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Annales de pathologie (2008) 28S, S84—S86 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com SYMPOSIUM / Prise en charge d’un nodule du cou (thyroïde exceptée) Les lésions kystiques cervicales Michel Wassef Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Lariboisière, faculté de médecine, université Denis-Diderot—Paris-7, AP—HP, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France Disponible sur Internet le 14 octobre 2008 Le diagnostic des lésions kystiques du cou se pose de fac ¸on très différente chez l’enfant (et l’adulte jeune) et chez l’adulte et selon la localisation médiane ou latérale de la lésion. Les lésions cervicales kystiques de l’enfant et de l’adulte jeune Cette pathologie est essentiellement représentée par des lésions malformatives: kystes du tractus thyréoglosse, kystes dermoïdes, lésions branchiales et malformations vasculaires. Leur diagnostic est essentiellement basé sur la clinique, en particulier la topographie, parfois aidée de l’imagerie [1,2]. Les kystes cervicaux médians Le kyste du tractus thyréoglosse (KTT) Le KTT représente à lui seul 70 à 90 % des kystes cervicaux de l’enfant. Le tractus thy- réoglosse naît du foramen cæcum de la base de langue et migre caudalement jusqu’à la hauteur du larynx et de la trachée où il participe à la formation de la glande thyroïde. Son trajet passe en avant, au sein ou plus rarement en arrière des tissus du deuxième arc branchial qui formeront l’os hyoïde. L’absence d’involution complète de ce tractus peut se traduire par la persistance de structures canalaires (parfois associées à des glandes séro- muqueuses ou à du tissus thyroïdien) dont la dilatation aboutira à la formation de kystes localisés sur le trajet normal du tractus. Les KTT se localisent le plus souvent au voisinage de l’os hyoïde. Les localisations à la base de langue ou à la partie moyenne/basse du cou sont plus rares. Le diagnostic clinique est en général facile devant un kyste médian ou para- médian du cou qui se mobilise vers le haut à la protraction de la langue et à la déglutition. Les examens préopératoires se limitent le plus souvent à une échographie pour vérifier l’existence de lobes thyroïdiens en place et/ou à une étude de la fonction thyroïdienne. Les thyroïdes ectopiques associées aux kystes du tractus thyréoglosse sont habituellement hypofonctinnelles. La cytoponction est rarement nécessaire. Elle peut montrer quelques cellules malpighiennes et/ou respiratoires associées à des macrophages et quelques lym- phocytes. Les KTT peuvent s’enflammer, s’infecter et éventuellement s’ouvrir à la peau. Le traitement est chirurgical et doit emporter la totalité des reliquats du tractus et la portion médiane de l’os hyoïde. Symposium présenté le mercredi 19 novembre 2008, de 14 h 30 à 16 h 30 en salle 101, sous l’égide de M. Wassef et P. Vielh. Adresse e-mail : [email protected]. 0242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2008.09.027

Les lésions kystiques cervicales

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nnales de pathologie (2008) 28S, S84—S86

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

YMPOSIUM / Prise en charge d’un nodule du cou (thyroïde exceptée)

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Michel Wassef

Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Lariboisière, faculté de médecine,université Denis-Diderot—Paris-7, AP—HP, 2, rue Ambroise-Paré, 75475 Paris cedex 10, France

Disponible sur Internet le 14 octobre 2008

Le diagnostic des lésions kystiques du cou se pose de facon très différente chez l’enfant (etl’adulte jeune) et chez l’adulte et selon la localisation médiane ou latérale de la lésion.

Les lésions cervicales kystiques de l’enfant et de l’adulte jeune

Cette pathologie est essentiellement représentée par des lésions malformatives: kystes dutractus thyréoglosse, kystes dermoïdes, lésions branchiales et malformations vasculaires.

Leur diagnostic est essentiellement basé sur la clinique, en particulier la topographie,parfois aidée de l’imagerie [1,2].

Les kystes cervicaux médians

Le kyste du tractus thyréoglosse (KTT)Le KTT représente à lui seul 70 à 90 % des kystes cervicaux de l’enfant. Le tractus thy-réoglosse naît du foramen cæcum de la base de langue et migre caudalement jusqu’à lahauteur du larynx et de la trachée où il participe à la formation de la glande thyroïde.Son trajet passe en avant, au sein ou plus rarement en arrière des tissus du deuxième arcbranchial qui formeront l’os hyoïde. L’absence d’involution complète de ce tractus peut setraduire par la persistance de structures canalaires (parfois associées à des glandes séro-muqueuses ou à du tissus thyroïdien) dont la dilatation aboutira à la formation de kysteslocalisés sur le trajet normal du tractus. Les KTT se localisent le plus souvent au voisinagede l’os hyoïde. Les localisations à la base de langue ou à la partie moyenne/basse du cousont plus rares. Le diagnostic clinique est en général facile devant un kyste médian ou para-médian du cou qui se mobilise vers le haut à la protraction de la langue et à la déglutition.Les examens préopératoires se limitent le plus souvent à une échographie pour vérifierl’existence de lobes thyroïdiens en place et/ou à une étude de la fonction thyroïdienne.Les thyroïdes ectopiques associées aux kystes du tractus thyréoglosse sont habituellementhypofonctinnelles. La cytoponction est rarement nécessaire. Elle peut montrer quelquescellules malpighiennes et/ou respiratoires associées à des macrophages et quelques lym-phocytes. Les KTT peuvent s’enflammer, s’infecter et éventuellement s’ouvrir à la peau.Le traitement est chirurgical et doit emporter la totalité des reliquats du tractus et laportion médiane de l’os hyoïde.

