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Le musée et ses Amis en URSS 1 Alexandre Krein I1 existe des problèmes muséologiques qui doivent être débattus à l'aide d'une terminologie spécialisée. Mais il y a, dans la vie des musées, des moments qui exigent une autre langue et au sujet desquels il est impossible de parler sans émotion. Je pense, en particulier, à la participation à l'activité des musées de personnes de tous âges, de toutes professions, de tous niveaux d'instruc- tion, qu'on appelle généralement ((le public qui aide le musée)). Quant à moi, je tiens à utiliser un mot plus humain ; je les appellerai donc (( les Amis du musée D. Une multitude de gens se sont liés d'amitié avec le musée de Moscou consa- cré au grand poète russe Alexandre Pouchkine. Ils lui apportent leurs connais- sances, leur art, leur travail, avec un entier désintéressement,poussés seulement par le désir de préserver leur patrimoine culturel, le souci d'en transmettre le témoignage aux jeunes générations et la préoccupation de la (( continuité des temps )), c'est-à-dire la raison d'être du musée. Le nombre des Amis de musées est si grand, leur aide est si diverse que je suis obligé d'employer le langage des chiffres. Le conseil scientifique du musée compte 30 personnes parmi lesquelles figurent d'éminents savants et personnalités du monde de la culture. Ces membres examinent les rapports et les projets du musée, résolvent ses prin- cipaux problkmes, conseillent son personnel, donnent des conférences sur l'œuvre de Pouchkine et tout autre sujet intéressant le personnel et les visi- teurs du musée. Le conseil scientifique élève le niveau du musée et lui confère une dimension scientifique. Des réunions scientifiques ouvertes à tous sont organisées régulièrement au musée. Philologues, critiques d'art, historiens, pédagogues, muséologues y font des communications sur des sujets relatifs à l'œuvre de Pouchkine (fig. I)). Plus de zoo réunions de ce genre se sont tenues depuis que le musée existe, c'est-à-dire depuis quinze ans. Ce sont, en quelque sorte, des ((conférences pouchkiniennes permanentes )) ; chacune d'elles réunit jusqu'à 300 auditeurs dont beaucoup prennent part aux débats. I1 est impossible de ne pas parler d'une catégorie d'Amis particulièrement proche du musée, le (( personnel hors cadre )) : pensionnés qui viennent régu- lièrement au musée autant de fois qu'ils le désirent et qui apportent leur concours à l'activité des départements d'arts plastiques, de bibliographie et à la collection de manuscrits du musée. Parmi eux figurent des critiques d'art, des bibliothécaires expérimentés. Grâce à leur savoir, à leur talent, à leur amour du musCe, nous avons fait bien plus que nous n'aurions pu faire avec les seuls moyens de notre personnel attitré. II Un membre correspondant de l'Académie des sciences de l'URSS fait un exposé lors d'une réunion scientifique au Musée Alexandre Pouchkine, B Moscou.

Le musée et ses Amis en URSS

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Le musée et ses Amis en URSS

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Alexandre Krein

I1 existe des problèmes muséologiques qui doivent être débattus à l'aide d'une terminologie spécialisée. Mais il y a, dans la vie des musées, des moments qui exigent une autre langue et au sujet desquels il est impossible de parler sans émotion. Je pense, en particulier, à la participation à l'activité des musées de personnes de tous âges, de toutes professions, de tous niveaux d'instruc- tion, qu'on appelle généralement ((le public qui aide le musée)). Quant à moi, je tiens à utiliser un mot plus humain ; je les appellerai donc (( les Amis du musée D.

Une multitude de gens se sont liés d'amitié avec le musée de Moscou consa- cré au grand poète russe Alexandre Pouchkine. Ils lui apportent leurs connais- sances, leur art, leur travail, avec un entier désintéressement, poussés seulement par le désir de préserver leur patrimoine culturel, le souci d'en transmettre le témoignage aux jeunes générations et la préoccupation de la (( continuité des temps )), c'est-à-dire la raison d'être du musée.

Le nombre des A m i s de musées est si grand, leur aide est si diverse que je suis obligé d'employer le langage des chiffres.

Le conseil scientifique du musée compte 30 personnes parmi lesquelles figurent d'éminents savants et personnalités du monde de la culture. Ces membres examinent les rapports et les projets du musée, résolvent ses prin- cipaux problkmes, conseillent son personnel, donnent des conférences sur l'œuvre de Pouchkine et tout autre sujet intéressant le personnel et les visi- teurs du musée. Le conseil scientifique élève le niveau du musée et lui confère une dimension scientifique.

Des réunions scientifiques ouvertes à tous sont organisées régulièrement au musée. Philologues, critiques d'art, historiens, pédagogues, muséologues y font des communications sur des sujets relatifs à l'œuvre de Pouchkine (fig. I)). Plus de zoo réunions de ce genre se sont tenues depuis que le musée existe, c'est-à-dire depuis quinze ans. Ce sont, en quelque sorte, des ((conférences pouchkiniennes permanentes )) ; chacune d'elles réunit jusqu'à 300 auditeurs dont beaucoup prennent part aux débats.

I1 est impossible de ne pas parler d'une catégorie d'Amis particulièrement proche du musée, le (( personnel hors cadre )) : pensionnés qui viennent régu- lièrement au musée autant de fois qu'ils le désirent et qui apportent leur concours à l'activité des départements d'arts plastiques, de bibliographie et à la collection de manuscrits du musée. Parmi eux figurent des critiques d'art, des bibliothécaires expérimentés. Grâce à leur savoir, à leur talent, à leur amour du musCe, nous avons fait bien plus que nous n'aurions pu faire avec les seuls moyens de notre personnel attitré.

