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Les Drôlesses

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D u m ê m e a u t e u r

AUX MÊMES ÉDITIONS

Dictionnaire du français branché Ire éd. 1986 suivi du

Guide du français tic et toc 2e éd., coll «Point-Virgule », 1989

Le Blues de l'argot coll. « Point-Virgule », 1990

Le Yaourt mode d'emploi coll. « Petit Point », 1991

Le Déchiros roman

coll. Point-Virgule, 1991

Lexique du français tabou coll. Point-Virgule, 1993

CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS

Amin Dada ou les sombres exploits d'un sergent de l'armée britannique

Régine Deforges, 1978

Le Café-théâtre PUF, coll. « Que sais-je ? », 1985

Les Beatles (en collaboration avec Jacques Volcouve)

Solar, 1987

L'Assassinat de John Lennon Fleuve noir, 1993

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Pierre Merle

Les Drôlesses

Editions du Seuil

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COLLECTION DIRIGÉE PAR NICOLE VIMARD

ISBN 2 - 0 2 - 0 1 9 5 9 9 - 2

© ÉDITIONS DU SEUIL, FÉVRIER 1 9 9 5

Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

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E n g u i s e d e p r é f a c e

Du comique de la robe et des bigoudis...

« C'était dans les années 50, raconte Micheline Dax. Je devais tourner un film quelconque à la mords-moi- le-doigt. J'ai d'ailleurs complètement oublié le titre de l'oeuvre, ainsi que le nom du réalisateur ! Ce dont je me souviens en revanche, c'est qu'en me rencontrant il m'a dit à peu près ceci : "Voilà votre rôle, et je vous pré- viens, il faudra mettre une robe comique et des bigou- dis." Un peu interloquée, je lui réponds aussi sec : "Une... quoi?" Et lui, imperturbable: "Une robe comique. Et des bigoudis." Alors je lui dis : "Eh bien, monsieur, la robe, la voilà ! Je vous apporterai des bigoudis, et vous les ferez tourner ! Et si cela fait rire, je veux bien. Mais dans ce cas-là, moi, c'est même pas la peine que je vienne !..."»

La discussion, on s'en doute, s'arrêta là. Le réalisa- teur se fâcha, et Micheline Dax ne fit pas le film. Elle avoue aujourd'hui ne pas s'en porter plus mal.

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Introduction

Truculentes, culottées, allusives, moqueuses, iro- niques, délirantes, titilleuses, fofolles ou gaillardes, elles sont partout, ces temps-ci, les drôlesses. Sur toutes les scènes, grandes ou petites, et sur tous les écrans. Drô- lesse ? « Une réjouie, qui est gaye, de bonne humeur », comme dit ce bon Philibert-Joseph Le Roux dans son Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial (édition de 1750). De nos jours, indis- cutablement, ces drôles de dames sont passées maî- tresses dans l'art de jouer sur les mots et les situations, ainsi que dans celui de croquer leur époque et ses tics. Le plus souvent d'ailleurs - bien que la chanson, tradi- tionnellement, ne soit pas oubliée - grâce à ces fameux one woman shows, la plupart du temps à base de gale- ries de portraits, ou bien à l'association à plus ou moins long terme de deux, voire trois tempéraments drola- tiques. Nombreuses sont, en 1995 et pas seulement à Paris, les officines du rire encore un peu abusivement appelées cafés-théâtres qui peuvent s'enorgueillir d'avoir vu naître à la scène toutes celles qui, de Muriel Robin à Josiane Balasko, de Valérie Lemercier à Char- lotte de Turckheim, en passant par Anne Roumanoff ou Virginie Lemoine, pour ne citer qu'elles, tiennent aujourd'hui le haut du pavé du rire. Le haut du pavé, oui ! Parce que ce vieux bastion de mâles qu'est le rire

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n 'a pas su se renouveler. Il n 'a pas encore su remplacer ses stars disparues qui avaient pour noms Coluche ou Le Luron, ni ses vedettes vieillissantes, de l'étourdissant Devos au politiquement correct Bedos, en passant par l 'anar Romain Bouteille ou le lunaire Bernard Haller. A une ou deux exceptions près en effet, le « rire au mas- culin» se contente, du côté de 1995, de démarquages plus ou moins habiles, de copies plus ou moins con- formes. Et surtout d'imitateurs plus ou moins inspirés.

