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Novembre 2013 François ELIKA ATUBOLO - Claude MUKEBA www.panoseurope.org Sous la coordination éditoriale de Pierre NSANA Coordinateur national des projets en RDC - Institut Panos Europe Manuel à l’usage des journalistes congolais d’investigation et lutte contre la corruption JOURNALISME

Le journalisme d'investigation en RDC

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DESCRIPTION

Ce manuel s’inscrit dans une optique de reconnaissance du rôle que les médias sont appelés à jouer dans un contexte mondial où la demande sociale d’une gouvernance crédible est de plus en plus forte et exige l’implication des toutes les parties prenantes. A cet égard, ce manuel est un outil qui réunit un certain nombre d’informations sur les instruments juridiques et politiques destinés à combattre la corruption et assurer un système d’intégrité publique adéquat et propice à la bonne gouvernance. Il présente aussi la méthodologie pour conduire des enquêtes journalistiques destinées à soutenir les dynamiques citoyennes pour le triomphe de la transparence et l’imputabilité. Il est complété par un volet multimédia permettant de découvrir les témoignages vidéo de journalistes professionnels, tous spécialistes de l’investigation en Europe ou en Afrique. En les écoutant, nul doute que leur expérience pourra éclairer les confrères tentés d’emprunter les mêmes chemins de la rigueur journ

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Novembre 2013

François ELIKA ATUBOLO - Claude MUKEBA

www.panoseurope.org

Sous la coordination éditoriale de Pierre NSANA

Coordinateur national des projets en RDC - Institut Panos Europe

Manuel à l’usage des journalistes congolais

d’investigation et lutte contre la corruption

Journalisme

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Préface

Préface

Nous avons le plaisir de vous présenter Journalisme d’investiga-tion et lutte contre la corruption – Un manuel à l’usage des journa-listes congolais.

Ce manuel s’inscrit dans une optique de reconnaissance du rôle que les médias sont appelés à jouer dans un contexte mondial où la demande sociale d’une gouvernance crédible est de plus en plus forte et exige l’implication des toutes les parties prenantes.

En effet, la mondialisation est caractérisée par de nombreuses mutations affectant profondément le monde dans lequel nous vi-vons. La crise de confiance de nombreux citoyens à travers le monde envers le pouvoir politique est l’une des expressions de ces chan-gements. Elle appelle des Etats des profondes remises en question dans la manière qu’ils gouvernent la chose publique et qu’ils gèrent leur relation avec leurs citoyens.

Dans cette optique, construire un système de gouvernance qui soit participatif et qui reconnaisse aux citoyens le droit d’exercer un contrôle proactif et réactif de tous les actes et toutes les politiques publiques, est devenu un enjeu essentiel tant pour les Etats que pour les partenaires nationaux et internationaux. C’est à cet impératif que voudrait répondre l’Institut Panos Europe (IPE), à travers la mise à disposition des journalistes congolais ce manuel de formation.

A cet égard, le Manuel de formation sur la Lutte contre la cor-ruption et le Journalisme d’Investigation est un outil qui réunit un certain nombre d’informations sur les instruments juridiques et politiques destinés à combattre la corruption et assurer un système d’intégrité publique adéquat et propice à la bonne gouvernance. Il présente aussi la méthodologie pour conduire des enquêtes jour-nalistiques destinées à soutenir les dynamiques citoyennes pour le triomphe de la transparence et l’imputabilité. Il est complété par un volet multimédia permettant de découvrir les témoignages vidéo de journalistes professionnels, tous spécialistes de l’investigation en

Cette publication a bénéficié du soutien du Programme Inter-bailleurs ‘Médias pour la Démocratie et la Transparence en RDC’ (PMDT), mis en œuvre par France Expertise Internationale, grâce à l’appui des coopérations britannique, suédoise et française.

Ce manuel engage uniquement la responsabilité de ses auteurs. Il ne reflète en

aucune manière les opinions de FEI et des coopérations britannique, suédoise et

française/des gouvernements britannique, suédois et français.

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Préface

Europe ou en Afrique. En les écoutant sur le site de Panos Europe (www.panoseurope.org), nul doute que leur expérience pourra éclairer les confrères tentés d’emprunter les mêmes chemins de la rigueur journalistique pour dénoncer les petites et grandes malver-sations qui enveniment les démocraties.

En initiant l’élaboration de ce manuel, l’IPE entend attirer l’atten-tion des journalistes sur la déontologie professionnelle et la loyauté qu’exige le travail d’enquête, tout en les interpellant sur le rôle social qu’ils doivent avoir pour guider chaque citoyen dans sa quête dé-mocratique. A ce titre, le manuel se veut un outil qui répond à deux objectifs à la fois pédagogique et heuristique.

Sur le plan pédagogique, il s’agit de décliner la masse d’informa-tions par un style simple et moins savant, accessible aux journalistes au regard de leurs axes professionnels respectifs, pour permettre de cerner le danger de la corruption et la nécessité de la combattre en recourant aux outils formalisés tant sur le plan mondial, régional que national. Cette mobilisation des outils et leur déclinaison de manière analytique certifie l’engagement de diverses parties pre-nantes à réduire significativement l’impact de ce fléau dont l’ampli-tude est sans commune mesure aussi bien sur le fonctionnement des institutions que les conditions existentielles des populations. Pour cela, le journalisme d’investigation renforce le sens de cet engagement en se déployant comme un cadre d’analyse qui tient compte des réalités du contexte.

En Afrique en général et en RDC en particulier, il est évident que la plupart d’organes de presse ne sont ni assez équipés, ni as-sez structurés pour inscrire le journalisme d’investigation dans les rédactions au titre de tâches quotidiennes. Non seulement, l’exer-cice est considéré comme couteux et exigeant en termes de temps mais il comporte également une part de risque évident. L’accès aux sources – notamment dans la sphère politique – est également fort aléatoire.

Ne pas faire du journalisme d’investigation équivaut à ne pas s’attirer des ennuis, tant il est attendu que la médiocrité à la fois des infrastructures de communication et de l’accès aux archives et à la documentation officielles contribuent à limiter la fiabilité des sources ainsi que l’authenticité et l’exactitude des faits rapportés.

Les informations à la portée du journaliste étant souvent à la fois incomplètes et délibérément orientées, suite à des règlementations ou à des lois de confidentialité strictes (qui sont d’ailleurs souvent des vestiges de l’époque du parti – état), il lui devient difficile de s’aventurer dans un océan où la survie est aléatoire.

Mais cette fébrilité à faire de l’investigation ne tiendrait-il pas aussi au déficit des approches méthodologiques utilisées dans le journalisme d’investigation ?

Ce manuel met en exergue l’évidence que le journalisme d’inves-tigation n’est pas un luxe uniquement réservé à l’élite journalistique. Rigueur, loyauté, intégrité et minutie peuvent suffire à produire un travail de qualité. Le journalisme d’investigation ne nécessite pas nécessairement de marcher sur les traces de Woodward et Bernstein en copiant servilement ce qui dans leur contexte est apparu comme l’acte le plus courageux que peut poser une « plume ».

L’Amérique n’est pas la RDC. Mais le même idéal pour lequel on s’est battu en Amérique -à savoir, obliger l’Etat à devenir un espace transparent où l’intégrité des dirigeants et des populations contribue à renforcer la crédibilité des Institutions, à améliorer leur efficacité et à consolider la loyauté des peuples à l’égard de l’Etat – est présent au Nord comme au Sud , à l’Est comme à l’Ouest.

Sur le plan heuristique, ce manuel est le fruit d’une interdisci-plinarité réussie qui côtoie la science politique et les sciences de l’information et de la communication, au travers ses deux auteurs, François Elika Atubolo et Claude Mukeba.

L’analyse de la question de la corruption n’est pas menée comme un fait isolé, mais comme un fléau pour lequel le journalisme d’in-

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vestigation se veut une réponse en termes de mobilisation des ac-teurs aussi importants que les médias et les journalistes. Ces der-niers sont des agents de socialisation qui influent sur le respect la gouvernance et à ce titre, l’investigation leur permet de fouiller pour mettre au grand jour la face cachée de l’iceberg. Si l’information, la vraie, n’est pas à la portée des citoyens, la transparence que pro-fessent les dirigeants ne servira à rien. C’est à cet impératif d’analyse et de courage que veut répondre ce manuel. Il ne prétend remplacer ni les ouvrages spécialisés sur l’analyse de la corruption ni les trai-tés sur le journalisme d’investigation. Il n’est pas une monographie, mais un outil d’information et de formation destiné à compléter les connaissances des praticiens du journalisme. Il pourra paraitre insuffisant pour certains, mais s’il aide à actualiser le débat sur le lien entre la lutte contre corruption et la pratique du journalisme d’investigation, d’une part et à réaffirmer le rôle stratégique des journalistes dans la promotion de l’intégrité dont la gouvernance a besoin pour sa crédibilité et son efficacité d’autre part, il aura atteint substantiellement la mission lui assignée.

Pierre N’sana Coordinateur national / RDC

Institut Panos Europe

Quelle est la meilleure définition du reportage d’investigation ?

Par rapport au reportage classique, quelles sont les particularités de l’enquête journalistique ? Quelle est sa plus-value parmi les différents genres journalistiques ? Comment naît un sujet d’enquête ? Quelles sont les règles essentielles à respecter lorsqu’un journaliste réalise un reportage d’investigation ? Quelles sont les différentes étapes condui-sant à la réalisation d’un reportage d’investigation ? Comment éviter les risques de manipulation ? Comment convaincre une source de par-ler ? Quelles relations entretenez-vous avec elle dans le court terme et dans le moyen terme ? Utilisez-vous des contacts systématiques pour nourrir une enquête, pour récolter de l’information en général ? Com-ment le journaliste doit-il protéger ses sources ? Le reportage d’inves-tigation peut-il donner lieu à un point de vue ou doit-il se limiter aux faits ? L’usage d’un micro ou d»une caméra cachée est-il autorisé ? Quelles sont les similitudes et/ou les différences que vous constatez lorsque vous travaillez en RDC ? Quels sont les principaux obstacles que vous rencontrez ? Sont-ils les mêmes que ceux rencontrés par les journalistes locaux ? Quels sont les conséquences/résultats de vos in-vestigations ? En d’autres termes, avez-vous le sentiment d’avoir un certain pouvoir sur certaines situations ? Est-ce que cela vaut la peine de risquer sa vie pour réaliser un reportage d’investigation ? Quels sont les conseils que vous pouvez prodiguer ? Avez-vous une anecdote à raconter pour illustrer l’une ou l’autre de vos enquêtes ?

Des journalistes professionnels, des chercheurs et des enseignants répondent à ces questions.

Visionnez leur témoignage sur www.panoseurope.org

www.lesmediasducitoyen.cd

web

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Introduction | La corruption est un danger pour la démocratie

Introduction

La corruPtIon est un danger Pour La démocratIe

Lorsque dans un pays, la corruption est tolérée et qu’elle s’enra-cine de manière profonde dans l’histoire au point d’être acceptée par tous comme l’un des moyens de survie, elle finit par devenir la norme d’enrichissement. Le danger c’est que la corruption va affai-blir davantage les institutions et rendre peu efficaces autant les poli-tiques publiques que les effets de ces dernières sur les conditions de vie des populations. Les méfaits de la corruption n’épargnent aucun système politique mais elle est plus nocive dans une démocratie. La démocratie négocie sa légitimité au quotidien avec la population à travers la capacité des institutions à répondre efficacement et équi-tablement aux préoccupations existentielles de la population.

Ainsi dans aucune société, la démocratie ne demeure-t-elle en permanence valable lorsqu’elle devient incapable de permettre aux institutions de devenir une solution aux besoins exprimés par la po-pulation. Or, la corruption prive l’Etat des moyens pour répondre aux préoccupations vitales pour lesquelles les dirigeants ont été élus. On peut donc admettre que la corruption est l’ennemi ontolo-gique de la démocratie autant qu’elle est un obstacle à la légitimité des dirigeants. Soutenir la démocratie n’a plus de sens si la lutte contre la corruption n’est pas engagée avec énergie.

Car, si la corruption enrichit un petit nombre de personnes, elle affaiblit la société, l’économie et l’État. Là où elle s’enracine, elle de-vient un obstacle important au développement, elle sape les fonde-ments mêmes de l’État de droit et mine les bases de la démocratie; elle entraîne une mauvaise utilisation des fonds publics, fausse la concurrence, fait obstacle au commerce et à l’investissement et par-ticipe de la déchéance des valeurs au niveau individuel ou collectif.

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La Banque Mondiale pense que «la corruption engendre des dis-torsions du développement économique et social, en favorisant de mauvais choix et en encourageant la concurrence pour les pots-de-vin plutôt au détriment de celle de la qualité et des prix des biens et services et, très souvent, ce sont les populations les plus pauvres du monde qui pâtissent des conséquences de la corruption de leurs propres responsables et des représentants des multinationales » 1

Comme on peut s’en rendre compte, le degré de la corruption est en lien direct avec la qualité de la gouvernance dans un Etat. Dans une société où les formes diversifiées de corruption se sont institutionnalisées au point de devenir les modes culturels de vie, la pauvreté est souvent quasi permanente et la gouvernance politique déficitaire.

On remarque que la majorité des populations cessent probable-ment de croire que l’Etat constitue, au-delà des rhétoriques de déci-deurs publics, un vecteur de changement et de transformation.

Cependant, la corruption n’est pas une fatalité. Depuis quelques années déjà, les efforts pour la combattre sur tous les fronts se sont amplifiés tant sur le plan mondial, régional que national. L’engage-ment des parties prenantes à cette lutte, à savoir les Etats, les Orga-nisations Internationales, les médias, les Organisations de la société civile ainsi que d’éminentes personnalités, certifie que le monde n’est plus disposé à subir la dynamique de la corruption et qu’il œuvre par contre à l’infléchir. La RDC a réalisé, suite aux différents diagnostics menés par chacun de ces acteurs ou parties prenantes, que la crédibilité de son système de gouvernance serait fortement entamée si des efforts pour lutter contre la corruption manquaient de vigueur et de traçabilité.

Dans cette optique, la RDC a, à travers plusieurs rapports, été classée parmi les pays les plus corrompus du monde. On en a pour preuves le Rapport mondial sur l’Indice de risque de corruption de

1 Rick Stapenhurst, Le Rôle des Médias dans la Lutte contre la Corruption, Institut de la Banque Mondiale, Rapport d’étude, 2000, p. 2.

Maplecroft de 2013 qui place la RDC avec la Somalie parmi les pays les plus corrompus du monde ainsi que le Rapport Ibrahimo sur la Gouvernance de 2013 qui classe la RDC en dernière position en ce qui concerne la gouvernance. De même, le Rapport mondial du PNUD de 2013 intitulé « L’essor du Sud : le progrès humain dans un monde diversifié » atteste que la RDC a l’indice le plus bas en matière de développement humain.

Sous cet angle, les autorités congolaises ont saisi la portée du danger que court un pays qui se laisse guider par des dynamiques constantes de la corruption et ont mis en place des conditions néces-saires pour autant assainir les mœurs que consolider l’impératif de faire du Congo un pays dont les systèmes d’intégrité aideraient à soutenir le processus de gouvernance démocratique enclenché dans le pays. Dans ce combat, les médias ont un rôle essentiel à jouer. Les médias, en tant qu’instances d’information et de médiation so-ciale, doivent jouer un rôle essentiel dans la lutte contre la corrup-tion. De par leur mission, les médias constituent «naturellement » un obstacle à la « loi du silence » (autrement connue sous le nom d’omerta2) véritable alliée de la corruption.

Les médias assurent également un rôle de surveillance publique des valeurs ou des références codifiées dans la société démocratique ou en transition démocratique en ce qui concerne notamment la préservation des systèmes publics d’intégrité.

En effet, lorsqu’un Etat met en œuvre des réformes nationales de grande envergure, la volonté politique des décideurs ne suffit pas à elle-seule pour engendrer des transformations structurelles souhai-tées. Ces réformes ne serviront pas à grand-chose sans l’implication des membres de la société civile et des médias. Car ceux qui, au

2 L’omertà est un vocable sicilien propre au champ lexical de la mafia. On le traduitgénéralement par «loi du silence». La loi du silence est la règle tacite imposée par les mafieuxdanslecadredeleursaffairescriminellesquiimpliquelanon-dénonciationdecrimes,lefaux-témoignageetc.Elles’imposenonseulementauxmafieuxeux-mêmes,mais aussi à tous ceux qui seraient susceptibles de témoigner contre eux en justice. Le châtiment pour la violation de cette loi est la mort.

Introduction | La corruption est un danger pour la démocratie

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quotidien, s’occupent de la mise en place des politiques publiques, l’utilisation des fonds de l’Etat, ne sont pas absolument la meilleure ceinture de sécurité dans la lutte contre la corruption.

On a par exemple constaté dans plusieurs pays que les produc-tions médiatiques ont incité certaines institutions publiques à ouvrir des enquêtes officielles concernant des accusations de corruption. De même, à l’inverse, lorsque les médias diffusent les conclusions des organismes publics de lutte contre la corruption, ils contribuent souvent à renforcer leur légitimité et poussent la population à s’y intéresser.

Le rôle des médias est également crucial dans la promotion de la bonne gouvernance et l’éradication de la corruption. Il ne consiste pas seulement en la conscientisation du public sur la corruption, ses causes, ses conséquences et les remèdes possibles mais, à travers d’investigations journalistiques menées avec professionnalisme, il peut éclairer les citoyens sur des pratiques peu louables. Mais dans ce cas, l’efficacité des médias dépend toutefois de trois conditions : d’une part, l’accès aux sources d’informations, d’autre part, la liber-té d’expression et enfin, l’éthique des journalistes d’investigation.

La surveillance des systèmes publics d’intégrité à travers l’utili-sation des fonds publics et la prestation des services publics (c’est-à-dire, prévenir la corruption passive), qu’opèrent les médias leur confère un positionnement stratégique dans la construction de la morale publique et sa protection. Cela exige un professionnalisme élevé de la part des journalistes. Ce professionnalisme passe par la maitrise des techniques d’investigation qui garantissent l’accès à une information non superficielle et un traitement rigoureux repo-sant sur des postulats heuristiques éprouvés.

Cela exige aussi du journaliste, des connaissances solides sur la corruption, alors qu’elle demeure une matière complexe. Il est donc indiqué que les journalistes soient suffisamment informés sur l’arse-

Des journalistes témoignent ! En complément à cette littérature, des témoignages de journalistes professionnels, tous spécialistes de l’investigation en Europe et en Afrique, sont disponibles sur le site de Panos Europe.

Leurs pratiques professionnelles, leurs expériences et leurs conseils illustrent les incidences que peuvent avoir des reportages d’investigation sur la bonne santé des démocraties.

nal juridique, les outils de référence ainsi que les structures qui ont déjà balisé le chemin de manière à assurer l’efficacité des actions à entreprendre.

C’est à ces deux exigences (professionnalisme et savoir sur la corruption) que voudrait répondre ce manuel. Aussi comporte-il deux grandes parties : une première relative aux connaissances sur la corruption, et la seconde, aux techniques du journalisme d’inves-tigation.

Introduction | La corruption est un danger pour la démocratie

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Le cadre conceptuel de la corruption

CHAPITRE I

Le cadre concePtueL de La corruPtIon

I.1. deFInItIonsIl est plus aisé de décrire la corruption que de la définir tant il

est vrai que le concept mobilise plusieurs définitions qui sont au-tant partielles, contradictoires et peu adaptées à la complexité et au contexte dans lequel la corruption se décline. Mais de manière générale, la corruption s’actualise dans la contradiction entre la logique qui sous-tend l’action administrative perçue comme action publique de promotion et de protection de l’intérêt général et celle qui caractérise l’action privée vue sous l’angle de satisfaction des besoins individuels ou privés.

En dépit de la pluralité de définitions, il reste vrai que la corrup-tion est un frein à la démocratie, une entrave à l’épanouissement et un danger à la stabilité et à la sécurité d’existence. A la longue, elle se décline comme une menace existentielle tant pour le corrupteur, le corrompu que pour l’ensemble de la société.

Le groupe multidisciplinaire sur la corruption du Conseil de l’Europe définit la corruption comme une rétribution illicite ou tout autre comportement à l’égard des personnes investies de responsabilité dans le secteur public ou le secteur privé, qui contrevient aux devoirs qu’elles ont en vertu de leur statut d’agent d’État, d’employé du secteur privé, d’agent indépendant ou d’un autre rapport de cette nature et qui vise à procurer des avantages indus de quelque nature qu’ils soient, pour eux-mêmes ou pour un tiers.

Cette définition indique que lorsqu’un fonctionnaire de l’Etat ou toute personne préposée par l’Etat ou une structure use de sa posi-tion pour s’octroyer un avantage qu’elle n’aurait pas dû, il y a là une corruption. Le soubassement culturel de cette définition est de

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CHAPITRE 1

s’inscrire contre les pratiques congolaises qui tolèrent un avantage au nom de la reconnaissance de l’usager.

C’est dans ce sens que la Banque Mondiale considère que la corruption est tout simplement l’utilisation de sa position de res-ponsable d’un service public à son bénéfice personnel. En d’autres termes, la position statutaire peut conférer autorité et amener celui qui en use à en abuser au point de soumettre l’usager à lui verser une contrepartie matérielle ou financière que la livraison du service n’exige guère. La corruption transparait alors comme le fait d’abu-ser du pouvoir que l’on détient. C’est pour cela que Transparency International, une Organisation Non Gouvernementale Internatio-nale de lutte contre la corruption, affirme que corrompre consiste à abuser d’un pouvoir reçu en délégation à des fins privées.

Si toutes ces définitions ont l’avantage de mettre à nu les élé-ments constitutifs de la corruption, à savoir l’abus de pouvoir (reçu par délégation) à des fins personnelles, elles ne tradusent cependant pas la complexité et l’interactivité des parties prenantes dans la cor-ruption. En effet, ces définitions mettent l’accent sur le corrupteur et le corrompu, mais ne montrent pas qu’il s’agit d’un processus tran-sactionnel et interactif qui implique aussi le corrupteur que le cor-rompu. En plus, ces définitions laissent de côté la dimension morale de la corruption en tant que système d’intégrité qui devait guider la société.

C’est pour cette raison que Roger Lenglet estime que la corrup-tion est la perversion ou le détournement d’un processus ou d’une interaction avec une ou plusieurs personnes dans le dessein, pour le corrupteur, d’obtenir des avantages ou des prérogatives particu-lières ou, pour le corrompu, d’obtenir une rétribution en échange de sa bienveillance3.

Ainsi donc, la corruption n’est pas uniquement un problème d’abus de pouvoir ou de profit personnel mais également une « tran-

3 Lenglet, R; Lobbying et santé - Comment certains industriels font pression contre l’intérêt général,Ed.Pascal/MutualitéFrançaise,2009

saction » mettant aux prises au moins deux personnes et une érosion de l’éthique qui se détourne de la préservation de l’intérêt collectif au profit des intérêts privés. On peut donc dire que la corruption est une « transaction piégée » contre la société. Pour s’en rendre compte, il vaut mieux cerner sa complexité à travers ses typologies.

I.2. tYPes de corruPtIonTout autant que pour les définitions, plusieurs typologies ont été

formalisées autour de la notion de corruption, tant les critères qui président à cet exercice diffèrent selon les domaines d’application, l’opérateur en présence et les contextes pris en compte.

Cependant, en tenant compte de quelques éléments, on peut forger quelques typologies. Il s’agit notamment de la hauteur de sommes versées (ou la valeur des avantages échangés) combinée au niveau de responsabilité des acteurs impliqués ; du degré d’accep-tation sociale ou d’accommodement par les populations ; ainsi que

2.1. Selon les avantages échangés et le niveau de responsabilité des acteurs

Les différents types de corruption peuvent être ramenés à deux grandes catégories : la « petite » corruption et la « grande » corrup-tion.

La première concerne généralement le versement de sommes peu élevées à des agents publics de rang inférieur, dans le but de « faciliter les choses » ou de contourner certains obstacles bureaucra-tiques.

La seconde, à une plus grande échelle, concerne les cas des grandes entreprises multinationales versant des milliers, voire des millions de dollars à des responsables gouvernementaux ou des hommes politiques pour obtenir des contrats commerciaux lucra-tifs, qui font la une des journaux.

