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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 6–13 Article original Les troubles du développement de l’image du corps dans la petite enfance : une dimension commune partagée par la schizophrénie et l’autisme ? Developmental disorder in body image occuring in early childhood: A common dimension shared by schizophrenia and autism? S. Tordjman a,1,, A.-S. Maillhes b,2 a Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, de l’enfant et de l’adolescent de Rennes, 154, rue de Châtillon, 35000 Rennes, France b Centre hospitalier Guillaume-Régnier, 35703 Rennes, France Résumé La question des relations entre autisme et schizophrénie a fait l’objet de nombreux débats et ce depuis l’apparition même du terme autisme dans la nosographie, ainsi que de nombreuses études aux résultats contradictoires. Cette question reste d’actualité et suscite à ce jour un regain d’intérêt, tant de la part des cliniciens que des chercheurs. Nous analyserons dans cet article les cas cliniques de deux frères : l’un présentait un autisme dans la petite enfance (selon les critères diagnostiques des classifications américaines et de l’OMS, et autisme de Kanner selon la classification franc ¸aise), avec des troubles sévères de la communication sociale et du développement psychomoteur (énurésie diurne et nocturne avec encoprésie persistant jusqu’à 14 ans, troubles de l’équilibre et troubles importants de la coordination motrice fine et globale), qui a évolué vers une schizophrénie à début très précoce (forme mixte) à l’âge de 11 ans alors qu’il n’avait pas encore débuté sa puberté ; son frère présentait, lui, des troubles du développement psychomoteur dans la petite enfance (énurésie nocturne persistant jusqu’à sept ans, stéréotypies motrices disparaissant vers cinq ans, troubles importants de la coordination motrice fine toujours présents à l’âge adulte avec ultérieurement détérioration progressive de la coordination motrice globale), et est devenu schizophrène (forme déficitaire) à l’âge de 17 ans (schizophrénie, dont le début est marqué par une dysmorphophobie associée à des conduites auto-agressives et à un retrait dans la domaine de la communication sociale). À la lumière de ces deux cas cliniques, les relations entre autismes et schizophrénies seront discutées et revisitées. Nous développerons notamment ici l’hypothèse que les troubles du développement de l’image du corps, présents dès la petite enfance, pourraient constituer une dimension commune à la schizophrénie et l’autisme, et relever d’un possible problème dans l’élaboration de la conscience du soi corporel, entraînant des troubles de la différenciation soi/non soi, et par conséquent des troubles du développement de la communication sociale s’exprimant très tôt dans certains cas (lorsque le développement psychomoteur est très altéré) et au moment de la puberté dans d’autres cas (lorsque les troubles du développement psychomoteur sont moins sévères). Les modifications physiques pubertaires, survenant sur un terrain déjà fragile, viendraient majorer les problèmes préexistants dans la construction de l’image du corps et le développement de la conscience du soi corporel, et alors constituer un facteur de décompensation participant au déclenchement de la schizophrénie. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract The relationship between autism and schizophrenia has been subject of debate since the very appearance of the term “autism” in the nosography, and led to many studies with contradictory results. This question remains current and is nowadays the focus of renewed interest on the part of both clinicians and researchers. This article analyzes the clinical cases of two brothers. One showed autism in early childhood (according to the diagnostic criteria of the American and WHO classifications, and Kanner autism according to the French classification), with severe impairments in social communication and psychomotor development (diurnal and nocturnal enuresis and encopresis persisting until the age of 14, balance impairment, and severe fine and gross motor skill problems), which evolved towards very early onset schizophrenia (mixed form) at 11 years of age, whereas he had not yet entered puberty. His brother displayed psychomotor development impairments in early childhood (nocturnal enuresis persisting to the age of seven years, motor stereotypies that disappeared towards five years of age, substantial fine motor Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Tordjman). 1 Professeur en pédopsychiatrie, responsable de pôle et chef du service hospitalo-universitaire de l’enfant et de l’adolescent de Rennes. 2 Psychiatre au centre hospitalier Guillaume-Régnier. 0222-9617/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2008.09.005

Les troubles du développement de l’image du corps dans la petite enfance : une dimension commune partagée par la schizophrénie et l’autisme ?

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Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 6–13

Article original

Les troubles du développement de l’image du corps dans la petite enfance :une dimension commune partagée par la schizophrénie et l’autisme ?

Developmental disorder in body image occuring in early childhood:A common dimension shared by schizophrenia and autism?

S. Tordjman a,1,∗, A.-S. Maillhes b,2

a Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, de l’enfant et de l’adolescent de Rennes, 154, rue de Châtillon, 35000 Rennes, Franceb Centre hospitalier Guillaume-Régnier, 35703 Rennes, France

