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Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. Érudit offre des services d'édition numérique de documents scientifiques depuis 1998. Pour communiquer avec les responsables d'Érudit : [email protected] Article Silvia Fazzo Laval théologique et philosophique, vol. 64, n° 3, 2008, p. 607-626. Pour citer cet article, utiliser l'information suivante : URI: http://id.erudit.org/iderudit/037694ar DOI: 10.7202/037694ar Note : les règles d'écriture des références bibliographiques peuvent varier selon les différents domaines du savoir. Ce document est protégé par la loi sur le droit d'auteur. L'utilisation des services d'Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d'utilisation que vous pouvez consulter à l'URI http://www.erudit.org/apropos/utilisation.html Document téléchargé le 12 mars 2014 02:15 « L’exégèse du livre Lambda de la Métaphysique d’Aristote dans le De principiis et dans la Quaestio I.1 d’Alexandre d’Aphrodise »

L’exégèse du livre Lambda de la Métaphysique d’Aristote

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    Silvia FazzoLaval thologique et philosophique, vol. 64, n 3, 2008, p. 607-626.

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    Lexgse du livre Lambda de la Mtaphysique dAristote dans le De principiis et dans laQuaestioI.1 dAlexandre dAphrodise

  • Laval thologique et philosophique, 64, 3 (octobre 2008) : 607-626

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    LEXGSE DU LIVRE LAMBDA DE LA MTAPHYSIQUE DARISTOTE DANS LE DE PRINCIPIIS ET DANS LA QUAESTIO I.1 DALEXANDRE DAPHRODISE*

    Silvia Fazzo CNRS UMR 8163

    Universit degli Studi di Trento

    RSUM : Le commentaire continu dAlexandre dAphrodise sur le livre Lambda de la Mtaphy-sique dAristote tait dj perdu au XIIe sicle. Nanmoins, il exerait toujours une influence par lentremise du commentaire dAverros et de deux autres textes dAlexandre : le trait Sur les principes de lunivers et la Quaestio I.1. Le prsent article montre que ces deux derniers textes renferment chacun une section qui sappuie sur Mtaphysique Lambda, chapitres 6 et suiv., ce qui confirme le fait, ayant t tabli ailleurs, que tous les textes dAlexandre rev-tent un caractre exgtique et prennent pour base les textes dAristote. Qui plus est, une com-paraison entre le texte du chapitre Lambda et linterprtation alexandriste permet daperce-voir lapport distinctif dAlexandre ce que la tradition a reu comme la thologie dAristote. Entre autres choses, nous devons Alexandre, ou ses sources proches, lide que les cieux, tant anims, se meuvent en cercle parce quils dsirent imiter la parfaite quitude du Premier Moteur. Nous devons galement Alexandre une mise en rapport dtaille de la thorie du livre Lambda avec les analyses du chapitre 8 de la Physique.

    ABSTRACT : Alexander of Aphrodisias continuous commentary on Aristotles Metaphysics book Lambda was already lost in the XIIth century AD. Nevertheless, it kept exercising an influence through the commentary of Averroes and through two other texts of Alexander : the treatise On the Principles of the Universe and the (so called) Quaestio I.1. This article shows that these last two texts both contain a section based on Metaphysics Lambda, chapters 6 ff, which brings a confirmation to a fact argued elsewhere, namely, that all of Alexanders texts bear an exe-getical character and are built upon Aristotles texts. Furthermore, a comparison between the text of Lambda and Alexanders interpretation allows us to see the distinctive contribution of Alexander to what has been traditionally known as Aristotles theology. Thus, among other things, we owe to Alexander, or to his intermediate sources, the idea that the heavens, being ensouled, are moved in a circle by their desire to imitate the First Mover in its perfect state of

    * Mes plus vifs remerciements vont aux diteurs du prsent numro spcial, Martin Achard et Franois Re-naud, qui ont rvis ponctuellement, avec patience et comptence, diverses versions de la prsente tude. Merci galement Andr Laks, Stephen Menn et Bob Sharples pour leurs remarques et suggestions. Je suis toutefois entirement responsable de la version finale et les fautes qui peuvent subsister sont miennes.

  • SILVIA FAZZO

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    quietude. We also owe to Alexander an extended discussion which conflates the theory of Lamb-da to the related inquiries of Aristotles Physics VIII.

    ______________________

    INTRODUCTION

    e commentaire dAlexandre dAphrodise au livre Lambda de la Mtaphysique est perdu. Sous le nom dAlexandre, nous possdons un commentaire qui est at-

    tribuable en ralit Michel dphse, et dont loriginal ne fut imprim quen 18471. Ainsi, comparativement ce que lon observe pour les autres crits dAristote,

    linterprtation mdivale et moderne du livre Lambda de la Mtaphysique pourrait paratre navoir t que peu influence de manire directe par la tradition interpr-tative grecque : du Moyen ge au XIXe sicle, le commentateur par excellence de la Mtaphysique ou plus exactement de sa version arabe fut Ibn Rushd (Aver-ros), dont le Grand Commentaire (Tafsr) connut plusieurs rimpressions en traduc-tion latine partir du XVIe sicle (editio princeps : Venise, 1550-1552). vrai dire, le commentaire dIbn Rushd, dans loriginal ou dans sa traduction latine, paraissait bien souvent plus clair aux yeux des lecteurs mdivaux que le texte de la Mtaphysique qui laccompagne et qui tait de fait, en plusieurs endroits, dfectueux ce qui incitait ces lecteurs se rfrer, plutt quau texte mme du Stagirite, au commentaire du philosophe arabe.

    Et pourtant, si le commentaire dIbn Rushd a connu un tel succs, cela na sans doute pas t parce quil clairait vritablement dans le dtail le texte dAristote. Les rponses que le philosophe arabe pouvait apporter ces questions dordre textuel de-meuraient srieusement limites par le fait quil navait pas accs au grec du Stagi-rite2. La raison de son succs rside plutt dans le fait quil offrait une synthse trs efficace du propos de la Mtaphysique, de sa structure et de ses parties, selon linter-prtation quIbn Rushd avait reue de ses prdcesseurs grecs de lAntiquit tardive.

    Sagissant notamment de Lambda, il est possible, et mme probable, que le com-mentaire dIbn Rushd sur ce livre soit en fait le plus souvent une sorte de calque, plus ou moins fidle selon les cas, de ce monument de lart de lexgse que constituait, selon toute vraisemblance, le grand commentaire continu dAlexandre dAphrodise. En effet, si loriginal grec du commentaire dAlexandre sur le livre Lambda nexistait

    1. Ldition de 1847 fut luvre de H. Bonitz Berlin. Auparavant, et notamment au XVIe sicle, le commen-taire de Michel fut imprim, mais uniquement dans une traduction latine (Sepulveda, Paris, 1536). Pour une dmonstration du bien-fond de lattribution Michel dphse du commentaire sur les livres VI-XIV de la Mtaphysique (imprim, dans ldition de Hayduck [Commentaria in Aristotelem graeca, dsormais CAG, I, Berlin, Reimer, 1889] la suite du commentaire dAlexandre sur les livres I-V), cf. C. LUNA, Trois tudes sur la tradition de commentaires anciens la Mtaphysique dAristote, Leiden, Boston, Kln, Brill (coll. Philosophia Antiqua , 88), 2001, p. 53-71.

    2. Non pas, notons-le, quIbn Rushd ait voulu ngliger ou banaliser les problmes textuels poss par le texte de la Mtaphysique : bien au contraire, il tait, comme Alexandre, un exgte majeur, qui sintressait ltat du texte et aux difficults interprtatives quil soulve. La preuve en est son souci de prserver la trace (indirecte soit-elle) de la discussion de difficults textuelles quil trouvait chez Alexandre.

    L

  • LEXGSE DU LIVRE LAMBDA DE LA MTAPHYSIQUE DARISTOTE

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    dj plus la fin du XIIe sicle, cest--dire lpoque o Ibn Rushd travaillait son propre commentaire, il nen demeure pas moins que ce dernier disposait des deux pre-miers tiers du commentaire dAlexandre sur Lambda dans une traduction arabe, effec-tue daprs une traduction en syriaque. Or, Ibn Rushd tait parfaitement conscient de la grande valeur du commentaire dAlexandre, et il cherchait donc en offrir, pour chaque section de texte, une sorte de supercommentarium, ou commentaire du com-mentaire3. En tant ainsi entremle linterprtation dIbn Rushd, linterprtation dAlexandre a donc en ralit exerc une influence considrable, qui en fait lexgse ancienne du livre Lambda la plus dterminante et la plus influente dans la rception subsquente de louvrage.

    Linterprtation dAlexandre pose ainsi les prmices de la lecture thologique du livre Lambda, qui fera autorit au Moyen ge. De ce fait, le rle de son commentaire savre dune importance capitale dans lhistoire de la rception du livre. Diverses questions se posent eu gard ce rle dintermdiaire, dont celles-ci : o sarrte, en Lambda, lintention thologisante dAristote (si tant est quil en ait eu une), et o commence la part qui, dans la comprhension traditionnelle du livre, est due en fait Alexandre dAphrodise ? Car, aprs tout, ce qui a pass au Moyen ge comme la thologie dAristote, cest--dire comme sa thorie des principes, est tout autant la thologie et la thorie des principes dAlexandre, y compris en raison du fait que ctait Alexandre, et non pas Aristote, qui avait plac cette thologie au centre de ldifice mtaphysique, comme son accomplissement et comme son but ultime4.