Les femmes, en revanche, ont carrément repris le flambeau, la flamme du rire. Et pas par surprise ! A la régulière ! Doucement et sûrement. Finies, balayées désormais, les comparaisons hasardeuses qu 'on osait encore voici dix ans à peine, genre : Unetelle, c 'est Coluche-au-féminin, Unetelle c 'est Devos-en-jupons, et telle autre pourrait bien être une De Funès-en-den- telles. Le haut du pavé, donc, même si elles ne sont pas toujours responsables à cent pour cent de leurs textes, et s'il est vrai que, parfois, la main secourable qui les aide à tenir la plume est celle d 'un homme. Même si on leur reproche quelquefois (et pas toujours à tort) de se cantonner, dans leurs sketches, aux choses de la vie quotidienne (traduisez : de trop parler mecs, grossesses, fringues, régimes, micro-ondes, seins-en-gant-de-toi- lette, baby-sitting-lifting-cuisine). La politique ? C'est vrai, elles l'évoquent peu. Mais elles ont leurs (bonnes) raisons.

« La politique, on s'en fout, nous ! On sait bien que c 'est du pipeau, que c 'est pas ça qui fait changer le monde. Je crois que la façon dont on [les femmes] observe la société, c'est notre façon à nous de voir les choses » (Charlotte de Turckheim, France 2, le 2 jan- vier 1992).

De fait, la critique parfois adressée au comique fémi- nin de faire l'impasse sur la satire politique est un peu

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décalée, pour ne pas dire franchement dépassée. Tout le monde sait que les grandes idées, aujourd'hui, bof !... La tendance n'est-elle pas, d'ailleurs, aux choses dites (l'expression est du reste devenue épidémique jusqu'à l'écœurement) « de proximité » ?

Bref : les drôlesses, qu 'on persiste à les appeler humoristes en dentelles, en jupons, en jupes-culottes ou non, amusent, agacent, asticotent, surprennent, inno- vent à qui mieux mieux avec les ingrédients de leur époque. Leur vraie place au soleil, elles ont commencé à se la faire du côté du début des années 70, au moment de la vague féministe triomphante. Les défricheuses de cette époque-là, nous les avons appelées les engagées. Engagées dans le combat féministe, elles ne l'étaient pas toutes, bien sûr. C'est l'époque qui était à l'engage- ment. Avec ce qu'il recelait encore de contestation acide. C'est cette époque-là qui a libéré la veine comique au féminin en ouvrant aux femmes, qui avaient tant de choses à dire, la brèche culturelle dont elles avaient besoin, et qui s'appelait le café- théâtre (première manière). Souvent seules (Sylvie Joly, Mar ianne Sergent, Dominique Lavanant, et tant d'autres), parfois en groupe (comme les Jeanne) , plus rarement en troupe (comme Josiane Balasko au sein du Splendid), elles ont alors su enfiler les gants de la dérision pour dire tout ce qu'elles avaient à dire, et peindre tout ce qu'elles avaient à peindre.

Les héritières de cette grande vague-là, les Lemer- cier, Robin, Roumanof f et consœurs, on ne pouvait guère les baptiser ici autrement que les dégagées. Dégagées, bien entendu, comme leurs aînées, des con- traintes langagières de toutes sortes (sous-entendus divers compris) qui étaient le plus souvent le lot des rigolotes du temps jadis, mais aussi libérées des thèmes tournant autour du féminisme et de ses retombées,

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libres d'aborder tous les genres, même les pires (Valé- rie Le mercier n ' a pas craint de renouer, même si ce n'est pas ce qu'elle a fait de mieux, avec le style péto- mane...), et surtout follement individualistes.

