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L'étoile du Sud : le pays des diamants

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L'étoile du Sud : le pays des diamants / par Jules Verne

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  • L'toile du Sud, le Paysdes diamants, par Jules

    Verne

    Source gallica.bnf.fr / Bibliothque nationale de France

  • Verne, Jules (1828-1905). L'toile du Sud, le Pays des diamants, par Jules Verne. 1884.

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  • LES VOYAGES EXTRAORDINAIRESCouronnespar FAcadmiefranaise

    JULES VE.RNE

    BIBLIOTHQUED'DUCATION ET DE RCRATION

    J. HETZEL ET G'% 18, RUE JACOBPARIS

    Tous droits Je traduction et de reproduetnn rservs.

  • L'TOILE DU SUD

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    IMPRIMERIE GAUTHIER-VILLARS55, QUAI DES GRANDS-AUGUSTINS, 55

  • LES VOYAGES EXTRAORDINAIRESCouronnes par [Academie franaise*

    BIBLIOTHQUED'DUCATION ET DE RCRATION

    J. HETZEL ET Cio, iS, RUE JACOBPARIS

    Tous droits de traduction et de reproductionreserves

  • L'TOILE DU SUD"iLE PAYS DES DIAMANTS

    T

    RENVERSANTS, CES FRANAIS!

    Parlez, monsieur, je vous coute.

    -

    Monsieur, j'ai l'honneur de vous demander lamain de miss Watkins, votre fille.

    La main d'Alice?.

    Oui, monsieur. Ma demande semble vous sur-prendre. Vous m'excuserez, pourtant, si j'ai quelquepeine comprendre en quoi elle pourrait vous para-tre extraordinaire. J'ai vingt-six ans. Je m'appelleCyprien Mr. Je suis ingnieur des Mines, sorti aveclenumro deux de l'cole polytechnique. Ma familleest honorable et honore, si elle n'est pas riche. Mon-sieur le consul de France au Cap pourra en tmoi-gner, pourpeuquevous le dsiriez, et mon ami Phara-

  • mond Barths, l'intrpide chasseurque vous connaissezbien, comme tout le monde au Griqualand, pourraitgalement l'attester. Je suis ici en mission scientifiqueau nom de l'Acadmie des Sciences et du gouverne-ment franais. J'ai obtenu, l'an dernier, le prixHoudart, l'Institut, pour mes travaux sur la con-stitution chimique des roches volcaniques de l'Auver-gne. Mon mmoire sur le bassin diamantifre duVaal,qui est presque termin, ne peut qu'tre bien accueillidu monde savant. En rentrant de ma mission, je vaistre nomm professeur adjoint l'cole des Mines deParis, et j'ai dj fait retenir mon appartement, ruede l'Universit, numro 104, au troisime tage. Mesappointements s'lveront le 1er janvier prochain quatre mille huit cents francs. Ce n'est pas le Prou,je le sais; mais, avec le produit de mes travaux per-sonnels, expertises, prixacadmiques et collaborationaux revues scientifiques, ce revenu sera presquedoubl. J'ajoute que, mes gots tant modestes, ilne m'en faut pas plus pour tre heureux. Monsieur,j'ai l'honneur de vous demander la main de miss Wat-kins, votre fille.

    Rien qu'autonferme et dcid de ce petit discours,il tait ais de voir que CyprienMr avait l'habitude,en toutes choses, d'aller directement au but et deparler franc.

    Sa physionomie ne dmentait pas l'impression queproduisaitsonlangage. C'taitcelle d'un jeunehomme,habituellement occup des plus hautes conceptions

  • scientifiques, qui ne donne aux vanits mondainesque le temps strictement ncessaire.

    Ses cheveux chtains, taills en brosse, sa barbeblonde, tondue presque au ras de l'piderme, la sim-plicit de son costume de voyage en coutil gris,le chapeau de paille de dix sous qu'il avait polimentdpos sur une chaise .en entrant,

    quoique soninterlocuteur ft rest imperturbablement couvert,avec le sans-gne habituel des types de la race anglo-saxonne,

    tout en Cyprien Mr dnotait un espritsrieux, comme son regard limpide dnotait un curpur et une conscience droite.

    Il faut dire, en outre, que ce jeune Franais parlaitanglais dans la perfection, comme s'il et longtempsvcu dans les comtsles plus britanniques du Royaume-Uni.

    Mr. Watkins l'coutait en fumant une longue pipe,assis dans un fauteuil de bois, la jambe gauche allon-ge sur un tabouret de paille, le coude au coin d'unetable grossire, en face d'une cruche de gin et d'unverre moiti rempli de cette liqueur alcoolique.

    Ce personnage tait vtu d'un pantalon blanc, d'uneveste de grosse toile bleue, d'une chemise de flanellejauntre, sans gilet ni cravate. Sous l'immense chapeaude feutre, qui semblait viss demeure sur sa ttegrise, s'arrondissait un visage rouge et bouffi qu'onaurait pu croire inject de gele de groseille. Cevisage, peu attractif, sem par places d'une barbesche, couleur de chiendent, tait perc de deux petits

  • yeux gris, qui ne respiraient pas prcisment lapatience et la bont.

    Il faut dire tout de suite, da dcharge de Mr. Wat-kins, qu'il souffrait terriblement de la goutte, ce quil'obligeait tenir son pied gauche emmaillott delinges, et la goutte

    pas plus dans l'Afrique mri-dionale que dans les autres pays

    n'est faite pouradoucir le caractre des gens dont elle mord les arti-culations.

    La scne se passait au rez-de-chaussede la fermede Mr. Watkins, vers le 29e degr de latitude au sudde l'quateur, et le 22e degr de longitude l'est dumridien de Paris, sur la frontire occidentale del'tat libre d'Orange, au nord de la colonie britan-nique du Cap, au centre de l'Afrique australe ou anglo-hollandaise. Ce pays, dont la rive droite du fleuveOrange forme la limite vers les confins mridionauxdu grand dsert de Kalakari, qui porte sur les vieillescartes le nom de pays des Griquas, est appel plusjuste titre, depuis une dizaine d'annes, le Dia-monds-Field,

    le Champ aux Diamants.

    Le parloir, dans lequel avait lieu cette entrevuediplomatique, tait aussi remarquable par le luxe d-plac de quelques pices de l'ameublement que parla pauvret de certains autres dtails de l'intrieur.Le sol, par exemple, tait fait de simple terre battue,mais couvert, par endroits, de tapis pais et de four-rures prcieuses. Aux murs, que n'avait jamais rev-tus un papier de tenture quelconque, taient accro-

  • chocs une magnifique pendule en cuivre cisel, desarmes de prix de diverses fabrications, desenluminuresanglaises, encadres dans des bordures splendides.Un sofa de velours s'talait ct d'une table en boisblanc, tout au plus bonne pour les besoins d'unecuisine. Des fauteuils, venus d'Europe en droite ligne,tendaient vainement leurs bras Mr. Watkins, quileur prfrait un vieux sige, jadis quarri de ses pro-pres mains. Au total, pourtant, l'entassementdes objetsde valeur et surtout le ple-mle des peaux de pan-thres, de lopards, de girafes et de chats-tigres,quitaient jetes sur tous les meubles, donnaient cettesalle un air d'opulence barbare.

    Il tait vident, d'ailleurs, par la conformation duplafond, que la maison n'avait pas d'tages et ne secomposait que d'un rez-de-chausse. Comme toutescelles du pays, elle tait btie partie en planches,partie en terre glaise, et couverte de feuilles de zinccanneles, poses sur sa lgre charpente.

    On voyait, en outre, que cette habitation venait peine d'tre termine. En effet, il suffisait de se pen-cher l'une des fentres pour apercevoir, droiteet gauche, cinq ou six constructions abandonnes,toutes de mme ordre mais d'ge diffrent, et dansuntat de dcrpitudede plus en plus avanc. C'taientautant de maisons que Mr. Watkins avait successi-vement bties, habites, dlaisses, selon l'tiage desa fortune, et qui en marquaient pour ainsi dire leschelons.

  • La plus loigne tait simplement faite de mottesde gazon et ne mritait gure que le nom de hutte. Lasuivante tait btie de terre glaise,

    la troisimede terre et de planches,

    la quatrime de glaise etde zinc. On voit quelle gamme ascendante les alas del'industrie de Mr. Watkins lui avaient permis demonter.

    Tous ces btiments, plus ou moins dlabrs, s'le-vaient sur un monticule plac prs du confluent duVaal et de la Modder, les deux principaux tributairesdu fleuve Orange dans cette rgion de l'Afrique aus-trale. Aux alentours, aussi loin que la vue pouvaits'tendre, on n'apercevait, vers le sud-ouest et le nord,que la plaine triste et nue. Le Veld

    comme ondit dans le pays- est form d'un sol rougetre, sec,aride, poussireux, peine sem de loin en loin d'uneherbe rare et de quelques bouquets de buissons d'pi-nes. L'absence totale d'arbres est le trait distinctifde ce triste canton. Ds lors, en tenant compte de cequ'il n'y a pas non plus de houille, comme les com-munications avec la mer sont lentes et difficiles, onne s'tonnera pas que le combustible manque et qu'onen soit rduit, pour les usages domestiques, brlerla fiente des troupeaux.

    Sur ce fond monotone, d'un aspect presque lamen-table, s'tale la coule des deux rivires, si plates, etsi peu encaisses, qu'on a peine comprendrecommentelles ne s'tendent pas travers toute la plaine.

    Vers l'orient seulement, l'horizon est coup par les

  • lointaines dentelures de deux montagnes, le Platberget le Paardeberg, au pied desquelles une vue perantepeut reconnatre des fumes, des poussires, de petitspoints blancs, qui sont des cases ou des tentes, et, toutautour, un fourmillement d'tres anims.

    C'est l, dans ce Veld, que se trouvent les placersde diamants en exploitation, leDuToit's Pan, le New-Rush et, le plus riche de tous peut-tre, le Vander-gaart-Kopje. Ces diverses mines ciel ouvert etpresque fleur de terre, qui sont comprises sous le nom g-nral de

    dry-diggings,

    ou mines sec, ont livr,depuis 1870, une valeur d'environ quatre centsmillions en diamants et pierres fines. Elles se trouventrunies dans une circonfrence dont le rayon mesureau plus deux ou trois kilomtres. On les voyait trsdistinctement la lorgnette des fentres de la fermeWatkins,qui n'en tait loigne que de quatre.millesanglais1.

    Ferme, au surplus, est un terme assez impropre, sion l'applique cet tablissement, car il tait impos-sible d'apercevoir aux alentours aucune sorte deculture. Comme tous les prtendus fermiers de cettergion du Sud-Afrique, Mr. Watkins tait plutt unmatre berger, un propritaire de troupeaux de bufs,de chvres et de moutons, que le vritable grant d'uneexploitation agricole.

    Cependant, Mr. Watkins n'avait pas encore r-pondu la demande si poliment mais si nettement

    1. Le mille anglais vaut 1609 mtres.

  • faite par Cyprien Mr. Aprsavoir consacr au moinstrois minutes rflchir, il se dcida enfin retirersa pipe du coin de ses lvres, et il mit l'opinion sui-vante, qui n'avait videmment qu'unrapportfort loi-gn avec la question:

    Je crois que le temps va changer, mon cher mon-sieur! Jamais ma goutte ne m'a fait autant souffrirque depuis ce matin!

    Le jeune ingnieur frona le sourcil, dtourna uninstant la tte, et fut oblig de faire un effort sur lui-mme pour ne rien laisser paratre de son dsap-pointement.

