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Publié dans : Cattacin, Sandro et Barbara Lucas (1999). "Autorégulation, intervention étatique, mise en réseau. Les transformations de l’Etat social en Europe : les cas du VIH/sida, de l’abus d’alcool et des drogues illégales." Revue française de science politique 49(3): 379-398. Autorégulation, intervention étatique, mise en réseau Les transformations de l’Etat social en Europe : les cas du VIH/sida, de l’abus d’alcool et des drogues illégales Sandro Cattacin et Barbara Lucas Abstract La réflexion autour du développement de l’État social et ces récentes transformations est menée dans cet article en partant de l’analyse des politiques déployées dans les domaines de l’abus d’alcool, des drogues illégales et du VIH/sida. Une reconstruction historique nous permettra notamment à mettre en évidence des transformations de l’agir étatique au cours de ce siècle qui a vu la naissance et le déclin de l’État social, mais aussi le développement de nouvelles formes d’action étatiques caractérisées par la forte propension à la modération d’acteurs. Dans la comparaison des réponses en termes de politiques publiques à ces problèmes sociaux, nous serons d’ailleurs conduit à penser que des phases de divergences et de convergences observables sont à reconduire à un jeu de démarcation entre la sphère politiques et celles des savoirs. Introduction À partir du moyen âge, des formes plus abstraites d'organisation s’ajoutent aux solidarités primaires (famille, parenté, corporations), marquant la naissance du “ social ”, lieu institutionnalisé de création du bien-être. Sa diffusion, cependant, est récente. Au XIXe siècle, on observe les premiers signes de son institution la plus importante - l'Etat social, mais celui-ci ne se développera de manière accélérée qu'après la seconde guerre mondiale. Par ailleurs, cette évolution ne suit pas une trajectoire unique. Les caractéristiques de l'organisation du social, mais aussi des différents champs qui le composent se révèlent multiples et différenciées,

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Publié dans : Cattacin, Sandro et Barbara Lucas (1999). "Autorégulation, intervention étatique, mise en réseau.Les transformations de l’Etat social en Europe : les cas du VIH/sida, de l’abus d’alcool et des drogues illégales."Revue française de science politique 49(3): 379-398.

Autorégulation, intervention étatique, mise en réseauLes transformations de l’Etat social en Europe : les cas du

VIH/sida, de l’abus d’alcool et des drogues illégales

Sandro Cattacin et Barbara Lucas

Abstract

La réflexion autour du développement de l’État social et ces récentestransformations est menée dans cet article en partant de l’analyse des politiquesdéployées dans les domaines de l’abus d’alcool, des drogues illégales et duVIH/sida. Une reconstruction historique nous permettra notamment à mettre enévidence des transformations de l’agir étatique au cours de ce siècle qui a vu lanaissance et le déclin de l’État social, mais aussi le développement de nouvellesformes d’action étatiques caractérisées par la forte propension à la modérationd’acteurs. Dans la comparaison des réponses en termes de politiques publiques àces problèmes sociaux, nous serons d’ailleurs conduit à penser que des phases dedivergences et de convergences observables sont à reconduire à un jeu dedémarcation entre la sphère politiques et celles des savoirs.

Introduction

À partir du moyen âge, des formes plus abstraites d'organisation s’ajoutentaux solidarités primaires (famille, parenté, corporations), marquant la naissance du“ social ”, lieu institutionnalisé de création du bien-être. Sa diffusion, cependant,est récente. Au XIXe siècle, on observe les premiers signes de son institution laplus importante - l'Etat social, mais celui-ci ne se développera de manièreaccélérée qu'après la seconde guerre mondiale. Par ailleurs, cette évolution ne suitpas une trajectoire unique. Les caractéristiques de l'organisation du social, maisaussi des différents champs qui le composent se révèlent multiples et différenciées,

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imposant des reconsidérations empiriques et théoriques régulières. Durant lesannées soixante, par exemple, les chercheurs se sont essentiellement consacrés àdichotomiser les réponses organisationnelles aux défis sociaux de nos sociétés en“ communisme ” et “ capitalisme ” (voir notamment Rimlinger 1966).

- L’Allemagne représente une voie paternalistique-bureaucratique vu que c’estBismarck qui introduit les plus importantes réformes allant dans unedirection de mis en place d’un Etat social et qu’il confie la gestion desprogrammes sociaux à la bureaucratie..

- Les Etats-Unis sont décrits comme le modèle libéral ou les institutions ne semettent en place que pas par pas. Les acteurs étatiques interviennent peu etles systèmes de sécurité sociale se baseront surtout sur des acteurs privés etdes contrats individuels entre l’assurance et l’assuré.

- La Russie décrite comme voie patriarcale-collectiviste ou le social est lié àl’appartenance à un protecteur (typique aussi en moyen âge: chaquepropriétaire de terrain est responsable du bien-être des gens qui travaillepour ce propriétaire; on échange protection contre travail), transforméaprès la Révolution d’octobre en appartenance à un Etat qui maintien leprincipe de l’organisation du welfare à travers des collectivitésthéoriquement autogérés (par exemple le système des kolkhozes).

Puis, sur les traces de Titmuss (1974) et de Dahl et Lindblom (1963), desmodèles de compréhension plus complexes ont été développés, qui différencient,cette fois à l’intérieur du monde capitaliste, trois voire quatre variantesd’organisation de la solidarité - citons par exemple les travaux d'Esping-Anderson(1990), Ferrera (1992) ou Leibfried (1985). De plus, ces modélisations récentessont sensibles à la manière dont s’organise le social, mais aussi au contenu despolitiques.

Notre réflexion s’insère dans cette reconsidération permanente des modèlesdu bien-être. En évoquant, dans une perspective historique, l'évolution des

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politiques dans les domaines de l'alcool, des drogues illégales et plus tardivementdu VIH/sida, nous chercherons en effet à repérer les traits caractéristiques del’organisation contemporaine des solidarités. Ces trois politiques sont en effetparticulièrement intéressantes, dans la mesure où elles s'élaborent chacune à unmoment-clé de l'histoire de l'organisation du social : au XIXe siècle dans le cas del'alcool, alors que les premiers instruments d’un Etat social se mettent en place ; àla fin des années soixante dans le cas des drogues illégales, pendant que nossociétés traversent une phase de prise en charge des problèmes sociaux par un“ Etat-providence mûr ” ; au milieu des années quatre-vingt dans le cas duVIH/sida, tandis que la mise en cause de l’État social est à l'ordre du jour. De cefait, ces trois politiques permettent, nous semble-t-il, d'illustrer le développementde l’organisation du social et, en fin de compte, de reconsidérer - certes demanière exploratoire - les différentes lectures actuelles. Soulignons aussi que cestrois politiques se sont développées dans tous les pays capitalistes, rendant de cefait leur mise en perspective fructueuse du point de vue du comparativiste à larecherche des différentes réponses possibles1.

Le texte qui va suivre propose donc une reconstruction historique dudéveloppement de l'organisation du bien-être, démarche illustréesystématiquement par les trois politiques choisies. Dans les conclusions, nousessayerons d'interpréter, de manière exploratoire, les transformations actuelles dela politique de l’État social en Europe.

Autorégulation et Etat gendarme

Le développement des sociétés du bien-être et de la solidaritéinstitutionnalisée est étroitement lié à l'industrialisation et à ses conséquences.

TABLEAU TAKE OFF

1 Notre analyse est basée sur trois projets comparatifs : 1. la maîtrise du VIH/sida (cf.

Cattacin et al. 1997) ; 2. la politique en matière de drogues illégales (cf. Cattacin et al. 1996) ; 3.la politique de lutte contre l’abus d’alcool (cf. Bütschi/Cattacin 1994 ; Lucas 1998).

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Dans un premier temps, la prise en charge des problèmes sociaux s'esttraduite - suivant la logique de l’Etat de droit, garant d'un certain nombre delibertés - par l'adoption de mesures légales visant la défense des personnes, plusparticulièrement dans le cadre du travail. Dans ce sens, la limitation du temps detravail, la définition d'un âge légal ou la fixation des conditions minimalesd'hygiène représentent, jusqu'à la fin du XIXe siècle, les premiers signes de lamise en place d'une citoyenneté sociale. Ainsi, c’est le droit positif, fixant un cadreà l’activité économique, qui peut être considéré comme le premier instrument del’intervention systématique de l’Etat dans le champ du social. De manière plusabstraite, nous pouvons parler à ce propos d'une forme minimale de régulation ducontexte de production de problèmes sociaux. La prise en charge des personnes“à problèmes” ne relève pas encore, en revanche, de la sphère d'interventionétatique. L'assistance est laissée aux organisations privées, souvent liées à desmouvements religieux, la charité au bon vouloir des individus.