Résumé

La question des relations entre autisme et schizophrénie a fait l’objet de nombreux débats et ce depuis l’apparition même du terme autismedans la nosographie, ainsi que de nombreuses études aux résultats contradictoires. Cette question reste d’actualité et suscite à ce jour un regaind’intérêt, tant de la part des cliniciens que des chercheurs. Nous analyserons dans cet article les cas cliniques de deux frères : l’un présentaitun autisme dans la petite enfance (selon les critères diagnostiques des classifications américaines et de l’OMS, et autisme de Kanner selon laclassification francaise), avec des troubles sévères de la communication sociale et du développement psychomoteur (énurésie diurne et nocturneavec encoprésie persistant jusqu’à 14 ans, troubles de l’équilibre et troubles importants de la coordination motrice fine et globale), qui a évolué versune schizophrénie à début très précoce (forme mixte) à l’âge de 11 ans alors qu’il n’avait pas encore débuté sa puberté ; son frère présentait, lui, destroubles du développement psychomoteur dans la petite enfance (énurésie nocturne persistant jusqu’à sept ans, stéréotypies motrices disparaissantvers cinq ans, troubles importants de la coordination motrice fine toujours présents à l’âge adulte avec ultérieurement détérioration progressive dela coordination motrice globale), et est devenu schizophrène (forme déficitaire) à l’âge de 17 ans (schizophrénie, dont le début est marqué par unedysmorphophobie associée à des conduites auto-agressives et à un retrait dans la domaine de la communication sociale). À la lumière de ces deuxcas cliniques, les relations entre autismes et schizophrénies seront discutées et revisitées. Nous développerons notamment ici l’hypothèse que lestroubles du développement de l’image du corps, présents dès la petite enfance, pourraient constituer une dimension commune à la schizophrénie etl’autisme, et relever d’un possible problème dans l’élaboration de la conscience du soi corporel, entraînant des troubles de la différenciation soi/nonsoi, et par conséquent des troubles du développement de la communication sociale s’exprimant très tôt dans certains cas (lorsque le développementpsychomoteur est très altéré) et au moment de la puberté dans d’autres cas (lorsque les troubles du développement psychomoteur sont moinssévères). Les modifications physiques pubertaires, survenant sur un terrain déjà fragile, viendraient majorer les problèmes préexistants dans laconstruction de l’image du corps et le développement de la conscience du soi corporel, et alors constituer un facteur de décompensation participantau déclenchement de la schizophrénie.© 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Abstract

The relationship between autism and schizophrenia has been subject of debate since the very appearance of the term “autism” in the nosography,and led to many studies with contradictory results. This question remains current and is nowadays the focus of renewed interest on the partof both clinicians and researchers. This article analyzes the clinical cases of two brothers. One showed autism in early childhood (accordingto the diagnostic criteria of the American and WHO classifications, and Kanner autism according to the French classification), with severe

impairments in social communication and psychomotor development (diurnal and nocturnal enuresis and encopresis persisting until the age of14, balance impairment, and severe fine and gross motor skill problems), which evolved towards very early onset schizophrenia (mixed form)at 11 years of age, whereas he had not yet entered puberty. His brother displayed psychomotor development impairments in early childhood(nocturnal enuresis persisting to the age of seven years, motor stereotypies that disappeared towards five years of age, substantial fine motor

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (S. Tordjman).

1 Professeur en pédopsychiatrie, responsable de pôle et chef du service hospitalo-universitaire de l’enfant et de l’adolescent de Rennes.2 Psychiatre au centre hospitalier Guillaume-Régnier.

0222-9617/$ – see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.neurenf.2008.09.005

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oordination problems still present in adulthood with later progressive deterioration of gross motor skills), and became schizophrenic (deficitorm) at the age of 17 (schizophrenia with onset marked by dysmorphophobia associated with self-injurious behavior and withdrawal in terms ofocial communication). Based on these two clinical cases, the relationship between autistic disorder and schizophrenia is reviewed and discussed.n particular, we develop the hypothesis that developmental disorder in body image, already present since early childhood, may be a dimensionommon to schizophrenia and autism relevant to a possible problem in the development of body self conscience, leading to problems differentiatingelf/non-self, and consequently problems in social communication development that are expressed very early in some cases (when psychomotorevelopment is highly altered) and at puberty in other cases (when psychomotor problems are less severe). The physical changes inherent touberty, occurring in an already vulnerable individual may add to the pre-existing difficulties in body image construction and the development ofody-self conscience, and therefore be a decompensatory factor participating in the onset of schizophrenia.

2008 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

ots clés : Schizophrénie ; Autisme ; Image du corps ; Soi corporel ; Troubles du développement psychomoteur

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eywords: Schizophrenia; Autism; Body image; Body self; Psychomotor deve

. Introduction

Historiquement, l’étroite intrication entre autisme et schizo-hrénie, allant jusqu’à leur recouvrement diagnostique, existeepuis l’apparition nosographique de l’autisme dans la nomen-lature des troubles mentaux. Dès le départ, autisme etchizophrénie ont été liés, puisque étymologiquement le termeutisme, dérivé du grec « autos » qui signifie « centré sur soi »,été introduit pour la première fois par le psychiatre suisseugen Bleuler en 1911 [1], pour décrire le retrait social chezes adultes atteints de schizophrénie. En 1943, le psychiatreméricain Léo Kanner [2] empruntera à Eugen Bleuler le termeautisme » pour dénommer un syndrome clinique observé chez1 enfants qui, à cette époque, relevaient de la catégorie diag-ostique « schizophrénie infantile ». Depuis le début des années970, l’autisme et la schizophrénie sont considérés commeeux entités nosographiques distinctes. Cependant, plusieursuteurs soulignent encore qu’elles partagent certaines carac-éristiques communes : elles s’apparentent toutes deux à desroubles du développement avec des symptômes psychotiques etes déficits portant plus particulièrement sur les domaines de laommunication et des interactions sociales. Ainsi, les troublese la communication sont reportés tant dans le syndrome autis-ique que dans la schizophrénie à début précoce [3,4,5,6], etoncernent la communication verbale (retard de développementu langage verbal, discours pauvre ou désorganisé) comme laommunication non verbale (pauvreté du langage infraverbal etes expressions faciales, échange de regards limité, expressionmotionnelle anormale avec des affects bizarres ou inappro-riés). De plus, le développement social est altéré aussi bienans la schizophrénie que dans l’autisme. La détérioration desompétences sociales est associée à la chronicisation de lachizophrénie dans sa forme déficitaire [7]. L’isolement socialbservé chez les patients schizophrènes, en particulier dans’enfance des patients présentant une schizophrénie à début trèsrécoce, est similaire au retrait autistique décrit par Kanner2]. On peut cependant s’interroger sur le caractère spon-ané de cet isolement social ou au contraire provoqué par desomportements inadaptés qui entraîneraient un rejet du sujet et

