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© Masson, Paris 2006 J. Traumatol. Sport 2006, 23, 96-104 Mise au point Les « fausses entorses » de l’adolescent PH. PEYROU, D. MOULIES Service de Chirurgie Pédiatrique, CHU de Limoges, 2 Avenue Martin Luther King, 87042 Limoges cedex. RÉSUMÉ Les coalitions des os du tarse ou synostoses des os du tarse sont des malformations congénitales liées à un défaut de seg- mentation des maquettes cartilagineuses. Elles peuvent être partielles ou complètes, fibreuses, cartilagineuses ou osseuses. Les formes les plus fréquentes intéressent les articula- tions talo-calcanéenne et naviculo-calcanéenne. Le bec calcanéen trop long est une entité particulière que l’on as- simile à ces coalitions. Elles deviennent généralement symptomatiques au mo- ment de l’adolescence et sont responsables de tableaux d’entorses de la cheville à répétition. La présentation clinique typique est le pied-plat contrac- turé et douloureux et la mobilisation de ce pied retrouve une raideur sous-talienne et du médio-pied. Les clichés radiographiques standard permettent de sus- pecter ces coalitions. Le diagnostic est affirmé sur des in- cidences obliques déroulées et surtout sur des coupes scannographiques. Le traitement de première intention est orthopédique et, en cas d’échec, la résection de la coalition apporte d’ex- cellents résultats. En cas de synostose talo-calcanéenne étendue ou compliquée, une arthrodèse sous-talienne doit être proposée. Mots-clès : coalition, bec calcanéen, entorse, pied-plat, résection. SUMMARY “False sprain” of the adolescent Tarsal coalitions are congenital malformations related to a segmentation defect of the primitive structures. They can be complete or incomplete, fibrous, cartilaginous or bony. The most frequent types are those involving the talocalca- neal and the calcaneonavicular joint. The too long anterior process of the calcaneum is a separate entity which is related to these coalitions. They usually become symptomatic during adolescence and are responsible for repetitive sprain of the ankle joint. The typical clinical presentation is a peroneal spas- tic and painful flatfoot and there is a subtalar and tarsal joint stiffness. Tarsal coaltions can be suspected on standard X ray. The diagnosis can be confirmed on Xray oblique views and es- pecially on CT scan. The initial treatment is usually conservative and in case it fails, the resection of the tarsal coalition gives good results. In severe cases of talocalcaneal coalition, a subtalar arthro- desis is preferred Key words: coalition, sprain, flat foot, resection. Introduction La pratique sportive engendre régulièrement chez l’enfant des traumatismes du pied ou de la cheville, très souvent localisés autour de la mal- léole fibulaire. Ces tableaux douloureux aigus sont très vite étiquetés « entorse », tant le phéno- mène est banal entre 11 et 15 ans. Contrairement à l’adulte, il n’existe pas de consen- sus thérapeutique [1] et le dogme de l’immobilisa- tion stricte par botte plâtrée est mal accepté par les familles. De ce fait, la prise en charge de cette traumatologie courante est très diversifiée et nous voyons de plus en plus de jeunes adolescents consul- ter pour « entorses à répétition ». À cet âge, les étiologies des douleurs lors de la pratique du sport, voire de la marche simple sont nombreuses et ne sont pas obligatoirement en rapport avec l’appareil ligamentaire. C’est à cette période de croissance des os du pied que survien- nent les pathologies ostéo-cartilagineuses liées à une hypersollicitation ou à des microtraumatismes répétés (ostéochondrose, pathologie des inser- tions, os surnuméraires…). C’est aussi à cette pé- riode que sont diagnostiquées les coalitions des os du tarse, appelées aussi synostoses des os du tarse, Tirés à part : Ph. PEYROU, voir adresse ci-dessus.

