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LES FLEURS DE LIS HÉRALDIQUES ET LES FLEURS DE LIS NATURELLES Author(s): Comte de Laborde Source: Revue Archéologique, 9e Année, No. 1 (15 AVRIL AU 15 SEPTEMBRE 1852), pp. 355-365 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41746175 . Accessed: 21/05/2014 04:01 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Archéologique. http://www.jstor.org This content downloaded from 194.29.185.178 on Wed, 21 May 2014 04:01:50 AM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LES FLEURS DE LIS HÉRALDIQUES ET LES FLEURS DE LIS NATURELLES

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LES FLEURS DE LIS HÉRALDIQUES ET LES FLEURS DE LIS NATURELLESAuthor(s): Comte de LabordeSource: Revue Archéologique, 9e Année, No. 1 (15 AVRIL AU 15 SEPTEMBRE 1852), pp. 355-365Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41746175 .

Accessed: 21/05/2014 04:01

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LES FLEURS DE LIS HÉRALDIQUES

ET

LES FLEURS DE LIS NATURELLES.

Je lis dans le compte rendu au Roy par Estienne de Lafontaine, son argentier, pour l'année 1351 (1) : A Jehanle Brailler, orfèvre du

roy, pour faire et forgier une cuillier d'or dont le manche est esquar- tellé de fleurs de lis d'armoierie et de fleurs de lis après le vif et sont enverrez- d'azur et de rouge cler et au bout d'en hault un chastel ; en

laquelle cuillier est entré ij onces v esterlins d'or à xxij caratz, pour déchie et façon - xlv liv.

Il y avait donc dans les ornements de la première moitié du XIVe siècle des fleurs de lis de forme héraldique alternant avec des fleurs de lis peintes d'après le vif, c'est-à-dire imitées fidèlement

d'après nature. Je désirerais savoir, et le meilleur moyen pour obtenir une réponse, c'est d'adresser ma question aux lecteurs de la Revue , s'il existe d'autres textes exprimant la même pensée et un monument

quelconque de cette époque, dessiné, peint ou sculpté, qui offre cette distinction?

On a beaucoup écrit sur les fleurs de lis et c'était raison, rien n'est de trop quand il s'agit de commenter un signe qui se lie intime- ment à la gloire de la France et qui figure sur tous nos monuments

historiques; on a écrit il est vrai, sur ce sujet, mille folies; mais

quand du Cange a passé par une question , le terrain est déblayé, aplani, on n'a qu'à suivre sa trace, on est sûr de ne pas se perdre en route.

Et tout d'abord remarquons bien, que la fleur de lis, signe exclusif de la souveraineté, passa dans l'ornementation des costumes royaux et dans çhaque attribut de la royauté pour de là envahir peu à peu l'orfèvrerie tout entière, les meubles, les tapisseries, pour ruisseler comme une pluie d'or sur les murs des chapelles et des églises, pour

(i) Voy. let Duct de Bourgogne, t. IV, n" 8403.

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356 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. monter au faîte des édifices, pour setaler sur les carreaux des pave- ments, pour devenir enfin frappée sur les monnaies, empreinte sur les actes, l'imposante marque de l'autorité et la marque infamante de la justice quand on l'imprimait avec le fer rouge sur l'épaule du criminel (1). Jamais signe conventionnel fut-il d'un usage plus gé- néral, resta-t-il plus populaire à travers une plus longue suite de siècles (2)? Il est vrai, quii a suffi à l'esprit révolutionnaire de souffler