À la fin du XIXe siècle, cette figure de la place et du rôle de l'Etat social dansune société libérale se complexifie, avec la persistance, voire l'accroissement desproblèmes sociaux, la formulation politique de la “ question sociale ” et sonappropriation par les mouvements ouvriers. Parallèlement, l'Etat s'engagedavantage dans la garantie des intérêts économiques nationaux. Tandis que lesinstruments de l'action publique se multiplient, le social se va construire, trèsapproximativement, à partir des domaines traditionnels d'intervention étatique :ordre public, fiscalité, cadre de production économique et protection du marché.La première guerre mondiale sera par ailleurs souvent l'occasion pour les Etatsd'adopter des mesures plus incisives et interventionnistes, relevant d'une logiqueéconomique, agricole ou fiscale, mesures qui, une fois le conflit terminé,persisteront au titre de mesures sociales2. Ainsi, dès le tournant du siècle, les payseuropéens expérimentent des formes plus complexes de régulation du social. Lespolitiques qui en découlent résultent d'une juxtaposition de mesures, dont les

2 Des exemples peuvent être trouvés dans le cas des politiques alcool (taxes), mais aussi dans

le domaine du logement social (contrôle des loyers).

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diverses combinaisons permettent de distinguer plusieurs formes dansl'organisation des solidarités.

L’exemple des politiques de lutte contre l’abus d’alcool en Europe peutnous permettre d'illustrer ce processus. Historiquement en effet, les premièresinterventions étatiques relatives à l’alcool se résument à la punition des ivrogneset à l’adoption de systèmes plus ou moins sophistiqués de taxation. Dans le cadrede l’Etat gendarme, ces taxes représentent uniquement un moyen d’alimenter lescaisses nationales. Toutefois, avec la révolution industrielle et la croissance de laproduction, de la distribution et de la consommation de boissons alcoolisées(notamment des eaux-de-vie), les réponses se complexifient.

De manière générale, le maintien de l’ordre public se révèle dans tous lespays comme une dimension importante face aux problèmes liés à l’abus d’alcool,qui se traduit par deux séries de mesures. La première s’adresse auxcomportements déviants et se traduit par le recours aux asiles d’aliénés ou auxprisons. La Finlande est un cas exemplaire de cette perspective répressive.Jusqu’en 1950 en effet, les problèmes liés à l’alcoolisme seront traités parl’entremise de la police, des prisons et du soin forcé (Mäkelä 1981 : 41). Laseconde est la mise en place d’un cadre légal limitant l’accessibilité de l’alcool,mais n’impliquant pas forcément de mesures coercitives vis-à-vis des individus.Ainsi, la Grande-Bretagne instaure au début du siècle un système de restrictionconcernant jours et les heures de vente, légitimé par référence à l’ordre social(Berridge 1992), sans jamais, en revanche autoriser le traitement forcé.

Si l’ordre public reste l’unique point de rencontre entre l’alcoolique ou lebuveur ivre et l’Etat, les configurations d’acteurs comme les instruments d’actionse diversifient. De manière encore exploratoire, nous distinguerons trois grandestrajectoires adoptées par les pays européens pour répondre aux problèmes liés àl’abus d’alcool à partir du tournant du siècle.

La première trajectoire, que l’on peut qualifier de libérale, est la poursuited'une politique régulative minimale. Elle caractérise la réaction des pays du Sudde l'Europe, traditionnels producteurs de vins, notamment l’Italie, l’Espagne et laFrance, mais aussi l’Allemagne, l’Autriche, les Pays-Bas ou la Belgique peuvent

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êtres assimilés à ce type de réponses. Cette politique se base sur une concordanceentre les intérêts économiques privés liés à la production, à la consommation et aucommerce d’alcool et ceux de l’Etat. Ce dernier ne subit aucune incitation àproblématiser la consommation et se contente de garantir l’équilibre économiquenational. Il réagit uniquement, en réponse aux pressions - relativement faibles - dela société civile, par l’adoption de mesures d’ordre publique (notamment parl’introduction d’un système de licence pour la vente, la restriction du nombre dedébits de boissons, l’adoption d’une limite d'âge pour l'achat, ou par lacriminalisation de l'ivresse publique et l’internement forcé)3. Les mesurestouchant à la vente s’avèrent plus symboliques qu’effectives (c’est le cas en Italie,en France, aux Pays-Bas ou en Belgique)4. De manière générale, les enjeuxéconomiques et fiscaux apparaissent dominants5.

La seconde trajectoire des politiques en matières d'alcool est caractérisée parla représentation dans le système politique d’intérêts multiples et conflictuels liés àl’alcool. Dans ce contexte, l’Etat cherche à combiner différentes rationalités,principalement l’intérêt fiscal, l’équilibre économique et l’ordre public. La Suisse,la République de Weimar, la Grande-Bretagne et le Danemark suivent cettetrajectoire. Deux clivages principaux peuvent être mis à jour. Le premier est celuidivisant les mouvements de tempérance et les milieux industriels ou commerciaux(de manière particulièrement aigüe en Allemagne et en Grande-Bretagne). Le

3 Ce type de mesures est d’ailleurs aussi à la base de la première croisade contre les droguesillégales à cette époque. Elles relèvent en effet d'un état de droit usant de son arsenal législatif (parexemple : loi sur l'opium aux Pays-Bas : 1919 ; loi italienne sur les stupéfiants : 1923 ; voir à cetteégard Boggio et al. 1997).

4 En Italie, la première mesure de lutte contre les problèmes liés à l'alcool est lacondamnation de l'ivresse publique et de l'incitation à l'ivresse par le code pénal, en 1889. En1913, une nouvelle loi vise (infructueusement) à réduire le nombre de débit de boisson enfonction du nombre d'habitants. En France, les premières mesures visant directement l'alcool sontle Décret sur l'autorisation des débits de boissons de 1850 (abrogé de 1880) et la loi instituant desmesures répressives contre l'ivresse en 1873. (À propos de l'Italie, voir notamment Cottino etMorgan, 1987 ; à propos de la France, voir notamment Mossé 1992). Aux Pays-Bas, la premièreloi sur l'alcool, en 1881, introduit pour des raisons essentiellement commerciale une licencemunicipale pour la vente de produits distillés, appliquée par ailleurs de manière très libérale. EnBelgique enfin, la prohibition partielle de certaines boissons est adoptée en 1919 mais elle seraaisément contournée (voir Armyr et al. 1982, Single et al. 1981).

5 En Allemagne, le monopole sur la production et la vente de produits distillés, instauré autournant du siècle, remplit une fonction essentiellement agricole et économique.

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second est celui séparant les intérêts locaux des intérêts de l’Etat, qui se traduit entermes de répartition des compétences (c’est le cas de la Suisse). Dans cecontexte, l’Etat se profile comme un médiateur. Il engage un processus deredistribution compensatrice des pouvoirs et des ressources (la Suisse, laRépublique de Weimar) ou cherche à assurer une régulation par le jeu du marché,à travers un système de taxes et d’incitations (le Danemark, la Grande-Bretagne).Les pays suivant cette trajectoire recourent à des instruments capables d'agirdirectement sur une partie de la consommation (satisfaisant par là lesrevendications des mouvements de tempérance) mais en préservant les intérêtsindustriels puissants6.

