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Les crises de boulimie à l’adolescence Binge eating during adolescence R. de Tournemire Unité de médecine pour adolescents, CHI de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, 10, rue du Champ-Gaillard, BP 73082, 78303 Poissy cedex, France Reçu le 11 octobre 2012 ; accepté le 26 août 2013 Disponible sur Internet le 3 octobre 2013 Résumé Crise de boulimie, boulimie, hyperphagie boulimique, anorexie-boulimie sont des termes souvent utilisés sans savoir précisément de quoi il s’agit. La littérature médicale est beaucoup plus riche en articles et revues concernant l’anorexie mentale, qui se voit et qui fascine. Ces troubles alimentaires sont pourtant fréquents et les conséquences médicales et psychosociales importantes. ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Binge eating, bulimia nervosa, binge eating disorder, anorexia-bulimia are terms often used without really knowing what precisely one is referring to. Otherwise, there are many articles concerning anorexia nervosa in medical literature, a disease, which can be seen and fascinates. These eating disorders are frequent in today’s society; medical, psychological and social consequences are important. ß 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved. Les crises de boulimie sont une entité mal connue, souvent confondue avec d’autres troubles du comportement alimen- taire (TCA) voire assimilée à une simple frénésie alimentaire ou de la gourmandise. Elles ne se voient pas et restent cachées, secrètes, vécues avec honte. Le clinicien doit savoir les repérer par des questions simples, les préciser par une description détaillée de la crise et des facteurs émotionnels qui l’accompagnent et enfin dire avec empathie qu’il s’agit d’un processus souffrance morale et addiction sont présentes. Cette « toxicomanie sans drogue » a bénéficié ces dernières années des approches utilisées habituellement en addictologie telles que les groupes de parole et les thérapies cognitivo- comportementales. 1. ÉTYMOLOGIE ET HISTORIQUE Le terme de boulimie, emprunté au grec littéralement faim de bœuf apparaît en 1594 (source : Centre national de ressources textuelles et lexicales). Il décrit des comportements orgiaques sans caractère pathologique. La fin du 19 e siècle voit Charles Lasègue en France (1873), William Gull en Angleterre (1874), décrirent respectivement l’« anorexie hystérique » et l’apepsia hysterica. Gull précise que certains de ses patients présentent une alternance de périodes de renoncement alimentaire avec des moments de voracité. La boulimie est mise en exergue dans les années 1970 par les français Bernard Brusset et Laurence Igoin. En 1979, le britannique Gerald Russel propose une définition clinique avec des critères diagnostiques. Le terme de « bulimia nervosa » est alors utilisé. 2. DÉFINITIONS ET DESCRIPTIONS Une crise de boulimie correspond à une prise alimentaire importante en volume, hypercalorique, rapide, le plus souvent Archives de pédiatrie 20 (2013) 1265–1270 Adresse e-mail : [email protected]. 0929-693X/$ see front matter ß 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.08.001

Les crises de boulimie à l’adolescence

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Page 1: Les crises de boulimie à l’adolescence

Les crises de boulimie à l’adolescence

Binge eating during adolescenceR. de TournemireUnité de médecine pour adolescents, CHI de Poissy-Saint-Germain-en-Laye, 10, rue du Champ-Gaillard, BP 73082,78303 Poissy cedex, France

Reçu le 11 octobre 2012 ; accepté le 26 août 2013Disponible sur Internet le 3 octobre 2013

Résumé

Crise de boulimie, boulimie, hyperphagie boulimique, anorexie-boulimie sont des termes souvent utilisés sans savoirprécisément de quoi il s’agit. La littérature médicale est beaucoup plus riche en articles et revues concernant l’anorexiementale, qui se voit et qui fascine. Ces troubles alimentaires sont pourtant fréquents et les conséquences médicales etpsychosociales importantes.� 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

Binge eating, bulimia nervosa, binge eating disorder, anorexia-bulimia are terms often used without really knowing whatprecisely one is referring to. Otherwise, there are many articles concerning anorexia nervosa in medical literature, adisease, which can be seen and fascinates. These eating disorders are frequent in today’s society; medical, psychological andsocial consequences are important.� 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Archives de pédiatrie 20 (2013) 1265–1270

