Le juste milieu...Aristote , philosophe Pythias, épouse d’Aristote Callisthène , neveu et disciple d’Aristote Hermias, satrape d’Atarnée, ancien mécène d’Aristote Philippe

Le juste milieuAnnabel Lyon

Extrait de la publication

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LE JUSTE MILIEU

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Annabel Lyon

Le juste milieu

Traduit de l’anglais (Canada) par David Fauquemberg

Alto



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives

nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Lyon, Annabel, 1971-

[Golden mean. Français]

Le juste milieu

Traduction de : The golden mean.

ISBN 978-2-923550-77-0

1. Aristote – Romans, nouvelles, etc. 2. Alexandre, le Grand,356-323 av. J.-C. – Romans, nouvelles, etc. 3. Grèce – Histoire– 359-323 av. J.-C. (Expansion de la Macédoine) – Romans,nouvelles, etc. I. Fauquemberg, David, 1973- . II. Titre.III. Titre: Golden mean. Français.

PS8573.Y62G6514 2011 C813’.6 C2011-941291-8PS9573.Y62G6514 2011

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Copyright © Annabel Lyon, 2009Titre original : The Golden Mean

Éditeur original : Random House CanadaISBN original : 978-0-307-35620-8

Illustration de la couverture : Gérard DuBois

ISBN : 978-2-923550-77-0© Éditions La de Table Ronde, 2011, pour la traduction française





À mes parents,mes enfants,

et Bryant.





DISTRIBUTION(par ordre d’apparition)

Aristote, philosophe

Pythias, épouse d’Aristote

Callisthène, neveu et disciple d’Aristote

Hermias, satrape d’Atarnée, ancien mécène d’Aristote

Philippe, roi de Macédoine, à la mort de Perdiccas

Phila, Audata, Philinna, Nicasipolis, épouses de Philippe

Olympias, épouse de Philippe, reine de Macédoine

Léonidas, l’un des précepteurs d’Alexandre

Carolus, metteur en scène de théâtre

Démosthène, orateur athénien, ennemi de Philippe

Philès, garde-malade d’Arrhidée

Arrhidée, fils de Philippe et Philinna, demi-frère aînéd’Alexandre

Alexandros ou Alexandre le molosse, roi d’Épire, frèred’Olympias

Antipater, général, régent en l’absence de Philippe

Platon, philosophe, recteur de l’Académie

Speusippe, neveu de Platon, nommé recteur de l’Acadé -mie à la mort de son oncle

Alexandre, fils de Philippe et d’Olympias

Nicomaque, père d’Aristote, médecin à la cour de Macé -doine

Arimneste et Arimnestos, jumeaux, sœur et frère cadetsd’Aristote

Phaestias, épouse de Nicomaque

Proxène, époux d’Arimneste, tuteur d’Aristote après lamort de ses parents

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Amyntas, père de Philippe, roi de Macédoine

Illaeus, disciple de Platon, précepteur d’Aristote

Perdiccas, frère aîné de Philippe, roi de Macédoine à lamort d’Amyntas

Euphraeus, disciple de Platon, précepteur de Perdiccas

Héphaïstion, plus proche compagnon d’Alexandre

Ptolémée, compagnon d’Alexandre

Lysimaque, l’un des précepteurs d’Alexandre

Pausanias, officier macédonien, devenu ensuite l’un desgardes du corps de Philippe

Tychon, esclave d’Aristote

Artabaze, Perse réfugié à la cour de Macédoine

Athéa, esclave d’Aristote

Méda, sixième épouse de Philippe

Petite Pythias, fille d’Aristote et de Pythias

Xénocrate, philosophe, successeur de Speusippe à la têtede l’Académie

Herpyllis, servante de Pythias, compagne d’Aristote à lamort de Pythias

Eudoxe, philosophe, recteur de l’Académie en l’absencede Platon

Calippe, philosophe, compagnon d’Eudoxe

Nicanor, fils d’Arimneste et de Proxène

Attale, père de Cléopâtre

Cléopâtre, septième épouse de Philippe

Eurydice, fille de Philippe et de Cléopâtre

Pixodare, satrape de Carie, beau-père potentiel d’Arrhidée

Thessale, acteur

Nicomaque, fils d’Aristote et d’Herpyllis


« Il faut bien comprendre que je n’écris pas deshistoires mais des vies. D’ail leurs, ce n’est pastoujours dans les exploits les plus éclatantsque se révè lent le mieux les vertus et les vicesdes hommes. Un moment anodin, une sim pleexpression, un badinage font souvent mieuxconnaître leur carac tère et leurs inclinationsque les sièges mémo-rables, les coups d’éclatou les plus sanglantes batailles. »

PLUTARQUE, Vie d’Alexandre.