Enfin, la troisième trajectoire se caractérise par l’alliance dominante entre desmouvements de tempérance puissants et l’Etat, suivant une dynamiqueintégrative qui privilégie le contrôle social. L’ivresse publique est réprimée et,élargissant le concept d’ordre public à tout un ensemble de “ déviances ”, deslois sociales coercitives (loi sur les pauvres, les vagabonds, les malades mentaux)s’appliquent aux alcooliques, avant que leur incarcération ne soit explicitementprévue. Les pays qui suivent cette trajectoire sont les pays nordiques, comme laNorvège, la Suède et la Finlande. La régulation des problèmes liés à l’abusd’alcool apparaît comme une expression maximale des possibilités de l’Etatgendarme, qui voit cette fois converger les intérêts en présence. Ledéveloppement de cette politique est ainsi lié à la possibilité de l’Etat de sesubstituer aux intérêts privés dans le domaine de la production et de la vente

6 La Suisse instaure en 1886 un monopole sur les eaux-de-vie, à vocation fiscale et

redistributive. Une part de ses revenus est en effet redistribué aux canton. Il s’agit de la dîme, quivise “à prévenir l’alcoolisme dans ses causes et ses effets” (Constitution fédérale, art. 32 bis). Lesprincipaux bénéficiaires de cette manne fédérale seront les organisations de tempérance. LaRépublique de Weimar s’inspirera de ce principe. En revanche, le Danemark utilise uneaugmentation drastique des taxes sur les spiritueux durant la première guerre afin de déplacer laconsommation vers la bière. Quant à la Grande-Bretagne, elle a cherché dès la première moitié duXIXe à jouer la bière contre les alcools forts (Beer House Act). Si des mesures restreignant lecadre de vente ont ensuite été adoptées sous l’influence des mouvements de tempérance, l’Etat acherché parallèlement à encourager la production de bière légère et de vin, ne touchant donc pasaux intérêts bien organisés des producteurs.

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d’alcool, du fait de la faiblesse de l’industrie7. Elle est aussi rendue possible parl’inclusion des mouvements de tempérance dans les structures officielles destinéesà lutter contre l’alcoolisme et à le prévenir, garantissant ainsi la légitimité de cesmesures essentiellement restrictives (les Comités de tempérance locaux, parexemple, sont chargés de contrôler la vente de produits alcoolisés et depromouvoir l’abstinence). Enfin, une véritable dynamique de la tempérance semanifeste au niveau local, venant renforcer la politique nationale. En Norvège parexemple, mais aussi en Finlande, les municipalités conservent les prérogatives leurpermettant toujours d’être plus restrictives que l’Etat central (en 1914, la majoritédes commune norvégiennes sont “ sans alcool ”).

Ainsi, durant cette longue période - période qui s'achève avec la secondeguerre mondiale - et quelle que soit la trajectoire suivie par les pays européens, laréférence à l’ordre publique domine l’intervention de l’Etat, qui ne s'investit quede manière relativement marginale dans les domaines du soin ou de la prévention.Ces questions sont en effet traitées majoritairement par des mouvements etorganisations civiques, aux idéologies différentes. Sans entrer dans les détails,signalons les interventions des premiers mouvements bourgeois de tempérance,des œuvres d’entraide, des organisations religieuses, puis des organisations para-syndicales ou des divers mouvements ouvriers. Dans l'ensemble toutefois, cesacteurs sociaux se caractérisent par leur approche moralisante de laconsommation d’alcool et de ses conséquences.

Le traitement des alcooliques relève avant tout d’une logique subsidiaire. Lesétablissements mis en place par des acteurs privés sont généralement nettementmieux équipés que les quelques structures étatiques existantes (voir p. ex. Castel1995 : 217ss). L'Etat, lorsqu'il intervient, le fait dans la perspective d'ordre publicqui caractérise cette époque : la prise en charge des personnes alcooliques se

7 La Suède innove avec la diffusion du système de Göteborg entre 1850 et 1915 (contrôle

économique et moral, au niveau local, se traduisant par l’introduction de monopole sur la vente)puis avec le système Bratt jusqu’en 1955 (contrôle central de la consommation individuelle basésur le principe du rationnement). La Finlande adopte le système de Göteborg dans les années1870, puis s’essaye avec l’indépendance à la prohibition entre 1919 et 1932, avant d’instaurer unmonopole complet doublé d’un permis pour l’achat. La Norvège enfin, s’inspire aussi du systèmede Göteborg entre 1870 et 1919 avant de combiner monopole d’Etat et prohibition.

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développe dans le mouvement des institutions psychiatriques naissantes, demanière plus ou moins spécialisée, mais toujours liée à sa dimensionpotentiellement coercitive8.

Par ailleurs, l’action des organisations liées au mouvement de tempérance estsouvent guidée par de véritables programmes d’intervention sociale. Ces acteursfont pression pour l'adoption d'une politique régulative plus stricte et pour la miseen place de mesures de prévention, notamment dans les écoles. Leur importancemais aussi leur influence politique est loin d’être homogène en Europe.Considérable dans les pays suivant une trajectoire intégrative, elle apparaîtvariable dans les pays cherchant une solution par la médiation et pratiquementinexistante dans les pays où nous avons constaté une régulation libérale.

De manière générale, il faut souligner enfin que les premiers signes de ce quideviendra l’État social durant les “trente glorieuses” commencent à se manifesterdès le tournant du siècle. L'adoption successive des assurances obligatoires contredes risques sociaux tels que la vieillesse, le chômage, les accidents, la maladie,mais aussi la mise en place d’infrastructures médicales, notamment hospitalièressont les éléments les plus visibles de cet État social naissant, qui ajouteraprogressivement à la logique de régulation du cadre, des conditions de productionet de vie, une logique d'intervention réparative. De plus, l'influence desorganisations de prise en charge privée à connotations religieuse tend déjà àdécliner ou à se laïciser, au profit de groupes professionnels toujours mieuxstructurés, qui revendiquent leur part du secteur social en construction. Toutefois,si le début du XXe siècle est souvent riche en prémices, c'est bien à partir desannées 1950 que ce nouveau mode d'organisation des solidarités va s'imposerdans toute l'Europe.

8 L'Etat, en France, aborde la question du traitement des personnes alcooliques à travers la loi

de 1838 sur les “ asiles d'aliénés ” et celle de 1873 sur les prisons. En Suède en revanche, lespremières institutions étatiques spécialisées apparaissent en 1916 avec l'entrée en vigueur de la loisur les alcooliques. En Autriche enfin, une première réponse officielle, professionnelle, spécialiséeet coercitive s'ébauche à l'intérieur de l'hôpital psychiatrique de Vienne, à partir de 1922.

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L’Etat planificateur

Ce changement dans la manière dont l'Etat organise la solidarité, après laseconde guerre mondiale et jusqu’aux années 1980, a pour caractéristiquesprincipales la substitution ou l’affaiblissement de la filière privée par l'interventionpublique. En effet, ni les acteurs privés ni l'Etat de droit - tel qu'il s'est développéà partir de la révolution bourgeoise en Europe - ne sont en mesure de répondreaux demandes croissantes de résolution des problèmes sociaux - demandesexprimées à travers des revendications syndicales et, de manière générale, àtravers l'extension des moyens démocratiques de participation. Le développementd'un type d'Etat plus présent et plus actif est aussi stimulé par la radicalisation dela confrontation sociale (appelant une intervention apaisante), les deux guerresmondiales (dont sont issus une bureaucratie moderne et des programmes sociauxde large envergure) et les innovations technologiques (qui permettent desinterventions de type rationnel dans la société). Ce développement, qui représentenotre seconde période, aboutira, dans les années soixante-dix, à des formesd’interventions étatiques typiques de l’État social.

L’attitude répressive et la régulation par des lois-cadre restent importantes.Cependant, des politiques réparatives, s'adressant directement aux effets desproblèmes sociaux, s'ajoutent à ces premières formes d'intervention, de manièrejuxtaposée plutôt qu’intégrée. Cela signifie que l'on augmente l’importance de laprise en charge assurantielle des risques (voir notamment Ewald 1986), mais aussique l'on médicalise les réponses aux problèmes sociaux (comme le souligne parexemple Gerhardt 1991). Ces deux logiques, en effet, sont réparatives : il s'agitd'assurer les dégâts en rationalisant les risques ou/et d'intervenir de manièremédicale pour guérir des personnes affectées. Par ailleurs, l’interventionpsychosociale, elle aussi professionnalisée, relève d'institutions toujours plusspécialisées, à même d'élargir le champ médical. Cette évolution des formes de lasolidarité organisée est lisible dans le champ qui se constitue à cette époque, celuide la lutte contre la drogue mais aussi dans la manière dont la politique en matièred'alcool évolue.