Les « fausses entorses » de l’adolescent

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Page 1: Les « fausses entorses » de l’adolescent

© Masson, Paris 2006

J. Traumatol. Sport

2006,

23

, 96-104

Mise au point

Les « fausses entorses » de l’adolescent

PH. PEYROU, D. MOULIES

Service de Chirurgie Pédiatrique, CHU de Limoges, 2 Avenue Martin Luther King, 87042 Limoges cedex.

RÉSUMÉ

Les coalitions des os du tarse ou synostoses des os du tarsesont des malformations congénitales liées à un défaut de seg-mentation des maquettes cartilagineuses. Elles peuvent êtrepartielles ou complètes, fibreuses, cartilagineuses ou osseuses.

Les formes les plus fréquentes intéressent les articula-tions talo-calcanéenne et naviculo-calcanéenne. Le beccalcanéen trop long est une entité particulière que l’on as-simile à ces coalitions.

Elles deviennent généralement symptomatiques au mo-ment de l’adolescence et sont responsables de tableauxd’entorses de la cheville à répétition.

La présentation clinique typique est le pied-plat contrac-turé et douloureux et la mobilisation de ce pied retrouveune raideur sous-talienne et du médio-pied.

Les clichés radiographiques standard permettent de sus-pecter ces coalitions. Le diagnostic est affirmé sur des in-cidences obliques déroulées et surtout sur des coupesscannographiques.

Le traitement de première intention est orthopédiqueet, en cas d’échec, la résection de la coalition apporte d’ex-cellents résultats. En cas de synostose talo-calcanéenneétendue ou compliquée, une arthrodèse sous-talienne doitêtre proposée.

Mots-clès :

coalition, bec calcanéen, entorse, pied-plat,résection.

SUMMARY

“False sprain” of the adolescent

Tarsal coalitions are congenital malformations related to asegmentation defect of the primitive structures. They can becomplete or incomplete, fibrous, cartilaginous or bony.

The most frequent types are those involving the talocalca-neal and the calcaneonavicular joint. The too long anteriorprocess of the calcaneum is a separate entity which is relatedto these coalitions.

They usually become symptomatic during adolescenceand are responsible for repetitive sprain of the anklejoint. The typical clinical presentation is a peroneal spas-tic and painful flatfoot and there is a subtalar and tarsaljoint stiffness.

Tarsal coaltions can be suspected on standard X ray. Thediagnosis can be confirmed on Xray oblique views and es-pecially on CT scan.

The initial treatment is usually conservative and in case itfails, the resection of the tarsal coalition gives good results.In severe cases of talocalcaneal coalition, a subtalar arthro-desis is preferred

Key words: coalition, sprain, flat foot, resection.

Introduction

La pratique sportive engendre régulièrementchez l’enfant des traumatismes du pied ou de lacheville, très souvent localisés autour de la mal-léole fibulaire. Ces tableaux douloureux aigussont très vite étiquetés « entorse », tant le phéno-mène est banal entre 11 et 15 ans.

Contrairement à l’adulte, il n’existe pas de consen-sus thérapeutique [1] et le dogme de l’immobilisa-tion stricte par botte plâtrée est mal accepté par lesfamilles. De ce fait, la prise en charge de cette

traumatologie courante est très diversifiée et nous

voyons de plus en plus de jeunes adolescents consul-ter

pour « entorses à répétition ».À cet âge, les étiologies des douleurs lors de la

pratique du sport, voire de la marche simple sontnombreuses et ne sont pas obligatoirement enrapport avec l’appareil ligamentaire. C’est à cettepériode de croissance des os du pied que survien-nent les pathologies ostéo-cartilagineuses liées àune hypersollicitation ou à des microtraumatismesrépétés (ostéochondrose, pathologie des inser-tions, os surnuméraires…). C’est aussi à cette pé-riode que sont diagnostiquées les coalitions des osdu tarse, appelées aussi synostoses des os du tarse,

Tirés à part :

Ph. P

EYROU

, voir adresse ci-dessus.

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dont l’expression clinique et l’évolution particu-lière justifient une prise en charge spécifique.