Les crises de boulimie sont une entité mal connue, souventconfondue avec d’autres troubles du comportement alimen-taire (TCA) voire assimilée à une simple frénésie alimentaire oude la gourmandise. Elles ne se voient pas et restent cachées,secrètes, vécues avec honte. Le clinicien doit savoir les repérerpar des questions simples, les préciser par une descriptiondétaillée de la crise et des facteurs émotionnels quil’accompagnent et enfin dire avec empathie qu’il s’agit là d’unprocessus où souffrance morale et addiction sont présentes.Cette « toxicomanie sans drogue » a bénéficié ces dernièresannées des approches utilisées habituellement en addictologietelles que les groupes de parole et les thérapies cognitivo-comportementales.

Adresse e-mail : [email protected].

0929-693X/$ see front matter � 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserve

http://dx.doi.org/10.1016/j.arcped.2013.08.001

1. ÉTYMOLOGIE ET HISTORIQUE

Le terme de boulimie, emprunté au grec – littéralement faimde bœuf – apparaît en 1594 (source : Centre national deressources textuelles et lexicales). Il décrit des comportementsorgiaques sans caractère pathologique. La fin du 19e siècle voitCharles Lasègue en France (1873), William Gull en Angleterre(1874), décrirent respectivement l’« anorexie hystérique » etl’apepsia hysterica. Gull précise que certains de ses patientsprésentent une alternance de périodes de renoncementalimentaire avec des moments de voracité. La boulimie estmise en exergue dans les années 1970 par les français BernardBrusset et Laurence Igoin. En 1979, le britannique GeraldRussel propose une définition clinique avec des critèresdiagnostiques. Le terme de « bulimia nervosa » est alors utilisé.

2. DÉFINITIONS ET DESCRIPTIONS

Une crise de boulimie correspond à une prise alimentaireimportante en volume, hypercalorique, rapide, le plus souvent

s.

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Tableau 1Critères du DSM-5 pour la boulimie.

A. Survenue récurrente de crise de boulimie (binge eating). Une crise de boulimie répond aux deux caractéristiques suivantes1. L’absorption, en une période de temps limitée (par exemple, moins de 2 h), d’une quantité de nourriture largement supérieure à ce que la plupart des

gens absorberaient en une période de temps similaire et dans les mêmes circonstances2. Le sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise (par exemple, sentiment de peur de ne pas pouvoir s’arrêter

de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce que l’on mange ou la quantité que l’on mange)B. Comportements compensatoires inappropriés et récurrents visant à prévenir la prise de poids, tels que : les vomissements provoqués ; l’emploi

abusif de laxatifs, diurétiques, lavements ou autres médicaments ; le jeûne ; l’exercice physique intensifC. Les crises de boulimie et les comportements compensatoires inappropriés surviennent tous deux, en moyenne, au moins une fois par semaine pendant

trois moisD. L’estime de soi est influencée de manière excessive par le poids et la forme corporelleE. Le trouble ne survient pas exclusivement pendant des épisodes d’anorexie mentale

Tableau 2Critères du DSM-5 pour l’hyperphagie boulimique (traduction de l’auteur).

A. Survenue récurrente de crise de boulimie (binge eating). Une crise de boulimie répond aux deux caractéristiques suivantes1. L’absorption, en une période de temps limitée (par exemple, moins de 2 h), d’une quantité de nourriture largement supérieure à ce que la plupart

des gens absorberaient en une période de temps similaire et dans les mêmes circonstances2. Le sentiment d’une perte de contrôle sur le comportement alimentaire pendant la crise (par exemple, sentiment de peur de ne pas pouvoir s’arrêter

de manger ou de ne pas pouvoir contrôler ce que l’on mange ou la quantité que l’on mange)B. Les épisodes de crises de boulimie sont associés avec au moins trois des points suivants

1. Absorption alimentaire beaucoup plus rapide qu’habituellement2. Absorption alimentaire jusqu’à la sensation désagréable de plénitude gastrique3. Absorption de grandes quantités de nourriture en l’absence de sensation de faim4. Prises alimentaires seul(e) en raison de la gêne éprouvée liée à la façon dont on mange5. Sentiment d’un dégoût de soi, de déprime ou d’une forte culpabilité après la crise