    Le commentaire dAlexandre sur Lambda, comme je lai dit, na pas t prserv. Cependant, les sources dinformation directes sur son exgse ne manquent pas, bien quelles naient pas encore t pleinement exploites. Afin de remdier en partie cette lacune, je me propose dexaminer ici, tout en gardant un il sur le texte mme de la Mtaphysique, deux traits dAlexandre qui offrent des tmoignages de pre-mire valeur sur son interprtation du livre Lambda, mais qui ont jusqu prsent t tudis comme des textes indpendants plutt que comme des commentaires : le trait Sur les principes de lunivers (dornavant : De principiis, selon la dnomination courante, en vigueur depuis Badawi), principalement partir du 64 dans ldition de Genequand, ainsi quun texte en grec beaucoup plus court mais qui comporte, pour une part, des parallles intressants avec le De principiis, et dont le titre de

    3. Comme il lexplique lui-mme dans un passage programmatique (p. 1 393 et suiv., Bouyges) : Nous avons dAlexandre un commentaire sur les deux tiers environ du livre [Lambda] , et [] jai estim que le mieux tait de paraphraser avec le plus de clart et de concision possibles lexpos dAlexandre, chapitre par chapitre (AVERROS, Grand commentaire de la Mtaphysique dAristote, trad. A. Martin, Paris, Les Belles Lettres, 1984). On notera toutefois quIbn Rushd ne renonce jamais, dans son commentaire, lexer-cice de son propre jugement, et ce, tant lgard de ce quil lit chez Alexandre que du texte dAristote. Cest pourquoi on peut lgitimement parler de son commentaire comme dun supercommentarium au com-mentaire dAlexandre. Quant la version originale en grec du commentaire dAlexandre, le fait quelle ntait dj plus disponible dans son intgralit au dbut du XIIe sicle, explique pourquoi Michel dphse sest appliqu la composition dun autre commentaire sur les livres VI-XIV, et donc sur le livre Lambda, qui correspond au livre XII. Cf. la note 1 ci-dessus, et, sur ce thme en gnral, S. FAZZO, Larcheologia di una tradizione : il libro Lambda della Metafisica , dans E. DE BELLIS, d., Aristotle and the Aristotelian Tradition, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2008, p. 177-187.

    4. Cf. Alex. ap. IBN RUSHD, in Met. 1395-1405 Bouyges.

  • SILVIA FAZZO

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    Quaestio I.1 reflte, dans les crits attribus Alexandre, un classement inappro-pri.

    Ces deux textes comportent des extraits, plus ou moins facilement identifiables, de lexgse dAlexandre sur la deuxime partie du livre Lambda. Il est manifeste que de faon gnrale cette exgse sappuie sur le texte grec dAristote de mme que sur dautres ouvrages du Stagirite auxquels Lambda se rfre, en particulier sur le livre VIII de la Physique. Toutefois, en labsence de la version originale du commen-taire dAlexandre, il nest pas ais de juger avec prcision de la relation qui existait entre ce commentaire, dun ct, et le De principiis et la Quaestio I.1, de lautre. Une premire question simpose : certaines sections du commentaire pourraient-elles avoir t reprises dans les traits ? Lexemple fourni par le trait alexandriste De Anima lu en parallle aux fragments disponibles du commentaire perdu dAlexandre au trait De Anima dAristote suggre quAlexandre puisse avoir eu quelquefois recours un tel procd5. L aussi pourtant, les similarits qui sobservent entre diffrents tex-tes de sa plume portant sur un mme sujet peuvent tre attribuables, non pas tant des reprises mcaniques ou des collages de sections, qu un mode de rdaction faisant naturellement leur part certains ddoublements et des formules rcurrentes.

    Car sinon, en admettant que le De principiis et la Quaestio I.1 soient des origi-naux, on pourrait trouver surprenant quil ait exist, outre le commentaire proprement dit dAlexandre, dautres ouvrages de son cru sur le livre Lambda. La chose est toute-fois entirement possible, car Alexandre est un auteur qui nhsite pas, dun ouvrage lautre, rintroduire les mmes concepts et se rpter, parfois mot pour mot6. Une telle pratique se vrifie dans plusieurs types dcrits qui lui sont attribus, et qui ont en commun de dpendre de ses commentaires. Ainsi, un trait majeur comme le De Anima, correspond un expos plus bref, soit le texte mineur sur lme ( ) dans la collection Mantissa. Le De fato, dont il existe deux versions (majeure et mineure), donne un autre exemple de cette pratique du ddoublement partiel. En gnral, les opuscules plus courts sont dpourvus de sections doxographiques et pol-miques, mais ils peuvent, sous les autres rapports, tre remarquablement similaires aux sections constructives des traits majeurs qui portent sur les mmes sujets. Peut-tre les destinataires des deux types ouvrages taient-ils diffrents ; les traits mineurs sont normalement plus concis et techniques, ce qui suggre quils sadressaient un public spcialis, alors que les traits majeurs en dpit du fait quils comportent

    5. Cf. P.L. DONINI, Testi e commenti, manuali e insegnamento : la forma sistematica e i metodi della filo-sofia in et post-ellenistica , Aufstieg und Niedergang der rmischen Welt, 36.7, p. 5 027-5 100 (Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1994), notamment p. 5 054, o Donini formule, propos dun exemple pr-cis relatif au De Anima, lobservation suivante : Alessandro ha dunque conservato [dans son propre De Ani-ma] la stessa disposizione dei temi che trovava nellopera del maestro ; dovrebbe essere un indizio chiaro che continuava a servirsi del suo stesso commentario . Cf. aussi P. ACCATTINO, P.L. DONINI, Alessandro di Afrodisia. Lanima, Roma, Bari, Laterza, 1996, p. VII.

    6. Alexandre voulait sans doute ainsi travailler llaboration dun aristotlisme normalis et plus cohrent, et du mme coup fortifier, en regard des autres sectes philosophiques , lcole laquelle il appartenait (cf. sur ce point S. FAZZO, Aporia e sistema. La materia, la forma e il divino nelle Quaestiones di Alessan-dro di Afrodisia, Pisa, ETS, 2002, p. 20-24).

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    des sections recoupant quelquefois exactement le contenu des traits mineurs taient sans doute destins une diffusion plus large7.

    Cest dailleurs une diffrence de cet ordre, relative aux destinataires, qui pourrait exister entre le De principiis et la Quaestio. Leur mode de transmission respectif a t galement trs diffrent. Le De principiis nous est parvenu par des voies indirectes et travers diverses traductions. Quant au texte de la Quaestio I.1, il en existe au moins trois versions. La mieux connue est celle qui ouvre la collection des Quaestiones dAlexandre. Les deux autres sont assez voisines quant au texte. Lune se prsente, non pas comme un trait indpendant, mais comme le commentaire dune partie de Mtaphysique Lambda. Cette version a t dite par accident , car elle est int-gre et prserve dans le commentaire de Michel dphse Lambda 68. Une telle insertion met dailleurs en vidence la nature proprement exgtique de la Quaes-tio I.1, que je mappliquerai mettre en lumire dans la deuxime partie et la conclu-sion du prsent article. Lautre version, parallle et similaire, est indite. Elle se trouve dans le ms Ven. 1949.

    7. Les deux textes dAlexandre sur lme ont t dits par I. BRUNS, dans CAG, Suppl. II.1, Berlin, Reimer, 1889 : le De Anima se trouve aux p. 1-100, et le trait mineur correspondant aux p. 101.3-106.17. Le trait mineur Sur le destin a t dit dans ibid., aux p. 179.24-186.31, alors que le trait majeur Sur le destin a t dit, toujours par BRUNS, dans CAG, Suppl. II.2, Berlin, Reimer, 1892, p. 164-212 (ldition la plus rcente de ce dernier texte est celle de P. THILLET, Paris, Les Belles Lettres, 1984). Nous pouvons en effet formuler lhypothse selon laquelle les traits majeurs sadressaient des lecteurs qui comme une partie des lves athniens dAlexandre ntaient pas parfaitement verss dans la philosophie dAristote ou nadhraient pas strictement lcole aristotlicienne (cf. mon article Aristotelismo e antideterminismo nella vita e nellopera di Tito Aurelio Alessandro di Afrodisia , dans S. MASO, C. NATALI, d., La catena delle cause. Determinismo e antideterminismo nel pensiero antico e in quello contemporaneo, Amsterdam, Hakkert, 2005, p. 271-297, et spcialement p. 292-294).

    8. CAG 1, 685.30-687.22. Dans son dition du commentaire la Mtaphysique dAlexandre et de Michel dphse, HAYDUCK a fait imprimer cette version comme sil sagissait dun commentaire du premier lemma de Lambda 6 (1071b3 et suiv.). Or, toujours dans son dition, la section suivante, crite par Michel dphse (687.23 et suiv.), porte de nouveau sur le premier lemma du livre 6. Si tel tait en effet lordre voulu par Michel, il faut penser que le texte dAlexandre, qui est un reste ou une trace de la summa ca-pitum du commentaire alexandriste perdu, avait quant lui pour fonction de prparer son propre com-mentaire, et ne devait pas sy substituer. Une comparaison du texte quon trouve chez Michel, in Metaph. 685.26 et suiv., et de la Quaestio I.1, est propose par R.W. SHARPLES dans les notes de sa traduction : Alexander of Aphrodisias. Quaestiones 1.1-2.15, London, Duckworth, 1992, p. 16-19. Je tiens remercier ici Bob Sharples, qui a bien voulu discuter avec moi de plusieurs des points abords dans les prsents dve-loppements.