Le terme synostose nous paraît mal adapté cartrop restrictif. En effet, il implique par définition uneliaison de nature osseuse non anatomique entredeux os. Or, ce pont d’union peut être cartilagineuxet il s’agit alors d’une synchondrose (ou synostoseincomplète) ou fibreux et il s’agit d’une synfibroseou syndesmose (ou synostose rudimentaire).

Le terme des anglo-saxons « coalition des os dutarse » englobe plus cette diversité anatomique etc’est seulement la coalition osseuse qui est nom-mée synostose [2].

Ces synostoses sont le plus souvent isolées et éti-quetées « idiopathiques », mais peuvent aussi s’in-tégrer dans des syndromes malformatifs plusglobaux tels la maladie des synostoses multiples, lesyndrome d’Appert, l’ectromélie longitudinale [3].

Seules seront évoquées ici les formes isolées.Le siège de la coalition est variable : talo-cal-

canéenne, talo-naviculaire, calcanéo-naviculaire,calcanéo-cuboïdienne, naviculo-cunéenne, cubo-naviculaire [4], mais les plus rencontrées intéressentles articulations talo-calcanéenne et naviculo-cal-canéenne [2, 3, 5]. Assimilée à ces coalitions, onretrouve une entité rudimentaire appelée par Ta-chdjan « too long anterior process » (TLAP) [2],souvent citée sous le terme de « bec calcanéentrop long » [6]

(figures 1a et 1b).

Toutes ces malformations sont rares touchant1 % à 2 % de la population générale [5, 7], en sa-chant que cette fréquence est sous-estimée car ungrand nombre de coalitions restent asymptomati-ques toute la vie [8]. En revanche, les formes bila-

térales sont fréquentes, de 30 à 70 % des cas, ce

qui laisse supposer que ces malformations sont tran

s-missibles sur un mode autosomique dominant àpénétrance réduite [5].

L’embryogenèse explique ces anomalies

L’incorporation d’osselets surnuméraires a long-temps été avancée comme hypothèse. Les sy-nostoses talo-calcanéennes résulteraient alors del’incorporation de « l’ossicule sustentaculum tali »et les synostoses calcanéo-naviculaires de l’incor-poration de « l’os calcaneus secondarius » [3].

Le développement des connaissances en em-bryologie a permis de retenir l’hypothèse d’undéfaut de segmentation des ébauches mésenchy-mateuses [9]. En effet, chez le fœtus de 9-10 se-maines, alors que tous les éléments du pied sontencore cartilagineux, on retrouve une continuitéentre le talus et le calcanéum et entre le calca-néum et l’os naviculaire [9]. Le calcanéum sera lepremier os à commencer à s’ossifier à la 13

e

se-maine et ce n’est qu’à partir du 5

e

mois que l’onverra apparaître, par phénomène de cavitationdes ébauches mésenchymateuses, les articulationssous-talienne et médio-tarsienne. Le défaut desegmentation laisse donc persister des ponts mé-senchymateux entre talus, calcanéum et os navicu-laire

(figures 2a et 2b)

.

Physiopathologie d’expression tardive

C’est en période prépubertaire que la croissanceet l’ossification du pied sont les plus actives. C’est

FIG. 1. — a- Représentation d’une synostose calcanéo-naviculaire. L’ossification du pont d’union perturbe le jeu de l’articulation sous talienne entraînant douleur et raideur du médio-pied.

b- La localisation de la coalition à l’articulation talo-calcanéenne intéresse préférentiellement les facettes antérieure et moyenne de l’ar-ticulation sous-talienne. La mobilité et l’interdépendance des os de l’arrière et du médio-pied sont aussi modifiées dans cette forme.

1a 1b

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aussi à cette période que l’enfant augmente sa taille,son poids et son niveau d’activités sportives, ce quiparticipe aux contraintes mécaniques sur ce piedqui réclame une plus grande mobilité sous-talienneou médio-tarsienne pour s’adapter [3].