Le cadre conceptuel de la corruption

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CHAPITRE 1

Pourtant, la corruption ne concerne pas que les élites politiques, administratives et économiques. Aujourd’hui encore, comme au xixe siècle, la plupart des fonctionnaires découverts sont de rang modeste, rappelle Yves Mény4. C’est le gardien de prison qui facilite les contacts des détenus avec l’extérieur, le fonctionnaire de la com-mune qui accorde abusivement l’attestation de perte de pièce exi-gée pour l’établissement de la carte d’électeur, l’officier de la police de circulation routière qui laisse des « cercueils roulant » mettre en danger la vie des citoyens sur la voie publique, l’enseignant qui laisse l’élève irrégulier passer de classe….

En RDC, on tolère le « Bonjour des policiers de roulage» en contrepartie desquels le Conducteur de taxis bus versent entre 500 et 1000 Fc , on accepte que le Professeur d’Université sollicite de son collègue la possibilité de revoir les notes d’un étudiant ou une étudiante, on admet que la personne qui arrive après tout le monde verse quelque chose pour passer devant tous et obtenir un service à l’Hôpital, etc. Tout cela se fait au grand jour et se tolère par tous sous le fallacieux prétexte que le monde fonctionne de cette manière et qu’une seule fois, cela peut ne pas déranger.

4 DonatellaDellaPortaetYvesMény,Démocratie et corruption en Europe, Découverte, 1995.

Ces différents exemples mettent en jeu des sommes faibles, quelques milliers de francs congolais, sans commune mesure avec celles que mettent en jeu les détournements d’attribution de mar-chés publics. Le fonctionnaire corrompu considère sa fonction comme un patrimoine dont il use à sa guise, les règles publiques comme des instruments de chantage. Certes, il est plus difficile de prouver la corruption dès lors qu’il n’y a pas d’échanges monétaires directs, mais le journaliste dispose d’une panoplie des techniques pour mener à bien son investigation et prouver ce qui paraissait difficile à établir.

Lorsque la corruption dépasse les institutions politiques et éco-nomiques pour atteindre l’appareil administratif d’un pays, ce n’est plus un petit groupe d’individus malhonnêtes qui est en cause, mais une corruption institutionnelle ou systémique. Ce phénomène se développe particulièrement lorsque les institutions publiques sont en position de faiblesse ou inexistantes. Il est étroitement lié à une mauvaise gestion des affaires publiques. La corruption sys-témique est particulièrement répandue en l’absence de moyens de contrôle législatifs adéquats, d’instances judiciaires ou d’instances de contrôle autonomes, de moyens d’information professionnels et de représentants de la société civile indépendants.

2.2. Selon l’acceptation socialeSelon le degré d’acceptation sociale, trois types de corruption se

dégagent:a) celle qui désigne les actes que tous condamnent;b) celle qui regroupe ceux désapprouvés par une partie de la

population;c) celle qui se rapporte à des pratiques largement tolérées par la

population.

Le cadre conceptuel de la corruption

Mais ATTENTION !Cette distinction ne signifie pas que certaines formes de corruption sont pires que d’autres. Car, en dépit de sa portée limitée, la petite corruption, observable au niveau local peut avoir des conséquences tout aussi nui-sibles que la grande corruption sur le développement de la société.

Le journaliste doit se refuser à banaliser certains actes de corruption au motif qu’ils interviennent à un niveau inférieur et par conséquent ne peuvent aboutir à rien qui ne mérite l’attention des médias.

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CHAPITRE 1

2.3. Autres catégorisationsA coté de ces deux catégorisations, on peut trouver dans plu-

sieurs autres manières de qualifier la corruption, dont nous repre-nons ici les principales.

La corruption occasionnelle, en vue d’obtenir un service que l’on souhaite: ce type de corruption affecte un utilisateur, personne morale ou physique, qui se trouve contraint de payer pour pouvoir accéder à un service. La petite corruption, parfois tolérée, est égale-ment très nuisible pour la société.

La corruption de masse: il s’agit d’un type de corruption où rien n’est exigé formellement. Ceux qui la pratiquent savent que les ca-deaux et certaines faveurs peuvent faciliter le contact et l’accès à un service.

La corruption institutionnalisée consiste en une corruption per-manente, instituée et connue de tout un chacun, ou presque. L’utili-sateur est au courant de la pratique et connaît à l’avance le prix qu’il devra payer pour accéder à un service.

La corruption négociée: elle a cours dans certains dossiers judi-ciaires ou économiques, par exemple lors de la passation de mar-chés publics, ou encore pour le règlement amiable d’affaires fiscales.

La corruption du fait accompli: les promoteurs d’initiatives éco-nomiques sont souvent victimes de ce type de corruption. Parvenus à une certaine étape de la réalisation de leurs plans, ils se trouvent obligés de payer pour pouvoir en poursuivre le développement. Les investisseurs étrangers sont également confrontés à ce type de corruption et doivent payer ou, dans certains cas, s’associer à un «dignitaire» pour pouvoir continuer leurs opérations.

Très peu d’entreprises participent aux appels d’offres des pou-voirs publics alors que la demande qui en émane y est très impor-tante. La plupart d’entre elles pensent que l’adjudication des contrats est tranchée à l’avance.

La corruption du type de l’échange de bons procédés ne consti-tue pas une corruption qui se monnaie contre espèces sonnantes et trébuchantes puisqu’elle ne fait pas intervenir de transaction en argent liquide. C’est une corruption qui se paie par l’octroi en retour de quelque service ou privilège.

Dans la corruption pyramidale, qui sévit dans certains services, la corruption est organisée à la manière d’une pyramide. Chacun de ses échelons hiérarchiques, à commencer par le palier le plus bas, doit réaliser un certain «chiffre d’affaires» de corruption qui aug-mente chaque fois que l’on grimpe d’un niveau dans la hiérarchie, jusqu’à atteindre son sommet. Dans ce type de services, la nomi-nation à un poste se monnaie en fonction de la valeur estimée du revenu de corruption qu’il peut générer.

La corruption planifiée à moyen et long termes constitue une espèce d’ingénierie de la corruption. Dans un pays, une personne peut être nommée à un poste de haut ou très haut niveau dans le but d’établir un plan d’enrichissement personnel qui s’appuie sur la corruption. Elle atteindra cet objectif en dévoyant l’action publique de manière à ce qu’elle profite aux seuls intérêts d’une personne ou d’un groupe de personnes.

La corruption politique particratique sévit en période électorale, où les votes s’achètent dans de nombreux pays. Pour bien des gens, surtout dans les quartiers populaires, la campagne électorale consti-tue une source de revenus.

1.3 acteurs et actes de La corruPtIon

Pour mieux « traquer » la corruption, le journaliste doit faire at-tention aux différentes formes que peuvent prendre les actes de cor-ruption et éviter de se focaliser uniquement sur ceux dans lesquels intervient l’échange d’importantes sommes d’argent.

Le cadre conceptuel de la corruption

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CHAPITRE 1

Il s’efforcera d’identifier, pour chaque transaction jugée suspecte, le corrupteur actif et corrupteur passif. Le premier est l’auteur de toute présentation d’une promesse ou d’une offre, de don ou de cadeau ou de tout autre avantage en vue d’obtenir une quelconque faveur. Il l’est aussi en répondant favorablement à une demande de pot-de-vin, même sans aucune suggestion de la part du requérant, en contrepartie d’un service.

Le second accède à toute demande ou promesse de réception d’un don ou d’un cadeau ou de tout autre intérêt afin de :

− Exécuter une fonction ou s’abstenir à une telle action, que ce soit un travail légitime ou illégitime,

− Emettre une décision ou exprimer une opinion pour ou contre une personne, en sa qualité de Juge, ou d’Expert désigné par l’autorité administrative ou judiciaire ou choisi par les Parties,

− Etre en faveur d’une partie ou contre elle, en sa qualité de Ma-gistrat ou d’Expert assermenté ou de membre du Conseil du tribunal,

− Donner un faux témoignage sur l’existence ou l’absence de maladie ou d’un handicap, ou d’un état de grossesse, ou don-ner de fausses déclarations sur l’origine d’une maladie, d’un handicap ou la raison du décès, en sa qualité de médecin, de chirurgien ou dentiste ou de sage-femme.

1.4. Les manIFestatIons de La corruPtIon

Tout acte qui prendra la forme de l’une de manifestations ci-après sera, à juste titre, versé sur compte de la corruption. Il s’agit de :

A. LE FAVORITISME Le favoritisme désigne le parti pris en faveur d’une partie par

complicité ou l’hostilité exprimée contre lui. Il constitue une infrac-tion.

B. LA FRAUDELa fraude est la déformation intentionnelle des faits pour obtenir

un avantage non mérité en donnant ou en recevant une fausse infor-mation. Elle peut se manifester par :

− la falsification des rapports ; − l’établissement des faux et usage des faux documents ; − l’attribution de gré à gré de marchés publics; − Toute autorisation, non prévue par la loi, de toute exonération ou exemption d’un impôt ou d’une taxe générale

− L’ensemble des prélèvements perçus directement ou indirec-tement, non prévus par la loi,

− Toute demande, réception ou imposition d’ordres de rassem-bler ce qui n’est pas dû, que ce soit pour l’administration pu-blique, ou pour des individus

C. LA COLLECTE D’UN BENEFICE ILLEGAL − Toute perception ou réception de tout intérêt dans un contrat ou une transaction ou d’une institution ou l’exploitation di-recte sous la direction de l’agent public ou à sa surveillance, en tout ou en partie, au cours de son acte, que ce soit expressé-ment ou implicitement ou par lui ou par d’autres,

− Tout bénéfice découlant du processus où un agent public est chargé du paiement ou d’effectuer la liquidation à cet effet,

− Tout bénéfice découlant du processus où un agent public est chargé du paiement ou d’effectuer la liquidation à cet effet après la fin de sa fonction.

D. ABUS ADMINISTRATIFSCe sont des usages excessifs ou injustes qui empêchent le bon

fonctionnement des administrations. Ils peuvent se traduire par des lenteurs administratives volontaires au bénéfice des détenteurs de pouvoir dans le secteur public ou privé ainsi que dans certaines organisations.

Le cadre conceptuel de la corruption

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CHAPITRE 1

Les avantages découlant de ces abus peuvent revêtir la forme de dons, offres, promesses, présents, sommes d’argent, faveurs, dis-tinctions, récompenses, emplois…

E. L’EXCES DE POUVOIR Se matérialise par chaque ordre d’utilisation du pouvoir public

par un juge ou un fonctionnaire public ou toute demande d’inter-vention contre l’application d’une loi ou pour la collecte de l’impôt fixé par la loi ou contre la mise en œuvre des ordonnances ou des décisions judiciaires ou des ordonnances émanant d’une autorité légitime. Toute décision administrative rendue par une autorité non compétente ou portant un vice de forme ou un dérèglement de pou-voir ou une absence de fondement ou une violation de la loi consti-tue un Excès de pouvoir.

F. L’ABUS D’INFLUENCEToute demande ou acceptation d’une offre ou d’une promesse,

ou demande ou réception d’un don ou d’un cadeau ou de tout autre avantage, afin de permettre à une personne ou d’essayer de lui permettre, d’obtenir un Ordre, un rang ou une récompense ou honoraire, un statut, une fonction ou un service ou tout autre avan-tage accordé par l’autorité publique ou une affaire ou un projet ou tout bénéfice résultant de l’accord conclu avec l’autorité publique ou avec le ministère placé sous sa supervision,

Toute obtention d’une décision en faveur d’une telle autorité ou administration, en prenant avantage de cette influence réelle ou supposée.

G. DYSFONCTIONNEMENTS LIES AU PROCESSUS DE PAS-SATION ET EXECUTION DES MARCHES PUBLICS

Des dysfonctionnements peuvent avoir lieu dans le cadre des marchés publics en particulier en ce qui concerne l’égalité d’accès à l’information, le suivi et l’exécution des marchés, le contrôle et l’au-dit, la transparence, le pouvoir discrétionnaire du maître d’ouvrage et le recours devant la commission des marchés.

H. PRATIQUES ANTICONCURRENTIELLESPratiques ayant pour effet d’empêcher, de restreindre ou de faus-

ser le jeu de la concurrence. Il en est ainsi notamment lorsque les actions concertées, conventions, ententes ou coalitions expresses ou tacites tendent à :

− limiter l’accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d’autres entreprises ;

− faire obstacle à la formation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ;

− limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investis-sements ou le progrès technique ;

− répartir les marchés ou les sources d’approvisionnement.

I. ABUS DE BIENS SOCIAUXDélit dont se rendent coupables les dirigeants ou les gérants

d’une société commerciale qui, de mauvaise foi, font des biens ou du crédit de la société un usage qu’ils savent contraire à l’intérêt de celle-ci, à des fins personnelles ou pour favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils sont intéressés directement ou indi-rectement. L’abus de biens sociaux est un type de détournement de biens, mais qui n’existe pas encore dans la législation congolaise de manière évidente.

J. L’EXPLOITATION ILLEGALE DU DOMAINE PUBLICToute exploitation sous quelque forme que ce soit de moyens et

d’outils appartenant à l’Etat, aux collectivités locales et aux institu-tions publiques et semi-publiques pour des fins personnelles.

K. LE TRAFIC D’INFLUENCELe trafic d’influence est un délit qui consiste à recevoir des dons

(argent, biens) pour favoriser les intérêts d’une personne physique ou morale auprès des pouvoirs publics. C’est une forme de corrup-tion telle que la présente la Convention des Nations Unies contre la corruption.

Le cadre conceptuel de la corruption

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CHAPITRE 1

Le trafic d’influence est une forme de corruption qui consiste à une personne qui promet d’exercer improprement son influence dans la prise de décision quelconque en échange d’un avantage ou service. C’est une pratique courante d’abus d’autorité en RDC ac-compagnée par des menaces de représailles.

L’objet nouveau c’est que le trafic d’influence n’est plus l’accom-plissement d’un acte relevant d’une personne exerçant une fonction publique (ou privée) déterminée, mais bien l’exercice par celle-ci de son influence au profit d’une autre personne. Le trafic d’influence est cependant une forme de corruption complexe dans la mesure où elle n’est pas seulement bilatérale (corrupteur, corrompu), mais trilatérale également dans sa finalité.

A côté des deux parties à l’acte, il en est, en effet, une troisième, en fonction de laquelle l’acte a été accompli : c’est la personne pu-blique de qui est espérée l’adoption d’un comportement déterminé. La personne qui exerce l’influence est un intermédiaire par rapport à ce troisième acteur. Le trafic d’influence se présente ainsi comme un acte de corruption.

L. LES PRATIQUES CONTRAIRES A L’ETHIQUECes pratiques sont des comportements malhonnêtes ne respec-

tant pas les normes, les lois et le système des valeurs. Elles peuvent concerner le respect des droits humains, les conditions de travail, les relations professionnelles, la transparence, la protection de l’en-vironnement, la protection des consommateurs, la sécurité dans l’entreprise, les licenciements abusifs, le délit d’initié ….

M. LE DETOURNEMENT DE FONDS Tout acte de dilapidation, d’endommagement ou de détention

sans droit, ou de dissimulation de fonds publics ou privés ou d’obli-gations équivalentes, des arguments ou des contrats ou des biens meubles placés sous le commandement du fonctionnaire suite aux dispositions de sa fonction ou en relation avec celle-ci. Le fait de

détourner de l’argent ou des biens publics à des fins personnelles par les responsables financiers dans le service public, responsable politique, gestionnaires des entités publiques constitue un détour-nement. Le détournement peut se manifester par :

− la rétrocession d’un pourcentage dans les recettes publiques; − l’établissement des faux et usage des faux documents; − l’appropriation des biens publics ; − le gonflement des listes de paie.

N. LE POT-DE-VIN Le pot-de-vin est l’échange d’argent ou de faveurs contre un

contrat ou un service donné (quid pro quo). Ceci se passe souvent dans l’illégalité ou le non-respect des règles établies dans une orga-nisation. Il peut se manifester de plusieurs manières:

− le monnayage en nature ou en espèce des services liés à l’attri-bution des titres fonciers, à l’exploitation forestière ainsi que dans le service judiciaire;

− l’acceptation des faux documents portant sur les titres des pro-priétés foncières, l’exploitation forestière illégale, le droit de carbone;

− la passation frauduleuse des marchés moyennant un verse-ment d’une somme d’argent aux décideurs

I.5. Lutte contre La corruPtIon Pour la combattre avec efficacité, il est important de cerner com-

ment elle opère, les acteurs qui la soutiennent, les secteurs dans les-quels elle se déploie, ses mécanismes sociaux et la rationalité qui la détermine.

Selon l’économiste Daniel Kauffman, les programmes efficaces de lutte contre la corruption (EC) sont tributaires du niveau de connaissances et d’information (CI) du niveau du leadership de chaque acteur (LE) et d’un engagement de la société qui mobilise

Le cadre conceptuel de la corruption

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CHAPITRE 1

plus les actions collectives (AC) dans le but d’impulser une dyna-mique de transformation sociale5.

Cette démarche est symbolisée dans le schéma suivant :

Ce schéma montre que l’information et la participation citoyenne revêtent une importance capitale dans la lutte contre la corruption.

En effet, plusieurs institutions multilatérales telles que le Pro-gramme des nations unies pour le développement (PNUD), la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International (FMI) ont reconnu dans diverses publications que la corruption ne peut pas être combattue uniquement par une réglementation et des codes de conduite volontaires des affaires. Les acteurs non-gouvernemen-taux, les Organisations de la société civile (OSC) et les médias ont un rôle essentiel dans la promotion de la discussion et la mobilisa-tion du soutien du public contre la corruption.

Ces acteurs peuvent sensibiliser les populations à l’impact néga-tif de la corruption et au fait qu’il s’agit d’un crime passible de sanc-tions. Ils peuvent surveiller et évaluer les progrès réalisés dans la mise en œuvre des engagements internationaux comme la Conven-tion des Nations Unies contre la corruption (CNUCC) et la Conven-tion de l’OCDE sur la lutte contre la corruption.

Ces Institutions multilatérales attestent également que les ac-teurs non étatiques ont également prouvé leur rôle dans la révéla-tion d’affaires de corruption, fraudes ou mauvaise administration, au niveau national mais aussi international.

Fort de ces acquis, plusieurs efforts de pénalisation de la corrup-tion ont été entrepris tant au niveau des organisations régionales et internationales qu’à celui des Etats. Ces efforts rendent compte de la mutualisation des synergies pour éradiquer sinon limiter les

5 RickStapenhurst,Le Rôle des Médias dans la Lutte contre la Corruption, Institut de la Banque Mondiale, Rapport d’étude, 2000, p. 2

dégâts d’un phénomène aux dimensions si complexes et aux consé-quences si dramatiques sur la sécurité d’existence et la démocratie dans le monde.

A cet effet le combat pour l’éradication de la corruption à l’échèle planétaire exige le déploiement combiné des actions de prévention et de l’éducation et de répression. Mais il reste vrai que pour être efficace une stratégie de lutte contre la corruption doit avoir une portée globale et être soutenue par toutes les parties, en particulier par ceux qui exercent les plus hautes responsabilités.

C’est dans ce sens que les conventions internationales, les pro-tocoles régionaux et les législations nationales se sont mis en place renforçant ainsi l’ordonnancement juridique nécessaire pour conso-lider la dynamique d’infléchissement de la corruption. A cote de cela, des volontés politiques fortes ont été exprimées et formalisées tant par les autorités gouvernementales, les médias que les Organi-sations de la société civile montrant combien il est adéquat, à tra-vers une approche holistique, de se mutualiser pour vaincre le fléau de la corruption qui est à la fois une menace à la sécurité humaine et un test à la civilisation humaine.

I.5.1. L’arsenaL JurIdIQue InternatIonaL contre La corruPtIon

a. La Convention des Nations Unies contre la corruptionDans sa résolution 55/61 du 4 décembre 2000, l’Assemblée gé-

nérale des Nations Unies avait reconnu la nécessité d’élaborer un instrument juridique international efficace contre la corruption6 et a décidé de créer un comité spécial chargé de négocier un tel ins-trument.

Le texte de la Convention des Nations Unies contre la corruption a été négocié au cours de sept sessions du Comité spécial chargé de négocier une convention contre la corruption, qui se sont tenues entre le 21 janvier 2002 et le 1er octobre 2003.6

Le cadre conceptuel de la corruption

EC (Efforts de lutte contre la corruption) = CI (Connaissances et informations) + LE (Leadership) + AC (Actions collectives)

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CHAPITRE 1

Par sa résolution 58/4 du 31 octobre 2003, l’Assemblée générale a adopté la Convention approuvée par le Comité spécial. Dans sa ré-solution 57/169 du 18 décembre 2002, l’Assemblée générale a accep-té l’offre du Gouvernement mexicain d’accueillir une Conférence de signature de haut niveau de la Convention des Nations Unies contre la corruption par des personnalités politiques de haut rang. Conformément à l’article 68 (1) de la résolution 58/4, la Convention des Nations Unies contre la corruption est entrée en vigueur le 14 décembre 2005.

La mise en place de cet arsenal juridique mondial puise son fon-dement dans la préoccupation exprimée par les Chefs d’Etats et des gouvernements au sujet de la gravité des problèmes que pose la corruption et de la menace qu’elle constitue pour la stabilité et la sécurité des sociétés, en sapant les institutions et les valeurs démo-cratiques, les valeurs éthiques et la justice et en compromettant le développement durable et l’état de droit.

Aussi, pour plus d’efficacité, la Convention des nations unies contre la corruption propose une approche holistique de lutte construite autour des paramètres clés que sont :

� La préventionLa convention consacre à la prévention un chapitre entier, qui

prévoit diverses mesures visant à la fois le secteur public et le sec-teur privé. Ces mesures comprennent des modèles de politiques de prévention telles que la création d’organes anticorruption et une transparence accrue du financement de campagnes électorales et de partis politiques. Les États doivent s’efforcer de mettre en place des mécanismes assurant que leurs services publics se caractérisent par l’efficacité, la transparence et le recrutement fondé sur le mé-rite. Nous y reviendrons la partie consacrée aux structures de lutte contre la corruption.

� L’incriminationLa Convention exige que les États parties confèrent le caractère

d’infraction pénale à une grande diversité d’actes de corruption dans la mesure où ceux-ci ne sont pas déjà définis comme tels dans le droit interne. Dans certains cas, les États sont dans l’obligation de créer des infractions; dans d’autres cas, compte tenu des diffé-rences entre les droits nationaux, les États sont dans l’obligation d’envisager l’incrimination de certains actes. La Convention va au-delà d’instruments antérieurs en ce qu’elle vise non seulement des formes élémentaires de corruption telles que les pots-de-vin et la soustraction de fonds publics, mais aussi le trafic d’influence et le recel ou le blanchiment du produit de la corruption.

� La coopération internationaleLes États se sont accordés à coopérer à tous les niveaux de la

lutte contre la corruption, y compris la prévention, les enquêtes et la poursuite des auteurs d’infractions. En vertu de la Convention, les États sont dans l’obligation d’accorder des formes spécifiques d’entraide judiciaire, notamment pour le recueil et le transfert d’élé-ments de preuve et pour extrader les auteurs d’infractions.

� Le recouvrement d’avoirsMarquant une avancée majeure, les pays se sont accordés pour

ériger le recouvrement d’avoirs en principe fondamental de la Convention. C’est une problématique particulièrement importante pour de nombreux pays en voie de développement dans lesquels la corruption de hauts fonctionnaires a pillé les richesses nationales, et où des ressources sont indispensables pour permettre aux sociétés de se reconstituer et de se développer.

b. La RDC a marqué son adhésion à cette convention le 23 sep-tembre 2010, date à laquelle elle l’a ratifiée.

La Convention de l’Union africaine (UA) sur la prévention et la lutte contre la corruption.

Le cadre conceptuel de la corruption

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32 33

CHAPITRE 1

La Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption s’applique aux actes de corruption active et passive, dans le secteur public et privé. A l’image de la Convention des nations unies, elle combine des mesures de prévention et de répression pénale contre les actes de corruptions commis au sein ou par les pays membres.

Du point de vue de la prévention, la convention de l’Union africaine couvre des domaines inédits pour une convention inter-nationale. En effet, elle impose des règles de transparence dans le financement des partis politiques (article 10) et donne pour obliga-tion à certains agents publics de déclarer leur patrimoine (article 7). Elle pose également des limites à l’immunité de certains officiels. Enfin, elle organise la protection des déclencheurs d’alerte, ou whistleblowers, (article 5), l’accès du public à l’information, la par-ticipation de la société civile à la prévention et à la lutte contre la corruption (article 12).