� Symposium présenté le mercredi 19 novembre 2008, de 14 h 30 à 16 h 30 en salle 101, sous l’égide de M. Wassef et P. Vielh.Adresse e-mail : [email protected].

242-6498/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.annpat.2008.09.027

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Les lésions kystiques cervicales

Le kyste dermoïdeIl s’agit ici d’anomalies de la fusion médiane antérieure desarcs branchiaux qui englobent dans le tissus sous-cutané deséléments épithéliaux qui formeront des kystes bordés d’unrevêtement cutané avec annexes. Ces kystes se retrouventde la région sous-mentale à la fourchette sternale et ne sontpas mobilisés par la déglutition. Ils sont semblables cytologi-quement et histologiquement aux kystes dermoïdes d’autrelocalisation. Leur traitement est chirurgical.

Le kyste de la glande sublingualeCe kyste ou pseudokyste, également appelé grenouillette(ranula pour les anglo-saxons), se développe généralementdans le plancher buccal. Il peut cependant rarement tra-verser le plan des muscles mylohyoïdiens et se manifestercomme un kyste cervical haut (grenouillette plongeante),souvent plus paramédian que réellement médian et plusantérieur que les localisations linguales des KTT.

La fente cervicale médianeElle est très rare et se présente, chez le nouveau-né, commeune ulcération médiane du cou, souvent associée à un lam-beau cutané pouvant contenir du cartilage ou du musclestrié. Son traitement est chirurgical.

Les kystes cervicaux latéraux

Les sinus, fistules et kystes branchiauxCe sont des anomalies par persistances d’éléments despoches et fentes branchiales. Les sinus sont des conduitsborgnes ouverts à la peau ou à une muqueuse aérodiges-tive ; les fistules ont deux extrémités ouvertes, souvent à lapeau et à une muqueuse. Sinus et fistules sont plus fréquem-ment diagnostiqués chez le petit enfant et sont constituésd’un épithélium malpighien ou respiratoire, parfois associé

à des éléments cartilagineux élastiques ou du muscle strié.Les kystes se voient plutôt chez le grand enfant, l’adultejeune, voire l’adulte et ne comportent que rarement deséléments mésenchymateux. Le diagnostic précis de l’origineembryologique est essentiellement fonction du siège de lalésion, région parotidienne et auriculaire pour les lésionsdu premier appareil branchial, le long du sternocléidomas-toïdien, de l’angle de la mâchoire à la fourchette sternalepour le deuxième (les plus fréquents), origine ou continuitéavec le sinus piriforme pour les kystes et sinus du troisièmeappareil branchial. On rapproche de ces derniers les kystesthymiques.

Les kystes thymiques et parathyroïdiensRares, ils peuvent s’observer sur tout le trajet de migrationdes ébauches de ces organes, de l’angle de la mâchoire aumédiastin antérieur et supérieur. Les kystes thymiques ontune paroi stratifiée, malpighienne ou plus endothéliformemais on retrouve du tissu thymique résiduel dans leur paroi.Leur aspect cytologique est banal et peu diagnostic, faitd’un petit nombre de cellules malpighiennes régulières etd’éléments lymphocytaires et macrophagiques. Les kystesparathyroïdiens, rarement symptomatiques, ont un revête-ment cubique de cellules éosinophiles ou claires, exprimantla chromogranine. L’association de kystes parathyroïdiens(infracliniques) avec du tissu salivaire hétérotopique a étérapportée.

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Le kyste bronchogéniqueParatrachéal mais aussi sous-cutané ou cutané, à la basedu cou et de l’épaule, ces lésions rares sont bordées parun épithélium respiratoire, rarement associé à des glandesséromuqueuses [3]. La présence de cellules cylindriquesciliées dans le matériel de ponction permet un diagnosticcytologique.

Les malformations vasculairesIl s’agit essentiellement de malformations lymphatiques« lymphangiomes », plus rarement hémolymphatiques. Lesmalformations lymphatiques cervicales sont fréquentes,souvent situées à la base du cou. Elles peuvent êtrevolumineuses et de volume variable dans le temps. Ellesont pour caractéristique clinique de permettre une trans-illumination. La ponction ramène un liquide citrin, plusrarement trouble ou lactescent, riche en lymphocytes avecun nombre variable de macrophages spumeux ou chargésde débris basophiles. La conjonction des aspects macrosco-pique et cytologique du liquide est très caractéristique.