Or, les coalitions présentes depuis la naissancemais non encore ossifiées et donc malléables, vontprogressivement s’ossifier et se rigidifier, entraî-nant une réduction, voire la perte de la mobilitéde l’articulation sous-talienne.

Un antagonisme apparaît alors expliquant l’ex-pression tardive à l’adolescence de la plupart deces coalitions.

Parallèlement, l’enraidissement va modifier lacroissance des os de voisinage. La raideur de l’arti-culation sous-talienne va engendrer une déforma-tion en dôme du talus ainsi qu’une déformation enmiroir de la surface tibiale de telle sorte que l’arti-culation tibio-tarsienne soit capable de mouvementsd’inversion et d’éversion du pied pour compenserleur disparition au niveau sous-talien [3].

De même, la diminution de mobilité de l’articu-lation sous-talienne va être compensée par unehypermobilité de l’articulation talo-naviculaireentraînant un décollement périosté au niveau del’insertion du ligament talo-naviculaire qui vas’ossifier et, au final, va former un spicule au ni-veau du talus [5].

Enfin, il a été montré que les coalitions talo-calcanéennes entraînent localement des processusinflammatoires avec hyperhémie, épaississementscapsulaires, aspect de tendinite des tendons de voisi-nage [10]. Ces phénomènes appelés « arthrofibroseinflammatoire » sont responsables des douleurs

et, pour les auteurs, justifient à eux seuls une atti-tude chirurgicale [10].

En ce qui concerne le processus calcanéen an-téro-médial, il est normalement court et arrondi, àdistance de l’os naviculaire. Lorsqu’il est trop long,il s’insinue entre le talus et le cuboïde et vient aucontact du naviculaire, ce qui, lors des mouvementsde supination, provoque une hyperpression sur lecartilage de la tête du talus et engendre les phéno-mènes douloureux. C’est le phénomène du « casse-noix » décrit par Pouliquen [6]

(figure 3).

Présentation clinique : le pied raide et douloureux de l’adolescent

La diversité des présentations cliniques rendcompte de la variété anatomique et histologiquedes lésions [5].

FIG. 2. — D’après Uthoff H. [9].a- Coupe sagittale du pied fœtal à la 9e semaine. L’existence d’un pont entre apophyse antérieure du calcanéum et os naviculaire est

physiologique.b- Coupe frontale de ce même pied à la 10e semaine montrant un pont naturel entre talus et calcanéum. Ceci conforte la théorie du

défaut de segmentation des maquettes primitives pour expliquer la survenue de ces coalitions.

2a 2b

FIG. 3. — Coupe TDM sagittale d’un bec calcanéen : le proces-sus antéro-médial du calcanéum s’insinue entre cuboïde et tête du talus. Lorsque le pied est en supination, ce processus trop long entre en contact avec la tête du talus et engendre un conflit douloureux ; c’est le phénomène du casse-noix décrit

par Pouliquen [6].

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Parfois, il s’agit de la simple exploration systé-matique d’un pied asymptomatique, modérémentplat-valgus mais raide en médio-tarsien ou ensous-talien. Dans certains cas, l’enfant se plaint desensation d’instabilité de son pied, de dérobement,de perte de la « fiabilité » du pied à la pratique dusport.

Plus typique est l’adolescent consultant en pleinepoussée de croissance pubertaire pour « entorsesà répétitions ».

Il s’agit souvent d’un enfant actif et l’interroga-toire retrouve des épisodes douloureux antérieurs,parfaitement décrits et étiquetés à tort « en-torse ». La douleur est très invalidante, interdisantde plus en plus la pratique sportive, voire la mar-che. Elle est parfois même nocturne [4]. Elle siègepréférentiellement au niveau du cou-de-pied et enregard du sinus du tarse en cas de coalition calca-néo-naviculaire. Dans les formes talo-calcanéennes,la douleur trace plutôt le contour de la malléolemédiale dans la région sous-talienne.