Sur le plan de la répression, la Convention de l’UA prévoit un certain nombre d’actes devant être érigés en infraction pénale : la corruption publique et privée, nationale et internationale, le trafic d’influence, l’enrichissement illicite, le blanchiment d’argent.

Elle demande aux Etats parties de simplifier leurs règles concer-nant l’extradition (article 15). Elle facilite la coopération judiciaire (article 18) et demande à ce que le secret bancaire ne puisse servir de motif au rejet d’une demande de coopération (article 17). D’autres mesures préconisées par cet instrument concernent notamment la mise en place d’une autorité centrale pour répondre aux litiges tou-chant la coopération (article 20).

En cela la convention facilite la confiscation et la restitution du produit de la corruption (article 16).

Elle met en avant la nécessité de coopérer avec les pays d’ori-gine des entreprises multinationales, pour que ces Etats puissent réprimer les actes de corruption commis à l’étranger, ainsi que la nécessité de coopérer avec les institutions financières internatio-nales (article 19).

Cette Convention rend obligatoire au niveau de chaque Etat le fait que ces derniers doivent remettre chaque année un rapport fai-sant état de l’avancée de l’application de la convention.

Sur le total de 41 pays africains ayant signé cette convention, 24 seulement l’ont ratifiée. La RDC figure parmi les Etats signataires n’ayant pas encore ratifié la convention. Mais cela ne l’exempte nul-lement des obligations contraignantes instituées par cet instrument.

c. L’Initiative OCDE/BAD pour l’intégrité des affaires et la lutte contre la corruption en Afrique

L’Organisation pour la Coopération et le Développement Econo-mique (OCDE et la Banque africaine de développement (BAD) ont signé une lettre d’intention afin de présenter l’initiative conjointe OCDE/BAD pour l’intégrité des entreprises et la lutte contre la cor-ruption en Afrique. Cette initiative vise à aider les pays africains à lutter contre la corruption d’agents publics dans les transactions commerciales et à améliorer l’intégrité et la responsabilité des entreprises, tout en soutenant la croissance par l’instauration de conditions propices à l’investissement.

d. Le Protocole de la Communauté de Développement d’Afrique australe (SADC) relatif à la corruption

Ce protocole est une initiative sous régionale prise au sein de la communauté de développement d’Afrique australe. Il pénalise un certain nombre d’actes : corruption publique et privée, corruption d’agent public étranger, blanchiment d’argent. Il autorise la saisie et la confiscation des produits de la corruption et organise la coopéra-tion judiciaire et facilite l’extradition. Son but est de :

− Promouvoir le développement de mécanisme anti-corruption au niveau national,

− Promouvoir la coopération des Etats parties dans la lutte contre la corruption,

− Harmoniser la législation nationale anti-corruption.

Le cadre conceptuel de la corruption

Page 18: Le journalisme d'investigation en RDC

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CHAPITRE 1

Ses mesures de prévention consistent à : − Développer des codes de conduite pour les agents publics, − Organiser la transparence dans les marchés publics, − Prévoir un accès facile à l’information publique, − Mettre en place une protection des dénonciateurs, − Etablir des autorités anti-corruption, − Faire participer les médias et la société civile à la lutte contre la corruption,

− Eduquer le public pour introduire une tolérance zéro dans la société civile vis à vis de la corruption.

9 des 14 pays signataires ont ratifié ce protocole qui est d’applica-tion depuis le 6 juillet 2006.

− La Charte Africaine de la Démocratie, des Élections et de la Gouvernance

La République Démocratique du Congo a signé depuis le 29/06/2008, la Charte africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance qui affirme la résolution des Etats signataires «à promouvoir et à renforcer la bonne gouvernance par l’institution-nalisation de la transparence, de l’obligation de rendre compte et de la démocratie participative ».

On peut considérer que même si la RDC n’a pas déposé les ins-truments de ratification de cette charte, sa signature vaut une adhé-sion sans condition au principe de la gouvernance démocratique. À ce titre, la Charte constitue le substrat référentiel légitime de son engagement aux efforts de promotion d’un environnement d’inté-grité. Cette Charte est donc le certificat d’authentification des efforts et de jugement des actes que pose la RDC dans le cadre de la pro-motion et de l’internalisation de la norme démocratique en son sein.

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I.5.2. Les structures et Instances de Lutte contre La corruPtIon � Transparency International

www.transparency.org

Il s’agit une organisation non gouvernementale internationale d’origine allemande ayant pour principale vocation la lutte contre la corruption des gouvernements et institutions gouvernementales à travers le monde. Elle a été fondée en 1993. Aujourd’hui, elle a un rayonnement international grâce particulièrement à ses publi-cations régulières des indices mondiaux sur la corruption (classe-ment des États, taux de corruption par pays ou encore régularité des échanges internationaux)

Depuis 1995, l’ONG Transparency International publie chaque année un indice de perception de la corruption (CPI) classant les pays selon le degré de corruption perçu dans un pays. L’indice est élaboré à l’aide d’enquêtes réalisées auprès d’hommes d’affaires, d’analystes de risques et d’universitaires résidant dans le pays ou à l’étranger.

La RDC est classé 164/178 pays le plus corrompu. Cette percep-tion a un effet négatif sur la capacité de mobilisation des ressources et surtout d’investissement étranger étant donné qu’elle traduit le déficit d’intégrité qui caractérise le climat des affaires.

Cette ONG réalise aussi le baromètre mondial de la corruption qui est un sondage réalisé auprès des populations, et qui consiste à rassembler des avis quant à la perception qu’ont celles-ci de la cor-ruption au sein de leur pays. Il est construit sur la base de questions telles que « Quels sont les secteurs publics les plus corrompus ? » ou « Que pensez-vous de l’action de votre gouvernement ? »

Le cadre conceptuel de la corruption

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CHAPITRE 1

Il est vrai que la subjectivité de telles enquêtes suscite un certain nombre de critiques, mais la médiatisation qui est faite de ces rap-ports a une réelle influence sur les tendances de crédibilité de l’Etat dans l’espace international. Ainsi, loin de banaliser la portée de ces rapports, les décideurs politiques les plus proactifs les prennent très au sérieux.

� L’Académie internationale de lutte contre la corruption (IACA)

www.iaca.int

C’est un établissement d’enseignement supérieur qui a pour ob-jectif d’étudier les problèmes et carences dans la lutte contre la cor-ruption. Son but est de devenir un centre d’excellence, de formation professionnelle, de coopération et de recherche universitaire qui engloberait tous les aspects de la corruption. Elle doit contribuer à la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies contre la Corruption (UNCAC) et d’autres instruments.

Le but d’IACA est de devenir un centre d’excellence, de for-mation professionnelle, de coopération et de recherche universi-taire qui engloberait tous les aspects de la corruption20.juridiques régionaux et internationaux. Le processus visant à ce que l’IACA devienne une organisation internationale à part entière est en cours.

� U4

www.u4.no

Centre de ressources sur la lutte contre la corruption, U4 parti-cipe aux efforts déployés par les praticiens du développement pour répondre efficacement aux défis de la corruption dans leur appui au développement international.

À travers son centre de ressources électroniques U4 présente des documents relatifs à la lutte contre la corruption, ainsi que les résul-tats de recherche appliquée financée par ses soins Il organise éga-lement des formations en ligne et dans les pays sur les stratégies et les mesures de lutte contre la corruption et ce, uniquement pour les membres des agences partenaires et leurs homologues.

Ces derniers peuvent utiliser le Helpdesk-service d’assistance disponible sur le site U4 pour demander la réponse d’expert sur les questions urgentes qui se posent aux acteurs de terrain.

La spécificité de U4 dans le champ de l’anti-corruption tient à ses relations privilégiées de collaboration avec les agences de dévelop-pement. U4 ne mène pas d’enquête sur les cas présumés de corrup-tion et n’a pas les moyens d’assister les pays qui souhaitent mener de telles enquêtes.

Sa mission est d’être un centre de premier plan qui fournit des travaux de recherche de qualité, des informations et des offres de formation dans le but d’aider les praticiens du développement dans leurs efforts anti-corruption dans le pays en développement.

� GRECO

www.coe.int

Le Groupe d’Etats contre la Corruption (GRECO) a été créé en 1999 par le Conseil de l’Europe pour veiller au respect des normes anticorruption de l’organisation par les Etats membres.

Le GRECO a pour objectif d’améliorer la capacité de ses membres à lutter contre la corruption en s’assurant, par le biais d’un proces-sus dynamique d’évaluation et de pressions mutuelles par les pairs, qu’ils respectent les normes du Conseil de l’Europe en matière de lutte contre la corruption. Il contribue à identifier les lacunes dans les politiques nationales de lutte contre la corruption et incite ainsi

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CHAPITRE 1

les Etats à procéder aux réformes législatives, institutionnelles et pratiques nécessaires. Le GRECO est aussi un forum pour le par-tage des meilleures pratiques en matière de prévention et de détec-tion de la corruption.

Le GRECO qui compte 49 Etats membres dont les Etats-Unis d’Amérique, est régi par un Statut et un Règlement intérieur.au regard desquels chaque Etat membre désigne deux représentants au maximum qui participent aux réunions plénières du GRECO et jouissent du droit de vote ; chaque membre fournit également au GRECO une liste d’experts disposés à participer aux évaluations du GRECO. D’autres organes du Conseil de l’Europe peuvent égale-ment désigner des représentants (par exemple l’Assemblée parle-mentaire du Conseil de l’Europe).

Par ailleurs, la lutte contre la corruption mobilise plusieurs autres énergies de manière collective ou individuelle. C’est notamment le cas des réseaux des journalistes d’investigation qui se dressent contre la mal-gouvernance et particulièrement la corruption. On peut citer le Centre Philippin pour le Journalisme d’Investigation7 (CIPJ) ou le Forum for African Investigation Reporters8 (Fair).

Il est clair au regard de ce qui précède que le monde est de plus en plus sensibilisé et mobilisé pour lutter contre la corruption. L’arme la plus efficace jusqu’à présent a été l’amélioration de la communi-cation à travers une meilleure circulation et une meilleure traçabi-lité de l’information. L’information permet de susciter des compor-tements de questionnements des actions des décideurs alors que la communication améliore les interactions des parties prenantes et renforce la mutualisation des énergies. Le processus d’amélioration des systèmes d’information s’inscrit dans les exigences mêmes de la gouvernance démocratiques en tant que droits acquis des citoyens au terme de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. C’est dans ce sens qu’il faut aussi citer l’Initiative Internationale sur la

7 www.pcij.org8 www.fairreporters.net

transparence de l’Aide (l’IITA) qui a été lancée en septembre 2008, lors du Forum de haut niveau d’Accra sur l’efficacité de l’aide. Cette initiative multipartenaire vise à accroître la transparence de l’infor-mation sur l’aide pour renforcer l’impact de l’aide sur la réduction de la pauvreté. Actuellement, l’IITA compte dix-huit membres, dont treize sont des donateurs du CAD (Comité d’Aide au Développe-ment), ainsi que des agences multilatérales comme la Banque mon-diale, la Banque asiatique de développement, le PNUD, la GAVI et la Fondation Hewlett. Quelque treize pays en développement ont avalisé l’IITA, dont la RDC.

L’initiative est administrée par un secrétariat restreint qui com-prend des représentants du DFID, du PNUD et de l’organisme à but non lucratif Development Initiatives for Poverty Research (DIPR). Elle est dirigée par un comité directeur multipartenaire qui se réu-nit trois ou quatre fois par an. La démarche est de permettre au ci-toyen d’accéder aux informations sur l’aide que leurs Etats donnent ou recevoir de manière à assurer un contrôle adéquat en référence aux politiques publiques mises en place et effets qui en résultent dans la vie des populations.

I.5.3. Lutte contre La corruPtIon en rdc La corruption est considérée en RDC comme une pratique qui

s’est institutionnalisée au point d’être vue comme quelque chose de tolérable et de naturellement acceptable. Pourtant, en signant ou ratifiant les conventions issues des organisations internationales, régionales et sous-régionales ci haut présentées, la RDC certifiait son engagement à œuvrer en faveur de la lutte contre la corruption. Les autorités gouvernementales ont laissé des initiatives telles que la Tolérance Zéro, mais le chemin à parcourir demeure long et par-semé de beaucoup d’embuches.

− LES INSTRUMENTS JURIDIQUES RELATIFS A LA LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

L’arsenal juridique congolais comporte un certain nombre d’ins-

Le cadre conceptuel de la corruption

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40 41

CHAPITRE 1

truments favorables à la lutte contre la corruption.Il est vrai que la Constitution de la République condamne les

antivaleurs dont la corruption. Le système de vérification de l’inté-grité qui consiste à auditer les avoirs et style de vie des officiels est prévu dans la constitution mais fonctionne dans l’opacité à cause de l’absence des mesures d’application ;

Cependant, d’autres lois plus spécifiques ainsi que des outils structurels plus appropriés existent. Il s’agit entre autres de :

• loi du 19/7/2004 portant lutte contre le blanchiment assaini l’environnement de l’enrichissement ;

• la loi du 30 /7/2004 créant la commission de l’éthique et de la lutte contre la corruption;

• le décret-loi de 2003 portant le code de bonne conduite des agents de l’Etat;

• le décret-loi de 2003 créant l’observatoire du code d’éthique professionnelle,

• codes minier, forestier et des investissements (2002), • l’engagement à l’Initiative pour la Transparence dans les In-dustries Extractives (ITIE),

• la stratégie nationale de lutte contre la corruption (2002), • Différentes reformes de l’administration publique ; • processus de Kimberley ; • La loi sur les marchés publics et l’institution de l’autorité de régulation des marchés publics (2012),

• la ratification du traité de l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA), dont l’unifor-misation du droit interne aux normes internationales garantit l’intégrité du monde des affaires par la transparence consacrée dans tous les processus.

Mais il ne suffit pas de voter et promulguer des lois ou de for-maliser un outil pour que les choses changent. Dans la pratique, plusieurs défis devraient être relevés.

A. LES STRUCTURES ET INSTANCES NATIONALES DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION

Le paysage institutionnel congolais en matière de lutte contre la corruption connait, ces dernières années, un rapide développement, même si par ailleurs les effets de ce développement tardent encore à se faire sentir. Plusieurs structures et instances se déploient en RDC pour assurer la lutte contre la corruption. Dans cet élan, il y a aussi bien des initiatives relevant des pouvoirs ainsi que celles des orga-nisations de la société civile. Et les unes comme les autres reçoivent de temps en temps des soutiens des instances et structures suprana-tionales (bailleurs multilatéraux...) Sans être exhaustif, on peut les regrouper en deux grandes catégories :

− Les instances institutionnelles − Les organisations de la société civile.

� Les instances institutionnelles a. Le ParlementC’est la première institution à qui incombe la mission constitu-

tionnelle de contrôle. Au terme de l’article 100 de la Constitution, c’est au Parlement, à

travers ses deux chambres, que revient la prérogative d’exercice du pouvoir législatif. Chacune de ses Chambres jouit de l’autonomie administrative et financière et dispose d’une dotation propre. En

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plus, et sans préjudice des autres dispositions de la Constitution, elles votent les lois, contrôlent le Gouvernement, les entreprises pu-bliques ainsi que les établissements et lesservices publics.

Aussi, en lien avec la lutte contre la corruption, le rôle législatif du Parlement se décline de la manière suivante :

• voter des lois anti-corruption incriminant la corruption et pré-voyant des peines suffisamment sévères et d’autres mesures à même de prévenir toute récidive.

• introduire notamment dans le code pénal, le droit administra-tif et tout autre domaine du droit des dispositions ne laissant aucun champ à la corruption et aux délits connexes, et pré-voir des peines qui aient un effet dissuasif sur les délinquants potentiels;

• établir des normes de probité à l’intention des parlementaires et d’autres personnalités publiques, y compris des ministres et d’autres agents de l’Etat et veiller à leur application. Ces normes consisteraient notamment en des codes d’éthique/conduite, une déclaration de patrimoine et régiraient les conflits d’intérêt, etc.

• veiller à l’adoption de la législation de contrôle qui s’impose pour assurer la transparence et la responsabilité dans la ges-tion publique;

• amener le gouvernement à signer et/ou ratifier les instruments internationaux pertinents et veiller à aligner la législation na-tionale sur ces dispositions et à les faire appliquer effective-ment;

• veiller à l’adoption d’une législation consacrant l’accès à l’infor-mation publique, qui oblige l’Exécutif à divulguer les informa-tions jugées nécessaires pour les délibérations parlementaires, s’agissant notamment de l’examen d’affaires de corruption;

• veiller à l’adoption d’une législation sur le financement des partis et les campagnes électorales, qui renforce la transpa-

rence dans le processus électoral, conférant ainsi plus de légiti-mité au parlement élu. Pareille législation devrait, entre autres dispositions, faire obligation aux partis et organisations poli-tiques de déclarer leurs moyens de financement et prévoir de lourdes peines pour les transgresseurs;

• veiller à l’adoption d’une législation pour prévenir toute cor-ruption là où elle est particulièrement tentante, et ce par les mesures suivantes : garantir à chaque citoyen un niveau satis-faisant de protection sociale; introduire dans la fonction pu-blique des structures de rémunération qui n’incitent pas à la corruption; prévoir des procédures administratives rapides et transparentes permettant à tous de participer dans des condi-tions d’égalité aux processus de prise de décisions;

• renforcer les lois et réglementations afin de garantir l’équité en matière de procédures des marchés publics, de régime d’im-position et d’administration de la justice, etc.

Du point du contrôle, le parlement dispose d’une panoplie de moyens d’information et de contrôle sur l’action gouvernementale. On peut citer :

− l’interpellation ; − la question écrite ; − la question orale (avec ou sans débat); − les questions d’actualité ; − l’audition en commission ; − l’enquête parlementaire.

Ces moyens sont exercés dans les conditions déterminées par les règlements intérieurs respectifs des chambres.

b. La Cour des comptes

www.courdescomptes.cd

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CHAPITRE 1

Officiellement, la Cour des comptes de la République Démocra-tique du Congo est l’Institution Supérieure de Contrôle des finances publique de la République Démocratique du Congo. Elle a pour mission d’effectuer, de manière indépendante, un contrôle externe à posteriori des finances de l’Etat et de ses démembrements ainsi que des organismes, entreprises publiques et autres entités bénéficiant du concours financier de l’Etat.

Elle porte un jugement sur la régularité des états financiers et des comptes des comptables publics selon une approche contradictoires et conformément à des normes généralement reconnues.

Ainsi, par ses missions de vérification et de contrôle de conformi-té, la Cour contribue à l’amélioration de la gouvernance financière et au respect des principes de reddition des comptes. Elle soumet au Président de la République, au Parlement et au Gouvernement un rapport assorti de recommandations sur les résultats de ses travaux.

Elle entend servir la Nation en veillant à une utilisation transpa-rente et efficace des finances et des biens publics

En tant qu’organe technique de contrôle de l’orthodoxie de la gestion des finances publiques, la Cour constitue une source fiable et facile d’accès pour tout citoyen désireux de s’informer sur l’utili-sation des finances publiques.

Ses différents rapports et arrêts constituent des documents de ré-férences tant en matière des comptes et services de l’Etat, des entités décentralisées et des établissements publics que dans le monitoring relatif aux fautes en matière de discipline budgétaire et financière.

Cependant, pour des raisons multiples aussi bien conjonctu-relles que structurelles, la Cour des comptes de la RDC n’a pas fonctionné à plein régime ces dernières années. Bien plus, la réforme des finances publiques amorcée, et qui entend redonner plus d’importances à la fonction « contrôle », exige que l’institution supérieure de contrôle de la République améliore son potentiel pro-fessionnel et institutionnel.

En complément aux efforts conjugués par la Cour des comptes et le Parlement, plusieurs organes indépendants ont été mis en place pour assurer la transparence dans la régulation de secteurs aussi importants que les marchés publics, les télécommunications, etc.

c. L’Autorité de Régulation des Marchés Publics(ARMP)Mise en place en 2012, l’Autorité de Régulation des Marchés

Publics (ARMP) a pour mission d’assurer la régulation du système de passation des marchés et des conventions de délégation de ser-vice public sur le territoire national. Il est un établissement public à caractère national doté de la personnalité juridique. Elle est placée sous la tutelle du Premier ministre.

L’avènement de l’ARMP remonte à 2001 avec la reprise de la coo-pération structurelle entre la RDC et les partenaires multilatéraux et bilatéraux, notamment les institutions de BrettonWoods. Elle est née du constat de l’état de l’obsolescence du système de passation des marchés publics de la RDC, due à l’inadéquation des textes réglementaires, qui enfreignait les impératifs de transparence, de rationalité et d’efficacité

L’ARMP permet de combattre la corruption et de promouvoir la transparence dans les marchés publics. Le mécanisme de traçabi-lité de l’information mis en place permet d’assurer la gouvernance équitable dans ce secteur. Le marché public est l’un des secteurs où la lutte contre la corruption se décline comme la préoccupation de plusieurs partenaires nationaux et internationaux. L’image du pays en termes d’intégrité publique dépend fortement de la manière dont accèdent aux marchés publics, les divers agents économiques. De ce point de vue, il s’agit d’un secteur hautement sensible où la lutte contre le crime devrait avoir un caractère pédagogique indéniable.

d. L’Observatoire du Code d’Ethique professionnelle (OCEP)

www.fonctionpublique.gouv.cd/ocep.php

Cette institution mise en place par le décret-loi de 2003 a pour

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CHAPITRE 1

mission essentielle de promouvoir l’éthique dans le secteur public et de renforcer les systèmes d’intégrité par une socialisation de l’agent public. L’agent public doit se conduire de manière à renforcer la confiance du public dans la fonction publique et il est responsable de sa conduite. L’agent ne devrait donc pas agir de façon arbitraire, au détriment de quelque personne, groupe de personnes ou entité que ce soit. En termes d’éthique, il est clair que le fait de favoriser une personne, groupe ou entité sans qu’il en résulte un avantage quelconque pour l’agent public lui-même, ni un préjudice pour un tiers devrait être confronté aux principes d’impartialité et de léga-lité de manière à s’assurer que le comportement protège réellement l’action publique.

e. L’Initiative pour la Transparence des Industries Extractives (ITIE)

www.itierdc.com

L’ITIE est un processus à travers lequel les parties prenantes mettent à disposition des populations, à travers la rédaction des rapports périodiques, élaborés par des consultants indépendants, les revenus et les recettes de l’État issus de l’exploitation des res-sources minières et pétrolières tels que les redevances, les impôts, les bonus de signature, les bonus de production, les royalties, les dividendes et les taxes diverses.

L’ITIE a été lancée en 2002 par le Premier Ministre Britannique Tony Blair lors du sommet mondial sur le développement durable à Johannesburg, en Afrique du Sud. Le but poursuivi à travers cette initiative est de renforcer la bonne gouvernance en améliorant la transparence et la responsabilité (obligation de rendre compte) dans le secteur des industries extractives à travers la collecte, la vérifica-tion, la conciliation et la publication de tous les paiements effectués par entreprises publiques et privées au compte de l’État.

Deux facteurs en particulier distinguent l’ITIE des autres efforts

pour partager plus largement les bénéfices des industries extrac-tives. Premièrement, elle met l’accent explicitement sur la transpa-rence, qui aide à créer une culture de responsabilité publique et à gagner la confiance publique dans les industries extractives.

Le deuxième facteur qui rend l’ITIE unique est sa structure à prise de participation multiactionnaire : c’est-à-dire, elle implique le Gouvernement, les Entreprises et la Société civile. Des dirigeants des trois secteurs soutiennent l’Initiative au niveau international, et des principes et critères pour les programmes ITIE ont été déve-loppés au vu des expériences à travers le monde. Les trois secteurs doivent également être impliqués activement au niveau national pour atteindre la transparence et ses bénéfices associés.

En RDC, le gouvernement de transition RDC souscrit à l’ini-tiative en 2005, décidant de l’appliquer non seulement aux indus-tries extractives (mines et pétrole, les réserves de gaz du Lac Albert n’étant pas encore exploitées côté congolais) mais également aux secteurs forestier et hydroélectrique. Une première structure natio-nale tripartite est instituée mais ne deviendra pas opérationnelle avant l’installation en 2007 du gouvernement élu qui inscrit l’ini-tiative dans son contrat de gouvernance qui réorganise la structure.

L’actuelle structure, instituée par le Décret Ministériel 09/28 du 16 juillet 2009, est composée d’un comité exécutif, organe d’orien-tation présidé par le Ministre du Plan comprenant 16 représentants des groupes de parties prenantes – gouvernement (8), entreprises extractives (4), société civile (4) – et d’un secrétariat technique, or-gane exécutif animé par un coordonateur nommé par l’ordonnance 09/094 du 7 octobre 2009 suite à un recrutement sur base d’un appel d’offre.

