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4 actualités Actualités pharmaceutiques n° 501 Décembre 2010 Pour Jacky Maillet, président de l’Association nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (ANPVO), la profession pharmaceutique doit réaffirmer son rôle dans la dispensation du médicament vétérinaire. Ceci passe aussi par le renforcement de l’enseignement vétérinaire lors de la formation initiale. Actualités pharmaceutiques : Qu’est-ce qui vous a amené à créer récemment l’Association nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (ANPVO) ? Jacky Maillet : La création de l’ANPVO s’est imposée à la suite du constat dressé, fin 2008, par l’ensemble des instances et organisations professionnelles pharma- ceutiques (Ordre, syndicats, Associations de pharmacie rurale (APR) et grossistes répartiteurs), de l’inapplication d’un cer- tain nombre de nouvelles dispositions concernant la délivrance des médica- ments vétérinaires telles que celles-ci avaient été reformulées par le décret dit “prescription délivrance” promulgué le 24 avril 2007. Certaines avancées contenues dans ce décret avaient nécessité six ou sept années de négociations entre les repré- sentants des pharmaciens, des vétérinai- res, des éleveurs et des pouvoirs publics. Il n’était donc pas question de tolérer que, dix-huit mois après leur entrée en vigueur, celles concernant plus spécifiquement la profession pharmaceutique demeurent sans suite sur le terrain en acceptant sans broncher de les passer simplement par pertes et profits. Par exemple, comment accepter que le principe du libre choix du dispensateur des médicaments, qui avait été très clai- rement réaffirmé par le décret, ne soit pas suivi d’effets sur le terrain ? Comment admettre, à cet égard, que la remise par le vétérinaire d’une ordon- nance à l’issue de la rédaction du proto- cole de soins qu’il effectue chaque année n’ait strictement aucune répercussion sur le terrain alors que cela a été rendu obli- gatoire dans tous les cas où l’utilisation de médicaments préventifs figure dans ledit protocole ? Comment ne pas réagir alors que cette remise d’ordonnance à cet instant précis est pour l’éleveur, si ce n’est la seule, du moins une des seules options pou- vant lui permettre de se rendre ensuite librement chez l’ayant droit de son choix pour la délivrance des médicaments prescrits ? Parmi les autres dispositions non appli- quées du décret, il y avait aussi cel- les concernant le renouvellement des ordonnances. Les possibilités pour le vétérinaire d’user de la mention “renou- vellement interdit” avaient, en effet, été substantiellement limitées afin de facili- ter le renouvellement des délivrances de certains médicaments préventifs, comme les antiparasitaires et les vaccins, par les pharmaciens. Or, malgré cette limitation, force était de constater que dix-huit mois après l’entrée en application du décret, rien n’avait réel- lement changé. La mention “renouvelle- ment interdit” figurait, et figure d’ailleurs toujours aujourd’hui, sans aucune limi- tation ni discernement sur la quasi-tota- lité des ordonnances quelle que soit la catégorie de médicaments prescrits. Cette pratique a, si ce n’est pour objet, du moins pour effet, de fournir une infor- mation fallacieuse aux éleveurs, de telle sorte que ceux-ci se retrouvent privés d’une facilité qui leur est offerte de pou- voir faire renouveler la délivrance de certains médicaments courants auprès d’une officine. Ils se retrouvent, à tort, contraints de retourner chez leur vétéri- naire qui accepte, bien entendu, de pres- crire à nouveau les mêmes médicaments et profitent de cette situation pour capter la délivrance des médicaments. L’ANPVO a donc été créée sur la base de ce genre de constats et s’est employée, dès le début de l’année 2009, à ce que soient imposés à tous les acteurs du médicament vétérinaire des compor- tements beaucoup plus conformes à la réglementation. Parmi nos différentes démarches, je citerais la requête auprès du Conseil d’État que nous avons dépo- sée en 2009 en vue de dire le droit sur la notion de remise obligatoire d’ordonnance à l’issue de la rédaction du protocole de soins. L’instruction de ce dossier est tou- jours en cours et nous attendons la déci- sion avec une grande impatience. AP : Trouviez-vous que le médicament vétérinaire n’était pas suffisamment défendu par les organisations syndi- cales auparavant ? JM : Le Syndicat national de la pharma- cie vétérinaire d’officine (SNPVO) qui exerçait ce rôle auparavant n’existait plus depuis plusieurs années. La phar- macie vétérinaire d’officine était repré- sentée de manière disparate, non coor- donnée. Elle ne disposait pas de réelle analyse sur la situation ni de véritable stratégie sur l’avenir. Les positions et discours de la profession sur la ques- tion vétérinaire n’étaient absolument pas audibles au niveau de nos partenaires vétérinaires et encore moins au niveau des administrations. Nous avions réellement besoin d’un outil spécifique et dédié, autant pour agir que pour réagir, d’où la création de l’ANPVO à l’initiative de trois syndicats [NDLR : FSPF, Entretien Le pharmacien est aussi le spécialiste du médicament vétérinaire Une version plus condensée de cet entretien à été publié dans le numéro 501 d’Actualités pharmaceutiques. Le mensuel de la formation pharmaceutique continue pharmaceutiques actualités n° 501 Décembre 2010 25 € compléments alimentaires Rôles des probiotiques, prébiotiques et produits de fermentation au niveau du microbiote intestinal dispensation Le portage des médicaments au domicile du patient dossier Les médicaments des thromboses cardiovasculaires