(1) Parties faictes et fournies par Andres Chevallier, commis pour l'exécution des sentences cryminelles du conté et bailliage de Bloys, pour les exécutions par luy faictes des sentences dont les coppies sont cy attachées (avril 1586). Premièrement : pour avoir pendu, exécuté et mis à mort Gabriel Millois et Ni-

colas le Priot, condamnez à mort par sentence , - du xne avril mil ve nnxxvi, à raison de vii s. vi d. pour chacun*, cy xv s.- Pour deux potences, etc. ; -pour avoir despendu le corps desdits condamnez, xxn s. vi d. ; - Pour avoir fustigé par les carrefours de la ville de Blois Jehan Guyot ; vu s. vi d. - pour luy avoir exposé la fleur de lis, cy vu s. vi d. , - pour les verges, vs. - à ung homme qui a porlé le feu au change où estoit ladite, fleur de lis et pour le charbon, vii s. vi d. ( Comptes de justice ; Arch . municipales de Blois , deux feuillets). (2) Leur grande popularité date du xuic siecle, et c'est de ce moment qu'elles en-

vahissent tout, devenant chaque jour davantage la personnification de la royauté. Vers 1340, Guillaume de Machault, décrivant les exploits du roi de Bohême, le re- présente amenant son prisonnier à Bruglilz, prés de Prague, et il signale ce qui dis- tingue cette résidence princière de celle que les souverains possèdent en France, c'est qu'elle n'a pas de fleurs de lis:

De là s'en alla en Bavière Et a desploié banière Et cornpaignie noble et riche Desconfit le duc d'Otheriche, Mais il le prit par la venlaille A force, dedens la bataille, Et l'emena à Bruguelis Son chastel , où n'a fleur de lis.

Le confort d'ami . Charhs d'Orléans dit dans ses vers :

Qu'il est sailli de la maison de France , Creu au jardin semé de fleurs de lis.

Et Jehan du Pré appelle fleur deli fleques les soldats de François Ier échappés du désastre dp Pavic î

Or, revenant à mon premier propos, La noble dame confortoit les suppos Flcurdelificques, leur donnant assurance Que briefuement leur feroit délivrance De leur hault chief....

Il s'agit de la régente de France qui reconfortait de paroles et d'argent les troupes ïoyales.

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LES FLEURS DE LIS HÉRALDIQUES ET NATURELLES. 357 sur ces fleurs délicates pour les faner ; mais la révolution est-elle seule coupable? à leur blancheur avait-on épargné les souillures? L'histoire sera sévère sur ce point, môme alors que l'opinion ballottée par les réactions, aura repris le calme de l'impartialité. Et puis se- rait-on bien venu à exigea le respect pour une forme qu'on n'a pas respecté soi-même. La fleur de lis signe héraldique, n'avait-elle pas perdu la noblesse grave du XIIIe siècle et l'élégance du XVIe, n'était- elle pas devenue quelque chose d'épais, de lourd et en somme de fort peu séduisant ?

Examinons rapidement ses altérations au fisque de remonter à ses origines. Dieu merci, mes doutes ne me condamnent pas à écrire, comme M. Rey, 414 pages sur les fleurs de lis; je ne rechercherai donc pas l'origine de ce signe glorieux dans le crapaud (l), dans l'a- beille, dans le fer de la lance, dans la poignée de l'cpée, dans la pure fantaisie d'un peintre, j'abandonnerai à leur heureux sort tant de belles inventions qui poussent du cerveau sous l'influence de l'imagi- nation comme le glaïeul lui-même sous le premier rayon du soleil. Plus simple, ou plus timide dans mes conjectures, je prends le nom de la fleur de lis pour une raison très -suffisante de son origine et le texte que je commente pour une preuve à ajouter aux autres preuves qui la montrent intimement liée á la fleur de nos jardins ou à celle de nos champs (2).

Je crois même que les poëtes n'ont pris si souvent le lis pour point de comparai- son qu'entraînés par cette illustration :

Blanche comme lys, plus que rose yermeille. G. de Maciiault vers 1340.