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La politique en matière de drogue illégale se développe à partir de la fin desannées soixante9. Sa première expression, - à l'image des premières mesuresprises vis à vis des problèmes d'abus d'alcool un siècle auparavant - est celle d'unepolitique d’ordre public : l’appareil juridico-policier est en effet le premier à êtreactivé. Cette réaction est suivie, particulièrement à la fin des années soixante-dix,par la sollicitation des infrastructures médicales, le plus souvent dans l'urgence, etpar la volonté étatique de favoriser les institutions de traitement (sevrage,thérapie). Progressivement, la vision première, objectivant le toxicomane, laisseplace à une appréhension plus globale de l’individu, qui s’exprime notamment parl’importance accordée aux programmes de type psychosocial. En d’autrestermes, la première réaction non répressive qui se dessine face au problème de ladrogue est, historiquement, une réponse médicale et psychosociale10. Ce passagede la répression à la répression/médicalisation est identifiable, au cours des annéessoixante-dix, dans des cas très différents. Un exemple de cette évolution : l'Italie,qui réagit tout d’abord aux problèmes de drogues en activant une loi de 1923 -posant ainsi le problème des substances psychotropes sur le seul angle judiciaire-,avant de s'orienter vers une vision clairement médicale, avec l'adoption d'unenouvelle loi en 1975. Dans l'ensemble des pays européens, on observe durantcette période une inclusion de la question des drogues illégale (d'une partie de laquestion au moins) au sein du système de la santé.

Dans le champ des politiques en matière d'alcool, ordre public etmédicalisation représentent aussi les principales réponses à partir des années 1950.Les interventions visant l’ordre public à travers la répression se concentrentmaintenant sur la question de l'alcool au volant : on note dans tous les payseuropéens l'introduction progressive du contrôle du taux d'alcoolémie chez les

9 Cette politique envers les substances illégales concerne le cannabis et ses dérivés, puis

l’héroïne, la cocaïne et les drogues dites de synthèse. La diffusion de ces produits, à partir de lafin des années 1960, a en effet marqué la naissance des politiques en matière de drogue, même sides lois limitant l’accès aux substances psychotropes existaient déjà dans la plupart des payseuropéens.

10 Ce n'est qu'à partir des années quatre-vingt que s’ajouteront - dans certains pays et demanière extrêmement différenciée - d’autres “ piliers ” à cette politique. Il s'agira tout d'abord dela prévention dite primaire, puis de l’aide à la survie.

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conducteurs et le renforcement des sanctions relatives à l'ivresse au volant.Parallèlement, la médicalisation des problèmes alcooliques est à l'ordre du jour,avec la mise en place d'une couverture généralisée des dépenses de santé. Dansune logique assurantielle, la majorité des pays européens couvre, à partir desannées cinquante, les frais de traitement de personnes reconnues “alcooliques”.

Le corollaire de cette médicalisation est une substitution des acteurs privéstraditionnels par des acteurs professionnalisés et laïques. Les mouvements detempérance ont en effet décliné, en deux phases, partant des pays du sud où ilsn’ont jamais réussi à s’implanter (le déclin remonte alors à la première guerremondiale) jusqu’au pays de l’Europe centrale et de l’Europe du nord (où ledéclin ne s’amorce parfois qu’après la seconde guerre mondiale). L'alcoolisme estprogressivement reconnu comme une maladie et différentes définitions médicalesse succèdent, relayées par l'Organisation mondiale de la santé (OMS).Rapidement, le modèle du chercheur américain Jellinek (alcoolisme commemaladie dont on peut mettre en évidence les étapes, types d'alcoolisme) s'imposeen Europe. Le mouvement, américain lui aussi, des Alcooliques Anonymes (quis'appuie sur une vision de l'alcoolisme comme maladie) se diffuse également,d’abord dans les pays anglo-saxons, puis, latins et scandinaves, contribuant à lanormalisation de ce nouveau concept de prise en charge11. Notons, par ailleurs,que cette médicalisation ne correspond pas, à l'instar du cas des drogues, à ladiffusion d'un modèle médical unique et que différentes variantes peuvent êtremises en évidence12.

11 L'anonymat et l'indépendance sont les deux concepts essentiels des AA, qui sont des

groupes d'entraide. Les AA se distinguent par ailleurs des mouvements de tempérance parl'absence de toute dénonciation morale. Ils se caractérisent par leur grande capacité d’adaptationaux différents contextes nationaux (voir Eisenbach-Stangl, 1995).

12 Trois variantes - au moins - de cette médicalisation sont discernables dans le cas de la luttecontre l'alcoolisme : L’Italie par exemple, après avoir soutenu la thèse de la liaison entre l’abusd’alcool et le crime (suivant par là l’école longuement hégémonique formée autour duphysionomiste Lombroso), développe un système de soins basé sur un “ psychologisme étroit ”(Jellinek 1976, cité par Cottino 1987), intervenant massivement de manière pharmacologique (àpropos de l'Italie, voir Cottino 1987). L’Autriche (mais aussi la Grande-Bretagne, la Suisse ou laSuède), confie la personne alcoolique à une psychiatrie qui voit dans l’abus d’alcool le symptômed’autres malaises (pour l'Autriche, on se reportera à Eisenbach-Stangl 1991). Enfin, dans d’autrespays, comme la France, la Belgique ou les Pays-Bas, on note une évacuation des connotations

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Durant la période précédente, la moralisation des enjeux par les groupes detempérance permettait en quelque sorte de relier la question de l'alcool à uneforme de prévention de l'abus. En revanche, la vague de médicalisation et lanormalisation de “l'alcoolisme” qui déferle à partir des années 1950 relativisel’importance de l’information ou de l'éducation, particulièrement dans uncontexte de croissance de la production et de la consommation de produitsalcoolisés. Les mouvements de tempérance sont affaiblis ou dissous et les acteursprivés traditionnels trop faibles pour contrebalancer la tendance assurantielle etmédicalisante. Leur langage, de plus, ne correspond plus aux codes decommunication qui se mettent en place dans une Europe de la croissance. C'est lediscours du compromis keynésien - amalgamant richesse sociale etdéveloppement technique - qui gagne en crédibilité, auprès de citoyens bénéficiantd'une augmentation de leur standard de vie. Dans le champ de l'alcool, onobserve dans ce contexte une convergence des politiques européennes versl’intégration de l'alcoolisme dans le système de la santé et vers l’intégration del'alcool dans la réglementation des produits alimentaires, tandis que les mesures decontrôle de l’accessibilité tendent à s’alléger (Mäkelä et al. 1981). La préventionne trouve pratiquement aucune place dans ce modèle.

Ainsi, jusqu'à la fin des années soixante-dix, nous constatons que lespolitiques développées en Europe dans le champ de l’alcool et dans celui desdrogues illégales passent par une phase de répression, puis de médicalisation etpsychologisation. Le schéma de réponse apparaît comparable, quel que soit lepays européen analysé. Toutefois, il est important de ne pas considérer cesdifférentes étapes comme un processus de substitution d'une politique par uneautre, mais plutôt comme une juxtaposition de politiques différentes. Ainsi, lesmesures relevant de l’ordre public voire de la répression ne perdent pasforcément en intensité avec l'importance croissante de la médicalisation. Ces deuxtype de réponses se développent en effet dans des administrations parallèles. Lesactivités de prévention de l’abus d’alcool et de drogues, quant à elles,apparaissent relativement peu importantes lorsqu'il s'agit de prévention dite morales attachées au problème de l’alcool, qui devient de ce fait une maladie parmi d’autres,susceptible d'être prise en charge par les structures médicales et thérapeutiques existantes.

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primaire, et particulièrement centrées sur ce que l'on nomme la préventionsecondaire et tertiaire (dépistage, traitement, réinsertion)13. Bien que chaque paysévolue à partir d’une constellation particulière (due aux traditions nationales etaux premières décisions concernant la mise en place d’un système d’organisationdu social), ces politiques se ressemblent, dans leur contenu mais aussi dans leurincohérence. En effet, la croissance économique caractérisant cette période met àdisposition de l’Etat des ressources lui permettant de couvrir par son actionl'ensemble de l’intervention sociale et, dans le même temps, de mettre en œuvreun large projet de pacification de la société. Or, le résultat de cette doubleopportunité sera une intégration de tous les intérêts importants au sein destructures de négociations, évitant de ce fait les choix issus de confrontationsdémocratiques.