L’ITIE est financée en RDC par un fonds fiduciaire géré par la Banque mondiale. Elle est à l’heure actuelle la seule initiative vo-lontaire de transparence pour la bonne gouvernance des ressources naturelles qui repose sur la publication par les entreprises des mon-tants versés à l’Etat et par l’Etat des sommes versées par les entre-prises.

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En cela elle constitue une source fiable d’information pour le journaliste d’investigation qui s’intéresse à la problématique de la lutte contre la corruption.

� Les organisations de la société civileL’existence d’organisations civiles et sociales représentatives et

indépendantes est essentielle pour le contrôle citoyen des systèmes de gouvernance. Les partenaires sociaux et les organisations civiles peuvent se révéler des acteurs décisifs lorsqu’il s’agit de garantir la prévalence de la transparence et des pratiques d’intégrité publique surtout dans un pays comme la RDC dont le processus de consoli-dation de la gouvernance démocratique est en cours.

En RDC, il y a lieu de reconnaître que : • il y a une prise de conscience de ce que la corruption n’est pas un «mal nécessaire» et qu’il existe dans le monde des pays et des systèmes qui fonctionnent sans elle;

• des associations commencent à se développer qui ont pour but non seulement de dénoncer la corruption mais également d’en expliquer le poids économique et social aux citoyens;

• plusieurs pays ont entrepris d’adopter de nouvelles législa-tions qui prennent en considération la lutte contre la corrup-tion;

• il existe une sensibilisation de la population quant à la néces-sité de développer un état de droit, qui se montre intègre dans la lutte contre la corruption et les privilèges;

Ce travail louable est principalement mené par les Organisations de la société civile congolaise qui s’intéressent à la gouvernance du pays au niveau national et infranational.

Souvent dépourvues des moyens pour mener leurs enquêtes (surtout lorsqu’il s’agit des faits de « grande corruption », elles re-laient néanmoins (dans la plupart des cas) les résultats des rapports publiés par des instances supranationales, telles que les agences des Nations Unies ou d’autres organisations régionales et sous-régio-nales, mais aussi les Organisations Non-Gouvernementales interna-

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tionales, comme Transparency International, Greenpeace… A titre indicatif et sans préférence particulière, nous citerons les Organisa-tions congolaises suivantes :

� L’Observatoire de la Dépense Publique (ODEP) www.odeprdc.cd

Il s’agit d’une plateforme réunissant les Organisations spéciali-sées dans la lutte contre la corruption et la promotion de la trans-parence en RDC. Constitué à l’initiative de acteurs clés de la société civile dans ce domaine, l’ODEP se veut un cadre interactif de mu-tualisation de l’expertise pour assurer le suivi de l’action publique et principalement la manière dont l’Etat collecte ses ressources, les dépense et les effets que cela génère sur les conditions de vie des populations.

L’ODEP mène des enquêtes sectorielles destinées à montrer comment sont collectées les ressources dans un marché et quelle affectation elles sont destinées. L’avantage de cette approche par le bas est de mettre à nu les pratiques de corruption éventuelles là où généralement l’opinion pense qu’elles sont mineures.

L’ODEP a bénéficié à sa naissance de l’appui technique du PNUD et se révèle être une expérience pilote qui montre combien il est essentiel de bien suivre et évaluer la portée de l’action publique par des méthodes d’analyse et d’enquêtes efficaces.

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CHAPITRE 1

� La Ligue Congolaise contre la Corruption (LICOCO)

www.licocordc.org

De l’avis de ses initiateurs, la LICOCO a été créée, en 2004, pour répondre à un triple constat de :

− faible engagement des acteurs sociaux dans la thématique de la corruption et l’impunité ;

− quasi-inexistence d’organisations au sein de la Société civile congolaise impliquées dans cette thématique de la lute contre la corruption ;

− nécessité et urgence à poursuivre la lutte pour les droits hu-mains en mettant l’accent sur la lutte contre la corruption.

A travers son action, la LICOCO entend susciter un mouve-ment social d’acteurs publics et sociaux qui luttent contre toutes les formes de corruption en RDC. La ligue espère ainsi provoquer un changement fondamental d’attitudes et de comportements à l’égard de la corruption et de l’impunité et réduire l’acceptation sociale de ces fléaux.

Pour y arriver, la LICOCO consacre tout un programme au plai-doyer contre la corruption. C’est dans le cadre de ce programme que la LICOCO dénonce, à travers les médias locaux et internatio-naux, des actes de corruption (détournement des deniers publics,

fraude fiscale et douanière, pillage des ressources naturelle). Au-delà des interventions médiatiques, la LICOCO entreprend

également des actions judiciaires sur des cas avérés de corruption. C’est à ce titre, par exemple, que la LICOCO avait porté plainte au-près du Parquet Général de la République contre les sociétés qui avaient reçues des fonds du Gouvernement pour la construction des 4 100 logements sociaux à travers la RDC.

Les organisations de la société civile agissent non seulement comme chiens de garde pour les gouvernements mais elles sou-tiennent aussi les efforts du gouvernement pour fournir des ser-vices à tous les citoyens de manière transparente et démocratique.

� Le Réseau gouvernance économique et démocratique (REGED)

Travaillant dans le domaine de l’amélioration de l’accessibilité de l’information, le REGED considère que la qualité de l’informa-tion est l’un des critères pour apprécier l’intégrité d’un système de gouvernance. Aussi s’investit-il dans la sensibilisation des autorités pour mettre à la disposition des citoyens une information en temps réel et de qualité de manière à leur permettre d’assurer le contrôle de l’action publique. Si l’information est l’oxygène de la démocratie ; le manque d’information conduit à la non-participation positive des citoyens à la vie de leur société ; et la rétention de l’informa-tion fait prospérer l’incompétence, le gaspillage et la corruption. La promotion du droit d’accès à l’information budgétaire est l’un des domaines sur lesquels travaille le REGED avec la prétention mesu-rée de lutter pour la transparence et conséquemment l’engagement citoyen.

De ce qui précède, il découle que les défis pour les Organisations de la société civile et autres partenaires sociaux , c’est de bâtir des réseaux de travail avec les médias en vue d’assurer non seulement la visibilité de leurs actions mais aussi élargir et partager les exper-tises dans un domaine aussi vaste. Les médias participent, quoique

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CHAPITRE 1

de manière encore timide et quelque peu désorganisée, aux efforts de lutte contre la corruption en relayant les dénonciations de la so-ciété civile et en invitant les citoyens au débat, mais ils sont appe-lés à devenir des producteurs des savoirs et des modes de pensée capables d’inciter à des changements transformationnels dans la société.

Ce rôle peut être renforcé grâce un renforcement des capacités des acteurs médiatiques tant sur la thématique que sur les possibili-tés d’investiguer sur les différentes formes de corruption évoquées ci-dessus. Cependant, il est nécessaire de mettre en exergue, au-delà des structures, le role que le journaliste est appelé à jouer en tant qu’acteur.

A la suite de la théorie des rôles des cadres de Henry Mintzberg9, il nous parait plausible de décliner les rôles suivants pour les Jour-nalistes :

� Les rôles interpersonnelsRôle de symbole : le discours du Journaliste doit puiser dans l’existen-

tiel des populations. La société aimerait se reconnaître en lui et lui faire dire ce qu’elle ne peut pas dire.

Rôle de Leader : le Journaliste est un mobilisateur social. La crédibilité qu’il est appelé à avoir comme un capital social attrayant fait de lui la personne en qui la population peut se réfugier lorsqu’elle considère que les politiciens offrent des informations partisantes et que les entrepreneurs se livrent à leurs intérêts privés. Mobiliser la population autour des idéaux de gouvernance démocratique et de la dignité collective est une nécessité pour le leadership-

Rôle d’agent de liaison : mixer l’éthique organisationnelle à laquelle il appartient en tant qu’agent en situation contractuelle et répondre aux exi-gences de service public qui sous-tendent sa mission en tant que « livreur d’informations vraies et communicateur » offre au journaliste une place particulière dans la société.

9 Mintzberg,H.,Le manager au quotidien : les 10 rôles du cadre,Edd’Organisation,Paris,, 2002

� Les rôles informationnelsRôle d’observateur actif : le journaliste est un analyste de la société. Il

est sensé connaître les défis existentiels de sa société et construit de ce fait un langage approprié pour livrer les informations. En observateur actif, le journaliste contribue à influe par ses investigations et le dévoilement de la pensée de la société, au développement des systèmes d’intégrité publics qui deviennent des références acceptables. Ainsi aux Etats Unis, lorsque des journalistes montrent qu’un Candidat aux élections présidentielles a violé la morale publique, la société admet tout de suite qu’une telle personne n’est pas digne de mériter la confiance de tous et appelle à sa démission. Le Président Richard Nixon est resté un exemple pour cela.

Rôle de diffuseur : sa mission première est diffuser et non de geler ou d’étouffer une information. Le journaliste dispose d’un contrat avec la so-ciété : c’est celui de dire qu’il a vu et d’orienter ainsi les attitudes et com-portements des citoyens en conformité avec les références morales justes et acceptables. Son activité de diffusion décline sa mission cardinale. Sa plume est l’arme la plus puissante à sa possession et son silence est un danger pour la démocratie. C’est pour cette raison que les dictatures ont pour ennemi essentiel les médias libres et les journalistes à la pensée indé-pendante.

Rôle de porte-parole : le Journaliste est le porte-parole de la cause col-lective. Dans ce qu’il fait comme dans ce qu’il dit, il ne doit pas trahir la conscience de la société ni dérouter intentionnellement les choix qu’opèrent des hommes et des femmes pour leur sécurité humaine. A travers ses dires et ses prises de position, on sait cerner les préférences de la société au-delà des rhétoriques politiques et marchandes.

� Les rôles décisionnelsRôle d’entrepreneur du changement : l’histoire dispose de plusieurs cas

où des journalistes ont contribué à changer le cours de l’histoire dans un pays. Affaire Cahuzac révélée par Médiapart, utilisation d’armes chimiques en Syrie mise en évidence par les journalistes du Monde Laurent Van der Stockt et Jean-Philippe Rémy. Deux affaires qui montrent que les journa-listes ne sont pas uniquement des relais de l’information. Ils peuvent agir

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CHAPITRE 1

sur la réalité. Le précédent le plus célèbre survient en 1972 lorsque les jour-nalistes du Washington Post Carl Bernstein et Bob Woodward révèlent le scandale du Watergate, poussant le président des États-Unis Richard Nixon à démissionner. Un exemple de journalisme d’investigation que font des journalistes des enquêteurs dont le résultat des investigations peut changer le cours de la réalité et indiquer qu’ils sont aussi entrepreneur du changement dans la société.

Rôle de régulateur : Le journaliste prend énormément des risques dans l’exercice de sa mission surtout dans des situations d’investigation sur la corruption. Lorsqu’une situation hors de son contrôle survient, comme doit-il manager sa vie, sa sécurité ? Doit-il tout dire, comment négocie-t-il sa survie et ses exigences éthiques liées à son contrat avec la société. Cette fonction ou ce rôle mobilise son intelligence émotionnelle, sa connaissance des défis sécuritaires et politiques dans le contexte où il évolue.

Rôle de négociateur : C’est plutôt aux valeurs de flexibilité du négocia-teur sans franchir le seuil du non négociable qu’il est fait allusion ici. Le Journaliste évolue dans plusieurs mondes pour remplir sa mission. Il lui appartient de construire des alliances de travail et de négocier sa crédi-bilité dans la société au regard des attentes de la société et des aléas de la recherche de l’information.

Il découle que les rôles des journalistes devraient mieux connus afin qu’ils prennent connaissance de la portée stratégique de leur mission dans l’avancement de la société. Quatrième pouvoir dans une démocratie, les médias reflètent après tout le visage de la société et leur dynamisme par-ticipe de celui de l’ensemble de la société. Mais ils ont aussi la capacité de remise en question des schèmes et des substrats de référence consacrés comme intangibles dans la société et aident à la cristallisation d’une conscience critique qui devient la sentinelle de la société contre l’arbitraire et l’autoritarisme.

conclusion partielleLa corruption est un phénomène social, politique et économique

complexe, qui touche tous les pays. Elle sape les institutions dé-mocratiques, ralentit le développement économique et contribue à l’instabilité gouvernementale. La corruption s’attaque aux fon-dements des institutions démocratiques en faussant les élections, en corrompant l’État de droit et en créant des appareils bureaucra-tiques dont l’unique fonction réside dans la sollicitation de pots-de-vin. Elle ralentit considérablement le développement économique en décourageant les investissements directs à l’étranger et en pla-çant les petites entreprises dans l’impossibilité de surmonter les « coûts initiaux » liés à la corruption.

Aussi, la réhabilitation de l’entité individuelle que représente le citoyen dans son contexte socioéconomique est indispensable pour légitimer tout régime démocratique. Plusieurs facteurs inter-viennent pour réduire le rôle et la portée de la liberté d’expression et de l’information dans la lutte contre la corruption dans un pays. Parmi ces éléments, il y a lieu de citer :

• la fragilité et l’instabilité économique des médias ; • le manque de liberté ; • l’accès difficile à l’information ; • le monopole des médias publics ; • la censure et l’intimidation.

Ces facteurs entraînent souvent le développement d’une culture qui repose inconsciemment sur l’autocensure. Le droit à l’infor-mation a été consacré par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 ainsi que dans l’article 9 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Toute entrave à ce droit met en péril les droits fondamentaux des citoyens. Le droit à l’information est lié de façon indissociable à la responsabilité du gouvernement, qui est au cœur d’un système politique démocratique. Il est impos-sible d’établir une capacité à s’informer de la part des citoyens, de la

Conlusion partielle

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presse et autres, si les activités du gouvernement et le processus de prise de décision sont dissimulés au public.

La liberté de la presse ainsi que celle du système judiciaire sont des contrepouvoirs dans la gestion des affaires publiques et consti-tuent des remparts dans la lutte contre la corruption. Dans les socié-tés démocratiques, les médias font partie intégrante de la vie sociale et politique. Leur degré d’indépendance dépend de leur capacité à exercer un rôle de vigile vis-à-vis de la conduite des institutions et des personnalités publiques. Tout comme le pouvoir judiciaire se doit de superviser la légalité des décisions du pouvoir exécutif, les médias sont censés suivre les actions des pouvoirs législatif et exécutif, ainsi que de tout autre acteur dont la fonction a des réper-cussions sur la société. Dans ce cadre, le rôle des médias est d’attirer l’attention et d’informer l’opinion publique sur les faits et cas de corruption. C’est dans cette optique que se justifie le journalisme d’investigation.

orientation bibliographique

I. ouvrages et articles 1. Cabin P., « Les rouages de la corruption, Enjeux », Revue des

Sciences Humaines, n°109, 2000.2. CEIPI, « Impacts de la contrefaçon et de la piraterie en Europe

», Rapport final du Centre d’études internationales de la pro-priété industrielle, juillet 2004, OCDE, « Les incidences écono-miques de la contrefaçon », 1998.

3. Compagnon D., « La corruption, en Asie du Sud-Est », Revue Internationale de politique comparée, vol. 4, n° 2,1997.

4. Durkheim E., De la division du travail social, PUF, 9e éd., 1973.5. Dion N., « Travaux des organisations internationales, Droit

du commerce international », RD aff. Int., n°6,1997.6. Farouz-Chopin F, La lutte contre la corruption, PU, Perpignan,

2003.7. Fontanaud D., « La criminalité organisée », Problèmes écono-

miques et sociaux, n° 874-875, éd. La Documentation française, mai 2002.

8. Giudicelli-Delage G., Droit pénal des affaires, Dalloz, Mémen-tos Dalloz 2003; Droit pénal des affaires en Europe : Allemagne, Angleterre, Espagne, France, Italie, PUF, 2006.

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La Tribune, 2006.11. Heidenheimer A., « Une topographie de la corruption, Études

dans une perspective comparative », Revue internationale de Sciences sociales, n° 149,1996.

12. Jacky J., « Les ambiguïtés des politiques conduites par les

Orientation bibliographique

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États pour lutter contre les activités financières illicites », Re-vue Internationale et Stratégique, Paris, IRIS, n°43,2001.

13. Jean-Pierre D., « Corruption des fonctionnaires et agents pu-blics : dernières conventions internationales ratifiées par la France », D. 2000. Chron. 307.

14. Jean Didier W., Droit pénal des affaires, Dalloz, « Précis », 2005.15. Laborde J.-P., « Chronique des Nations unies », Rev. pénit.,

2003.16. Larguier J., Conte P., Droit pénal des affaires, Dalloz, coll. « U

Droit », 107e éd., 2004.17. Leblois-Happe J., « De la transaction à la composition pénale

», Loi n° 99-515 du 23 juin 1999, J.C.P. 200I.18. Manacorda S., « La région Europe : Bilan comparatif des

conventions de lOCDE, de l’Union européenne et du Conseil de l’Europe », Les processus d’internationalisation,

19. Mireille Delmas-Marty (Dir) Criminalité économique et at-teinte à la dignité de la personne humaine, 7 volumes, spécia-lement, n° 7.

20. Medard J.-F., « L’évaluation de la corruption, Approches et problèmes » in Bares.

21. Montigny P., L’entreprise face à la corruption internationale, El-lipses, 2006.

22. OCDE, « Les incidences économiques de la contrefaçon », 1998, p.10 et suivantes.

23. Paati O.-A, Sooprammanien R., Uprety K., Combattre la corrup-tion. Étude comparative des aspects légaux de la pratique des États et des principales interventions internationales, éd. Eska, 2001.

24. Pean T., « La loi anti-corruption, premiers éléments de juris-prudence », Revue de la concurrence et de la consommation, n° 116, juillet-août 2000.

25. Pereira B., « Justice négociée, Efficacité répressive et droits de la défense ? », D. 2005, p. 204.

26. Pradel J., « Une consécration du « plea bargaining » à la fran-çaise : la composition pénale instituée par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 », D. 1999-chron. p. 379 et suiv., spéc. p. 381.

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28. Raynaud B., « La prévention des conflits d’intérêts dans les sociétés par actions », JCPE 2005-I-354, p. 404.

29. Serra Y., Concurrence interdite, Concurrence déloyale et pa-rasitisme : panorama 2004-2005, D. 2005.2454 suiv.

30. Tricot J., « Les figures de l’internationalisation en droit pénal des affaires, La criminalisation imposée au droit interne par le droit international; La corruption internationale », Rev. sc. crim., 2005, p. 753

31. Truche P., Delmas-Marty M., L’État de droit à l’épreuve de la corruption, Mélanges Braibant, éd. Dalloz, 1996.

II. Webographiehttp://www.oecd.org/fr/daf/anti-corruption/groupedetravaildelocdesurla-corruption-rapportannuel.htmhttp://www.oecd.org/fr/corruption/http://www.transparency-france.org/ewb_pages/div/Rapport_mondial_sur_la_corruption.phphttps://www.unodc.org/unodchttp://www.cairn.info/revue-francaise-de-gestion-2008-6-page-53.htm

Orientation bibliographique

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CHAPITRE II

JournaLIsme d’InVestIgatIon, une arme eFFIcace contre La

corruPtIon

Nous l’avons vu. Les médias sont un acteur important dont la contribution aux efforts d’éradication de la corruption est des plus attendues. Leur mission de « chien de garde » de la société et leur influence dans la formation et l’évolution de l’opinion publique l’imposent comme un acteur incontournable.

Le travail des médias dans la lutte contre la corruption se situe à deux niveaux : celui de la prévention (à travers la promotion de la bonne gouvernance) ainsi que celui la dénonciation des cas avérés de corruption. Si le premier volet peut être pris en charge par divers productions médiatiques, les magazines d’information et de sensi-bilisation, le journalisme d’investigation se trouve particulièrement mieux indiqué pour le second.

Mais, pour être efficace dans lutte contre la corruption, cette pra-tique journalistique, de plus en plus répandue, a des exigences qui doivent être portées à la connaissance de ceux qui entendent s’y engager. Dans ce chapitre, il est question de faire le point sur la pra-tique du journalisme d’investigation, sa raison d’être, ses exigences professionnelles et ses finalités. Conseils et astuces guideront égale-ment le journaliste souhaitant se lancer dans cette noble entreprise.

II.1. Les LImInaIres II.1.1 AU CŒUR DE L’INVESTIGATION,

LA RECHERCHE DE L’INFORMATION D’un point de vue strictement journalistique, le mot « informa-

tion » désigne toute annonce ou description honnête et plus ou moins circonstanciée d’un fait ou d’un ensemble des faits d’actua-lité intéressant le public pour lequel elle est diffusée dans la presse.

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CHAPITRE II

Il peut s’agir d’un communiqué de presse d’un parti politique ou d’un service de l’administration publique, d’une dépêche d’agence, d’un texte de loi, de la photo d’un personnage ou encore de l’inter-view d’un acteur politique ou social, … Les journalistes sont formés pour reconnaitre dans un flot ininterrompu des faits observables, ceux qui méritent d’être portés à la connaissance du public.

De manière générale, ils doivent comporter certaines caractéris-tiques dont les principales sont :

− l’actualité : qualité essentielle de l’information, elle permet de répondre à la question Quoi de neuf ? Une nouvelle, par défi-nition, se doit d’être neuve ;

− l’objectivité : une nouvelle doit respecter l’authenticité des faits qu’on annonce ou qu’on écrit ;

− l’intérêt : c’est le pouvoir d’attraction d’une information, son degré à capter l’attention du public ;

− la signification : c’est l’impact d’une nouvelle sur le public, sa dimension historique et sociale ;

− la communicabilité : elle tient à la forme à donner à la nouvelle lors de sa diffusion.

Le rôle du journaliste consistera donc en un va – et – viens entre les faits (et ceux qui y sont impliqués) et le public qui attend en prendre connaissance.

Vu sous cet angle, il est utile de distinguer l’information publique de l’information discrète et secrète. L’information publique est soit offerte ou soit d’accès libre. Elle est dite offerte, lorsqu’elle est reçue à la rédaction, sans effort, ni déplacement du journaliste. Elle pro-vient principalement des états-majors politiques, des services de presse de l’organisme énonciateur ou de divers communiqués de presse. Ce type d’information est exploitée à des fins de publicité et de communication.

Il peut aussi arriver qu’il faille aller chercher l’information là où elle est annoncée ou prévisible, qu’elle sera disponible à la suite d’une invitation à un meeting, une conférence de presse, à un

congrès ou à un déjeuner de presse. On parlera dans ce cas de l’in-formation publique d’accès libre.

Avec le développement des techniques de communication et le besoin de plus en plus accru des différents opérateurs sociaux de jouir d’une image favorable auprès de l’opinion, il importe de souligner que l’information publique, offerte ou d’accès libre, est souvent orientée vers la promotion voir la propagande. C’est pour-quoi, aussi généreuse et prolifique qu’elle puisse être, elle ne suffit pas à épuiser la curiosité du journaliste. Cette curiosité doit donc s’étendre aussi, par obligation professionnelle, à l’information dis-crète et à l’information secrète.

Considérée comme fortuitement cachée, l’information discrète est à découvrir, si l’on veut qu’elle existe. Le journaliste pensera à la rechercher là où elle se trouve, et au moment où elle s’y trouve, et souvent sans invitation...

Mais il arrive, malheureusement, que certains faits soient délibé-rément cachés et non d’intérêts personnels (souvent en conflit avec l’intérêt public). Le journaliste doit savoir que tout homme et toute femme, toute organisation humaine ont leurs non-dits jalousement protégés. La rétention de l’information est la règle surtout quand elle ne sert pas la cause. Mais la recherche de l’information ne peut pas s’arrêter aux portes du secret.

focus

Il ne faut cependant pas oublier que toute information révélée, surtout si elle met en cause des personnes ou des faits d’importance, comporte un risque.

Elle engage non seulement la crédibilité du journaliste, mais aussi celle de sa rédaction et de sa direction.

Ceci explique pourquoi et comment l’investigation a gagné ses lettres de noblesse jusqu’à devenir une dis-cipline phare du journalisme, particulièrement dans le contexte de démocratie et d’exigence de redevabilité qui caractérise les sociétés modernes.

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CHAPITRE II

II.1.2. L’INVESTIGATION, ENTRE TECHNIQUE ET PHILOSOPHIE JOURNALISTIQUES

Il n’existe pas une formule clé en main pour définir l’investiga-tion, tant les contextes d’émergence et d’exercice de cette forme de pratique du journalisme sont multiples et variés. Aussi, théoriciens et praticiens de divers horizons, empreints, chacun de leurs expé-riences personnelles, donnent à ce concept des contours fort nuan-cés10.