Le pharmacien est aussi le spécialiste du médicament vétérinaire

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Actualités pharmaceutiques n° 501 Décembre 2010

Pour Jacky Maillet, président

de l’Association nationale

de la pharmacie vétérinaire

d’officine (ANPVO), la

profession pharmaceutique

doit réaffirmer son rôle dans

la dispensation du médicament

vétérinaire. Ceci passe

aussi par le renforcement

de l’enseignement vétérinaire

lors de la formation initiale.

Actualités pharmaceutiques : Qu’est-ce

qui vous a amené à créer récemment

l’Association nationale de la pharmacie

vétérinaire d’officine (ANPVO) ?

Jacky Maillet : La création de l’ANPVO s’est imposée à la suite du constat dressé, fin 2008, par l’ensemble des instances et organisations professionnelles pharma-ceutiques (Ordre, syndicats, Associations de pharmacie rurale (APR) et grossistes répartiteurs), de l’inapplication d’un cer-tain nombre de nouvelles dispositions concernant la délivrance des médica-ments vétérinaires telles que celles-ci avaient été reformulées par le décret dit “prescription délivrance” promulgué le 24 avril 2007.Certaines avancées contenues dans ce décret avaient nécessité six ou sept années de négociations entre les repré-sentants des pharmaciens, des vétérinai-res, des éleveurs et des pouvoirs publics.

Il n’était donc pas question de tolérer que, dix-huit mois après leur entrée en vigueur, celles concernant plus spécifiquement la profession pharmaceutique demeurent sans suite sur le terrain en acceptant sans broncher de les passer simplement par pertes et profits.Par exemple, comment accepter que le principe du libre choix du dispensateur des médicaments, qui avait été très clai-rement réaffirmé par le décret, ne soit pas suivi d’effets sur le terrain ?Comment admettre, à cet égard, que la remise par le vétérinaire d’une ordon-nance à l’issue de la rédaction du proto-cole de soins qu’il effectue chaque année n’ait strictement aucune répercussion sur le terrain alors que cela a été rendu obli-gatoire dans tous les cas où l’utilisation de médicaments préventifs figure dans ledit protocole ?Comment ne pas réagir alors que cette remise d’ordonnance à cet instant précis est pour l’éleveur, si ce n’est la seule, du moins une des seules options pou-vant lui permettre de se rendre ensuite librement chez l’ayant droit de son choix pour la délivrance des médicaments prescrits ?Parmi les autres dispositions non appli-quées du décret, il y avait aussi cel-les concernant le renouvellement des ordonnances. Les possibilités pour le vétérinaire d’user de la mention “renou-vellement interdit” avaient, en effet, été substantiellement limitées afin de facili-ter le renouvellement des délivrances de certains médicaments préventifs, comme les antiparasitaires et les vaccins, par les pharmaciens.Or, malgré cette limitation, force était de constater que dix-huit mois après l’entrée en application du décret, rien n’avait réel-lement changé. La mention “renouvelle-ment interdit” figurait, et figure d’ailleurs toujours aujourd’hui, sans aucune limi-tation ni discernement sur la quasi-tota-lité des ordonnances quelle que soit la catégorie de médicaments prescrits. Cette pratique a, si ce n’est pour objet,