L’Etat incitateur et modérateur

Quelles sont les réponses qui se dessinent depuis les années quatre-vingt dansles champs analysés ? Sous la pression d'une crise aux différents visages, identifiéetout d'abord comme crise de la reproduction économique capitaliste (Sik 1972 ouMeadows 1972), puis comme crise de gouvernabilité (Crozier et al. 1975) et enfincomme crise de “ l'Etat-providence ” et de son projet (Habermas 1985), uneadaptation des modèles d'organisation du bien-être est à l'ordre du jour dans tousles pays européens.

CRITIQUES TABLEAU

Trois manières de gérer le social peuvent être mises en évidence, à partir dedifférentes constellations d'acteurs, des différents puissances économiques despays et des différentes traditions organisationnelles, qui seront ravivées dans lesannées quatre-vingt. Le premier cas combine un Etat faible et basé sur une

13 À cet égard, soulignons ici que la division du concept de prévention en trois stades

(primaire, secondaire et tertiaire) répond précisément au modèle médical qui s'est imposé danstoute l'Europe, en suivant les étapes du développement de la “maladie” (sur le concept deprévention, voir Freeman 1992).

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tradition corporatiste - tradition corrigée dans le système de la santé par deséléments de type universaliste - dont l'intégration s'effectue sur la base depratiques clientélaire (a). Le second est caractérisé par un État social fort, basé surune compétence centrale de planification, se développant de manière incrémentaleet apparaissant relativement imperméable aux innovations (b). Enfin, le troisièmecas représente un système politique qui a institutionnalisé la fragmentationterritoriale et/ou culturelle de sa société, cherchant une réponse sociétale auxproblèmes sociaux (c). Pour illustrer les différents modèles du bien-être issus deces trois constellations, nous nous baserons principalement sur les premièresréponses apportées, précisément durant cette époque de “crise”, aux problèmesdu VIH/sida, tout en cherchant des repères dans les deux autres champs analysés.

ad a) Dans le premier cas de figure, la réaction à la crise consiste à suspendrele développement de l'organisation du social, sans proposer de modèles alternatif.Nous avons, en effet, à faire à des Etats nationaux relativement faibles, qui se sontdéveloppés selon les principes du modèle bismarckien, dans un contexteéconomiquement et socialement fragile. De ce fait, le clientélisme - l'un desfacteurs intégrateurs de ces pays - se superpose à l’organisation par catégorie duclassique système bismarckien (ou conservateur-capitaliste). La transformation deces Etats se voit donc confrontée à une série de contraintes venant d'une doubleforce de blocage : celle d'une organisation en corporation et celle d'uneorganisation clientélaire du système du bien-être.

La mise en place de la politique de lutte contre le sida dans des Etats telsque l’Italie, l’Espagne, la Grèce voire la Belgique peut illustrer cette formed'impasse. En effet, la réalisation de cette politique est rendue particulièrementproblématique dans un contexte de faiblesse relative de l’Etat dans le champ del’action sociale. Celui-ci ne subit pas d’incitation à sortir d’une politique du statuquo, ou en d’autres termes, d’une politique de non-decision making. Dans lecadre de cette administration faible, il n’est pas possible de développer descompétences spécifiques. Afin de répondre aux problèmes posés par le VIH/sida,des experts sont donc désignés et des commissions de consultation instaurées.Mais c'est dans l'action de terrain, déployée principalement dans le cadrehospitalier, que le problème est pris en compte, à l’intérieur d’un référentiel défini

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de ce fait par le système médical. Cette réaction, en général de faible intensité, detype curatif plutôt que préventif, sera légitimée dans les faits, à défaut de l’êtredans le discours tenu par une classe politique plus intéressée par des thèmesexploitables, électoralement parlant. Le système politico-administratif se révèlefragmenté, s'intégrant par voie hiérarchique. Il est de plus soumis à desinfiltrations clientélaires du politique et l'administration subit de fortes pressions dela part de la politique partisane.

Dans le champ de la lutte contre la toxicomanie, les pays relevant de cetteconfiguration n’évoluent que lentement et sous l’égide des secteurs médical etjudiciaire. Les programmes de distribution contrôlée de méthadone sont vus, dansce contexte, comme une réponse médicale au problème de la dépendance.Cependant, ils ne se développent que difficilement, du fait du manque destructures pemettant d'assurer un suivi. L’appareil judiciaire inclut certesl’alternative “thérapie à la place de la prison”, mais celle-ci reste souvent lettremorte, au vu, précisément, de la faiblesse quantitative de l'offre thérapeutique. Lessecteurs médico-thérapeutique et judiciaire sont par ailleurs mal coordonnés. Ils seréfèrent en effet à différents sous-systèmes étatiques et sociaux, qui allientfermeture vis à vis de l'extérieur et intégration interne. Dans ce contexte, c'estl’apparition du VIH/sida qui a en quelque sorte forcé ces systèmes du bien-être àmodifier leur politique en matière de drogue, souvent au niveau régional. Citonspar exemple les cas d'Emilia Romagna en Italie ou de la Catalogne en Espagne,qui ont pu, en utilisant leur force économique ou politique, mettre en place despolitiques de réduction des risques mieux adaptées à la situation de précarité decertaines personnes toxicomanes (en distribuant des seringues par exemple). Onpeut de la même manière, interpréter les quelques programmes d'information etd'éducation nationaux qui ont été lancés durant cette période en matière dedrogue, notamment en Espagne ou au Portugal, comme une réaction à ladiffusion du VIH/sida.

Enfin, en ce qui concerne le champ de la lutte contre l’abus d’alcool, nousconstatons dans ces pays une action minimaliste, attentive aux intérêtséconomiques des producteurs et à la garantie du monopole d’action du secteurmédical. Dans ce contexte, la prévention n'apparaît pas comme une dimension

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politiquement fructueuse, ni dans sa définition universalisante (réduction de laconsommation moyenne par des mesures de contrôle de l'accessibilité), ni dans saversion individualisante (définition des populations à risques etinformation/éducation ciblées visant une consommation “responsable”). Lerecours à l'information, à l'éducation ne s'est esquissé, à la fin des années 1980,que dans le champ de la lutte contre les drogues illégales. C’est à partir desannées quatre-vingt-dix que - sous la pression d’organismes internationaux telsque l’Organisation mondiale de la santé, de modestes politiques de préventionsont mises en place, caractérisées par leur action ciblée et ponctuelle. Elles seconcentrent souvent sur une thématique permettant d'éviter les controverses,celle de l'alcool au volant (c’est notamment le cas au Portugal ou en Espagne,voir Osservatorio (1994), voir aussi Ministerio de sanidad 1995). Enfin, notonsque les pays qui, au sein de ce premier ensemble, paraissent le plus à même dedévelopper une politique préventive dans le champ de l'alcool s'inspirent le plussouvent des premiers programmes développés dans le champ des droguesillégales (comme en Belgique ou en Espagne). Dans l'ensemble, les mesures prisespour lutter contre l'abus d'alcool peuvent être caractérisée, dans cetteconstellation, par leur aspect symbolique.

Ainsi, une partie des Etats sur lesquels nous disposons d'informationsempiriques concernant les domaines de l’alcool, des drogues illégales et duVIH/sida se trouvent clairement dépourvus de stratégie et surtout de moyensdevant les difficultés économiques et dans l'action étatique qui remontent auxannées soixante-quinze. Cette politique de “moratoire” involontaire et souscontrainte ne propose en d’autres termes qu’un modèle négatif en termed’adaptation, modèle caractérisé par un minimalisme projectuel.

ad b) Dans le second cas de figure, incluant les pays nordiques (Norvège,Suède, Finlande), ainsi que la France et l’Autriche, on observe aussi unecontinuité dans l'évolution du modèle d’organisation du social. Mais,contrairement aux pays précédents, qui sont dans un certain sens structurellementcontraints par leur tradition, il s'agit là d'un développement conscient deséléments du modèle d’organisation du bien-être mis en place dans l’après-guerre.La position forte de l’Etat et une tradition d'interventionnisme fait de l’axe

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technocrate l'axe central de la régulation, favorisant dans ce sens la planificationrationnelle. L’une des conséquences de cette situation est l’inclusion des nouvellesperspectives émergeant dans chacun des champs analysés au sein d'un modèle quifait de l’Etat le programmateur des liens entre les politiques étatiques. Unepolitique générale de la santé en est le résultat, qui utilise la prévention comme unmoyen important. Cependant, le corollaire de cette forte inclusion des politiquesest un manque certain de différentiation, dont l'organisation du social se faitl'écho, dans la mesure où cette régulation centrale ne prend que peu - et demanière instrumentelle - en considération l’auto-organisation de la société.

