Les Heures Claires - Émile Verhaeren

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PoésieEmile Verhaeren (1855-1916)Emile Verhaeren est né à Saint-Amand le 21 mai 1855. Fils d’une famille commerçante aisée, il appartient à la classe bourgeoise de ce village sur l’Escaut. Au sein de la famille, la langue véhiculaire est le français, mais avec ses camarades de classe de l’école communale et les habitants de Saint-Amand, il recourt au dialecte local.A onze ans, Verhaeren se voit envoyé au pensionnat. Ses études secondaires, il les accomplit au fameux collège Sainte-Barbe à Gand. Il y rencontre Georges Rodenbach, le futur auteur de Bruges, la morte. L’éducation très sévère dans ce collège de Jésuites achèvera la francisation complète de ce fils de l’Escaut.Après ses études secondaires, Verhaeren fait son droit à l’université de Louvain. Il y goûte aux plaisirs de la vie estudiantine. Mais il participe aussi à plusieurs initiatives littéraires, y publie ses premiers textes et poèmes dans diverses feuilles estudiantines. Il entre ainsi en contact avec des étudiants qui partagent son engouement littéraire : ce sont les futurs collaborateurs de la revue révolutionnaire « La Jeune Belgique ». Promu docteur en droit, Verhaeren fait un stage (1881-1884) chez Edmond Picard (1836-1924), célèbre avocat bruxellois que ses activités littéraires et politiques établissent comme la figure de proue de l’avant-garde des années 1880-1890. Toutes les semaines, il organise chez lui un Salon : c’est là que Verhaeren entre en contact avec des auteurs et des artistes de tous genres. Le désir de s’imposer comme poète est grand. Après avoir plaidé deux procès – les seules plaidoiries de sa vie ! – il abandonne le barreau et décide de vouer sa vie à l’art et à la littérature.Verhaeren s’impose dès lors comme un critique d’art et de littérature passionné. Il collabore à plusieurs revues belges, devient rédacteur de la « Jeune Belgique » et de « L’Art Moderne » et fournit plusieurs contributions à des revues étrangères. Très vite, Verhaeren s’impose comme l’homme-phare et comme le porte-parole du réveil artistique et littéraire de la fin du siècle. Dans des articles fracassants, le visionnaire qu’il est attire l’attention du public sur de jeunes artistes prometteurs, comme James Ensor.Tandis que ses articles de critique d’art et de littérature se multiplient, Verhaeren publie en 1883 son premier recueil, Les Flamandes. Inspiré par les tableaux des grands maîtres flamands Jordaens, Teniers et Steen, le jeune poète évoque les mœurs anciennes de la Flandre et de ses habitants. L’avant-garde crie au chef-d’œuvre à cause de la facture naturaliste du recueil et des esquisses souvent provocatrices, sensuelles et crûment réalistes. Dans le milieu rural catholique, le recueil fait scandale.Le second recueil de Verhaeren, Les Moines (1886) ne reçoit pas non plus un accueil unanimement favorable. Ces déboires, joints à la mort de ses parents en1888 et à d’incessants problèmes de santé, provoquent une crise morale qui ne laissera pas de déteindre sur l’œuvre. De cette période datent en effet Les Soirs, (1888), Les Débâcles (1888) et Les Flambeaux noirs (1891).Mais en octobre 1889, lors d’une visite à sa sœur à Bornem, Verhaeren rencontre Marthe Massin, de cinq ans sa cadette. Cette jeune artiste pleine de talent, originaire de Liège, donne des leçons de dessin aux enfants du comte de Marnix de Sainte-Aldegonde. Elle fréquente la sœur de Verhaeren, dont le mari exerce la fonction de régisseur du comte.. C’est le coup de foudre. Le couple se marie le 24 août 1891 et s’établit à Bruxelles. Leur bonheur se reflète dans trois recueils que le poète consacre à l’amour conjugal : Les Heures claires (1896), Les Heures d’Après-midi (1905) et Les Heures du Soir (1911).Mais d’autres thèmes aussi inspirent Verhaeren. Il se lance dans le combat contre l’inégalité sociale et le déclin des régions rurales, ces fruits amers de la Révolution industrielle. Ce sont Les Campagnes Hallucinées (1893), Les Villes Tentaculaires (1895), Les V