Les lésions cervicales kystiques de l’adulte

Si les kystes malformatifs peuvent se manifester pour la pre-mière fois chez un adulte, toute lésion kystique apparaissantchez un sujet de plus de 40 doit, à priori, faire suspecterune métastase kystique et cette probabilité augmente avecl’âge. Les métastases kystiques sont le plus souvent cellesde carcinomes épidermoïdes de la muqueuse de l’anneaude Waldeyer, souvent amygdaliens, souvent inaccessibles àla palpation et à la biopsie car situés au fond d’une crypte.Certains carcinomes papillaires de la thyroïde peuvent aussiêtre révélés par une métastase kystique.

Comme les kystes du deuxième appareil branchial, lesmétastases kystiques des carcinomes épidermoïdes se ren-contrent le plus souvent dans la zone II du cou. L’examencytologique de ces lésions kystiques est souvent difficile[4] et les pourcentages de faux négatifs atteignent 50 à67 %. Ces kystes sont souvent ponctionnés à l’occasion d’une

poussée inflammatoire et les cellules épithéliales très dis-persées dans le matériel inflammatoire. Dans ce contexte,les cellules des lésions bénignes peuvent présenter desmodifications dégénératives impressionnantes et les cel-lules tumorales diagnostiques être très rares. La réalisationde ponction guidée (sur la paroi du kyste) peut permettred’enrichir le prélèvement en éléments diagnostiques. Ledoute cytologique doit conduire à un pan endoscopie ORLavec biopsies systématiques des régions amygdaliennes, dela base de langue et du cavum et, en cas de résultat néga-tif, à l’exérèse chirurgicale du kyste, qui sera curatrice encas de kyste branchial et permettra le diagnostic en cas demétastase kystique.

La constatation d’une métastase kystique devra faireréaliser ou répéter l’exploration ORL. L’amygdalectomiehomolatérale ou bilatérale devra être réalisée avant de por-ter un diagnostic de métastase de primitif inconnu.

Le carcinome épidermoïde sur kystebranchial, mythe ou réalité ?

Le développement d’un carcinome épidermoïde sur kystebranchial préexistant (carcinome branchiogénique) a fait(et fait encore) couler beaucoup [5]. Si cette entité existe,

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e qui n’est pas démontré de facon convaincante, ellest très certainement exceptionnelle, comparée à la rela-ive fréquence des métastases kystiques. Ce diagnostic neeut être envisagé que s’il existe dans le même kyste unarcinome associé à des zones d’épithélium parfaitementormal et que les biopsies et l’amygdalectomie systéma-iques n’ont montré aucun primitif. L’une des difficultés,ans ce cadre, est d’affirmer la présence de zones malpi-hiennes non tumorales, certains carcinomes pouvant avoires zones extrêmement bien différenciées. Des publica-ions récentes de carcinomes « branchiogéniques » pèchentncore par l’absence de biopsie et/ou d’amygdalectomiet par des illustration peu convaincantes de la composanteénigne [6,7].

En pratique, tout kyste cervical malpighien après 40 anse peut être considéré comme bénin que si le revêtementst partout parfaitement régulier et différencié, sans struc-ure papillaire. Dans tous les autres cas, une métastaseystique doit être suspectée ou affirmée. La présence ou’absence de structures ganglionnaires (capsule, sinus. . .)ans la paroi du kyste n’apporte aucun argument dans unens ou dans l’autre, certains kystes branchiaux se dévelop-ant au contact de ganglions qui peuvent être incorporés à

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M. Wassef

eur paroi du fait des remaniements inflammatoires périkys-iques.

éférences

1] Foley DS, Fallat ME. Thyroglossal duct and other congenital mid-line cervical anomalies. Semin Pediatr Surg 2006;15: 70—5.

2] Waldhausen JH. Branchial cleft and arch anomalies in children.Semin Pediatr Surg 2006;15:64—9.

3] Al-kasspooles MF, Alberico RA, Douglas WG, et al. Broncho-genic cyst presenting as a symptomatic neck mass in anadult: case report and review of the literature. Laryngoscope2004;114:2214—7.

4] Goldenberg D, Sciubba J, Koch WM. Cystic metastasis from headand neck squamous cell cancer: a distinct disease variant ? HeadNeck 2006;28:633—8.

5] Jereczek-Fossa BA, Casadio C, Jassem J, et al. Branchiogeniccarcinoma–conceptual or true clinico-pathological entity ? Can-cer Treat Rev 2005;31:106—14.

6] Girvigian MR, Rechdouni AK, Zeger GD, et al. Squamous cell car-cinoma arising in a second branchial cleft cyst. Am J Clin Oncol2004;27:96—100.

7] Lin YC, Fang SY, Huang RH. Branchiogenic squamous cell carci-noma: a case report. Int J Oral Maxillofac Surg 2004;33:209—12.