du moins pour effet, de fournir une infor-mation fallacieuse aux éleveurs, de telle sorte que ceux-ci se retrouvent privés d’une facilité qui leur est offerte de pou-voir faire renouveler la délivrance de certains médicaments courants auprès d’une officine. Ils se retrouvent, à tort, contraints de retourner chez leur vétéri-naire qui accepte, bien entendu, de pres-crire à nouveau les mêmes médicaments et profitent de cette situation pour capter la délivrance des médicaments.L’ANPVO a donc été créée sur la base de ce genre de constats et s’est employée, dès le début de l’année 2009, à ce que soient imposés à tous les acteurs du médicament vétérinaire des compor-tements beaucoup plus conformes à la réglementation. Parmi nos différentes démarches, je citerais la requête auprès du Conseil d’État que nous avons dépo-sée en 2009 en vue de dire le droit sur la notion de remise obligatoire d’ordonnance à l’issue de la rédaction du protocole de soins. L’instruction de ce dossier est tou-jours en cours et nous attendons la déci-sion avec une grande impatience.

AP : Trouviez-vous que le médicament

vétérinaire n’était pas suffisamment

défendu par les organisations syndi-

cales auparavant ?

JM : Le Syndicat national de la pharma-cie vétérinaire d’officine (SNPVO) qui exerçait ce rôle auparavant n’existait plus depuis plusieurs années. La phar-macie vétérinaire d’officine était repré-sentée de manière disparate, non coor-donnée. Elle ne disposait pas de réelle analyse sur la situation ni de véritable stratégie sur l’avenir. Les positions et discours de la profession sur la ques-tion vétérinaire n’étaient absolument pas audibles au niveau de nos partenaires vétérinaires et encore moins au niveau des administrations.Nous avions réellement besoin d’un outil spécifique et dédié, autant pour agir que pour réagir, d’où la création de l’ANPVO à l’initiative de trois syndicats [NDLR : FSPF,

Entretien

Le pharmacien est aussi le spécialiste du médicament vétérinaire

Une version plus condensée

de cet entretien à été

publié dans le numéro 501

d’Actualités pharmaceutiques.

Le mensuel de la formation pharmaceutique continue

ISS

N 0

515-

3700

pharmaceutiquesactualités

n° 501 Décembre 2010 25 €

6407

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compléments

alimentaires� Rôles des probiotiques, prébiotiques et produits de fermentation au niveau du microbiote intestinal

dispensationLe portage des médicaments au domicile du patient

dossier

Les médicaments des thromboses cardiovasculaires

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Actualités pharmaceutiques n° 501 Décembre 2010

UNPF et USPO], de l’APR de l’Ordre national des pharmaciens, des sociétés de distribution en gros de médicaments vétérinaires et aussi du laboratoire Pierre Fabre qui a joué un rôle tout à fait déter-minant pour fédérer tout le monde derrière cette idée.Notre stratégie est aujourd’hui très claire ; elle s’articule autour de trois princi-paux objectifs. Il s’agit d’abord, comme je l’ai évoqué précé-demment, de faire appliquer la réglemen-tation par les v é t é r i n a i r e s mais aussi par les pharmaciens. Nous voulons aussi faire valoir l’importance pour la santé publique de recourir de façon beaucoup plus constructive et significative à l’acte de dispensation. Enfin, nous avons pour troisième objet de susciter l’intérêt des confrères pour la pharmacie vétérinaire qui, faut-il le rap-peler, demeure une partie intégrante de leur exercice.Le diplôme de pharmacien ouvre des droits à son détenteur mais engendre aussi des devoirs, au premier rang des-quels il y a celui de garantir une dispensa-tion de qualité quelle que soit la catégorie de médicaments concernée.