    Peut-tre feriez-vous bien de renoncer au gin,

    monsieur Watkins! rpondit-il assez schement enmontrant la cruche de grs que les attaques ritresdu buveur dsemplissaient vite de son contenu.

    Renoncer au gin! By Jove! vous mela donnezbelle! s'cria le fermier. Est-ce que le gin a jamaisfait mal un honnte homme?. Oui, je sais ce quevous voulez dire!. Vous allez me citer la recette dece mdecin un lord-maire qui avait la goutte!

    Comment s'appelait-il donc, ce mdecin?Abernethy,je crois1 Voulez-vous vous bien porter? disait-il son malade. Vivez raison d'un schelling par jour et.( gagnez-le par un travail personnel! Tout cela est belet bon! Mais, de par notrevieille Angleterre, si, pourse bien porter, il fallait vivre raison d'un schelling parjour, quoi servirait d'avoir fait fortune ?. Ce sontl des sottises indignes d'un homme d'esprit comme

  • vous, monsieur Mr !. Donc, ne m'en parlez plus,je vous en prie!. Pour moi, voyez-vous, j'aimeraisautantm'enallertoutde suite en terre!. Bien manger,bien boire, fumer une bonne pipe, toutes les fois quej'en ai envie, je n'ai pas d'autre joie au monde, etvous voulez que j'y renonce?

    Oh! je n'y tiens pas du tout ! rpondit fran-chementCyprien. Je vous rappelle seulement un pr-cepte de sant que je crois juste! Mais, laissons cesujet, si vous le voulez bien, monsieur Watkins, etrevenons l'objet spciale de ma visite.

    Mr. Watkins, si prolixe tout l'heure, tait re-tomb dans son mutisme et rejetait silencieusementde petites bouffes de tabac.

    A ce moment, la porte s'ouvrit. Une jeune filleentra, portant un plateau charg d'un verre.

    Cette jolie personne, charmante soussagrande cor-nette la mode des fermires du Veld, tait simple-ment vtue d'une robe de toile petites fleurs. Agede dix-neuf vingt ans, trs blanche de teint, avecde beauxcheveux blonds et fins, de grandsyeux bleus,une physionomie douce et gaie, elle tait l'image de lasant, de la grce, dela bonne humeur.

    Bonjour, monsieur Mr1 dit-elle en franais,

    mais avec un lger accent britannique.

    Bonjour, mademoiselle Alice! rpondit CyprienMr, qui s'tait lev l'entre de la jeune fille ets'inclinait devant elle.

    Je vous ai vu arriver, monsieur Mr, reprit

  • miss Watkins, en laissant voir ses jolies dents aumilieu d'un aimable sourire, et, comme je sais quevous n'aimez pas le vilain gin de mon pre, je vousapporte de l'orangeade, en souhaitant que vous latoouviez bien frache!

    -

    C'est mille fois aimable vous, mademoiselle!

    Ah ! propos, vous n'imagineriez jamais ce queDada, mon autruche, a aval ce matin! reprit-ellesans plus de faon. Ma bille d'ivoire repriser lesbas!. Oui! ma bille d'ivoire?. Elle est de belletaille, pourtant, vous la connaissez, monsieur Mr,et elle me venait en droite ligne du billard de New-Rush!. Eh bien! cette gloutonne de Dada l'a avalecomme elle et fait d'une pilule! En vrit, cettemaligne bte me fera mourir de chagrin tt outard!

    En racontant son histoire, miss Watkins avait dansle coin de ses yeux bleus un petit rayon gai, qui nesemblait pas indiquer une envie extraordinaire deraliser ce lugubre pronostic, mme tardivement.Mais, tout coup, avec l'intuition si vive des femmes,elle fut frappe du silence que gardaient son pre etle jeune ingnieur, et de leur mine embarrasse ensa prsence.

    On dirait, messieurs, que je vous drange! dit-

    elle. Vous savez, si vous avez des secrets que je nedoive pas entendre, je vais m'en aller!. Du reste,je n'ai pas de temps perdre! Il faut que j'tudie masonate avant de m'occuperdu dner!. Allons! dci-

  • dment, vous n'tes pas bavards aujourd'hui, mes-sieurs!. Je vous laisse donc vos noirs complots!

    Elle sortait dj, mais revint sur ses pas, et gra-cieusement, bien que le sujet fut des plus graves:

    Monsieur Mr, dit-elle, lorsque vous voudrez

    m'interroger sur l'oxygne, je suis toute votre dis-position. J'ai dj lu trois fois le chapitre de chimieque vous m'avez donn apprendre, et ce corpsgazeux, incolore, inodore et sans saveur n'a plusde secrets pour moi!

    L-dessus, miss Watkins fit une belle rvrence etdisparut comme un lger mtore.

    Un instant plus tard, les accords d'un excellentpiano, rsonnant dans une des chambres les plusloignes du parloir, annoncrent que la jeune fillese donnait tout entire ses exercices musicaux.

    Eh bien, monsieur Watkins, reprit Cyprien,

    qui cette aimable apparition aurait rappel sa de-mande, s'il avait t capable de l'oublier, voudrez-vous me donner une rponse la demande que j'aieu l'honneur de vous faire?

    Mr. Watkins ta sa pipe du coin de ses lvres,cracha majestueusement terre, releva brusquementla tte, et, dardant sur le jeune homme un regardinquisiteur:

    Est-ce que, par hasard, monsieur Mr, vous lui

    auriez dj parl de tout a? demanda-t-il.

    Parl de quoi!. A qui?

    De ce que vous disiez.?. ma fille?

  • Pour qui me prenez-vous,monsieurWatkins! r-pliqua le jeune ingnieur avec une chaleur qui ne pou-vait laisser aucun doute sur sa sincrit. Je suis Fran-ais, monsieur!. Ne l'oubliez pas!. C'est vous direque je ne me serais jamais permis de parler mariage mademoiselle votre fille sans votre consentement!

    L'il de Mr. Watkins s'tait radouci, ei, du coup,sa langue sembla se dlier.

    C'est au mieux!. Brave garon!. Je n'atten-dais pas moins de votre discrtion l'gard d'Alice!rpondit-il d'un ton presque cordial. Eh bien, puis-qu'on peut avoir confiance en vous, vous allez medonner votre parole de ne pas lui en parler davantage l'avenir!

    Et pourquoi cela, monsieur?

    Parce que ce mariage est impossible, et que lemieux est de le rayer tout de suite de vos papiers !reprit Mr. Watkins. Monsieur Mr, vous tes unhonnte jeune homme, un parfait gentleman, unexcellent chimiste, un professeur distingu et mmede grand avenir,

    je n'en doute pas,

    mais vousn'aurez pas ma fille, par la raison que j'ai fait pour elledes plans tout diffrents!

    Cependant, monsieur Watkins.

    N'insistez pas!. Ce serait inutile!.. rpliqua lefermier. Vous seriez duc et pair d'Angleterre, quevous ne pourriez pas me convenir! Mais vous n'tespas mme sujet anglais, et vous venez de dclareravec une parfaite franchise que vous n'avez aucune

  • fortune! Voyons, de bonne foi, croyez-vous srieu-sement que j'aie lev Alice comme je l'ai fait, enlui donnant les meilleurs matres de Victoria et deBlomfontein, pour l'envoyer, quand elle aurait vingtans, vivre Paris, rue de l'Universit, au troisimetage, avec un monsieur dont je ne comprends mmepas la langue?.. Rflchissez, monsieur Mr, etmettez-vous ma place!. Supposez que vous soyezle fermier John Watkins, propritaire de la mine deVandergaart-Kopje, et moi, que je sois M. CyprienMr, jeune savant franais en mission au Cap!.Supposez-vous ici, au milieu de ce parloir, assisdans ce fauteuil et sirotant votre verre de gin en fu-mant une pipe de tabac de Hambourg: est-ce quevous admettriez une minute. une seule!. cette idede me donner votre fille en mariage?

    Assurment, monsieur Watkins, rponditCyprien, et sans hsiter, si je croyais trouver en vousles qualits qui peuvent assurer son bonheur!

    Eh bien! vous auriez tort, mon cher monsieur,grand tort! reprit Mr. Watkins. Vous agiriez l commeun homme qui n'est pas digne depossder lamine deVandergaart-Kopje, ou plutt vous ne la possderiezmme pas, cette mine! Car enfin, croyez-vous qu'elleme soit tombe tout ouverte dans la main? Croyez-vous qu'il ne m'ait fallu ni intelligence ni activit pourla dnicheretsurtoutpourm'en assurer laproprit?.Eh bien! monsieur Mr, cette intelligence dont j'aifait preuve, dans cette circonstance mmorable et

  • dcisive, je l'applique tous les actes de ma vie etspcialement en tout ce qui peut se rapporter mafille!. C'est pourquoi je vous rpte: rayez cela devos papiers!.. Alice n'est pas pour vous!

    Sur cette conclusion triomphante, Mr. Watkinsprit son verre et le vida d'un trait.

    Le jeune ingnieur, confondu, ne trouvait rien rpondre. Ce que voyant, l'autre le poussa davantage.

    Vous tes tonnants, vous autres Franais! pour-

    suivit-il. Vous ne doutez de rien, sur ma parole! Com-ment, vous arrivez, comme si vous tombiez de la lune,au fin fond du Griqualand, chez un brave homme quin'avait jamais entendu parler de vous, il y atrois mois,et qui ne vous a pas vu dix fois dans ces quatre-vingt-dixjoufs! Vous venez le trouver et vous lui dites: JohnStapleton Watkins, vous avez une fille charmante, par-faitement leve, universellement reconnue comme laperle du pays, et, ce qui ne gte rien, votre uniquehritire pour la proprit du plus riche Kopje dediamants des Deux-Mondes! Moi, je suis M. Cy-prien Mr, de Paris, ingnieur, et j'ai quatre millehuit cents francs d'appointements!. Vous allez donc,s'il vous plat, me donner cette jeune personne en ma-riage, afin que je l'emmne dans mon pays et que vousn'entendiez plus parler d'elle, si ce n'est de loin enloin, par la poste ou le tlgraphe!. Et vous trouvezcela tout naturel?.. Moi, je trouve cela renversant!

    Cyprien s'tait lev, trs ple. Il avait pris son cha-peau et se prparait sortir.

  • ilOui!. renversant, rpta le fermier. Ah! je ne

    dore pas la pilule, moi!. Je suis un Anglais de vieilleroche, monsieur!. Tel que vousme voyez, j'ai t pluspauvre que vous, oui, beaucoup plus pauvre !. J'aifait tous les mtiers!.. J'ai t mousse bord d'unnavire marchand, chasseur de buffles dans le Dakota,mineur dans l'Arizona, berger dans leTransvaal!.J'ai connu le chaud, le froid, la faim, la fatigue!.J'ai gagn, pendant vingt ans, la sueur de mon front,la crote de biscuit qui me servait de dner!. Quandj'ai pous feu mistress Watkins, la mre d'Alice, unefille de Bor d'origine franaisel-comme vous, pourle dire en passant,

    nous n'avions pas, nous deux,de quoi nourrir une chvre! Mais j'ai travaill!. Jen'ai pas perdu courage!.. Maintenant, je suis riche etj'entends profiter du fruit de mes labeurs!. J'entendsgarder ma fille, surtout,

    pour soigner ma goutteet me faire de la musique, le soir, quand je m'en-nuie!. Si elle se marie jamais, elle se mariera icimme, avec un garon du pays, aussi riche qu'elle,fermier ou mineur comme nous, et qui ne me par-lera pas de s'en aller vivre en meurt-de-faim untroisime tage dans un pays o je n'ai jamais euenvie de mettre le pied de ma vie! Elle se marieraavec James Hilton, par exemple, ou un autre gaillard

    1. Un grand nombre de Bors ou paysans hollandais del'Afrique mridionale.descendent des Franais, passs en Hol-lande, puis la colonie du Cap, la suite de la rvocation del'dit de Nantes.