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  • mile Verhaeren

    LES HEURES CLAIRES

    (1896)

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    la splendeur de notre joie, Tisse en or dans lair de soie ! Voici la maison douce et son pignon lger, Et le jardin et le verger. Voici le banc, sous les pommiers Do seffeuille le printemps blanc, ptales frlants et lents. Voici des vols de lumineux ramiers Plnant, ainsi que des prsages, Dans le ciel clair du paysage. Voici pareils des baisers tombs sur terre De la bouche du frle azur Deux bleus tangs simples et purs, Bords navement de fleurs involontaires. la splendeur de notre joie et de nous-mmes, En ce jardin o nous vivons de nos emblmes ! L-bas, de lentes formes passent, Sont-ce nos deux mes qui se dlassent, Au long des bois et des terrasses ? Sont-ce tes seins, sont-ce tes yeux Ces deux fleurs dor harmonieux ? Et ces herbes on dirait des plumages Mouills dans la source quils plissent Sont-ce tes cheveux frais et lisses ? Certes, aucun abri ne vaut le clair verger, Ni la maison au toit lger,

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    Ni ce jardin, o le ciel trame Ce climat cher nos deux mes.

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    Quoique nous le voyions fleurir devant nos yeux, Ce jardin clair o nous passons silencieux, Cest plus encore en nous que se fconde Le plus joyeux et le plus doux jardin du monde. Car nous vivons toutes les fleurs, Toutes les herbes, toutes les palmes En nos rires et en nos pleurs De bonheur pur et calme. Car nous vivons toutes les transparences De ltang bleu qui reflte lexubrance Des roses dor et des grands lys vermeils : Bouches et lvres de soleil. Car nous vivons toute la joie Darde en cris de fte et de printemps, En nos aveux, o se ctoient Les mots fervents et exaltants. Oh ! dis, cest bien en nous que se fconde Le plus joyeux et clair jardin du monde.

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    Ce chapiteau barbare, o des monstres se tordent, Souds entre eux, coups de griffes et de dents, En un tumulte fou de sang, de cris ardents, De blessures et de gueules qui sentre-mordent, Ctait moi-mme, avant que tu fusses la mienne, toi la neuve, toi lancienne ! Qui vins moi des loins dternit, Avec, entre tes mains, lardeur et la bont. Je sens en toi les mmes choses trs profondes Quen moi-mme dormir Et notre soif de souvenir Boire lcho, o nos passs se correspondent. Nos yeux ont d pleurer aux mmes heures, Sans le savoir, pendant lenfance : Avoir mmes effrois, mmes bonheurs, Mmes clairs de confiance : Car je te suis li par linconnu Qui me fixait, jadis au fond des avenues Par o passait ma vie aventurire, Et, certes, si javais regard mieux, Jaurais pu voir souvrir tes yeux Depuis longtemps en ses paupires.

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    Le ciel en nuit sest dpli Et la lune semble veiller Sur le silence endormi. Tout est si pur et clair, Tout est si pur et si ple dans lair Et sur les lacs du paysage ami, Quelle angoisse, la goutte deau Qui tombe dun roseau Et tinte et puis se tait dans leau. Mais jai tes mains entre les miennes Et tes yeux srs, qui me retiennent, De leurs ferveurs, si doucement ; Et je te sens si bien en paix de toute chose, Que rien, pas mme un fugitif soupon de crainte, Ne troublera, ft-ce un moment, La confiance sainte Qui dort en nous comme un enfant repose.