AP : Quelles sont vos propositions pour

promouvoir l’utilité de l’acte de dispen-

sation des médicaments vétérinaires

par le pharmacien ?

JM : En premier lieu, sans vouloir être désobligeant pour les rédacteurs d’un journal pharmaceutique aussi sérieux que le vôtre, il m’est impossible de ne pas attirer amicalement votre attention sur le sens de votre expression « l’acte de dis-pensation de médicaments vétérinaires par le pharmacien », car celle-ci relève du pléonasme.La dispensation par le pharmacien d’un médicament, fût-il à usage vétérinaire, est

nécessairement une lapalissade puisque le pharmacien est le seul professionnel à pouvoir exercer cet art.Au-delà de cette petite précision séman-tique, votre formulation n’en demeure pas moins extraordinairement révélatrice de la confusion actuelle entretenue savam-ment par une écrasante majorité de vété-rinaires ainsi que par ceux acquis à leur

cause , ma is aussi, et c’est beaucoup plus inquiétant, par de nombreux pharmaciens.Permettez-moi de vous rappe-ler que l’acte

de dispensation est le cœur du métier de pharmacien et que cela ne saurait être valablement confondu ou comparé avec des prérogatives de simple délivrance éventuellement dévolues à d’autres intervenants non-pharmaciens.Si vos lecteurs, a fortiori si ceux-ci sont pharmaciens, devaient retenir une seule chose de cette interview, il serait vraiment souhaitable que ce soit cela. Une bonne fois pour toutes, il faut le savoir, le pharma-cien dispense alors que le vétérinaire déli-vre. Il y a là une différence capitale pour la santé publique. D’un côté, il y a un contrôle et une analyse pharmaceutique de l’ordon-nance, alors que, de l’autre, il s’agit d’une simple remise physique des médicaments. Chacun peut aisément comprendre qu’un prescripteur, quelle que soit sa qualité, ne peut pas valablement s’autocontrôler.Cela étant précisé, et pour répondre un peu plus précisément à votre question, l’ANPVO saisira l’opportunité de chaque dossier susceptible de bénéficier de ce type de raisonnement pour faire valoir le bien-fondé de ses propositions en termes de santé publique.C’est, par exemple, le cas des discussions actuelles autour de l’antibiorésistance ou de la maîtrise des résidus médicamenteux dans l’environnement, mais il y en a beau-coup d’autres.

AP : En quoi la dissociation de la pres-

cription et de la délivrance des anti-

biotiques pourra-t-elle permettre de

diminuer l’antibiorésistance ?

JM : À travers cette question, je suppose que vous faites allusion aux propositions récentes de l’Ordre national des phar-maciens qui viennent d’être adressées au Comité national de coordination pour un usage raisonné des antibiotiques en médecine vétérinaire qui est en cours de mise en place.Bien que n’étant pas le porte-parole du Conseil national de l’Ordre des pharma-ciens (CNOP) dans cette affaire, je crois cependant pouvoir dire que selon notre Ordre, le fonctionnement actuel du sys-tème de délivrance des antibiotiques vétérinaires est hautement perfectible car il est entaché d’un conflit d’intérêt latent. Le prescripteur est aussi le vendeur dans la quasi-totalité des cas.Afin d’optimiser le fonctionnement du système et de contribuer utilement aux objectifs de réduction des consomma-tions d’antibiotiques fixés par le comité, l’Ordre des pharmaciens propose, en effet, de mieux exploiter le potentiel de la dispensation pharmaceutique, tel que cela existe en médecine humaine.Au-delà de l’exemple convaincant de la médecine humaine, des travaux appli-qués à la médecine vétérinaire existent dans certains pays avec, notamment, un exemple probant au Danemark. Une baisse de 40 % de la consommation d’antibiotiques a été enregistrée dans la filière porcine après quelques années seulement d’exclusion de toute possibilité de conflit d’intérêt chez les prescripteurs vétérinaires.

Jacky Maillet, président de l’Association nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (ANPVO).