  • de sa trempe!. Les prtendants ne manquent pas,je vous l'assure!. Enfin, un bon Anglais, qui n'ait paspeur d'un verre de gin et qui me tienne compagniequand je fume une pipe!

    Cyprien avait dj la main sur le bouton de la portepour quitter cette salle dans laquelle il touffait.

    Sans rancune au moins! lui cria Mr. Watkins. Je

    ne vous en veux pas du tout, monsieur Mr, et jeserai toujours bien aise de vous voir, comme locataireet comme ami!.Et tenez, nous attendons justementquelques personnes dner ce soir!. Si vous vouleztre des ntres?.

    Non, merci, monsieur! rpondit froidementCyprien. J'ai ma correspondance terminer pourl'heure de la poste.

    Et il s'en alla.

    Renversants, ces Franais. renversants! rp-tait Mr. Watkins en rallumant sa pipe un bout docorde goudronne en combustion, qui tait toujours porte de sa main.

    Et il se versa un grand verre de gin.

  • 11

    AUX CHAMPS DES DIAMANTS

    Ce qui humiliait le plus profondment le jeune in-gnieur dans la rponse que venait de lui faire Mr. Wat-kins, c'est qu'il ne pouvait s'empcher d'y dmler,sous la rudesse excessive de la forme, un grand fondsde raison. Il s'tonnait mme, en y rflchissant, den'avoir pas aperu de lui-mme les objections que lefermier pourrait lui opposer et de s'tre risqu unetelle rebuffade.

    Mais le fait est qu'il n'avait jamais song, jusqu'ce moment, la distance que la diffrence de fortune,de race, d'ducation, de milieu, mettait entre lajeune fille et lui. Habitu, depuis cinq ou six ansdj, considrer les minraux un point de vuepurement scientifique, les diamants n'taient, sesyeux, que de simples chantillons de carbone, bons figurer au muse de l'Ecole des Mines. En outre,comme il menait en France une existence beaucoup

  • plus releve socialement que celle des Watkins, ilavait compltement perdu de vue la valeur marchandedu riche placer possd par le fermier. Il ne lui taitdonc pas un instant venu la pense qu'il pt y avoirdisproportion entre la fille du propritaire de Vander-gaart-Kopje et un ingnieur franais. Si mme cettequestion s'tait dresse devant son esprit, il est pro-bable que, dans ses ides de Parisien et d'ancienlve de l'cole polytechnique, il se serait cru plu-tt sur la limite de ce qu'on est convenu d'appeler une

    msalliance.

    La verte semonce de Mr. Watkinstait un douloureuxrveil de ces illusions. Cyprien avait trop de bon senspour ne pas en apprcier les raisons solides, et tropd'honntet pour s'irriter d'une sentence qu'il recon-naissait juste au fond.

    Mais le coup n'en tait pas moins pnible, etmaintenant qu'il lui fallait renoncer Alice, il s'aper-cevait tout coup combien elle lui tait devenuechre en moins de trois mois.

    Il n'y avait que trois mois, en effet, que CyprienMr la connaissait, c'est--dire depuis son arrive enGriqualand.

    Que tout cela semblait loin dj! Il se voyait attei-gnant, par une terrible journe de chaleur et de pous-sire, au terme de son long voyage d'un hmisphre l'autre.

    Dbarqu avec son ami Pharamond Barths,

    un ancien camarade de collge qui venait pour la

  • troisime fois chasser pour son plaisir dans l'Afriqueaustrale, Cyprien s'tait spar de lui au Cap. Pha-ramond Barths tait parti pour le pays des Bassou-tos, o il comptait recruter le petit corps de guerriersngres, dont il devait se faire escorter pendant sesexpditions cyngtiques. Cyprien, lui, avait prisplace dans le lourd wagon quatorze chevaux, quisert de diligence sur les routes du Veld, et il s'tait misen route pour le Champ des Diamants.

    Cinq ou six grandes caisses, un vritable labora-toire de chimie et de minralogie dont il aurait bienvoulu ne pas se sparer,

    formaient le matriel dujeune savant. Mais le coche n'admet que cinquantekilogrammes de bagages par voyageur, et force avaitt de confier ces prcieuses caisses une charrette bufs, qui devait les amener en Griqualand avecune lenteur toute mrovingienne.

    Cette diligence, grand char--bancs douze places,couvert d'une bche de toile, tait monte sur quatrenormes roues, incessamment mouilles par l'eau desriviresqu'elle traverse gu. Leschevaux, attels deuxpar deux et parfois renforcs de mulets, sont conduitsavec une grande habilet par une couple de cochers,assis cte cte sur le sige; l'un tient les rnes,tandis que son auxiliaire manie un trs long fouet debambou, pareil une gigantesque canne pche, dontil se sert, non seulement pour exciter, mais aussipour diriger l'attelage.

    La route passe par Beaufort, une jolie petite ville

  • btie au pied des monts Nieuweveld, franchit cette,chane, arrive Victoriaet conduit enfin Hopetown,

    la Ville-de-l'Espoir,

    au bord du fleuve Orange,puis, de l, Kimberley et aux principaux gisementsdiamantifres, qui n'en sont loigns que de quelquesmilles.

    C'est un voyage pnible et monotone de huit neufjours, travers leVeld dnud. Le paysage estpresquetoujours du caractre le plus attristant, -des plainesrouges, des pierres parses comme un semis de mo-raines, des rochers gris affleurant le sol, une herbejaune et rare, des buissons famliques. Ni culturesni beauts naturelles. De loin en loin, une ferme mi-srable, dont le dtenteur, en obtenant du gouverne-ment colonial sa concession de terres, a reu mandatde donner l'hospitalit aux voyageurs. Mais cette hos-pitalit est toujours des plus lmentaires. On netrouve dans ces singulires auberges ni lits pour leshommes, ni litire pour les chevaux. A peine quelquesbotes de conserves alimentaires, qui ont fait plusieursfois le tour du monde et qu'on paye au poids de l'or!

    Il s'ensuit donc que, pour les besoins de leur nour-riture, les attelages sont lchs dans la plaine, o ilssont rduits chercher des touffes d'herbe derrireles cailloux. Puis, quand il s'agit de repartir, c'esttoute une affaire pour les rassembler, et une perte detemps considrable.

    Et quels cahots que ceux de ce coche primitif, lelong des ces chemins plus primitifs encore! Les siges

  • sont simplement des dessus de coffres en bois, utili-ss pour les menus bagages, et sur lesquels l'infortunqu'ils portent pendant une interminable semaine faitoffice de marteau-pilon. Impossible de lire, de dor-mir ni mme de causer! En revanche, la plupart desvoyageurs fument nuit et jour, comme des cheminesd'usine, boivent perdre haleine et crachent l'ave-nant.

    Cyprien Mr se trouvait donc l avec un choix suffi-samment reprsentatif de cette population flottante,qui accourt de tous les points du globe aux placersd'or ou de diamants, aussitt qu'ils sont signals. Ily avait un grand Napolitain dhanch, avec de longscheveux noirs, une face parchemine, des yeux peurassurants, qui dclaraits'appeler Annibal Pantalacci,

    un Juif portugais nomm Nathan, expert en dia-mants, qui se tenait fort tranquille dans son coinet regardait l'humanit en philosophe,

    un mineurdu Lancashire, Thomas Steel, grand gaillard labarbe rousse et aux reins vigoureux, qui dsertaitla houille pour tenter la fortune en Griqualand,

    un Allemand, herr Friedel, qui parlait comme unoracle et savait dj tout ce qui touche l'exploita-tion diamantifre, sans avoir jamais vu un seul dia-mant dans sa gangue. Un Yankee aux lvres minces,ne causant qu'avec sa bouteille de cuir, et qui venaitsans doute ouvrir sur les concessions une de cescantines o passe le plus clair des profits du mineur,un fermier des bords de l'Hart, un Bor ",de l'tat

  • libre d'Orange, un courtier d'ivoire, qui s'en allaitau pays des Namaquas, deux colons du Transwaalet un Chinois nomm L,

    comme il convient un Chinois,

    compltaient la compagnie la plushtrogne, la plus dbraille, la plus interlope, laplus bruyante, avec laquelle il et jamais t donn un homme comme il faut de se trouver.

    Aprs s'tre un instant amus de leurs physiono-mies et de leurs manires, Cyprien en fut bientt las.Il n'y avait gure que Thomas Steel, avec sa naturepuissante et son rire large, et le Chinois L, avec sesallures douces et flines, auxquels il continut s'in-tresser. Quant au Napolitain, ses bouffonneriessinistres, sa face de potence, lui inspiraient un insur-montable sentiment de rpulsion.

    Une des facties les plus apprcies de ce person-nage consista, pendant deux ou trois jours, atta-cher la natte de cheveux que le Chinois portaitsur le dos, suivant la coutume de sa nation, unefoule d'objets incongrus, des bottes d'herbe, des tro-gnons de choux, une queue de vache, une omoplate decheval ramasse dans la plaine.

    L, sans s'mouvoir, dtachait l'appendice qui avaitt ajout sa longue natte, mais ne tmoignait nipar un mot ni par un geste, ni mme par un regard,que la plaisanterie lui part dpasser les bornespermises. Sa face jaune, ses petits yeux brids, con-servaient un calme inaltrable, comme s'il et ttranger ce qui se passait autour de lui. En vrit, on

  • aurait pu croire qu'il ne comprenait pas un mot de cequi se disait dans cette arche de No en route pourle Griqualand.

    Aussi Annibal Pantalacci ne se faisait-il pas fauted'ajouter, dans son mauvais anglais, des commen-taires varis ses inventions de plaisant de bas tage.

    Pensez-vous que sa jaunissesoit contagieuse?

    demandait-il haute voix son voisin.Ou bien :

    Si seulement j'avais une paire de ciseaux pourlui couper sa natte, vous verriez la tte qu'ilferait!

    Et les voyageurs de rire. Ce qui redoublait leurgaiet, c'est que les Bors mettaient toujours un peude temps comprendre ce que disait le Napolitain;puis, ils se livraient tout coup une bruyante hila-rit, avec un retard de deux trois minutes sur lereste de la compagnie.

    A la fin, Cyprien s'irrita de cette persistance prendre le pauvre L pour plastron, et dit Pantalaccique sa conduite n'tait pas gnreuse. L'autre allaitpeut-tre rpondre une insolence, nuis un mot deThomas Steel suffit lui faire renganer prudemmentson sarcasme.

    1

    Non! ce n'est pas de franc jeu d'en agir ainsi avec

    ce pauvre diable, qui ne comprend mme pas ce quevous dites! ajouta le brave garon, se reprochantdj d'avoir ri avec les autres.

    L'affaire en resta donc l. Mais, quelques instantsplus tard, Cyprien fut surpris de voir le regard fin et

  • lgrement ironique,

    un regard videmment em-preint de reconnaissance,

    que le Chinois attachaitsur lui. La pense lui vint que L savait peut-tre plusd'anglais qu'il ne voulait le laisser paratre.

    Mais vainement, la halte suivante. Cyprien essayad'engager la conversation avec lui. Le Chinois restaimpassible et muet. Ds lors, cet tre bizarre continuad'intriguer le jeune ingnieur comme une nigmedont le mot tait trouver. Aussi Cyprien se laissa-t-il frquemment aller tudier avec attention cetteface jaune et glabre, cette bouche en coup de sabre,qui s'ouvrait sur des dents trs blanches; ce petit nezcourt et bant, ce large front, ces yeux obliques etpresque toujours baisss comme pour touffer unrayonnement malicieux.