A nouveau, nous pouvons illustrer ce modèle par la première réaction queces pays ont formulé envers le VIH/sida. L’Etat étant l’acteur-clé de laproduction du bien-être, il est aussi l'acteur-clé dans la formulation d'une politiqueen matière de lutte contre le sida. Les techniciens de la santé, à l’intérieur del’administration publique, jouent un rôle central. Ce sont eux qui définissent lecalendrier des actions, ainsi que le référentiel dans lequel sera inclus la nouvelleproblématique. Ce processus s’inscrit à l'intérieur de la tradition de ce typed’Etat, à savoir garantir le même traitement à tout le monde dans le cadre dusystème de santé établi. Ceci signifie aussi que la différentiation des programmessera limitée du fait même de l'insertion du problème dans les structures existantes.Les protestations contre des mesures décidées par l’Etat ne sont pas prises encompte et les initiatives non étatiques sont tolérées, pour autant qu’elless’inscrivent dans le cadre étatique défini. Les programmes sont légitimés par lerôle moteur que l’État social joue traditionnellement dans le domaine du social etde la santé. De plus, l’ensemble du système de la santé est soumis aux décisionsprises, ce qui implique concrètement, par exemple, qu’une décision pourraentraîner une augmentation des capacités de prise en charge des personnestouchées par le VIH/sida dans toutes les structures étatiques. En revanche, la miseen place des programmes suit une logique verticale, qui renforce le manqued'ouverture, vis à vis des intérêts des minorités, d’un acteur étatique agissant sousmandat de la majorité.

Dans le champ de la drogue, ces pays aux États sociaux forts poursuivent,durant les années quatre-vingt, des politiques visant une société abstinente, à

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l'exemple de la “Société sans drogue”, utopie officielle de la Suède depuis 1977.A ce niveau deux variantes peuvent être distinguées. La première est celle d'uncontrôle maximal des comportements déviants liés à la toxicomanie (à l'exempledes pays nordiques aux Etats forts marqués par un développement de typebeveridgien). Elle peut être interprétée comme une reproduction, dans le champde la drogue, des réponses développées à partir du siècle dernier dans le domainede la lutte contre l'alcoolisme. La seconde (dans le cas des pays liés à la traditioncorporatiste et bismarckienne comme la France ou l’Autriche) est basée sur unrenforcement des secteurs sollicités lors de la mise en place du dispositif de luttecontre les drogues illégales, à savoir le secteur répressif et médical.

Dans la première variante, nous constatons une intégration des diversaspects de la politique drogue dans un concept général de politique sociale, quiexclut des incohérences internes capables de remettre en cause l'avènement de la“société sans drogue” comme but. Parallèlement, les années quatre-vingtmarquent un durcissement du volet coercitif de la politique, à l'image de la Suèdequi adopte en 1982 une nouvelle loi sur la privation de liberté à des finsd'assistance pour les toxicomanes et les alcooliques, puis la pénalisation de l'usageen 1988. Du point de vue de la prévention, l'intégration est lisible dans uneapproche de santé publique débordant largement le cadre des produits illégaux.Le message est orienté vers la promotion de la santé et/par le renforcement desliens sociaux, promotion à forte dimension moralisante. Pour des motifs decohérence, et naturellement du fait de la conviction des décideurs, ce concept desanté publique ne prévoit que le codage binaire sain-non sain, excluant lapossibilité de programme de “maintenance” ou les actions de “réduction desrisques” impliquant une acception de la consommation de drogue.

Dans la seconde variante, nous retrouvons la même ambition - société sansdrogues et contrôle central des programmes. En revanche, l'intégration desacteurs est très faiblement réalisée. Les années quatre-vingt sont marquées, àl'image de la France, par le renforcement des dynamiques sectorielles, répressiveet médicale. L'Etat s'investit toujours plus dans la lutte contre la drogue àl'intérieur du cadre d'action prédéfini, contribuant donc à l'exacerbation destensions existantes entre les différents secteurs. De plus, les drogues illégales sont

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traitées comme un cas spécial de dépendance dans les structures de thérapie et derépression et de prévention. Le développement de nouvelles attitudes est aussibloqué par l’inertie (et les pouvoirs acquis) des acteurs traditionnels de luttecontre la toxicomanie, notamment dans le secteur médical (voir Lucas 1996).

Dans ses deux variantes, nous avons néanmoins à faire à un État socialplanificateur et réalisateur du bien-être pour et à la place de la société. Le citoyenest uniformisé par des programmes développés dans un but d’applicabilité à largeéchelle - normalement nationale. Il est possible d'isoler aussi dans cesconstellations des processus de transformations ayant deux caractéristiques : ilssont déclenchés par les instances centrales de manière incrémentale (la Francedécide, par exemple, au début des années 1990 d’élargir les programmes deméthadone au niveau national) ; de plus, les innovations s'additionnent mais neremplacent que rarement les structures existantes. Le sida apparaît aussi, dans cesens, comme un élément obligeant l'Etat à adapter sa politique en matière dedrogue.

On retrouve ces deux variantes du modèle de l'État social fort dans le champde la lutte contre l’abus d’alcool. Dans le premier cas de figure (l’État social fortbasé sur un développement de type beveridgien), la politique inclut le problèmede l’abus d’alcool dans les programmes généraux de prévention de la santé ou decontrôle de l’abus par une maîtrise du niveau de consommation moyen. Il enressort une image de cohérence interne de la lutte contre la dépendance avec, ànouveau, un problème de manque de différentiation provenant de la centralité del’acteur étatique national. Dans la seconde variante (État social fort basé sur unetrajectoire de type bismarckien) se développe par contre une politique en matièred’abus d’alcool caractérisée par la présence des intérêts particuliers, notammentceux des producteurs. Ces derniers s'opposent à toute stratégie préventive baséesur une restriction de l'accessibilité des produits. L'Etat, qui se trouve en positiond'arbitre entre des intérêts divergeant choisit de fait le statu quo, la poursuited'une politique modeste sur des bases prédéfinies. La politique de lutte contre ladépendance qui en résulte apparaît donc peu cohérente en matière d'alcool,notamment du fait d’un manque de volonté à mettre - au moins du point de vuede la santé publique - drogues légales et drogues illégales au même niveau.

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Ainsi, un second groupe de pays semble avoir poursuivi, à travers la crisedes années quatre-vingt, une stratégie mise en place par un État social fort etcentral, que cela soit sur un mode universaliste ou particulariste. Les adaptationsde ce modèle, face aux nouvelles données économiques et sociales se révèlentmarginales. Ce manque de flexibilité est toutefois compensé par les ressources etle pouvoir d'action de l'Etat dans le cadre de sa politique sociale traditionnelle.

ad c) Dans le dernier cas de figure, la constellation est caractérisée par laplace importante de la société civile dans l'organisation des solidarités (societycentred). Celle-ci est intégrée à la politique par un Etat capable d'agir avec lasociété civile, comme modérateur et superviseur d'une part et comme incitateurd'autre part. Des pays tel que l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark ou encorela Suisse font partie de ce groupe. L’Angleterre, bien que représentant un casdifficile à classer depuis sa transformation suite aux politiques néolibérales dudébut des années quatre-vingts, peut être, elle aussi, comprise dans cettecatégorie.