C'est naturellement sur ces deux générations-là que, si l 'on ose dire, on se penchera le plus longuement ici. Mais on n'oubliera pas pour autant les autres, plus traditionnelles dans leur comique, ou carrément classi- cisées. Ce seront d'ailleurs nos classiques, de l'incon- tournable Jacquel ine Mail lan, reine incontestée du Boulevard, disparue en 1992, à Anne-Marie Carrière, authentique pionnière du one woman show moderne, en passant par Maria Pacôme, grande « nature » devant l'Eternel, et bien entendu la pétulante Micheline Dax.

On n'oubliera pas non plus de saluer au passage et en toute subjectivité, cela va sans dire, les excentriques qui les ont précédées à la scène ou à l'écran (Pauline Car- ton, Arletty et les autres), ni ces dames du caf 'conc' , de Thérésa à Yvette Guilbert, sans se priver de jeter un petit coup d'œil en douce aux dessous de la Goulue, parce qu'il faut ce qu'il faut, comme on dit, et qu'après tout «c ' e s t quand même un mec qui a pondu ce babillard [livre] », comme l'égérie de Lautrec elle- même n'aurait sans doute pas manqué de le souligner dans son vert langage !

Prévenance oblige, commençons par les aïeules.

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L e s a ï e u l e s

Folles, friquettes, prima-gueula, etc.

Les premières drôlesses furent sans doute, si l 'on en croit la légende (et pourquoi ne la croirait-on pas ?), ces véritables Pipo et Mimile mythologiques au féminin répondant aux doux noms de Baubo et Iambé. Ce que réalisa Iambé, fille de Pan et d 'Echo et servante de Métanire (femme de Céléos, roi d'Eleusis), n'est pas rien. En effet, elle réussit par ses bons mots à faire rire Demeter, déesse de l'agriculture, inconsolable de la dis- parition de sa fille Perséphone. Elle ne fit d'ailleurs que préparer le terrain pour l ' impudique Baubo qui, n 'y allant pas par quatre chemins, exécuta, quant à elle, devant la déesse, toutes sortes de gesticulations, danses du ventre et pitreries, allant carrément jusqu'à lui mon- trer son cul, ce que Demeter, pas bégueule, trouva irré- sistible.

La coutume de l'amuseur, du bouffon attaché au ser- vice des riches et puissantes familles remonte d'ailleurs elle aussi à la plus haute antiquité. Lors des banquets se succédaient alors jongleurs, illusionnistes, mon- treurs d'ours, acrobates et aretalogi, sortes de philo- sophes pour rire qui parsemaient leurs histoires d'inventions et d'improvisations diverses et variées. Or il se trouve que, parfois, le bouffon était une bouf-

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fonne. La femme de Sénèque avait la sienne, Harpaste, comme plus tard les duchesses et les reines eurent les leurs. Ainsi Isabeau, femme de François I duc de Bre- tagne, était flanquée presque en permanence d 'une Françoise la Folle ; quant aux deux épouses de Fran- çois II, dernier duc de Bretagne (de 1458 à 1488) et père d'Anne, qui allait devenir reine de France, on leur en connaît plusieurs, dont une Colette et une Dame de Toutes-Couleurs. On en signala d'autres à la cour d'An- jou, répondant aux délicieux sobriquets de Michon la Folle ou Gillette la Brune. Sous François I roi de France, une certaine Margot la Musette se rendra célèbre dans Paris en jouant de son instrument à vent avec force gestes et mimiques. A la Cour même, on connaissait bien la silhouette d'une certaine Catelot, ou Cathelot, propriété de la sœur du roi, Marguerite d'An- goulême. Catherine de Médicis eut aussi la sienne en la personne de la délurée Jacquette, et cela dès 1570.

Mais, de toutes ces folles « historiques », la plus célèbre reste celle qu'on appelait à Paris, particulière- ment dans l'île de la Cité, où elle se rendait régulière- ment sur une méchante haridelle blanche pour conter aux badauds les derniers potins, la folle Mathur ine . Cela se passait du côté de la fin du règne de Henri III, qui, bien qu'en pinçant plutôt pour les garçons, l'avait prise en affection. Pourquoi Mathur ine (dont on sait que ce n'était pas son vrai nom) ? Sans doute parce que la coutume voulait, au X V siècle, qu'on priât saint Mathurin pour obtenir la guérison des fous.

