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Les Plaines

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  • Gerald Murnane

    Les Plaines

    Roman traduit de langlais (Australie)

    par Brice Matthieussent

    P.O.L33, rue Saint-Andr-des-Arts, Paris 6e

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  • Titre original : The Plains Gerald Murnane, 1982

    P.O.L diteur, 2011, pour la traduction franaiseISBN : 978-2-8180-0383-1

    www.pol-editeur.com

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  • Nous avions enfin dcouvert un pays prt accueillir aussi-tt lhomme civilis

    Thomas Livingstone Mitchell,Trois expditions dans lintrieur

    de lAustralie orientale

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  • Un

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    Il y a vingt ans, lors de mon premier sjour dans les plaines, je gardais les yeux grands ouverts. Je cher-chais dans le paysage tout ce qui, derrire les appa-rences, semblait indiquer un sens subtil.

    Mon voyage vers les plaines fut beaucoup moins ardu que je ne lai ensuite dcrit. Et je ne peux mme pas dire qu un certain moment jai su que javais quitt lAustralie. Mais je me rappelle trs clairement une succession de jours o les terres plates qui sten-daient autour de moi mapparaissaient de plus en plus comme un lieu que moi seul pourrais interprter.

    Les plaines que je traversais alors ntaient pas uniformment identiques. Je dcouvrais parfois une vaste valle peu encaisse qui accueillait des arbres pars, du btail immobile et peut-tre en son centre un maigre cours deau. Parfois, dans une campagne absolument monotone, la route slevait vers ce qui tait sans aucun doute possible une colline, avant que je voie seulement devant moi une autre plaine, nue, plate, dcourageante.

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    Dans la grande ville que jatteignis certain aprs-midi, je remarquai une manire de parler et un style vestimentaire qui me convainquirent que je tou-chais au but. Les citadins ntaient pas tout fait les hommes des plaines que javais espr trouver dans ces rgions centrales et recules, mais jtais heureux de savoir que devant moi mattendaient davantage de plaines que je nen avais dj traverses.

    En fin de soire, je restai longtemps une fentre du deuxime tage du plus grand htel de la ville. Au-del des alignements rguliers des lampadaires, mon regard portait vers la campagne obscure. Une brise arriva du nord en bourrasques tides. Je me penchai dans ces bouffes qui montaient des tendues dherbe les plus proches. Je me composai diverses expressions suggrant toute une varit dmotions puissantes. Et je chuchotai des mots qui auraient pu tre ceux dun personnage de film linstant o il comprend quil a trouv lendroit o il se sent chez lui. Puis je recu-lai dans la chambre pour masseoir la table sp cia-lement installe l mon intention.

    Javais dfait mes valises quelques heures plus tt. Sur ma table sempilaient maintenant des dossiers remplis de notes, des botes de fiches cartonnes ainsi que plusieurs livres aux pages marques par des bandes de papier numrotes. Au sommet de la pile se trouvait un carnet de taille moyenne sur la couverture duquel on lisait :

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    LINTRIEUR(SCNARIO)

    CL DU CATALOGUE DESNOTES DE RFRENCE

    ET AUTRES SUJETS DINSPIRATION

    Je tirai un volumineux dossier intitul Penses en vrac non catalogues, puis y crivis :

    Aucun habitant de cette rgion ne sait qui je suis ni ce que jai lintention de faire ici. trange de se dire que, parmi tous les gens des plaines endormis cette heure (dans leurs normes maisons aux murs en bois et au toit de tle rouge, aux grands jardins arides domins par les poivriers, les kurrajongs et les ran-ges de tamaris), aucun na eu cette vision des plaines que je vais bientt dvoiler.

    Je passai la journe du lendemain dans les laby-rinthes des bars et des salons du rez-de-chausse de lhtel. Toute la matine je restai assis, seul, dans un profond fauteuil en cuir, regarder les bandes de lumire aveuglante qui entouraient les stores vnitiens ferms devant des fentres donnant sur la grand-rue. Ctait une journe sans nuage du dbut de lt et le violent soleil matinal atteignait jusquaux profondeurs de la vranda de lhtel.

    Parfois, je penchais lgrement la tte pour pla-cer mon visage dans le courant dair plus frais dun ventilateur install au plafond, jobservais la bue qui se formait sur mon verre et je pensais avec plaisir

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    aux grandes variations climatiques qui affectaient les plaines. En labsence de collines et de montagnes, le soleil estival clairait lintgralit du paysage depuis laube jusquau soir. Et en hiver, les vents et les averses qui balayaient ces immenses espaces nus hsitaient peine devant les rares bosquets darbres censs prot-ger les hommes ou les animaux. Je savais que certaines grandes plaines de la plante restaient des mois sous la neige, mais jtais content que mon propre pays ne figurt pas parmi elles. Je prfrais de loin voir toute lanne la vraie configuration du sol et non pas les dpressions et les monticules trompeurs de quelque autre lment. En tout cas, je considrais la neige (que je navais jamais vue) comme appartenant trop aux cultures europenne et amricaine pour convenir ma propre rgion.