Pour certains, le journalisme d’investigation ne serait rien d’autre que du bon journalisme. Pour d’autres, le journalisme d’investiga-tion dévoile des scandales et couvre de honte les individus corrom-pus, il met à jour des secrets dont certaines personnes intéressées ne souhaiteraient pas la divulgation pour l’une ou l’autre raison.

Pour d’autres encore, le journalisme d’investigation n’est pas qu’une technique, mais aussi une philosophie qui rend des indivi-dus et institutions responsables de leurs actes. Pour cette opinion, largement partagée en Amérique latine et aux Philippines, le jour-nalisme d’investigation demeure une arme efficace de lutte contre la malgouvernance et, singulièrement contre la corruption. Et là, des hauts responsables d’Etats ont déjà fait les frais du travail des investigations journalistiques.

10 Dans «Le journalisme d’investigation en Afrique », (http://www.fairreporters.org), les auteurs affirment qu’ «il existe probablement autant de définitions du reportaged’investigationqu’ilyadejournalistestravaillantdanscedomaine.Unedesraisonsdece phénomène est que le journalisme d’investigation en tant que secteur spécialisé de laprofessionestrelativementrécent,etquenoussommesencoreentraindemettreaupoint des modèles appropriés ».

Tenez! Au Brésil11, les révélations de Jornal do Brasil et de Vejg sur les détournements des fonds publics par la famille du président brésilien Fernando Collor ont conduit à sa démission en 1992. Quelques mois plus tard, en mai 1993, deux enquêtes du quotidien El Universal de Caracas avaient entrainé la chute du président vé-nézuélien Carlos Andres ; tandis qu’en Colombie, des ministres ont été contraints à la démission pour des raisons similaires.

Aux Philippines, le président José Marcelo Ejército, mieux connu sous le nom de Joseph Estrada a été obligé de démissionner le 20 janvier 2001 suite à la publication des résultats d’une enquête me-

11 Dans «Le rôle des médias dans la lutte contre la corruption », édité par l’Institut de la Banque Mondiale, Rick Staphenhurst rapporte les cas suivants :

LachuteduPrésidentPerezauVenezuela Le secondmandat de l’ancien président vénézuélien, CarlosAndres Perez, (1989 à

1993)aétémouvementépardesaffairesdecorruptiondévoiléespardeuxenquêtesduquotidiendeCaracas,ElUniversal,L’uneindiquaitquelePrésidentavaitdétourné17millionsdedollarsdefondsdiscrétionnairesportésdisparus;l’autredémontraitque«Perezetdeuxdesescollaborateursavaientgagnédesmillionsenconvertissantdesmontantslibellésenmonnaievénézuélienneendollarsquelquesheuresavantqu’unedévaluation n’intervienne. Perez a été le premier président d’Amérique latine à êtrecondamnépourcorruptionetsuspendudesesfonctionsenmai1993,septmoisavantla fin de sonmandat.Condamné à 28mois de prison pourmalversation, il a passéplusieursmoisdansuneprisondeCaracas,avantd’êtreautoriséàpurgerlerestedesapeinechezluienraisondesonâgeavancé.

LadémissionduPrésidentFernandoCollorauBrésillaveilledesadestitution Audébutde1991,un reporterdeJornaldoBrasilavaitdécouvert,enconsultant les

dossiersduMinistèrefédéraldesFinances,quedesfondsremisàl’épouseduPrésidentetdestinésàuneœuvredecharité,avaientétédonnésàsesparentsetàsafamilledans sa ville natale. D’autres cas de corruption ont, par la suite, été rendus publics, en particulierparlarevueVejg.UneCommissiond’enquêteparlementaireaeulemandatd’enquêtersurcesaccusations.Aucoursdesauditions,denombreuxrapportsincisifsdedifférentsmédias–enparticulierde larevueIsto Itetdes journauxFolhadeSaoPauloetEstadodeSaoPaulo–ontmisàprofitdenombreuxdocuments,notammentdes documents bancaires, des chèques annulés, des enregistrements téléphoniques, et mêmedesphotographiesdelatrèsluxueuserésidenceprivéedeCollor.UnprocessusdedestitutionaétélancéparlaChambredesdéputésetColloraremissadémissionle29décembre1992,unjouravantquesadestitutionsoitofficiellementproclamée.

DesministrespoussésàladémissionenColombie En 1997, en Colombie, la revue hebdomadaire Semana a publié une conversation

téléphonique enregistrée clandestinement dans laquelle deux ministres discutaient de la volontéduPrésidentErnestoSamperd’allouerdenouvellesautorisationsdediffusionà des projets de radio appartenant à des amis. Malgré de nouvelles révélations liant SamperaucarteldeladroguedeCali,ilapusemainteniraupouvoir.SonministredelaDéfense,lui,aétéemportéparcesaffaires.Iladémissionnépuisaétéarrêté.

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CHAPITRE II

née par des journalistes du Philippine Center for Investigative Jour-nalism (CIPJ), un petit organisme de la ville de Manilla, sur les abus12 commis par le président.

Toutes ces « affaires » mettent en lumière le fait que, de manière recoupée, le journalisme d’investigation aurait pour objectif d’expo-ser au public des informations et histoires cachées, soit délibéré-ment par quelqu’un en position de pouvoir le faire, soit par hasard, derrière une masse chaotique de faits et des circonstances qui obs-curcissent le sens des choses…

Certains l’opposent à ce qu’on peut qualifier de journalisme d’ac-tualité ou d’événement qu’ils appellent « journalisme convention-nel »13. Ce dernier ferait quotidiennement les récits des événements tels qu’ils se donnent à être vus ou compris ou tels que leurs organi-sateurs (personnalités publiques ou organisations) souhaitent qu’ils soient compris. Tandis que le journalisme d’investigation considère

12 Dans “Journalistic Legwork that Tumbled a President: A Case Study and Guide forInvestigativeJournalists”.WorldBankInstitute,Washington,LarsMølleretJackJacksonrapportentlecasduprésidentphilippinJoséMarceloEjército,mieuxconnusouslenomde JosephEstrada.Acteurcélèbreetchéri, ilse lanceenpolitiqueetdevientmaire,sénateur,vice-président(1992-1998)puisprésidentdelaRépublique(1998-2001).Trèsvite,ils’enrichitdemanièreostentatoire.AuxPhilippines,laloiprévoitunedéclarationpublique des biens par les personnalités. Le Philippine Center for InvestigativeJournalism(CIPJ)acherchéàcernerl’écartentrecequ’Estradaavaitdéclaréetcequ’ilpossédaitréellement.Pouréviterdeseperdre,l’enquêteaétélimitéeauxsociétésdanslesquellesEstradaetlesmembresdesafamilleavaientdesintérêtsetauxpropriétésimmobilièresqu’ilspossédaient.Pendantdesmois, leCIPJapuretracerdansdiversdocuments publics, du Bureau d’enregistrement des sociétés ou du Registre immobilier, des dizaines d’éléments qui lui ont permis, une fois cette information regroupéeet analysée, de démontrer qu’Estrada avait des intérêts dans 66 sociétés et que safamilleet luipossédaientdesdizainesdemaisons.Après lapublicationdes résultatsde l’enquêteduPCIJetsixansdeprocèsaucoursdesquels les rapportsduCentreservirentdepreuve,Estradaaétécondamnéàlaprisonàviele12septembre2007.Ilafaitappeletfutfinalementacquittéle26octobre2007bénéficiantd’unemesuredegrâcedelaprésidenteGloriaArroyoenraisondesonâgeetaprèsavoirrenoncéàsollicitertoutnouveaumandatélectif

13 Dans «L’enquête par hypothèses : manuel de journaliste d’investigation», Mark LeeHunter et Nils Hanson opposent journalisme d’investigation, qu’ils appellent aussienquête, au journalisme conventionnel, entre lesquels ils trouvent des différencesfondamentalesliéesaussibienauxméthodesderecherches,auxrelationsentretenuesou à entretenir avec les sources ainsi qu’à la nature des résultats auxquels peut aboutir le travail du journaliste.

que ces organisateurs pratiquent toujours ou souvent le secret pour esquiver leurs responsabilités.

Nous retiendrons donc que le journalisme d’investigation n’est pas un genre journalistique, mais une spécialisation dans la pra-tique du journalistime, qui utilise essentiellement l’enquête comme technique et genre journalistique.

Mais comment cette pratique a-t-elle vu le jour et qui en sont les précurseurs?

II.1.3. BREF APERCU HISTORIQUE Pour beaucoup de théoriciens et praticiens, les bons journalistes

sont, depuis toujours, des enquêteurs. En 1826, John Pilger racontait déjà dans le Sydney Monitor l’histoire de son concitoyen Edward Hall Smith qui, alors que l’Australie était encore une colonie, avait commencé à lutter contre la corruption des fonctionnaires et contre les mauvais traitements dans les bagnes, et avait été, pour cela, condamné à l’emprisonnement14.

Mais ce n’est qu’un siècle plus tard, lorsque la presse a acquis une assise plus large et s’est diversifiée, que l’on a vu apparaître des agences spécialisées dans l’investigation. Ces agences travaillaient souvent sur des articles longs, nécessitant des ressources matérielles et des compétences importantes. Mais c’est particulièrement avec la publicité faite à l’enquête menée par les journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein conduisant au scandale du Watergate aux Etats Unis en 1972 que le mythe du « journalisme d’investigation » a com-mencé à prendre forme.

Selon la version la plus répandue, Woodward et Bernstein se sont fondés sur un tuyau pour dévoiler et prouver minutieusement des activités illégales ordonnées par le Président Richard Nixon et ses agents. Plus précisément, ces deux journalistes du Washington Post avaient démontré qu’un vulgaire cambriolage de l’immeuble 14 Dans«lejournalismed’investigationenAfrique»,opcit

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CHAPITRE II

abritant le siège du Parti Démocrate dans la nuit du 16 au 17 juin 1972, était en réalité une opération organisée par les Républicains pour y installer des micros afin d’espionner les adversaires.

Nixon a été contraint à démissionner en pleine année électorale, et le livre, plus tard transposé à l’écran sous le titre « Les hommes du Président », a fait de Woodward et Bernstein, de leur travail et de la manière dont ils l’avaient réalisé, les fondements du débat et de la représentation populaires en matière de presse d’investigation.

En RDC, le journalisme d’investigation n’a pas attendu le Water-gate pour se manifester. Au tout début du siècle dernier, alors que le pays était encore la propriété de Léopold II, Roi des belges, Ed-mund Dene Morel, journaliste franco-britannique (1873-1924), avait initié une série d’articles parue dans The Speaker, sous le titre « The Congo Scandal » où il dénonçait les « cruautés » coloniales ou les « actes de férocité » perpétrés par les agents de Léopold II sur les autochtones.

Les sources de Morel se distinguaient très nettement comme des personnages à haute crédibilité15 : Henry Fox Bourne, patron d’Abo-rigines Protection Society, qui inondait l’opinion anglaise de tracts et documents dénonciateurs bien fouillés; E.V. Sjôblom, pasteur baptiste suédois bien implanté au Congo depuis une dizaine d’an-nées; William Sheppard, pasteur noir américain installé à Luebo, qui eut l’opportunité d’être témoin de l’installation en 1901 de la Compagnie du Kasai, une des entreprises citées comme coupables des « exactions ».

Il y avait aussi parmi ses informateurs, Henry Grattan Guinness, un évangéliste londonien intéressé aux activités de Livingstone et formateur des missionnaires protestants anglais destinés à l’Afrique; Charles Dilke, secrétaire général au Ministère britannique des Affaires Étrangères et destinataire principal de tous les rapports écrits par les diplomates accrédités à l’étranger; et Roger Casement,

15 EKAMBO,J-C,Histoire du Congo RDC dans la presse, des origines à l’indépendance, L’Harmattan,Paris,2013

consul de Grande-Bretagne à Boma, sans doute le plus grand infor-mateur et principal collaborateur de Morel.

La publication de ces enquêtes et la campagne anti-léopoldienne, qui s’en est suivie, avaient eu pour conséquence la liquidation de l’État indépendant du Congo, propriété de Léopold II, et la cession du Congo en 1908 à la Belgique en tant que colonie.

Mais l’administration coloniale ainsi que le régime dictatorial qui s’est installé quelques années après l’accession du pays à l’indépen-dance, n’ont malheureusement pas permis l’éclosion d’une presse véritablement libre d’expression.

Il a fallu attendre près d’un siècle, et l’ouverture démocratique décrétée par le Maréchal Mobutu, Président de la république, au début des années 1990, pour renouer avec quelques initiatives d’in-vestigation. On peut noter, par exemple, L’affaire Prima curia révé-lée en décembre 1990 par Umoja, un quotidien de Kinshasa. Sans la même rigueur méthodologique, ni la même envergure que le travail d’Edmund Dene Morel, Léon Moukanda, éditeur d’Umoja, dénon-çait l’existence d’une association secrète dénommée Prima Curia, œuvre du régime, agonisant de l’époque.

Sous le titre évocateur de La Prima Curia : une épine dans le cœur de la démocratie zaïroise 16, l’auteur attribuait les balbutiements et tergiversations du processus de démocratisation, fraichement lan-cé, à la volonté délibérée des membres de cette secte, dirigée par le Président Mobutu, de se maintenir au pouvoir afin de prolonger la jouissance des avantages et privilèges de fonctions.

II.1.4. D’OU VIENNENT LES IDEES D’INVESTIGATION ?

Trouver un sujet d’investigation n’est pas aussi facile qu’on puisse le croire. Particulièrement pour les débutants. Et pourtant, les idées d’investigation peuvent venir de partout. Il suffit d’être un

16 Nousyreviendronsdansl’étudedescas.

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CHAPITRE II

peu plus attentif à son environnement. Il y a plusieurs façons, pour le journaliste, de repérer une histoire qui mérite une investigation.

La plus usuelle est de faire un peu plus attention à son environ-nement de travail et aux sujets de reportages d’actualité qu’il est appelé à faire tous les jours. Une idée ou intuition d’investigation peut en sortir.

Pour l’article sur les Députés absentéistes, publié en mars 2011 par Congo News, par exemple, Mike Mukebayi17 est parti du constat, pendant ses diverses couvertures des travaux de l’Assemblée natio-nale, des absences massives et répétées de certains députés auxdits travaux. Un fait anodin pour le grand nombre de journalistes, mais plein de sens et d’importance à ses yeux.

La publication de cet article l’avait contraint à quelques jours de clandestinité, pour se mettre à l’abri des multiples pressions. Elle avait également poussé l’Assemblée nationale à mettre sur pied une commission d’enquête chargée d’identifier les personnes, en son sein, qui avaient permis au journaliste d’avoir accès aux listes de présences officielles.

Une autre façon est de suivre les confrères avec un esprit alerte. Chaque jour, de nombreuses informations sont rapportées par la presse. Les opérations de grande envergure couvrent les grands articles et les grands reportages de radio et de télévision, mais les journalistes manquent souvent de temps ou d’engagement pour aller au-delà de l’apparent et mener de grandes investigations. Une attitude qui génère un sentiment d’inachevé auprès du lecteur, au-diteur ou téléspectateur qui se sent quelque peu abusé par des titres pompeux aux contenus à peine creux.

Une troisième technique de repérage d’histoires est d’écouter les plaintes des gens. Dans la rue, sur la place du marché, sur le parvis de l’église, sur les forums Internet, dans les dîners… bref, en tout lieu, les gens se racontent des choses qui semblent étranges, intri-

17 Directeur de publication du Journal « Congo News », bihebdomadaire paraissant àKinshasaetauteurdel’article.

gantes ou qui suscite réflexion. L’idée de l’enquête qui a emporté le président philippin, par exemple, était partie des signes ostenta-toires d’enrichissement rapide du président et des rumeurs de plus en plus amplifiées à ce sujet.

II.1.5. LES APTIDUDES REQUISES POUR LE JOURNALISME D’INVESTIGATION

II.5.1. La curIosIte Le journalisme d’investigation démarre quand on commence à

se poser des questions. Comme on vient de le voir, les questions peuvent avoir trait soit à des faits relatés dans la presse soit à des événements dont on a été, soi-même, témoin ou dont on a entendu parler.

II.5.2. LA COMPETENCE SUR LE DOMAINE QU’ON ENQUETE

Il est recommandé que le journaliste enquête dans un secteur où il est spécialiste. Ceci lui permet d’avoir des informations plus poin-tues et de ne pas se laisser tromper. La compréhension du contexte des investigations par le reporter ou journaliste peut l’aider à éviter les impasses et à identifier les questions et les faits pertinents. Dans le cas contraire, il ne doit pas hésiter à lire des documents, des livres pour compléter ses connaissances…

II.5.3. UN SENS RIGOUREUX D’ETHIQUE Les articles d’investigation peuvent mettre en péril la sécurité, le

travail et même la vie des sources. Le journaliste court également le risque de mettre les sujets en danger s’il fait des accusations à la légère. Le journaliste d’investigation doit donc avoir une éthique personnelle solide et explicitement conçue pour garantir que les sources et les sujets soient traités avec respect et garantie de pro-tection.

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CHAPITRE II

II.5.4. LA DISCRETION Le fait de parler à tort et à travers peut mettre l’enquête et même

des vies en danger. Ca peut également alerter ou prévenir les contacts ou sources avant qu’ils ne se soient livrés aux entretiens. Donc, les commères et les bavards ne font pas généralement de bons journalistes d’investigation.

II.5.5. LE COURAGE Le journaliste d’investigation peut, en sus de ses sources et son

travail, être menacé de violences, d’incarcérations ou même d’assas-sinat. Le journalisme d’investigation exige de ceux qui prétendent ou entendent le pratiquer, de croire en ce qu’ils font et d’avoir le courage de continuer…

II.5.6. LA PATIENCE, LA TENACITE Le journaliste d’investigation devrait se garder de se contenter

des réponses partielles, insuffisantes, de preuves peu convaincantes. Il lui faut de la patience pour avoir les vraies et complètes réponses à ses interrogations. Car l’information recherchée est parfois lâchée sur le tard, à la troisième, à la quatrième rencontre… En tout cas, les sources ne sont pressées de lâcher le morceau avant de s’être assu-rées de l’absence du risque des dangers.

II.5.7. UN TRAVAIL METHODIQUELe cheminement d’une enquête peut être long. Les qualités de

bon planificateur attentif sont donc requises afin d’utiliser au mieux le temps. Il faut savoir répertorier les faits, établir les corrélations, trouver les idées- forces, globaliser et ordonner les idées. En raison des risques juridiques qui se rattachent souvent aux enquêtes, le journalisme d’investigation exige des vérifications très pointues.

II.5.8. LA PASSION La plupart du temps, le journalisme d’investigation est une entre-

prise ingrate. Il bouffe le temps et l’argent et pompe l’énergie. Pire, il peut énerver la hiérarchie de la rédaction et agacer quelques per-sonnes influentes. D’où l’exigence de beaucoup d’amour et même de la dévotion pour les défis, la vérité et la justice pour se mettre au service des lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs en leur proposant des récits qui ont de l’importance, peu importe la quantité de temps ou le coût que cela représente…

II.5.9. LA FLEXIBILITEC’est la capacité de repenser les hypothèses ou la recherche

quand les réalités de terrain le commandent. Une investigation peut prendre des tournures inattendues. La question initiale peut s’avé-rer être une impasse ou bien ouvrir les portes à une autre question beaucoup plus importante, mais moins évidente au départ.

2. Les étaPes d’une InVestIgatIonAprès cet effort de compréhension du béaba de l’investigation,

intéressons-nous à présent aux différentes étapes essentielles gui-dant l’investigation. Il s’agit de la préparation, de la collecte des données, du traitement des données recueillies ainsi que de la dif-fusion de l’enquête.

II.2.1. LA PREPARATION D’UNE INVESTIGATION

C’est la première étape à toute investigation. Elle est fondamen-tale et en conditionne les résultats. Les idées les plus intéressantes peuvent se révéler les plus irréalisables, tandis que les pistes peu attrayantes au départ peuvent en ouvrir d’autres particulièrement intéressantes. Tout se peaufine durant l’étape de la préparation. Et la meilleure préparation d’une enquête consiste à en recentrer la préoccupation en travaillant avec une hypothèse de départ.

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CHAPITRE II

II.2.1.1. HYPotHese Pour QuoI FaIre ? Une enquête est une recherche de réponses à une question ou

un ensemble de questions que l’on se pose. Il faut donc formuler une hypothèse en prenant un recul par rapport à ses propres sen-timents. L’hypothèse est donc une histoire et une méthode pour la vérifier18. En vérifiant ou en réfutant une hypothèse, le journaliste peut plus facilement voir quelle information il lui faut chercher, et comment l’interpréter.

Il y a une nette distinction entre un sujet et une hypothèse ; le su-jet étant un champ suffisamment vaste et explorable au travers des hypothèses, qui sont des histoires particulières à raconter concer-nant des pans du sujet. Ainsi, la corruption est un sujet et même un domaine d’investigation ; et un projet d’enquêter sur la corrup-tion serait sans nul doute une vaste et épuisante entreprise pour un rédacteur.

18 LeeHunteretHanson

Dans sa forme, une hypothèse est une phrase simple ou compo-sée, formulée de manière à la rendre compréhensible. Et chacune de ses parties est un faisceau d’interrogations ou exige des éléments d’information qui, une fois obtenus, vont concourir à la construc-tion de l’histoire. Autrement dit, une hypothèse implique des ques-tions spécifiques à chacune de ses parties qui doivent trouver des réponses au cours et par l’investigation.

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Ainsi, chercher à expliquer que les détournements de fonds perpétrés par des préposés de l’Etat seraient à la base de l’arrêt brusque et prolongé des travaux de réhabilitation de la voirie de la ville ou encore que des détournements de recettes réalisées sur les marchés municipaux seraient d’énormes manques à gagner au bud-get de la municipalité empêchant son développement, seraient des hypothèses à démontrer et des histoires spécifiques à raconter pour illustrer la corruption et ses effets néfastes.

Dans cet exemple, l’hypothèse de la première histoire évoquée pourrait être for-mulée de la manière suivante : « Les détournements des fonds par les autorités urbaines sont à la base de l’arrêt brusque et prolongé des travaux de réhabilitation de la voirie » ou « l’arrêt brusque et prolongé des travaux de réhabilitation de la voirie urbaine est dû aux détournements des fonds par les autorités »

En revenant à notre exemple, les questions spécifiques peuvent être les suivantes :

− Qu’entendons-nous par détournement ? (vols, utilisation de deniers alloués aux travaux à d’autres besoins d’intérêt public ?)

− Quel est le mode opératoire ? (quels sont les maillons de la chaine de dépense ? qui touche l’argent ? quel est le mode de paiement ou décaissement ?

− Quelle sont les banques (ou la banque) impliquées ?

− Qui est le Maitre d’ouvrage délégué ?

− Quelles sont les tâches lui assignées ?

− Quelles sont les personnes impliquées dans la gestion du dossier ?

− Quelle est l’entreprise qui exécute les travaux (le constructeur) ?

− Quels sont les termes de l’accord ou convention qui lie le Maitre d’ouvrage délégué au Constructeur?

− Quelle en est la dernière évaluation ?

− Quel écart en était établi entre la norme et la réalité sur terrain ?

− A quand remonte le dernier paiement et de quels hauteur et pourcentage était-il ?

− Quelles seraient les démarches entreprises par le Constructeur auprès du Maitre d’ouvrage pour lui permettre d’accélérer ou de continuer les travaux ?

− Quelle aurait été la suite y réservée ?

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CHAPITRE II

L’investigateur se devra de chercher et trouver des réponses à ces questions spécifiques pour construire une histoire authentique.

II.2.1.2. QueLQues aVantages de L’HYPotHese 19

La méthode de l’enquête par hypothèse présente beaucoup d’avantages en termes d’économie d’effort :

− Une hypothèse donne quelque chose à vérifier : en réalité, les sources ne révèlent pas leurs secrets, à moins d’avoir une très bonne raison pour le faire. Par contre, ils seront souvent d’accord pour confirmer une information déjà en possession du journaliste, tout simplement parce que la plupart des gens détestent mentir (ou ont peur des retombées potentielles de leurs mensonges). Une hypothèse permet de leur demander de confirmer quelque chose, au lieu de leur demander une information.