    9. Bruns, qui est lauteur de ldition de rfrence des Quaestiones dAlexandre, estimait que, pour la Quaes-tio I.1 comme pour les autres Quaestiones attribues lAphrodite, le ms grec Ven. 258 (qui date de la fin du IXe sicle) tait la source de tous les manuscrits quils connaissaient (cf. I. BRUNS, Praefatio , CAG, Suppl. II.2, Berlin, Reimer, 1892, p. XIX-XXII). Or, le ms Ven. 194, dont Bruns ignorait lexistence (fin du XIIIe sicle) contient, aux p. 426r 5-428v 7, des versions des textes qui, pour les Quaestiones I.1, I.25, I.10, I.15, II.23 et II.3, sont assez diffrentes de celles quon trouve dans ldition de Bruns. Sagissant plus pr-cisment de la Quaestio I.1, le texte du Ven. 194 est, la plupart du temps, plus proche du texte qui a t prserv par Michel dphse, que du texte du Ven. 258 dit par Bruns. Le dveloppement continu du Ven. 194 dans lequel est intgre comme une partie la Quaestio I.1 est dailleurs plus long que la Quaes-tio I.1 elle-mme (et cela en dpit de la perte, dans le Ven. 194, des premires lignes de la Quaestio [2.20-23 Bruns]), puisquil comprend la deuxime partie de la Quaestio I.25, p. 40.16-41.19, qui porte sur le mo-teur immobile et sur la providence. Finalement, lensemble de cette section alexandriste dans le Ven. 194 offre une exgse trs attentive, bien que fort slective, des chapitres 6, 7 et 8 de Lambda. Ainsi, tmoi-gnant dune circulation indpendante de ces matriaux alexandristes concernant Lambda 6-8, le ms Ven. 194

  • SILVIA FAZZO

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    Pour les besoins de la prsente tude, il me suffira de montrer que le commentaire continu dAlexandre dAphrodise au livre Lambda nest pas compltement perdu, et quil nous en est parvenu davantage que les fragments contenus dans le Grand Com-mentaire dIbn Rushd. Certes, les passages o le philosophe arabe cite nommment Alexandre sont dun grand intrt, mais il a t jusqu prsent difficile de les ras-sembler et de les mettre en systme10. Le De principiis et la Quaestio I.1, en revan-che, permettent en bien des endroits une reconstruction de linterprtation globale dAlexandre, qui se rvle riche en dtails. Comme je tcherai de le montrer, la consi-dration de ces deux sources peut nous aider mieux comprendre les mthodes ex-gtiques propres celui qui fut longtemps considr comme le commentateur par excellence dAristote. Cela est particulirement intressant en ce qui concerne son interprtation de Mtaphysique Lambda, dont limportance historique ne saurait tre surestime.

    I. LE DE PRINCIPIIS

    Le trait Sur les principes de lunivers est une uvre matresse dAlexandre, qui doit tre consulte en priorit si lon veut procder une reconstruction densemble de son interprtation dAristote.

    Ce trait, dont loriginal grec est perdu, nous est parvenu par le biais de traduc-tions et donc, comme je lai dit, de sources indirectes dont lexploitation est malaise. Il existe de ce texte une dition rcente par Charles Genequand11. Cest un travail dont lintrt mrite dtre soulign, vu limportance capitale du De principiis12 . Nanmoins, il faudrait dterminer davantage la valeur exacte de chacune des sources dinformation dont nous disposons, dfi que Genequand ne relve quen partie13. Plus

    offre une explication possible du fait que Michel dphse connaissait ce que nous appelons la Quaes-tio I.1, bien quil ne dispost pas du commentaire continu dAlexandre.

    10. Cette difficult tait sans doute prvisible, puisque les commentateurs anciens avaient en gnral lhabi-tude de citer leurs prdcesseurs de faon extrmement partielle ou slective, notamment lorsquils avaient affaire des difficults dinterprtation ou des points faisant lobjet de dsaccords philosophiques. Quoi quil en soit, il conviendrait de donner une nouvelle dition et traduction des fragments dAlexandre chez Ibn Rushd (ltude de rfrence sur le sujet demeure celle, plus que centenaire, de J. FREUDENTHAL, Die durch Averroes erhaltenen Fragmente Alexanders zur Metaphysik des Aristoteles untersucht und ber-setzt , Abh. der kniglichen Akademie des Wiss. zu Berlin, phil.-hist. Kl., 1, 1884). Je songe raliser un tel travail, en collaboration avec Mauro Zonta (Universit della Sapienza, Roma).

    11. ALEXANDER OF APHRODISIAS, On the Cosmos, Leiden, Boston, Kln, Brill, 2001. 12. Cette importance ma dailleurs fait concevoir, en collaboration avec Mauro Zonta, le projet dune dition

    et dune traduction italienne du De principiis, qui seraient accompagnes dun sommaire analytique et dun commentaire, sappuyant sur les diffrentes sources arabes et syriaques dont nous disposons.

    13. Ce nest pas la seule lacune que comporte le travail de Genequand. Ainsi, le titre de la version arabe du trait tant f mabd al-kull ( Sur les principes de lunivers ), lintitul que propose Genequand ( On the Cosmos ) passe sous silence une composante, me semble-t-il, essentielle du titre original : pour f mabd loriginal grec portait sans doute , ce qui place clairement le trait dans le sillage de la prtendue Mtaphysique de Thophraste, qui dut porter ce titre, si tant est quelle en porta un (cf. sur ce point ldition dA. LAKS et de G.W. MOST, Paris, Les Belles Lettres, 1993, p. XVII). Dans son introduc-tion, Genequand rapproche lui-mme du reste, et ce, plusieurs reprises, le De principiis de la Mtaphy-sique de Thophraste. Jai signal certains autres des problmes poss par ldition de Genequand dans mon compte rendu de louvrage (Rivista di Storia della Filosofia [2003], p. 284-287).

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    prcisment, le texte du De principiis est transmis en arabe par au moins deux traditions distinctes, que Genequand dsigne comme le Texte A et le Texte B , ainsi quen syriaque dans la traduction partielle de Sergius de Reshaina. Cette der-nire traduction pourrait tre trs proche de loriginal, mais certains lments sem-blent indiquer quelle est intgre dans un trait de Sergius. Certes elle comporte, par rapport au Texte A , des lacunes et des ajouts, qui sont toutefois le plus souvent reconnaissables grce au texte parallle en arabe14. Or Genequand, dans son ouvrage, traduit uniquement le Texte A de larabe en anglais, et ne se propose pas dexa-miner sa relation avec les deux autres sources textuelles dont nous disposons, le texte syriaque de Sergius et le Texte B . Ce fait constitue un desideratum quil faudra un jour combler. Par ailleurs, une division du texte ainsi quune dcomposition analy-tique de ses grands arguments seraient, ce stade de la recherche, ncessaires pour faire ressortir la structure du trait, telle quelle est en elle-mme mais aussi en regard des textes aristotliciens qui en constituent la source. Ce travail savre toutefois dif-ficile raliser, entre autres parce que nous ne disposons pas encore, pour le trait, dun sommaire analytique continu, que Genequand a renonc donner. On peroit donc mal, pour linstant, la fonction prcise qui est impartie chaque phrase dans largument ou le passage plus tendu dans lequel elle sinsre15. Ce fait est, mon sens, indirectement confirm par le petit nombre danalyses exgtiques du trait qui ont t publies depuis la parution de louvrage de Genequand. Une lecture critique du De principiis exige dabord quon sinterroge ce qui ma connaissance na pas encore t fait sur sa fonction et sa nature globales. Si lon persiste considrer le trait comme un ouvrage indpendant ou autosuffisant, il faudra alors admettre quil comporte des anomalies de structure graves et difficilement explicables. Si, en revan-che, on estime avoir affaire une uvre exgtique et force est de reconnatre que tous les ouvrages dAlexandre qui concernent Aristote sont, dune certaine manire, de nature exgtique , il convient de chercher dterminer le type particulier dexgse qui y est pratiqu. La brivet de la prsente tude me forcera navancer, relativement ce dernier point, que des hypothses gnrales, que je compte toutefois dvelopper et tayer dans des tudes venir. Jespre nanmoins que ces hypothses pourront stimuler la discussion sur un problme qui, en tout tat de cause, implique une part de conjectures.

    Dans son tat actuel, le De principiis souvre par une indication claire quant son sujet, savoir la doctrine des principes selon Aristote (fin du 116), et par une introduction bien articule ( 2-3). Dans cette dernire, Alexandre fait dabord

    14. Je mexprime ici prudemment, car la thse gnralement admise selon laquelle la version syriaque du texte fait partie dun trait de Sergius, pourrait tre due une lecture htive de lintroduction. Ce point devrait tre examin nouveaux frais dans la nouvelle dition du De principiis que M. Zonta prpare actuellement avec moi.

    15. Sur ce point voir aussi la remarque de J. MCGINNIS dans son compte rendu de louvrage pour le Journal of the American Oriental Society (124 [2004], p. 103-108) propos de la longueur excessive des paragraphes dans ldition et la traduction de Genequand, qui naide gure le lecteur sorienter dans la structure com-plexe du trait.

    16. On notera au passage que la premire partie du paragraphe liminaire du De principiis est probablement apocryphe.

  • SILVIA FAZZO

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    connatre sa position quant au problme de mthode que soulve une tude sur les principes ( 2), qui est attribuable au fait que si les premiers principes sont, par dfi-nition, sans principes, il est alors impossible de procder, dans une enqute leur sujet, par dmonstration apodictique. Or dans de telles conditions, explique Alexandre :

    Le meilleur mode dexposition consiste montrer que les principes poss par de telles doctrines [celles dAristote] sharmonisent et sont en accord avec les phnomnes qui sont vidents et bien connus. Car concernant les principes on ne peut pas se servir du rai-sonnement dmonstratif, puisque la dmonstration procde partir de ce qui est antrieur et des causes, et que pour les premiers principes il ny a rien dantrieur et quil ny a pas de causes (De princ., 2)17.

