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8/13/2019 L’art militant jusqu’à la folie
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L’art militant jusqu’à la folieLE MONDE CULTURE ET IDEES | 19.12.2013 à 16h30 • Mis à jour le19.12.2013 à 17h34 |
Par Harry Bellet (/journaliste/harry-bellet/)
Elle fait bramer les cerfs en marchant dessus après leur avoir collé le
bourdon. Son compagnon, lui, les gonfle. Marion Laval-Jeantet et Benoît
Mangin, qui ont formé le groupe Art orienté objet (AOo) en 1991, exposent
au Musée de la chasse et de la nature à Paris. En l’espèce, il s’agit du
Cornebrame ou Machine à faire chanter les cerfs dans la brume. Sur leterritoire de chasse de la Fondation Sommer – 622 hectares dans les
Ardennes –, à l’origine du musée, une bête a été abattue, puis dépiautée.
Sa peau a été recousue. Un tuyau de bois saille de sa bouche : Benoît
"Cornebrame" ou "Machine à faire chanter les cerfs dans la brume", de AOo (Art orienté
objet). | NICOLAS HOFFMANN
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Mangin l’utilise pour insuffler de l’air dans le ventre désormais vide de
l’animal. Les pattes ont été remplacées par des bourdons de cornemuse.
Lorsque Marion se jette sur la fourrure emplie du souffle de Benoît et la
pétrit des genoux et de ses mains, un geste à la fois dur et doux, violent et
caressant, cela produit des sons à nuls autres pareils.
« J’ai reçu quelques plaintes », commente Claude d’Anthenaise, le très
bien élevé directeur du musée. Ces mugissements ne viennent pas desdéfenseurs des animaux mais de gens peu amènes envers l’art
contemporain, ou d’autres qui pensent que lorsque Marion, chaussée de
souliers orthopédiques surdimensionnés reproduisant des pattes arrière de
félin, se promène à quatre pattes pour mieux communiquer avec un chat
( Félinanthropie, 2007), elle donne une mauvaise image de la femme.
Les premiers râleurs, on en a l’habitude. Les seconds sont des ballots : des
femmes comme elle s’avèrent quasi indestructibles, même si, à force de
jouer avec son corps, il y a un tas de choses qu’elle ne peut plus ingérer.
Elle envisageait toutefois de se faire transfuser du sang de panda dès
2005. Compliqué, expliquait alors un article de Libération, car les Chinois
ne veulent pas, et l’espèce est protégée. Les pandas, pas les Marion. Mais
on devrait peut-être : en 2011, elle se fait injecter du sang de cheval. Ce qui
aurait dû la tuer net, car le choc anaphylactique est le plus souvent mortel.
Sauf qu’elle connaît les risques inhérents à une telle expérience. Le sang
est purgé au préalable de ses virus, de ses parasites, de tout ce qui est a
priori incompatible.
UNE EXPÉRIENCE IMPOSSIBLE
En France, l’expérience est impossible, principe de précaution oblige, dit-
elle. Elle s’est faite en Slovénie, à la Galerija Kapelica, en public. Après
l’injection, Benoît équipe les jambes de Marion de prothèses, une sorte
d’exosquelette évoquant les antérieurs d’un équidé, sabots compris. Un
cheval est là, un hongre – on ne sait jamais – un peu surpris mais placide,
que va caresser Marion devenue centaure une fois surmonté le choc de latransfusion.
Des cinglés ? Je les ai croisés à l’université, il y a trente ans ou presque,
lorsque nous étudiions ensemble l’histoire de l’art, et je n’ai toujours pas
de réponse à cette question. Marion avait peu ou prou 20 ans, et déjà un
sacré passé. Son père était professeur de médecine, sa mère chercheuse en
biophysique, le premier attiré par les textes mystiques, la seconde par
l’écologie, mais aussi militante féministe : un cocktail qui pouvait laisser
présager de futures hybridations. A l’âge de 5 ans, et après quelques visitesprématurées de musées, Marion veut devenir artiste. Elle ira aux Beaux-
Arts, puis à l’Institut d’histoire de l’art, où elle rencontre Benoît, en 1985.
A l’époque, il se destinait à l’étude de l’art médiéval. Déjà discret, comme il
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l’est toujours, et c’est pourquoi il est fort peu question de lui ici, même si
AOo ne se conçoit pas sans lui. Tout juste consent-il à avouer avoir dirigé
un centre culturel, à Douala (Cameroun), et travailler à une thèse d’art
plastique sur l’art et l’écologie politique, un des centres d’intérêt d’AOo.
Il y a trente ans, ils ressemblaient déjà à deux inséparables. Elle lui
propose à ce moment de fonder un « mouvement post-brut », mais Benoît
résiste, jusqu’en 1991 et la création d’Art orienté objet. En 1989, Mariondéserte l’histoire de l’art pour les arts plastiques et l’anthropologie. Qu’elle
étend à l’ethnopsychiatrie. Elle est diplômée de troisième cycle en science
de l’art, en ethnologie et en psychologie clinique, et prépare actuellement
une nouvelle thèse sur la polyandrie, une autre de ses préoccupations…
Elle est psychologue clinicienne, mais aussi enseignante en science de l’art
et en anthropologie, d’abord à Paris-VIII, puis à Paris-I. Excusez du peu.
CINGLÉE, PEUT-ÊTRE
Alors, cinglée peut-être, mais puissamment raisonnée. Il suffit de visiter
l’exposition : chaque œuvre est d’une logique imparable, jusqu’à ce qu’on
perçoive qu’elle n’aurait pu voir le jour sans un petit grain d’autre chose.
