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Le droit international du développement : un droit controversé Article juridique publié le 10/05/2011, vu 10124 fois, Auteur : Dr Wagué Hamadi Gatta Le droit international du développement : un droit controversé Au risque de surprendre, le droit international du développement a été porté sur les « fonds baptismaux » par un économiste du nom d’André Philip[1] . Plus tard les juristes internationalistes se sont appropriés de la notion, en lui accordant toute sa place dans la doctrine juridique. Jean Touscouz[2] , Michel Virally[3] , Maurice Flory[4] , Prosper Weil[5] ont donné à cette notion son véritable « pesant d’or ». Au-delà de l’apport de ces juristes de renom, il ya lieu de s’interroger sur le contenu et la mission de cette nouvelle branche du Droit ? Pour répondre à cette question deux thèses sont en présence : La première s’inscrit dans une logique de continuité. Pour les tenants de cette thèse, en l’occurrence les classiques, « le droit international du développement » ne constitue pas une branche autonome du doit international. Prosper WEIL, dans son analyse, considère que «Le droit international admet en son sein des chapitres distincts». En conséquence, le droit international du développement est l’un des ces chapitres. Et Alain Pellet d’ajouter que ce droit est «une branche assez nettement individualisé du droit international public »[6] . En tenant compte de ces thèses classiques, le droit international du développement n’est autre qu’une branche du droit international classique qui s’intéresse aux relations économiques internationales entre le nord et le sud et avec pour but d’accélérer le développement du sud[7] . Enfin Jean-René DUPUY, G. FEUER et H.CASSAN appuient les thèses précédentes en démontrant que la spécificité marquée du droit international du développement n’est pas de nature à porter atteinte à son appartenance au droit international général[8] . La conception de ces auteurs n’est pas dépourvue de sens. Bien au contraire, elle se justifie par le caractère englobant du droit international. En effet, en accordant dés l’origine une autonomie à cette branche du droit, on risque de la faire un droit à part, passéiste et parcellaire [9] . Pire encore, cette branche peut être considérée comme un droit des « pauvres », un droit du « ghettos » ou l’en enfermera ad vitam aeternam le Tiers-monde. Vu tous ces arguments, le droit international du développement doit rester dans la mouvance classique en se singularisant plutôt par ses objectifs et surtout par sa finalité. Ces arguments reflètent-ils les intentions réelles des juristes occidentaux? Ne cherchent-t-ils pas à travers ces arguments à asseoir davantage leur domination ou à perpétuer l’idéologie dominante ? Les juristes du Tiers- monde n’ont-il pas décelé cette ambition ? A lire leur position on peut se faire une opinion. Pour les tenants de la seconde thèse, en l’occurrence les juristes du Tiers-monde, le droit international, dans sa version classique, est loin d’être neutre. En phagocytant de nouveau le droit international du développement, l’inégalité ambiante entre États va se perpétuer. Pour éviter cette situation, les juristes du Tiers-monde préconisent que le droit international classique se dépouille de sa fausse neutralité pour tenir compte du soubassement éthique, philosophique et économique que recommande le nouveau droit. Ainsi, la mission de ce nouveau droit est de contribuer « à la destruction progressive de l’ordre existant et à la réalisation d’un ordre nouveau»[10] . Au yeux des juristes du Tiers-monde, le droit international classique n’est autre qu’un système de normes exprimant la primauté des États-développés et cherchant à pérenniser celle-ci. Si les contours de ce droit nouveau ne sont pas définis de façon objective, il risque de devenir un « droit international du sous-développement » selon l’expression de M. Benchik[11] . Pour l’ancien Doyen de la faculté de droit d’Alger « le mérite du droit international du développement est d’introduire le facteur économique et le niveau de développement dans l’analyse juridique et l’appréciation des relations entre les États ; chaque État est situé dans le veritable contexte des échanges internationaux, en prenant en considération ses capacités et ses faiblesses». Seul le droit international du développement neutre peut tenir compte de ces paramètres, en évitant d’analyser les difficultés du Tiers-monde comme des événements conjoncturels, mais comme des événements structurels auxquels doivent correspondre des règles adéquates et efficaces. La formule imagée de Jean-André Touscouz peut résumer la situation: « le droit international est le levain, le ferment introduit dans la pâte pour contribuer à son évolution »[12] . Contrairement au droit international classique, le droit international du développement est comme le nouveau droit international général s’appliquant à toute la société internationale, sur la base de principes effectivement égalitaires et équitables succédant aux anciens[13] . Pour les économistes du Tiers-monde, le retard de pays sous-développés est imputable au système déséquilibré des relations économiques internationales, régi par un droit international inégalitaire et peu adapté. Au-delà de cette dualité de conception, il est important de signaler que le droit international du développement est un droit neutre de par ses principe directeurs. En soi, il n’est ni un droit engagé au service des pays en développement, ni un droit au service d’une idéologie quelle qu’elle soit, même si certaines pratiques dans les relations économiques internationales nous amènent à relativiser cette neutralité. Quoi qu’il en soit, le droit international du développement relève de la nécessité. Il est la nouvelle expression de la justice, qui se traduit par l’incarnation universelle et effective des droits fondamentaux de l’Homme. C’est grâce à ce nouveau droit que le droit international retrouve sa finalité perdue, son véritable sens, sa signification de « droit de gens » ou « jus gentium » selon Grotius. Mieux, le droit international du développement permettra de diffuser davantage un certain nombre de notions fondamentales du droit international en général. C’est le cas par exemple du principe « pacta sunt servanda » ( les parties sont liées par le contrat), du principe de bonne foi, de l’enrichissement sans cause et de la théorie des changements de circonstances. À cette liste, il faut ajouter le commerce équitable crée au profit de pays en développement. Ce commerce est