− Une hypothèse augmente les chances de découvrir des se-crets : beaucoup de « secrets » ne sont que des faits auxquels personne ne s’est jamais intéressé. Une hypothèse a l’effet psy-chologique de rendre son auteur plus sensible à certains faits, de telle sorte qu’il peut les interroger.

− Une hypothèse facilite la gestion du projet : après avoir défini ce que l’on recherche, et où commencer à le chercher, l’on peut estimer le nombre d’heures nécessaires aux étapes initiales de l’enquête. Ainsi l’on commence à transformer l’enquête en projet, dont on contrôle le bon déroulement.

− Une hypothèse garantit de terminer avec une histoire, et non avec des données : une hypothèse permet de prévoir un ré-sultat minimum et maximum pour la recherche, et même, au pire, de rendre la décision d’arrêter.

19 HUNTERM.,Enquête par hypothèse : manuel du journalisme d’investigation, op cit, p.

II.2.13. LE DANGER DE L’HYPOTHESE ! L’enquête par hypothèse est un outil qui permet au journaliste de

creuser pour la vérité, mais elle peut également creuser une tombe pour l’innocent. Il ne faut donc pas être esclavage de son hypothèse. Le travail du journaliste n’est pas de prouver, à tout prix, que son hypothèse est vraie, mais plutôt de montrer la fameuse vérité ca-chée.

La technique de l’enquête par hypothèse requiert donc un usage honnête et consciencieux. Il faut essayer tout autant de réfuter que de prouver ses hypothèses. Après tout, ce ne sont que des hypo-thèses !

II.2.2 LA COLLECTE DES DONNEES (INFORMATIONS)

La collecte des données est la deuxième étape du processus d’une investigation. Les questions spécifiques évoquées à l’étape de la formulation de l’hypothèse révèlent déjà la nature des données à recueillir et le profil des personnes auprès desquelles les obtenir.

Au cours de cette étape, le journaliste se retrouve lui-même en si-tuation de « récepteur », susceptible d’être manipulé par les sources qui doivent lui fournir les informations à la quête desquelles il s’est lancé. En République Démocratique du Congo, si la liberté d’expres-sion est formalisée par un ordonnancement juridique, celle d’infor-mation demeure contrariée par l’absence d’une législation garantis-sant l’accès à l’information publique.

De cette manière, il est difficile d’informer comme il se doit lorsque les informations tenues par l’Administration peuvent ne pas être révélées au motif du « secret d’Etat », expression utile mais dangereuse lorsque l’Agent de l’Etat l’emploie dans toutes les si-tuations.

C’est pourquoi, pour le journalisme d’investigation, la stratégie, la plus plausible, est de commencer par les sources d’accès libre ou

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facile. Car, au lieu de chercher « le secret », il est sage de déduire d’abord, sur la base des faits accessibles, quel pourrait être ce secret.

Le journaliste ne devrait pas se faire d’illusions. La rétention de l’information est une pratique très courante dans l’espace public. Même s’il peut en comprendre les bonnes raisons, le journaliste ne devrait s’en accommoder. Il est, au contraire, de son devoir d’aller au-delà des portes du secret pour chercher l’information cachée, même s’il n’est garanti de la trouver, même si au bout du compte il n’est pas obligé de la publier.

Le travail de collecte sous-entend alors qu’il faille observer, cher-cher et analyser des documents, mais aussi des témoignages. À cet effet, trois techniques ou démarches, que nous allons décortiquer ici, se partagent le champ de la collecte. L’on prendra, cependant, soin d’organiser les données collectées au fur et à mesure que pro-gressera le travail de collecte. Comment peut-on les organiser ? C’est l’objet du dernier point de la collecte des données.

II.2.2.1. Les techniques de collecte de l’information

� L’OBSERVATION L’observation consiste à suivre systématiquement une situation,

une pratique, une réalité, une personne ou groupe de personnes sur une certaine période en vue d’en tirer des leçons. Elle peut complé-ter la recherche documentaire ou même la précéder. Considérant le niveau d’implication du journaliste dans l’objet observé, l’observa-tion peut être participante ou non-participante.

Dans la seconde, le journaliste observe les faits de l’extérieur, tandis que dans la première, il le fait de l’intérieur, il y prend part dans la mesure du possible. Dans ce cas, la déontologie exige que le journaliste s’annonce. Mais, en cas d’impossibilité d’obtenir une information d’intérêt public de façon ouverte, le journaliste peut déroger à cette règle.

C’est le cas d’Henry Nxumalo, journaliste au Magazine sud-afri-cain Drum dans l’affaire de Bethal20, une enquête menée en mars 1952, sous le régime de l’apartheid au sujet des conditions de travail et d’existence de la main d’œuvre contractuelle dans les exploita-tions agricoles. Sous le sobriquet de Mr Drum, Henry Nxumalo a

20 C’est dans« le journalismed’investigationenAfrique»qu’onévoquecetteaffairedeBethal comme,du reste, unclassiqued’uneenquête,menéeenmars1952, sous lerégime de l’apartheid, par Henry Nxumalo du magazine sud-africain Drum au sujetdes conditions de travail et d’existence de la main-d’œuvre contractuelle dans lesexploitations agricoles.

Contexte Drumétaitunepublicationenbonneetdueforme,appartenantàunpropriétaireblanc,

employantunrédacteurenchefblanc,maisavecunlectoratengrandepartienoir,etdontl’équipeétaitprêteàcourircertainsrisquesenenquêtantsurdessujetsd’intérêtpublic.Cependant,lacensureétaitforteetlespoliciersdesservicesdesécuritétenaientles journalistes de Drum à l’il. Les budgets étaient limités, ainsi que l’accès aux archives officielles(au-delàdesdocumentspubliés).Lesrédacteursdevaientaussiveilleràceque la manière dont les articles étaient rédigés n’apparaisse pas comme une attaque directe contre le gouvernement de l’apartheid.

Commentl’affairea-t-ellecommencé? Toutacommencédanslarue,aufildesdiscussionsdespetitesgens,quidisaientque

le régime de la main d’uvre contractuelle était pervers, que les travailleurs ne recevaient pastouteslesinformationsetqu’ilsseretrouvaientpiégésparleurscontratsdansdesexploitationsoùilsmouraientdefaim,oùilsétaientinsultésetmaltraités.Cettesituationgénéraleaservi de toilede fondàNxumalo lorsque l’undesescollèguesdeDrum,Arthur Maimane, lui a exposé les mauvais traitements subis par son cousin dans une fermeàBethal.Drumétaitalorsàlarecherched’ungrandreportaged’investigationpourmarquer son premier anniversaire.

CommentNxumaloa-t-ilprocédéetqu’a-t-ildécouvert? Pourcomprendrecequisepassaitdanscetteexploitationdepommesdeterre,ils’est

rendu dans le district de Bethal et a interviewé une cinquantaine d’ouvriers dans huit fermes.Ilautilisésescapacitésd’observationpourprendredesnotestrèsvividesetilapeint,avecsesmots,cequ’ilavaitobservé.IlétaitaccompagnédeJürgenSchadeberg,un photographe blanc de Drum qui venait d’arriver d’Allemagne. Avec son accent allemandtrèsprononcé,Schadebergpassaitfacilementpouruntouristeetilaainsipuprendre des photographies « touristiques » des ouvriers agricoles.

Ensuite, Nxumalo a parcouru à rebours la procédure jusqu’au recrutement àJohannesburg (en déposant lui-même une demande d’emploi). Sélectionné par unrecruteur, il a été emmené dans les bureaux d’une agence de travail où il a obtenu un contrat qu’il a étudié. Il a observé la procédure de signature et a posé des questions pour voir s’il recevait des réponses cohérentes.Contrairement à la plupart des vraisouvriers,sonanglaisétaitimpeccableetilétaitàmêmed’analyseretdemémoriserdesdocuments.Ilacomparésonexpérienceaveccequelalégislationpertinenteprévoyaitet a remarqué des écarts.

ÀsonretouràJohannesburg,Nxumaloaaussipistédesrapportsprécédemmentrédigéspardiversesorganisationspolitiques,quiessayaientdefaireréagirlegouvernement,etilaintégrécesinformationsàsondossier.

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déposé une demande d’emploi au bureau de recrutement. Il a été sélectionné et emmené dans une agence de travail pour signer son contrat de travail. C’est là qu’il a réussi à observer la procédure de la signature collective de nouvelles recrues, une procédure non conforme à la législation.

� LA RECHERCHE DOCUMENTAIREPraticiens et théoriciens s’accordent sur le fait que les documents

sont essentiels au journalisme d’investigation. Pour Steve Weinberg, les documents sont si essentiels que les journalistes d’investigation doivent développer « un état d’esprit fondé sur les documents»21 William Gaines, spécialiste en journalisme d’investigation, soutient pour sa part que les documents sont comme des briques dans la construction d’un mur, et les interviews, le ciment qui les maintient ensemble et garde le mur intact…

On distingue généralement les documents officiels des docu-ments privés. Les premiers étant préparés ou publiés pour un but formel par les administrations publiques; et les seconds, établis par des administrations privées ou des privés à des fins privées. Mais cette distinction est loin d’être tranche. Étant donné la susceptibilité 21 Steve Weinberg, “The Reporter’s Handbook: An Investigator’s Guide to Documents and

Techniques,” St. Martin’s Press, 1996.

relative à l’utilisation des documents dans une enquête, il y a lieu de proposer une typologie plus élaborée.

Cette typologie tient compte de trois éléments : le statut de l’ins-tance éditrice et celui de l’instance bénéficiaire ainsi que le but ou l’usage auquel est destiné le document. On peut ainsi distinguer des :

− Documents établis et publiés par une administration publique à l’attention et à l’usage de tous : lois, ordonnances, décrets, rapport gouvernemental ou parlementaire…;

− Documents établis par une administration publique au béné-fice d’un privé et pour usage privé : acte de naissance, acte de mariage, permis de conduire, un contrat…

− Documents établis par une administration publique au béné-fice des privés, mais ouverts à la consultation publique : re-gistre des mérites civiques…

− Documents établis par une administration publique au béné-fice d’un privé à l’attention d’une autre administration pu-blique : la déclaration de patrimoine, le bulletin de santé…

− Documents établis par une administration publique mais in-terdits à la publication : secret défense…

− Documents établis et publiés par une administration privée (ou un privé) à l’attention et l’usage de tous : rapport d’une ONG, rapports d’activités, résultats d’une recherche…

− Documents établis par une administration privée (ou un pri-vé) au bénéfice d’un privé et pour usage privé : notes scolaires et universitaires, extrait bancaire, contrat, dossier médical….;

− Documents établis par une administration privée (ou un pri-vé) au bénéfice d’un privé, mais ouverts à la consultation pu-blique : prix, trophée, bilans de société…

− Documents établis par une administration privée (ou un pri-vé) au bénéfice d’un privé à l’attention d’une administration publique : le relevé des données téléphoniques d’un privé éta-bli par un opérateur télécoms sur demande d’une administra-tion judiciaire, bulletin de santé;

Journalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

Pour revenir à notre exemple de l’arrêt des travaux de réhabilitation de la voirie, l’observation consistera en la descente(s) sur le(s) chantier(s) à l’arrêt, afin de constater et de faire le point sur les travaux déjà réalisés. Cette descente permettra, au moment du traitement, une meilleure des-cription de la situation.

Dans la mesure du possible, le journaliste observera aussi les procédures appliquées au niveau de la chaine de dépenses, mais aussi celles de paie-ment au niveau de la banque(s) concernée(s).

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CHAPITRE II

− Documents établis par une administration privée (ou un pri-vé), mais interdits à la publication : les stratégies et autres se-crets des entreprises ou organisations privées…

− Documents établis par et sur une administration privée à l’at-tention d’une administration publique : bilan

Selon leur nature respective, ces documents ne posent pas les mêmes problèmes d’accès ni d’exploitation dans une investigation. Les documents à vocation publique sont moins difficiles d’accès. Tant qu’ils ne relèvent pas du secret professionnel, les documents sont normalement accessibles auprès des administrations qui les ont édités.

Par ailleurs, internet est devenu une bibliothèque riche en docu-ments de tout genre. Les différents moteurs de recherche (Google, Altavista ou Yahoo,…) facilitent la recherche documentaire. Ils peuvent offrir une réponse facile d’accès, à condition de savoir for-muler le mot clé et de ne pas se perdre dans la multitude des réfé-rences disponibles.

De plus en plus, des sites tels www.leganet.cd/JO.htm, www.cia.gov/library, www.infomine.com... se spécialisent dans la mise en ligne des documents officiels tels que des arrêtés ministériels, des ordonnances, des décrets ; sur lesquels on trouve de nombreuses informations factuelles sur l’état des nations de la planète. Il existe même des données spécialisées qui fournissent des renseignements détaillés sur les activités de compagnies minières, ou des multina-tionales de vente œuvrant dans différents secteurs.

Cependant, la recherche sur internet exige une extrême prudence. Car, à coté d’énormes facilités et avantages qu’elles apportent, les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication charrient aussi beaucoup de manipulations.

Soulignons tout de suite qu’au fur et à mesure de l’évolution de l’enquête et au contact des personnes ressources, d’autres docu-ments peuvent se révéler nécessaires pour la construction de notre histoire.

Journalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

Pour illustrer la recherche documentaire, revenons à notre exemple pour établir la liste des documents nécessaires pour la construction de cette histoire. Pour rap-pel, notre hypothèse était ainsi formulée : « Les détournements des fonds par les autorités urbaines sont à la base de l’arrêt brusque et prolongé des travaux de réhabilitation de la voirie »

Au regard de cette hypothèse et surtout de nombreuses questions spécifiques que nous nous sommes précédemment posé, nous pourrons avoir besoin des documents ci-après :

− Le code pénal

− La législation sur la passation des marchés publics

− L’acte (ordonnance, décret ou arrêté …) désignant le Maitre d’ouvrage délégué

− La convention (de service) liant le Maitre d’ouvrage délégué et le Constructeur

− Les textes réglementant la chaine de dépenses publiques

− Les extraits de retraits ou de virements bancaires

− La production médiatique antérieure sur les travaux (notamment le lance-ment…)

− Les correspondances (éventuelles) entre le Constructeur et le Maitre d’ouvrage délégué

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CHAPITRE II

� L’INTERVIEW C’est la troisième technique de collecte de données. L’informa-

tion la plus passionnante ne se trouve toujours pas dans les sources documentaires ; elle réside parfois dans l’esprit des gens. Mais com-ment trouver ces personnes ? Comment les amener à dire ce qu’elles savent ? C’est le challenge du journaliste d’investigation. L’inter-view est la technique par laquelle on peut obtenir des éléments d’in-formation auprès de ces personnes qu’on appelle des sources d’in-formations. Au terme de plusieurs recoupement, elles constituent des preuves évidentes pour confirmer ou infirmer une version.

Autant que pour l’observation et la recherche documentaire, le travail de préparation de l’interview aura été facilité dans la pre-mière étape (préparation de l’enquête) par la formulation de l’hypo-thèse et, particulièrement, les questions spécifiques posées. En effet, cette étape permet surement d’établir une liste de noms intéressants à contacter pour la construction de l’histoire. Ca s’appelle autrement faire la carte ou cartographier les sources.

Journalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

Mais à présent, analysons d’abord la pertinence des types de documents rete-nus ici :

− Le code pénal a pour but de nous définir le terme « détournement » et de nous en indiquer les sanctions prévues.

− La loi (ou les lois) sur la passation des marchés a pour but de nous indiquer les normes et les procédures établies en la matière

− L’acte désignant le Maitre d’ouvrage délégué nous indique justement le Maitre d’ouvrage et en définit les tâches (pouvoirs et obligations)

− La convention nous renseigne sur le Constructeur, la nature et les délais des travaux à exécuter, les obligations respectives des parties, et possiblement sur la banque impliquée dans l’opération…

− Les textes réglementant la chaine de dépenses publiques ont pour intérêt de nous montrer les procédures et les intervenants depuis la préparation jusqu’à la liquidation de la dépense

− Les extraits de retraits ou virements bancaires ont pour objectif de nous indi-quer la traçabilité et le niveau d’exécution des paiements.

− La production médiatique antérieure peut donner un background intéressant pour la suite de l’enquête

Ces documents appartiennent à l’un ou l’autre type indiqués ci-haut. Certains sont même publiés (ou devraient l’être) au Journal officiel. Il s’agit du Code pé-nal, de la loi sur la passation des marchés publics, de l’acte (ordonnance, décret ou arrêté) désignant le Maitre d’ouvrage délégué, des textes régissant la dépense publique, et même possiblement la convention signée entre le Maitre d’ouvrage et le Constructeur. On peut donc les obtenir aux bureaux du Journal Officiel ou sur son site Web ou sur les sites précédemment évoqués.

En ce qui concerne la production médiatique antérieure, on peut avoir accès aux archives physiques de la presse tant écrite qu’audiovisuelle en formulant une demande auprès des responsables des rédactions désirées. On peut y accéder aussi par voie électronique, et la recherche s’en trouve davantage facilitée.

L’une des responsabilités récurrentes du journaliste d’investigation reste de per-suader les personnes ressources de l’intérêt qu’il y a pour eux et pour la commu-nauté à participer à la construction de l’histoire afin de faire éclater au grand jour la fameuse vérité cachée.

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CHAPITRE II

L’interview investigatrice cherche absolument à dégager l’infor-mation en posant des questions précises qui poussent l’interlocu-teur à dire ce qu’il ne voulait pas déclarer. Ce travail requiert, de la part du journaliste, certains comportements, aptitudes et attitudes, que voici :

� Détecter et capitaliser la motivation de la source à se confier !

Les gens en possession de faits ou d’histoires intéressants ont souvent des raisons de ne pas répondre aux questions du journa-liste. Celui-ci devrait leur trouver une bonne raison de le faire. Il y en a deux principales : la fierté et la souffrance, mais aussi l’absence de risque.

Dans le premier cas, les gens parlent quand ils sont excités par quelque chose. Ils seront contents de discuter d’un sujet qui leur donne la sensation d’être heureux… Dans le second cas, les gens parlent parce qu’ils souffrent et qu’ils espèrent qu’en se confiant,

une tierce personne pourra les aider à alléger sinon à éradiquer leur souffrance.

Généralement, la douleur ou la souffrance est plus forte et plus stimulante que la fierté. Les victimes sont souvent les premières personnes à parler. C’est-à-dire les personnes à qui on a fait du tort d’une manière ou d’une autre, ou qui ont été choquées au plus pro-fond de leurs valeurs par ce dont elles ont été témoins.

L’absence de danger peut stimuler aussi les gens à parler. Les gens se prêtent aux questions de journalistes, lorsqu’ils sont convaincus qu’aucun danger ne s’en suivra. Et la protection de la confidentialité des sources est une priorité absolue pour le journaliste d’investiga-tion, particulièrement quand celles-ci le demandent explicitement.

Dans le jargon, on parle d’On ou d’Off the record ou de P.P.A, (Pas Pour Attribution). Le premier terme veut dire que le journaliste peut employer l’information et l’attribuer à la source ; le second signifie que le journaliste promet de ne pas se servir de l’information fournie par la source, à moins qu’il ne trouve la même information ailleurs. Pour le troisième, le journaliste peut se servir de l’informa-tion, mais il ne peut pas l’attribuer directement à la source. Une autre identification, telle que « une source près de la hiérarchie judiciaire», pourrait être convenue entre le jour-naliste et la source.Mais attention, l’utilisation imprudente d’un document annoté, obtenu d’une source, peut trahir son origine (source humaine). Par exemple, un document portant des annota-tions d’un ministre peut indiquer les premières pistes de son niveau de provenance. Pourtant, c’est parfois les annota-tions qui ont valeur d’information.

focus

Journalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

En revenant à notre exercice, on peut noter les sources potentielles suivantes :

− Les hauts responsables de l’organe ou la structure qui joue le Maitre d’ou-vrage délégué

− Les cadres moyens de cette structure − Les cadres exécutants commis au suivi régulier des travaux sur les chantiers − La haute hiérarchie de l’entreprise constructrice − Les cadres moyens impliqués dans les travaux − Les manœuvres (leur syndicat, éventuellement) − Les autorités municipales bénéficiaires desdits travaux − Les autorités de la banque impliquée − Les responsables des Ministères des Finances et du Budget impliqués dans

la chaine de dépenses publiques

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CHAPITRE II

� Bien préparer l’interview pour obtenir de meilleurs résultats Pour réussir une interview, obtenez, au préalable, des informa-

tions suffisamment précises sur la personne à interviewer et l’objet de l’interview. Pour la personne, le minimum requis est de la « goo-gler » : consulter tout écrit qui fait référence à elle, mais aussi ses propres publications…. Sur l’objet de l’entretien, soyez au faîte de la dernière actualité.

Définissez les « actifs » que vous souhaitez acquérir, qui peuvent être des documents, des confidences, des analyses ou interpréta-tions, et des noms d’autres sources. En général, les derniers actifs sont les noms et coordonnées des personnes à contacter ensuite. La formule est : « A votre avis, quelles sont les personnes qui peuvent encore nous éclairer sur les sujets que nous venons d’aborder ? Sa-vez-vous comment nous pouvons les joindre ? »

� Maitriser l’entretienChoisissez votre rôle entre l’ « Expert » et l’ « Innocent ». L’Expert

connait d’avance la plupart des réponses, et peut pleinement appré-cier des informations parfois compliquées qu’une source peut four-nir. Cependant, si vous commencez un échange en tant qu’Expert, ayez la certitude que vous ne serez pas forcé de perdre la face.

Sans être imbécile, l’Innocent s’adresse à la source précisément parce qu’il en sait très peu, et aspire à être éclairé. C’est probable-ment le rôle le plus fort. Il permet de poser des questions aussi bien simples que complexes. Obligé de poser des questions sur tout, l’In-nocent évite le danger d’indiquer à la source ce qu’il cherche, et ce qu’il sait déjà.

Souvent, les investigateurs commencent une interview en tant qu’Innocent, et se révèlent Expert au fur et à mesure que la conver-sation progresse. Vous pouvez employer, avec sagesse et opportu-nisme, les deux rôles alternativement, pendant une entrevue.

Pendant l’entretien, variez les formes de questions et reformu-lez-les au besoin. Posez des questions difficiles mais d’une manière

souple et non effrayante. Maintenez le contact visuel avec l’interlo-cuteur, écoutez-le attentivement et faites attention à sa gestuelle et sa mimique, souvent révélatrices des états d’âme.

� Laisser la source vous surprendrePlus que les journalistes d’actualité, il faut prêter attention à ce

que la source veut dire. Souvent les sources disent : « Je peux ré-pondre à votre question, mais il y a une question que vous n’avez pas posée et qui est plus pertinente. ». Donnez-lui l’occasion de tout dire. Probablement, la réponse à la question non posée peut ouvrir une histoire entièrement différente, et parfois bien plus importante que l’histoire initiale.

� Aller au-delà des explications des sourcesIl faut toujours imaginer d’autres explications éventuelles au

problème enquêté au-delà de celles des témoins ; et douter de ses sources, même celles considérées toujours comme très sûres. Il faut toujours vérifier les témoignages et informations ; mais aussi faire attention à la manipulation au moyen des nouvelles technologies (téléphone, Internet, etc.)

Il faut chercher à connaître le rôle et la position des personnes à interroger et celles qui vous donnent les informations par rap-port au problème qui fait l’objet de l’enquête et vous assurer que les sources contactées sont les mieux indiquées pour répondre à la question de l’enquête. La motivation, la capacité d’accès à l’informa-tion ainsi la qualité de cette dernière demeurent, pour la source, les trois critères sur lesquels, on devrait évaluer sa validité.

Il faut, enfin, s’intéresser aussi à la population ou monsieur tout le monde qui peut se révéler détenteur de certaines informations utiles qui peuvent, ne serait-ce qu’ouvrir de nouvelles pistes peu connues ou mal envisagées.

Journalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

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CHAPITRE II

II.2.2.2. L’organIsatIon de donneesPour anticiper sur le traitement ou la rédaction, les données col-

lectées lors de l’observation, de la recherche documentaire ainsi que des entretiens, doivent être organisées au fur et à mesure que l’in-vestigation avance. Le travail d’organisation fait partie intégrante du processus de recherche, d’écriture et de publication. On ne fait d’abord la recherche, pour ensuite l’organiser, puis l’écrire.

On organise plutôt les données parallèlement à la recherche, et cette organisation prépare et initie le travail d’écriture. L’organisa-tion des données comporte deux étapes : la création d’une base de données - une archive qui permet de retrouver facilement les faits au sein de la documentation, et la structuration d’une histoire, digne de confiance, par la constitution d’un fichier principal ou maitre.