Et ce, dès l’entrée : faut-il avoir aimé l’histoire de l’art pour vouloir
reproduire les délires de Jérôme Bosch, en vrai ? Ce ne sont pas les trois
cavalières en justaucorps blanc brandissant un thon qui me démentiront.
Ni ces garçons bouffés par une fraise géante, ou cet autre par un énorme
mollusque bivalve, figure utérine selon le « bwiti ».
Car les trois thèses ne lui ont pas ouvert l’esprit autant que… le bwiti. Une
photographie dans l’exposition y fait allusion. Elle n’a rien à voir avec la
chasse, mais tout avec la nature. C’est une cérémonie d’initiation au Gabon
durant laquelle Marion a absorbé de la racine d’iboga, une plante aux
propriétés psychodysleptiques. Et selon la thèse de doctorat en psychologie
clinique de Chantal Ntsele Onanga (université de Poitiers, 2008), ses effets
peuvent être dévastateurs : « Elle provoque des troubles mentaux,
favorise le surgissement du refoulé, qui s’exprime de manière délirante,un peu comme dans les psychoses. »
Pour Marion, il s’agit d’une démarche d’ethnologue, de psychiatre, mais
aussi d’artiste. C’est d’une vision provoquée par l’iboga qu’est née La
Machine à prévenir les oiseaux que le vent se lève, installée au parc de La
Courneuve. Un orgue de barbarie dont les flûtes sont remplacées par des
appeaux. Le carton perforé produit une musique adaptée aux chants
d’oiseaux, et une éolienne met en branle le tout quand le vent souffle. On
retrouve là Benoît et sa thèse sur l’écologie politique. Elle est une desautres composantes d’AOo. Au demeurant, le couple est bénévole à la
Ligue de protection des oiseaux.
ILS FONT PLANTER 300 ARBRES
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« ART ORIENTÉ OBJET »Musée de la chasse et de la nature, 62, rue des Archives, Paris 3 .Tous les jours sauf le lundi et les jours fériés, de 11 heures à 18heures,
et le mercredi de 11 heures à 21 h 30. Jusqu’au 2 mars 2014. Entrée8 !.http://aoo.free.fr À LIRE
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Mais ils sont trop intelligents pour être écologiquement corrects. Ou
plutôt, ils préfèrent mettre les gens devant leurs contradictions : d’où cette
œuvre de 2010, L’Empreinte écologique, la trace d’une patte d’ours blanc
moulée dans la glace du Spitzberg. Une vidéo accompagne la chose, avec
un chiffre qui défile à une allure hallucinante : la consommation de CO
pour aller jusqu’au cercle arctique. En tout, 8 078 kg de dioxyde de
carbone. Pour compenser, lors d’une exposition au Magasin, le centrenational d’art contemporain de Grenoble, ils feront planter 300 arbres.
Mais la démonstration est là : l’acte apparemment le plus anodin (l’art par
exemple) recèle de quoi contribuer à tuer la planète. Ou les gens : dans
l’exposition, une salle est plongée dans le noir. En y entrant, le visiteur
déclenche l’allumage de centaines de lampes, ce qui devrait le rassurer.
Premier choc, un ours blanc se dresse, menaçant. Enfin, au bout de
quelques secondes, rassurant aussi : sa peau est faite en tricot. Sauf
qu’une minute d’exposition équivaut à trois radiographies : les nouvelles
ampoules fluocompactes, supposées écologiquement moins polluantes que
les anciennes lampes à incandescence, ont leurs défauts…
C’est un peu tout cela, AOo. D’abord des empêcheurs de penser en rond.
Et depuis leur plus jeune âge : au mitan des années 1990, à peine formé, le
duo teste des Cultures de peaux d’artistes « offrant leur épiderme comme
substitut à celui d’animaux de laboratoire » . Cultivé dans des boîtes de
Petri, le tissu se développe. Ils le greffent ensuite sur des peaux de porc,
qui vont également proliférer avant d’être tatouées. Cela rappelle un peu le
travail de Wim Delvoye, qui est exactement contemporain, sauf que chez
l’artiste belge il s’agit de la peau des autres. On aurait d’ailleurs beau jeu
d’établir une relation entre les œuvres d’AOo et celles de contemporains
mieux rentés, notamment YBA, les Young British Artists, et
particulièrement Marc Quinn, – qu’ils ont bien connu à leurs débuts – et
qui sont depuis devenus des vedettes du marché de l’art. Pas eux. Normal :
quand les uns vendent, les autres donnent des mondes à penser.
Harry Bellet (/journaliste/harry-bellet/)
Journaliste au Monde
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« ART ORIENT OBJET »de Chloé Pirson (Les Presses du réel, 144 p., 19 !), à l’occasion del’exposition.« ART ORIENTÉ OBJET, 2001-2011 »textes de Sofia Bouratsis, Stéphane Dumas, Jens Hauser,Emmanuelle Lequeux, Dominique Lestel, John Lippens, BernardMüller, Pascal Pique (CQFD, 300 p., 35 !).
« ART ORIENTÉOBJET, 1991-2002 »textes de Vincent Ravalec, Anne Bonnin, Natacha Carron, ChantalCusin-Berche, Juliana Engberg, Klive Kellner, Barbara Polla,Laura Trippi, Giorgio Verzotti, Frank Wagner (CQFD, 184 p., 25 !).