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Le droit international du développement : un droitcontroversé Article juridique publié le 10/05/2011, vu 10124 fois, Auteur : Dr Wagué Hamadi Gatta

Le droit international du développement : un droit controversé

 

Au risque de surprendre, le droit international du développement a été  porté sur les « fonds baptismaux » par un économistedu nom d’André Philip[1]. Plus tard les juristes internationalistes se sont appropriés de la notion, en lui accordant toute sa placedans la doctrine juridique. Jean Touscouz[2], Michel Virally[3], Maurice Flory[4], Prosper Weil[5]ont  donné à cette notion sonvéritable « pesant d’or ». Au-delà de l’apport de ces juristes de renom, il ya lieu de s’interroger sur le contenu et la mission decette nouvelle branche du Droit ? Pour répondre à cette question deux thèses sont en présence :

La première s’inscrit dans une logique de continuité. Pour les tenants de cette thèse, en l’occurrence les classiques, « le droitinternational du développement » ne constitue pas une branche autonome du doit international. Prosper WEIL, dans sonanalyse, considère que  «Le droit international admet en son sein des chapitres distincts». En conséquence, le droitinternational du développement est l’un des ces chapitres. Et Alain Pellet d’ajouter que ce droit est «une branche assez nettement individualisé du droit international public »[6]. En tenant compte de ces thèses classiques, le droit international dudéveloppement n’est autre qu’une branche du droit international classique qui s’intéresse aux relations économiquesinternationales entre le nord et le sud et avec pour but d’accélérer  le développement du sud[7]. Enfin Jean-René DUPUY, G.FEUER et H.CASSAN appuient les thèses précédentes en démontrant que la spécificité marquée du droit international dudéveloppement n’est pas de nature à porter atteinte à son appartenance au droit international général[8]. La conception de cesauteurs n’est pas dépourvue de sens. Bien au contraire, elle se justifie par le caractère englobant du droit international. En effet,en accordant dés l’origine une autonomie à cette branche du droit, on risque de la faire un droit à part, passéiste et parcellaire[9]. Pire encore, cette branche peut être considérée comme un droit des « pauvres », un droit du « ghettos » ou l’en enfermera ad vitam aeternam le Tiers-monde. Vu tous ces arguments, le droit international du développement doit rester dans lamouvance classique en se singularisant plutôt par ses objectifs et surtout par sa finalité. Ces arguments reflètent-ils lesintentions réelles des juristes occidentaux? Ne cherchent-t-ils pas à travers ces arguments à asseoir davantage leur dominationou à perpétuer l’idéologie dominante ? Les juristes du Tiers- monde n’ont-il pas décelé cette ambition ? A lire leur position onpeut se faire une opinion.

Pour les tenants de la seconde thèse, en l’occurrence les juristes du Tiers-monde, le droit international, dans sa versionclassique, est loin d’être neutre. En phagocytant de nouveau le droit international du développement, l’inégalité ambiante entreÉtats va se perpétuer. Pour éviter cette situation, les juristes du Tiers-monde préconisent que le droit international classique sedépouille de sa fausse neutralité pour tenir compte du soubassement  éthique, philosophique et économique  que recommandele nouveau droit. Ainsi, la mission de ce nouveau droit est de  contribuer « à la destruction progressive de l’ordre existant et à la réalisation d’un ordre nouveau»[10]. Au yeux des juristes du Tiers-monde, le droit international classique n’est autre qu’unsystème de normes exprimant la primauté des États-développés et cherchant à pérenniser celle-ci. Si  les contours de ce droit nouveau ne sont pas définis de façon objective, il risque de devenir un « droit international du sous-développement » selonl’expression de M. Benchik[11]. Pour l’ancien Doyen de la faculté de droit d’Alger « le mérite du droit international dudéveloppement est d’introduire le facteur économique et le niveau de développement dans l’analyse juridique et l’appréciationdes relations entre les États ; chaque État est situé dans le veritable contexte des échanges internationaux, en prenant en considération ses capacités et ses faiblesses». Seul le droit international du développement neutre peut tenir compte de cesparamètres, en évitant d’analyser les difficultés du Tiers-monde comme des événements conjoncturels, mais comme desévénements structurels auxquels doivent correspondre des règles adéquates et efficaces. La formule  imagée de Jean-AndréTouscouz peut résumer la situation: « le droit international  est le levain, le ferment introduit dans la pâte pour contribuer à sonévolution »[12]. Contrairement au droit  international classique, le droit international du développement est comme le nouveaudroit international général s’appliquant à toute la société internationale, sur la base de principes effectivement égalitaires etéquitables succédant aux anciens[13]. Pour les économistes du Tiers-monde, le retard de pays sous-développés est imputableau système déséquilibré des relations économiques internationales, régi par un droit international inégalitaire et peu adapté.