    Quel ge pouvait bien avoir L? Quinze ans ousoixante? C'tait impossible dire. Si ses dents, sonregard, ses cheveux d'un noir de suie, pouvaient fairepencher pour la jeunesse, les rides de son front, deses joues, de sa bouche mme, semblaient indiquerun ge dj avanc. Il tait de petite taille, mince,agile en apparence, mais avec des cts vieillots etpour ainsi dire bonne femme. tait-il riche ou pauvre? Autre question douteuse.Son pantalon de toile grise, sa blouse de foulardjaune, son bonnet de corde tresse, ses souliers semelles de feutre, recouvrant des bas d'une blancheurimmacule, pouvaient aussi bien appartenir unmandarin de premire classe qu' un homme du

  • peuple. Son bagage se composait d'une seule caisseen bois rouge, avec cette adresse l'encre noire:

    H.Li,from Canton to the Cape,

    ce qui signifie: H. L, de Canton, allant au Cap.Ce Chinois tait, d'ailleurs, d'une propret extrme,

    ne fumait pas, ne buvait que de l'eau et profitait detoutes les haltes pour se raser la tte avec le plusgrand soin.

    Cyprien ne put pas en savoir davantage et renonabientt s'occuper de ce vivant problme.

    Cependant, les journes s'coulaient, les milles suc-cdaient aux milles. Parfois les chevaux allaient bontrain. A d'autres moments,il semblait impossible deleur faire presser le pas. Mais, petit petit, la routes'achevait, et, un beau jour, le wagon-diligence arriva Hope-town. Une tape encore, et Kimberley fut d-passe.Puis, des casesde boissemontrrent l'horizon.

    C'tait New-Rush.L, le camp des mineurs ne diffrait gure de ce

    que sont, en tous pays rcemment ouverts la civi-lisation, ces villes provisoires, qui sortent de terrecomme par enchantement.

    Des cabines de planches, pour la plupart trs petiteset pareilles des huttes de cantonniers sur un chantiereuropen, quelques tentes, une douzaine de cafs oucantines, une salle de billard, un.Alhambra ou salon

  • de danse, des stores ou magasins gnraux de

    denres de premire ncessit,

    voil ce qui frappaitd'abordlavue.

    Il y avait de tout dans ces boutiques,

    des habitset des meubles, des souliers et des verres vitre, deslivres et des selles, des armes et des toffes, des balaiset des munitions de chasse, des couvertures et descigares, des lgumes frais et des mdicaments, descharrues et des savons de toilette, des brosses ongleset du lait concentr, des poles frire et des litho-graphies,

    enfin de tout, except des acheteurs.C'est que la population du camp tait encore

    occupe la mine, loigne de trois ou quatre centsmtres de New-Rush.

    Cyprien Mr, comme tous les nouveaux arrivs,s'empressa de s'y rendre, pendant qu'on prparait ledner la case pompeusement dcore du nomd'Htel Continental.

    Il tait environ six heures aprs midi. Dj le soleils'enveloppait l'horizon d'une lgre bue d'or. Lejeune ingnieur observa, une fois de plus, le diamtrenorme que l'astre du jour, comme celui de la nuit,prend sous ces latitudes australes, sans que l'explica-tion du phnomne ait pu encore tre suffisammentdonne. Ce diamtre paraissait tre au moins dudouble plus large qu'il n'est en Europe.

    Mais un spectacle plus nouveau pour Cyprien Mrl'attendait au Kopje, c'est--dire au gisement de dia-mants.

  • Au dbut des travaux, la mine formait un monticulesurbaiss, qui bossuait en cet endroit la plaine, par-tout ailleurs aussi plate qu'une mer calme. Mais,maintenant, c'tait un immensecreux parois vases,une sorte de cirque de forme elliptique et d'environquarante mtres carrs de superficie, qui la trouaitsur cet emplacement. Cette surface ne renfermaitpas moins de trois ou quatre cents claims ou con-cessions de trente et un pieds de ct, que les ayant-droit faisaient valoir leur guise.

    Le travail consiste tout simplement, d'ailleurs, extraire, l'aide du pic et de la pioche, la terre de cesol, qui est gnralement compos d'un sable rou-getre ml de gravier. Une fois amene au bord de lamine, cette terre est transporte aux tables de triagepour tre lave, pile, crible, puis finalement exa-mine avec le plus grand soin, afin de reconnatre sielle contient des pierres prcieuses.

    Tous ces claims, pour avoir t creuss indpen-damment les uns des autres, forment naturellementdes fosses de profondeurs varies. Les uns descen-dent cent mtres et plus, en contre-bas du sol,d'autres seulement quinze, vingt ou trente.

    Pour les besoins du travail et de la circulation,chaque concessionnaire est astreint, par les rgle-ments officiels, laisser sur un des cts de son trouune largeur de sept pieds absolument intacte. Cetespace, avec la largeur gale rserve par le voisin,mnage une sorte de chausse ou de leve, affleurant

  • ainsi le niveau primitif du sol. Sur cette banquette,on pose, en travers, une suite de solives, qui dbordentde chaque ct d'un mtre environ et lui donnent unelargeur suffisante pour que deux tombereaux ne puis-sent s'y heurter.

    Malheureusement pour la solidit de cette voie sus-pendue et pour la scurit des mineurs, les conces-sionnaires ne manquent gure d'vider graduellementle pied du mur, mesure que les travaux descendent,de sorte que la leve, qui surplombe parfois d'unehauteur double de celle des tours Notre-Dame, finitpar affecter la forme d'une pyramide renverse, quireposerait sur sa pointe. La consquence de cettemauvaise disposition est facile prvoir. C'est l'bou-lement frquent de ces murailles, soit la saison despluies, soit quand un changement brusque de tem-prature vient dterminerdes fissures dans l'paisseurdes terres. Mais le retour priodique de ces dsastresn'empche pas les imprudents mineurs de continuer creuser leur claim jusqu' l'extrme limite de laparoi.

    Cyprien Mr, en approchant de la mine, ne vitd'abord que les charrettes, charges ou vides, quicirculaient sur ces chemins suspendus. Mais, lorsqu'ilfut assez prs du bord pour pouvoir plonger son regardjusque dans les profondeurs de cette espce de car-rire, il aperut la foule des mineurs de toute race,de toute couleur, de tout costume, qui travaillait avecardeur au fond des daims. Il y avait l des ngres

  • et des blancs, des Europens et des Africains, desMongols et des Celtes,

    la plupart dans un tat denudit presque complte, ou vtus seulement de pan-talons de toile, de chemises de flanelle, de pagnes decotonnade, et coiffs de chapeaux de paille, frquem-ment orns de plumes d'autruche.

    Tous ces hommes remplissaient de terre des seauxde cuir, qui montaient ensuite jusqu'au bord de lamine, le long de grands cbles de fil de fer, sous latraction de cordes en lanires de peau de vache,enroules sur des tambours de bois claire-voie. L,ces seaux taient rapidement verss dans les char-rettes, puis ils revenaient aussitt au fond du claimpour remonter avec une nouvelle charge.

    Ces longs cbles de fer, tendus en diagonale sur laprofondeurdes paralllpipdes forms parles claims,donnent aux a dry-diggings ou mines de diamants sec, une physionomie toute spciale. On et dit desfils d'attente de quelque gigantesque toile d'araigne,dont la fabrication aurait t subitement interrompue.

    Cyprien s'amusa pendant quelque temps consi-drer cette fourmilirehumaine. Puis, il revint New-Rush, o la cloche de la table d'hte sonna bientt.Lh, il eut pendant toute la soire la satisfaction d'en-tendre les uns parler de trouvailles prodigieuses, demineurs, pauvres comme Job, subitement enrichis parun seul diamant, tandis que les autres, au contraire,se lamentaient propos de la dveine, de la rapa-cit des courtiers, de l'infidlit des Cafres employs

  • aux mines, qui volaient les plus belles pierres, etautres sujets de conversation technique. On ne parlaitque diamants, carats, centaines de livres sterling.

    Au total, tout ce monde avait l'air assez -misrable,et pour un digger heureux, qui demandait bruyam-ment une bouteille de Champagne, afin d'arroser sabonne chance, on voyait vingt figures longues, dontles propritaires attrists ne buvaient que de la petitebire.

    Par moments, une pierre circulait de main en mainautour de la table, pour tre soupese, examine,estime et finalement revenir s'engouffrer dans la cein-ture de son possesseur. Ce caillou gristre et terne,sans plus d'clat qu'un morceau de silex roul parquelque torrent, c'tait le diamant dans sa gangue.

    A la nuit, les cafs s'emplirent, et les mmes con-versations, les mmes discussions qui avaient gayle dner, se poursuivirent de plus belle autour desverres de gin et de brandy.

    Cyprien, lui, s'tait couch de bonne heure dans lelit qui lui avait t assign sous une tente voisine del'htel. L, il s'endormit bientt, au bruit d'un balen plein air que des mineurs cafres se donnaient auxenvirons, et aux fanfares clatantes d'un cornet piston, qui prsidait dans un salon public aux batschorgraphiques de messieurs les blancs.

  • III

    UNPEU DE SCIENCE ENSEIGNE DE BONNE AIITI

    Le jeune ingnieur, il faut se hter de le dire sonhonneur, n'tait point venu en.Griqualand pour passerson temps dans cette atmosphre de rapacit, d'ivro-gnerie et de fume de tabac. Il tait charg d'excuterdes levs topographiques et gologiques sur certainesportions du pays, de recueillir des chantillons de

    proches et de terrains diamantifres, de procder surplace des analyses dlicates. Son premier soin devait

    tdonc tre de se procurer une habitation tranquille, oil pt installer son laboratoire et qui servt pour ainsidire de centre ses explorations travers tout ledis-trict

    minier.Le monticule, sur lequel s'levait la ferme Wat-

    kins, attira bientt son attention comme un poste quipouvait tre particulirement favorable ses travaux.Assez loign du camp des mineurs pour ne souffrirque trs peu de ce bruyant voisinage, Cypricn se trou-

  • verait l une heure de marche environ des Kopjesles plus loigns,

    car ledistrict diamantifre n'apas plus de dix douze kilomtres de circonfrence.Il arriva donc que de choisir une des maisons aban-donnes par John Watkins, d'en ngocier la location,de s'y tablir,

    tout cela fut pour le jeune ingnieurl'affaire d'une demi-journe. Du reste, le fermier semontra de bonne composition. Au fond, il s'ennuyaitfort dans sa solitude, et vit avec un vritable plaisirs'installer auprs de lui un jeune homme qui lui appor-terait sans doute quelque distraction.

    Mais, si Mr. Watkins avait compt trouver en sonlocataire un compagnon de table ou un partenaireassidu pour donner assaut la cruche de gin, il taitloin de compte. A peine tabli avec tout son attirailde cornues, de fourneaux et de ractifs dans la caseabandonne son profit

    et mme avant que lesprincipales pices de son laboratoire lui fussent arri-ves,- Cyprien avait dj commenc ses promenadesgologiques dans le district. Aussi, le soir, lorsqu'ilrentrait, harass de fatigue, charg de fragments deroches dans sa bote de zinc, dans sa gibecire, dansses poches et jusque dans son chapeau, il avait pluttenvie de se jeter sur son lit et de dormir que de venircouter les vieux racontars de Mr. Watkins. En outre,il fumait peu, buvait encore moins. Tout cela ne con-stituait pas prcisment le joyeux compre que lefermier avait rv.