C. Présence d’une grande détresse liée aux crises de boulimieD. Les crises de boulimie surviennent, en moyenne, au moins une fois par semaine pendant trois moisE. Les crises de boulimie ne sont pas associées à des comportements compensatoires récurrents (par exemple, les vomissements) et ne surviennent pas

exclusivement pendant des épisodes de boulimie ou d’anorexie mentale

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réalisée en cachette, avec sensation de perte de contrôle. Lapersonne concernée se sent généralement très coupable ethonteuse de n’avoir pas pu résister à cette compulsion ets’inquiète des conséquences pondérales. Il existe à ce momentdes risques de passage à l’acte – scarification, tentative desuicide, suicide, consommation de médicaments ou de toxiques– pour apaiser ou faire cesser la tension interne. Une crise deboulimie est souvent suivie de comportements compensatoirespour éviter la prise de poids. La fréquence de ces crises enpopulation adolescente est élevée. En France, au cours del’enquête téléphonique « Baromètre Santé Jeune 97/98 », 5 %des adolescents de 12 à 19 ans déclaraient avoir souvent mangéénormément avec de la peine pour s’arrêter. Les filles étaientdeux fois plus nombreuses que les garçons. Sur l’ensemble desadolescents interrogés, 3,7 % se faisaient rarement vomir, 0,8 %souvent.

Les crises de boulimie peuvent se retrouver dans différentsTCA.

Nous présentons les trois grandes entités syndromiquesissues des classifications internationales et françaises compor-tant des crises de boulimie : la classification. Il s’agit de laClassification internationale des maladies (CIM), publiée parl’Organisation mondiale de la santé dont la dernière version datede 2006 (CIM-10, CIM-11 prévue en 2014) ; la classification« Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders » publiéepar la Société américaine de psychiatrie dont la 5e version estsortie en mai 2013 (DSM-5 ; cf. Tableaux 1 et 2) ; la classification

française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent –CFTMEA – système de classification établi en 1987 sous ladirection du pédopsychiatre Roger Misès pour pallier lesmanques et contrebalancer la vision réductionniste etéconomique des systèmes internationaux et américains, réviséeen 2000.

2.1. L’anorexie-boulimie ou anorexie mentale nonrestrictive avec crises de boulimie

L’anorexie-boulimie associe restriction alimentaire et crisesde boulimie. L’indice de masse corporelle (IMC) est inférieur àcelui attendu pour l’âge et au couloir jusque-là poursuivi. Chezles filles, une aménorrhée est fréquente.

2.2. L’hyperphagie boulimique (en anglais : bingeeating disorder)

Répétition de crises de boulimie sans comportementcompensateur. Il s’ensuit une prise de poids avec décalagevers le haut de l’IMC Fig. 1. Le DSM-5 en fait une catégorie àpart entière à coté de l’anorexie et de la boulimie.

2.3. La boulimie

La boulimie ou boulimie nerveuse est définie par larépétition fréquente de crises de boulimie suivies de

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Fig. 1. Courbe de corpulence d’une adolescente atteinte d’ hyperphagieboulimique. Amélie 16 ans, consulte en pédiatrie-médecine pour adolescentscar elle se trouve trop grosse et souhaite maigrir. Elle est conseillée depuis3 mois par une diététicienne, période au cours de laquelle elle dit avoirmalgré tout continué à prendre du poids. Le médecin est d’emblée alerté parcette demande, en raison de sa corpulence qui semble normale. Lareconstitution de la courbe de corpulence Fig. 1 montre une corpulencesur le 50e percentile jusqu’à 14 ans. Il existe ensuite un changement de couloirvers le haut. L’IMC est proche du 90e percentile, apparaissant plus ou moinsnormal si l’on ne connaît pas l’historique de sa corpulence. Suite à laréalisation de cette courbe, une simple question du type « cela t’arrive t-il demanger en cachette de grandes quantités de nourriture ? » permettra de fairele diagnostic d’hyperphagie boulimique.

