L'Homme de Bronze, Par Louis Noir

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Noir, Louis (1837-1901). L'Homme de bronze, par Louis Noir. (s. d.).

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clbre Balidar aux jnrrelircs d'or, abritait ses prises merveilleuses, son immense butin, PREMIER CHAPITRE derrire l'infranchissable ceinture de rcifs qui couvre son port ; c'est du haut des granits amoncels Sainte-Barbe Le brick mystrieux. que les saliins de Roskoff, sinistres naufrageurs, allumaient les feux qui trompaient les navires ; Nous sommes Roskoi, en pleine Brec'est sur Roskoff que se racontent les plus que tagne, dans une vieille ville pittoresque sombres lgendes du pays de Lon. baignent les Ilots de la Manche ; le printemps commence et le ciel est splendide ; les plages, Autrefois nid de pirates, la ville tait enles les et les falaises sont battues par le core en 1851 un centre actif de contrebande du Gulf-Stream, destination ; du port, les nagrand courant amricain d'Angleterre les eaux vires partaient, bonds d'eau-de-vie, qui transporte jusqu'en Europe qu'ils allaient dbarquer tides du golfe du Mexique et charge la brise par les nuits sans lune, de tides manations. dans les anses prilleuses, en vitant les Ici, en plein nord, jamais d'hiver ! La flore coups de mousqueton des douaniers anglais. de ce coin de terre est celle des tropiques ; Le marin contrebandier, qui n'hsite pas les figuiers gants et les cactus couvrent les changer des coups de fusil avec les gardes jardins ; c'est le paradis de s'accoutume violer la loi et terrasses des-ctes, c'est aussi la terre des lgendes rpandre le sang ; aussi vit-on souvent partir l'Armorique, C'est sur un roc de destins et terribles. de Roskoff des navires secrtement gracieuses Roskoff que le pied charmant de Marie Stuart la traite des noirs sur la cte d'Afrique, a foul le sol de la France po.ur la premire la flibuste dans les mers d'Amrique et fois ; c'est de Roskoff que se sont lancs, mme la piraterie dans les dtroits de la la conqute des ocans, nos plus hardis Malaisie ou sur les golfes de la Chine. Rien d'tonnant donc ce que ce petit corsaires; c'est Roskoff que l'un deux, le

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srieusement sr litre comte par Karigoulet port soit le refuge d'audacieux loups de mer, haussa les paules et dit avec insouciance : ha qui, quoique tous enrichis par leurs prises Je trouve comme toi mauvaise figure le temps de la contreregrettent passes, ( brick, et je suppose que ce n'est pas co bande et sont prts pour tous les coups, dansans raison qu'il se tient distance. Mais sai gereux mais lucratifs, qu'on leur offrirait. Aller en Chine ou au Congo, d'entre eux ont mont Ainsi, beaucoup qu'importe? qu Porter un des plus cela ce. m'est indiffrent!... la flottille de Garibaldi ; d'autres ont t corlrc ignorant saires sur les navires du Sud dans la guerre grands noms de Bretagne, gr ont servi au Brsil comme le dernier paysan, ne plus possder co de Scession ; plusieurs un ur sou, n'avoir jamais eu que la misre en contre le Paraguay. Aussi n'est-ce pas une petite ville mariperspective, se sentirait ventre de l'ambition pc et se juger incapable do rien, sinon de moulime ordinaire que Roskoff ; on y trouve des voil quelle tait ma rir rii assez proprement, types de marins lgendaires. si Mais on y rencontre aussi des spcimens situation, il y a trois jours. Tu crevais de de soif se et moi de faim dans notre trou de l'le de curieux de ces Bretons, gentilshommes Siek ; il fallait en finir et je t'ai dit : Allons Si grands noms, mais sans un sou, sans inslrucnous enrler Roskoff. Nous y voil ! n< lion, ayant sabots aux pieds, travaillant pour vivre. M Maintenant, vogue la galre ! Monsieur le comte, dit Karigoulet, sous Or, le jour mme o ce drame dbutait, un de ces nobles paysans, arriv au dernier votre respect, j'aurais prfr un autre nav, venu vire. v degr de la misre, tait prcisment Puisqu'il avec son valet, chercher fortune Roskoff. n'y en a pas d'autre qui Dans une auberge, l'enseigne de l'Ancre enrle ! dit le comte. Bien heureux si celuie l i; a besoin d'hommes ! Nous irons la mad'Argonl, ces deux hommes causaient voix re haute lui offrir nos services sur le canot r basse, indiffrents aux cris, aux rixes, l'ade cl matre Yvonnec. nimation, aux bruits assourdissants qui s'e 11 nous en arrivera malheur! fil Karilevaient de toutes parts ; assis devant une table, prs d'une fentre, ils pouvaient tous goulet ! Ce brick ne dit rien de bon l'oeil, deux apercevoir un coin de la mer, au large, il i l'ail noir sur yurl. l'horizon; c'est mau> vais prsage et a ne se marie pas comme par une troue lumineuse entre le fort SainteBarbe et l'le de Tizi-Aouzan. couleur ; car a signifie chayrin sur espoir ; ( Dans le lointain, formant une tache sombre pour mon compte... ^ Assez ! dit le comte d'un ton de matre. un navire ; sur l'azur des flots, apparaissait les attentivement c'tait lui que regardaient Mon parti est pris. A la haute mer, nous attabls. deux personnages irons voir si ces gens-l veulent de nous. tous dit son comEl sur cette dclaration premploire, L'un d'eux, le matre, deux se remirent rver, comme savent rcpagnon : Ce damn brick n'a pas boug ! Que* ver les Bretons, des heures qui restent n'entre-l-il le regard fixe sur un point vague diable i'ail-il l Pourquoi pas5 entires dans le port? Tous les autres quipages 3 de l'espace ; mais il tait vident que Kariil y a i sont au complet ; sur ce btiment-l, goulet ruminait avec obstination des pensers deux places prendre. sinistres l'occasion du brick mystrieux, Et, mai peut-tre foi, quoique le navire me paraisse suspect, , tandis que le comte se livrait aux caresses nous sommes si bas percs que je nous ende l'esprance. Comte !... Jean - Louis - Yves - Henry de rlerais, mon pauvre Karigoulet. M'est avis, dit en faisant la grimace e Kerenfort l'tait authentiquement ; il restait de cette vieille souche l'homme interpell Karigoulet, que vous fe-- l'unique reprsentant riez une btise. Qui sait ce que c'est qu'une e dont l'origine se perdait dans la nuit des lmais le comte Henry pareille barcasse? a peut nous mener loin.i. gendes bretonnes; et tait si pauvre qu'il portait le costume des il Le jeune homme, respectueusement