CHAPITRE PREMIER

La pluie s’abat en cordes noires, cinglant mes bêtes,mes hommes et ma femme, Pythias, qui la nuit der -nière était allongée sur notre couche, jambes écar -tées, tandis que je prenais des notes sur la bouchede son sexe, et qui pleure à présent des larmes silen -cieuses, au dixième jour de notre périple. Sur le ba -teau, elle semblait plutôt à son aise, mais cette ultimeétape terrestre dépasse toutes les épreuves qu’elle aconnues, et cela se voit. Sa jument trébuche ; elle arelâché les rênes, une nouvelle fois, laissant l’animalavancer d’un pas somnambulique. Elle peine à gar -der l’équilibre, alourdie par sa parure gorgée d’eau.Tout à l’heure, je lui ai suggéré de rester à bordd’une charrette, mais elle a refusé, fait si rare que j’enai souri et, dans son embarras, elle a détourné le re -gard. Callisthène, mon neveu, a proposé de ter minerà pied pour lui offrir son grand cheval bai et, tantbien que mal, nous l’avons aidée à monter. La pre -mière fois que l’animal s’est ébroué sous elle, Pythiass’est agrippée aux rênes.

« Tu es bien installée ? ai-je demandé, comme lacaravane autour de nous se remettait en branle.

— Bien sûr. »

Touchant. Les chevaux n’ont plus de secret pourles hommes, là d’où je viens, là où nous retournons,et Pythias le sait. J’ai moi-même voyagé en charrette

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hier, afin de pouvoir écrire, mais à présent je monteà cru, à la manière des miens, une expérience casse-couilles pour qui, comme moi, mène depuis si long -temps une vie sédentaire. Mais peut-on prendreplace dans une charrette et laisser une femme à che -val ? Je comprends à présent où elle voulait en venir.

Au début, je l’avais à peine remarquée, cette joliefille au regard vide qui se tenait en marge de la mé -nagerie d’Hermias. Il y a cinq ans, déjà. Atarnée étaitbien loin d’Athènes, par-delà la vaste mer, blottie auxconfins de l’empire perse. Fille, nièce, pupille, concu -bine — la vérité se dérobait comme de la soie.

« Elle te plaît, m’avait dit Hermias. J’ai vu commetu la regardais. » Un homme gras et sournois, trafi -quant de devises dans sa jeunesse, à en croire la ru -meur, puis boucher et soldat mercenaire ; censémentun eunuque, aujourd’hui, et un homme riche. Unpoliticien, également, régnant sur une irréductiblesatrapie cernée par les barbares : Hermias d’Atarnée.« Qu’on m’apporte mes penseurs ! hurlait-il souvent.Les grands hommes savent s’entourer de penseurs !Je veux être entouré ! » Alors, il partait d’un grand rireen se giflant les cuisses, et la jeune Pythias posait surlui des yeux qui ne paraissaient pas ciller autant qu’ill’aurait fallu. Elle était devenue un cadeau, parmi tantd’autres, car j’étais l’un des favoris. Au soir des no -ces, elle s’était enveloppée de voiles, avait pris lapose sur la couche, et arraché les draps avant quej’aie pu vérifier si elle avait saigné. J’avais trente-septans, alors, elle quinze et, que les dieux me pardon -nent, je lui avais sauté dessus comme un cerf en rut.Un cerf, ou un verrat.



« Alors ? Hein ? » m’avait lancé Hermias le lende -main matin, hilare.

Nuit après nuit après nuit. J’essayais de me rache -ter à grand renfort de gentillesse. Je faisais preuve àson égard d’une extrême courtoisie, lui donnais del’argent, m’adressais à elle avec douceur, lui faisaispart des résultats de mes travaux. Elle n’était pas stu -pide ; les pensées étincelaient dans ses yeux commedes poissons au fond d’un lac. Nous avons quittéAtarnée au bout de trois années, chassés par le souf -fle trop proche, trop brûlant des Perses. Deux ansdans la jolie ville de Mytilène, sur l’île de Lesbos, oùle fond du port a été pavé pour empêcher les flottesennemies d’y jeter l’ancre. Et maintenant, ce nouveauvoyage. Jamais sa dignité n’est prise en défaut, mêmelorsqu’elle se couche les genoux écartés, et que je lasonde délicatement pour progresser dans mes recher -ches sur la génération. Les poissons égale ment, je lesétudie, les animaux terrestres, et les oiseaux, quandj’arrive à en capturer. Il y a une graine semblable àcelles de la grenade au centre des replis, et le trouest paré de collerettes, comme l’intérieur d’une huî -tre. Tantôt humide, tantôt desséché. J’ai tout noté.

