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Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 163—165 ARTICLE ORIGINAL Le ptosis acquis dans la blépharoconjonctivite allergique chez l’enfant et l’adolescent Acquired ptosis in allergic blepharoconjunctivitis in children and adolescents H. Mazlout , H. Kammoun , J. Brour , W. Triki, M.A. El Afrit , M. Cheour , A. Kraiem Service d’ophtalmologie, hôpital Habib-Thameur, rue Bab-el-Falah, 2004 Tunis, Tunisie Rec ¸u le 26 janvier 2011 ; accepté le 18 mai 2011 Disponible sur Internet le 19 octobre 2011 MOTS CLÉS Ptosis ; Acquis ; Blépharoconjonctivite ; Allergie Résumé Le ptosis acquis est une pathologie assez fréquente. Il est le plus souvent d’origine aponévrotique et survient plus fréquemment chez le sujet âgé chez qui il apparaît comme un trouble involutionnel ou après chirurgie oculaire. Chez le sujet jeune, il peut être secondaire à un traumatisme oculaire, une infection périoculaire, le port de lentilles de contact ou un œdème palpébral. Les blépharoconjonctivites allergiques chroniques sont une cause méconnue et sous- estimée de ptosis acquis. Notre étude a concerné dix patients, âgés de cinq à 15 ans, suivis pour blépharoconjonctivite allergique et présentant une ptose palpébrale acquise uni- ou bilaté- rale. Nous nous proposons, dans ce travail, de présenter les hypothèses physiopathogéniques concernant ce type de ptosis et sa prise en charge. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Ptosis; Acquired; Blepharoconjunctivitis; Allergy Summary Acquired ptosis is a common ophthalmologic problem. It is in the large majority of cases aponeurotic and occurs in the elderly as an involutional disorder or after ophthalmic sur- gery. In younger patients, it may occur after ocular trauma, periocular infection, contact lens wear, or palpebral edema. Allergic blepharoconjunctivitis is an unsuspected cause of acquired ptosis. Our study investigated patients (5 to 15 years old) with a history of allergic blepha- roconjunctivitis and having a unilateral or bilateral ptosis. Physiopathological hypotheses are discussed. Management of acquired ptosis is presented. © 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (H. Mazlout). 0181-5512/$ see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.jfo.2011.05.004

Le ptosis acquis dans la blépharoconjonctivite allergique chez l’enfant et l’adolescent

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Page 1: Le ptosis acquis dans la blépharoconjonctivite allergique chez l’enfant et l’adolescent

Journal français d’ophtalmologie (2012) 35, 163—165

ARTICLE ORIGINAL

Le ptosis acquis dans la blépharoconjonctiviteallergique chez l’enfant et l’adolescent

Acquired ptosis in allergic blepharoconjunctivitis in children and adolescents

H. Mazlout ∗, H. Kammoun, J. Brour, W. Triki,M.A. El Afrit, M. Cheour, A. Kraiem

Service d’ophtalmologie, hôpital Habib-Thameur, rue Bab-el-Falah, 2004 Tunis, Tunisie

Recu le 26 janvier 2011 ; accepté le 18 mai 2011Disponible sur Internet le 19 octobre 2011

MOTS CLÉSPtosis ;Acquis ;Blépharoconjonctivite ;Allergie

Résumé Le ptosis acquis est une pathologie assez fréquente. Il est le plus souvent d’origineaponévrotique et survient plus fréquemment chez le sujet âgé chez qui il apparaît comme untrouble involutionnel ou après chirurgie oculaire. Chez le sujet jeune, il peut être secondaire àun traumatisme oculaire, une infection périoculaire, le port de lentilles de contact ou un œdèmepalpébral. Les blépharoconjonctivites allergiques chroniques sont une cause méconnue et sous-estimée de ptosis acquis. Notre étude a concerné dix patients, âgés de cinq à 15 ans, suivis pourblépharoconjonctivite allergique et présentant une ptose palpébrale acquise uni- ou bilaté-rale. Nous nous proposons, dans ce travail, de présenter les hypothèses physiopathogéniquesconcernant ce type de ptosis et sa prise en charge.© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDSPtosis;Acquired;

Summary Acquired ptosis is a common ophthalmologic problem. It is in the large majority ofcases aponeurotic and occurs in the elderly as an involutional disorder or after ophthalmic sur-gery. In younger patients, it may occur after ocular trauma, periocular infection, contact lens

Blepharoconjunctivitis;Allergy

wear, or palpebral edema. Allergic blepharoconjunctivitis is an unsuspected cause of acquiredptosis. Our study investigated patients (5 to 15 years old) with a history of allergic blepha-

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roconjunctivitis and having discussed. Management of acqui© 2011 Elsevier Masson SAS. All r

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (H. Mazlout).