II Un membre correspondant de l'Académie des sciences de l'URSS fait un exposé lors d'une réunion scientifique au Musée Alexandre Pouchkine, B Moscou.

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16 Une Pou1

soirée :hkine,

Pouchkine, , Moscou.

au Musée A lexandre

Plus de I 400 personnes ont fait don au musée d’œuvres d‘art, de reliques, de documents, de livres. Ainsi Ksénia Martsychevskaia, veuve de l’éminent critique littéraire, Ivan Rozanov, a fait don au musée d‘une collection unique de livres: IO o00 volumes des premières éditions de poètes russes, depuis le XVIII~ siècle; c’est la meilleure collection poétique dans le pays. Elle-même, bon connaisseur des livres, parlant onze langues étrangères, vient souvent au musée et lui prête son concours. Avec son aide, nous avons publié une biblio- graphie intitulée L a bìblìothèqfie de poésie rune d’Ivan Roxataov 1.

Mais ces personnes ont donné au musée quelque chose de plus grand que des objets : leur amitié. Les <<lectures pouchkiniennes D sont entièrement basées sur la générosité et le désintéressement des Amis du musée, artistes, poètes, chanteurs, musiciens, personnalités du cinéma, etc. Déjà plus de I o00 ( ! ) soirées de lecture de textes de Pouchkine, réunions au sujet du poète, lectures poétiques, concerts, présentations de films sur Pouchkine avec la participation de leurs auteurs ont été organisés

La participation de ces artistes, qui considèrent comme un honneur de se produire dans la (< maison de Pouchkine D, intensifie l’impact émotionnel du musée sur les visiteurs, cultive les <( bons sentiments )> qui, comme l’a dit le poète, << guidèrent sa lyre D.

L’expérience du Musée Pouchkine n’est pas une exception. L’aide des Amis est un trait commun à tous les musées soviétiques et probablement aux musées du monde entier. Plus les musées se transforment de musées << pour quelques gens privilégiés D en (< musées pour tous D, plus ils gagnent des amis et des aides. Ainsi, des milliers de (< musées populaires )), dont le fonctionnement n’est assuré que par des personnes bénévoles, ont été créés ces dernières années. Les musées scolaires où les élèves procèdent à des recherches scienti- fiques passionnées, prennent part à des expositions et excursions, apprennent à tenir une documentation d‘archives, ont acquis un grand nombre d‘objets de valeur.

Comment expliquer tous ces phénomènes? A mon avis, par le fait que la société tout entière en a besoin. L’intérêt pour l’activité du musée va de pair avec le développement de la culture et l’amélioration du bien-être. C’est une

.

(fig. 16 et 17).

A A I. D’autres dons remarquables méritent d’ètre

mentionnes, en particulier, la bibliothèque historique

les gravures, tableaux et livres offerts par Anna

ainsi que les oeuvres de nombreux peintres modernes.

loi de notre offerte PZ la veuve de ~ s t o * i e n Serguéi Goloubov,

Rossiiskaia, Nikolai Velitchko, Antonina Golovina,

2. Des artistes dramatiques se sont produits G30 fois dont zGg fois en récital; des poètes et

musiciens 195 fois, etc.

Parallèlement, se poursuit un autre processus : les fonctions des musées s’étendent, de nouvelles traditions apparaissent et, dans une certaine mesure, les motivations de la visite au musée changent.

Ainsi, il est évident que les gens ne viennent pas au Musée Pouchkine de MOSCOU, ni dans les autres musées pouchkiniens, seulement pour voir ou

krivains 300 fois, les chanteurs 77 fois, des

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I7 L'assistance lors d'ur au .Musée Alexandre

soirée ouchki

Po1 .ne,

1 C

A :hkine, doscou.

apprendre quelque chose, mais aussi pour exprimer leur amour envers Pouch- kine, pour lui rendre hommage.

Jusqu'à IOO o00 personnes viennent, le jour de la naissance de Pouchkine, dans le domaine du poète, près de Pskov. Ce remarquable musée, qui occupe un territoire de plusieurs kilomètres carrés, a inauguré, il y a une dizaine d'années, la fête nationale de la poésie pouchkinienne, qui est maintenant également célébrée dans d'autres villes : Pskov, Leningrad, Moscou ... Ainsi, ce musée a fait naître une fête populaire, une tradition populaire.

I1 va sans dire que la fonction traditionnelle des musées, fonction scienti- fique et civilisatrice, n'a rien perdu de sa force. Au contraire, elle est complétée par de nouvelles fonctions.

Pour terminer, nous poserons une question rhétorique : la profession muséo- logique proprement dite ne risque-t-elle pas de se dissoudre D parmi les non- professionnels qui aident les musées? Je pense, au contraire, que l'aide du public renforcera la position de la profession muséologique dans la société et parmi les autres professions scientifiques et culturelles. Chaque musée est un établissement hautement professionnel. Le dilettantisme y est inadmissible. Plus le musée a d'amis et d'aides, plus doivent être élevées les connaissances professionnelles et l'expérience du personnel attitré. L'aide des Amis constitue parfois un devoir difficile pour le personnel du musée, qui doit ajouter, à ses multiples tâches, celle d'organiser cette aide et d'instruire les Amis.

Le musée a une fonction d'historiographe, mais il fonctionne également pour le présent et l'avenir. Les Amis du musée peuvent, dans une immense mesure, enrichir son activité.

[ Tradait dg rasse]