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    Chaque heure, o je pense ta bont Si simplement profonde, Je me confonds en prires vers toi. Je suis venu si tard Vers la douceur de ton regard Et de si loin, vers tes deux mains tendues, Tranquillement, par travers les tendues ! Javais en moi tant de rouille tenace Qui me rongeait, dents rapaces, La confiance ; Jtais si lourd, jtais si las, Jtais si vieux de mfiance, Jtais si lourd, jtais si las Du vain chemin de tous mes pas. Je mritais si peu la merveilleuse joie De voir tes pieds illuminer ma voie, Que jen reste tremblant encore et presquen pleurs, Et humble, tout jamais, en face du bonheur.

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    Tu arbores parfois cette grce bnigne Du matinal jardin tranquille et sinueux Qui droule, l-bas, parmi les lointains bleus, Ses doux chemins courbs en cols de cygne. Et, dautres fois, tu mes le frisson clair Du vent rapide et miroitant Qui passe, avec ses doigts dclair, Dans les crins deau de ltang blanc. Au bon toucher de tes deux mains, Je sens comme des feuilles Me doucement frler ; Que midi brle le jardin, Les ombres, aussitt, recueillent Les paroles chres dont ton tre a trembl. Chaque moment me semble, grce toi, Passer ainsi divinement en moi. Aussi, quand lheure vient de la nuit blme, O tu te cles en toi-mme, En refermant les yeux, Sens-tu mon doux regard dvotieux, Plus humble et long quune prire, Remercier le tien sous tes closes paupires ?

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    Oh ! laisse frapper la porte La main qui passe avec ses doigts futiles ; Notre heure est si unique, et le reste quimporte, Le reste, avec ses doigts futiles. Laisse passer, par le chemin, La triste et fatigante joie, Avec ses crcelles en mains. Laisse monter, laisse bruire Et sen aller le rire ; Laisse passer la foule et ses milliers de voix. Linstant est si beau de lumire, Dans le jardin, autour de nous, Linstant est si rare de lumire trmire, Dans notre cur, au fond de nous. Tout nous prche de nattendre plus rien De ce qui vient ou passe, Avec des chansons lasses Et des bras las par les chemins. Et de rester les doux qui bnissons le jour. Mme devant la nuit dombre barricade, Aimant en nous, par dessus tout, lide Que bellement nous nous faisons de notre amour.

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    Comme aux ges nafs, je tai donn mon cur, Ainsi quune ample fleur Qui souvre, au clair de la rose ; Entre ses plis frles, ma bouche sest pose. La fleur, je la cueillis au pr des fleurs en flamme ; Ne lui dis rien : car la parole entre nous deux Serait banale, et tous les mots sont hasardeux. Cest travers les yeux que lme coute une me. La fleur qui est mon cur et mon aveu, Tout simplement, tes lvres confie Quelle est loyale et claire et bonne, et quon se fie Au vierge amour, comme un enfant se fie Dieu. Laissons lesprit fleurir sur les collines, En de capricieux chemins de vanit ; Et faisons simple accueil la sincrit Qui tient nos deux curs clairs, en ses mains cristallines ; Et rien nest beau comme une confession dmes, Lune lautre, le soir, lorsque la flamme Des incomptables diamants Brle, comme autant dyeux Silencieux, Le silence des firmaments.

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    Le printemps jeune et bnvole Qui vt le jardin de beaut Elucide nos voix et nos paroles Et les trempe dans sa limpidit. La brise et les lvres des feuilles Babillent et effeuillent En nous les syllabes de leur clart. Mais le meilleur de nous se gare Et fuit les mots matriels ; Un simple et doux lan muet Mieux que tout verbe amarre Notre bonheur son vrai ciel : Celui de ton me, deux genoux, Tout simplement, devant la mienne, Et de mon me, deux genoux, Trs doucement, devant la tienne.