0181-5512/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droitsdoi:10.1016/j.jfo.2011.05.004

ilateral or bilateral ptosis. Physiopathological hypotheses are

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1 H. Mazlout et al.

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ntroduction

e ptosis acquis est une pathologie fréquente. Il est souventlassé en se basant sur sa pathogénie en cinq sous-groupes :yogène, aponévrotique, neurogène, mixte et les faux pto-

is [1]. La majorité des ptosis acquis sont aponévrotiques etont souvent liés à une désinsertion ou une déhiscence de’aponévrose du muscle releveur de la paupière supérieure2]. C’est une affection du sujet âgé et serait d’originenvolutionnelle ou secondaire à une chirurgie du segmentntérieur. Chez le sujet jeune, les causes les plus incrimi-ées sont le port de lentilles de contact, les traumatismesculaires, la chirurgie oculaire ou les infections périocu-aires. Les blépharoconjonctivites allergiques sont une causeéconnue de ptosis acquis chez l’enfant et l’adolescent. Leut de cette étude est de discuter les hypothèses physiopa-hogéniques inhérentes à ce type de ptosis ainsi que sa prisen charge thérapeutique.

atients et méthode

l s’agit d’une étude rétrospective portant sur dix patients,uivis au service d’ophtalmologie de l’hôpital Habib Tha-eur entre 2000 et 2006, atteints de blépharoconjonctivite

llergique et présentant une ptose palpébrale uni- ou bila-érale. Le caractère congénital du ptosis a été exclu par’interrogatoire et la revue d’anciennes photos. D’autresauses de ptosis acquis ont été également écartées notam-ent un traumatisme oculaire, une chirurgie oculaire

ntérieure, une inflammation oculaire ou périoculaire et leort de lentilles de contact. Tous les patients ont bénéfi-ié d’un interrogatoire précisant la durée d’évolution dea conjonctivite allergique, le délai d’apparition du ptosist son évolution. L’examen du ptosis a noté son uni- ouilatéralité, son degré, la course du muscle releveur de laaupière supérieure et la position du pli palpébral. Un exa-en ophtalmologique complet a été réalisé avec étude de

a motilité oculaire, mesure de l’acuité visuelle, examen àa lampe à fente de la conjonctive tarsale et bulbaire, étudeu réflexe photomoteur, examen du segment antérieur et duond d’œil.

La prise en charge thérapeutique a consisté en pre-ier lieu à traiter la conjonctivite allergique chroniqueoyennant des antiallergiques locaux seuls dans les formesodérées et en association aux stéroïdes locaux en cure

ourte dans les formes sévères. Un traitement chirurgical até indiqué au bout de six mois de surveillance. Il a consistén une réinsertion et un renforcement de l’aponévrose duuscle releveur de la paupière supérieure à la partie supé-

ieure du tarse. La chirurgie a été réalisée sous anesthésieocale ou générale en fonction l’âge du patient.

ésultats

’âge des patients a varié de cinq à 15 ans avec un âgeoyen de 11,5 ans. Une prédominance féminine était obser-

ée avec un sex-ratio de 1/3. Six patients ont présenténe conjonctivite folliculaire perannuelle (Fig. 1) et quatreatients avaient une conjonctivite vernale ou printanière.n pannus cornéen allergique a été observé chez ces

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igure 1. Ptosis et conjonctivite allergique folliculaire.

uatre patients. La blépharite associée était postérieure.a durée moyenne d’évolution de la conjonctivite aller-ique était de quatre ans. Le ptosis a été observé durantes poussées de la maladie chez sept patients et en dehorses poussées chez trois patients. Il était minime chezinq patients (50 %), modéré chez trois patients (30 %) etévère chez deux patients (20 %). Le ptosis était bilatéralhez neuf patients (90 %). La course du releveur de la pau-ière supérieure était normale chez tous les patients. Le plialpébral était toujours présent.

Sur le plan évolutif, nous avons observé une améliora-ion de la ptose palpébrale sous traitement antiallergiqueeul chez quatre patients ayant une blépharoconjonctivitee sévérité modérée et sous traitement antiallergique asso-ié à des stéroïdes topiques chez trois patients atteints deormes sévères de blépharoconjonctivite. Cette améliora-ion était secondaire à une diminution de la taille desapilles chez trois patients et/ou de l’œdème palpébralhez cinq patients.