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comportements compensateurs visant à éviter la prise de poidspotentielle. Il s’agit le plus souvent de vomissements provoquésmais sont également possibles une hyperactivité intense, la

Fig. 2. Dessin d’une adolescente de 15 ans suivie pour une anorexie mentale sévèperception corporelle en comparant la silhouette à 13 ans (58 kg) et à 15 ans (60

prise de laxatifs, le saut des repas suivants ou, chez lediabétique, l’omission volontaire d’injections d’insuline. Lepoids et l’IMC sont donc généralement normaux. Chez la fille,les règles sont parfois irrégulières. Contrairement à l’anorexie-boulimie, la boulimie ne se voit généralement pas, y compris surles courbes de corpulence !

Les critères du DSM-IV-R (version précédant le DSM-5)précisent la fréquence des épisodes pour poser le diagnostic deboulimie : au moins deux épisodes par semaine (boulimie etcontrôle du poids) pendant au moins 3 mois. Le DSM-5 réduitla fréquence des crises de deux fois par semaine à une fois parsemaine. Ce changement permet à un plus grand nombre depersonnes souhaitant être soignées d’entrer dans cettecatégorie (remboursement par les assurances américaines).

2.4. Les crises de boulimie n’entrant pas dans lestrois cadres précédents

Ce sont les TCA dits non spécifiés. Les personnes atteintesne remplissent pas l’ensemble des critères d’une des troiscatégories sus-décrites. Dans le DSM-5, cela correspond auxdifférentes situations classées sous l’item « Feeding and EatingConditions Not Elsewhere Classified » qui a remplacé l’item« Eating Disorder Not Otherwise Specified » – EDNOS – onretrouvera ici les adolescent(e)s qui ont eu quelques crises deboulimie sur une courte période.

3. POPULATIONS ET SITUATIONS À RISQUENÉCESSITANT UN DÉPISTAGE LARGE

3.1. Les adolescent(e)s en général, et plusparticulièrement ceux ayant une faible estime desoi

Ainsi, il est important de rechercher des crises de boulimiechez des adolescent(e)s présentant des conduites à risque, desidées suicidaires, des symptômes « flous », des symptômes

re ayant évolué vers une boulimie. On remarquera entre autres le trouble dekg).

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dépressifs. La prévalence de la boulimie est nettement plusélevée chez les filles.

3.2. Les adolescent(e)s anorexiques ou ayant eu unépisode d’anorexie mentale

Entre 30 à 50 % d’entre eux connaîtront au décours del’anorexie des épisodes boulimiques (cf. Fig. 2).

3.3. Les adolescent(e)s pratiquant des sports

Les adolescent(e)s pratiquant des sports où le poids est unecontrainte (disciplines esthétiques ou à catégorie de poids,valorisant ou nécessitant le contrôle du poids ; disciplines àfaible poids corporel tels les sports d’endurance) et les sujetssuivant un régime particulier (diabète, maladie cœliaque,hypercholestérolémie).

4. SYMPTÔMES OU SIGNES POUVANT FAIREEVOQUER DES CRISES DE BOULIMIES (ASSEZRARES)

4.1. Douleurs abdominales

Douleurs abdominales ou rétro-œsophagienne récurrentes,conséquence des comportements d’hyperphagie ou de purge.

4.2. Signe de Russel

Excoriation au niveau métacarpo-phalangien de la maindroite dominante, consécutive au frottement du dos de la mainsur l’arcade dentaire supérieure lors de vomissementsprovoqués Fig. 3.

Fig. 3. Signe de Russel chez une jeune fille boulimique de 18 ans.

4.3. Parotidomégalie

Une parotidomégalie ou plus globalement une sialomégaliedoivent faire rechercher des vomissements chroniques.

4.4. Lésions dentaires ou parodontales

Consécutives aux vomissements ou à la consommation decertains aliments comme le vinaigre (la vinaigrette sans huile !),le jus de citron, le pamplemousse ou encore les Cola light, lesatteintes possibles sont nombreuses : érosion amélaire desfaces palatines et linguales des incisives avec raréfaction del’émail et coloration jaunâtre, mylolyse, caries, parodontite ethalitose.