(1) L'affaire des crapauds est une espièglerie du docteur J. J. Chifflet, qui , á titre de chancelier et d'historiographe de la Toison d'or, se croyait obligé de dépré- cier nos rois et de jeter quelque ridicule sur les fleurs de lis. C'était une manière de faire sa cour à Philippe IV, son maître. Voici le titre de l'ouvrage dans lequel il annonce sa petite perfidie: Lilium Franciscum veritatc histórica , botanica et her aldica illuslr alum, auctore J, J. Chiflelio. Anlw. folio , 1768. Or, cette dé- couverte apparlenait à Raoul de Fresie , traducteur de Charles V, exhortant son roi, vers 1369, dans un discours sur l'Oriflamme. On trouve ce passage dans sa harangue: Il feist raser les armes des trois crappaux que Clovis portoit lors en son escu , et feist mettre en ce lieu les trois fleurs de lis . Il est vrai qu'on lit dans un autre manuscrit : trois croissanst mais plusieurs monuments, tels que les tapisseries de Reims, des sculptures, des vitraux exécutés au XVe siècle, représentant l'oriflamme de Clovis orné de crapauds, il faut croire qu'une certaine popularité, peu étendue et passagère, fut acquise dès le XIVe siècle á cette tradition , et Chifflet tenta de la ranimer au XVIIIe. (2) Encore une fois, je neveux pas entrer dans cette question ardue des origines;

je dirai seulement que, tandis qu'on ne peut fournir aucun texte qui dise explici-

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358 REVUE ARCHÉOLOGIQUE.

Cependant la fleur de lis , telle que nous la trouvons sur les mo- numents pendant la longue durée de la monarchie, ressemble très- peu à la fleur naturelle, et sa forme salière ou se modifie d'une ma- nière assez sensible pour embarrasser les archéologues occupés à fixer l'âge d'un monument d'après les fleurs de lis dont il est orné , ou les artistes chargés d'une restauration, et qui veulent éviter le reproche d'avoir accolé à un monument du règne de saint Louis la fleur de lis de Louis XIV, ou réciproquement.

Je vais passer en revue ces altérations, au moins les plus caracté- ristiques, laissant les autres de côté comme de pures fantaisies indi- viduelles, qui n'ont pas marqué au delà d'une limite très-bornée. Toutes ces modifications d'ailleurs ont altéré la physionomie de la fleur de lis plutôt que sa forme , et quand on l'a bien étudiée dans ses phases successives, en voit qu'elle a une donnée héraldique invariable.

tement que le signe héraldique, appelé par nous fleur de lis, a été imité de la lance ou de l'épée; nous pouvons citer une ordonnance de Louis VII, datée de 1179, qui prescrit de mettre la fleur de lis sur les costumes royaux destinés au sacre ( je ne connais pas le teile de cette ordonnance , mais la traduction de du Tillet dans le Recueil des roys de France , Paris, in-4°, 1618, ne laisse pas de doute), et donner le passage de Guillaume Le Breton, passage qui atteste que les fleurs de lis ornaient l'oriflamme, et que dans l'esprit de cet auteur de la première moitié du XIIIe siècle, c'était bien l'imitation d'une fleur véritable. Voici ce passage :

« Interea adveniunt legiones cominuniarum quae fere usque ad hospitia processe- rant et vexillum beati Dionysii et accurrunt quantocius ad aciem regis ubi videbant signum regale , vexillum videlicet floribus lilii distinctum quod ferebat die ilio Gallo de Monliniaco, miles fortissimus, sed non dives. » Les Hist, de France , t. XVII, p. 97, c.

Ri gor d a conduit son histoire jusqu'à l'année 1208 ; ce qui suit est de Guillaume Le Breton (ego Guillelmus natione Armoricus, officio presbyter), et le passage que je viens de citer se trouve dans cette dernière partie.