Au-delà de cette dualité de conception, il est important de signaler que le droit international du développement est un droitneutre de par ses principe directeurs. En soi, il n’est ni un droit engagé au service des pays en développement, ni un droit auservice d’une idéologie quelle qu’elle soit, même si certaines pratiques dans les relations économiques internationales nousamènent à relativiser cette neutralité.

Quoi qu’il en soit, le droit international du développement relève de la nécessité. Il est la nouvelle expression de la justice, quise traduit par l’incarnation universelle et effective des droits fondamentaux de l’Homme. C’est grâce à ce nouveau droit que ledroit international retrouve sa finalité perdue, son véritable sens, sa signification de « droit de gens » ou « jus gentium » selonGrotius. Mieux, le droit international du développement permettra de diffuser davantage un certain nombre de notionsfondamentales du droit international en général. C’est le cas par exemple du principe « pacta sunt  servanda » ( les parties sontliées par le contrat), du principe de bonne foi, de l’enrichissement sans cause et de la théorie des changements decirconstances. À cette liste, il faut ajouter le commerce équitable crée au profit de pays en développement. Ce commerce est

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une réponse au commerce inégal pratiqué dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Le système est fortséduisant. On trouve des produits du commerce équitable sur « les gondoles des grandes surfaces ». Ce type de commerceoffre un vaste sujet de réflexion et pourrait à long terme inciter le système financier international à mieux gérer  les petitsproducteurs. L’attribution du Prix Nobel  de la Paix  en 2006 à Muhammad Younous, initiateur  des petits prêt, montre la volontémanifeste de changer le système actuel. D’autant plus que les politiques suivies par le FMI et la Banque mondiale sont de plusen plus contestées.

 Au-delà de ces  belles avancées, le droit international du développement doit être peaufiné, amélioré et amendé dans certainsde ses principes afin que tous les États, qu’ils soient développés ou en voie de développement, puissent trouver leur salut dansles relations économiques internationales actuelles. À l’heure où le capitalisme a montré ses limites, un droit international dudéveloppement neutre, fondé sur les principes éthiques et humains, est un atout majeur pour donner une nouvelle souffle auxrélations économiques internationales. Mais la soif de la domination, inhérente à la nature des États, n’est-elle pas un frein quiempêchera ce bel outil juridique de se développer ?

 

 

[1] M.BENNOUNA « Droit international du développement. Tiers-monde et interpellation du droit international », Paris,Berger-Levraut, 1983, p 9.

[2] « Le régime juridique international des hydrocarbures et le droit international du développement », Journal du droitinternational 1973.

[3] «Vers un droit international du développement », AFDI. 1965, p 7 ;

[4] « Droit international du développement » , PUF., 1977.

[5] « Le droit international du développement mythe ou réalité » ? SFDI., Aspects du droit international économique, Paris,Pedone, 1972.

[6] Alain Pellet, « le Droit international de développement » , Paris , PUF., Que sais-je, 1987, p .7

[7] A. Pellet et P. Daillier  « Droit international public », Paris, L.G.D.J., 7e  éd., 2002, p 1037 .

[8] G.Feuer et.H. Cassan  « Droit international du développement », Paris Dalloz, 1er  édit. 1985, 2e  éd , 1991.

[9] M. Bedjaoui, « Pour un nouvel ordre économique international », Paris UNESC0, 1979, p 260

[10] Bejaoui, op.cit.,  p114 .

[11] « Droit international du sous-développement. Nouvel ordre de la dépendance », Paris, Berger-Levraut 1983.

[12] « Les principes fondamentaux dans le droit international du développement » SFDA, « Pays en développement ettransformation du droit international», Paris, Pedone 1974

[13]  Plusieurs  économistes des pays développés et en développement on soutenu cette thèse ; parmi eux . S.AMIN