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Une bonne fois pour toutes, il faut le savoir, le pharmacien dispense alors que le vétérinaire délivre. Il y a là une

différence capitale pour la santé publique

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VIactualités

Actualités pharmaceutiques n° 501 Décembre 2010

La fonction de contrôle de l’ordonnance par le pharmacien, dissociée très clai-rement de l’acte de prescription, est, selon notre institution ordinale, un gage important de meilleure maîtrise. Que dirait-on, en effet, si demain les médecins prescrivaient et délivraient les antibiotiques ?L’ANPVO souscrit naturellement à cette initiative du CNOP mais s’en distingue néanmoins sur un point important car nous aff i r-mons qu’une telle p ropos i t ion se saurait être tota-lement pertinente s i c e l l e - c i n e résulte pas d’une action concertée avec la profession vétérinaire.Consciente de l’impact négatif qu’une telle mesure ne manquerait pas de pro-duire sur l’économie des entreprises vétérinaires et convaincue par ailleurs de l’absolue nécessité de maintenir un maillage vétérinaire réellement opé-rationnel, l’ANPVO considère en effet qu’une réflexion globale incluant toutes les parties concernées, est un préalable absolument incontournable avant tout changement éventuel.

AP : Comment garantir véritablement

un libre recours à l’officine pour la

délivrance des médicaments vétéri-

naires aux éleveurs et propriétaires

d’animaux ?

JM : En faisant simplement appliquer la réglementation existante. Nous savons en effet qu’un éleveur sur trois déplore de ne pas pouvoir choisir le circuit phar-maceutique pour la dispensation des médicaments et nous savons en même temps que cela résulte du fait que la quasi-totalité des vétérinaires refusent de prescrire s’ils ne délivrent pas les médicaments.Il y a là une entrave délibérée, voire même parfois revendiquée, au principe du libre choix du dispensateur, qui nous préoc-cupe beaucoup.L’ANPVO ne remet pas en cause le sta-tut de propharmacien du vétérinaire

mais considère que cette position prag-matique et modérée qui est la sienne pourrait s’avérer rapidement obsolète en cas d’autisme absolu de la profession vétérinaire.Nos amis vétérinaires doivent le com-prendre, ni le Code de la santé publi-que, ni le droit du commerce, ni le droit de la concurrence ne justifient de tels comportements.

AP : Ne convient-il pas quand même de

mieux encadrer la délivrance des médi-

caments vétérinaires quand on voit les

différentes affaires qui accablent offici-

naux et vétérinaires (kétamine, clenbu-

térol, Gabbrovet®...) ?

JM : Bien sûr, ces affaires révèlent une grande incompétence de la part de certains confrères. Certaines d’entre-elles, notamment celles concernant le détournement d’usage de la kéta-mine, entrent même dans la catégorie du grand banditisme. Comme je vous l’ai déjà dit, l’ANPVO, qui œuvre pour anoblir l’acte de dispensation en méde-cine vétérinaire, ne saurait trouver de circonstances atténuantes à ce genre d’agissements, c’est tout simplement consternant.Ces affaires lamentables ont néanmoins un mérite : celui de nous inciter à faire œuvre importante de pédagogie et à met-tre en place une formation digne de ce nom pour nos confrères, à commencer par les plus jeunes d’entre eux dans les facultés.Pour l’affaire du Gabbrovet®, dont je rap-pelle qu’elle ne concerne pas les phar-maciens, nous prenons acte des pour-suites engagées à l’encontre de quelques lampistes vétérinaires, mais considérons néanmoins qu’il s’agit plus de règlements de comptes locaux que d’actions signifi-catives ayant une réelle portée en matière de santé publique.

Il faut quand même rappeler que ce médi-cament est autorisé dans d’autres pays européens et qu’il est sans doute le seul traitement réellement efficace contre la cryptosporidiose du veau.

AP : Que penser du test de délivrance

d’amoxicilline à un lapin nain alors que

ce médicament lui est contre-indiqué

et qu’aucun pharmacien n’a relevé le

problème ?