L'HOMME : grand chapeau de feutre noir, paysans culotte la turque, veste ronde et ceinture de laine roule la taille, le tout us, Irou ici, tach l, rp partout, mais firement

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CHAPITRE

II

port. Paysan, soit; mais toujours gentilhomme. Un incident occupa bientt leur attention ; une voiture de poste entrait dans le port avec grelots, postillon, bruit de roues, de fouet et flot de poussire claquements sablonneuse. Le comte Henry regarda passer la voiture, qui, pour traverser le quai encombr, dut se mettre au pas; il aperut dans le fille. coup une adorable figure djeune Ce fut comme une vision dont il recul l'blouissement. Il tressaillit et il suivit du regard la chaise de posle qui gagna Sainte-Barbe, o un canot attendait. La jeune fille entrevue descendit de voiture , suivie d'un personnage envelopp d'un manteau! Tous deux s'embarqurent, cl le canot fila entre Sainte-Barbe et TiziAouzan. Le comte se tourna vers Karigoulet et lui dit : C'est une passagre du brick. Le canot file du cL de ce chien de bateau ! fil Karigoulet. C'est drle tout de mme qu'une si belle petite personne soit bord d'un pareil btiment ! Karigoulet, dit le comte, dcidment il faut nous engager dans cet quipage-l. mais il Karigoulet n'osa point protester, fit la grimace. Est-ce qu'il va en tenir pour la jupe lui qui ne regardait maintenant, pas les tilles ! murmura le paysan, pendant que le comte Ludiait les bordes que dcrivait le canot. Enfin le jeune homme murmura : La barque accoste, et elle monte bord ; Karigoulet, dans une heure nous I irons voir de quoi il retourne bord de ce bateau ! Une protestation de Karigoulet fut interrompue par l'entre bruyantede deux groupes de matelots.

Figures suspectes. Les marins d'envahir la qui venaient salle appartenaient une bande d'individus, venus de loin un un; depuis quelque temps ils s'taient groups, se connaissant tous et faisaient bande part. On avait remarqu que, depuis plusieurs jours qu'ils taient arrivs, ils ne s'taient mls aucun quipage; ils avaient vcu ensemble, ne causant eux, et ils qu'entre fort les gens de Roskoff. intriguaient Du reste, la mine, on les jugeait matelots finis, gabiers poils et loups de mer triple gueule. Les matelots de Roskoff avaient flair en eux des gens habitus aux plus tranges navigations. Ils taient alls s'asseoir aussi loin que ils avaient possible des oreilles indiscrtes, command du vin, ddaignant l'eau-dc-vie, et, une fois le verre en main, ils avaient caus trs-bas. Le capitaine Daniolou ne vient pas! dit l'un avec un accent espagnol trs-prononc. Sa lettre tait cependant pressante. Il viendra ! dit un petit marin qui avait l'air d'une pratique finie et la prononciation des faubouriens tranante de Paris. Mais loi, senor, tu es impatient comme un merlan sur le gril. L'Espagnol reprit : Tout bien observe, je crois que Daniolou nous a convoqus pour monter le brick que l'on voit l'ancre vers TiziAouzan. Qui sait ! fit le Parisien. Danilou, du reste, est un rude homme ; il ne nous a pas donn rendez-vous ici pour enfiler des perles ou pour pcher le hareng... saur. Tous les marins qui coutaient eurent un petit rire silencieux. Le Parisien reprit, mais voix si basse, qu' peine les oreilles penches vers lui l'entendaient : Vous souvenez-vous du tros-mts hol-