Outre les prestations des folles ou bouffonnes, il faut bien dire que le comique au féminin, au cours des siècles, se cantonna traditionnellement entre harangues de poissardes, gouaille de ribaudes et farces de fri-

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macrobiotique et après-midi psy à injection directe, jus- qu'à la recruteuse d'un de ses meilleurs sketches : L'Embauche.

Virginie Lemoine est jeune, belle (nous l'avons déjà souligné, à nos risques et périls, ce n'est pas si courant que cela, dans la sphère comique...) et drôle. Avec trois années passées au conservatoire de Rouen, elle a une formation de type classique et a même joué (qui l'eût cru?) Chimène. Elle se revendique à la fois comme femme de radio (Rien à cirer sur France-Inter), de télé- vision (Ainsi font, font, font avec Jacques Martin puis Studio Gabriel avec Michel Drucker sur France 2) et bien sûr, surtout, comme femme de scène (elle est devenue, courant 1993, un des piliers du café-théâtre le Point-Virgule, avec un spectacle solitaire aussi original que drôle : Le Syndrome de Mme Chiasson

Le Syndrome n'est pas sa première pièce, puisque, après avoir joué dans plusieurs spectacles depuis une dizaine d'années, elle a déjà écrit et interprété deux one woman shows : Les Ginettes et 100 % polyamide (joué environ quatre cents fois). Idem avec la radio, d'ailleurs, où Rien à cirer est loin d'être sa première participation sur les ondes puisqu'elle a participé au Vrai-faux journal et à C'est pas drôle tous les jours en 1989-1990. On a pu l'entendre aussi sur Europe 1 dans Lamy public n° 1 et C'est pour rire, après l'avoir découverte, du côté de 1985, dans Les hommes préfè- rent les ondes sur Fréquence gaie.

A vrai dire, Le Syndrome de Mme Chiasson a été écrit par Virginie Lemoine et Renaud Alberny, qu'elle a ren- contré à France-Inter dans le Vrai-faux journal, et qui a ensuite écrit des textes pour l'émission de Claude Vil- lers Marchand d'histoires.

Mme Chiasson, son personnage, se débat avec ses

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rêves dans une pièce où trône un vaste fauteuil rouge à géométrie variable. Ce fauteuil, elle ne le déplie qu'à la fin quand son personnage rêve de tapis rouge et de descente majestueuse de l'escalier des Folies-Bergère. Saugrenu ? Inattendu ? A souhait ! Seule allusion « poli- tique politicienne » du spectacle : quand elle se demande quelle différence il peut bien y avoir entre une crêpe au fromage et Balladur. Pas bien méchant, n'est- ce pas ? Pour le reste, elle admet préférer l'absurde à la critique sociale. Quant à se rapprocher d'une famille comique, bof !

« Je ne crois pas vraiment à ça, confesse-t-elle. J'adore faire le pitre, c'est tout. Dénicher le Devos ou le Coluche au féminin ne me paraît pas très intéressant. Je crois qu'il faut trouver son identité propre, et tra- vailler. »

Influences ? C'est vrai que les femmes comiques ne sont pas nées d'hier, même si leur façon de faire l'hu- mour évolue - et c'est la moindre des choses - au fil du temps. Chez les classiques, elle avoue avoir une petite préférence pour Pauline Carton, Gabrielle Dor- ziat, Jacqueline Maillan et Colette Bros set. Plus près de nous, pour Sylvie Joly et Anne Roumanoff. Mais elle admet aussi (et c'est le cas chez beaucoup de nos comiques actuelles) que c'est plutôt du côté des hommes qu'il faudrait chercher la route.

Au cours des années 80-90, Virginie Lemoine en est d'ailleurs un exemple récent, on a vu fleurir un peu par- tout sur les ondes, sur les écrans, des femmes d'hu- mour. On pourrait citer, pêle-mêle, Viviane B las sel et son billet matinal du vendredi de TF1, Sophie Dar- maillacq et Marie Colmant (Passé les bornes, il n'y a plus de limites, sur Inter), Isabelle Mergault (version Grosses Têtes), Amanda Lear (version Grosses Têtes

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et divers talk shows...), Chantal Lauby, égérie des Nuls de Canal +, Laurence Boccolini (Rien à cirer, sur France-Inter, entre autres), Christine Bravo et « ses filles » (Frou-Frou sur France 2), etc. La liste, si on la voulait vraiment exhaustive, serait longue, davantage côté tentatives, du reste, que côté vraies révélations !