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    Viens lentement tasseoir Prs du parterre, dont le soir Ferme les fleurs de tranquille lumire, Laisse filtrer la grande nuit en toi : Nous sommes trop heureux pour que sa mer deffroi Trouble notre prire. L-haut, le pur cristal des toiles sclaire. Voici le firmament plus net et translucide Quun tang bleu ou quun vitrail dabside ; Et puis voici le ciel qui regarde travers. Les mille voix de lnorme mystre Parlent autour de toi. Les mille lois de la nature entire Bougent autour de toi, Les arcs dargent de linvisible Prennent ton me et son lan pour cible, Mais tu nas peur, oh ! simple cur, Mais tu nas peur, puisque ta foi Est que toute la terre collabore cet amour que fit clore La vie et son mystre en toi. Joins donc les mains tranquillement Et doucement adore ; Un grand conseil de puret Et de divine intimit Flotte, comme une trange aurore, Sous les minuits du firmament.

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    Combien elle est facilement ravie, Avec ses yeux dextase igne, Elle, la douce et rsigne Si simplement devant la vie. Ce soir, comme un regard la surprenait fervente, Et comme un mot la transportait Au pur jardin de joie, o elle tait Tout la fois reine et servante. Humble delle, mais ardente de nous, Ctait qui ploierait les deux genoux, Pour recueillir le merveilleux bonheur Qui, mutuel, nous dbordait du cur. Nous coutions se taire, en nous, la violence De lexaltant amour quemprisonnaient nos bras Et le vivant silence Dire des mots que nous ne savions pas.

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    Au temps o longuement javais souffert O les heures mtaient des piges, Tu mapparus laccueillante lumire Qui luit, aux fentres, lhiver, Au fonds des soirs, sur de la neige. Ta clart dme hospitalire Frla, sans le blesser, mon cur, Comme une main de tranquille chaleur ; Un espoir tide, un mot clment, Pntrrent en moi trs lentement ; Puis vint la bonne confiance Et la franchise et la tendresse et lalliance, Enfin, de nos deux mains amies, Un soir de claire entente et de douce accalmie. Depuis, bien que lt ait succd au gel, En nous-mmes et sous le ciel, Dont les flammes ternises Pavoisent dor tous les chemins de nos penses, Et que lamour soit devenu la fleur immense, Naissant du fier dsir, Qui, sans cesse, pour mieux encor grandir, En notre cur, se recommence, Je regarde toujours la petite lumire Qui me fut douce, la premire.

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    Je ne dtaille pas, ni quels nous sommes Lun pour lautre, ni les pourquois, ni les raisons : Tout doute est mort, en ce jardin de floraisons Qui souvre en nous et hors de nous, si loin des hommes. Je ne raisonne pas, et ne veux pas savoir, Et rien ne troublera ce qui nest que mystre Et qulans doux et que ferveur involontaire Et que tranquille essor vers nos parvis despoir. Je te sens claire avant de te comprendre telle ; Et cest ma joie, infiniment, De mprouver si doucement aimant, Sans demander pourquoi ta voix mappelle. Soyons simples et bons et que le jour Nous soit tendresse et lumire servies, Et laissons dire que la vie Nest point faite pour un pareil amour.

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    ces reines qui lentement descendent Les escaliers en ors et fleurs de la lgende, Dans mon rve, parfois, je tapparie ; Je te donne des noms qui se marient la clart, la splendeur et la joie, Et bruissent en syllabes de soie, Au long des vers btis comme une estrade Pour la danse des mots et leurs belles parades. Mais combien vite on se lasse du jeu, te voir douce et profonde et si peu Celle dont on enjolive les attitudes ; Ton front si clair et pur et blanc de certitude, Tes douces mains denfant en paix sur tes genoux, Tes seins se soulevant au rythme de ton pouls Qui bat comme ton cur immense et ingnu, Oh ! comme tout, hormis cela et ta prire, Oh ! comme tout est pauvre et vain, hors la lumire Qui me regarde et qui maccueille en tes yeux nus.