JM : Cette question rejoint la précé-dente et appelle de ma part une réponse similaire. Sur le fond, c’est une affaire navrante.Sur la forme, un certain nombre de confrè-res considère qu’il subsiste une possibilité de poursuivre le vétérinaire qui a prêté son diplôme et sciemment établi une fausse prescription en vue de jeter ostensible-ment le discrédit sur toute une profession de santé. Ces faits sont effectivement répréhensibles.Pour autant, l’ANPVO considère que cette initiative du journal La Dépêche vétéri-naire1 témoigne plus d’un très mauvais plaidoyer pro domo s’employant à vou-loir démontrer l’indémontrable, à savoir que pour distribuer les médicaments, le vétérinaire seul est mieux que le couple vétérinaire + pharmacien.Le risque que cette enquête puisse ternir, même superficiellement, l’image de notre profession, est proche de zéro. Mais là encore, nous comprenons bien qu’il y a tout lieu d’inciter les pharmaciens à se for-mer sérieusement afin d’être totalement irréprochables.Cela étant dit, je profite de votre question pour préciser ici un point de droit que la méthode retenue pour piéger nos quel-ques confrères parisiens soulève.Il faut, en effet, savoir que si les confrè-res concernés par cette enquête avaient refusé d’honorer l’ordonnance [NDLR : il n’y en a eu aucun], ils auraient éventuel-lement engagé aussi leur responsabilité. En fait, la législation actuelle autorise le vétérinaire à prescrire un médicament à usage humain pour des animaux – comme c’était le cas ici avec l’amoxicil-line 5 mg/mL – dès lors qu’il considère qu’il n’existe pas de traitement approprié disponible en pharmacie vétérinaire pour

La fonction de contrôle de l’ordonnance par le pharmacien, dissociée très clairement

de l’acte de prescription, est, selon notre institution ordinale, un gage important de meilleure maîtrise

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VII actualités

Actualités pharmaceutiques n° 501 Décembre 2010

le cas considéré. Dans ce cas très précis, le vétérinaire est totalement souverain, il n’est pas tenu de justifier son choix de médicament, pas même auprès d’un pharmacien.Au final, dans le cas qui nous intéresse, les pharmaciens ont, sans le savoir, eu raison de dispenser l’amoxicilline pour le lapin Clochette. C’est incroyable, mais c’est comme ça.

AP : Pensez-vous que les équipes

officinales soient suffisamment for-

mées pour assurer la dispensation des

médicaments vétérinaires en toute

sécurité ?

JM : La formation initiale des pharma-ciens à la faculté en matière de médi-caments vétérinaires est pratiquement inexistante. Celle des préparateurs en pharmacie l’est tout autant. Je ne vous cache pas qu’il n’y a pas lieu d’être fier d’un tel constat. Pour moi, une telle impasse dans le cursus universi-taire des pharmaciens est une vérita-ble énigme. Cette omission constitue bien plus qu’une simple erreur, il s’agit d’une inconséquence incroyable de tout notre système d’enseignement qui organise malgré lui les conditions d’une lente dépossession du pharmacien des médicaments, de tous les médicaments, au profit d’autres circuits de distribu-tion beaucoup moins éthiques qui n’en demandent vraiment pas tant.Pour ce qui nous concerne, nous essayons, avec nos faibles moyens, de réinstaurer les diplômes d’univer-sité de pharmacie vétérinaire. Une ini-tiative est en cours de finalisation à Lyon, d’autres pourraient suivre ailleurs prochainement.Nous avons aussi le projet de nous rap-procher des doyens de fac aussi rapide-ment que possible afin de les sensibiliser à cette problématique qui est vraiment tout sauf secondaire.

AP : Pourquoi la Commission euro-

péenne souhaite-t-elle modifier la direc-

tive “médicaments vétérinaires” ?