Cependant, quelques individualités, quelques authen- tiques tempéraments comiques ont émergé, ça et là. C'est le cas de Sonia Dubois, la découverte quintal de Christine Bravo dans Frou-Frou, qui assure, tambour battant, la rubrique mode-beauté et trouvailles, ce qui ne l'empêche nullement de sévir également sur les ondes de RTL.

« Christine Bravo avait vu un papier de moi dans Glamour, explique Sonia Dubois. C'était un article "spécial rondes"! Je l'ai rencontrée sur le plateau de son ancienne émission, ça a été le fou rire intégral. Et voilà ! »

Un peu classique, comme histoire, non? Un peu conventionnel, aussi sans doute...

Télé, toujours : Catherine Lachens fait partie de ces actrices dont le visage dit beaucoup plus facilement quelque chose que le nom. Cette belle femme blonde aux yeux perpétuellement écarquillés et à l'immense et carnassière bouche rouge a certes tourné dans près d'une quarantaine de films, joué dans une bonne ving- taine de pièces, mais elle doit une large part de sa célé- brité... à la publicité qui a su admirablement exploiter son inénarrable sourire. Au hasard : riz Lustucru, confi- ture Materne et papier toilettes Lotus (1985) !

« La publicité, pour un comédien, dit-elle, cela équi- vaut à faire une gamme de haut niveau. Il est vrai aussi qu'elle peut vous faire rencontrer des gens, des metteurs

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en scène par exemple. Mais il faut savoir jusqu'où on peut aller avant d'être trop catalogué. Ce qui fait qu'on ne sait pas toujours à l'avance si accepter une pub "de ' plus" sera bénéfique ou si ce sera une grosse sottise. »

Il faut reconnaître que, ces dernières années, elle a su mettre la pédale douce sur la pub. Son admiration va depuis toujours à Arletty et à Anna Magnani. Elle résume ainsi sa carrière :

« L'idéal, c'est quand on vous reconnaît et que l'on vous dit : "Je vous ai beaucoup aimée dans la pub pour Lotus" et qu'on s'empresse d'ajouter : "Mais vous étiez formidable aussi dans Le Malade imaginaire !" »

Ce n'est pas Marie-Pierre Casey, qui a fait rire toute la France le temps d'une pub pour la bombe Pliz (« J'f'rais pas ça tous les jours ! »), mais qui n'a pas fait que cela, loin s'en faut, qui irait dire le contraire !

Rayon chanson : en cette période 80 où la musique rock (ou para ou pseudo-rock) prend, côté blague, le relais d'un style de café-théâtre-rigolo-militant plutôt moribond, la variété clownesque tire son épingle du jeu. On ne va pas faire ici la liste des aimables plai- santeries sur trois accords qui ont amusé la France le temps d'une chansonnette, comme la Capsule à Paulo d'Agathe Godard, ou, plus tard, Toi toi, mon toi d'Elli Medeiros. Néanmoins, quelques individualités sont à sortir du lot, comme par exemple Lio, une brune « qui compte pas pour des prunes », Catherine Ringer, intello-rigolo des Rita Mitsouko, Caroline Lœb et son surréaliste C'est la ouate, ou encore Pauline Ester, Guesh Patti, et quelques autres sans doute.