    Il sagit dune prcision mthodologique importante, sur laquelle nous revien-drons lors de lanalyse dun passage parallle de la Quaestio I.1, p. 4.4-7.

    Le De principiis, 3, formule ensuite une srie de questions fondamentales : quest-ce que la cause premire18 ? Quelle est son activit ? Quel est le mouvement du corps qui est m par la cause premire ? Pourquoi le corps circulaire a-t-il de nom-breux mouvements diffrents ? Et enfin, ce qui est engendr dans le monde sublu-naire en raison du mouvement des corps lest-il par leffet dun savoir ou dune vo-lont ? Ces cinq questions rsument bien lensemble des proccupations du trait qui vont de lidentification et de la dfinition de la cause premire aux consquences les plus directes et les plus loignes de son activit19 , mais la manire logique et progressive dont les questions sont sries au 3 ne reflte que partiellement la struc-ture du De principiis. En fait, le plan du trait nest pas vritablement progressif ou linaire, et il nest donc dcelable qu travers un travail dinterprtation. Je vais en tenter ici une amorce, dont les rsultats, forcment sommaires, resteront vrifier et prciser.

    On peut distinguer dans le De principiis, suite lintroduction, deux grandes par-ties. La premire ( 4-64) esquisse une dfinition de la cause premire20, et porte du

    17. De principiis, Texte A , p. 44.8-12 Genequand. La traduction que propose Genequand de la premire partie de ces lignes me parat plus dun gard insatisfaisante : The best way to ascertain such things is in my opinion to show that the principles that lead up to them are in necessary agreement with the things that are evident [] . En effet, cette traduction ne permet pas au lecteur de comprendre que lenqute porte sur les principes, et le syntagme the principles that lead up to [such things] suggre la possibilit dune infrence partir des principes, ce quAlexandre, en accord sur ce point avec Aristote, rcuse prci-sment. En outre, la traduction fait intervenir une conception de la ncessit quAlexandre navait sans doute pas lintention dintroduire ici (la chose devient encore plus manifeste si lon considre les versions parallles du Texte B de Genequand et du texte en syriaque ; je remercie M. Zonta davoir procd une vrification de ces deux autres versions).

    18. On notera au passage que lexpression la cause premire , qui est utilise ds le 2, nest pas aristot-licienne. Cf. Genequand ad loc., qui cite des occurrences de lexpression dans le titre (probablement tardif) de la Quaestio I.1, et dans le De mundo, faussement attribu Aristote (398b35 et 399a26). Chez Alexan-dre, lexpression se trouve aussi en In Met. 14.15, 15.5, 21.16-19, 149.22, et 150.33.

    19. Sagissant des effets sur le monde sublunaire de la cause premire, le propos du De principiis parat se rap-procher, dans sa dernire partie, de largument qui est dvelopp dans le trait Sur la Providence, lui aussi attribu Alexandre (on consultera sur ce point ldition et la traduction de M. ZONTA, dans S. FAZZO, d., Alessandro di Afrodisia : La provvidenza. Questioni sulla provvidenza, Milano, Biblioteca Universale Riz-zoli, 1999, p. 138-145, et plus spcialement les p. 27-31 et 54-56 de lintroduction).

    20. La question de la nature de la cause premire est, en effet, la premire tre souleve en De principiis 3.

  • LEXGSE DU LIVRE LAMBDA DE LA MTAPHYSIQUE DARISTOTE

    615

    mme coup sur trois des problmes les plus fondamentaux que pose lexgse de Mtaphysique Lambda, problmes en fonction desquels nous pouvons diviser la pre-mire partie, son tour, en trois sections. La premire de ces sections traite de la rela-tion entre les sphres du ciel et le premier moteur, et porte ainsi sur le rapport entre le dsir et limitation dun tre suprieur, qui est incorporel et immobile. Cette section souligne que le corps cleste, tant le meilleur des corps, est ncessairement anim21, sans pour autant possder que la facult suprieure de lme, celle qui dsire le Bien vritable ( 4-28). La deuxime section argumente per absurdum, afin de montrer lim-mobilit du principe, la fois contre la thse voulant que le principe du mouvement soit toujours en mouvement, et contre une autre thse, logiquement lie la premire, selon laquelle lautomoteur constitue le principe de tout mouvement ( 29-44)22. La troisime section, enfin, cherche montrer laccord qui existe entre lternit du pre-mier moteur (postule en raison de son excellence ou de son exemption de toute cor-ruptibilit) et lternit du corps cleste (postule en raison de la continuit de son mouvement) ( 45-61). Puisquil est le principe de tous les tants, le premier moteur doit tre une substance simple, incorporelle, immobile, ternelle, et sans puissance ( 62-64, l. 2). Cette conclusion constitue dune certaine faon lanalogue de celle formule en Mtaphysique Lambda 7, 1073a3-12 (cf. aussi le programme correspon-dant en 6, 1071b4 et suiv., qui se lit comme suit : Il faut dire quil est ncessaire quil existe une substance ternelle et immobile ).

    La deuxime partie du De principiis ( 64, l. 2 et suiv.) reprsente en effet, en quelque sorte, un nouveau dpart, dans la mesure o elle reprend ab exordiis la d-monstration de lexistence du premier moteur. On pourrait stonner de cette reprise puisque le premier moteur et ses attributs ont dj fait lobjet de nombreuses discus-sions dans les analyses prcdentes. En effet, le premier moteur y a t dj dcrit comme le Bien excellent et vritable ( 4-11), comme tant sans corps ( 27-28), im-mobile ( 27-44), ternel et un par le nombre ( 45-49), comme une substance incor-porelle, abstraite et spare, et comme forme sans matire ( 53-54). Lexplication de ce dsordre apparent est, mon sens, dordre hypotextuel23 et tient au fait que du 64 jusqu la fin, le De principiis suit la deuxime partie du livre Lambda, qui porte pr-

    21. Largument qui appuie ce philosophme se rsume comme suit : les corps anims sont meilleurs que les corps inanims ; or le corps ternel est le meilleur des corps. Il est donc anim.

    22. Selon le tmoignage dEudme (ap. SIMPLICIUS, in Phys. 1220.31 et suiv., ad VIII.5, 256a4 et suiv. = fr. 115 Wehrli), cette dernire opinion, daprs laquelle le principe de tout mouvement est lautomoteur, tait lpoque dAristote la plus rpandue. Rappelons que la thse platonicienne dun principe du mouvement automoteur est mentionne par Aristote en Lambda 6, 1071b37-72a1 (en rfrence au Time ainsi quau Phdre).

    23. Selon Grard GENETTE (Palimpsestes. La littrature au second degr, Paris, Seuil, 1982), un hypotexte est un texte dont un autre texte constitue, entre autres, la rcriture, linterprtation et la transformation, directe ou indirecte. Il est plus ou moins normal quune rcriture comporte un sens nouveau et une nouvelle porte, et, le cas chant, une nouvelle porte philosophique. Par exemple, la thorie des principes de Mtaphysique Lambda devient chez Alexandre une thologie philosophique (dont il serait dailleurs int-ressant de suivre les avatars). En principe, tout ouvrage dAlexandre, en tant que commentaire dAristote, est susceptible dtre regard comme un hypertexte ; mais ce sont avant tout les traits indpendants de lAphrodite, comme le De Anima et bien entendu le De principiis, qui appartiennent cette catgorie, puis-quils sont conus sur la base mme des traits correspondants dAristote, et empruntent le mme ordre dexposition.

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    cisment sur le premier moteur. Largument visant tablir lexistence dune substance ternelle et immobile en Lambda 6 (qui souvre par ces lignes : Les substances sont les premires des tants, et si toutes taient corruptibles, tout serait corruptible [1071b5 et suiv.]) marque le dbut de la superposition entre les deux textes24.

    partir du 64 donc, Alexandre suit la partie constructive du texte dAristote. Il respecte, dans lensemble, lordre du texte aristotlicien, et les quelques carts quil sautorise par rapport cet ordre ne sont pas sans raison. La correspondance entre les deux textes parat tre la suivante : Lambda 6 = 64-73, 79-8525, Lambda 8 = 86-95, Lambda 7 = 96-112, 120-127, Lambda 9 = 113-119, et Lambda 10 = 128 et suiv. On note, dans cette reprise du plan aristotlicien, certaines omissions dim-portance (notamment les chapitres 1 5 de Lambda, qui ne traitent pas du premier moteur, de mme que les sections doxographiques de Lambda 6 et 10), quelques ajouts (par exemple deux citations, dans les 89-90, de Phys. VIII.6, 259a6-13 et 13-19, citations probablement motives par certains passages comme 1073a26-34 de Lamb-da 8), et enfin certains dplacements.