    Nanmoins:Cyprien tait si loyal et si bon, si simple

  • je manires et de sentiments, si savant et si modeste,ju'il tait impossible de le voir habituellement sansRattacher lui. Mr. Watkins-peut-tre ne s'en ren-lait-il pas compte

    prouvait donc plus de respectpour le jeune ingnieur qu'il n'en avait jamais accord personne. Si seulement ce garon-l avait su boire;ec! Mais que voulez-vous faire d'un homme qui ne selette jamais la moindre goutte de gin dans le gosier?Voil comment se terminaient rgulirement les juge-monts que le fermier portait sur son locataire.

    Quant miss Watkins, elle s'tait tout de suitemise avec le jeune savant sur le pied d'une bonne etfranche camaraderie. Trouvant en lui une distinctionle manires, une supriorit intellectuelle qu'elle nerencontrait gure dans son entourage habituel, elleavait saisi avec empressement l'occasion inattenduequi s'offrait elle de complter, par des notions denhimie exprimentale, l'instruction trs solide et trsvarie qu'elle s'tait dj faite par la lecture desouvrages de science.

    Le laboratoire du jeune ingnieur, avec ses appa-reils bizarres, l'intressait puissamment. Elle taitsurtout fort curieuse de connatre tout ce qui serattachait la nature des diamants, cette prcieusepierre qui jouait dans les, conversations et dans lecommerce du pays un rle si important. En vrit,Alice tait assez porte ne regarder cette gemme quecomme un vilain caillou. Cyprien

    elle n'tait passans le voir

    avait, sur ce point, des ddains tout

  • pareils aux siens. Aussi cette communion de senti-ments ne fut-elle pas trangre l'amiti qui s'taitpromptement noue entre eux. Seuls dans le Griqua-land, on peut hardiment le dire, ils ne croyaient pasque le but unique de la vie dt tre de rechercher, detailler, de vendre ces petites pierres, si ardemmentconvoites dans tous les pays du monde.

    Le diamant, lui dit un jour le jeune ingnieur,

    est tout simplement du carbone pur. C'est un frag-ment de charbon cristallis, pas autre chose. On peutle brler comme un vulgaire morceau de braise, etc'est mme cette proprit de combustibilit qui en a,pour la premire fois, fait souponner la vritablenature. Newton, qui observait tant de choses, avaitnot que le diamant taill rfracte la lumire plus quetout autre corps transparent. Or, comme il savait quece caractre appartient la plupart des substancescombustibles, il dduisit de ce fait, avec sa hardiesseordinaire, la conclusion que le diamant devait tre combustible. Et l'exprience lui donna raison.

    Mais, monsieur Mr, si le diamant n'est que ducharbon, pourquoi le vend-on si cher? demanda lajeune fille.

    Parce qu'il est trs rare, mademoiselle Alice,rpondit Cyprien, et qu'il n'a encore t trouv dansla nature qu'en trs petites quantits. Pendant long-temps, on en a tir seulement de l'Inde, du Brsilet de l'le de Borno. Et, sans doute, vous vous rap-pelez fort bien, car vous deviez avoir alors sept ou

  • huitans, l'poque o, pour la premire fois, on a

    Signal la prsence de diamants dans cette provincede l'Afrique australe.

    Certes, je me le rappelle! dit miss Watkins. Toutte monde tait comme fou en Griqualand! On nevoyait que gens arms de pelles et de pioches, explo-rant toutes les terres, dtournant le cours des ruis-seaux pour en examiner le lit, ne rvant, ne parlantque diamants! Toute petite que j'tais, je vous assureque j'en tais excde par moments, monsieur Mr!Mais vous disiez que le diamant est cher parce qu'ilest rare. Est-ce que c'est l sa seule qualit?

    Non, pas prcisment, miss Watkins. Sa trans-parence, son clat, lorsqu'il a t taill de manire rfracter la lumire, la difficult mme de cette tailleet enfin son extrme duret en font un corps vri-tablement trs intressant pour le savant, et, j'ajou-terai, trs utile l'industrie. Vous savez qu'on nepeut le polir qu'avec sa propre poussire, et c'estcette prcieuse duret qui a permis de l'utiliser,depuis quelques annes, pour la perforation des ro-ches. Sans le secours de cette gemme, non seule-ment il serait fort difficile de travailler le verre etplusieurs autres substances dures, mais le percementdes tunnels, des galeries de mines, des puits artsiens,serait aussi beaucoup plus difficile!

    -Je comprends maintenant, dit Alice, qui se sentitprise subitement d'une sorte d'estime pour ces pau-vres diamants qu'elle avait tant ddaignsjusqu'alors.

  • Mais, monsieur Mr, ce charbon,dont vous affirmezque le diamant est compos l'tat cristallin, -c'estbien ainsi qu'il faut dire, n'est-ce pas? ce charbon,qu'est-ce que c'est, en somme?

    C'est un corps simple, non mtallique, et l'undes plus rpandus dans la nature, rpondit Cyprien.Tous les composs organiques, sans exception, lebois, la viande, le pain, l'herbe, en renferment uneforte proportion. Ils doivent mme la prsence ducharbon ou carbone parmi leurs lments le degrde parent que l'on observe entre eux.

    Quelle chose trange! dit miss Watkins. Ainsices buissons que voil, l'herbe de ce pturage, l'arbrequi nous abrite, la chair de mon autruche Dada, etmoi-mme, et vous, monsieur Mr. nous sommes enpartie faits de charbon. comme les diamants? Toutn'est donc que charbon en ce monde?

    Ma foi, mademoiselle Alice, il y a assez long-temps qu'on l'a pressenti, mais la science contem-poraine tend de jour en jour le dmontrer plusclairement! Ou, pour mieux dire, elle tend rduirede plus en plus le nombre des corps simples lmen-taires, nombre longtemps considr comme sacra-mentel. Les procds d'observation spectroscopiquesont, cet gard, jet trs rcemment un jour nouveausur la chimie. Aussi les soixante-deux substances,classes jusqu'ici comme corps simples lmentairesou fondamentaux, pourraient-ils bien n'tre qu'uneseule et unique substance atomique,

    l'hydrogne

  • peut-tre,

    sous des modes lectriques, dynamiqueset calorifiques diffrents!

    Oh! vous me faites peur, monsieur Mr, avectous ces grands mots! s'cria miss Watkins. Parlez-moi plutt du charbon! Est-ce que vous autres,messieurs les chimistes, vous ne pourriez pas lecristalliser comme vous faites du -soufre, dont vousm'avez montr l'autre jour de si jolies aiguilles? Ceserait bien plus commode que d'aller creuser destrous dans la terre pour y trouver des diamants!

    -On a souvent essay de raliser ce que vous dites,rpondit Cyprien. et tent de fabriquer du diamantartificiel par la cristallisation du carbone pur. Je doisajouter qu'on y est mme parvenu dans une certainemesure. Despretz, en 1853, et, tout rcemment enAngleterre, un autre savant, ont produit de la pous-sire de diamant en appliquant un courant lectriquetrs puissant dans le vide, des cylindres de charbon,dbarrasss de toute substance minrale et prparsavec du sucre candi. Mais jusqu'ici, le problme n'apas eu de solution industrielle. Il est probable, ausurplus, que ce n'est dsormais qu'une question detemps. D'un jour l'autre, et peut-tre l'heure oje vous parle, miss Watkins, le procd de fabricationdu diamant est-il dcouvert!

    Ils causaient ainsi en se promenant sur la terrassesable, qui s'tendait, le long de la ferme, ou bien lesoir, assis sous la lgre vrandah, en regardant scin-tiller les toiles du ciel austral.

  • Puis, Alice quittait le jeune ingnieur pour retour-ner la ferme, quand elle ne l'emmenait pas voir sonpetit troupeau d'autruches, que l'on gardait dans unenclos, au pied de la hauteur sur laquelle s'levaitl'habitation de John Watkins. Leur petite tte blanche,dresse sur un corps noir, leurs grosses jambes rai-des, les bouquets de plumes jauntres qui les ornentaux ailerons et la queue, tout cela intressait lajeune fille, qui s'amusait, depuis un an ou deux, lever toute une basse-cour de ces chassiers gigan-tesques.

    Ordinairement, on ne cherche pas domestiquerces animaux, et les fermiers du Cap les laissent vivre l'tat quasi sauvage. Ils se contentent de les parquerdans des enclos d'une vaste tendue, dfendus par dehautes barrires de fil d'archal, pareilles celles quel'on pose, en certains pays, le long des voies ferres.Ces enclos, les autruches, mal bties pour le vol, nepeuvent les franchir. L. elles vivent, toute l'anne,dans une captivit qu'elles ignorent, se nourrissant dece qu'elles trouvent et cherchant des coins cartspour y pondre leurs ufs, que des lois svres pro-tgent contre les maraudeurs. A l'poque de la mueseulement, lorsqu'il s'agit de les dpouiller de cesplumes si recherches des femmes d'Europe, les rabat-teurs chassent peu peu les autruches dans une sried'enclos de plus en plus resserrs, jusqu' ce qu'enfinil soit ais de les saisir et de leur arracher leur parure.

    Cette industrie a pris depuis quelques annes, dans

  • les rgions du Cap, une prodigieuse extension, et l'onpeut bon droit s'tonner qu'elle soit encore peineacclimate en Algrie, o elle ne serait pas moinsfructueuse. Chaque autruche, ainsi rduite en escla-vage, rapporte son propritaire, sans frais d'aucuneespce, un revenu annuel qui varie entre deux centset trois cents francs. Pour le comprendre, il faut sa-voir qu'une grande plume, lorsqu'elle est de bellequalit, se vend jusqu' soixante et quatre-vingtsfrancs

    prix courant du commerce et que lesplumes moyennes et petites ont encore une assezgrande valeur.

    Mais c'tait uniquement pour son amusement per-sonnel que miss Watkins levait une douzaine de cesgrands oiseaux. Elle prenait plaisir les voir couverleurs ufs normes, ou lorsqu'ils venaient la pteavec leurs poussins, comme auraient pu le faire despoules et des dindons. Cyprien l'accompagnait quel-quefois, et aimait caresser l'une des plus joliesdu troupeau, une certaine autruche tte noire, auxyeux d'or,

    prcisment cette choye Dada, quivenait d'avaler la bille d'ivoire, dont Alice se servaithabituellement pour ses reprises.

    Cependant, peu peu, Cyprien avait senti natreen lui un sentiment plus profond et plus tendre enverscette jeune fille. Il s'tait dit que jamais il ne trouve-rait, pour partager sa vie de travail et de mditation,une compagne plus simple de cur, plus vive d'intel-ligence, plus aimable, plus accomplie de tout point.

  • En effet, miss Watkins, prive de bonne heure de samre, oblige de conduire la maison paternelle, taitune mnagre consomme en mme temps qu'unevritable femme du monde C'tait mme ce mlangesingulier de distinction parfaite et de simplicitattrayante qui lui donnait tant de charme. Sans avoirles sottes prtentions de tant de jeunes lgantes desvilles d'Europe, elle ne craignait pas de mettre sesblanches mains la pte pour prparer un pudding,surveiller le dner, s'assurer que le linge de la maisontait en bon tat. Et cela ne l'empchait pas de jouerles sonates de Beethoven aussi bien et peut-tre mieuxque tant d'autres, de parler avec puret deux ou troislangues, d'aimer lire, de savoir apprcier les chefs-d'uvre de toutes les littratures, et enfin d'avoirbeaucoup de succs aux petites assembles mondai-nes, qui se tenaient parfois chez les riches fermiersdu district.