� La création d’une base de donnéesLa construction d’une base de données ou d’archives peut se

faire à l’aide de dossiers papier, de données électroniques, ou une combinaison des deux. En voici un processus simplifié :

− La collection des documents : sont notamment considérés comme documents : un rapport officiel, des coupures de presse, des notes d’interviews, une carte de visite…

− L’analyse des documents : chaque document doit être analysé afin d’en évaluer contenu et marquer les passages importants.

− La nomination ou le chiffrage des documents : le nom doit rappeler le contenu du document. Pour les interviews, il est bon d’employer le nom du sujet. Si la source est confidentielle, il lui faut un code.

− L’archivage des documents : il doit être fait dans un ordre qui facilite la recherche

− Le transfert des documents entre fichiers : en cas d’un événe-ment ou des séries d’événements émanant d’un fichier évo-quant une histoire distincte, on peut copier les documents pertinents et ouvrir un nouveau fichier, tout en s’assurant de laisser les copies dans les fichiers de départ.

− Les doublures : si les documents sont de caractère sensible, on peut en préparer des copies et les stocker dans un endroit sûr.

� La structuration des données (le fichier « maître »)Le fichier maitre est d’une extrême utilité pour la composition

d’un récit serré et bien structuré. Il est, en réalité, « un hypermarché de données », un endroit unique où on met tous les actifs rassem-blés. Il contient toutes les informations nécessaires à la construction de l’histoire. Il doit être ordonné.

II.2.3. LE TRAITEMENT DES DONNEES On n’écrit pas une enquête comme on écrirait un article d’actua-

lité. Composer la version finale d’une enquête exige des capacités particulières et implique des principes créatifs différents qui font appel aux règles de la narration de manière plus complexe. Le jour-naliste doit simultanément employer la puissance des dispositifs liés à la fiction, tout en évitant de composer une fiction. En plus, conscient ou non, son état émotif s’insère dans le texte.

La démonstration, au moyen de l’argumentation, demeure l’en-jeu essentiel du traitement ou la mise en forme d’une enquête. Ce travail passe par l’analyse des documents et des témoignages vé-rifiés et confrontés entre eux. Cette démonstration doit se fonder sur des preuves irréfutables qui peuvent être des documents, des témoignages des sources ou même des images et/ou sons collectés pendant l’observation. Mieux vaut une preuve irréfutable que dix preuves suspectes. Ici les questions journalistiques revêtent d’autres dimensions22. 22 Pourcesdeuxauteurs,ilestexactquel’enquêteetlereportageconventionnelsebasent

tous les deux sur les éléments classiques du « qui, quoi, quand et où ». Mais le cinquième élément du reportage conventionnel, le « pourquoi », devient le « comment » dans l’enquête.Lesautresélémentsfontl’objetd’uneexégèsequirequiertdesinformationsplus étendues, non seulement en termes de quantité, mais également en termes de qualité. « Qui » n’est plus simplement un nom et un titre, c’est une personnalité, avec des traitsdecaractèreetunstylepersonnel.«Quand»n’estplusleprésentdesnouvelles,c’estuncontinuumhistorique-unrécit.Le«quoi»n’estpassimplementunévénement,maisunphénomèneavecdescausesetdesconséquences.«Où»n’estpassimplementune adresse, c’est un lieu particulier, dans lequel certaines choses deviennent plus ou

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CHAPITRE II

Après avoir sélectionné les meilleures preuves, le traitement pose un certain nombre de problèmes : le plan de rédaction, l’admi-nistration de la preuve, le style rédactionnel, ainsi que le contrôle qualité. Le premier concerne la hiérarchisation de preuves. Le deu-xième concerne la manière dont ces preuves seront utilisées dans la construction de l’histoire. Le troisième problème est celui de l’écrire journalistique. Le dernier est relatif à la conformité de l’histoire, telle que racontée, à la vérité.

II.2.3.1. Les PLans de redactIon Il existe fondamentalement deux manières de structurer un récit

riche : le plan chronologique et le plan d’actualité. Dans le premier, l’histoire se déroule dans le temps, et l’enchaînement et les actions sont les éléments de l’enquête (ton narratif ; suivre l’évolution d’une situation pendant une période donnée; suivre les investigations à proprement parler au fur et à mesure que l’histoire se déroule). Dans le second, le contenu tourne autour de problèmes et d’argu-ments (il peut s’agir de systèmes, de processus, de tendances ou d’explications).

Dans ce cas, il faut commencer par trier les données en les ré-partissant plus ou moins sommairement dans des sections : le pro-blème ; qui est concerné; les conflits et les découvertes que vous avez faites. Les spécialistes proposent à ce sujet deux modèles : la formule du « Wall Street Journal » (Journal Wall Street) et « les High five » (les cinq composantes clés)23

moinspossibles.Cesélémentsetdétailsdonnentaujournalismed’investigation,lorsqu’ilestbienfait,unequalitéesthétiquequirenforcesonimpactémotif.

23 La formule du « Wall Street Journal » [Journal Wall Street] est décrite commesuit:commenceravecunepersonneouunesituationpourplanterledécorGénéraliserà partir de cas particulier pour aborder des problèmes plus généraux, en utilisant un « paragraphenoyau»,quiexpliquelelienentrecetteaffaireetcesproblèmes,

Revenir à votre étude de cas pour une rédiger une conclusion humaine, saisissante. 2Les«highfives»,unmodèlemisaupointparlaconseillèreaméricaineenécriture,

CarolRich,proposelescinqsectionsci-après: Lesnouvelles(Qu’est-cequis’estpasséouquesepasse-t-il?) Lecontexte(Quelestlecontexte?) Laportée(Est-ceunincident,unetendancelocale,unproblèmenational?)

Quelque soit le plan adopté, tout article doit avoir une bonne introduction et une bonne conclusion. Le début et la fin sont les par-ties les plus importantes de tout écrit. Une bonne introduction attire les lecteurs et leur donne un cadre leur permettant d’avoir une vue d’ensemble de l’article complet. La fin d’une histoire, c’est ce que les lecteurs retiennent.

Quelques idées d’introductions possibles : − Un portrait ou le cadre de la scène − Un résumé du sujet de l’article en une phrase courte − Les résultats ou l’impact, avant de remonter le temps.

En règle générale, l’introduction ne doit pas être longue (pas plus de 10 % de l’article).

Conclure un article n’est pas toujours une tâche aisée. Car il faut, d’une part, résister à la tentation de donner une résolution finale à l’histoire quand elle n’en a pas ; et de l’autre, suggérer comment une telle résolution pourrait se faire, alors que la conclusion se doit d’être courte.

On peut évoquer les gens qui ont déjà résolu les problèmes sem-blables, ceux qui ont une idée de solution, ou indiquer ceux qui ont la responsabilité de résoudre celui-ci.

La conclusion peut aussi exposer les idées de l’enquêteur. Car ayant correctement mené la recherche sur le sujet, l’enquêteur de-vient l’un des experts en la matière. On peut aussi laisser à une source le dernier mot. La déclaration de la source peut aussi être combinée avec une description de l’endroit où elle s’est produite, comme dans l’exemple, ci-dessous, dans l’affaire du sang contami-né, en France, (tiré de « enquête par hypothèse, manuel du journa-lisme d’investigation) : L’intérêt(Oùcelamène-t-il?) L’impact(Pourquoifaudrait-ilquevoslecteurss’enpréoccupent?) Cette structure suppose l’aptitude à faire de bons enchaînements et transitions, de

manièreàceque lescinqélémentsse tiennent.Autrement,cettestructurepeut fairepenseràcinqpetitsarticles,misboutàbout.Cependant,ellepeutserévélerunexcellentcanevaspourlarédactiond’unlongarticledestinéàêtrepubliersurInternet.

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CHAPITRE II

« Les médecins devraient-ils être meilleurs que nous autres? Pourquoi blâmer celui-ci, par exemple ? Quand on lui a demandé lors de son procès pourquoi il n’a pas simplement démissionné, et pourquoi il n’a pas dénoncé ce qui se passait, il a répondu : « J’ai des enfants à nourrir. » Derrière lui, il y avait une salle de tribunal rempli de gens qui, eux aussi, avaient des enfants auparavant. Leurs fils sont morts, parce que des hommes comme celui-ci – et d’autres, dont les noms ne seront sans doute jamais connus – les ont trahis

Dans tous les cas, la conclusion doit être quelque chose d’au-thentique. Sinon, toute l’investigation risque d’être sabordée par les dernières phrases. Les formules telles que « Seul le temps nous le dira », « Laissons le temps au temps », « Qui vivra verra » sont à proscrire. Une telle conclusion peut détruire la confiance que les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs ont en la personne de l’enquê-teur, supposé être expert sur le sujet.

II.2.3.2. L’admInIstratIon des PreuVesLes preuves sont soit des documents, soit des déclarations des

sources. Quelque soit leur nature, leur utilisation n’est pas des plus aisées. Car, nous l’avons déjà évoqué, la sécurisation des sources peut en dépendre. Il est donc possible qu’on ait des documents et/ou des enregistrements qu’on ne les publie ou ne les diffuse. Tout au moins, pas au premier coup, mais on les garde pour servir en cas de procès. (Par exemple, dans l’Affaire Cahuzac24, le site d’infor-mation en ligne Médiapart n’a pas sorti, au premier cas coup, l’enre-gistrement téléphonique de ce dernier, pourtant, une des preuves centrales de l’investigation)

L’administration des preuves exige une extrême prudence. Et en cette matière, chaque média a ses spécificités et ses procédés de sé-curisation des sources. Cette dernière semble moins facile à la télé-vision. Le brouillage de la voix, la mosaïque, le filmage d’une partie 24 CetteaffairefaitréférenceàJérômeCahuzac(MinistrefrançaischargéduBudgetdans

le Gouvernement Hollande) au centre d’un scandale politico-financier révélé par lesjournalistesdusiteMédiapartendécembre2012(www.mediapart.fr).

peu reconnaissable de l’interviewé (dos, mains, pieds…) restent, à ce jour, les techniques utilisées pour ce faire.

Même le refus d’un entretien par une personne incriminée dans l’histoire exige, du journaliste, des preuves. Particulièrement à la télévision. Il s’agit de montrer les efforts entrepris par le journa-liste à cette fin. Si une demande d’audience dument réceptionnée, une image d’un appel téléphonique renvoyé ou d’une porte fermée peuvent faire l’affaire, une scène de renvoi de l’équipe de reportage peut en rajouter à la mise en scène pour la télévision. Pourtant, de telles scènes ne sont pas toujours faciles à filmer.

Il y a lieu de stigmatiser ici le « bidonnage des enquêtes », phé-nomène qui consiste à illustrer les reportages par des preuves non authentiques. Un bon journaliste d’investigation devrait s’en gar-der. C’est une pratique contraire à l’éthique, à l’essence même du journalisme, et qui peut avoir des conséquences particulièrement fâcheuses dans le journalisme d’investigation.

II.2.3.3. Le stYLe redactIonneL En journalisme, la rédaction est l’art d’augmenter la force en

réduisant la longueur d’un récit. Il y a trois critères généraux de rédaction auxquels l’histoire doit répondre : elle doit être cohérente, complète et progressive.

La rédaction journalistique s’inspire un peu de des techniques de la littérature. Chaque journaliste est un conteur d’histoires inté-ressantes, mais vraies. Ce rôle de conteur constitue la base de l’ap-proche d’un certain journalisme moderne, appelé journalisme nar-ratif, qui fait de plus en plus recette dans le monde du journalisme.

Ce journalisme exige, du journaliste, de sérieuses capacités d’ob-servation de détails et de leur description, qualités quelque peu rares dans la presse congolaise. Comme on peut le voir dans l’exemple ci-dessous, une même histoire peut être rendue de plusieurs manières, les unes, pauvres et les autres, plus riches en détails ou descriptions.

Journalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

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CHAPITRE IIJournalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

Entre ces deux récits, il y a manifestement des différences dont deux sont majeures :

− Le second récit est plus riche en détails (description), ce qui donnent au lecteur un peu plus d’informations et lui permet de visualiser et de « vivre » la scène racontée par le journaliste. En cela, le récit peut, au-delà de la simple information à don-ner, toucher les affects du lecteur et susciter quelque sentiment en lui.

− Tandis que l’auteur du premier récit paraphrase ses sources, l’auteur du second récit les laisse parler. Ce qui ajoute davan-tage de force narrative au texte et lui donne la capacité de tou-cher les affects du lecteur autant que ceux du journaliste l’ont été.

La phrase suivante illustre bien les deux observations : « C’est là que se trouvaient les tournesols», dit-elle avec tristesse, en s’ap-puyant sur une houe réparée maintes fois. Par « en s’appuyant sur une houe… », l’auteur veut indiquer l’état de fatigue, de dépres-sion et même de désespoir de cette femme; et par « réparée maintes fois », il veut mettre en exergue le degré d’indigence de cette agri-cultrice qui se bat avec abnégation pour la survie de sa famille avec les moyens de bord.

Parcourons à présent quelques techniques spécifiques de com-position :

− Le paragraphe-noyau, ou ce que devient l’hypothèse : il faut composer un paragraphe qui indique l’essentiel ou « noyau » de l’histoire. Si l’hypothèse s’est avérée, elle peut bien remplir cette mission. Sinon, l’histoire risque de ne point être comprise.

− La personnification : la personnification a pour effet de faire sentir la fondation émotionnelle d’une histoire en la focalisant sur une personne, appelée héros, qui en représente d’autres.

− Laisser parler les sources : les gens qui ont vécu une histoire la racontent souvent avec le plus d’expression et de passion. Ca ne sert à rien de dire ce qu’une source a déjà parfaitement bien explicité. Il faut plutôt tisser les propos des sources dans

Exemple : « Plaintes des villageois de Kuru contre l’utilisation des produits chimiques dans les plantations par une multinationale »

Récit 1 : Les villageois de Kuru se plaignent contre l’utilisation des produits chimiques par une société multinationale suisse dénommée Anane. En effet, cette dernière pulvérise sur ses plantations de bananes, depuis 2006, le Gindrin, un insecticide localement appelé Killyt. Ce qui causerait la mort d’un grand nombre de plantes et d’animaux. C’est ce qu’affirme Mama Kiruki, présidente de la coo-pérative de producteurs de cultures vivrières, qui regrette ses tournesols tués par l’épandage, nom technique du procédé de pulvérisation de cet insecticide.

Même M. Job Kiruki, chasseur de son état, constate des changements dans les forêts alentours et affirme que les abeilles et le miel sont de plus en plus rares depuis le début de l’épandage.

(N.B. Ce modèle est très présent dans la presse congolaise)

Récit 2 : Des rangées vertes et feuillues de maïs et les fleurs écarlates des plants de haricot occupent le petit potager de Mama Amina Kiruki. Elle est présidente de la coopérative de producteurs de cultures vivrières et est fière de sa production qui lui permette de nourrir sa famille depuis la fin de la Guerre Civile. Mais, un quart de son jardin est déparé par un vilain carré de feuilles flétries. « C’est là que se trouvaient les tournesols», dit-elle avec tristesse, en s’appuyant sur une houe réparée maintes fois. « Après l’épandage de l’insecticide sur les plantations de banane, tous mes tournesols sont morts. Et, dans la forêt, », dit-elle en gesticu-lant, « d’autres plantes sont aussi en train de mourir ».

Le père de Mama Amina, Job Kiruki, la soixante-dizaine entamée, notable de Kuru et chasseur depuis six décennies dans ce village, constate des changements dans les forêts alentours aussi : « On ne voit plus d’abeilles. Nous avions l’habi-tude de collecter le miel lorsque nous allions chasser. À présent, c’est rare ».

Depuis 2006, année où la société multinationale agricole suisse, Anane, a com-mencé à pulvériser le Gindrin – un produit localement appelé Killyt - sur ses plantations de banane, les villageois se plaignent qu’un grand nombre de leurs plantes meurent à cause de l’épandage.

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98 99

CHAPITRE II

le texte (commentaire) pour leur permettre de véhiculer une histoire cohérente. En réalité, les gens n’attendent pas du jour-naliste seulement d’apprendre juste les faits (particulièrement à la télévision et à la radio). Ils veulent connaître aussi le ca-ractère, le ton, la couleur des sources que le journaliste leur présente. Et le dialogue demeure le meilleur véhicule de ces éléments.

Pour terminer à propos du style rédactionnel, il faudra aussi tenir compte des spécificités de chaque média, l’écriture journalistique n’étant pas la même pour la presse écrite, la radio, la télévision, et même le web. Par exemple, si le récit sus-décortiqué est bon pour la presse écrite, il n’est point approprié à la radio, encore moins à la télévision.

II.2.3.4. Le controLe QuaLIte ou Le Fact-cHecKIng

Désigné dans le langage américain du métier par le terme fact-checking, le contrôle qualité consiste en une ultime vérification pour s’assurer que l’histoire a été bien organisée et bien composée avant de la publier ou la diffuser. Le contrôle qualité peut être réa-lisé par le journaliste enquêteur lui-même ou, idéalement, par une autre personne. Dans les équipes investigatrices, on inclut toujours un contrôleur qualité à plein temps, dont le travail est de guider le processus de fact-checking pour s’assurer de la justesse et de l’exac-titude de l’histoire racontée.

Ce contrôle est d’ordre technique mais aussi éthique. Aussi, son processus porte sur les composantes majeures suivantes :

− La véracité, non seulement de différents faits évoqués, mais aussi et surtout de l’ensemble de l’histoire racontée ;

− La connaissance de la source ou des sources pour chacune des affirmations contenues dans l’histoire

− La version de la partie ou des parties incriminées, − L’identification et la correction des erreurs d’interprétation ou des faits ;

− Les nuisances émotives du récit (insulte inutile, agression ou hostilité) dues éventuellement à la fatigue, à la frustration ou la frayeur…

C’est aussi à ce niveau qu’il faut analyser et élaguer, au besoin, les éléments qui pourraient être considérés comme diffamants. La problématique de la diffamation exige un intérêt particulier. Car la nature du travail du journaliste l’expose à ce type d’infractions.

En réalité, la diffamation n’est pas une infraction spécifique à la presse. Mais son appréciation se complexifie en matière journalis-tique, car elle oppose deux droits fondamentaux : la liberté d’ex-pression, base essentielle de la démocratie, et le droit de tout citoyen à l’honneur, à la dignité et au respect de sa réputation.

Le code pénal stipule que la diffamation consiste à imputer à une personne, vivante ou décédée, des faits précis, avérés ou non, sus-ceptibles d’entacher son honneur ou de porter atteinte à sa réputa-tion. Se fondant sur ce code, la loi du 22 juin 1996, en ses articles 74, 75 et 77, définit et punit la diffamation et les insultes.

On est donc coupable de diffamation par voie de presse lorsque par écrit, par chanson ou autrement, on met en cause l’honneur ou l’honnêteté d’une personne en lui attribuant un fait précis, vrai ou faux et relevant de sa vie privée sans en apporter une preuve va-lable.

On peut penser que, pour le législateur congolais, la protection de la réputation des individus est une chose essentielle, même si elle paraît aller, ici, à l’encontre du principe et du droit du public d’être informé sur ce qui se passe, en particulier sur les personnes qui ont des responsabilités publiques.

Journalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

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CHAPITRE II

Bien d’autres dispositions législatives restreignent la liberté de la presse. D’où l’importance du contrôle qualité sur ces aspects afin d’élaguer les passages qui le méritent ou de préparer éventuelle-ment des solides preuves…

En somme, le fact-checking permet de s’assurer que l’histoire qu’on raconte est une histoire totalement vraie et que le ton du récit est justifié. Et pour ce faire, le processus a besoin d’au moins deux personnes - l’auteur et celui qui vérifie l’histoire ou le fact-checker, chacun ayant un exemplaire du récit ou du film. Il se fait en deux grandes étapes :

− Un regard critique sur l’histoire entière (est-elle biaisée ou juste, tronquée ou complète…) ;

− Un passage en revue de l’histoire, fait après fait (le fact chec-king pose des questions sur la provenance des données – documents ou enregistrements -, les revérifie ensemble avec l’auteur pour voir leur justesse et la conformité à la citation de l’auteur…)

Le processus du contrôle qualité peut sembler fastidieux et même pénible et ennuyeux, mais il est d’une importance capitale. Car au fur et à mesure qu’il avance, l’histoire devient de plus en plus vraie, et son impact, davantage palpable. Il est également moins pénible que d’essayer de se défendre devant un tribunal ou tout simplement devant l’opinion publique d’avoir raconté n’importe quoi.

II.2.4. DIFFUSION OU PUBLICATIONC’est l’ultime étape du processus d’enquête. Toute enquête a

pour finalité d’être rendue publique. C’est par elle que le journa-lisme d’investigation remplit sa fonction de « révéler la vérité ca-chée ». Cependant, il faut tenir compte de certains facteurs ou même contraintes, dont principalement l’espace ou le temps disponibles. Il existe plusieurs stratégies de publication qui peuvent augmenter l’impact d’une histoire, et comportent bien des avantages pour le public et les médias. En voici quelques unes :

� UN PAPIER UNIQUEUn seul article ou reportage qui fait le tour de la question dans

l’angle choisi et donne la réponse à la préoccupation de l’investiga-tion.

� UN DOSSIER Les résultats de l’enquête sont présentés en une seule parution

ou diffusion, mais éclatés en plusieurs articles ou reportages appré-hendant des sous-angles.

� UNE SÉRIE Il s’agit d’une diffusion ou publication séquencée ou échelonnée

dans le temps. Technique désignée autrement sous les vocables de « sérialisation » ou « feuilletonnage », et qui nécessite un angle prin-cipal et des sous-angles pour chacune de diffusions ou publications de la série. Cette technique est très prisée par certains médias spé-cialisés dans l’investigation (Médiapart).

En effet, au lieu d’une longue histoire, on peut en composer plusieurs « chapitres » courts, chacun, faciles à éditer. Il sera éga-lement plus facile et plus puissant d’en faire la promotion, parce que chaque épisode de la série attirera l’attention sur les autres. Les médias peuvent également rééditer ou rediffuser la série en entier.

� LE « LEVERAGING » Il s’agit de diffuser ou publier l’histoire à travers différents

médias. Un journal peut n’avoir qu’un espace restreint pour une histoire. Mais un site Web pourrait publier une version bien plus longue…

Journalisme d’investigation, une arme efficace contre la corruption

Page 52: Le journalisme d'investigation en RDC

102 103

conclusion partiellePar leur rôle de « chien de garde » de la société et leur influence

dans la formation de l’opinion publique, les médias se positionnent comme l’un des acteurs incontournables dans la lutte contre la cor-ruption. Leur approche est, ici, double : la prévention, à travers la promotion de la bonne gouvernance, et la dénonciation des cas de corruption avérés. Et c’est dans la seconde perspective que s’insère le journalisme d’investigation.

Celui-ci a pour objectif d’exposer au public des informations et histoires cachées, soit délibérément par quelqu’un en position de pouvoir le faire, soit par hasard, derrière une masse chaotique de faits et des circonstances qui obscurcissent le sens des choses. Il est différent du journalisme d’actualité ou d’événement qui fait quoti-diennement les récits des événements tels qu’ils se donnent à être vus ou compris ou tels que leurs organisateurs souhaitent qu’ils soient compris.

Les hauts faits du journalisme d’investigation, qui exige certaines aptitudes, sont légion à travers le monde. Le « Watergate », révélé en 1972 aux États-Unis par Bob Woodward et Carl Bernstein demeure le plus emblématique. Mais bien longtemps avant le Watergate, par Edmund Dene Morel, journaliste franco-britannique, le journalisme d’investigation s’était déjà mêlé, avec succès, au destin du Congo.

Pour arriver à tels succès, l’investigation journalistique doit res-pecter quatre étapes essentielles : la préparation de l’enquête, la col-lecte, le traitement hyper minutieux des données collectées et leur recoupement ainsi que la diffusion de l’enquête.

Première étape à toute investigation, la préparation lui est fonda-mentale et en conditionne toute la suite. Elle consiste, globalement, à recentrer la préoccupation de l’enquête en émettant une hypothèse de départ qui, malgré quelque risque, va guider et faciliter le travail de collecte de données.

Conclusion partielle

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104 105

Au cours de cette collecte, le journaliste, qui ne devrait se faire d’illusions, est susceptible des manipulations des sources. Car la ré-tention de l’information est une pratique très courante dans l’espace public. Trois techniques de collecte peuvent être utilisées : l’obser-vation, la recherche documentaire et l’interview. Elles exigent un esprit alerte et une mémoire vive. Mais la collecte ne se termine en réalité que par l’organisation, en fichier, des données collectées pour mieux les apprêter à leur futur traitement.