L’examen clinique met en évidence un pied-platavec déformation en valgus calcanéen et saillie in-terne du médio-tarse, peu réductible à la marchesur la pointe des pieds. En passif, la mobilisationforcée du médio-pied reproduit la symptomatolo-gie et les manœuvres valgus et varus forcées révè-lent une raideur sous-talienne ou médio-tarsienne.Mais surtout, la palpation ne retrouve aucunedouleur évocatrice d’une pathologie ligamentairede la tibio-tarsienne.

Cet examen est difficile, surtout si le pied estdouloureux, mais des signes indirects peuvent atti-

rer l’attention : contracture douloureuse des mus-cles péroniers, des extenseurs, du tibial antérieur[7]. On parle alors de « pied-plat valgus contrac-turé » [11]

(figures 4a et 4b).

À ce stade, il ne faut surtout pas manquerd’examiner tout le squelette et le morphotype, re-chercher une inégalité de longueur des membresinférieurs, une autre malformation en particulierdes orteils, afin de s’assurer du caractère isolé ouidiopathique de l’anomalie [4].

Comment confirmer le diagnostic : l’imagerie

L’enfant consulte le plus souvent avec des ra-diographies standard de face et profil qui ont étéinterprétées comme étant normales. Il faut recon-naître que le pied-plat valgus rend difficile la vi-sualisation des interlignes articulaires sur lesimple profil en charge.

Cependant, sur ce même cliché conventionnelde profil, des signes indirects plus ou moins spéci-fiques sont facilement repérables : bec talien dor-sal, brièveté du col talien avec un contour de latête mal dessinée ou hypoplasique, pincement del’interligne talo-calcanéenne postérieure. En casde synostose sous-talienne étendue, un talus endôme et un tibia concave réalisent la classiqueimage de « ball and socket » [12].

En cas de coalition calcanéo-naviculaire, l’inci-dence de profil retrouve déjà une protrusion de lagrande apophyse du calcanéum approchant l’osnaviculaire. C’est le cliché de 3/4 ou oblique dorso-plantaire déroulé du pied (ODPDP) qui montre

FIG. 4. — Pied-plat contracturé typique.

a- De face, on note la saillie des fibulaires et le valgus de l’arrière-pied.b- De profil, la déformation du médio-pied induit une souffrance cutanée et une gêne au chaussage.

4a 4b

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clairement un pont osseux complet calcanéo-navi-culaire [3], une synchondrose incomplète avec desossifications et des fragmentations, ou une imagede bec calcanéen appelée plus justement TLAP[6, 13]

(figures 5a et 5b).

Lysack [14] montre cette « parenté » entre leTLAP et la coalition calcanéo-naviculaire en dé-crivant les variations morphologiques de la régioncalcanéo-naviculaire sur une cohorte de 460 pa-tients. Il décrit ainsi 4 types allant d’une morpho-logie normale pour le type I à la synostosecomplète pour le type IV, le bec calcanéen corres-pondant au type II ou III.

En cas de coalition talo-calcanéenne, l’inci-dence de profil retrouve de façon fiable une imageosseuse continue entre le sustentaculum et le talusformant un « C », réalisant le classique C-sign [12]

(figure 6)

.On recherchera d’autre part la sclérose de la fa-

cette postérieure de l’articulation talo-calcanéenneet la disparition de la facette moyenne sur l’inci-dence rétro-tibiale de Harris, et surtout une tomo-densitométrie qui est l’examen de référence pourvisualiser ce type de coalition [15].

En effet, le scanner visualise parfaitement lesiège de l’anomalie, soit à la partie antérieure etmoyenne de l’articulation comme elle se voit leplus souvent, soit antérieure seule, soit thalami-que et plus rarement postérieure. La surface de lacoalition peut être estimée complète ou incom-plète. Les signes d’arthrose précoce seront aussireconnus.