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    Je ddie tes pleurs, ton sourire, Mes plus douces penses, Celles que je te dis, celles aussi Qui demeurent imprcises Et trop profondes pour les dire. Je ddie tes pleurs, ton sourire toute ton me, mon me, Avec ses pleurs et ses sourires Et son baiser. Vois-tu, laurore nat sur la terre efface, Des liens dombre semblent glisser Et sen aller, avec mlancolie ; Leau des tangs scoule et tamise son bruit, Lherbe sclaire et les corolles se dplient, Et les bois dor se dsenlacent de la nuit. Oh ! dis, pouvoir un jour, Entrer ainsi dans la pleine lumire ; Oh ! dis, pouvoir un jour Avec toutes les fleurs de nos mes trmires, Sans plus aucun voile sur nous, Sans plus aucun mystre en nous, Oh dis, pouvoir, un jour, Entrer deux dans le lucide amour !

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    Je noie en tes deux yeux mon me toute entire Et llan fou de cette me perdue, Pour que, plonge en leur douceur et leur prire, Plus claire et mieux trempe, elle me soit rendue. Sunir pour purer son tre, Comme deux vitraux dor en une mme abside Croisent leurs feux diffremment lucides Et se pntrent ! Je suis parfois si lourd, si las, Dtre celui qui ne sait pas Etre parfait, comme il se veut ! Mon cur se bat contre ses vux, Mon cur dont les plantes mauvaises, Entre des rocs denttement, Dressent, sournoisement, Leurs fleurs dencre ou de braise ; Mon cur si faux, si vrai, selon les jours, Mon cur contradictoire, Mon cur exagr toujours De joie immense ou de crainte attentatoire.

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    Pour nous aimer des yeux, Lavons nos deux regards, de ceux Que nous avons croiss, par milliers, dans la vie Mauvaise et asservie. Laube est en fleur et en rose Et en lumire tamise Trs douce : On croirait voir de molles plumes Dargent et de soleil, travers brumes, Frler et caresser, dans le jardin, les mousses. Nos bleus et merveilleux tangs Tremblent et saniment dor miroitant, Des vols merauds, sous les arbres, circulent ; Et la clart, hors des chemins, des clos, des haies, Balaie La cendre humide, o trane encor le crpuscule.

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    Au clos de notre amour, lt se continue : Un paon dor, l-bas traverse une avenue ; Des ptales pavoisent, Perles, meraudes, turquoises Luniforme sommeil des gazons verts ; Nos tangs bleus luisent, couverts Du baiser blanc des nnuphars de neige ; Aux quinconces, nos groseillers font des cortges ; Un insecte de prisme irrite un cur de fleur ; De merveilleux sous-bois se jaspent de lueurs ; Et, comme des bulles lgres, mille abeilles Sur des grappes dargent, vibrent, au long des treilles. Lair est si beau quil parat chatoyant ; Sous les midis profonds et radiants, On dirait quil remue en roses de lumire ; Tandis quau loin, les routes coutumires, Telles de lents gestes qui sallongent vermeils, lhorizon nacr, montent vers le soleil. Certes, la robe en diamants du bel t Ne vt aucun jardin daussi pure clart ; Et cest la joie unique close en nos deux mes Qui reconnat sa vie en ces bouquets de flammes.

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    Que tes yeux clairs, tes yeux dt, Me soient, sur terre, Les images de la bont. Laissons nos mes embrases Exalter dor chaque flamme de nos penses. Que mes deux mains contre ton cur Te soient, sur terre, Les emblmes de la douceur. Vivons pareils deux prires perdues Lune vers lautre, toute heure, tendues. Que nos baisers sur nos bouches ravies Nous soient sur terre, Les symboles de notre vie.

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    Dis-moi, ma simple et ma tranquille amie, Dis, combien labsence, mme dun jour, Attriste et attise lamour Et le rveille, en ses brlures endormies. Je men vais au devant de ceux Qui reviennent des lointains merveilleux, O, ds laube, tu es alle ; Je massieds sous un arbre, au dtour de lalle, Et, sur la route, piant leur venue, Je regarde et regarde, avec ferveur, leurs yeux Encore clairs de tavoir vue. Et je voudrais baiser leurs doigts qui tont touche, Et leur crier des mots quils ne comprendraient pas, Et jcoute longtemps se cadencer leurs pas Vers lombre, o les vieux soirs tiennent la nuit penche.