a marginalisation. L’étude de Friedlander [8] est à cet égard inté-essante puisqu’elle met en évidence que la majorité des patients,uivis et devenus schizophrènes, considéraient leur retrait socialomme spontané.

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En conclusion de cette partie, nous pourrions faire’hypothèse que la schizophrénie à début précoce et l’autismeartagent des mécanismes psychopathologiques communsntraînant le développement de troubles de la communicationociale.

Nous avons été également interpellés par d’autres analogies,ant biologiques que cliniques, apparaissant dans l’autisme eta schizophrénie, et portant notamment sur une vulnérabilité autress dans ces deux pathologies.

D’un point de vue biologique, Tordjman et al. [9] et Jan-en et al. [10,11] rapportent l’existence de réponses anormalesu stress sur l’axe hypothalamohypophysaire et adrénergiqueHPA), aussi bien chez certains patients atteints de schizophré-ie que chez les enfants avec autisme. Ainsi, certaines étudesans la schizophrénie [10,11] mettent en évidence un problèmee réponse de l’axe HPA concernant le stress psychosocial maisas physique, avec des scores d’anxiété anormalement élevés.es études de Jansen objectivent également chez les patientschizophrènes des mécanismes de coping passifs et d’évitementace à un stress psychosocial. De plus, au cours d’un premierpisode psychotique et avant tout traitement pharmacologique,es patients schizophrènes présentent des taux plasmatiques deortisol et d’ACTH plus élevés que ceux des sujets témoins,e qui reflète une hyperactivité du fonctionnement de basee l’axe HPA. Des taux élevés d’ACTH sont aussi retrouvéshez les patients schizophrènes traités de longue date, maisvec des concentrations normales de cortisol. Enfin, l’injection’hydrocortisone, en l’absence de tout stress, augmenteraitavantage l’activité cérébrale des patients schizophrènes [12].

D’un point de vue clinique, sont décrites, aussi bien dansa schizophrénie que l’autisme, des difficultés à s’adapter auxituations nouvelles, des réponses comportementales anormalesux stimuli environnementaux et aux situations stressantes13,14,15]. D’un point de vue psychodynamique, Haag etl. [16] soulignent aussi l’importance des angoisses autis-iques, notamment d’angoisses majeures portant sur l’image

u corps qui pourraient être communes à ces deux patholo-ies. Des études de cas ont rapporté, tant chez les patientsutistes que schizophrènes, des observations de sensibilité àa douleur réduite, voir absente, ce qui a amené au dévelop-
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ig. 1. Modèle de stress-vulnérabilité seuil-dépendant de Zubin et Spring [50].

ement de la théorie des opioïdes (augmentation d’activitéentrale des endomorphines) dans ces deux pathologiesvec les perspectives thérapeutiques de la naloxone ou nal-rexone [16,17,18,19]. Cependant, les études mesurant les taux’endorphines chez les patients autistes ou schisophrènes ontis en évidence des résultats contradictoires [20,21,17,22,23].n fait, dans les deux cas, l’apparente insensibilité à la dou-

eur relèverait moins d’une réelle analgésie endogène que deroubles de l’image du corps et de la communication sociale24,25,26,19,27].

L’ensemble de ces observations et résultats nous amènedévelopper ici le concept de vulnérabilité au stress qui

ourrait être un concept commun et pertinent aussi bien pour’autisme que la schizophrénie à début précoce. Il paraît utile,out d’abord, de replacer le concept de vulnérabilité dansn contexte historique ([28,29] pour un état de la questionétaillé) : dès le xixe siècle, Morel concoit la maladie mentaleomme une déviation pathologique survenant sur un terrainragile préexistant à l’apparition de la maladie et abaissant leeuil de tolérance ; la littérature psychiatrique mentionne poura première fois le terme de « vulnérabilité » avec les travauxe Rado et Meehl dans les années 1960 (une prédispositionénétique sous l’influence de facteurs d’environnement seraitl’origine de la maladie), et un des premiers modèles de

ulnérabilité sera celui proposé par Rosenthal en 1970, leiathesis stress model, où la maladie ne se révèle que sous’effet de l’environnement. Par la suite, d’autres auteurs ontéveloppé l’hypothèse que la vulnérabilité serait en rapportvec une prédisposition génétique rendant le sujet plus sensibleux stresseurs socio-environnementaux qui viendraient alorserturber son homéostasie [30]. Concernant les stresseursocio-environnementaux, on distingue les facteurs de stressrédisposant à la schizophrénie et les facteurs précipitant dea maladie [31], ces derniers pouvant être endogènes (biolo-iques) ou exogènes (environnements de vie stressants poure sujet). Pour Zubin et Spring [32], la vulnérabilité pourraitelever de facteurs génétiques, mais aussi être acquise au

ours du développement. Zubin et Spring [32] ont égalementéveloppé un modèle de stress-vulnérabilité seuil-dépendantFig. 1 ; le seuil représentant le niveau au-delà duquel lesapacités d’adaptation du sujet sont débordées et où l’épisode