L’évaluation de l’étendue de la coalition se faitpar mesures simples, de la surface articulaire librepar rapport au pont ostéo-cartilagineux ou par

l’indice de Comfort [16] qui mesure, sur des cou-pes coronales, le rapport entre la largeur de lacoalition et la somme de la largeur des surfacesantérieure, moyenne et de la largeur de la surfacepostérieure

(figure 7)

.Cet indice apprécie de manière reproductible la

surface de l’articulation sous-talienne impliquéedans la coalition et constitue un facteur prédictifsignificatif de l’évolution clinique après résectiond’une synostose talo-calcanéenne. Les bons résul-tats sont obtenus lorsque la surface de la coalitionest inférieure au 1/3 de la surface articulaire totale[16]

(figure 7).

Les autres examens sont moins contributifs. Lascintigraphie peut montrer une hyperfixation maiselle est peu spécifique de cette région talo-calca-néenne en raison des contraintes pathologiques.L’IRM n’a prouvé sa supériorité que pour le dia-gnostic des formes fibreuses des coalitions.

Ces examens sont rarement demandés [15],d’autant plus que l’intérêt d’un diagnostic précoceest contestable sur des pieds-plats qui sont asymp-tomatiques.

Traitement : orthopédique et surtout chirurgical

Le traitement conservateur

L’objectif du traitement conservateur est de ré-duire la mobilité de l’articulation sous-taliennequi est responsable de la douleur.

Pour ce faire, le pied peut être appareillé pardes simples semelles ou des orthèses corrigeantl’arrière-pied et soutenant l’arche interne. Il faut,toutefois, éviter de donner trop de pronation qui

FIG. 5. — a- Le cliché standard de profil peut montrer une synostose calcanéo-naviculaire avec son processus allongé en trompe de

tapir.b- Le cliché oblique déroulé du pied est le cliché de référence pour visualiser les interlignes du médio-tarse et affirmer le diagnostic

d’un bec calcanéen.

5a 5b

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verrouille le médio-pied et majore le conflit talo-calcanéen [8]. Un chaussage serré limitant lesmouvements d’éversion apporte un confort quel’enfant a souvent su découvrir lui-même.

L’immobilisation stricte par plâtre, voire mêmeune correction sous anesthésie générale du pied-plat, suivie d’un plâtre pour modeler le pied etson ossification en bonne position ont été sou-vent employés [8]. Les arguments avancés sontle caractère anti-inflammatoire et antalgique del’immobilisation et surtout la possibilité de l’ossi-

fication du pont cartilagineux en position neutrede l’arrière-pied dans le but de laisser l’arthrodèsese constituer et miser sur la raideur pour obtenirl’indolence.

Il est admis que le traitement orthopédique doitrester le traitement de première intention proposéà tout adolescent devenu symptomatique. Les ré-sultats sont variables mais globalement décevants,toutes orthèses confondues [3]. De plus, il n’existeaucun facteur prédictif reconnu d’une évolutionpositive sous traitement conservateur [5].

Les techniques chirurgicales

Quelle que soit la technique choisie, des pré-cautions sont à retenir : prévenir des risques dedouleur post-opératoire, du résultat imparfaitsur la morphologie et sur la mobilité, proposerla chirurgie de chaque côté séparément, bienévaluer la résistance à la douleur de l’enfant(risque d’algodystrophie), immobiliser le pied leplus brièvement en post-opératoire et s’assurerd’une bonne cicatrisation cutanée pour mobili-ser précocement.

Deux options existent : réséquer le pont os-seux et redonner de la mobilité ou bloquer pararthrodèse.