JM : La Commission a en effet lancé une consultation sous forme de questionnaire en ligne en vue de procéder à une éven-

tuelle modification de la directive “médi-caments vétérinaires” qui date de 2001. Cette consultation est bien entendu très importante pour l’avenir de la distribution au détail des médicaments vétérinaires en Europe. C’est la raison pour laquelle il nous est apparu indispensable d’y par-ticiper afin de faire valoir un point de vue que la Commission n’a pas nécessaire-ment l’habitude d’entendre : celui des pharmaciens.Dans le questionnaire proposé par la Commission, peu de points concernaient la dispensation des médicaments. C’est pourquoi il nous est apparu, de façon totalement convergente avec l’ensemble des autres organisations pharmaceutiques européennes, qu’il convenait de produire via le Groupement pharmaceutique de l’union européenne (GPUE) et parallèle-ment au questionnaire, un argumentaire spécifique et dédié émanant de tous les pharmaciens exerçant dans l’ensemble des pays-membres.C’est ainsi que l’ANPVO, mais aussi l’Or-dre français des pharmaciens, a participé à l’élaboration d’un document estampillé GPUE qui s’intitule The retail distribution of veterinary medi-cines in Europe: a highly perfectible system.Ce document a été adressé à la Com-mission au prin-temps dernier. Il vise principalement à démontrer l’importance de la complémentarité prescripteur-dis-pensateur en médecine vétérinaire.

AP : Par ailleurs, pourquoi vouloir modi-

fier la liste des molécules vétérinaires

exonérées ?

JM : Cette liste de substances destinées aux animaux de compagnie datait de 1986. Elle contenait des molécules obso-lètes et inusitées en médecine vétérinaire, ainsi que de nombreuses sub stances antibiotiques dont la dispensation sans ordonnance n’est vraiment pas justi-fiée compte tenu des problèmes d’anti-biorésistance que nous connaissons aujourd’hui

En parallèle, il nous semblait pertinent d’instaurer un minimum de cohérence entre les molécules autorisées sans ordonnance en médecine humaine et les mêmes utilisées avec ordonnance en médecine vétérinaire.Enfin, nous avions également comme objectif d’inclure dans cette nouvelle liste certaines molécules d’utilisation très courante, telles que les vermifuges, certains anti-parasitaires externes (APE), antilaiteux, etc., qui présentent l’avantage d’être atoxiques ou peu toxiques, et dont la délivrance est actuellement soumise à prescription préalable obligatoire.Cette liste devrait permettre de légaliser une grosse partie de l’activité vétérinaire dans les officines. Je rappelle en effet qu’un pharmacien est aujourd’hui pas-sible de deux ans de prison et 30 000 € d’amende pour la délivrance d’un vermifuge.

AP : Les discussions avec les vétéri-

naires ont-elles été faciles pour cela ?

JM : Une fois n’est pas coutume, ce dossier a été porté conjointement et de

façon totalement décrispée par les pharmaciens et les vétér inaires. La concertation a été rapide et vrai-ment constructive. La délivrance de certaines substan-ces qui étaient exo-

nérées sera désormais soumise à pres-cription obligatoire et la délivrance de certaines autres qui étaient jusqu’alors soumises à ordonnance préalable ne le sera plus. Chacun y trouve son compte, les pharmaciens, les vétérinaires, la santé publique et la santé animale.Par exemple, nous avons bien volontiers accepté de ne pas intégrer le lopéramide dans la liste des substances exonérées car il s’agit d’une substance potentielle-ment très toxique pour certaines races de chien [NDLR : déficientes dans le gène MDR1]. Et les vétérinaires ont tout aussi facilement accepté que l’ensemble des vermifuges oraux pour chiens et chats actuellement disponibles sur le marché

Pour ce qui nous concerne, nous essayons, avec nos

faibles moyens, de réinstaurer les diplômes d’université de pharmacie vétérinaire

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VIIIactualités

Actualités pharmaceutiques n° 501 Décembre 2010

ne soient plus soumis à prescription obligatoire.La nouvelle liste est actuellement entre les mains des experts de l’Agence natio-nale de sécurité sanitaire de l’alimenta-tion, de l’environnement et du travail (ANSES) pour avis et devrait faire l’objet d’un arrêté ministériel dans les mois à venir.Incontestablement, il s’agit là d’une avancée significative pour l’ensemble de nos confrères qui vont désormais avoir la possibilité de développer au grand jour une activité fortement géné-ratrice de marge. Je rappelle qu’un Français sur deux possède un animal de compagnie et que quatre millions de personne fran-chissent chaque jour la porte d’une officine.