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sychotique apparaît) faisant l’hypothèse que des individusautement vulnérables à la schizophrénie présenteraient despisodes psychotiques réactionnels à des événements stressantsodérés, alors que des individus faiblement vulnérables

e présenteraient des épisodes psychotiques que lors d’untress majeur. D’autres modèles de vulnérabilité au stress ontté proposés, comme celui très intéressant de Nuechterlein etawson [33]. Ce modèle fait l’hypothèse qu’il existerait des états

ntermédiaires précédant la survenue d’un épisode psychotiquet qui comporteraient une augmentation de l’activité du systèmeerveux végétatif, une surcharge des capacités de traitement desnformations et un déficit des interactions sociales. L’évolutionépendrait des stratégies d’adaptation mises en place par leujet.

Par ailleurs, des études rétrospectives menées chez lesatients schizophrènes ou des études longitudinales portant sures enfants autistes rapportent de fréquentes associations entrees deux pathologies qui, selon les auteurs, ne peuvent pas êtreotalement dues au hasard (antécédents de troubles autistiquesans l’enfance des patients schizophrènes et apparition dechizophrénie dans le groupe autiste [3,34,11,35]). Cependant,’autres études longitudinales ou rétrospectives ne mettent pasn évidence d’associations significatives entre l’autisme et lachizophrénie [36,37].

À partir d’observations cliniques réalisées au sein du ser-ice hospitalo-universitaire de psychiatrie de l’enfant et de’adolescent de Rennes, nous nous sommes intéressés à la ques-ion des relations possibles entre autismes et schizophrénies.ous allons maintenant rapporter le cas clinique d’un patient

utiste suivi dans le service et qui, au décours de son évolu-ion, a présenté une schizophrénie à début très précoce (avant3 ans) avec une première hospitalisation dès l’âge de 11 anst demi, ainsi que celui de son frère devenu également schi-ophrène mais plus tardivement (décompensation psychotiqueers 17 ans avec première hospitalisation à 18 ans). Les carac-éristiques cliniques actuelles et passées de ces patients serontétaillées. À la lumière de ces deux cas cliniques et des étudesrécédemment citées, sera discutée, dans une perspective delarification, et revisitée la question des liens entre autismes etchizophrénies.

. Cas cliniques

.1. Antécédents familiaux de Thomas et Michel

L’anamnèse maternelle fait état d’une tante, âgée de 40 ans,ans enfant, décrite comme « bizarroïde » et ayant des préoc-upations mystiques, d’un oncle présentant des problèmes deomportement avec une hypersensibilité et des troubles atten-ionnels, d’une grand-mère décédée par suicide à 50 ans dans

e contexte d’un suivi pour trouble bipolaire et d’une arrière-rand-mère hospitalisée à de multiples reprises en psychiatrievec un diagnostic de trouble de l’humeur. Du côté paternel,ucun antécédent psychiatrique n’est retrouvé.
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S. Tordjman, A.-S. Maillhes / Neuropsychiatri

.2. Anamnèse de Thomas

.2.1. Petite enfance : 0–4 ansThomas est né en septembre 1982, à terme, suite à un accou-

hement difficile par césarienne. La mère a été extrêmementécue car elle s’attendait à avoir une fille, au point que les inter-ctions très précoces en ont été perturbées pendant les premiersours voire semaines (propos rapportés par la mère elle-même).ans ce contexte, la mère n’a pas souhaité allaiter au sein Tho-as. Les parents le décrivent, dès sa naissance, comme un bébé

rop sage, sans accrochage du regard, ne faisant pas de sourirest avec des troubles de l’accordage affectif.

La marche a été acquise à 14 mois (acquisition de la marchessociée à un trouble de l’équilibre), la propreté diurne à 14 ansvec à la même période une disparition de l’encoprésie, et laropreté nocturne à 15 ans (ce qui correspond à l’âge de débute la puberté de Thomas). On note également l’existence d’unecholalie. Il n’a pas été à la crèche et était gardé par sa mèreusqu’à son entrée à l’école maternelle. L’institutrice de la petiteection a alors alerté les parents, en expliquant que Thomas, âgée deux ans et demi, ne respectait pas les consignes, qu’il étaitabsent » et avait un comportement « à part » (il restait seul dans

on coin, en retrait, à faire tourner des objets). Concernant lesroblèmes somatiques, un eczéma invalidant ainsi qu’un zonaont rapportés.

La passation de l’Autism Diagnostic Interview-Revised (ADI-), échelle validée de facon rétrospective (sur la période deie des quatre à cinq ans) qui permet de poser un diagnostic’autisme selon les critères du DSM-IV [38] et de la CIM-0 [39], est réalisée lors d’un entretien parental semi-structuréortant sur la période de vie actuelle et sur la période desuatre à cinq ans. Cette évaluation met en évidence des ano-alies importantes de l’interaction sociale réciproque dans

a petite enfance de Thomas. En effet, il présentait, à l’âgee quatre à cinq ans, de grandes difficultés à utiliser lesomportements non verbaux pour réguler les interactionsociales (regard direct, sourire social, variété des expressionsaciales), à développer des relations avec ses pairs, ainsi qu’unanque de plaisir partagé et de réciprocité socioémotionnelle.