Résection de la coalition calcanéo-naviculaire ou du TLAP

Par voie oblique antéro-latérale centrée sur lesinus du tarse, le processus osseux ou le pont ostéo-cartilagineux sont repérables dans le prolonge-

ment du calcanéum et parfois jusqu’à l’os naviculaire

auquel il fait corps [13]. Les repères anatomiquesdoivent être vus afin de définir les limites de la ré-section qui doit emporter entièrement la coalitionsans altérer les articulations environnantes.Cette résection laisse un hiatus de 1 cm et demientre le calcanéum et l’os naviculaire qui peut êtrecomblé par interposition de tissu graisseux, tendi-neux, musculaire ou inerte. Avant fermeture, lamobilisation du médio-pied doit confirmer la res-tauration de la mobilité entre les différents élé-ments

(figures 8a et 8b)

.L’immobilisation post-opératoire est de courte

durée pour respecter le principe de mobilisationprécoce du médio-pied par une rééducation ac-

tive et passive douce et un appui dès le 15

e

jouraprès s’être assuré d’une cicatrisation cutanéesans défaut.

En matière de coalition calcanéo-naviculaire, larésection est l’intervention de choix avec des tauxde succès avoisinants 90 % [5, 17], à condition dene pas immobiliser le pied en post-opératoire.

FIG. 6. — Le signe du « C » visible sur un cliché du pied de profil en charge est du au pont osseux talo-calcanéen qui sur-

ajouté au sustentaculum tali donne ce contour net en forme de C. On note d’autre part la déformation en pied-plat.

FIG. 7. — Scanner en coupe coronale d’une synostose talo-calcanéenne : il permet l’évaluation fiable de la largeur de la sy-nostose et surtout il permet de calculer le rapport entre la sur-face de la coalition (C) et la surface articulaire sous-talienne libre (somme de la surface de la facette antérieure, moyenne

FAM et surface de la facette postérieure FP). Collection J. Ph. Cahuzac.

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En matière de processus calcanéen trop long, larésection n’est justifiée que lorsqu’il existe des si-gnes patents cliniques et radiologiques de trapagedu bec calcanéen en supination forcée, avec d’ex-cellents résultats [13].

Résection de la synostose talo-calcanéenne

Il convient, avant tout, de repérer parfaitementsur les clichés la surface à réséquer, surtout enprofondeur par rapport à l’incision interne, demanière à être à la fois économe dans la résection

FIG. 8. — Vue opératoire d’une résection d’un bec calcanéen.a- Par voie latérale, le processus calcanéen est progressivement disséqué au contact de l’os naviculaire.

b- La résection doit être profonde et large pour laisser un hiatus permettant la restauration de la mobilité locale.

8a 8b

FIG. 9. — Coupe coronale après résection d’une coalition talo-calcanéenne.a- Le respect du sustentaculum tali garantit une stabilité ultérieure.

b- La résection en bloc prévient le risque de récidive.

9a 9b

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et d’enlever toute la coalition en laissant le maxi-mum de cartilage articulaire « intact » [3].

La coalition est abordée par une voie médialecentrée sur le sustentaculum tali. Après avoir dé-sinseré le muscle abducteur de l’hallux et ouvertle rétinaculum des fléchisseurs, les tendons flé-chisseurs communs, fléchisseur propre de l’hallux,le tibial postérieur et le paquet vasculo-nerveuxsont repérés. La coalition est ensuite exposée pardépériostage prudent en avant et en arrièrejusqu’à l’identification des surfaces articulaires in-tactes.

Classiquement, la résection de la coalition sefait surtout aux dépens du talus afin de ne pas fra-giliser la sous-talienne et d’éviter de s’exposer àune déformation secondaire, par défaut de sou-tien du calcanéum [18, 19]. Un bon test consisteà stopper la résection lorsque l’on retrouve unemobilité sous-talienne. Le gain est notable immé-diatement d’au moins 50 %. Il faut noter qu’enperopératoire, la coalition est toujours plus im-portante que ne le laissait présager le scanner.Sur la tranche osseuse spongieuse, une empreintede cire favorise l’hémostase mais il est difficile deprévenir les risques d’une ossification. Il n’y a pasd’accord sur l’interposition ou non de tissu grais-seux, d’hémitendon fléchisseur du gros orteil oud’un implant inerte [20]

(figures 9a et 9b)

.Une autre alternative est la résection large de la

coalition emportant le sustentaculum tali, tech-nique plus facile qui évite le risque de résectionincomplète et de récidive [21]. Westberry rapporteune série de 12 résections complètes avec d’excel-lents résultats.