Lio débarque en fait en 1979 avec Banana Split et une voix criarde aux limites du supportable, qui n'est

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pas sans rappeler celle de France Gall à ses débuts. Lio, déjà très sûre d'elle, look délibérément « lolita-sucre- et-sel », éclaire :

« On dépensait plein d'énergie à se battre contre les maisons de disques, contre les médias, contre tous ceux qui ne comprenaient rien à notre démarche : nous étions magnifiquement naïfs et entiers ! »

De 1982 à 1985, elle sort des 45 tours allant de la douce mélancolie à un fun enfantin, et fait ses premiers pas dans le cinéma avec Elsa Elsa et Golden Eighties, qui ne marchent pas vraiment du feu de Dieu. On la verra en 1988 dans Itinéraire d'un enfant gâté, de Claude Lelouch, avec Jean-Paul Belmondo, alors qu'elle a sorti, dès 1986, Les brunes comptent pas pour des prunes, Fallait pas commencer, Je casse tout ce que je touche, etc., des chansonnettes aux arrière-goûts sixties-kitsch qui ont le bonheur de cartonner dans les charts. Lio accentue alors son côté déluré versant pro- vocant. Après, elle nous la jouera un peu plus spleen, ce qui déroutera plus d'un de ses inconditionnels. On la croisera nue, aussi, dans des magazines dits de charme, qui d'ailleurs en ont vu d'autres... En novembre 1989, alors qu'elle anime sur Europe 1 une chronique sur les années 60, elle avoue au Figaroscope :

« On me conseille d'écrire mes textes, mais je vais leur prouver brillamment que j'en suis incapable. Je n'ai pas d'idées. » Avant d'ajouter : « Mon problème c'est d'être incomprise. Je suis une fille agaçante, non ? »

Mais non, mais non !...

Bien que constitués depuis déjà un moment, les Rita Mitsouko éclatent en 1984 avec leur musique bricolo- bizarroïde. C'est l'époque de Marcia Baïla, chanson rapidement épidémique ! Rita, certains ont du mal à s'y

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faire, n'est pas le nom de la chanteuse de ce groupe bicéphale mais bien celui du groupe lui-même. Lui, c'est Fred Chichin, et elle Catherine Ringer. Avant de devenir rockeuse de pointe avec des chansons qui, soit dit en passant, font carrière à l'étranger, ce qui n'est pas le cas pour l'ensemble du rock français, elle a tâté d'un tas de choses, et particulièrement, comme le rappelle la revue Lui de novembre 1990, du film porno avec Por- no's Girls (retitré plus tard Star Sex en vidéo) en 1982. Autres grands succès de ce groupe qui tire son image, dirait-on, de bandes dessinées un peu kitsch : Mando- lino City, et une reprise tout à fait savoureuse du P'tit Train (rien à voir, cette fois, avec le porno...), vieille rengaine des années 50. Raisons de leur succès ? Comme l'explique Actuel en octobre 1993, si les Rita Mitsouko sont les seuls à avoir émergé vraiment, en France, de la vague punk-new wave, c'est «peut-être parce qu'ils ont formé un sacré duo. Le cri et le mix. Le popu et l'avant-garde. La gouaille et la provoc'. L'engagement et le recul. La réflexion et le premier degré. Fred prise-de-tête et Catherine casse-pieds. Ou l'inverse. Fred généreux et Catherine Diva ».

Moralité : on peut avoir passé ses tendres années du côté de la fac de Vincennes et être une pure émanation, pour ne pas dire un pur produit, de la scène under- ground, le syndrome sacro-saint du couple star-pygma- lion garde force de loi. De leur album Système D, Catherine Ringer a dit : « Sur cet album, je suis à la recherche du positif. Je fais partie du Comité pour Mettre de l'Entrain dans la Vie Quotidienne. »

En raison du titre de son premier succès, on a longtemps surnommé Guesh Patti « Mme Etienne- Etienne ». Ex-petit rat de l'Opéra, ex-danseuse de Béjart et de Roland Petit, Guesh Patti s'est en effet

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mise au rock à la trentaine bien sonnée. Résultat ? un mélange décoiffant qui, en 1987 (date de sortie d'Etienne, Etienne), lui donne très vite une réputation sulfureuse (savamment entretenue, comme il se doit, par son staff promotionnel). Etienne (le clip) est un peu coquin, il est vrai. Et le look de son interprète un-peu- destroy-un-peu-clown (son grand-père était vedette d'un cirque, ce qui peut être une... piste). N'a-t-on pas dit d'elle qu'elle pourrait être la fille naturelle de Mad Max et de la Goulue, le temps d'une promo du moins ? La provoc', c'est à la mode fin 80-début 90.