’ADI-R montre également des troubles de la communicationerbale et non verbale, tel qu’un retard de parole non compenséar les gestes, un manque de jeux de faire-semblant et de jeuxociaux imitatifs, ainsi qu’un échec à initier ou à soutenir unchange conversationnel.

Thomas présentait également des stéréotypies idéiques (pré-ccupations très envahissantes et idées fixes avec des troublesbsessionnels compulsifs centrés sur l’ouverture et fermetureépétées des portes ou encore la rotation d’objets, ainsi qu’unttachement inhabituel à son cartable et ses chaussures), maison motrices (aucun mouvement répétitif et stéréotypé à typee balancements, battements, stéréotypies giratoires ou marcheur la pointe des pieds, n’est observé). Enfin, l’entretien paren-al, dans le cadre de l’ADI-R, fait état de troubles sévères de laoordination motrice fine et globale qui s’amélioreront légère-

ent avec l’âge (il ne pouvait prendre une assiette sans la faire

omber, et plus tard ce problème deviendra gênant au point de leaire exclure de stages de restauration). Un diagnostic d’autisme

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’enfance et de l’adolescence 57 (2009) 6–13 9

ypique est porté à partir de l’ADI-R (dont les scores sont au des-us des scores seuils dans les principaux domaines concernés)ui met en évidence un syndrome autistique complet avant l’âgee trois ans. Le tableau clinique présenté par Thomas répondême au diagnostic d’autisme de Kanner selon les critères de lalassification francaise des troubles mentaux de l’enfant et de

’adolescent (CFTMEA [39]), avec un début des troubles avant’âge d’un an.

.2.2. Enfance : 5–11 ansÀ l’école primaire, des difficultés d’apprentissage (lecture,

alcul) ont entraîné un redoublement du CP. Un suivi au CMPendant un an, entre cinq et six ans, a alors été mis en place, sansu’aucun diagnostic ne soit posé. Au collège, certains troublesels qu’une énurésie persistante, une agressivité et des idées deersécution par rapport aux adultes le prenant en charge ont putre rapportés. Devant ces troubles, une consultation pédopsy-hiatrique a été proposée en sixième, permettant d’objectiver designes négatifs à type de retrait social et d’isolement évoluantepuis environ deux ans. La question de prodromes apparus dès’âge de neuf ans sous forme de signes négatifs, peut donc êtreertinente. La scolarité a été arrêtée au début de la sixième.

À 11 ans et demi, devant l’existence d’idées délirantes cen-rées sur Louis XIV, une première hospitalisation a eu lieu,urant laquelle le diagnostic de schizophrénie à début très pré-oce (forme mixte) fut porté, alors que Thomas n’avait pasncore débuté sa puberté.

.2.3. Âge adulteUn entretien semi-structuré au moyen du Mini Internatio-

al Neuropsychiatric Interview (MINI), réalisé récemment avechomas, âgé de 23 ans, confirme l’existence d’un trouble psy-hotique (caractères bizarres des réponses), avec devinement etntrusion de la pensée, sentiment d’étrangeté, et une dysthymiessociée à des antécédents de troubles maniaques et dépressifsune tentative de suicide par défénestration est même survenuen an auparavant).

Les résultats de l’ADI-R sur la période actuelle mettent envidence une persistance des stéréotypies idéiques précédem-ent décrites, ainsi que des troubles de la communication sociale

avec notamment des troubles des interactions sociales et de laommunication non verbale juste en dessous des scores seuils),ais sans qu’un diagnostic d’autisme ne puisse être porté à ce

our.Actuellement, Thomas vit dans un centre de réhabilitation

our patients schizophrènes où il est suivi pour schizophrénieysthymique et y recoit un traitement médicamenteux (amisul-ride et divalproate de sodium).

.3. Anamnèse de Michel

.3.1. Petite enfance : 0–4 ansMichel est né en août 1980, à terme, avec un accouchement

a tête et une anoxie secondaire à une circulaire du cordon. Danse contexte, Michel, tout comme Thomas, n’a pas pu être allaitéu sein. La grossesse s’était par ailleurs déroulée normalement.

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La marche a été acquise à 13 mois, la propreté diurne à deuxns et la propreté nocturne à sept ans. Vers deux ans et demi,es premiers symptômes alertant les parents ont été des stéréoty-ies des mains (maniérismes des mains et des doigts devant leseux pendant près de 15 minutes) avec des bizarreries compor-ementales (par exemple, il se mettait parfois à hurler en pleineue), des troubles du regard (strabisme provoqué par le rappro-hement des objets très près de ses yeux) et des troubles duomportement à type de crise d’agitation et d’opposition au seine la famille (les parents parlent aussi de « débordement émo-ionnel »). On ne note durant cette période aucun antécédentomatique particulier.

Comme pour son frère, l’ADI-R a été réalisé lors d’un entre-ien parental semi-structuré portant sur la période actuelle et desuatre à cinq ans. Les résultats de l’ADI-R indiquent l’existencel’âge de quatre à cinq ans de stéréotypies motrices (persistanceu maniérisme des mains et des doigts apparu vers deux ans etemi, et qui disparaîtra vers l’âge de cinq ans) et de troublesmportants de la coordination motrice fine au point de faire’objet des commentaires d’autrui (il n’arrivait pas à tenir lesbjets dans ses mains et les faisait tomber). Ces troubles impor-ants de la coordination motrice fine persisteront à l’âge adulte (ile peut toujours pas actuellement planter des clous avec un mar-eau sans se taper les doigts), alors que la coordination motricelobale est normale à l’âge de quatre à cinq ans, mais se détério-era avec le temps. Les troubles de la communication sociale’atteignant pas les scores seuils (ce qui n’est, en revanche,as le cas du domaine des comportements répétitifs et stéréo-ypés), le diagnostic d’autisme ne peut donc être alors portéelon l’ADI-R, c’est-à-dire selon les critères de la CIM-10 et duSM-IV.