    Non que les femmes distingues fussent trs clair-semes dans ces runions. En Transvaal comme enAmrique, en Australie et dans tous les pays neufs,o les travaux matriels d'une civilisation qui s'im-provise absorbent l'activit des hommes, la cultureintellectuelle est beaucoup plus qu'en Europe le mono-pole peu prs exclusif des femmes. Aussi sont-ellesle plus souvent trs suprieures leurs maris et leurs fils, en fait d'instruction gnrale et d'affine-ment artistique. Il est arriv tous les voyageurs derencontrer, non sans quelque stupfaction, chez la

  • femme d'un mineur australien ou d'un squatter duFar-West, un talent musical de premier.ordre, associaux plus srieuses connaissances littraires ou scien-tifiques. La fille d'un chiffonnier d'Omaha ou d'uncharcutier de Melbourne rougirait de penser qu'ellepeut tre infrieureen instruction, en bonnes manires,en accomplissements de toutgenre, une princessede la vieille Europe. Dans l'Etat libre d'Orange, ol'ducation des filles est depuis longtemps dj sur lemme pied que celle des garons, mais o ceux-cidsertent trop tt les bancs de l'cole, ce contrasteentre les deux sexes est marqu plus que partoutailleurs. L'homme est, dans le mnage, le bread-winner,

    le gagneur de pain; il ga-rde, avec toute

    sa rudesse native, toute celle que lui impriment lemtier en plein air, la vie de fatigues et de dan-gers. Au contraire, la femme prend pour son do-maine, en plus des devoirs domestiques, la culturedes arts et des lettres que ddaigne ou nglige sonmari.

    Et il se rencontre ainsi parfois qu'une fleur debeaut, de distinction et de charme, s'panouit aubord du dsert; c'tait le cas de la fille du fermierJohn Watkins.

    Cyprien s'tait dit tout cela, et, comme il allaitdroit au but, il n'avait pas hsit venir prsenter sademande.

    Hlas! il tombait maintenant du haut de son rve,et apercevait, pour la premire fois, le foss presque

  • infranchissable qui le sparait d'Alice. Aussi, fut-cele cur gros.de chagrin qu'il rentra chez lui, aprs'cette entrevue dcisive. Mais il n'tait pas homme s'abandonner un vain dsespoir; il tait rsolu lutter sur ce terrain, et, en attendant, il eut bientttrouv dans le travail un sr drivatif sa peine.

    Aprs s'tre assis devant sa petite table, le jeuneingnieur acheva, d'une criture rapide et ferme, lalongue lettre confidentielle qu'il avait commence lematin l'adresse de son matre vnr, M. J., membrede l'Acadmie des Sciences et professeur titulaire l'Ecole des Mines :

    Ce que je n'ai pas cru devoir consigner dans

    mon mmoire officiel, lui disait-il, parce que ce n'estencore pour moi qu'une hypothse, c'est l'opinion queje serais assez tent de me faire, d'aprs mes obser-vations gologiques, sur le vritable mode de forma-tion du diamant. Ni l'hypothse qui le fait provenird'une origine volcanique, ni celle qui attribue sonarrive dans les gisements actuels l'action de vio-lentes rafales, ne sauraient me satisfaire plus quevous, mon cher matre, et je n'ai pas besoin devous rappeler les motifs qui nous les font carter.La formation du diamant sur place, par l'action dufeu, est aussi une explication beaucoup trop vague etqui ne me contente point. Quelle serait la nature dece feu, et comment n'aurait-il pas modifi les cal-caires de toutes sortes, qui se rencontrent rguli-rement dans les gtes diamantifres? Cela me parat

  • tout simplement enfantin, digne de la thorie destourbillons ou des atomes crochus.

    La- seule explication qui me satisfasse, sinon

    compltement, du moins dans une certaine mesure,est celle du transport par les eaux des lments dela gemme, et de la formation postrieure du cristalsur place. Je suis trs frapp du profil spcial,presque uniforme, des divers gtes que j'ai passsen revue et mesurs avec le plus grand soin. Tousaffectent plus ou moins la forme gnrale d'uneespce de coupe, de capsule, ou plutt, en tenantcompte de la crote qui les recouvre, d'une gourdede chasse, couche sur le flanc. C'est comme un rser-voir de trente ou quarante mille mtres cubes, danslequel serait venu s'pancher tout un conglomrat desables, de boue et de terres d'alluvions, appliqu surles roches primitives.Ce caractre est surtout trsmarqu au Vandergaart-Kopje, un des gisements lesplus rcemment dcouverts, et qui appartient, pourle dire en passant, au propritaire mme de la cased'o je vous cris.

    Quand on verse dans une capsule un liquide conte-

    nant des corps trangers en suspension, que sepasse-t-il? C'est que ces corps trangers se dposentplus spcialement au fond et autour des bords de lacapsule Eh bien! c'est prcisment ce qui se produitdans le Kopje. C'est surtout au fond et vers le centredu bassin, aussi bien qu' sa limite extrme, que serencontrentles diamants. Etle fait estsibien constat,

  • que les claims intermdiaires tombent rapidement un prix infrieur, tandis que les concessions centralesou voisines des bords atteignent trs promptementune valeur norme, lorsque la forme du gisement a tdtermine. L'analogie est donc en faveur du transportdes matriaux par l'action des eaux.

    D'autre part, un grand nombre de circonstances

    que vous trouverez numres dans mon Mmoire,tendent indiquer la formation sur place de cris-taux, de prfrence leur transport l'tat parfait.Pour n'en rpter que deux ou trois, les diamants sontpresque toujours runis par groupes de mme natureet de mme couleur, ce qui n'arriverait certainementpas s'ils avaient t apports tout forms dj par untorrent. On en trouve frquemment deux accolsensemble, qui se dtachent au plus lger choc. Com-ment auraient-ils rsist aux frottements et aux aven-tures d'un charroi par les eaux? De plus, les grosdiamants se trouvent presque toujours sous l'abrid'une roche, ce qui tendrait indiquer que l'influencede la roche,

    son rayonnement calorifique ou touteautre cause,

    a facilit la cristallisation. Enfin, il estrare, trs rare mme, que de gros et de petits dia-mants se rencontrent ensemble. Toutes les fois qu'ondcouvre une belle pierre, elle est isole. C'est comme

    * si tous les lments adamantins du nid s'taient cettefois concentrs en un seul cristal, sous l'action decauses particulires.

    Ces motifs et beaucoup d'autres encore me font

  • donc pencher pour la formation surplace, aprstrans-port par les eaux, des lments de la cristallisation.

    Mais d'o sont venues les eaux qui charriaient

    les dtritus organiques, destins se transformer endiamants? c'est ce qu'il ne m'a pas t possible dedterminer, en dpit de l'tude la plus attentive quej'ai faite des divers terrains.

    La dcouverte aurait pourtant son importance.

    En effet, si l'on parvenait reconnatre la route suiviepar les eaux, pourquoi n'arriverait-on pas, en laremontant, au point initial d'o sont partis les dia-mants, l o ilyen a sans doute une bien plus grandequantit que dans les petits rservoirs actuellementexploits? Ce serait une dmonstration complte dema thorie, et j'en serais bien heureux. Mais ce n'estpas moi qui la ferais, car me voici presque au termede ma mission, et il m'a t impossible de formuler cet gard aucune conclusion srieuse.

    J'ai t plus favoris dans mes analyses de

    roches.

    Et le jeune ingnieur, poursuivant son rcit, en-trait, au sujet de ses travaux, dans des dtails techni-ques qui taient sans doute d'un haut intrt pour luiet pour son correspondant, mais sur lesquels le lecteurprofane pourrait bien ne pas porter le mme jugement.C'est pourquoi il parat prudent de lui en faire grge.

    A minuit, aprs avoir termin sa longue lettre,Cyprien teignit sa lampe, s'tendit dans son hamacet s'endormit du sommeil du juste.

  • Le travail avait touff le chagrin,

    du moinspour quelques heures,

    mais une gracieuse visionhanta plus d'une fois les rves du jeune savant, et illui sembla qu'elle lui disait de ne pas dsesprerencore!

  • IV

    VANDERGAART-KOPJE.

    Dcidment, il faut partir, se dit le lendemain

    Cyprien Mr, en s'occupant de sa toilette, il fautquitter le Griqualand! Aprs ce que je me suis laissraconter par ce bonhomme, rester ici un jour de plusserait de la faiblesse! Il ne veut pas me donner saHlle? Peut-tre a-t-il raison ! En tout cas, il ne m'ap-partient pas d'avoir l'air de plaider les circonstancesattnuantes! Je dois savoir accepter virilement ceverdict, quelque douloureux qu'il soit, et comptersur les retours de l'avenir !

    Sans hsiter davantage, Cyprien s'occupa d'empa-queter ses appareils dans les caisses qu'il avait gar-des pour s'en servir en guise de buffets et d'ar-moires. Il s'tait mis avec ardeur la besogne, et iltravaillait activement, depuis une heure ou deux,quand, par la fentre ouverte, travers l'atmosphrematinale, une voix frache et pure, montant comme

  • un chant d'alouette du pied de la terrasse, arriva jus-qu' lui, porte sur une des plus charmantes mlo-dies du pote Moore:

    It is the last rose ofsummer,Left bloominy alone

    AIl her lovely companionsAre faded and gone,

    C'est la dernire rose de l't,

    reste seule enfleur;

    toutes ses aimables compagnes-sont fanesou mortes.

    Cyprien courut la fentre et aperut Alice, qui sedirigeait vers l'enclos de ses autruches, son tablierplein de friandises leur got. C'tait elle qui chan-tait au soleil levant.

    I will not leave thee, thou lone one!To pine on the stem,

    Since the lovely are sleeping,Go, sleep with them.

    Je ne te laisserai pas,

    toi toute seule,

    lan-guir sur ta tige.

    Puisque les autres belles sontalles dormir,-va, dors avec elles?

    Le jeune ingnieur ne s'tait jamais cru particuli-rement sensible la posie, et, pourtant, celle-l lepntra profondment. Il se tint prs de la croise,retenant son haleine, coutant, ou, pour mieux dire,buvant ces douces paroles.

  • La chanson s'arrta. Miss Watkins distribuait leurpte ses autruches, et c'tait plaisir de les voirallongeant leurs grands cous et leurs becs maladroitsau-devant de sa petite main taquine. Puis, lorsqu'elleeut fini la distribution, elle remonta, toujours chan-tant:

    It is the last rose of summer,Left blooming alone.

    Oh! who would inhabitThis black world alone?.

    C'est la dernire rose de l't,

    reste seule enfleur.- Oh! qui voudrait habiter tout seul ce sombremonde?.

    Cyprien tait debout, la mme place, les yeuxhumides, comme clou sous le charme.

    La voix s'loignait, Alice allait rentrer la ferme,elle n'en tait pas vingt mtres, lorsqu'un bruit depas prcipits la fit se retourner, puis s'arrter sou-dain.

    Cyprien, d'un mouvement irrflchi mais irrsis-tible, tait sorti de sa case, tte nue, et courait aprselle.

    Mademoiselle Alice!.

    -Monsieurl\Ir?

    Ils taient maintenant face face, en plein soleillevant, sur le chemin qui bordait la ferme. Leursombres lgantes se dcoupaient nettement contrela barrire de bois blanc, dans le paysage dnud. A

  • prsent que Cyprien avait rejoint la jeune fille, il sem-blait tonn de sa dmarche et se taisait, indcis.

    Vous avez quelque chose me dire, monsieur

    Mr? demanda-t-elle avec intrt.

    J'ai vous faire mes adieux, mademoiselleAlice!. Je pars aujourd'hui mme! rpondit-ild'une voix assez mal assure.