La fermeture se fait sur un drainage aspiratif.L’immobilisation sera brève et limitée au tempsde la douleur post-opératoire. Passée cette phase,le pied est mobilisé doucement en passif et en actifet dès la cicatrisation cutanée acquise la remise encharge est autorisée.

Dès le 3

e

mois, le gain en mobilité est apprécia-ble en actif et les activités de marche et de sportpeuvent être parfois reprises.

Les résultats sont globalement satisfaisantsmême si la douleur est longue à disparaître, en-tre 4 et 12 mois. Les échecs sont essentiellementdus à l’existence préalable de signes dégénératifsà une résection insuffisante et à une surface desynostose supérieure à 50 % qui aurait justifiéune arthrodèse.

Très différents sont les résultats sur la mobi-lité. Il existe certes une amélioration de la mobilitéde l’ordre de 25 % à moyen et long terme, maiscelle-ci reste réduite et aucune résection d’une coa-lition sous-talienne ne peut conduire à une symétrie

par rapport au côté sain tant sur le plan morpho-logique que fonctionnel et même musculaire[22]. Ceci a été mis en évidence par de nombreuxauteurs et plus récemment sur plateau de marche[23].

Enfin, il est très difficile et souvent illusoire, devouloir corriger complètement la déformation dupied [17, 18]. Pour ce faire, il est possible d’asso-cier résection de la coalition et arthrodèse par im-plant biorésorbable [24] tel que le rapporte l’équipede l’institut Rizzoli sur une série de 14 pieds. Larestauration de l’alignement du médio-pied esttoujours obtenue, surtout si l’adolescent est opéréavant l’âge de 14 ans.

Les arthrodèses

Elles n’ont rien de spécifique chez ces adoles-cents. La plupart des auteurs ont, pendant de lon-gues années, associé l’arthrodèse sous-talienne àl’arthrodèse médio-tarsienne pour éviter les pro-blèmes secondaires à une arthrodèse localisée etrespecter le concept d’interdépendance de la sous-talienne et de la médio-tarsienne [8].

Certains, par contre, se limitent à aviver la sur-face articulaire sous-talienne restante complétantainsi une volumineuse synostose [3]. Ce geste éviteune ostéosynthèse mais ne dispense pas d’une im-mobilisation de 6 à 8 semaines.

Lorsqu’il s’agit d’une coalition talo-calcanéenne,le choix entre résection et arthrodèse dépend dela taille de la coalition et l’idéal est de ne résé-quer que les coalitions dont la surface est infé-rieure à 50 % de la surface articulaire, ce quicorrespond à une profondeur de 10 à 15 mm. Ilfaut craindre le retentissement sur les articula-tions voisines ou l’association à d’autres coali-tions qui constituent des contre-indications à larésection simple.

Conclusion

Les coalitions des os du tarse ne sont pas desmalformations exceptionnelles et doivent êtreévoquées devant tout adolescent consultant pourdes tableaux d’entorse à répétition ou un pied-plat raide et douloureux.

Le diagnostic radiologique est relativement simplesi l’on sait prescrire des clichés de 3/4 (incidenceoblique déroulé du pied) et des coupes TDM cen-trées sur la localisation clinique.

Le traitement orthopédique est toujours tentétout en connaissant ses limites.

Les arthrodèses systématiques telles qu’ellesétaient proposées sur les coalitions sous-taliennes

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PH. PEYROU, D. MOULIES J. Traumatol. Sport

douloureuses ne sont plus d’actualité en raisondes moyens d’évaluation d’imagerie dont nousdisposons et qui permettent de proposer plus lar-gement, lorsque l’anatomie du pont ossifié lepermet, une résection avec de bons résultats cli-niques.

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