.3.2. AdolescenceMichel présenta brutalement à l’âge de 16 ans (alors qu’il est

n pleine puberté, la puberté ayant débuté à 14 ans), dans unontexte d’hospitalisation de son frère et de déménagement (ilst passé d’un milieu rural à un milieu urbain), un désinvestis-ement scolaire avec consommation de cannabis, des fugues àépétition, et des traits psychopatiques (agressivité, intolérancela frustration). Un peu plus tard à l’âge de 17 ans, une dysmor-hophobie apparût (sensations bizarres et angoissantes au niveaue son visage qu’il ne reconnaissait plus) avec des conduitesuto-agressives qui persisteront jusqu’à l’âge de 23 ans (il seiflait pendant des heures au point d’entraîner des lésions gravest se cognait la tête contre les murs) et un repli majeur (ne parlaitlus, ne se lavait plus et refusait de manger). Il arrêta ses étudesu niveau du Bac sans obtention du diplôme.

.3.3. Âge adulteLa première hospitalisation eut lieu à l’âge de 18 ans avec un

iagnostic alors porté de personnalité psychopatique. Lors de saeconde hospitalisation, faisant suite à une crise clastique surve-ue au domicile à l’âge de 23 ans, Michel décrivait une musique

ancinante, répétitive, intrapsychique et présentait un isolementocial important. Le diagnostic de schizophrénie simple (selones critères de la CIM-10) est alors porté avec une prédominance’emblée de symptômes négatifs (forme déficitaire).

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Un MINI réalisé récemment retrouve bien un trouble psy-hotique (traité par zuclopenthixol 200 mg par mois), associé

une phobie sociale ainsi qu’une dépendance au canna-is. Aucun élément dépressif, dysthymique, risque suicidaire,rouble obsessionnel compulsif ou trouble des conduites alimen-aires n’est observé.

Les résultats de l’ADI-R, sur la période actuelle, mettentn évidence des troubles de la communication sociale sévèrestroubles des interactions sociales et de la communication nonerbale) atteignant les scores seuils, ainsi que des stéréotypiesdéiques majeures (rituels et adhésion compulsive à des routines,ntérêts restreints perturbant la vie sociale, sensibilité excessiveux bruits des voitures et à certaines odeurs) entraînant, même sies stéréotypies motrices ont totalement disparu, une altérationu domaine des « comportements répétitifs et patterns stéréoty-és » avec un score total dans ce domaine au dessus du scoreeuil.

Michel vit actuellement dans une structure aidant à la réha-ilitation psychosociale des patients schizophrènes.

. Discussion

Les deux cas cliniques présentés, avec notamment l’évolution’un cas d’autisme typique vers une schizophrénie à début trèsrécoce, nous amènent à discuter les hypothèses qui suivent.

.1. Tronc commun dans la petite enfance

Il existerait, dans les premières années de vie, un troncommun à l’autisme et à la schizophrénie, en particulier la schi-ophrénie à début très précoce ; l’évolution ultérieure vers l’uneu l’autre de ces pathologies dépendrait de facteurs environne-entaux et/ou génétiques.

.2. Voie finale commune qui serait la schizophrénie

À l’inverse, on pourrait envisager que les troubles initiauxe l’autisme et de la schizophrénie seraient différents, maisue la schizophrénie pourrait être la « voie finale sémiologiqueommune » à des processus psychopathologiques pour certainsdentiques à ceux de l’autisme, tandis que d’autres s’enistingueraient radicalement. Les cas cliniques ici présentésoncernant deux frères très différents en regard de leur petitenfance (puisque, si Thomas répond bien au diagnostic’autisme, ce n’est pas le cas de Michel), mais devenusltérieurement tous deux schizophrènes, constituent une bonnellustration de la possible existence de facteurs génétiquesommuns. Des facteurs génétiques communs à l’autisme et àa schizophrénie sont également discutés par Yan et al. [40].ependant, il n’est pas exclu que des facteurs d’environnementourraient favoriser l’émergence, dans une même fratrie,e la schizophrénie en tant que « voie finale sémiologiqueommune ». Toute l’attention de la famille étant centrée sur

homas, autiste dès la petite enfance, nous pourrions faire

’hypothèse que Michel, au regard des possibles bénéficesecondaires attendus, se serait identifié à Thomas et aurait alorséveloppé lors de l’adolescence, des troubles psychotiques

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vec certaines similitudes sémiologiques au tableau cliniquerésenté par son frère. Cependant, l’existence chez Michel, dansa petite enfance, de stéréotypies motrices qui n’ont jamais étébservées chez Thomas, n’est pas en faveur de cette hypothèse.

.3. Continuité évolutive entre un sous-type d’autisme et unous-type de schizophrénie

Il existerait une continuité évolutive entre un sous-type’autisme (troubles autistiques portant sur une alterationajeure des interactions sociales et de la communication, mais

ans stéréotypies motrices) et un sous-type de schizophrénieschizophrénie à début précoce voire très précoce, dont lesrodromes comprendraient des signes déficitaires évoluant ulté-ieurement vers une forme mixte).