La chirurgie du ptosis s’est avérée nécessaire chezrois patients ayant un ptosis sévère dans deux cas et modéréans un cas. En peropératoire, l’aponévrose du releveur dea paupière était dilacérée. Une désinsertion partielle bila-érale a été également retrouvée chez les trois patientspérés. Nous avons réalisé une réinsertion et un renfor-ement de l’aponévrose du muscle releveur à la partieupérieure du tarse. Une disparition du ptosis a été consta-ée chez tous les patients opérés.

iscussion

es blépharoconjonctivites allergiques représentent desffections fréquentes dans les pays du pourtour méditer-anéen qui touchent préférentiellement les sujets jeunese sexe masculin [3]. Dans notre série, une prédominanceéminine a été trouvée.

Les conjonctivites allergiques chez l’enfant sont classéeselon cinq groupes : la conjonctivite aiguë et saisonnière,a conjonctivite allergique chronique, la kératoconjoncti-ite vernale ou printanière, la kératoconjonctivite atopiquet enfin la conjonctivite giganto-paillaire des porteurse lentilles de contact et de blépharite allergique [4].es conjonctivites vernales et les conjonctivites giganto-apillaires sont plus souvent associées à un ptosis [5].

Différentes hypothèses étiopathogéniques des ptosis liésux blépharoconjonctivites allergiques ont été avancées.urant la phase aiguë, l’œdème palpébral et la taille des

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Ptosis et blepharoconjonctivite allergique chez l’enfant et l’ado

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Figure 2. Ptosis et conjonctivite giganto-papillaire.

papilles dans les conjonctivites giganto-papillaires peuventengendrer un ptosis de cause mécanique pur (Fig. 2). Leptosis est alors réversible sous traitement antiallergique etstéroïde topique. Une inflammation par contiguïté du musclereleveur de la paupière et/ou du muscle Müller peut éga-lement induire un ptosis [5]. Dans notre série, sept patientsont présenté un ptosis mécanique réversible sous traitementantiallergique seul dans quatre cas et anti-inflammatoireassocié dans trois cas. En effet, le traitement antialler-gique seul permet une guérison des formes modérées deconjonctivite allergique perannuelle et printanière [6]. Enrevanche, la survenue d’un ptosis acquis de mécanismeaponévrotique chez les patients atteints de blépharocon-jonctivites allergiques a été rarement rapportée dans lalittérature. Sa fréquence est sous-estimée. En effet, selonune étude portant sur 200 cas de ptosis aponévrotique,76 patients (38 %) avaient une conjonctivite allergique [7].Le frottement oculaire et l’irritation palpébrale chroniquepeuvent être responsables d’une désinsertion aponévrotique[2]. Ce mécanisme de frottement palpébral est égalementimpliqué dans le nettoyage quotidien du visage et dans lesptosis acquis liés au port des lentilles de contact entraî-nant des conjonctivites giganto-papillaires [8]. Les tractionsexcessives et répétées sur la paupière lors de l’ablationdes lentilles pourraient également affaiblir l’aponévrose dureleveur. D’ailleurs, Kersten et al. ont constaté la présenceen peropératoire d’une désinsertion aponévrotique franche,raréfaction ou déhiscence de l’aponévrose du muscle rele-veur de la paupière supérieure [9]. Le frottement oculairechez les patients ayant une blépharoconjonctivite allergiqueavec un prurit oculaire intense induiraient des lésions simi-laires de l’aponévrose du releveur de la paupière supérieure.Il a été suggéré que les fibres terminales de l’aponévrose dureleveur insérées au niveau du tarse pourraient être désin-

sérées par les microtraumatismes chroniques induits par lefrottement oculaire [7,10].

Ce ptosis aponévrotique est caractérisé par sa sévé-rité généralement modérée, sa bilatéralité et une bonne

[

lescent 165

ourse du releveur de la paupière supérieure [2]. Chez nosrois patients ayant un ptosis aponévrotique, l’atteinte étaitilatérale et la fonction du muscle releveur était normale.e ptosis était sévère dans deux cas et modéré dans unas. Le traitement chirurgical, réalisé après stabilisatione l’inflammation et une surveillance de six mois, a per-is de corriger le ptosis dans tous les cas. Griffin et al.

nt également obtenu 100 % de succès sur une série de6 patients présentant un ptosis aponévrotique secondaire

une conjonctivite vernale [2].

onclusion

e ptosis acquis à la suite d’une blépharoconjonctivite chez’enfant peut être d’origine mécanique. Il est alors réver-ible sous traitement topique antiallergique et/ou stéroïde.l peut être également d’origine aponévrotique, secondaireu frottement chronique, et nécessite une correction chi-urgicale.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

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