« J'adore ça (la provoc'), même si j 'en fais moins, confie-t-elle à Multitop en 1992. Quand je suis arrivée dans ce métier, j'avais envie d'être différente. Parce que, c'est sûr, à part un petit groupe dont le plus beau représentant est la Ringer des Rita Mitsouko, il n'y a pas de vraies bonnes femmes dans la chanson française. Que de ravissantes personnes très jolies, très gentilles, très bien élevées. Je voulais casser cette mièvrerie qui m'agaçait un peu parce que je trouve ça bien de mettre son doigt dans son nez ou de dire merde-cul-bite-con si on en a envie. »

Il n'y aura bien sûr pas qu'Etienne dans sa vie de chanteuse (elle souhaite se tourner aussi vers le théâtre). Mais on retiendra cela. C'est déjà bien.

En 1987 encore, arrive une femme au look étrange venu d'ailleurs, un peu martienne un peu « cyber- naute », avec un air pour le moins énigmatique et une coupe de cheveux hérissonnienne, tempes rasées, oreilles bien dégagées. Elle porte souvent une ample combinaison rouge et des gants noirs. Son nom : Desireless. Son destin (malgré une très jolie voix) ? Gloire éphémère de la chanson avec Voyage, voyage, 500 000 exemplaires vendus. Malheureusement, John,

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son deuxième titre, ne fera pas trop le poids. Tout en annonçant un retour en 1993, Desireless, qui d'ailleurs n'avait de drôle que le look, se tournera rapidement vers les joies de la maternité.

Autre découverte en cette année 1987, décidément propice à l'éclosion de chanteuses drolatiques, Caro- line Lœb. Bouche en coin, œil goguenard, elle a débar- qué sur vos écrans de télé. C'était presque encore l'été, et elle faisait à sa manière un éloge de la paresse avec C'est la ouate. Ça faisait comme cela :

«De toutes les matières, c'est la ouate que j'pré- fère... »

Et ça a fait 350 000 exemplaires. Un tube, quoi ! A inscrire au hit-parade des ventes juste entre Sabine Paturel (Les Bêtises, en 1985) et Desireless (Voyage, voyage), pour rester dans le registre gloires éphémères. Car Caroline Lœb n'a pas su « assurer le follow up », comme on dit parfois dans le show-biz pour expliquer qu'il n'y a pas eu de suivi. Flash-back sur un tube authentiquement drôle et sur son interprète :

« Je voulais être actrice, mais... j'ai raté deux fois le Conservatoire, confesse Caroline Lœb. J'ai commencé par faire Piranana (un disque) en 1983, mais ça n'a pas marché. J'ai donc refait un peu l'actrice, et puis un jour Pierre Grillet, un copain, me montre ça : "De toutes les matières, c'est la ouate que j'préfère, etc." Une chan- son d'à quoi bonnisme, quoi ! On a essayé ça. On a fait toutes les maisons de disques et, finalement, Barclay l'a pris, et ça s'est répandu comme une traînée de poudre. On a été n° 5 en France, et n° 1 en Italie ! »

Après ? Cette grande admiratrice d'Yvette Guilbert et d'Arletty qu'est Caroline Lœb n'a pas pensé qu'à se la couler douce :

« J'ai proposé, au contraire, des tas de maquettes à

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des maisons de disques. Je voulais faire une autre chan- son : L'Aboureuse (ou La Bourreuse, vous l'écrivez comme vous voulez...). Mais ça a été sans suite. Après le succès de C'est la ouate, des tas de mecs sont venus me trouver pour faire - là, je schématise - un truc genre : Une fille dans un hamac. Bref, quelque chose dans le genre C'est la ouate version exotique. Je les ai envoyé promener. Bilan de C' est la ouate : deux ans de luxe et cinq ans de pauvreté ! »

Suite de l'aventure ? Après un plan vaches maigres de plusieurs années, elle finit par rentrer en 1992 à Radio Nova où elle assure un billet d'humeur teinté air-du- temps. L'expérience ne dure que six mois, mais c'est assez pour avoir la matière suffisante pour rassembler ses chroniques dans un livre. Ce sera Bon Chic Chro- niques1, sorti en avril 1993.