    Concernant la raison de ces dplacements, on ne peut que proposer des conjectu-res. Si lon se penche sur les grandes lignes, on dira par exemple quil est logique quun prcis slectif et radapt de Lambda 8 ( 86-95), qui porte sur la pluralit des sphres et des moteurs, puisse faire suite une paraphrase de la discussion de Lamb-da 6 sur la pluralit des mouvements clestes ( 79-85). Dans sa rcriture, toutefois, Alexandre ne tient pas compte des exposs concernant les thories astronomiques dEudoxe et Callippe sur le nombre des sphres, quil regarde manifestement comme de simples comptes rendus doxographiques, bien quils forment le corps du chapi-tre 8 du livre Lambda26. Par ailleurs, les lments constructifs du chapitre 9, dans lequel Aristote numre les difficults inhrentes la doctrine de lintellect premier (1074b25-38 ; cf. De princ. 113-125), sont inclus dans la discussion portant sur le chapitre 7 ( 97-112, 126-127 sur Lambda 7, 1072b13-30). De cette faon la discus-sion sur lintellect offerte en Lambda 9 se trouve intgre la discussion, plus brve, de Lambda 7 (1072b18-30), ce qui permet Alexandre desquisser une synthse doc-trinale qui simposera dans la tradition exgtique subsquente. Enfin, la conclusion du De principiis ( 128 jusqu la fin) sinspire du chapitre 10 de Lambda, dans la mesure o elle porte sur la disposition ordonne du Tout que constitue lunivers (al-kull en 134, comme en Lambda 10, 1075a1127). Ledit chapitre final de

    24. Cette caractristique structurelle du De principiis nest que peu apparente dans ldition du texte arabe ( Texte A ) que propose Genequand. En effet, la phrase qui commence, dans le De principiis, la super-position ( car si la substance qui est le premier des tants tait prissable, alors tous les tants sujets la gnration seraient prissables ), se trouve lintrieur du 64, l. 2, et nest prcde daucun alina. On notera au passage que la paraphrase propose ici par Alexandre ( car si la substance qui est le premier des tants tait prissable, alors tous les tants sujets la gnration seraient prissables ) montre quil inter-prtait avec une certaine libert le texte de Lambda 6, 1071b5 et suiv.

    25. Les 74-78 reviennent sur des thmes qui avaient dj t abords dans la premire partie du trait, soit les attributs du premier moteur et son rle en tant quobjet dimitation.

    26. Alexandre, pour sa part, admet lexistence de huit sphres clestes : la sphre des fixes et une sphre pour chacun des luminaires et des plantes ; cf. aussi Quaestio I.25, 40.23-27.

    27. Ce rapport entre De princ. 34 et Lambda 10 a t correctement mis en vidence par Genequand.

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    Lambda, riche en mtaphores28, fait maintenant lobjet dune rappropriation assez libre, comme sil sagissait dun modle rhtorique rinterprter. Ainsi, Alexandre reprend lexemple de la maison ( 128 et suiv., 133-136), mais il ne rutilise pas lexemple de larme, et il introduit celui de la cit bien ordonne. En tout cas, il souli-gne la cohsion de lunivers ( 130-134), de mme que son ternit et sa disposition or-donne ( 134-143). Dans cette rappropriation, les chos du chapitre 6 du De mundo ne manquent pas, linstar de ce quon observe dans la Quaestio II.3 et le De pro-videntia dAlexandre. Par contre, la section polmique et doxographique de Lamb-da 10 (1075a5 et suiv.) est ignore. La ncessit de dfendre la doctrine aristotli-cienne, considre comme plus vraie et plus conforme la notion commune29 de la divinit que celle des coles concurrentes, joue galement un rle dans la conclu-sion du De principiis ( 144-151, notamment 145-14630), qui rpond en cela la dclaration programmatique du 2. Dans lensemble, le style de cette section finale ne relve plus de la simple paraphrase, mais est inspir par lengagement philoso-phique dAlexandre et par son effort de parvenir une synthse nouvelle.

    Il reste que le dveloppement de largument nest pas linaire et comporte une certaine surabondance et des rptitions, attribuables au fait quAlexandre cherchait, en appliquant la mthode qui est la sienne dans les grands commentaires, rendre compte et restituer la cohrence dun texte le livre Lambda dont larticulation est absconse. En fait, partir du 64, le De principiis ressemble fort la summa capitum qui prcde, dans les commentaires continus, chacune des exgses alexan-dristes sur un livre ou un passage du corpus aristotlicien (par exemple le livre Gamma31), et qui a pour fonction dorienter la lecture de dtail quAlexandre sap-prte proposer de chaque lemma32.

    Mon hypothse est donc la suivante : dans ses crits sur les principes, Alexandre suit autant que possible le livre Lambda de la Mtaphysique et en particulier les cha-pitres 6-7, qui renferment la dmonstration de lexistence de la substance immobile, premier moteur de lunivers. Cette hypothse trouve un appui dans un autre texte dAlexandre concernant les principes, qui est plus court que le De principiis et qui a t prserv en grec : la Quaestio I.1.

    28. Pensons notamment aux mtaphores concernant larme (1075a13) et la maison (1075a19), et la mta-phore politique incluse dans la citation dHOMRE, Il. II. 204, qui forme la conclusion du livre (1076a4).

    29. Sur la valeur dune notion (, ou ) partage par la plupart des hommes, cf. ALEXANDRE, De fato 165.16-19, 172.17-18.

    30. Cf. ID., De Anima 2.4-6 et passim. 31. ID., In Met. 237.1-239.4. 32. La mme observation sapplique du reste plusieurs passages du De Anima attribu Alexandre, o

    lAphrodite puise ses propres commentaires, surtout celui sur le De Anima dAristote, mais aussi parfois celui sur le De sensu. Cf. les tudes de DONINI et dACCATTINO cites dans la note 5.

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    II. LA QUAESTIO I.1

    La Quaestio I.1 (qui compte trois pages environ dans ldition de Bruns) nest en ralit ni une question , ni une aporie33 . Ce nest probablement qu des fins de classement que le titre de Quaestiones a t mis en tte de la collection des trois livres des apories et solutions physiques dAlexandre ; il faut donc croire quil na t attribu que tardivement au trait34. Le titre complet (tardif aussi, trs probable-ment) introduit le sujet du texte sous la forme dune interrogation : Par quelles con-sidrations peut-on tablir la cause premire selon Aristote ? Contrairement au De principiis, la Quaestio I.1 ne comporte pas dintroduction. Pour des prcisions sur le thme et lintention globale du trait, il faut attendre une brve section interm-diaire (p. 4.4-7 Bruns, cf. mes remarques ci-dessous).

    Lexorde de la Quaestio correspond au nouvel argument offert par Aristote en Lambda 6, 1071b5 et suiv. Le court dveloppement qui introduit largument principal chez Aristote (Lambda 6, 1071b3-5) nest donc pas repris ou paraphras : il est ngli-g, exactement comme au dbut de la seconde partie du De principiis ( 64, l. 2 et suiv., qui correspond galement Lambda 1071b5 et suiv. ; cf. 2 ci-dessous). Il sagit l encore dun trait commun entre lexorde de la Quaestio et celui de la seconde partie du De principiis.

    La premire partie de la Quaestio (jusqu la p. 4.4) correspond donc Lambda 6 (jusqu 1071b22), puis Lambda 7 (jusqu 1072a27). Hormis quelques adaptations, cette premire partie suit rigoureusement le texte dAristote et offre la fois la para-phrase et lexgse dune partie essentielle des arguments du livre Lambda, savoir des arguments quAlexandre tenait pour dcisifs quant la question des principes. La rcriture et linterprtation proposes par Alexandre mriteraient certainement une tude approfondie et, par manire dintroduction une telle tude, je tenterai ici une premire mise en correspondance du texte de la Quaestio I.1, p. 2.20-4.4, et de celui des chapitres 6-7 de Lambda. Pour ce faire, je procderai lemme par lemme, en me rfrant la numrotation des lignes du texte grec contenue dans ldition de Bruns et en traduisant certains passages-cls35.

    33. Cf. SHARPLES, Alexander of Aphrodisias. Quaestiones 1.1-2.15, ad loc. Selon Sharples, la contribution dis-tinctive de la Quaestio I.1 la thorie du premier moteur rside dans le fait quelle propose une dduction de lintelligibilit et de la dsirabilit du moteur partir de son caractre de forme et dacte purs. Sur la nouveaut que reprsente, par rapport aux textes aristotliciens, la qualification du moteur comme forme , cf. ci-dessous ad 4.7-26.

    34. La forme actuelle des Quaestiones ne remonte certainement pas Alexandre et nest atteste par aucune source ancienne (le plus ancien manuscrit que nous possdons date de la fin du IXe sicle : il sagit du ms Ven. 258, qui est la copie dun manuscrit en majuscule, dune poque inconnue ; cf. BRUNS, Prae-fatio , p. XVII ; et note 9 ci-dessus).

    35. Le texte de la Quaestio a t rcemment traduit en franais par M. RASHED, Essentialisme. Alexandre dAphrodise entre logique, physique et cosmologie, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 2007, chap. X, p. 291-293. Jai lintention de commenter en dtail, loccasion dune nouvelle dition critique du texte, les suggestions ditoriales de Rashed, mais il mest dores et dj possible de formuler quelques observa-tions prliminaires. En 2.28, je pense quil est possible de sauver la lecture des manuscrits, notamment du Ven. 258, que Rashed corrige ainsi : , , , ( corr. Rashed), puisque Alexandre considre les deux sujets (lagent et le patient, cf. 2.24-27) comme responsables du mouvement. Ce fait explique le pluriel quon

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    La Quaestio I.1 (p. 2.20-21 Bruns) souvre par cette phrase : Si toutes les substances taient corruptibles, tout serait corruptible, puisque les autres tants sont insparables de la substance . De cette faon, comme je lai dit, le dbut du texte dAlexandre correspond au dbut de largument principal de Lambda (chap. 6, 1071b5-6 : , , ), ce dtail prs que la primaut de la substance sur les autres modes dexis-tence est justifie par lAphrodite grce au critre de la dpendance ontologique et en raison du fait que les autres tants sont insparables de la substance .