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    En ces heures o nous sommes perdus Si loin de tout ce qui nest pas nous-mmes. Quel sang lustral ou quel baptme Baigne nos curs vers tout lamour tendus ? Joignant les mains, sans que lon prie, Tendant les bras, sans que lon crie, Mais adorant on ne sait quoi De plus lointain et de plus pur que soi, Lesprit fervent et ingnu, Dites, comme on se fond, comme on se vit dans linconnu. Comme on sabme en la prsence De ces heures de suprme existence, Comme lme voudrait des cieux Pour y chercher de nouveaux dieux, Oh ! langoissante et merveilleuse joie Et lesprance audacieuse Dtre, un jour, travers la mort mme, la proie De ces affres silencieuses.

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    Oh ! ce bonheur Si rare et si frle parfois Quil nous fait peur ! Nous avons beau taire nos voix, Et nous faire comme une tente, Avec toute ta chevelure, Pour nous crer un abri sr, Souvent langoisse en nos mes fermente. Mais notre amour tant comme un ange genoux, Prie et supplie, Que lavenir donne dautres que nous Mme tendresse et mme vie, Pour que leur sort de notre sort ne soit jaloux. Et puis, aux jours mauvais, quand les grands soirs Illimitent, jusques au ciel, le dsespoir, Nous demandons pardon la nuit qui senflamme De la douceur de notre me.

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    Vivons, dans notre amour et notre ardeur, Vivons si hardiment nos plus belles penses Quelles sentrelacent, harmonises lextase suprme et lentire ferveur. Parce quen nos mes pareilles, Quelque chose de plus sacr que nous Et de plus pur et de plus grand sveille, Joignons les mains pour ladorer travers nous. Il nimporte que nous nayons que cris ou larmes Pour humblement le dfinir, Et que si rare et si puissant en soit le charme, Qu le goter, nos curs soient prts dfaillir. Restons quand mme et pour toujours, les fous De cet amour presquimplacable, Et les fervents, deux genoux, Du Dieu soudain qui rgne en nous, Si violent et si ardemment doux Quil nous fait mal et nous accable.

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    Sitt que nos bouches se touchent, Nous nous sentons tant plus clairs de nous-mmes Que lon dirait des Dieux qui saiment Et qui sunissent en nous-mmes ; Nous nous sentons le cur si divinement frais Et si renouvel par leur lumire Premire Que lunivers, sous leur clart, nous apparat. La joie est nos yeux lunique fleur du monde Qui se prodigue et se fconde, Innombrable, sur nos routes den bas ; Comme l haut, par tas, En des pays de soie o voyagent des voiles Brille la fleur myriadaire des toiles. Lordre nous blouit, comme les feux, la cendre, Tout nous claire et nous parat : flambeau ; Nos plus simples mots ont un sens si beau Que nous les rptons pour les sans cesse entendre. Nous sommes les victorieux sublimes Qui conqurons lternit, Sans nul orgueil et sans songer au temps minime : Et notre amour nous semble avoir toujours t.

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    Pour que rien de nous deux nchappe notre treinte, Si profonde quelle en est sainte Et qu travers le corps mme, lamour soit clair, Nous descendons ensemble au jardin de ta chair. Tes seins sont l, ainsi que des offrandes, Et tes deux mains me sont tendues ; Et rien ne vaut la nave provende Des paroles dites et entendues. Lombre des rameaux blancs voyage Parmi ta gorge et ton visage Et tes cheveux dnouent leur floraison, En guirlandes, sur les gazons. La nuit est toute dargent bleu, La nuit est un beau lit silencieux, La nuit douce, dont les brises vont, une une, Effeuiller les grands lys dards au clair de lune.