4.5. Découverte fortuite d’une hypokaliémiehypochlorémique avec alcalose métabolique

Les vomissements chroniques peuvent être responsablesd’une perte d’eau mais également d’une perte de sodium, dechlore et de potassium. L’hypokaliémie est alors laconséquence d’un hyperaldostéronisme par hypovolémie(perte d’eau et de sodium) combiné à une alcalose métabolique(perte d’ion H+ et chlore) et à une perte directe d’ion K+

5. RECHERCHER UNE BOULIMIE ET PLUSLARGEMENT UN TCA

La recherche de crises de boulimie et plus largement d’unTCA repose sur une ou deux questions simples comme :« Avez-vous ou avez-vous eu un problème avec votre poids ouvotre alimentation ? » ou « Est-ce que quelqu’un de votreentourage pense que vous avez un problème avecl’alimentation ? » (source : Haute Autorité de santé. Anorexiementale : recommandations de bonne pratique 2010).

On peut aussi utiliser le questionnaire DFTCA (SCOFF enanglais) où 2 questions positives sont fortement prédictivesd’un TCA :� vous faites-vous vomir parce que vous vous sentez mal

d’avoir trop mangé ?� vous inquiétez-vous d’avoir perdu le contrôle de ce que vous

mangez ?� avez-vous récemment perdu plus de 6 kg en 3 mois ?� pensez-vous que vous êtes gros(se) alors que d’autres vous

trouvent trop mince ?� diriez-vous que la nourriture domine votre vie ?

6. PROPOSITIONS THÉRAPEUTIQUES POURLE PÉDIATRE

6.1. Information

Informer l’entourage proche susceptible d’aider l’adoles-cent(e) en contenant les orgies alimentaires (courses au jour lejour, cuisine – locaux et activité – interdite, repas en famille ouavec des amis, argent de poche limité. . .). Cette informationdoit être faite avec tact, sans stigmatiser ni l’adolescent(e) ni la

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Encadré 1. Extrait d’un mail de la mère d’une jeune filleanorexique-boulimique de 16 ans adressé au médecin

(les prénoms ont été modifiés)« Guénola est rentrée jeudi soir le 30 août en forme de sesvacances en Corse, elle a meilleure mine et a apparemmentpris qq kg, qu’elle regrette amèrement bien sûr. Elle serait à44 kg et a décidé de jeûner tte la semaine pour redescendreà 40.Qd je lui ai demandé ce qui lui ferait plaisir que j’achète pr elleaux courses samedi elle m’a annoncé : rien ! et ensuite aprétexté qu’elle mangerait chez son copain. Comme je ne faisles courses qu’une fois par semaine le samedi, je lui ai pris dequoi se faire 2 ou 3 repas légers au cas où elle changeraitd’avis : 2 melons, 2 concombres, 1 pizza végétarienne, unpaquet de céréales, et bien sûr pr moi des courses normales.Lorsqu’elle est revenue samedi soir à la maison avec soncopain, je suis sortie voir des amies, et j’ai reçu les 3 SMS ci-dessous sdi soir vers 23 h. J’ai franchement eu la netteimpression d’être agressée, d’autant qu’elle continue defumer ds sa chambre alors que je lui ai formellement interditcar cela commence à sentir le tabac froid ds tt l’appartementet cela m’incommode fortement. Même si je fume moi-même un paquet par semaine, je ne fume pas à la maison. Elleme parle très mal depuis qu’elle a décidé que j’étais respon-sable de son anorexie mi-juillet, par manque d’attention à sonégard. Il faudrait que je sois à son écoute et disponible qd ça lachante et elle ne veut absolument pas tenir compte de mescontraintes professionnelles et mes absences répétées etsouvent imprévisibles pr m’occuper d’elle compromettentsérieusement mon emploi (mais comment vivrions ns sansmon salaire ?). J’avoue que je suis excessivement lasse de lasituation et de sa tyrannie à mon égard [. . .].SMS : Pourquoi tu ne m’as pas écouté quand je t’ai dis de nerien acheter aux courses pour moi sachant que toute lasemaine je mangeais chez Vincent et non à la maison ? Nonen fait pourquoi tu ne m’écoutes jamais alors que tu sais queça me met toujours dans des états pas possible ?SMS : Et pourquoi des céréales alors qu’il reste encore unpaquet auquel je ne touche pas depuis des mois ? Maispourquoi, mais pourquoi tu me fais ça. . . ?SMS : Et les mikados et les gâteaux. Bien joué. Demain je faisma valise, je reste pas à la maison ».