    L'incarnat lger qui animait le teint dlicat demiss Watkins avait subitement disparu.

    Partir?. Vous voulez partir. pour?. demanda-

    t-elle, trs trouble.

    Pour mon pays. pour la France, rponditCyprien. Mes travaux sont achevs ici!. Ma missionest son tepme. Je n'ai plus rien faire au Gri-qualand, et je suis oblig de rentrer Paris.

    En parlant ainsi, d'une voix entrecoupe, il pre-nait l'accent d'un coupable qui s'excuse.

    Ah !. oui!. C'est vrai!. Cela devait tre!.

    balbutiait Alice, sans trop savoir ce qu'elle disait.La jeune fille tait frappe de stupeur. Cette nou-

    velle la surprenait en plein bonheur inconscient,comme un coup de massue. Soudain, de grosses lar-mes se formrent dans ses yeux, et vinrent se suspen-dre aux longs cils qui les ombrageaient. Et, commesi cette explosion de chagrin l'et rappele laralit, elle retrouva quelque force pour sourire:

    Partir?. reprit-elle. Eh bien, et votre lve

    dvoue, vous voulez donc la quitter sans qu'elle aitachev son cours de chimie ?. Vous voulezque j'en

  • reste l'oxygne et que les mystres de l'azote mesoient jamais lettre morte?. C'est trs mal, cela,iolisieur!

    Elle essayait de faire bonne contenance et de plai-santer, mais le ton de sa voix dmentait ses paroles.Il y avait, sous ce badinage, un reproche profond, etqui alla droit au cur du jeune homme. Elle lui disaiton langue vulgaire:

    (( Eh bien, et moi?. Vous me comptez donc pourrien?.Vous me replongez tout simplement dans lenant!. Vous serez venu ici vous montrer, parmi cesBoers et ces mineurs avides, comme un tre sup-rieur et privilgi, savant, fier, dsintress, horsligne!. Vous m'aurez associe vos tudes et vostravaux !. Vous m'aurez ouvert votre cur et faitpartager vos hautes ambitions, vos prfrences litt-raires, vos gots artistiques!. Vous m'aurez rvl ladistance qu'il y a entre un penseur comme vous etles bimanes qui m'entourent!. Vous aurez mis touten jeu pour vous faire admirer et aimer!. Vous yserez parvenu!. Puis, vous viendrez m'annoncer, debut en blanc, que vous partez, que c'est fini, que vousallez rentrer Paris et vous hter de m'oublier!. Etvous croyez que je vais prendre ce dnouement avecphilosophie?

    Oui, il y avait tout cela sous les paroles d'Alice, etses yeux humides le disaient si bien, que Cyprien futsur le point de rpondre ce reproche inexprim maisloquent. Peu s'en fallut qu'il ne s'crit:

  • ciIl le faut!. J'ai demand hier votre pre de

    vous laisser devenir ma femme!. Il a refus, sansmme me laisser d'espoir!. Comprenez-vous main-tenant pourquoi je pars?

    Le souvenir de sa promesse lui revint temps. Ils'tait engag ne jamais parler la fille de John"Watkins du rve qu'il avait form, et il se serait jugmprisable en ne tenant pas sa parole.

    Mais, en mme temps, il sentait combien ce projetde dpart immdiat, si subitement arrt sous le coupde sa dconvenue, tait brutal, presque sauvage.Il lui apparaissait impossible d'abandonner ainsi,sans prparation, sans dlai, cette charmante en-fant qu'il aimait, et qui lui rendait,

    ce n'taitque trop visible,

    une affection si sincre et si pro-fonde!

    Cette rsolution, qui s'tait impose lui, deuxheures plus tt, avec le caractre de la ncessit laplus imprieuse, lui faisait maintenant horreur. Iln'osait mme plus l'avouer.

    Tout coup, il la renia.

    Quand je parle de partir, mademoiselleAlice, dit-il, ce n'est pas ce matin.ni mme aujourd'hui, jepense!. J'ai encore des notes prendre. des pr-paratifs complter!. En tout cas, j'aurai l'honneurde vous revoir et de causer avec vous. de votre pland'tudes!

    Sur quoi, tournant brusquement sur ses talons,Cyprien s'enfuit, comme un fou, revint sa case, se

  • jeta dans son fauteuil de bois, et se mit rflchirprofondment.

    Le cours de ses penses tait chang.

    Renoncer tant de grce, faute d'un peu d'ar-gnt! se disait-il. Abandonner la partie au premierobstacle! Est-ce bien aussi courageux que je l'ima-gine? Ne vaudrait-il pas mieux sacrifier quelques pr-jugs et tenter de me rendre digne d'elle?. Tant degens font fortune, en quelques mois, chercher desdiamants! Pourquoi ne ferais-je pas de mme? Quim'empche, moi aussi, de dterrer une pierre de centcarats, comme c'est arriv d'autres; ou mieux, dedcouvrir un gisement nouveau? J'ai srement plusde connaissances thoriques et pratiques que la plu-part de tous ces hommes! Pourquoi la science ne medonnerait-elle pas ce que le travail, aid d'un peu dechance, leur a donn?. Aprs tout, je ne risque pasgrand chose essayer!. Mme au point de vue dema mission, il peut ne pas m'tre inutile de mettre lamain la pioche et de tter du mtier de mineur!.Et, si je russis, si je deviens riche par ce moyenprimitif, qui sait si John Watkins ne se laissera pasflchir et ne reviendra pas sur sa dcision premire?Le prix vaut bien que l'on tente l'aventure!.

    Cyprien se remit marcher dans le laboratoire;mais, cette fois, ses bras taient inactifs, sa penseseule travaillait.

    Tout coup, il s'arrta, mit son chapeau et sortit.Aprs avoir pris le sentier qui descendait vers la

  • plaine, il se dirigea grands pas vers le Vandergaart-Kopje.

    En moins d'une heure, il y arriva.A ce moment, les mineurs rentraient en foule au

    camp pour leur second djeuner. Cyprien, passant enrevue tous ces visages hls, se demandait qui ils'adresserait pour obtenir les renseignements qui luitaient ncessaires, lorsqu'il reconnut dans un groupela face loyale de Thomas Steel, l'ex-mineur du Lan-cashire. Deux ou trois fois dj, il avait eu occasionde le rencontrer, depuis leur arrive simultane enGriqualand, et de constater que le brave garon pros-prait vue d'il, comme l'indiquaient suffisam-ment sa mine fleurie, ses habits flambant neufs, etsurtout la large ceinture de cuir qui s'talait sur sesflancs

    Cyprien se dcida l'aborder et lui faire part deses projets

    ce qui fut dit en quelques mots.

    Affermer un claim? Rien de plus ais, si vousavez de la monnaie! lui rpondit le mineur. Il y ena justement un prs du mien! Quatre cents livressterling', c'est donn! Avec cinq ou six ngres, quil'exploiteront pour votre compte, vous tes sr d'y

    faire au moins sept ou huit cents francs de dia-

    mants par semaine!

    Mais je n'ai pas dix mille francs, et je ne possdepas le plus petit ngre! dit Cyprien.

    1. 10,000 francs.

  • -Eh bien, achetez une part de claim,

    un hui-time ou mme un seizime,

    et travaillez-le vous-mme! Un millier de francs suffira pour cette acqui-sition!

    Ce serait plutt dans mes moyens, rpondit lejeune ingnieur. Mais vous-mme, monsieur Steel,comment avez-vous fait, si je ne suis pas trop curieux?Vous tes donc arriv ici avec un capital?

    Je suis arriv avec mes bras et trois picettes d'ordans ma poche, rpliqua l'autre. Mais j'ai eu du bon-heur. J'ai travaill d'abord, de compte demi, sur unhuitime, dont le propritaire aimait mieux rester aucaf que s'occuper de ses affaires. Il tait convenuque nous partagerions les trouvailles, et j'en ai faitd'assez belles,

    -notamment une pierre de cinq carats

    que nous avons vendue deux cents livres sterling!Alors je me suis lass de travailler pour ce fainantet j'ai achet un seizime que j'ai exploit moi-mme.Comme je n'y ramassais que de petites pierres, jem'en suis dbarrass, il y a dix jours. Je travaille nouveau, de compte demi, avec un homme d'Aus-tralie, sur son claim, mais nous n'avons gure faitque cinq livres nous deux dans la premire semaine.

    Si je trouvais une bonne part de claim acheter,pas trop cher, seriez-vous dispos vous associeravec moi pour l'exploiter? demanda le jeune ing-nieur.

    Tout de mme, rpondit Thomas Steel,

    unecondition cependant: c'est que chacun de nous gar-

  • derait pour lui ce qu'il trouverait! Ce n'est pas queje me mfie, monsieur Mr! Mais voyez-vous, depuisque je suis ici, je me suis aperu que je perds presquetoujours au partage, parce que le pic et la pioche,a me connat, et que j'abats deux ou trois fois plusd'ouvrage que les autres!-

    Cela me paratrait juste, rpondit Cyprien.Ah! fit tout coup le Lancashireman ens'inter-

    rompant. Une ide, et peut-tre une bonne!. Si nousprenions, nousdeux, l'undes claims deJohnWatkins?

    Comment, un de ses claims ? Est-ce que tout lesol du Kopje n'est pas lui?

    Sans doute, monsieur Mr, mais vous savez quele gouvernement colonial s'en empare aussitt qu'ilest reconnu gisement de diamants. C'est lui qui l'ad-ministre, le cadastre et morcelle les claims, en rete-nant la plus grande partie du prix de cession et nepayant au propritaire qu'une redevance fixe. A lavrit, cette redevance, quand le Kopje est aussi vasteque celui-ci, constitue encore un fort beau revenu, et,d'autre part, le propritaire a toujours la prfrencepour le rachat d'un aussi grand nombre de claims qu'ilpeut en faire travailler. C'est justement le cas deJohnWatkins. Il en a plusieurs en exploitation, outrela nue proprit de toute la mine. Mais il ne peut pasles exploiter aussi bien qu'il le voudrait, parce que lagoutte l'empche de venir sur les lieux, et je pensequ'il vous ferait de bonnes conditions, si vous luiproposiez d'en prendre un.

  • J'aimerais mieux que la ngociation restt entrevous et lui, rpondit Cyprien.

    -

    Qu' cela ne tienne, rpliqua Thomas Steel. Nouspouvons en avoir bientt le cur net!

    Trois heures plus tard, ledemi-claim numro 942,dment marqu de piquets et reconnu sur le plan,tait afferm en bonne forme MM. Mr et ThomasSteel, sur paiement d'une prime de quatre-vingt-dixlivres1, et versement entre les mains du receveurdes droits de patente. En outre, il tait spcialementstipul dans le bail que les concessionnaires parta-geraient avec John Watkins les produits de leur exploi-tation et lui remettraient titre de royalty lestrois premiers diamants au-dessus de dix carats, quipourraient tre trouvs par eux. Rien ne dmontraitque cette ventualit se prsenterait, mais en sommeelle tait possible,

    tout tait possible.Au total, l'affaire pouvait tre considre comme

    exceptionnellement belle pourCyprien, et Mr. Watkinsle lui dclara avec sa franchise ordinaire, en trinquantavec lui, aprs la signature du contrat.

    Vous avez pris le bon parti, mon garon! dit-il

    en lui tapant surl'paule. Il y a de l'toffe en vous!Je ne serais pas surpris que vous ne devinssiez un denos meilleurs mineurs du Griqualand!

    Cyprien ne put s'empcher de voir dans ces parolesun heureux prsage pour l'avenir.

    1.'2,250 frallc:".