Dans le champ de lutte contre le VIH/sida, deux variantes de réponses ontété développées. La première est caractérisée par la tentative, dès l'émergence duproblème du sida, de mettre en place une gestion “moderne” des risques sociaux.L’administration dans ce cas de figure cherche à s’informer avant d’agir et àobtenir les soutiens nécessaires auprès des spécialistes du domaine (médecins,chercheurs et évaluateurs) et auprès des groupes directement touchés par leproblème (les homosexuels d’abord, les porte-paroles des toxicomanes ensuite)pour mettre en oeuvre un programme d'action. C’est dans le cadre d’unedémarche commune, mais sous l’égide d'une administration incitatrice etsupervisateur, que se concrétise un programme d’action spécifique au champ duVIH/sida. En effet, la volonté de ne pas toucher à des équilibres préexistants, issusde la tradition bismarckienne, rend la construction d’un secteur spécifiquenécessaire. Le lieu du politique, en particulier le débat parlementaire, est esquivé,dans cette même optique, par crainte d’un blocage dû à la politisation du thème.Il n’est pris en compte qu’après avoir réalisé avec succès des programmesd’intervention, afin de chercher une légitimation par l’efficacité et, si possible,l’efficience. L’Allemagne et la Suisse ont eu ce type de réaction. Cette stratégie

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met en évidence les problèmes liés à un placement de la nouvelle thématique endehors des structures de prise en charge déjà existantes. Chaque innovationintroduite de cette manière augmente en effet la fragmentation du système de lasanté. De plus, le risque d’être publiquement attaqué et politiquement délégitiméest assez élevé. Enfin, l’effort de coordination impliqué nécessite des délais pourl’action. Les retards relatifs qu’ont connu l’Allemagne et la Suisse témoignent dece problème. En revanche, l’avantage d’une action élaborée en lien étroits avecdes savoirs de la société civile, est celui d'une politique de type horizontal,disposant de plusieurs centres intégrés au niveau de la réalisation, essayant desurmonter les problèmes de mise en oeuvre par la création d'un soutien fort parun maximum d’acteurs présents dans les lieux de réflexion ou dans les espacesterritoriaux où l’intervention veut avoir un impact (voir Cattacin 1996).

La deuxième variante de réaction aux problèmes posés par le VIH/sidacentrée sur une réponse sociétale est caractérisée par un Etat relativement faibledans le champ du social. Il délègue aux organisations existantes la responsabilitéde répondre adéquatement au problème du VIH/sida, tout en les aidant dansl’accomplissement de cette tâche. Cet Etat est généralement attentif aux requêtesde la société civile et conscient de la nécessité de tels “ponts” organisationnels,qui ont un accès facilité au terrain de l’action (Czada 1991). Dans la relation entrel’Etat et ces organisations, la position de ces dernières est la plus forte et leurpermet de diriger l’intervention étatique. Ce type de réaction favorise l’inclusionde nouvelles thématiques à l’intérieur d’organisations existantes et garantit untraitement des problèmes à la fois ciblé et non discriminatoire. Le VIH/sidas’inscrit dans le cadre du cheminement traditionnellement établi pourl’organisation d’une réponse à un problème social et la question de la légitimiténe se pose pas directement. L’aide étatique aux organisations privées, partenairestraditionnels, ne pourrait en fait être remise en question que dans le cas où lesacteurs eux-mêmes seraient critiqués et non pas l'un de leurs programmesspécifiques. C’est d’ailleurs suivant ce processus que les organisationsconfessionnelles aux Pays-Bas (les piliers) ont peu à peu perdu de leur importanceau bénéfice d’organisations laïques ou pluralistes. En plus des Pays-Bas, le

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Danemark a eu ce type de réaction face au sida14. L'élément le plus délicat dansce setting institutionnel apparaît comme le rôle prépondérant des intérêtsparticuliers, qu’une stratégie de représentation d’un intérêt public par l’Etat, ouun autre acteur, ne peut qu’insuffisamment relativiser15. Ce type de réaction poseégalement un problème de coût temporel de la coordination. De plus, desblocages peuvent avoir lieu lorsqu'aucun consensus (même minimal) ne peut êtretrouvé.

Dans ces deux variantes, on observe donc la construction d'une politiquenouvelle par un processus que l'on peut décrire en empruntant le terme“rawlsien” de création d’un consensus par recoupement. Ce processusreprésente, selon nous, l’élément fort de ce type de réaction, celui d’une sociétéintégrée, à la recherche d'une identification avec les programmes promus. Il en estaussi, cependant, le talon d'Achille, dans la mesure où il bloque l’action lorsque lespositions sont inconciliables. Les avantages de ce type de réaction sont toutefoisévidents. La prise en charge du VIH/sida par les groupes directement touchés etpar des organisations établies résout la question de la légitimation envers l’arènepolitique partisane et, plus encore, envers les groupes à qui les programmess’adressent. Cette réaction présente également une combinaison d’instruments deformulation et de mise en oeuvre d’un programme politique de type horizontal.Le consensus est, dans ce cas aussi, le moteur du changement et le garant d'une

14La Grande-Bretagne a aussi réagi de cette manière, en modifiant, en revanche sa politique

étatiste traditionnelle. En effet, il n’existe pas dans ce pays d’association nationale comparable àl’Aide Suisse contre le sida et pendant longtemps, il n’y eu pas de coordination au niveau desprivés, le Terrence Higgins Trust, l’organisation majeure, s’étant refusé à jouer ce rôle faute demoyens. Les acteurs privés se sont ainsi multipliés et diversifiés dans le désordre (Freeman 1992a :59). Ce sont surtout ces acteurs privés qui ont réagi face à l’inaction de l’Etat en terme deprévention et de services, en s’auto-finançant tout d’abord, puis avec le soutien de type top-downdes autorités. Les associations jouent aujourd’hui le rôle de relais en profitant de leurs rapports deproximité avec les personnes touchées. Elles sont soutenues par les pouvoirs publics dans le cadred’orientations gouvernementales. Ainsi le Terrence Higgins Trust, mais aussi les autres acteursprivés, ont été utilisés par le gouvernement, plus qu’ils ne l’ont influencé (Street et Weale1992 :198).

15Les Pays-Bas offrent un exemple frappant d’une telle situation lorsque le mouvement deshomosexuels conseille de s’abstenir de pénétration anale, au lieu de prôner l’usage du préservatif,par peur d’un effet de stigmatisation. Or ce conseil ne sera pas suivi, parce qu’il exige unemodification du comportement trop importante et il faudra donc revenir à la promotion dupréservatif.

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application efficace des décisions, par l’identification des acteurs aux programmespromus. Toutefois, l’absence d’un acteur central renforce l’exigence d’une miseen réseau de tous les acteurs impliqués, faute de quoi subsiste un risque denégligences importantes.

Dans le domaine de la drogue, la production du bien-être par une gestionsociétale se concrétise par des politiques suivant un modèle de réduction desrisques. Cette politique est fondée sur une hiérarchie de buts qui tous privilégientla réduction des risques, à chaque degré du parcours de la personne toxicomaneet dans tous les domaines d’activité. Face à la complexité de la problématique, elletend à privilégier la prévention, mais aussi à garantir, voire stimuler une grandediversité des solutions proposées aux personnes toxicomanes, ainsi que desacteurs impliqués, tant publics que privés. De ce fait, une attention particulière estaccordée à la coordination du réseau. L’adéquation du modèle avec sonenvironnement es t garant ie par un processus cont inud’expérimentation/adaptation. Le modèle de réduction des risques est en d’autrestermes caractérisé par l’importance de sa dimension organisationnelle. Lesactivités déployées sont structurées à travers des pratiques de collaboration et decoordination. C’est aussi le modèle qui apparaît le plus flexible, flexibilitéinstitutionnalisée à travers la rencontre régulière des différents acteurs, mais aussigrâce à l’ouverture du réseau à des organisations et idées nouvelles. Les réunionsde coordination et de collaboration offrent aux différents acteurs la possibilité detravailler sur une base d’accords ponctuels et limités, accords qui sont évaluésrégulièrement, permettant d’instaurer un système de rééquilibrage continu etpragmatique des buts et des activités. Ce modèle organisationnel estparticulièrement adapté aux réseaux constitués d’acteurs aux intentions trèsdifférentes, car les différents buts exprimés peuvent ainsi être hiérarchisés ettrouver place dans les stratégies générales. Ce modèle s’avère donc ouvert, dansla mesure où il se fonde sur le respect de l’individu et de ses acquis, mais aussiparce qu’il prend en compte l’auto-organisation de la société, dans sa diversité.Ce modèle est à la base des politiques néerlandaises et danoises en matière dedrogue. Certaines régions européennes (en Suisse et en Allemagne notamment)s’en inspirent également.