(l) M. Key a réuni, sur vingt-quatre planches, trois cent douze fleurs de lis. Il aurait pu augmenter indéfiniment le nombre de ses exemples sans épuiser les com- binaisons que cinquante générations d'artistes ont imaginées. Une revue générale de toutes les fleurs de lis serait de peu d'utilité, si même on n'acceptait les exem- ples qu'avec une critique rigoureuse; mais l'estimable auteur de l' Histoire du drapeau français a pris ses preuves á tort età travers ; non-seulement il n'indique ni leur destination, ni leur place, ni la matière sur laquelle ces fleurs de lis sont tracées; mais il compare, ou plutôt il mêle ensemble les monuments les plus dis- parates, par leur époque et par leur usage. C'est ainsi que la fleur de lis allongée du XIIIo siècle, est représentée d'après un exemple retrouvé à Messine sur le mont Ilhorae , où l'avait porté Villehardouin vers 1200 ; d'après un autre exemple sculpté, sur les colonnes de l'église de Gisors, monument daté de la fin du XVle siècle; enfin, d'après les portes de la sacristie d'Évreux, qui n'ont pas de date, mais qui sont modernes. La fleur de lis épatée est figurée d'après le vase arabe qu'on voit au musée du Louvre et en même temps d'après un émail (?) de Bernard Palissy, et un vitrail daté de 1584. C'est-à-dire que les types qui caractérisent une époque sont con- fondus avec les formes capricieuses qui n'ont d'autre base que la fantaisie d'un artiste.

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LES FLEURS DE LIS HÉRALDIQUES ET NATURELLES. 359 Elle nous apparaît ainsi sur les plus anciens monuments :

Sceau de Louis VII, frappé vers 1137.

Et tout aussitôt nous voyons poindre une imitation serrant de plus près la nature, ajoutant au cœur de la fleur et à ses feuilles courbées les deux pistils qui s'échappent de son calice. Du reste, la forme héral- dique est maintenue et ne cède en rien à l'imitation de la nature (1) :

Fleur de lis du contre-sceau de Philippe II, frappé vers 1180 (2). Nous sommes au XIIe siècle sous le règne de Louis le Jeune,

(1137-1180) époque où, selon toute probabilité, la fleur de lis de- vint, d ornement d'in usage arbitraire, le symbole désormais immuable de la royauté. On était grave alors. L'ampleur des vêtements, la pesan-

ti) Comme on le voit, cette variante de la fleur de lis héraldique se rencontre d'abord en France, et sur un sceau du XIIe siècle; cependant, comme elle fut aban- donnée parmi nous, qu'ou l'adopta et la conserva en Italie, elle fut appelée Flo- rentine ou Florencée. Je dis qu'elle fut abandonnée , mais ce fut fort tard, et j'en donnerais facilement des preuves. Celle-ci suffirait. On lit dans une pièce de 1* comptabilité des ducs d'Orléans, qui ne porte pas de date , mais qui doit être de 1420, celte description d'une de ces grandes fleurs de lis qui se trouvaient dans les trésors de tous les princes du sang: c'y s'ensuyvent les parties qui sont en la fleur de liz, qui est d'or : premièrement : dedons le grant flouron, - le dextre flouron, - lesenestre flouron, - les deux petits flourons (ce sont les pistils), - et poise la- dicte fleur de liz garnye comme dessus, tant en or, argent, pierrerye, que des aultres choses eslans en ladicte fleur de liz, deux cens unze unces et demye. qui font vingt six mars trois unces et demye de poix. (Masée britannique. Dépt. des mss. add. Char- ters, n° 1202).

(2) Le sceau présente le roi assis sur $on trône, tenant dans sa main droite une fleur de lis également pourvue de ses étaraines, mais plus allongée , plus naturelle. Quant à celle qui orne son sceptre, elle est imitée de la fleur de lis du sceau de Louis VII.

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3G0 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. lour des armures, la force musculaire, donnaient aux mouvements de la lourdeur et aux attitudes du calme; la lleur de lis, se mettant au pas, prit un caractère sérieux , une forme ramassée. On va la voir suivre ainsi la mode des costumes et des attitudes, et si j'insiste sur ce développement parallèle assez bizarre, il ne s'agit pas d'un jeu d'esprit paradoxal mais d'une observation sérieuse qu'on rattacherait facilement à d'autres modifications dans l'art. Du reste la fleur de lis a dans une même forme des proportions différentes selon la destination qu'elle reçoit. Sur les sceaux elle conserve cette forme grasse et épaisse; dans la peinture elle prend de l'élancement: elle devient maigre, pointue, hérissée, on dirait un trident, une arme de guerre : aussi lui a-t-on cherché une origine militaire, telle que le fer de la lance, trois fers réunis, ou la poignée de l'épée.