« Oncle. »

Je suis l’index de mon neveu, et j’aperçois la villeau loin, sur la plaine marécageuse en contrebas ; uneville plus grande et plus étendue que dans monsouvenir. La pluie s’atténue en crachin, sous un cielsoudain lumineux, gris or.

Pour réveiller mon épouse trempée, au regardprivé de vie, j’annonce : « Pella. La capitale de la

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Macédoine. Le temple, là-bas, le marché, le palais…On les devine à peine. N’est-ce pas plus grand quetu ne l’imaginais ? »

Elle ne dit rien.

« Il faudra te familiariser avec le parler d’ici. Il estplus rapide, mais pas vraiment différent. Un peu ru -gueux.

— Je m’y ferai », répond-elle à demi-voix.

Je me faufile à la hauteur de son cheval, me pen -che pour saisir ses rênes et la tenir près de moi pen -dant que je lui parle. Cela lui fait du bien de devoirécouter, réfléchir. Callisthène marche à nos côtés.

« Le premier roi venait d’Argos. Il était grec, bienque le peuple ne le fût pas. Il y a d’immenses riches -ses ici : bois, blé, maïs, chevaux, bétail, moutons,chè vres, cuivre, fer, argent, or. La seule chose oupres que qu’ils sont obligés d’importer, ce sont les oli -ves. Il fait généralement trop froid pour les olivesaussi loin vers le nord ; le relief est trop montagneux.Et savais-tu que la majeure partie de la flotte athé -nienne est construite avec du bois macédonien ?

— Avons-nous emporté des olives ? interrogePythias.

— Tu connais tes guerres, mon amour, n’est-cepas ? »

Elle reprend les rênes, les pince entre ses doigtscomme des cordes, mais je ne lâche pas.

« Je les connais », finit-elle par répondre.



Foutaises, évidemment. Tant qu’à broder à lon -gueur de journée, je tisserais au moins une ou deuxscènes de bataille. Je lui remémore la conquête de laPerse par les Athéniens, sous le grand général Péri -clès, Athènes à l’apogée de sa puissance maritime, autemps de mon arrière-grand-père. Puis les décen niesde conflit dans le Péloponnèse, Athènes saignée àblanc puis finalement humiliée par Sparte, avec l’ap -pui de l’armée perse, lorsque mon père était jeune ;et Sparte défaite à son tour par Thèbes, la nou vellepuissance montante, durant ma propre enfance.

« Je vais te confier une tâche. Brode-moi les Ther -mopyles. Nous les accrocherons au-dessus de notrelit. »

Elle ne me regarde toujours pas. Je reprends :

« Les Thermopyles. Par tous les dieux, femme… Ledéfilé. Le défilé où trois jours durant les Spartiatesont tenu tête aux Perses, dix fois plus nombreux. Laplus grande bataille de l’histoire militaire…

— Il faudra surtout du rose et du rouge », suggèreCallisthène.

Pythias me fixe droit dans les yeux, pendant unlong moment. Je lis : «Ne me prends pas de haut. » Et :« Poursuis. »

Aujourd’hui, lui dis-je, la jeune Macédoine est lapuissance qui monte, sous le règne du roi aux cinqépouses, Philippe. Un mariage pour cimenter chaqueextension du territoire, pour sceller chaque victoire :Phila d’Élimée, au nord ; Audata, princesse d’Illyrie ;

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Olympias, de l’Épire, la première épouse du roi, laseule à être appelée reine ; Philinna, de Thessalie ; etNicasipolis de Phèrès, une beauté morte en couches.Philippe a en outre envahi la Thrace, après la Thes -salie, mais il n’a pas encore pris d’épouse thrace. Jefouille dans la bibliothèque sous mon crâne, enquête d’une anecdote intéressante.

« Ils aiment tatouer leurs femmes, les Thraces.

— Hmmm. »

Callisthène ferme les yeux, comme s’il venait decroquer dans un aliment savoureux.

Nos montures se débattent à présent dans les pier -riers à flanc de colline, tandis que nous descendonsvers la plaine boueuse. Pythias s’agite sur sa selle,dé froisse ses habits, se lisse les sourcils, passe undoigt sur la commissure de ses lèvres, d’un côté puisde l’autre. Elle se prépare pour la ville.

« Mon amour. »

Je pose une main sur elle pour interrompre sespréparatifs et regagner son attention. Mon neveu, jel’ignore. Une Thrace le dévorerait tout cru, comme letendre morceau qu’il est, et recracherait les petits os.

« Tu dois aussi savoir qu’ici, ils n’ont pas d’escla -ves, comme nous, même au palais. Tout le mondetravaille. Et ils n’ont pas non plus de prêtres. C’est leroi qui exerce cette fonction pour son peuple. Ilcom mence chaque journée par des sacrifices, et lors -qu’un de ses sujets a besoin de parler à un dieu, c’està travers lui qu’il le fait. »





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