    Dans laprs-midi, je me joignis lun des groupes dhommes des plaines qui arrivaient de la grand-rue pour sinstaller leur endroit habituel le long des immenses bars. Je choisis un groupe qui semblait inclure des intellectuels et des gardiens de lhistoire et du folklore de la rgion. Je conclus de leurs habits et de leur allure que ce ntaient pas des leveurs de moutons ou de btail, mme sils passaient sans doute le plus clair de leur temps au grand air. Quelques-uns avaient peut-tre commenc dans la vie en tant que fils cadets de grandes familles terriennes. (Tous les habi-tants des plaines devaient leur prosprit la terre. Toutes les villes, vastes ou modestes, se maintenaient

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    flot grce la richesse inpuisable des latifundia qui les entouraient.) Tous arboraient les vtements de la classe oisive et cultive des plaines : un pantalon gris uni au pli impeccable, une chemise blanche immacu-le ainsi que le fixe-cravate et le brassard assortis.

    Trs dsireux de me faire accepter parmi ces hommes, je me prparai toutes les preuves quils mimposeraient peut-tre. Nanmoins, je ne matten-dais vraiment pas ce quils minterrogent sur un sujet abord dans les livres que javais lus propos des plaines. Faire des citations tires duvres littraires aurait t contre lesprit qui animait ce genre de ru-nions, mme si tous les hommes assembls l avaient sans doute lu nimporte lequel des livres que jaurais pu citer. Peut-tre parce queux-mmes se sentaient tou-jours encercls par lAustralie, les habitants des plaines prfraient voir en la lecture une activit prive qui les soutenait sans doute dans leurs affaires publiques, mais qui ne les dispensait nullement de lobligation de cultiver une tradition reconnue par tous.

    Et pourtant, quelle tait cette tradition ? En cou-tant les habitants des plaines, jeus la sensation stu-pfiante quils navaient aucune envie de se rfugier dans une croyance commune ; que chacun deux se trouvait soudain mal laise ds quun autre parais-sait tenir pour acquise une chose quil revendiquait pour les plaines dans leur ensemble. Ctait comme si chaque homme des plaines voulait apparatre tel un habitant solitaire dune rgion que lui seul tait

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    apte expliquer. Et mme lorsque lun deux parlait de sa plaine spcifique, il semblait choisir ses mots comme si le plus simple dentre eux ne venait pas dun fond commun, mais trouvait seulement son sens par lusage particulier quil en faisait.

    En ce premier aprs-midi, je compris que ce quon avait parfois dcrit comme larrogance des habitants des plaines ntait en fait rien dautre que leur rpugnance reconnatre la moindre com-munaut de vues entre eux-mmes et les autres hommes. Comme ils le savaient trs bien, cette atti-tude tait aux antipodes du dsir alors partag par tous les Australiens qui tenaient souligner le moindre point commun quils semblaient avoir avec dautres cul tures. Un homme des plaines non seulement pr-tendait ignorer les murs en vigueur dans dautres rgions, mais il tenait paratre mal inform leur sujet. Le plus irritant pour les gens de lextrieur, ctait quil faisait semblant de navoir aucune culture distincte, plutt que de voir sa terre et ses coutumes assimiles une partie dune communaut plus large aux gots et aux modes contagieux.

    *

    Je ne quittai pas lhtel, et presque tous les jours je prenais un verre avec un nouveau groupe. Malgr toutes mes notes, mes esquisses et mes brouillons de plans, je ne savais toujours pas avec certitude ce que

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    mon film allait montrer. Jesprais tirer une force et une dtermination soudaines de la rencontre dun homme des plaines dont lassurance sans faille aurait seulement pu provenir du fait que, ce jour-l, il venait justement dachever la dernire page de ses notes en vue dun roman ou dun film propre rivaliser avec le mien.

    Javais dj commenc mexprimer librement devant les hommes des plaines que je rencontrais. Quelques-uns voulurent entendre mon histoire avant de divulguer la leur. Je my tais prpar. Jtais prt, si seulement ils le savaient, passer des mois dtudes silencieuses dans les bibliothques et les galeries dart de leur ville afin de prouver que je ntais pas un simple touriste ni un banal visiteur. Mais au bout de quelques jours passs lhtel, je concoctai une histoire qui me rendit bien service.

    Je dis aux hommes des plaines que jtais en voyage, ce qui tait vrai. Je ne leur prcisai pas litin-raire que javais suivi jusqu leur ville, ni la direction que je prendrais peut-tre quand je la quitterais. Ils dcouvriraient la vrit quand le film LIntrieur serait termin. Pour le moment, je leur laissais croire que javais entam mon voyage dans un coin recul des plaines. Et, ainsi que je lavais espr, aucun ne douta de moi ni ne prtendit mme connatre la rgion que je venais de nommer. Car les plaines taient si immenses quaucun de ses habitants ne stonna jamais dentendre dire quelles incluaient une rgion

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    que lui-mme navait jamais vue. De plus, de nom-breux endroits situs loin lintrieur des terres taient sujets dbat : faisaient-ils partie des plaines, ou pas ? Aucun accord navait jamais t trouv quant ltendue relle des plaines.