Le traitement dont l’enjeu essentiel reste la démonstration. L’étape du traitement suppose donc les choix de plans de rédaction, de preuves, du style rédactionnel ainsi que le contrôle qualité. Ces choix doivent être opérés en vue de donner au récit sa meilleure capacité argumentatrice, tandis que le contrôle qualité procède du légitime souci de s’assurer que le récit fait est vrai et juste, avant sa diffusion ou publication.

Ultime étape du processus, la diffusion ou publication se fait en tenant compte de certains facteurs, dont principalement l’espace ou le temps disponibles. Pour ce, il existe plusieurs stratégies de publication qui peuvent augmenter l’impact d’une histoire, et com-portent bien des avantages pour le public et les médias.

Lecture recommandée

Bibliographie 1. HUNTER LEE, M. et Consorts, L’enquête par hypothèse : manuel

du journaliste d’investigation, Unesco, 20092. NICHOL M., A Good Looking Corpse (Un beau cadavre),

Londres, Minerva, 19953. STEIN S., Who Killed Mr Drum?, (Qui a tué M. Drum?), Cape

Town, Mayibuye Books, 19994. PILGER J., Tell Me No Lies: Investigative Journalism and Its

Triumphs, (Ne me raconte pas de mensonges: le journalisme d’investigation et ses triomphes), Londres, Vintage, 2005.

5. LEONARD DOWNIE, JR., The New Muckrakers. New Repu-blic Books, 1976. Ecrit juste après l’affaire du Watergare par un éminent journaliste du Washington Post, ce livre décrit les acteurs et saisit l’essence d’un moment historique.

6. BRANT HOUSTON, Computer-assisted reporting: A Practical Guide. St. Martin’s Press, 1996. Le meilleur guide pratique à ce jour traitant de l’utilisation des données dans le champ de l’investigation.

7. BRANT HOUSTON, LEN BRUZZESE, STEVE WEINBERG, The Investigative Reporter’s Handbook: A Guide to Documents, Da-tabases and Techniques. Bedford/St. Martin’s, 4th Edition (2002). La toute dernière édition du manuel de l’IRE (Investigative Reporters and Editors), très détaillée, incluant de nombreuses descriptions de techniques avancées.

8. MARK HUNTER, Le Journalisme d’investigation en France et aux Etats-Unis. Presses universitaires de France, coll. Que sais-je?, 1997. Ce petit livre compare l’évolution du journalisme d’in-vestigation dans deux pays très différents, et inclut l’analyse détaillée de plusieurs enquêtes majeures. En français unique-ment.

Lecture recommandée | Bibliographie

Page 54: Le journalisme d'investigation en RDC

106 107

9. GAVIN MCFADYEN, Investigative Journalism. 2nd edition. T&F Books, 2009. Ecrit par le fondateur du Centre for Investi-gative Journalism de Londres, un enquêteur très expérimenté.

10. DAVID L. PROTESS, FAY LOMAX COOK, JACK C. DOPPELT, AND JAMES S. ETTEMA, The Journalism of Outrage: Investiga-tive Reporting and Agenda- Building in America. New York: The Guilford Press, 1991. Peut-être la meilleure étude jamais écrite sur comment l’investigation atteint ses objectifs. Applicable au-delà des frontières Etats-uniennes. Précision académique, perspicacité journalistique.

11. PAUL CRISTIAN RADU, Follow the Money: A Digital Guide for Tracking Corruption. International Center for Journalists Roma-nian Centre for Investigative Journalism, 2008. http://www.icfj.org/Resources/FollowtheMoney/tabid/1170/Default.aspx. Un guide à la pointe du progrès qui vous indique comment et où trouver des informations sur les sociétés commerciales dans de nombreux pays.

12. TOM WOLFE The New Journalism. London: Pan, 1975. L’intro-duction à cette anthologie classique d’articles de grande qua-lité en dit long sur l’importance des relations entretenues avec les sources dans le reportage en profondeur ; les articles démontrent également comment la technique narrative influe sur la portée du reportage. Il ne s’agit pas d’investigation, mais c’est néanmoins une ressource intéressante pour tout journa-liste soucieux de son art.

sitographiehttp://www.cpj.org/fr/Le Comité de protection des journalistes promeut la liberté d’expression

à travers le monde et mène des actions là où les journalistes sont attaqués, menacés, kidnappés, censurés et torturés.

http://www.arij.netLorsque l’entité Arab Reporters for Investigative Journalism (ARIJ) a

démarré son activité, avec l’aide de l’International Media Support, le scep-ticisme prévalait quant aux résultats qu’il serait possible d’obtenir. Les travaux archivés sur ce site attestent du succès de l’entreprise. L’ARIJ est aujourd’hui l’organisation principale pour l’investigation dans la région, et jouit d’une reconnaissance internationale.

http://www.cin.ba/Home.aspxSite du Center for Investigative Reporting (CIN) en Bosnie-Herzégo-

vine, créé par Drew Sullivan. CIN mène un projet appelé le Crime and Corruption Reporting Program, un modèle du genre.

http://old.crji.org/e_index.htmAu moment où nous écrivons, c’est encore « l’ancienne » version du

site du Romanian Centre for Investigative Journalism qui est à l’affiche, mais qui vaut toujours le détour. Vous y verrez ce qu’un groupe de jeunes reporters intelligents et ambitieux peut réaliser dans un environnement difficile. Retournez-y souvent.

http://www.centerforinvestigativereporting.orgUn des premiers et des meilleurs centres indépendants de l’après-Wa-

tergate, basé à Oakland en Californie, qui a à son actif une longue série d’enquêtes qui ont fait date.

Sitographie

Page 55: Le journalisme d'investigation en RDC

108 109

http://www.fairreporters.orgLe site du Forum for African Investigative Reporters offre des repor-

tages, des matériaux et des services pédagogiques conçus spécifiquement pour l’Afrique.

http://www.globalinvestigativejournalism.orgPage d’accueil du Global Investigative Journalism Network, réseau de

journalistes d’investigation de quelques 50 pays, dont les congrès bi-an-nuels sont des événements professionnels majeurs.

Leur site est en train d’être mis à jour, et inclura des fiches-conseil gra-tuites, ainsi que du matériel présenté lors des conférences.

http://www.ire.orgPage d’accueil de l’organisation Investigative Reporters and Editors

Inc., la première et la plus grande organisation au monde pour les gens tels que nous.

Des ressources essentielles – notamment une base d’astuces et ficelles du métier, ainsi que des articles sur des milliers de sujets – sont disponibles pour les membres cotisants.

http://markleehunter.free.frVous trouverez ici plusieurs des enquêtes et des extraits de livres cités

dans ce manuel

http://www.publicintegrity.orgLes enquêtes internationales du Center for Public Integrity font réfé-

rence dans la profession. Et ce n’est pas une simple coïncidence s’ils ont créé et gèrent aujourd’hui le International Consortium of Investigative Journalists.

http://www.i-scoop.orgL’organisation danoise SCOOP soutient la formation et les projets

dans le domaine à travers l’Europe, et particulièrement en Europe de l’Est. Ses dirigeants sont des professionnels confirmés de l’investigation.

http://wikileaks.orgWikiLeaks est une association à but non lucratif dont le site Web lan-

ceur d’alerte, publie des documents ainsi que des analyses politiques et sociales. Sa raison d’être est de donner une audience aux fuites d’informa-tion tout en protégeant ses sources.

http://www.icij.orgL’International Consortium of Investigative Journalists est un réseau

de 160 reporters actifs dans plus de 60 pays et qui collabore ensemble à la publication d’enquêtes approfondies et d’une ampleur internationale.

Sitographie

Si le journalisme d’investigation vous intéresse, continuez à vous informer !

Les ressources présentées ici ne sont qu’un début.

La majorité d’entre elles sont en anglais, langue internationale de la profession..

Page 56: Le journalisme d'investigation en RDC

110 111

etude des cas d’investigation

Affaire « Prima Curia »Contexte :

Après 25 ans de pouvoir autoritaire, le président congolais, alors zaïrois, fait, le 24 avril 1990 à la Cité de la Nsele devant tous les cadres du Mouvement Populaire Révolution-Parti-Etat, un dis-cours, resté historique, qui avait pour substance : la libéralisation de la vie politique. Ce discours lançait ce qu’on a qualifié de « pro-cessus de démocratisation du Zaïre ». Mais, dans son cheminement, celui-ci semblait avoir du plomb dans l’aile.

Dans un article intitulé : « La Prima Curia » : une épine dans le cœur de la Démocratie zaïroise », publié à partir du lundi 03 Dé-cembre 1990, soit près de huit mois après le fameux discours de démocratisation, Léon Moukanda, (décédé) éditeur d’« Umoja », un quotidien indépendant, révèle l’existence d’une association secrète dénommée Prima Curia qui aurait été à la base des tergiversations que connaissait le processus de démocratisation.

Créée en 1985 par quelques personnalités de l’ancien Parti-Etat sous la haute autorité de Monsieur Mobutu, président du Parti-Etat, désigné sous le nom de « Maitre-Inspirateur », la Prima Curia avait pour objectif de « faire vivre à jamais le MPR, même au prix du sang et des sacrifices humains ».

La procédurePlus de six mois avant la publication de cet article, une cor-

respondance anonyme avait été déposée au bureau de Monsieur Moukanda. Celle-ci portait un document qui parlait de la création, de l’organisation, du fonctionnement, des codes, des symboles… d’une étrange et secrète association du nom de Prima Curia. C’est ce document qu’ « Umoja », classé à l’époque parmi les plus viru-lents contre le pouvoir de Mobutu, a eu à publier sur quelques unes

Etude des cas d’investigation | Affaire « Prima Curia »

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112 113

de ses éditions. Vraisemblablement, le correspondant devait être un membre de l’association qui sentait venir la fin du régime ou n’y trouvait plus, à l’époque, son compte.

Mais le document déposé n’était qu’une photocopie. Il a fallu quelque réserve et quelque investigation préalable auprès de poten-tielles sources avant la publication. Ce qui explique le délai écou-lé entre le moment du dépôt du colis au bureau et la publication de l’article. Très véhément contre le régime, Léon Moukanda n’y compte pas moins des relations, tissées et entretenues durant sa car-rière de journaliste. Un jour, dans un avion de Bruxelles à Kinshasa, il se retrouve avec un des dignitaires du régime cités dans le docu-ment et non moins son ami. Il le provoque sur le sujet en essayant de lui montrer qu’il en était parfaitement au parfum. Celui-ci se déchaine en croyant que son ami journaliste en savait déjà assez sur le sujet. Ce qui a permis à M. Moukanda d’obtenir quelques aveux supplémentaires, suffisants pour lui, pour faire foi au document et le publier.

Pendant tout le temps où il cherchait quelque aveu ou confir-mation, M. Moukanda n’avait mis aucun membre de la rédaction au courant du document. Même les processus de la préparation et de l’impression de l’édition du 03 Décembre 1990 (première édition à avoir parlé de la Prima Curia) étaient entourés de beaucoup de discrétion et de précaution. Seuls, deux membres de la rédaction avaient travaillé à sa rédaction le samedi 01 Décembre. Au point que tous les autres membres de la rédaction étaient surpris de voir, au matin de lundi, sur le marché de journaux, une autre édition en lieu et place de celle qu’ils avaient pourtant apprêtée la veille, soit le dimanche 02 Décembre 1990.

Les difficultés rencontréesVus la nature de la révélation et le contexte politique de l’époque,

mettre la main sur le document original et faire parler les poten-tielles sources étaient pas loin d’être une sinécure.

La suite après la publicationAucune poursuite judiciaire n’a été entreprise contre le journal

ou droit de réponse exigé. Néanmoins le journal a connu dans la période quelques représailles, notamment les attaques contre la ré-daction et l’imprimerie qui pouvaient laisser croire qu’elles étaient organisées par les personnes qui se sentaient lésées par l’article ou les articles, étant donné que le régime, bien que décadent, tenait encore suffisamment la police, l’armée et les services de sécurité.

Sur le plan de l’opinion publique, les révélations avaient eu un impact certain, au point que le terme « Prima Curia » était rentré dans le vocabulaire courant des Kinois pour signifier, de manière générale, le Mal ou tout ce qui s’y rapportait, et de manière parti-culière, désigner tous ceux ou tout ce qui représentait le régime du Parti-Etat.

Observations sur l’affaire « Prima Curia » Visiblement l’initiative de cette investigation est extérieure au

journal Umoja, mais la patience, matérialisée par le temps écoulé, l’utilisation efficiente des relations au service de l’investigation ain-si que la tactique d’interview, utilisée par Léon Moukanda lors de son entretien avec le dignitaire cité dans le document, ne sont pas dépourvus d’intérêt pédagogique.

Etude des cas d’investigation | Affaire « Prima Curia »

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conclusion générale

Dans la hiérarchie des formes de gouvernance qui sous-tendent l’histoire des sociétés et des Etats, la gouvernance démocratique est la forme la plus souhaitée et la seule à ce jour capable d’inscrire dans l’agenda collectif l’obligation de rendre compte, la transpa-rence et la liberté des citoyens. Sous cet angle, les sociétés se sentent redevables à l’égard des citoyens dans ce sens qu’elles doivent constamment justifier la manière dont les ressources mises à leur disposition sont utilisées et si c’est à quoi elles ont été affectées est non seulement pertinent mais aussi utile pour les populations. Cette préoccupation inscrite dans l’architecture ontologique même de la gouvernance met en évidence le fait que ceux qui décident à quelque niveau de la société, ne devraient pas tirer profit de leur position pour abuser des biens mis à leur disposition. C’est le cœur même de la mobilisation citoyenne contre la corruption vue comme un déficit d’intégrité dans le système social, politique, économique ou culturel.

Pour ériger des murs de silence et empêcher que les citoyens dé-noncent les pratiques éventuelles contre l’intégrité publique, ceux qui disposent d’une parcelle de pouvoir ont tendance à « cacher » l’information et garder ainsi la majorité dans un obscurantisme opaque. Le seul moyen efficace contre cette logique, c’est d’organi-ser dans la société même, les créneaux pour permettre un accès ra-pide et efficient à une bonne information. Voilà pourquoi, les Etats se dotent de la loi d’accès à l’information et érigent la transparence en substrat de référence dans le système de gouvernance publique.

Les journalistes ne devraient pas se tromper. La corruption se déploie partout. En haut et en bas, au sein de l’Administration, dans le secteur privé jusque dans les médias même.

Dans les débats sur la corruption, l’accent est souvent mis sur le secteur public qui est souvent décrit comme étant inepte, corrompu et inefficace tandis que le secteur privé est considéré comme le sec-

Conclusion générale

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teur de l’économie le plus efficace, le plus fiable et le moins corrom-pu. Cela sied parfaitement au contexte de l’économie néolibérale qui privilégie le secteur privé comme le moteur du progrès et du développement économique. Toutefois, cette hypothèse n’est pas forcément fondée. Le secteur privé peut également être un repaire de corruption, et dans certains cas, peut se révéler plus corrompu que le secteur public. La crise économique mondiale récente a été causée par des agents du secteur privé dont la mauvaise gestion financière, la corruption et les manipulations ont suscité une chaîne d’événements qui ont fait effriter l’économie mondiale.

Le secteur privé est le plus souvent de plain-pied avec le secteur public en matière de corruption L’administration locale et les institu-tions traditionnelles sont importantes dans la prestation de services sociaux aux populations, surtout à la base. Cependant, le problème de la corruption compromet la capacité des gouvernements locaux et des institutions traditionnelles à assurer la prestation de services à la majorité des populations rurales. La corruption au niveau local détourne également les ressources rares et affecte le développement des localités en décourageant l’investissement.

Les médias sont souvent considérés comme le quatrième pou-voir. À part la difficile tâche de divulguer des informations et d’édu-quer les populations sur des questions d’intérêt public, ils ont éga-lement le devoir d’établir des programmes dans nombre de pays. Ils constituent sans aucun doute une institution très puissante dans tout système politique. Toutefois, les médias ne sont pas à l’abri de la corruption. Les professionnels du secteur ont souvent été accusés de recevoir des pots-de-vin, de marchander leur influence, de dé-former des informations et de faire des reportages de manière à at-teindre certains objectifs spécifiques. En d’autres termes, les médias pourraient être des agents de corruption ou un organe de contrôle compte tenu de leur nature, de leur culture éthique, de leur régime réglementaire et de leur caractère.

L’administration locale et les institutions traditionnelles sont im-portantes dans la prestation de services sociaux aux populations, surtout à la base. Cependant, le problème de la corruption com-promet la capacité des gouvernements locaux et des institutions traditionnelles à assurer la prestation de services à la majorité des populations rurales. La corruption au niveau local détourne égale-ment les ressources rares et affecte le développement des localités en décourageant l’investissement.

A cet égard, on peut admettre que le journalisme d’investiga-tion participe de l’impératif pour chaque société de construire et de solidifier l’intégrité qui sous-tend la dynamique de la gouvernance et de la démocratie. A ce titre, il se décline comme un état d’esprit avant d’être une pratique de quête des factualités sensibles. Le jour-nalisme web, en raison de l’instantanéité qu’il impose à l’actualité semble parfois jouer contre le journalisme d’investigation, mais on peut y déceler des bonnes pratiques. Le journalisme d’investiga-tion présente les allures d’être une pratique plus intellectuelle que le journalisme conventionnel. Vu sous cet angle, le danger est de le dérouler comme une pratique réservée à quelques initiés. Non tout journaliste peut faire des investigations en considérant que les enquêtes sont un processus dont les étapes sont soumises à des logiques de temps. L’essentiel est de commencer sans toutefois tirer des conclusions absolues.

Les reportages d’investigation portent une responsabilité sociale importante et entraînent différents risques légaux. De ce pont de vue, il est indiqué que le journalisme d’investigation soit capable de planifier les investigations à mener. Ceci permet que son travail soit aussi complet, aussi juste et aussi exhaustif que possible. Me-ner des investigations ne devrait pas être un travail en solo, même s’il est conseillé de s’assurer de la loyauté de ceux avec lesquels on travail. Le travail dans les médias est un travail d’équipe, il faut s’assurer que l’on a bâti des réseaux d’échanges et de collaboration qui permettent de mutualiser des énergies et de fiabiliser la qualité

Conclusion générale

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Table des matières

des conclusions auxquelles on devra aboutir. Il est par conséquent important de s’assurer qu’une bonne communication avec les col-lègues pour éviter tant les sabotages que les surprises désagréables. On ne perdre pas de vue d’attirer l’attention sur le fait que durant les investigations, le Journalisme peut bien être exposé à des risques de manipulations des sources par les services de surveillance ou des renseignement dont certains membres pourraient avoir des intérêts liés aux décideurs politiques ou hommes d’affaires dans le pays. Dans tous les pays du monde, le journalisme d’investigation n’échappe pas à ce phénomène.

Une autre contrainte, c’est que le journalisme d’investigation a besoin de ressources, on doit être sûr que celles-ci existent. Pour toutes ces raisons, il est important de planifier le travail à investir dans le reportage. Mais, au-delà, faire du journalisme est un état d’esprit, une culture de rupture avec les formes de peur et d’obscu-rantisme.

Le discours sur la bonne gouvernance doit transcender le cadre économétrique pour devenir une véritable révolution dans la ges-tion des affaires publiques. Chaque citoyen devra y trouver son compte et le sens de la justice sociale doit imprégner l’action pu-blique. L’Etat de droit doit consacrer la suprématie de la loi sur tous. Toutes ces conditions réunies offrent des perspectives efficaces à la matérialisation de la démocratie25. Il appartient cependant au journalisme d’investigation d’assurer la veille en tant que rempart contre les abus de pouvoir et créneau de formalisation de l’intégrité publique.Vendi ut laut alis a il modit, atemodit atur?

Vendio tem faccabor aut quuntius es asperis quatis sum quam ipsunt laccum illuptates eum sit, il enimuscia voluptius quisquam cus que mo es dia nos aut aut eaquis ea que volo quia di utestorest, ut aciam, sus moloreped undent.

25 FrançoisElika,Démocratie,Étatdedroitetbonnegouvernanceà l’épreuvedes faitsenRépubliquedémocratiqueduCongo,ActesdeColloqueInternational,AgencedelaFrancophonie,Ouagadougou, 2004,disponible sur le sitewww.francophonie-durable.org.

table des matières

Préface .................................................................................................... 3

Introduction : La corruption est un danger pour la démocratie .................................................... 9

CHAPITRE I : Le cadre conceptuel de la corruption .................... 15I.1. DEFINITIONS : Le cadre conceptuel de la corruption ............ 15I.2. TYPES DE CORRUPTION ............................................................ 172.1. Selon les avantages échangés et le niveau

de responsabilité des acteurs ....................................................... 172.2. Selon l’acceptation sociale ............................................................. 192.3. Autres catégorisations ................................................................... 201.3 ACTEURS ET ACTES DE LA CORRUPTION ............................ 211.4. LES MANIFESTATIONS DE LA CORRUPTION ...................... 22I.5. LUTTE CONTRE LA CORRUPTION ......................................... 27I.5.1. : L’ARSENAL JURIDIQUE INTERNATIONAL

CONTRE LA CORRUPTION .................................................. 29I.5.2. : LES STRUCTURES ET INSTANCES

DE LUTTE CONTRE LA CORRUPTION .............................. 35I.5.3. LUTTE CONTRE LA CORRUPTION EN RDC ..................... 39Conclusion partielle ............................................................................. 55Orientation bibliographique ................................................................ 57I. Ouvrages et Articles ........................................................................ 57II. Webographie ..................................................................................... 59

CHAPITRE II : JOURNALISME D’INVESTIGATION, UNE ARME EFFICACE CONTRE LA CORRUPTION ................................................... 61

II.1. LES LIMINAIRES ......................................................................... 61II.1.1. AU CŒUR DE L’INVESTIGATION,

LA RECHERCHE DE L’INFORMATION ............................ 61II.1.2. L’INVESTIGATION, ENTRE TECHNIQUE

ET PHILOSOPHIE JOURNALISTIQUES .............................. 64II.1.3. BREF APERCU HISTORIQUE ................................................. 67II.1.4. D’OU VIENNENT LES IDEES D’INVESTIGATION ? ..... 69

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II.1.5. LES APTIDUDES REQUISES POUR LE JOURNALISME D’INVESTIGATION .............................. 71

II.5.1. LA CURIOSITE ......................................................................... 71II.5.2. LA COMPETENCE SUR LE DOMAINE

QU’ON ENQUETE .................................................................... 71II.5.3. UN SENS RIGOUREUX D’ETHIQUE .................................... 71II.5.4. LA DISCRETION ....................................................................... 72II.5.5. LE COURAGE ............................................................................ 72II.5.6. LA PATIENCE, LA TENACITE ............................................... 72II.5.7. UN TRAVAIL METHODIQUE ................................................. 72II.5.8. LA PASSION .............................................................................. 73II.5.9. LA FLEXIBILITE ......................................................................... 73

2. LES ÉTAPES D’UNE INVESTIGATION ........................................ 73II.2.1. LA PREPARATION D’UNE INVESTIGATION ..................... 73II.2.1.1. HYPOTHESE POUR QUOI FAIRE ? .................................. 74II.2.1.2. QUELQUES AVANTAGES DE L’HYPOTHESE ................ 76II.2.13. LE DANGER DE L’HYPOTHESE ! ....................................... 77II.2.2 LA COLLECTE DES DONNEES (INFORMATIONS) ........... 77II.2.2.1. Les techniques de collecte de l’information ........................ 78II.2.2.2. L’ORGANISATION DE DONNEES ..................................... 90II.2.3. LE TRAITEMENT DES DONNEES ........................................ 91II.2.3.1. LES PLANS DE REDACTION ............................................. 92II.2.3.2. L’ADMINISTRATION DES PREUVES ................................ 94II.2.3.3. LE STYLE REDACTIONNEL ............................................... 95II.2.3.4. LE CONTROLE QUALITE OU LE FACT-CHECKING..... 98II.2.4. DIFFUSION OU PUBLICATION ..........................................100

Conclusion partielle ...........................................................................103Lecture recommandée .......................................................................105Sitographie ..........................................................................................107Etude des cas d’investigation ..........................................................111Affaire « Prima Curia » .....................................................................111Conclusion générale .........................................................................115Table des matières ..............................................................................119