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    Bien que dj, ce soir, Lautomne Laisse aux sentes et aux ores, Comme des mains dores, Lentes, les feuilles choir ; Bien que dj lautomne, Ce soir, avec ses bras de vent, Moissonne Sur les rosiers fervents, Les ptales et leur pleur, Ne laissons rien de nos deux mes Tomber soudain avec ces fleurs. Mais tous les deux autour des flammes De ltre en or du souvenir, Mais tous les deux blottissons-nous, Les mains au feu et les genoux. Contre les deuils craindre ou venir, Contre le temps qui fixe toute ardeur sa fin, Contre notre terreur, contre nous-mmes, enfin, Blottissons-nous, prs du foyer, Que la mmoire en nous fait flamboyer. Et si lautomne obre grands pans dombre et dorages plnants, Les bois, les pelouses et les tangs, Que sa douleur du moins naltre Lintrieur jardin tranquillis, O sunissent, dans la lumire, Les pas gaux de nos penses.

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    Le don du corps, lorsque lme est donne Nest rien que laboutissement De deux tendresses entranes Lune vers lautre, perdment. Tu nes heureuse de ta chair Si simple, en sa beaut natale, Que pour, avec ferveur, men faire Loffre complte et laumne totale. Et je me donne toi, ne sachant rien Sinon que je mexalte te connatre, Toujours meilleure et plus pure peut-tre Depuis que ton doux corps offrit sa fte au mien. Lamour, oh ! quil nous soit la clairvoyance Unique, et lunique raison du cur, nous, dont le plus fol bonheur Est dtre fous de confiance.

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    Ft-il en nous une seule tendresse, Une pense, une joie, une promesse, Qui nallt, delle-mme, au devant de nos pas ? Ft-il une prire en secret entendue, Dont nous nayons serr les mains tendues Avec douceur, sur notre sein ? Ft-il un seul appel, un seul dessein, Un vu tranquille ou violent Dont nous nayons panoui llan ? Et, nous aimant ainsi, Nos curs sen sont alls, tels des aptres, Vers les doux curs timides et transis Des autres : Ils les ont convis, par la pense, se sentir aux ntres fiancs, proclamer lamour avec des ardeurs franches, Comme un peuple de fleurs aime la mme branche Qui le suspend et le baigne dans le soleil ; Et notre me, comme agrandie, en cet veil, Sest mise clbrer tout ce qui aime, Magnifiant lamour pour lamour mme, Et chrir, divinement, dun dsir fou, Le monde entier qui se rsume en nous.

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    Le beau jardin fleuri de flammes Qui nous semblait le double ou le miroir, Du jardin clair que nous portions dans lme, Se cristallise en gel et or, ce soir. Un grand silence blanc est descendu sasseoir L-bas, aux horizons de marbre, Vers o sen vont, par dfils, les arbres Avec leur ombre immense et bleue Et rgulire, ct deux. Aucun souffle de vent, aucune haleine. Les grands voiles du froid, Se dplient seuls, de plaine en plaine, Sur des marais dargent ou des routes en croix. Les toiles paraissent vivre. Comme lacier, brille le givre, travers lair translucide et glac. De clairs mtaux pulvriss linfini, semblent neiger De la pleur dune lune de cuivre. Tout est scintillement dans limmobilit. Et cest lheure divine, o lesprit est hant Par ces mille regards que projette sur terre, Vers les hasards de lhumaine misre, La bonne et pure et inchangeable ternit

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    Sil arrive jamais Que nous soyons, sans le savoir, Souffrance ou peine ou dsespoir, Lun pour lautre ; sil se faisait Que la fatigue ou le banal plaisir Dtendissent en nous larc dor du haut dsir ; Si le cristal de la pure pense De notre amour doit se briser, Si malgr tout, je me sentais Vaincu pour navoir pas t Assez en proie la divine immensit De la bont ; Alors, oh ! serrons-nous comme deux fous sublimes Qui sous les cieux casss, se cramponnent aux cimes Quand mme. Et dun unique essor Lme en soleil, sexaltent dans la mort.

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    Fvrier 2008

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