    2.21 et suiv. : Chez Alexandre, comme chez Aristote, largument qui dcoule du principe pos dans la phrase liminaire de la Quaestio I.1 prend la forme du modus tollens36. Cest pourquoi Alexandre pose les prmisses suivantes : Tout nest pas corruptible, et toute substance nest pas corruptible . Il prouve ensuite la prmisse selon laquelle Tout nest pas corruptible comme suit :

    2.22 : Tout nest pas corruptible, car il est impossible que le mouvement soit corruptible . Ce passage correspond Lambda 6, 1071b6-7 : .

    2.22-23 : En effet, [le mouvement] est ternel . Cette affirmation correspond Lambda 6, 1071b7 : (scil. : ).

    2.23-29 : ( [] ). Dans ces lignes, largument dAristote visant tablir lternit du mouvement est labor librement par Alexandre, qui puise au texte de Phys. VIII.1 (cf. 251a17-28) 37 . Lon notera quen procdant ainsi

    trouve en 2.28, de mme que celui quon trouvait auparavant en 2.24, , cest--dire lagent et le patient. Par ailleurs, il convient de garder lesprit (comme le fait Sharples, cf. note 8) la version du texte transmise par Michel dphse, qui reproduit presque intgralement, avant dentreprendre son propre commentaire, la Quaestio : la p. 4.2 ( ) on peut lire avec Alexandre dAphro-dise et Michel dphse, in Met. 686.33s (ainsi quavec plusieurs manuscrits, dont le Ven. gr. 194 cf. supra, note 14) la place de chez V (Ven. 258) et Bruns : sera en corrlation avec le (en 4.2), ici, comme plusieurs autres endroits chez Alexandre, on peut donc se passer de la correction en propose dabord par Sharples, puis par Rashed, dautant plus que le moteur est bien indiqu par dans ce contexte, cf. 3.19, 4.2. Enfin, en 4.12, Rashed a certainement raison de vouloir complter le passage qui est dfectueux dans le manuscrit V ; il propose . La lecture quon trouve chez Alexandre dAphrodise et Michel dphse, in Met. 687.7 pourrait certes sembler plus naturelle, en raison de la construction de la phrase causale introduite par mais lhypothse de la faute par haplographie avance par Rashed nest pas invraisemblable, dautant quon observe la mme correction dans une glose manuscrite du XVIe sicle, attribuable Ottaviano Ferrari, et incluse dans la marge de leditio princeps (Venetiis 1536) des Quaestiones disponible Milan (Biblioteca Nazionale Braidense, cote B. XVI 6.078). Or cette correction manuscrite remonte peut-tre une source plus ancienne, ce qui pourrait confrer encore plus de plausibilit la correction propose par Rashed (cf. S. FAZZO, Philology and Philosophy on the Margins of Early Printed Editions of the Ancient Greek Commentators on Aristotle, With Special Reference to Copies held in the Biblioteca Nazionale Braidense, Milan , dans C.W.T. BLACKWELL, S. KUSUKAWA, dir., Philosophy in the Sixteenth and Seventeenth Cen-turies : Conversations with Aristotle, Aldershot, Ashgate, 1999, p. 48-75 ; cf. en particulier lAddendum, p. 74 et suiv. pour lidentification de la main de Ferrari).

    36. Sur ce point, de mme que sur Lambda 6 en gnral, on consultera avec profit le commentaire dE. BERTI, Unmoved Mover(s) as Efficient Cause(s) in Metaph. XII 6th , dans M. FREDE, D. CHARLES, d., Aris-totles Metaphysics Lambda, Oxford, Oxford University Press, 2000, p. 181-206.

    37. la p. 2.24 notamment, on lit , . Rashed traduit ainsi la protase de cette phrase : Sil nen allait pas ainsi, en sorte que ni

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    Alexandre propose une rcriture qui est, certains gards, plus claire que le texte mme dAristote38.

    3.1-7 : ( [] ). Dans ce passage, largument des lignes 1071b7-10 de la Mtaphysique, qui porte sur la continuit du temps et du mou-vement, est omis (cf. toutefois De princ. 69-71). Alexandre choisit en fait daborder le thme de la continuit par une autre voie, ce qui lui permet, dans son argumenta-tion, dapporter rponse une objection qui pourrait tre souleve contre la thse de la continuit du mouvement perptuel, telle quelle est formule en Lambda 6. Selon cette objection, le mouvement pourrait tre ternel, mme sil tait fait dune srie ininterrompue de mouvements distincts39. En cherchant prendre sur ce point la dfense dAristote, Alexandre utilise dj ici une importante consquence de la thse de lternit du mouvement, savoir le fait quil existe un corps ternellement m.

    3.7-8 : Mais le seul mouvement qui soit ternel et continu est le mouvement circulaire . Cette affirmation correspond au passage suivant de Lambda 6, 1071b10-11 : , . Alexandre ne juge pas utile, ce stade, de reprendre largument plus labor de Lambda 7, 1072a21-22 ( , ). Du reste, il a dj tabli, dans les lignes immdiatement prcdentes, quil existait un corps ternellement m (3.1-7).

    Ensuite, dans les parties subsquentes de la Quaestio, Alexandre choisit de suivre le chapitre 7 du livre Lambda. Il nglige donc la section aportique et doxographique de Lambda 6 (1071b22-1072a7), de mme que la section finale du chapitre, qui traite de la multiplicit des mouvements clestes (6, 1072a7-7, 1072a21, cf. mes remarques

    lagent ni le patient ne requraient quelque changement [] . Il mapparat toutefois prfrable de traduire : Or, si ceux-ci [cest--dire lagent et le patient] taient telles que (, ayant une fonction proleptique par rapport ) ni lagent ni le patient ne requerraient aucun changement, lun pour agir, lautre pour ptir [] . En effet, tout largument des lignes 2.23 et suiv. est une dmonstration par labsurde de lter-nit du mouvement, linstar de Phys. VIII.1, dont les parties me semblent tre rordonnes par Alexandre de la faon suivante : si le mouvement tait engendr, il y aurait un agent et un patient partir desquels le mouvement sengendrerait ; or, concernant cet agent et ce patient (), de deux choses lune : sils navaient pas (, 2.24) besoin dun changement pour passer lacte (cest la phrase qui pose problme et que jai traduite au dbut de la prsente note), ils seraient dj en acte et il ny aurait donc pas de gnration du mouvement ; si, en revanche (on notera le en 2.27, qui introduit une opposition dont le sens ne ressort pas clairement dans la traduction propose par Rashed), ils avaient besoin de subir un changement pour dclencher le mouvement, un mouvement serait alors ncessaire avant la gnration du mouvement, puis un autre et ainsi de suite linfini.

    38. Thmistius offre pareillement des exemples de rcritures ou de paraphrases qui, en puisant dautres textes, visent clarifier le propos dAristote. Cf. sur ce point M. ACHARD, La paraphrase de Thmistius sur les lignes 71 a 1-11 des Seconds Analytiques , Dionysius, 23 (2005), p. 105-116 ; et ID., Themistius Paraphrase of Posterior Analytics 71a17-b8. An Example of Rearrangement of an Aristotelian Text , Laval thologique et philosophique, 64, 1 (2008), p. 15-31.

    39. Autrement dit, selon cette objection, lternit du mouvement pourrait rsulter dune srie de mouvements successifs, et naurait donc pas impliquer lexistence dun mouvement particulier qui, pris lui seul, est ternel, de mme que dun tre ternellement m. Cette objection a t reprise rcemment par E. BERTI dans son article, Unmoved Mover(s) as Efficient Cause(s) in Metaph. XII 6th , p. 184.

  • LEXGSE DU LIVRE LAMBDA DE LA MTAPHYSIQUE DARISTOTE

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    sur De principiis 64-95 ci-dessus). La suite du texte comporte les articulations suivantes :

    3.8-9 : Le corps qui se meut de ce mouvement circulaire est ternel . Ce pas-sage correspond Lambda 7, 1072a23 ( ).

    3.9-18 : Le passage form par ces lignes reprsente un excursus nayant pas de parallle dans le livre Lambda. Il offre une dmonstration du fait que le corps cleste est anim et quil se meut par dsir. Sa fonction est de prparer linterprtation que pro-posera Alexandre de Lambda 7, 1072a26 ( ).

    3.18-20 : Pour ce qui se meut par impulsion et par dsir, un tant doit exister, pour le dsir duquel lautre se meut dun mouvement circulaire, et qui soit galement ternel et en acte . Ce passage, qui pose lexistence dun moteur du ciel, mais sans encore affirmer son immobilit, correspond largument dvelopp par Aristote en Lambda 7, 1072a23 et suiv. ( ).

    3.20-23 ( [] ). Sur cette utilisation du couple acte-puissance pour dcrire la nature du moteur ternel, cf. Lambda 6, 1071b12-20.

    3.23-24 : Mais le moteur sera aussi immobile, car si lui aussi se mouvait en tant que m, il faudrait, pour lui aussi, un moteur . Alexandre invoque ici largument de la rgression linfini, plutt que largument de symtrie utilis par Aristote en Lambda 7, 1072a24-2640.

    3.25 : Mais sil est immobile, il est incorporel, car tout corps en tant que corps est mobile . Cet argument peut tre considr comme une interprtation du passage suivant de Lambda 6 : ( , ) (1071b20-22)41. Il connatra une grande for-tune dans la tradition exgtique.

    3.25-26 : Il y aura une substance ternelle et immobile en acte, qui sera la cause du mouvement ternel et continu du corps qui possde un mouvement circulaire .