.4. Pas de continuité évolutive d’un point de vueatégoriel mais dimensionnel

Il n’existerait pas vraiment de continuité évolutive entre’autisme et la schizophrénie ; la relation entre ces deux patho-ogies ne s’inscrirait pas dans une perspective longitudinaleatégorielle mais plutôt dans une approche sémiologique dimen-ionnelle dont il reste à déterminer si elle est sous-tenduear des mécanismes psychopathologiques communs entraî-ant l’apparition d’un profil clinique similaire dans certainsomaines, en particulier dans les domaines de la communicationociale et de l’image du corps.

Concernant le domaine de la communication sociale, il estemarquable d’observer que Thomas présente dans la petitenfance un tableau d’autisme marqué par des troubles sévèreses interactions sociales et de la communication (tant verbaleue non verbale) qui persisteront ultérieurement alors que leiagnostic de schizophrénie sera porté, mais à un degré moindret avec une nette amélioration de la communication verbale.n peut ici se questionner quant au rôle des perturbations des

nteractions très précoces mère-bébé rapportées par la mèreextrêmement décue que son bébé ne soit pas une fille, elle n’au s’en occuper dans un premier temps) sur les troubles du déve-oppement de la communication sociale dans la petite enfance dehomas. Ces troubles sévères de la communication sociale sontgalement retrouvés chez Michel, mais après qu’il soit devenuchizophrène.

Concernant l’image du corps, il est là encore remarquablee noter que Michel présente, durant sa petite enfance princi-alement, des troubles centrés sur le corps (énurésie nocturneusqu’à l’âge de sept ans, troubles importants de la coordi-ation motrice fine persistants ultérieurement et stéréotypiesotrices disparaissant vers cinq ans). Cela suggère un problème

e construction et d’intégration de l’image du corps, illustréar l’absence de contrôle sphinctérien (énurésie primaire diurneusqu’à sept ans chez Michel et 15 ans chez Thomas, associéeour ce dernier à une énurésie diurne avec encoprésie persis-

ant jusqu’à 14 ans) et les troubles sévères de la coordination

otrice fine (observés aussi bien chez Michel que Thomas,ans leur petite enfance, puis également à l’âge adulte). Cesroubles de l’intégration de l’image du corps, présents dès la

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etite enfance, pourraient constituer une dimension commune àa schizophrénie et l’autisme, et relever d’un possible problèmeans l’élaboration de la conscience d’un soi corporel (les tra-aux de Rochat et Meltzoff mettent en évidence que, dès lesremières semaines de vie, le bébé serait capable de reconnaîtree soi corporel, (voir [41]) pour une état de la question). Cetteonscience du soi corporel permettrait la différenciation soi/nonoi, préalable nécessaire au développement de la communica-ion (verbale et non verbale) et des interactions sociales. Uneltération de ces processus entraînerait donc des troubles dea communication sociale (troubles majeurs de la communica-ion sociale dans la petite enfance de Thomas qui présentaitlors un développement psychomoteur très altéré, et à partire l’adolescence pour Michel dont les troubles du développe-ent psychomoteur étaient moins sévères). On peut s’interroger,

ci, sur l’existence de facteurs génétiques de vulnérabilité à lachizophrénie, qui influenceraient l’expression, chez ces deuxrères, de la sévérité des troubles psychomoteurs (expressionans la petite enfance plus complète pour Thomas que pourichel). Il est intéressant de relever que la littérature rapporte

ussi, dans l’enfance des patients schizophrènes, des troublesoteurs à type de troubles de la coordination motrice fine, de

etard à la marche ou d’anomalies posturales [42]. On peut rap-rocher de ces observations les résultats des travaux de Mariedile Krebs [43] qui mettent en évidence une fréquence anor-alement élevée, dans les familles des schizophrènes, de signes

eurologiques mineurs où nous retrouvons les troubles de laoordination motrice (présents aussi bien chez Michel que chezhomas), ainsi que des troubles de l’équilibre (également obser-és chez Thomas), des mouvements anormaux (existant dans laetite enfance de Michel), ou encore des troubles de l’intégrationensorielle et de la latéralisation.

On peut penser que pour Michel, les modifications phy-iques pubertaires (sachant que la puberté, indépendammentes remaniements psychiques de l’adolescence, est une périodeusceptible, de par les changements physiques physiologiquesu’elle entraîne avec notamment l’apparition des caractèresexuels secondaires, de provoquer des remaniements de la cons-ience de soi et de l’identité), survenant sur un terrain déjà fragilet dans un contexte environnemental potentiellement stressantdéménagement, hospitalisation de son frère), vont venir majo-er les problèmes préexistants dans la construction de l’imageu corps et le développement de la conscience du soi corporel,t alors constituer un facteur de décompensation participant auéclenchement de la schizophrénie. L’apparition chez Michel,l’âge de 17 ans, d’une dysmorphophobie avec des symptômese déréalisation corporelle, qui témoigne d’une distorsion de laerception corporelle et d’idées délirantes centrées sur l’imageu corps, est en faveur de cette hypothèse. Les conduites auto-gressives (se gifler, se cogner la tête) apparues à la mêmeériode que la dysmorphophobie, peuvent également être inter-rétées au regard de ces troubles de l’image du corps. En effet,lles peuvent être considérées comme des attaques dirigées vers

es parties d’un corps (ici le visage et la tête) devenu persécu-ant (sensations bizarres et angoissantes au niveau du visage que

ichel ne reconnaissait plus), mais aussi comme des compor-ements permettant de percevoir les limites corporelles à partir

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’une sensation douloureuse provoquée à la tête (sachant que laête est une des parties du corps qui comporte le plus de récep-eurs sensoriels), et donc de mieux se représenter le schémaorporel, notamment au niveau céphalique.