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famille, avec l’accord que l’on s’efforcera d’obtenir del’adolescent(e).

6.2. Prévention

Prévenir les complications organiques : inhibiteur de lapompe à protons en cas de douleurs rétro-œsophagiennes oud’atteinte dentaire ; surveillance du ionogramme sanguin etprescription de potassium à distance des vomissements en casd’hypokaliémie (à noter que l’hypokaliémie est inconstante etqu’elle n’est que rarement retrouvée ultérieurement si le bilanionique initial est normal et que le TCA demeure inchangé) ;rinçage de la bouche avec de l’eau plutôt qu’un brossage desdents corrosif juste après un vomissement ; surveillancedentaire en expliquant au chirurgien-dentiste, avec l’accord dela patiente, ce qui doit être recherché.

Si le sujet prend des médicaments et notamment une pilulecontraceptive, l’informer de la nécessité de la prendre àdistance des vomissements.

6.3. Accompagnements possibles vers une prise encharge psychologique

Aider l’adolescent(e) à s’engager avec vous ou avec unpsychothérapeute autour d’un travail sur l’estime de soi et lacompréhension de sa souffrance (histoire personnelle oufamiliale douloureuse).

Proposer une approche cognitivo-comportementale, parti-culièrement adaptée à cette addiction sans drogue. Desouvrages facilement accessibles proposent des programmesque le patient peut suivre seul (voir paragraphe 7). Les résultatssont un peu supérieurs si le patient est accompagné par unprofessionnel dans cette démarche.

Envisager une thérapie familiale systémique pours’appuyer sur les compétences familiales. La communicationfamiliale est souvent perturbée par ce symptôme (Encadré1). Il existe des interactions symétriques avec alternance dephases d’avidité et de rejet de l’autre à l’image du TCA où lasensation de vide finit par conduire le sujet à se remplir pourse sentir vivre.

7. OUVRAGES ET SITES UTILES

7.1. Pour les familles et les adolescents (et lesprofessionnels)

Les patients et leur famille pourront trouver des ressourcesdans les ouvrages suivants :� Schmidt U, Treasure J. La boulimie s’en sortir repas après

repas, Estem; 1998 ;� Nef F, Simon Y. Comment sortir de la boulimie, O. Jacob;

2004 ;� Doyen C, Cook Darzens S. Anorexie et boulimie : vous

pouvez aider votre enfant ?, Dunod; 2004 ;� Perroud A. Faire face à la boulimie, une démarche efficace

pour guérir, Retz; 2006.

7.2. Pour les professionnels

Les professionnels pourront enrichir leurs connaissancesthéoriques et pratiques en consultant notamment les ouvrageset sites suivants :� Brusset B. L’assiette et le miroir, Toulouse: Privat; 1977 ;� Igouin L. La boulimie et son infortune, Paris: PUF; 1979 ;� Russel G. Bulimia nervosa; an ominous variant of anorexia

nervosa. Psychol Med 9: 429-448, 1979 ;� Flament M. Jeammet P. La boulimie, réalités et perspectives,

Paris: Masson; 2000 ;

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R. de Tournemire / Archives de pédiatrie 20 (2013) 1265–12701270

� Alvin P, editor Anorexies et boulimies à l’adolescence,Collection Conduite 4e édition Paris: Doin 2013 ;� Anorexie mentale: prise en charge. Recommandations de

bonne pratique HAS, 2010 http://www.has-sante.fr/portail/jcms/c_985715/anorexie-mentale-prise-en-charge ;� Association française pour le développement des approches

spécialisées des troubles du comportement alimentaire,l’AFDAS-TCA. L’association est constituée de professionnels

du soin et s’attache à la prévention, à la formation et à larecherche dans le domaine des TCA : www.anorexiebou-limie-afdas.fr.

DÉCLARATION D’INTÉRÊTS

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts enrelation avec cet article.