    40. Ailleurs cependant, Alexandre admet la valeur de largument de symtrie : il lutilise en De princ. 28-31, lexplique et le justifie dans un fragment de son commentaire ad loc., ap. IBN RUSHD (p. 1588.6-1589.9 Bouyges), et en propose une application diffrente dans sa dmonstration de lexistence dun acte pur sans matire (cf. De principiis, 118 ; Genequand ad 28, 118). Sur largument par symtrie (appel ainsi par Manuwald) et sur lensemble de Lambda 7, on pourra consulter lutile commentaire dA. LAKS (dans FREDE et CHARLES, Aristotles Metaphysics Lambda, p. 207-243), dont une version franaise rvise vient de paratre dans ID., Histoire, doxographie, vrit, Louvain-la-Neuve, Peeters, 2007, p. 83-131.

    41. Notons ici que les lignes 1071b20-22 de Lambda 6 posent deux problmes, lun concernant lidentit du sujet (si ce sont les moteurs , au pluriel, ils ne sont pas mentionns auparavant dans le texte), et lautre concernant la construction du raisonnement (lternit nimplique pas forcment labsence de matire, mais seulement de la matire corruptible ; si lon admet quil est ici question de la seule matire corruptible, les substances dont parle le texte pourraient tout aussi bien tre considres comme les corps clestes en mouvement que les moteurs). Cf. S. FAZZO, Fra atto e potenza : leternit del cielo nel libro Lambda della Metafisica , dans M. MIGLIORI, A. FERMANI, Attivit e virt : Anima e corpo in Aristotele, Milano, Vita e Pensiero, 2008, p. 113-146.

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    Cette conclusion correspond la conclusion de Lambda 7, 1072a24-26 : , 42 .

    4.1-4 : Le corps divin sera mis en mouvement par cette substance parce quil la contemple et quil a la tendance et le dsir de limiter. Car tout ce qui est m par quelque chose dimmobile et de spar se meut de cette faon . Ce passage corres-pond Lambda 7, 1072a26-27 ( ).

    4.4-7 : La preuve est par analyse. Car du premier principe il ne peut pas y avoir de dmonstration. Pour concevoir sa nature il faut se servir de lanalyse, partir de son accord avec ce qui lui est postrieur et qui est vident . Cette dernire phrase rsume bien la mthode suivie par Aristote, et par Alexandre sa suite, dans la construction de largument visant prouver lexistence du premier moteur. On notera la complmentarit qui existe entre ces lignes et le passage mthodologique corres-pondant du De principiis ( 2 p. 44.8-12 Genequand), qui a t cit dans la section I du prsent article. En effet, la Quaestio utilise lexpression de preuve par analyse pour dcrire la dmarche de remonte vers les principes, expression quon ne trouve pas dans le texte arabe du De principiis ; mais le De principiis, contrairement la Quaestio, explique les raisons de la diffrence entre la dmonstration apodictique et largument qui, par analyse , remonte aux principes. Selon cette explication, si du premier principe il ne peut pas y avoir de dmonstration (Quaestio I.1, 4.4-5), cest parce que la dmonstration apodictique procde partir de ce qui est antrieur et des causes , et que, par dfinition, les premiers principes sont ceux pour lesquels il ny a rien dantrieur et il ny a pas de cause (De princ. 2)43. Alexandre offre ainsi un rsum synthtique du problme, pos par laristotlisme, de la connaissance des principes. Si la dmonstration scientifique procde partir des principes, com-ment pourra-t-on alors prouver lexistence de ces derniers ? Le problme, qui con-cerne la fois les principes de la dmonstration44 et les principes auxquels doit

    42. 1072a25 : le manuscrit le plus ancien, J (Vind. gr. 100), a sans accent. Cest le signe que lon-ciale devait tre interprte. Les autres copistes ont interprt le nom au nominatif, alors quAlexandre, autour de lan 200 ap. J.-C., semble pour sa part lavoir lu ou interprt au datif.

    43. Tout rcemment, M. RASHED (Essentialisme, chap. X, p. 275 et suiv.) a propos linterprtation suivante des lignes 4.4-7 de la Quaestio I.1, interprtation qui ne fait allusion ni au texte dAristote ni au De prin-cipiis : le fait quAlexandre ait tenu ny voir [cest--dire dans largument visant prouver lexistence du premier moteur] quune analyse et non pas une dmonstration au sens fort du terme [] est une concession vidente des attaques du type de celles de Galien contre la thorie aristotlicienne du pre-mier moteur. Il faut toutefois considrer ici que la position dAlexandre tait dj celle dAristote, et lon voit du reste difficilement comment lAphrodite aurait pu prtendre dmontrer, au sens strict du terme, les principes. Certes, il est vrai quentre Galien et Alexandre, le scepticisme reprend de la vigueur, et nous avons des raisons de croire quAlexandre voulait se protger de laccusation de dogmatisme (sur ce point, cf. mes travaux : Aporia e sistema, p. 18, 31-35 : Fra dogmatismo e scetticismo ). Mais les passages tout juste cits de la Quaestio et du De principiis pourraient tout aussi bien tre envisags comme des rsums ou des analyses fidles de la mthode prconise par Aristote (cf. mon article : Alexandre dAphrodise contre Galien : la naissance dune lgende , Philosophie antique [2002], p. 109-144, en particulier la sec-tion II.1 : Galien contre Aristote ? ).

    44. Cf. ALEXANDRE, in Met. Gamma 1005a19 et suiv., 266.19-21. Sur la comme connaissance la fois des principes et de ce qui est postrieur aux principes, cf. ID., Mant. 151.9-11, Genequand, p. 144, et ARISTOTE, EN VI.7, 1141a16-19.

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    aboutir ltude de lunivers sensible, avait dj t explicitement reconnu par Aris-tote45. Une partie de la rponse quon peut y faire consiste dire quil faut, comme laffirme la remarque bien connue de la Physique46, procder partir de ce qui est moins connu en soi mais plus connu pour nous.

    4.7-26 : Le passage mthodologique des lignes 4.4-7 a marqu une division de la Quaestio en deux parties, qui ont des rapports diffrents avec le texte du livre Lamb-da. En effet, la seconde partie, qui souvre avec la ligne 4.7, se rfre la section suivante de Lambda 7 (1072a27 et suiv.), mais ne la suit pas de faon aussi directe et continue que ne le faisait la premire partie. Du reste, limportant passage des lignes 1072b4 et suiv. de Lambda 7, qui mobilise les concepts de sustoichia et de dirse, est un texte dont il est difficile de rendre compte. Alexandre utilise sans doute prin-cipalement ce passage comme un modle dargumentation, plutt que comme un texte devant tre suivi mot mot. Cela dit, je me permets de hasarder ici un rsum interprtatif de cette seconde partie de la Quaestio, qui doit tre tenu comme une sim-ple hypothse susceptible dtre amende ou contredite.

    Pour procder la description du premier intelligible, Alexandre utilise, comme plusieurs autres endroits dans son uvre, le couple conceptuel forme-matire. Ces deux concepts, quil met beaucoup plus souvent profit quAristote, constituent pour lui une sorte de signature personnelle, qui rglent dans ses exgses la manire dont il rorganise ou reconstruit nombre de thories. Ainsi, la dfinition du premier principe comme forme pure fait son apparition dans son uvre, et ne trouve aucun paral-lle chez Aristote47. Les autres concepts mobiliss par Alexandre dans la Quaestio pour thoriser le premier principe sont toutefois tirs de Lambda 7. Il exploite dabord lopposition entre la substance et les autres genres de ltant (4.12), puis passe en revue les autres attributs axiologiques positifs du premier principe, de faon les ran-ger du mme ct dune partition en paires binaires, o le positif soppose au ngatif. Il souligne cette occasion la simplicit (par opposition la composition, 4.13) du premier principe, de mme que son actualit ternelle (par opposition toute forme de participation la puissance, 4.13-14). Enfin, Alexandre utilise galement les oppo-sitions binaires pour souligner la nature du premier dsirable (4.17), qui est la beaut (4.18) en tant quattribut minent de la forme (par opposition la matire), et pour insister sur lactivit (par opposition la passivit, 4.20-21) du premier principe, de mme que sur son caractre substantiel (par opposition aux autres genres de ltant autres que la substance, 4.22-23).

    Un tel dveloppement portant sur le dsirable ( ) et l intelligi-ble ( ), qui sont tenus pour des attributs essentiels du premier moteur, ainsi que le recours dans lanalyse des paires binaires, dont seul llment positif cor-

    45. Cf. An. Post. I.12, o Aristote dclare notamment : Sil tait impossible de dduire le vrai partir du faux, lanalyse serait simple (78a6 et suiv.), ou encore la cause premire est insaisissable (78a26). Je re-mercie Enrico Berti pour une discussion fructueuse de ces passages.

    46. Cf. ARISTOTE, Phys. I.1, 184a19-21. 47. Cela mme si, comme me la fait remarquer E. Berti, Aristote utilise lexpression pour d-

    crire le premier principe en 1074a35. Pour plus de dtails sur lanalyse que je propose ici de Lambda 7, on pourra consulter mon dition et mon commentaire ( paratre) du livre Lambda.