Cela apporte un éclairage intéressant au rôle de la pubertéans la survenue de la schizophrénie : la puberté pourrait êtren facteur de stress surajouté qui, en reprenant les modèles deulnérabilité au stress précédemment mentionnés et notammente modèle de stress-vulnérabilité seuil-dépendant de Zubint Spring [32], déborderait les capacités de sujets hautementulnérables quant à un défaut de développement, dans laetite enfance, de l’image du corps et de la conscience duoi corporel. Dans cette même perspective d’un modèle detress-vulnérabilité seuil-dépendant, l’entrée au collège pourhomas aurait pu, elle, constituer un facteur de stress surajoutéarticipant au déclenchement de la schizophrénie sur un terrainncore plus fragile que celui de Michel.

.5. Critères diagnostiques actuels insuffisants pouriscriminer l’autisme de la schizophrénie

Les définitions actuelles de l’autisme seraient insuffisantesour bien discriminer les patients autistes des futurs schizo-hrènes. Tantam [44] argumente même que certains patientsutistes présentent des symptômes qui peuvent aussi êtreonsidérés comme des traits de personnalité schizoïde. Plusécemment, Kornstanteras et Hewitt [45] ont mis en évidenceue 50 % d’une cohorte de patients autistes de haut niveau pré-entaient des signes de schizophrénie lors d’une évaluation auoyen du Structured Clinical Interview Schedule (SCID). Inver-

ément, des auteurs comme Scheitman et al. [46] ont montré queur 21 adultes schizophrènes âgés de 18 à 60 ans et résistantsux traitements, 15 présentaient des troubles autistiques lors’une évaluation clinique réalisée en utilisant l’Autism Behaviorhecklist (ABC).

Si on analyse plus précisément ce recouvrement diagnostiquentre autisme et schizophrène, on s’apercoit qu’il concerne sur-out les signes négatifs de schizophrénie, comme l’anhédonie,’anergie, l’émoussement affectif ou le retard social et deommunication. Ce recouvrement symptomatique peut êtrebservé en particulier entre l’autisme de haut niveau ou leyndrome d’Asperger et la schizophrénie à début précoce quie caractérise souvent par une symptomatologie négative aveces troubles des interactions sociales [47] et une évolutionhronique [48]. Cependant, ces deux pathologies diffèrent par’âge de début des troubles (avant trois ans pour l’autisme,ériode de l’adolescence pour la schizophrénie), mais aussi pares symptômes avec des signes positifs (hallucinations, idéesélirantes) dans la schizophrénie que l’on ne retrouverait pasans l’autisme infantile [48]. Il est d’ailleurs intéressant deoter qu’en cas d’antécédent de troubles autistiques, le diag-ostic associé de schizophrénie ne peut être porté, selon lesritères du DSM-IV-TR, que si l’on observe des idées déli-

antes ou des hallucinations présentes sur plus d’un mois.nversement, les stéréotypies motrices sont plus fréquemmentbservées dans l’autisme que la schizophrénie, même si lestéréotypies idéiques à type d’intérêts restreints et répétitifs,

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euvent être aussi retrouvées chez les patients schizophrènes49,27,50].

Il semble donc nécessaire d’affiner la description nosogra-hique du tableau d’autisme et notamment de mieux préciseres comportements plus spécifiques ou caractéristiques d’uniagnostic d’autisme stable. Dans cette perspective, le domainees stéréotypies motrices apparaît être un des domainesntéressants et importants à explorer.

Nous confirmons, avec le cas clinique de Thomas, les don-ées de la littérature rapportant dans l’enfance des patientsrésentant une schizophrénie à début précoce, des antécédentsrémorbides avec notamment une altération de la communica-ion sociale voire des troubles envahissants de développement5,4] ; Michel, chez qui l’on ne retrouve pas de troubles majeurse la communication sociale dans la petite enfance, évolueraui vers une schizophrénie à début beaucoup plus tardif. Enevanche, la littérature rapporte que les antécédents prémorbideseraient associés aux formes déficitaires de schizophrénie avecne évolution péjorative sur le plan de la socialisation et desospitalisations [47,48], alors que Thomas, autiste dans la petitenfance, évoluera vers une schizophrénie mixte avec une nettemélioration des interactions sociales et de la communication, etue Michel, dont les antécédents prémorbides sont moins mar-ués que ceux de son frère, présentera ultérieurement une formeéficitaire de schizophrénie avec une détérioration majeure dea communication sociale.

Enfin, le cas clinique de Thomas (avec l’existence d’uniagnostic d’autisme dans la petite enfance qui disparaîtltérieurement pour évoluer vers une schizophrénie à débutrès précoce), tout comme celui de son frère Michel (avec’apparition à l’adolescence d’une schizophrénie associée à unableau clinique d’autisme) souligne, d’une part, les limites deslassifications du DSM-IV-TR et de la CIM-10 qui définissentes catégories nosographiques fixes ne permettant pas le pas-age d’une catégorie à l’autre et, d’autre part, l’intérêt de lalassification francaise se caractérisant par des organisationssychopathologiques susceptibles d’évoluer, et de facon plusénérale, l’intérêt d’une approche psychodynamique (au sensarge) et diachronique.

onflit d’intérêt

Aucun.

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