  • Et miss Watkins, qui tait prsente l'entrevue,avait un si clair rayon de soleil dans ses yeux bleus!Non! On n'aurait jamais pu croire qu'ils avaient passla matine pleurer.

    D'un accord tacite, on vita, d'ailleurs, toute expli-cation sur l'attristante scne du matin. Cyprien res-tait, c'tait vident, et, en somme, c'tait l'essentiel.

    Le jeune ingnieur partit donc d'un curlger, afinde faire ses prparatifs de dmnagement, n'empor-tant au surplus que quelques habits dans une lgrevalise, car il comptait s'tablir sous la tente, au Van-dergaart-Kopje, et ne revenir la ferme que pour ypasser ses moments de loisir.

  • VPREMIRE EXPLOITATION

    Des le lendemain matin, les deux associs se mirentau travail. Leur claim tait situ prs de la borduredu Kopje et devait tre riche, si la thorie de CyprienMr se trouvait fonde. Malheureusement, ce claimavait dj t vigoureusement exploit et plongeaitdans les entrailles de la terre jusqu' une profondeurde cinquante et quelques mtres.

    A certains gards, pourtant, c'tait l un avantage,parce que, se trouvant ainsi un niveau plus bas queles claims voisins, il bnficiait, selon la loi du pays,de toutes les terres et par consquent de tous les dia-mants qui pouvaient y tomber des alentours.

    La besogne tait trs simple. Les deux associscommenaientpar dtacher au pic et la pioche, bienrgulirement, une certaine quantit de terre. Celafait, l'un d'eux remontait au bord de la mine et hissait,le long du cble en fer, les seaux de terre qui luitaient envoysd'en bas.

  • Cette terre tait alors transporte en charrette lacase de Thomas Steel. L, aprs avoir t crasegrossirement avec de grosses bches, puis dbarras-se des cailloux sans valeur, on la faisait passer dansun tamis mailles de quinze millimtres de ct pouren sparer les pierres plus petites, qu'on examinaitattentivement avant de les jeter au rebut. Enfin, laterre tait crible dans un tamis trs serr pour ensparer la poussire, et elle tait alors dans de bonnesconditions pour tre trie.

    Lorsqu'elle avait t verse sur une table, devantlaquelle les deux mineurs s'taient assis, ceux-ci.arms d'une sorte de rcloir fait d'un morceau de fer-blanc, la passaient en revue avec le plus grand soin,poignes par poignes, et ils la rejetaient sous latable, d'o elle tait transporte au dehors et aban-donne, quand l'examen avait pris fin.

    Toutes ces oprations avaient pour but de dcou-vrir, s'il s'en trouvait, quelque diamant, parfois peineaussi gros qu'une demi-lentille. Encore les deux asso-cis s'estimaient-ils fort heureux, lorsque la journene s'coulait pas sans qu'ils en eussent aperu unseul. Ils apportaient une grande ardeur cet ouvrage,et Priaient trs minutieusement la terre du claim;mais, en somme, pendant les premiers jours, lesrsultats furent peu prs ngatifs.

    Cyprien, surtout, semblait avoir peu de chance. S'ilse trouvait un petit diamant dans sa terre, c'tait pres-que toujours Thomas Steel qui l'apercevait. Le pre-

  • mier qu'il eut la satisfaction de dcouvrir, ne pesaitpas, y compris sa gangue, un sixime de carat.

    Le carat est un poids de quatre grains, soit peuprs la cinquime partie d'un gramme1. Un diamantde premire eau, c'est--dire bien pur, limpide etsans couleur, vaut, une fois taill, environ deux centcinquante francs, s'il pse un carat. Mais, si les dia-mants plus petits ont une valeur proportionnellementtrs infrieure, la valeur des plus gros crot trs rapi-dement. On compte, en gnral, que la valeur mar-chande d'une pierre de belle eau est galeau carrde son poids, exprim en carats, multipli par leprix courant dudit carat. Si l'on suppose, par cons-quent, que le prix du carat soit deux cent cinquantefrancs, une pierre de dix carats, de mme qualit,vaudra cent fois plus, c'est--dire vingt-cinq millefrancs.

    Mais les pierres de dix carats, et mme d'un carat,sont fort rares. C'estprcisment pourquoi elles sontsi chres. Et d'autre part, les diamants du Griqualandsont presque tous colors enjaune,

    ce qui diminueconsidrablement leur valeur en joaillerie.

    La trouvaille d'une pierre pesant un sixime decarat, aprs sept ou huit jours de travail, tait donc

    -

    une bien maigre compensation toutes les peines etfatigues qu'elle avait cotes. Mieux aurait valu, cetaux, labourer la terre, garder des troupeaux oucas-

    1.ExacLen nt0S'';203\!.

  • ser des cailloux sur les chemins. C'est ce que Cypriense disait intrieurement. Cependant, l'espoir derencon-trer un beau diamant, qui rcompenserait d'un seulcoup le labeur de plusieurs semaines ou mme deplusieurs mois, le soutenait comme il soutient tousles mineurs, mmeles moins confiants. QuantThomasSteel, il travaillait la faon d'une machine, sans y

    -

    penser, par suite de la vitesse acquise,

    au moins enapparence.

    Lesdeuxassocis djeunaientordinairementensem-ble, se contentant de sandwiches et de bire qu'ilsachetaient un buffet en plein vent, mais ils dnaient une des nombreuses tables d'hte qui se parta-geaient la clientle du camp. Le soir, aprs s'tre s-pars pour aller chacun de son ct, Thomas Steel serendait quelque salle de billard, pendant que Cyprienentrait pour une heure ou deux la ferme.

    Le jeune ingnieur avait frquemment le dplaisird'y rencontrer son rival, James Hilton, un grand gar-on aux cheveux roux, au teint blanc, la face criblede ces taches que l'on appelle des phlides. Que cerival fit videmment des progrs rapides dans la fa-veur de John Watkins, en buvant encore plus de ginet en fumant encore plus de tabac de Hambourg quelui, cela n'tait pas douteux.

    Alice, il est vrai, ne semblait avoir que le plusparfait ddain pour les lgances villageoises et laconversation peu releve du jeune Hilton. Mais saprsence n'en tait pas moins insupportable Cyprien.

  • Aussi, parfois, incapable de la souffrir, se sentantinhabile se matriser, il disait bonsoir la compa-gnie ets'en allait.

    Le Frenchman n'est pas content! disait alors

    John Watkins en clignant de l'il son compre. Ilparat que les diamants ne viennent pas tout seulssous sa pioche!

    Et James Hilton de rire le plus btement du monde.Le plus souvent, ces soirs-l, Cyprien entrait

    achever sa veille chez un vieux brave homme deBor, tabli tout prs du camp, qui s'appelait JacobusVandergaart.

    C'est de son nom que venait celui du Kopje, dont ilavait autrefois occup le sol aux premiers temps dela concession. Mme, s'il fallait l'en croire, c'tait parun vritable dni de justice qu'il en avait t dpos-sd au profit de John Watkins. Compltement ruinmaintenant, il vivait, dans une vieille case de terre,de ce mtier de tailleur de diamants qu'il avait jadisexerc Amsterdam, sa ville natale.

    Il arrivait assez souvent, en effet, que les mineurs,curieux de connatre le poids exact que garderaientleurs pierres une fois tailles, les lui apportaient, soitpour les cliver, soit pour les soumettre des opra-tions plus dlicates. Mais ce travail exige une mainsre et une bonne vue, et le vieux Jacobus Vander-gaart, excellent ouvrier en son temps, avait aujour-d'hui grand'peine excuter les commandes.

    Cyprien, qui lui avait donn monter en bague son

  • premier diamant, s'tait bien vite pris d'affection pourlui. Il aimait venir s'asseoir dans le modeste atelier,pour faire un bout de causette ou tout simplementavec l'intention de lui tenir compagnie, tandis qu'iltravaillait son tabli de lapidaire. Jacobus Vander-gaart, avec sa barbe blanche, son front chauve, recou-vert d'une calotte de velours noir, son long nez armd'une paire de bsicles rondes, avait tout fait l'aird'un vieil alchimiste du quinzime sicle, au milieude ses outils bizarres et de ses flacons d'acides.

    Dans une sbile, sur un tabli plac devant la fen-tre, se trouvaient les diamants bruts qu'on avait con-fis Jacobus Vandergaart, et dont la valeur taitparfois considrable. Voulait-il en cliver un dont lacristallisation ne lui paraissait pas parfaite, il com-menait par bien constater, la loupe, la directiondes cassures qui divisent tous les cristaux en lames faces parallles; puis, il faisait, avec le tranchantd'un diamant dj cliv, une incision dans le sensvoulu, introduisait une petite lame d'acier dans cetteincision, et frappait un coup sec.

    Le diamant se trouvait cliv sur une face, et l'op-ration se rptait alors sur les autres.

    JacobusVandergaart voulait-il au contraire taillerla pierre, ou, pour parlerplus nettement, l'user selonune forme dtermine, il commenait par arrter lafigure qu'il voulait lui donner, en dessinant la craie,sur la gangue, les facettes projetes. Puis, il plaaitsuccessivement chacune de ces faces en contact avec

  • un second diamant, et il les soumettait l'une contrel'autre une friction prolonge. Les deux pierress'usaient mutuellement, et la facette se formait peu peu.

    Jacobus Vandergaart arrivait ainsi donner lagemme une des formes, maintenant consacres parl'usage, et qui rentrent toutes dans les trois grandesdivisions suivantes : le brillant double taille, le

    brillant simple taille et la rose. Le brillant double se compose de soixante-quatre

    facettes, d'une table et d'une culasse.Le brillant simple figure uniquement la moiti d'un

    brillant double.La rose a le dessous plat et le dessus bomb en dme

    facettes.Trs exceptionnellement, Jacobus Vandergaart

    avait tailler une briolette, c'est--dire un dia-mant qui, n'ayant ni dessous ni dessus, affecte laforme d'une petite poire. Dans l'Inde, on perce lesbriolettes d'un trou, vers leur bout effil, pour ypasser un cordon.

    Quant aux pendeloques, que le vieux lapidaireavait plus souvent l'occasion de tailler, ce sont desdemi-poires avec table et culasse, charges de fa-cettes du ct antrieur.

    Le diamant une fois taill, il restait le polirpourque le travail ft achev. Cette opration s'effectuait l'aide d'une meule, sorte de disque d'acier, d'en-viron vingt-huit centimtres de diamtre, pos plat

  • sur la table, et qui tournait sur un pivot sous l'actiond'une grande roue et d'une manivelle, raison dedeux trois mille rvolutions par minute. Contre cedisque humect d'huile et saupoudr de poussire dediamant provenant des tailles prcdentes, JacobusVandergaart pressait, l'une aprs l'autre, les faces desa pierre, jusqu' ce qu'elles eussent acquis un poliparfait. La manivelle tait tourne, tantt par unpetit garon hottentot qu'il engageait la journe,lorsque c'tait ncessaire, tantt par un ami commeCyprien, qui ne se refusait point lui rendre ce ser-vice par pure obligeance.

    Tout en travaillant, on causait. Souvent mme,Jacobus Vandergaart, remontant ses lunettes sur sonfront, s'arrtait court pour conter quelque histoiredu temps pass. Il savait tout, en effet, sur cette Afri-que australe qu'il habitait depuis quarante ans. Et cequi donnait tant de charme sa conversation, c'estprcisment parce qu'elle reproduisait la traditiondu pays,

    tradition toute frache encore et toutevivante.

    Avant tout, le vieux lapidaire ne tarissait pas surle sujet de ses griefs patriotiques et personnels. LesAnglais taient, son sens, les plus abominablesspoliateurs que la terre et jamais ports. Toutefois,il faut lui laisser la r