La suite de la suite ? C'est, il est vrai, encore un peu cotonneux... En octobre 1994, en tout cas, Caroline Lœb se tournait vers la télé avec Scènes de ménage, une toute nouvelle émission de TF1 à composante humoristique.

Voix suave, limite-sensuelle, avec une pointe d'ac- cent à la toulousaine, pour tubes cocasses, c'est celle de la douce Sabrina qui affirme avoir choisi un jour de s'appeler Pauline Ester parce que, en route vers Paris, elle roulait derrière un camion transportant du... poly- ester! Bon! Des titres? Il fait chaud, Oui j' l'adore, version relookée de Mon Homme si l'on veut (« quand il veut jouer au loup et sauvagement il me mord, oui j'l'adore, oui j'l'adore ») en 1989, Le monde est fou en 1991, Peace and love en 1993, etc. Pauline Ester écrit

1. Bon Chic Chroniques (coll. « Point-Virgule » n° 129, Editions du Seuil).

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les paroles de ses chansons, qu'elles soient fantaisistes ou mélancoliques (ça lui arrive aussi), laissant le soin à Frédéric Loizeau de gérer la partie musicale. Et encore une fois, c'est décidément presque un leitmotiv côté chanson, revient le couple du pygmalion et de sa star.

Une autre rousse (encore que Pauline Ester soit rousse ou blonde au gré de l'humeur) qu'on ne peut pas ne pas citer, bien qu'également rigolote par intermit- tence seulement, puisque jouant souvent la carte de la sensualité (même nimbée de dérision) : Muriel Moreno, du groupe Niagara (qui chante en duo avec son vieux camarade Daniel Chenevez, compositeur, comme il se doit...). Rappelez-vous Tchiky Boum, L'Amour à la plage, ou Quel enfer!... Plutôt sympa, dans le genre gentiment parodique, non ?

On parlait beaucoup, du côté de 1993-début 1994, d'une Toulousaine au look noir lunetteux un peu aty- pique qui ne manquait pas d'une certaine verve argo- tique finalement assez parisienne : Juliette. Ecoutez donc, par exemple, ses P'tits Métiers de Paris, qu'elle chante en s'accompagnant elle-même au piano. Marie- Paule Belle ne renierait pas ce style-là !

Une conclusion ? Mais non, voyons. Il est bien trop tôt pour qu'il puisse y en avoir. Une question, alors ? Oui. Celle-ci par exemple : mais jusqu'où iront-elles, les drôlesses ? Ah, ça, évidemment, c'est bien une drôle de «question de mec»! Enfin... c'est ce qu'elles disent.

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Bibliographie sommaire

Dictionnaire por ta t i f des femmes célèbres, Belin et Volland, éd. 1788.

Le Music-hall et ses figures, Luis Léon-Martin, Edition de France, 1928.

Le Boulevard, Jules Bertaut, Editions Jules Taillandier, 1957.

La Chanson à Montmartre, Michel Herbert, La Table ronde, 1967.

Le Pont-Neuf, Victor R. Belot, Nouvelles Editions latines, 1978.

Le Café-concert, François Caradec et Alain Weill, Hachette/Massin, 1980.

Le Sceptre et la marotte, Maurice Lever, Arthème- Fayard, 1983.

Les Excentriques du cinéma français, Raymond Chirat et Olivier Barrot, Henri Veyrier, 1983.

Le Café-théâtre, Pierre Merle, PUF, coll. « Que sais- j e ? » , n° 2260, 1985.

Farces du Grand Siècle, Charles Mazouer, Librairie générale française, 1992.

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Sans oublier . . .

« Les femmes du rire », Envoyé spécial, France 2, jan- vier 1992.

Les Drôlesses, série de Pierre Merle (Les Chemins de la connaissance), France-Culture, mars 1992.

Les Femmes comiques, émission d 'André Halimi, France 2, juin 1992.

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