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    respond un attribut du premier moteur, montrent quon trouve luvre dans cette section du texte les mmes lments hypotextuels que dans la section prcdente. Alexandre construit son texte en appliquant le principe dune ordonnance en colonnes () et au moyen de dirses (), comme le fait Aristote en Lamb-da 7 (1072a31, 35, b2). On trouve en outre, entre les textes dAristote et dAlexandre, au moins deux points de contact encore plus manifestes. Dabord, Alexandre, comme Aristote, esquisse la liste des attributs qui appartiennent en propre au premier moteur en tant que dsirable et intelligible (1072a26-30). Ensuite, chez Aristote, la srie po-sitive (qui seule contient les attributs du premier principe) comprend : la substance (1072a31, cf. Alex., 4.12), la simplicit et lacte (1072a32-34, cf. Alex., 4.12-15), le beau et le prfrable en soi, et le ncessaire, par opposition au contingent (1072b4-13, cf. Alex., 4.17-19). Or Alexandre, bien quil ne parle pas explicitement de la n-cessit du moteur, insiste sur son actualit ternelle et sans puissance (4.13-14, 25), ce qui, dans la terminologie qui est la sienne, revient dire quil est ncessaire. Une analyse plus dtaille de Lambda 7 permettrait sans doute didentifier dautres paral-lles entre les deux textes.

    CONCLUSION

    En guise de conclusion, nous aimerions souligner ce qui semble tre les cinq grands apports dAlexandre lexgse de Mtaphysique Lambda. Ces apports tou-chent des problmes laisss expressment ouverts ou implicitement non rsolus dans le texte dAristote.

    Le premier concerne la mthodologie de lenqute sur les principes. Dans le livre Lambda, Aristote se contente daffirmer, au sujet de la substance non sensible, quil existera une theria diffrente son sujet sil nexiste aucun principe commun entre cette substance et la substance des tres sensibles. En revanche, Alexandre indique avec prcision la nature de lenqute sur les principes, qui doit selon lui seffectuer sous le mode par analyse ( )48.

    Deuximement, nous devons Alexandre une synthse cohrente de la doctrine de Lambda et du livre VIII de la Physique. Pour arriver ce rsultat, Alexandre doit rsoudre un difficile problme relatif au rapport entre les deux textes. En effet, com-ment faut-il interprter les passages de Physique VIII, 5 qui dmontrent que le pre-mier principe du mouvement est auto-moteur (comme lavait dj maintes fois sou-tenu Platon)49, alors que Lambda (en accord sur ce point avec Physique VIII, 5, 256b13-24) affirme rsolument que le premier principe est immobile50 ? Dans le De principiis ( 29-44), lanalyse dAlexandre repose sur la partie critique du texte dAristote, et exploite uniquement les remarques concernant le principe auto-moteur.

    48. Cf. nos remarques sur Quaestio I.1, 4.4-7, en parallle De princ., 2, et n. 43 ci-dessus. 49. ARISTOTE, Phys. VIII, 256a13-b3. Cf. PLATON, Phdre 245c-246a et Lois 894c-896e, o il est question,

    dans les deux passages, de lme en tant que principe de mouvement m ternellement. 50. Dans la Physique mme, sauf erreur de ma part, le Stagirite nexplique pas avec prcision en quoi consiste

    le rapport entre le principe auto-moteur et le principe immobile.

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    Selon Alexandre, qui cherche rfuter la doctrine platonicienne de lauto-moteur comme principe, il est impossible quexiste une chose purement auto-motrice, puisquun tre auto-moteur devra toujours tre m et mouvoir. Alexandre ne tient donc pas compte de la synthse propose par Aristote dans le De motu animalium (1, 698a7-9), o le rle du principe auto-moteur, loin dtre ni, est pos comme inter-mdiaire : selon cette synthse, le principe du mouvement est auto-moteur, alors que le principe de lauto-moteur est immobile. Le parti pris exgtique dAlexandre sex-plique par sa propension mettre en exergue les aspects antiplatoniciens de la pense dAristote, propension qui est probablement lie au contexte historique de concur-rence entre les coles51. Quoi quil en soit, il faudra revenir ailleurs sur limportante question de savoir dans quelle mesure certaines interprtations ayant fait cole et en-core courantes du chapitre Lambda et de Physique VIII sont influences par la lecture dAlexandre.

    Troisimement, sagissant de la pluralit des moteurs, Alexandre tablit un rap-port hirarchique entre les moteurs des sphres clestes. Selon son interprtation, les moteurs se succdent, partir du premier, par ordre de noblesse, de sorte quils ne sont ni spcifiquement identiques et diffrents seulement par le nombre (mode de diffrence qui peut caractriser uniquement les tres matriels), ni diffrents les uns des autres en vertu dune diffrence spcifique (puisque les tres qui diffrent de cette manire ne sont pas absolument simples).

    Quatrimement, concernant la dfinition du premier moteur immobile, on voit luvre une tendance chez Alexandre (tendance que nous avons dcrite dans une au-tre tude comme caractristique de son aristotlisme) qui consiste rduire, en les simplifiant, les formulations aristotliciennes un langage scolastique, souvent centr sur les termes de matire et de forme. Il est ainsi propre lapproche dAlexandre de dfinir le moteur immobile comme forme pure sans matire , le terme forme () ntant sauf erreur de ma part jamais utilis cette fin chez Aristote52.

    Cinquimement et cest l le point le plus important , la recherche rcente a mis en vidence quel point linterprtation traditionnelle de Mtaphysique Lambda est redevable Alexandre, notamment en ce qui concerne llucidation de la thse du premier moteur (a) comme moteur des cieux ainsi que (b) comme objet de dsir et objet damour (1072a26, b3), le second point nayant jamais t clarifi par Aristote. Selon Alexandre, les cieux possdent une me, une me sui generis, et dsirent le premier moteur en cherchant se rendre similaires lui. Les cieux doivent se mou-voir, puisquen tant que corps physiques ils sont sujets au mouvement, mais ils le font en vertu du mouvement qui ressemble le plus limmobilit du premier moteur, soit le mouvement circulaire. Cette conclusion faisait galement partie, jusqu une date

    51. Sur ce point, voir mon introduction Alessandro dAphrodisia, Sulla Provvidenza, p. 1 et suiv., ainsi que Aporia e sistema, p. 17 et suiv.

    52. Lexpression la plus proche en ce sens chez Aristote serait , en rfrence au moteur immobile (Lambda 8, 1074a35 et suiv.) ; sur lusage, qui devient largement rpandu, du couple form de la matire et de la forme chez Alexandre, jai recueilli un premier lot de remarques dans Aporia e sistema, p. 45, n. 63 et p. 50, n. 74.

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    rcente, de linterprtation traditionnellement admise et rarement discute dAris-tote53. En un mot donc, lexgse dAlexandre sur ce point fut dcisive54.

    Or, selon un commentateur rcent, qui propose une analyse de la Quaestio I.1 sans tenter de dterminer ses rapports avec Mtaphysique Lambda, le pouvoir de persuasion du texte dAlexandre serait presque nul55 . Un tel jugement qui, mutatis mutandis, pourrait galement sappliquer au De principiis paratra sans doute fond aux yeux de la plupart des lecteurs modernes, qui ne sont pas disposs admettre lexistence dune substance non sensible, qui constituerait de surcrot le principe immobile du mouvement de lunivers. Il convient toutefois de rappeler que la Quaestio I.1 ne cherche pas offrir, au premier chef, une dmonstration propre-ment dite de tel ou tel philosophme, mais bien plutt une exgse du texte dAris-tote, et particulirement des chapitres 6-7 du livre Lambda, lesquels tentent doffrir une vritable preuve de lexistence dune substance non sensible, premier moteur de lunivers. Il ny a pas lieu dtre surpris par le fait quAlexandre, professeur de philo-sophie officiellement charg dexpliquer les parties saillantes du corpus aristotlicien, se soit fix, en rdigeant la Quaestio I.1, un tel objectif, essentiellement exgtique. En fait, tous les textes dAlexandre, quils soient majeurs ou mineurs, sont de nature foncirement interprtative, et cherchent par consquent expliquer la lettre ou la pense dAristote. Quoi quil en soit, lexgse dveloppe par Alexandre allait exer-cer, son poque et bien aprs lui, un formidable pouvoir de persuasion56. Cest en effet travers le prisme de cette exgse que la thologie dAristote sera comprise jusqu une poque trs rcente, et mme en un sens jusqu nos jours. Les inter-prtes actuels nont donc pas fini, dans leurs travaux, de procder la distinction entre la vritable pense dAristote et les lments trangers qui sy sont greffs en raison de lactivit exgtique dAlexandre dAphrodise et de son cole.

    53. Cf. BERTI, Unmoved Mover(s) as Efficient Cause(s) in Metaph. XII 6th . Pour une synthse du dbat r-cent, par le mme auteur, cf. Ancora sulla causalit del motore immobile , Mthexis, 20 (2007), p. 7-28.

    54. On pourrait, bien entendu, se poser les questions suivantes : quelle est la contribution spcifique dAlexan-dre par rapport la tradition exgtique qui lavait prcd ? Quelles sont ses sources intermdiaires, ses prdcesseurs aristotliciens ? Ces questions sont gnralement difficiles, car la tradition de par sa nature tend effacer les contributions individuelles prcdentes. Mais Thophraste semble avoir jou un rle, et je compte revenir sur ce point ailleurs (je remercie E. Berti de la discussion que jai eue avec lui sur ce sujet).

    55. RASHED, Essentialisme, chap. X, notamment p. 274-276. Sauf erreur de ma part, Rashed ne cite pas Lamb-da dans sa discussion de la Quaestio.

    56. En Occident, comme je lai fait remarquer, lexgse alexandriste fut principalement influente travers le Grand Commentaire au livre Lambda dIbn Rushd, qui sappuie constamment sur le commentaire dAlexan-dre. Lexistence et la circulation de diffrentes versions du trait Sur les principes et de la Quaestio I.1 constituent cependant une autre preuve de limportance du rle jou par Alexandre dans la rception du livre Lambda.