    Je leur racontais une histoire presque entire-ment dnue dvnements ou de faits marquants. Un tranger en aurait tir peu de profit, mais les hommes des plaines comprenaient. Ctait le genre dhistoire qui sduisait leurs propres romanciers, dramaturges et potes. Les lecteurs et les publics des plaines taient rarement impressionns par les dbordements affec-tifs, les conflits violents ou les calamits soudaines. Ils se disaient que les artistes qui proposaient ce genre de choses avaient t tromps par le vacarme des foules ou par la profusion des formes et des surfaces dans les paysages raccourcis du monde situ au-del des plaines. Les hros des habitants des plaines, dans la vie relle comme dans lart, ressemblaient cet homme qui depuis trente ans rentrait chez lui chaque aprs-midi pour retrouver une maison banale, une pelouse impeccable et des buissons malingres, et qui restait assis jusque tard dans la nuit pour choisir litinraire dun voyage quil aurait pu suivre depuis trente ans pour aboutir lendroit o il se tenait prsentement assis ou cet homme qui ne saventurerait mme pas sur lunique route partant de sa ferme isole, de peur de ne pas la reconnatre sil la voyait dun des points de vue loigns qui taient ceux des autres.

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    Certains historiens suggraient que le phno-mne des plaines elles-mmes tait responsable des diffrences culturelles entre leurs habitants et les Australiens en gnral. Lexploration des plaines avait constitu lvnement majeur de leur histoire. Ce qui avait dabord paru parfaitement plat et sans caractre finit par rvler dinnombrables et subtiles variations du paysage ainsi quune abondance de vie sauvage et furtive. Leurs tentatives pour estimer leur juste valeur leurs dcouvertes et les dcrire avaient rendu les habitants des plaines exceptionnellement observa-teurs, sensibles et rceptifs aux rvlations progres-sives du sens. Les gnrations suivantes ragirent la vie et lart comme leurs anctres avaient apprhend ces vastes tendues herbeuses qui se fondaient dans la brume. Ils considraient le monde lui-mme comme une plaine supplmentaire dans une srie infinie.

    *

    Un aprs-midi, je remarquai une lgre tension dans le bar qui tait devenu mon prfr. Certains de mes compagnons parlaient voix basse. Dautres sexprimaient avec une dsagrable stridence, comme sils espraient se faire entendre dune pice loigne. Je compris que pour moi le jour tait venu de faire mes preuves en tant quhomme des plaines. Quelques grands propritaires terriens taient arrivs en ville, dont certains se trouvaient dj dans lhtel.

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    Jessayai de ne pas trahir ma nervosit et jobser-vai de prs mes compagnons. La plupart dentre eux mouraient denvie de sentendre appeler dans le salon loign et central pour un bref entretien avec ces hommes quils souhaitaient avoir pour protec-teurs. Mes compagnons savaient pourtant quils attendraient peut-tre jusquau coucher du soleil, voire jusqu minuit. Car lors de leurs rares visites, ces grands propritaires ne tenaient aucun compte des horaires respects par les citadins. Ils aimaient rgler leurs affaires commerciales en dbut de mati-ne, puis sinstaller confortablement dans un de leurs salons prfrs de lhtel avant lheure du djeuner. Ils demeuraient l tout le temps quils voulaient, en buvant de manire extravagante et en commandant des collations ou des repas complets des inter valles imprvisibles. Beaucoup restaient jusquau matin ou mme laprs-midi du lendemain, mais il ny avait jamais plus dun membre du groupe somnoler dans son fauteuil tandis que les autres parlaient en priv ou sentretenaient avec un de leurs candidats de la ville.

    Me pliant la coutume, je les informai de mon nom par lintermdiaire dun des citadins qui se trouva appel de bonne heure. Puis jappris tout ce que je pus sur ces hommes runis dans le salon loin-tain et je me demandai lequel dentre eux allait renon-cer une partie de sa fortune et peut-tre sa propre fille pour voir son domaine transform en dcor du film qui rvlerait les plaines au monde.

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  • Achev dimprimer en janvier 2011dans les ateliers de la Nouvelle Imprimerie Laballery

    Clamecy (Nivre) N dditeur : 2202

    N ddition : 175626N dimprimeur : XXXXDpt lgal : fvrier 2011

    Imprim en France

  • Gerald Murnane

    Les Plaines Traduit par Brice Matthieussent

    Cette dition lectronique du livre

    Les Plaines de GERALD MURNANE,

    traduit de langlais par BRICE MATTHIEUSSENT, a t ralise le 15 avril 2011 par les ditions P.O.L.

    Elle repose sur ldition papier du mme ouvrage, achev dimprimer en janvier 2011 par la Nouvelle Imprimerie Laballery

    (ISBN : 9782818003831)

    Code Sodis : N44305 - ISBN : 9782818003855

    Numro ddition : 175626

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    CouvertureTitreCopyrightExergueTexteUn

    AchevJustification