Le XlII'Jsiècle la trouve ainsi prète à passer du trapu au dégin- gandé. Mais ce siècle est en toutes choses un grand siècle, ses œuvres, et les plus minimes même , ont un cachet de noble élégance qui revêt la tradition, pieusement respectée, d'un costume de renaissance plein de jeunesse. Le XIIIe siècle accepta donc toutes les tentatives et il les fondit dans ce'délicieux modèle :

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LES FLEURS DE LIS HÉRALDIQUES ET NATURELLES. 361 Je ne sais si je me fais illusion, mais en regardant longtemps cette

fleur élégante, si bien prise dans son port, si bien proportionnée dans ses membres, si noble dans son attitude, je la vois se mouvoir et me rappeler ces personnages représentés dans les sculptures du XIIIe siècle, et qui semblent des Grecs du temps de Péricles, costu- més selon les nécessités d'un climat rigoureux.

En fait ďart, les XIVe et XVe siècles n'ont pas inve nté grand chose, ils ont joué des variations infinies sur la grande et simple mélodie du XIIIe, et quant à la fleur de lis, s'ils l'ont le plus souvent ornée, brodée , festonnée , ils lui ont conservé ses belles formes et une bonne part de son élégance. j'

w Le XVIe siècle a transporté ici , comme en toutes choses , son

éclectisme ; il n'a rien inventé. Il a adopté, avec la pureté de son goût, la ileurde lis qui lui a paru la plus élégante. C'est au XVIIe siècle qu'il appartient de marquer une nouvelle tendance. Avec le grand roi , le souverain absolu, aux manières majestueuses et à l'ample perruque, la fleur de lis s'enfle, se tient les jambes écartées, se renverse et se cambre ;

? avec Louis XVI, elle devient bonasse et pataude ; elle prend du ventre sous Louis XVIJI. ,

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362 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. Toutes les nations de l'Europe et de l'Orient se sont parées de la

fleur de lis ; des princes arabes , des comtes allemands , de simples nobles de tous les pays , l'ont mise sur leurs sceaux , et la classifica- tion qu'on vient de suivre peut, à quelque différence près, leur être appliquée. On remarquera que je n'exagère rien ; qu'au contraire, les types produits ici par le crayon habile de M. Viollet le Duc sont sérieux et appartiennent, non pas aux fantaisies des artistes, mais aux types placés sur les monüments et réservés pour les attributs de la royauté. Si j'avais voulu me servir des caricatures de fleurs de lis qui abondent partput, j'aurais fait rire, et je désire suivre une in- vestigation utile.

Dans cette revue bien sommaire, on voit des fleurs de lis héral- diques, sans mélange et dans leurs modifications, rien absolument qui ressemble à une imitation de la nature. Ces fleurs de lis, pour- traictées d'après le vif, qu'étaient-elles donc? Si on copie le lis blanc de nos parterres, quand, après avoir ouvert son calice, il s'épanouit et recourbe ses pétales , on trouve cette forme :

Peut-être le lis jaune, dont il est souvent question dans les textes, était-il l'imitation du lis des champs, du glaïeul, et alors il se pré- senterait ainsi :

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LES FLEURS DE LIS HÉRALDIQUES ET NATURELLES. 363

La question se réduit dès lors à ceci : existe-t-il un monument du XIIe ou du XIIIe siècle où la fleur de lis ainsi figurée alterne avec la ileur de lis purement héraldique?

Je dois encore faire quelques réserves. Ainsi , dans le nombre des fleurs de lis capricieuses, on est obligé de ranger les fleurons qui sont comme un compromis entre le blason et la nature, quelque chose de la fleur naturelle, quelque chose aussi du type héraldique.

