques, intra-myocardiques ou extrin- sèques du plexus cardiaque. Celle-ci provoque un ébranlement médullaire qui se projette à la périphérie » (figure). En 1930, la « théorie coronarienne » s’est imposée. « Le rôle possible d’un trouble circulatoire intra-myocardique, entrevu tout d’abord par Jenner et Parry, a été surtout défendu par Potain et Huchard. Ces auteurs assimilaient la crise angineuse à la claudica- tion intermittente… Cette théorie, pendant quelques temps délaissée, a été remise en faveur par les travaux électrocardiogra- phiques modernes et les recherches sur les effets de la ligature expérimentale des coro- naires » [5]. Le texte précise ensuite les résul- tats des études anatomo-pathologiques d’angineux décédés, chez lesquels des lésions coronaires sont retrouvées 20 fois sur 39 par Potain, 38 fois sur 70 par Huchard et 12 fois sur 20 par Gallavardin. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

L’angine de poitrine selon Leriche et Fontaine (1931)

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HISTOIRE DE LA MÉDECINE L’angine de poitrine selon Leriche et Fontaine (1931)

44 AMC pratique � n°196 � mars 2011

Les premières descriptions de l’angine de poitrine datent de 1768, rappor-tées en France par Nicolas Rougnon de

Magny (« à la marche…une gêne régulière sur toute la partie antérieure de la poitrine en plastron ») et en Angleterre, quelques mois plus tard, par William Heberden (« une sensation très désagréable et douloureuse dans la poitrine…quand ils marchent ») [1]. En 1792, John Hunter et Edward Jenner montrent que les artères coronaires des malades atteints ressemblent « à de véri-tables tuyaux ossifiés » [2]. La première description détaillée de l’infarctus du myo-carde revient ensuite à René Marie, en 1896 [3], encore que nombre de cas de malades morts au cours d’une douleur d’angine de poitrine aient été signalés auparavant, dont les plus connus sont « Monsieur Charles », le premier malade de Rougnon, et, en 1791, Mirabeau, dont Cabanis indique que « la douleur se portait avec violence sur… la partie antérieure de la poitrine… une griffe de fer qui serrait… Je le trouvai respirant avec la plus grande peine, le pouls intermit-tent et convulsif, les extrémités froides…sa physionomie portait déjà l’empreinte des maladies funestes » [4].La conception de la maladie coronaire prise dans son ensemble, telle que nous la connais-sons aujourd’hui, apparaît dans les années 30, déjà bien établie dans le traité de Pratique médico-chirurgicale de Couvelaire, Lemierre et Lenormant [5]. La rédaction de la sec-tion « Angine de poitrine » y a été confiée à R Leriche et R Fontaine, chirurgiens renom-més en particulier par la classification des stades de l’artérite des membres inférieurs, ce qui rend probablement compte de la moder-nité des concepts exposés.

L’angine de poitrine selon Leriche et Fontaine (1931)

J.-J. MonsuezHôpital René Muret, Hôpitaux universitaires de Paris Seine [email protected]

La description clinique des crises angineuses d’effort est celle à laquelle nous nous réfé-rençons quotidiennement. « La douleur à la marche, contre le vent ou sur un terrain iné-gal, obligeant le sujet à s’arrêter,… s’exaspère lorsque le malade s’est remis en marche ». Ses irradiations, l’angoisse, la durée, la répétition et le danger des crises subintrantes sont bien décrits. « Une série de crises rapprochées, aboutissant au collapsus cardiaque aigu avec effondrement de la pression artérielle. Un tel tableau répond en général au développe-ment d’un infarctus du myocarde ». Plus loin, on note encore « l’ensemble de ces symp-tômes constitue l’état de mal cardio-gastro-angineux ».La physiopathologie insiste surtout à cette époque, sur la douleur. « le primum movens est l’excitation des filets sympathiques, intra-aortiques, intra-myocardiques ou extrin-sèques du plexus cardiaque. Celle-ci provoque un ébranlement médullaire qui se projette à la périphérie » (figure).En 1930, la « théorie coronarienne » s’est imposée. « Le rôle possible d’un trouble circulatoire intra-myocardique, entrevu tout d’abord par Jenner et Parry, a été surtout défendu par Potain et Huchard. Ces auteurs assimilaient la crise angineuse à la claudica-tion intermittente… Cette théorie, pendant quelques temps délaissée, a été remise en faveur par les travaux électrocardiogra-phiques modernes et les recherches sur les effets de la ligature expérimentale des coro-naires » [5]. Le texte précise ensuite les résul-tats des études anatomo-pathologiques d’angineux décédés, chez lesquels des lésions coronaires sont retrouvées 20 fois sur 39 par Potain, 38 fois sur 70 par Huchard et 12 fois sur 20 par Gallavardin.

© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

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est inversée et profonde, souvent dipha-sique, et prend un aspect très spécial, « en dôme » (onde coronarienne de Pardee). Une telle anomalie de l’onde T, qui atteint son maximum en cas d’infarctus du myocarde, est comparable aux altérations produites chez l’animal par la ligature expérimentale des coronaires. Elle peut soit persister, soit se modifier au cours d’exa-mens successifs… ».

Ainsi, « après la cinquantaine, l’angine de poitrine a toujours en principe une signi-fication très sérieuse,… devant être consi-dérée comme révélatrice… d’un trouble ischémique par lésion coronarienne ».L’apport de l’électrocardiogramme au diagnostic est tout particulièrement souligné. « Les altérations de l’électrocar-diogramme plus spéciales à l’angine de poitrine… intéressent surtout l’onde T, qui

Figure 1. Réflexe viscéro-sensitif dans l’angine de poitrine.

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Références

1. Régnier C. L’angine de poitrine, une querelle d’antériorité. AMCV-Pratique 1995;2:34.

2. Régnier C. Un drame à trois : Edward Jenner, John Hunter et l’angina pectoris. AMCV-Pratique 2001;98:42.

3. Bariety M, Coury C. Histoire de la médecine, Ed Fayard, Paris 1963.

4. Gorny P. Histoire illustrée de la cardiologie. Ed R Dacosta, Paris 1985.

5. Couvelaire A, Lemierre A, Lenormant C. Pratique médico-chirurgicale. Tome 1, 3e édition, Masson et Cie, Paris, 1931.

La maladie coronaire apparaît donc, sous la plume de Leriche et Fontaine en 1931, dans une perspective que l’on qualifierait aujourd’hui d’intégrée, à laquelle ne manque encore que l’exploration vasculaire. Le traite-ment fait surtout appel aux vasodilatateurs, principalement à la trinitrine, mais la chirurgie de la douleur angineuse, par inter-ruption des nerfs cardio-aortiques sensitifs est également proposée dans les formes rebelles, intervention que Leriche et Fontaine tenteront de promouvoir.