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En ce qui concerne, enfin, le domaine de l’alcool, nous pouvons aussiconstater une attitude de santé publique différenciée et pragmatique, qui se traduitprincipalement par l’intégration du problème alcool dans un discours général deprévention sur les drogues (lié étroitement au style de vie) et par un processus deconstruction d'une politique de promotion de la santé, capable d'intégrer lesdifférentes logiques sectorielles concernées, notamment les intérêts économiques.Au niveau de l'administration, cette dynamique se traduit par un travail accru decoordination entre les différents départements. Suivant le poids des producteursde boissons alcoolisées, par contre, le type de prévention mis en oeuvre varieconsidérablement. Ainsi en Allemagne ou en Suisse (où le peuple a refusé parvotation l’interdiction totale de la publicité pour les produits alcoolique et lestabacs), les campagnes contre l’abus d’alcool sont relativement réduites et tendentà se concentrer sur des groupes à risques, notamment les jeunes ou les femmesenceintes. Au Danemark mais surtout aux Pays-Bas, les politiques alcool seconstruisent en revanche de manière systématique sur la base d'une collaborationavec les organisations privées oeuvrant pour la santé publique, mais aussi avecdes entreprises privées représentant les intérêts de l'industrie de l'alcool. De cefait, les alliances s'effectuent pragmatiquement, sur la base du consensus minimumrequis16. Les politiques sont inclusives, ne créant pas de distinction au niveau dumessage entre les différentes substances et comportements de dépendance. Enfin,dans ces pays s'organisant sur une base sociétale, on envisage en premier lieu deresponsabiliser l’individu face aux risques inhérents à son comportement, par despratiques informatives et éducatives, plutôt que par des mesures de contrôle oude répression. Dans ce contexte, la réduction de l'accessibilité de l'alcool estenvisagée dans le cadre d'une intégration progressive des mesures au sein d'unepolitique de la santé cohérente.

Ces réponses de type sociétal représentent en d’autres termes une manièrede gérer les problèmes sociaux par la relativisation du politique, au profit de ce

16Ainsi, au Pays-Bas, l'organisation privée STIVA, regroupant des producteurs de boissonsalcoolisées, collabore à la définition et à la mise en oeuvre de programme préventif dans ledomaine de l'alcool au volant. Par contre, les politiques de prévention visant à diminuer laconsommation moyenne sont élaborée sans elle, dans la mesure où aucun accord ne peut êtretrouvé.

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que Ulrich Beck (1993) appelle le “sub-politique” : les sphères de l’expressionplurielle de nos sociétés relativement opaques, apparemment non réglables, si cen'est par une coopération directe avec elles. L’Etat se trouve, contrairement auxautres modèles, dans une situation de choix entre passivité (agir subsidiaire) etactivité coordinatrice et motrice (agir incitatif ou modérateur).

Divergeance et convergeance dans le rythme historique

Cette brève reconstruction des réponses organisationnelle apportées à desproblèmes sociaux tels que l’abus d’alcool, les drogue illégales ou encore leVIH/sida nous permet de mettre en évidence, du point de vue historique, unprocessus de différentiation et de rapprochement continu des pays analysée (voirfigure 1). Après une période caractérisée par l’autorégulation, les politiques enmatière d'alcool qui se mettent en place au tournant du siècle reflètent, nousl'avons vu, les grandes variantes de l'Etat social en construction. Avecl’instauration de formes d’État social et la diffusion du bien-être, les politiques, enrevanche, se rapprochent. La solution, du point de vue organisationnel, estélaborée et mise en œuvre par l’acteur étatique. Son instrument principal est alorsla planification - planification qui se base sur l’expertise des professions du socialet de la santé. Cet aspect technique est commun aux politiques analysées enmatière de drogues illégales et d'abus d’alcool. À cet aspect s'ajoute, de manièrenon coordonnée mais néanmoins similaire, une volonté de faire respecter l’ordrepublic. L'importance de ces deux axes d’action dans la société du bien-être del’après-guerre laisse supposer un rapprochement progressif des différentscontextes nationaux. Or, les crises économiques des années soixante-dix (doubléed'une critique toujours plus virulente de la manière dont l’État social veutrésoudre les problèmes sociaux) vont bloquer cette évolution, inaugurant unenouvelle phase de divergence.

En effet, les années quatre-vingt sont caractérisées par l’existence de modèlesdu bien-être diversifiés, qui soit agissent sans projet, soit ajoutent (de manière adhoc) de nouvelles mesures aux programmes traditionnels, soit renforcentl’élément sociétal de leur réponse aux problèmes sociaux. Ces trois types d’action

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s’expliquent en partie par les pratiques étatiques développées pendant la périodede diffusion de l’État social. Les États sociaux faibles sont en l'occurrencerelativement bloqués. Les pays qui peuvent recourir à des traditions deconstruction des politiques “de bas en haut” (de manière fédéraliste, en suivant leprincipe de la subsidiarité ou en respectant les “piliers” de la société), se trouventen revanche, avantagés. En effet, ils sont en mesure de pouvoir mobiliser, tout enles modernisant, ces pratiques légitimées traditionnellement. Enfin, les Étatssociaux forts suivent un processus de lente adaptation aux contraintes généréespar les crises des années soixante-dix. Ils mobilisent leurs instruments d’actiondans le champ du social afin de répondre aux problèmes nouveaux.

Malgré cette évidente diversité de réponses, il faut souligner qu'à l'heureactuelle, des éléments appartenant aux différents programmes sociaux des champsanalysés sont en train de se diffuser, lentement, dans tous les pays. Pensons auxcampagnes de prévention à l'égard des toxicomanies (incluant drogues légales etillégales), à l'intégration progressive des différentes formes de dépendances dansune vision de santé publique, à la “détechnocratisation” des solutions auxproblèmes sociaux, à la volonté d'impliquer les communautés dans l'élaboration etla réalisation des politiques publiques. Il paraît donc probable qu'une nouvellephase de rapprochement soit en train de se dessiner.

Cette nouvelle tendance s'expliquerait, en premier lieu, par la circulationtoujours plus importante des informations sur des programmes concrets et surl'évaluation des politiques publiques. C'est, par exemple, de cette manière que l'onpeut rendre compte de l’introduction de projets minimaux de réduction desrisques dans toute l’Europe : par la reconnaissance d’une relation entre sida etdrogue et de la nécessité d’intégrer ces politiques. De même le discours généralisésur la promotion de la santé - comme moyen de rationalisation de la politique dela santé (améliorer la qualité de vie, diminuer les coûts de l’interventionréparative) - a obligé les pays à adapter leurs programmes, notamment encherchant à intégrer la question de l’abus d’alcool dans une politique de la luttecontre les dépendances en général et cherchant à détechnocratiser la santé.

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En second lieu, nous constatons du point de vue du rapprochement descontenus et des politiques, des processus liés à l’intégration des pays européensdans un “Etat-nation supra-national” - l’Union européenne - et dans un “Etat-infomation international” - les Nations Unies et ses organisations spécialisées. Lesdynamiques portées par ces différentes instances sont parfois éloignées, mais ellestendent à favoriser à terme un processus de rapprochement. La premièredynamique a par exemple forcé les pays nordique à assouplir leurs instrumentsd’intervention dans le domaine de l’alcool, alors que la seconde, à travers l'OMS,tente de promouvoir une politique européenne plus restrictive en matière d'alcool.

En conclusion, soulignons que, du point de vue des modèles organisationnelsque nous avons mis en évidence lors de la reconstruction du développement denos champs d’analyse, les typologies traditionnelles (différenciant, comme le faitEsping-Andersen par exemple, les mondes libéral, conservateur et social-démocrate), semblent avoir une valeur heuristique certaine, dans la mesure où ilsse fondent sur une nouvelle distinction basée sur deux critères principaux : ledegré d'étatisation de la société (stateness) et la puissance économique des paysconsidérés. Ces modèles, toutefois, doivent aujourd’hui être relativisés. Un travailde typologisation serait nécessaire, dont nous avons, pour le moment, uniquementesquissé la direction générale.

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Figue 1 : Divergence et convergence - un modèle de développement

ConvergenceCadre politique et culturel Compromis keynésien de crois-

sanceAccélération Sciences et progrès médical

ConvergenceCadre politique etculturel

Pluralisation des sphères d’action et perte de lacentralité étatique

Accélération Société de l’information - Société des savoirs -constellation post-nationale

Etat planificateur(technocratie médicale et

sociale)

Autorégulation et Étatgendarme - Autoritarisme

Politiques orientées à lasociété ou à l’Etat - Crisismanagement

État modérateur, renforcementde la recherche de solution parla mise en réseauVerstärkung der vernetzter Pro-blemlösungen

Discontinuités (économiques, technologiques, culturelles, etc.), qui engagentdes processus d’apprentissage institutionnel différencié.

19 siècle 1950-70 1980-90 2000