On comprend que ces fleurons , innombrables dans leurs variétés, ne sauraient répondre à ma question. Il en est de même de la tige de lis que l'ange tient à la main, ou qui s'élève dans un vase, près de la vierge agenouillée sur son prie-Dieu, tels qu'on les figure dans les annonciations sculptées ou peintes, à dater du XIVo siècle. Mais, outre que ce détail ne paraît pas sur les monuments d'une date plus reculée, cette imitation exacte de la nature put avoir lieu sans exercer aucune influence sur les formes réservées à la fleur de lis isolée de sa tige et destinée à entrer soit dans le blason, soit dans l'ornementation.

Mabillon (1 ), il est vrai, dit avoir remarqué, sur la couronne de Fré- dégonde, des fleurs de lis héraldiques, et sur son sceptre un Us champêtre 9 mais le tombeau de Saint-Germain des Prés, qui fournis- sait cette curieuse indication , n'existe plus, et il nous est impossible d'accepter sans contrôle l'assertion du savant bénédictin.

J'ai bien vu à Chartres, et M. Lassus n'a pas manqué de reproduire dans la magnifique monographie de sa cathédrale, une décoration peinte sur le mur où l'on a cru distinguer une fleur alternant avec le lis; mais cette fleur allongée pourrait tout au plus représenter le lis en bouton, avant son épanouissement, ou le lis penché, qui

(1) Discours sur les anciennes sépultures royales.

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364 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. s'est fané après avoir brillé de son éclat. Dans un moment comme dans l'autre, il convenait peu de le prendre pour modèle, c'était trop tôt ou trop tard, ce n'était pas le moment, et il y a tout lieu de croire que cette peinture représente le lotus plutôt que la fleur de lis.

On cite encore un cliapiteau de l'église de Graville, près du Ha vre, qui porterait, dans son ornementation , la fleur de lis alternativement ouverte et fermée, fleur de lis héraldique et fleur de lis naturelle» une imitation aussi informe, lin fait tellement isolé ne saurait inter- venir utilement dans cette discussion.

D'un nuire côté, il est évident qu'à partir de la seconde moitié du XVe siècle les lis héraldiques, dont l'origine tirée de la fleur était dès lors acceptée généralement, livrés aux mille caprices de l'imagina- tion féconde de nos artistes durent épuiser les ressources pittoresques qu'offre, dans un même tableau, l'opposition des règles sérieuses du blason et des grâces naturelles de la fleur, aussi trouve-t-on fré- quemment à partir de cette époque, et dans les combinaisons les plus ingénieuses, la fleur de lis sur sa tige , enrichie de ses feuilles et as- sociée à la fleur de lis héraldique. Ici, dans cette miniature (i;, elles sont fondues ensemble, les unes servant de décors à l'autre.

Ce genre de ileur de lis accouplée répond sans doute à 1 article 363 de l'inventaire de Charles V, dressé en 1379 : Item un grand tapis et un banquier vermeil, semé de fleurs de lys azurées, lesquelles fleurs de lys sont semées d'autres petites fleurs de lys jaunes, et au milieu un lion.

(i) J'ai copié cette fleur de lis dans un livre d'heures du XVe siècle, qui appartient au» sœurs de la Visitation de Chartres; elle décore la bordure d'une grande minia- ture üneinent exécutée.

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LES FLEURS DE LIS HÉRA.LDIQUKS ET NATURELLES. 365 On les trouve aussi parsemées sur les initiales et les chiffres royaux

dont elles forment l'élégante décoration, comme sur cette

du château de Blois, ou bien s élançant en gracieux faisceau du centre ďune couronne royale fleurdelisée, ainsi qu'on le voit sur les parois du château de Chambord.

Ces associations heureuses, ces combinaisons pleines de grâce, sont d'une date bien récente et ne répondent pas à ma question. Il est bien entendu que le lis, dans son éclatante blancheur, balancé sur sa tige d'un port si noble, a pu fixer de bonne heure l'attention de l'artiste; ma préoccupation est de savoir si le lis, signe de blason et de convention, a été mis, aux XII ou XIIIe siècles, en présence du lis naturel, dépouillé de ses feuilles, isolé de sa tige.

Comte de Laborde.

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