AP : Existe-t-il un risque de voir la

grande distribution ou différents sites

Internet revendiquer la vente de médi-

caments vétérinaires ?

JM : Internet est d’ores et déjà une réalité dans le domaine du médicament vétéri-naire qu’il est difficile d’ignorer mais qu’il est néanmoins urgent d’encadrer. Les risques de dérives inhérentes à ce type de commerce préoccupent beaucoup les professions vétérinaires et pharmaceuti-ques. Le taux de contrefaçons est une source d’inquiétude importante pour les professionnels de santé que nous som-mes. Les pouvoirs publics et l’ensemble des organisations professionnelles sont conscients des risques et des enjeux. Une réflexion est actuellement en cours. Elle devrait déboucher sur des propositions très concrètes susceptibles d’intégrer le phénomène Internet tout en le maîtrisant

au mieux. En tout état de cause, pour l’ANPVO, l’utilisation, même maîtrisée, de ce nouvel outil devra se faire obliga-toirement à périmètre constant des ayants droit actuels de la délivrance des médica-ments vétérinaires.Pour ce qui est du risque d’une libéralisa-tion de la distribution des médicaments vétérinaires vers les grandes et moyen-nes surfaces (GMS), il convient à mon avis de ne pas être trop inquiet. Le médi-cament vétérinaire, a fortiori lorsqu’il est destiné aux animaux de rente, n’est pas

et ne sera jamais une marchan-dise comme les autres. Il est, et restera, soumis à prescription obli-gatoire, car cela est inscrit dans la directive euro-péenne, ce qui

est un obstacle absolument déterminant pour contrer toute éventuelle velléité dans le sens d’une libéralisation.Par ailleurs, si, comme nous y travaillons à l’ANPVO, le marché français demeure de façon réellement effective aux mains de trois ayants droit avec, en corollaire, une possibilité tout aussi effective de saine concurrence entre eux, alors je ne vois pas très bien la nécessité d’ouvrir encore plus le marché, sauf à déstabiliser totalement un équilibre ayant démontré son utilité, et à accepter toutes sortes de répercussions de santé publique que cela ne manquerait pas d’engendrer.

AP : Finalement, le développement du

marché du médicament vétérinaire

n’est-il pas une réponse aux difficultés

économiques que rencontre actuelle-

ment l’officine ?

JM : Globalement, il faut bien le reconnaî-tre, la part de marché de 6,5 % détenue

par les pharmaciens ne représente pas un enjeu de survie pour la profession. Pour autant, cette activité de pharmacie vété-rinaire est, je vous l’affirme, absolument déterminante dans un certain nombre de cas et le sera d’autant plus demain dans certaines zones rurales, celles qui seront touchées de plein fouet par le phénomène quasi irréversible de la désertification médicale.L’état actuel des finances publiques et des comptes sociaux nous incite, par ailleurs, à penser que bon nombre de confrères, y compris parmi les plus cita-dins, auraient certainement tout à gagner à mieux considérer cet aspect de leur monopole.Le développement de la pharmacie vété-rinaire d’officine est donc bel et bien une réponse possible aux difficultés rencon-trées par la profession aujourd’hui. Néan-moins, je le répète ici avec force, le fac-teur économique ne doit pas occulter les grands défis de santé publique auxquels les pharmaciens se doivent absolument de participer pour mieux y répondre. La dispensation d’un médicament est, à cet égard, une étape essentielle qu’il convient absolument de ne pas brader en médecine vétérinaire. �

Propos recueillis par Sébastien Faure

Maître de conférences des Universités,

Faculté de pharmacie, Angers (49)

[email protected]

Note1. Si Clochette pouvait ressusciter ! La Dépêche Vétérinaire, n° 1094, du 16 au 22 octobre 2010.

Internet est d’ores et déjà une réalité dans le domaine du médicament vétérinaire

qu’il est difficile d’ignorer mais qu’il est néanmoins urgent d’encadrer