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landais que nous avons si bien enlev cl avec lequel nous avons si gentiment pirat pendant deux ans? Sans le coup de vent qui nous a mis la cte nus comme des celte heure-ci, poissons sans cailles, nous... Tais-loi, Parisien! dit le senor. Il ne fait pas bon parler de certaines choses, Tu as raison, senor. Si on savait ce que nous savons, le fils de ma mre ne mourrait pas de sa belle mort. Nos ttes tous iraient cracher dans le son... Il y eut un silence lugubre. Puis la conversation se renoua, mais elle fut bientt interrompue par l'entre d'une nouvelle bande. Chut! fit l'Espagnol. Voil les Flambarts et je crois que Danilou a des arrire-penses leur sujet. Et ils ce mirent observer les nouveaux venus.

Du ct des Bretons,au contraire, on menait grand bruit et c'tait le brick mystrieux qui faisait les frais de la conversation. Le d de la conversation tait tenu par un certain Ploudec, ex-malre d'quipage; son matelot, Goudic lui donnait la rplique. le Selon l'habitude, pour se rafrachir gosier aprs la petite griserie nationale, les corsaires (on leur avaient conserv ce nom buvaient du cidre larges coups; leurs parts de prise en avaient fait des gens l'aise; pas un qui n'et sa petite maison, ses petites rentes, son champ d'oignons et d'artichauts cultiv par sa femme, bien entendu. Tous vieux marsouins du reste, et capables encore de jouer leur peau trs-gentiment l'occasion, mais ne la choisissant que bonne. Ils faisaient les grands coups de contrebande. Le brick les inquitait, les fascinait, les magntisait; ils flairaient l'or dans les flancs de ce navire. Cette carcasse CHAPITRE III du diable a encore cette nuii ! disait chang de mouillage Les flambarts. Ploudec de sa voix enroue. El le vnrable matre, de sa main osCes nouveaux venus taient tous du port seuse, caressait le cuir tann de son long de Roskoff; on les connaissait sous le nom en mme temps visage nez d'pervier, de Flambarts. qu' travers la fentre il pointait son oeil Aucun de ces hommes n'tait engag et unique sur le navire suspect, et cet oeil de tous attendaient l'occasion de monter sur Ploudec, jaune comme de l'or en fusion, un navire qui leur convnt, car ils n'taient voyait des distances incroyables, preuve pas gens s'inscrire au rle du premier qu'il dressa sa haute taille, dveloppa sa bord venu. C'taient les survivants de l'quicharpente osseuse, se pencha vers la fentre, se fit de la main un abat-jour et dit : page fameux de lu Colombie, corsaire com Il y a de la femme bord! J'en vois mand par le clbre fils du fameux Balidar ; ce digne rejeton du grand corsaire rescovite une. On m'a cont tout l'heure; dit Cous'tait mis au service des Amricains et s'tait signal par d'admirables faits d'armes. dic, qu'on avait vu passer une chaise de Ils entrrent bruyamment, s'assirent en poste sur le port. Il en retourne. Et le gros Coudic, qui avait des prtengens qui se sentent chez eux et hlrent la cabaretire. Tous avaient dj bu les petits tions la finesse, cligna des yeux, souliverres de genivre par lesquels ils avaient gnant les derniers mots. Les corsaires se mais la jourcreusrent la tte pour comprendre, coutume d'inaugurer agrablement Ploudec fit un signe de tte affirmatif. nes, ils taient dans cei tat de demiivresse o se complaisent volontiers les gens s Oui, il en retourne 1,dit-il. De quoi ? fit un corsaire. du Nord et o ils possdent la plus grande De la politique! dclara Ploudec somme de leurs facult. voix basse. Quand il y a des navires susLes marins inconnus s'taient tus.

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pecls en vue, des chaises de poste sur les routes de Roskoff, des femmes falbalas bord de bricks drlement taills, je dis : II on retourne! C'est la duchesse de Berry qui va l'aire des siennes. Chut ! El tous en choeur : Chut! Il en retourne ! Pour sr, reprit Ploudec, le brick veut tre par prendre chasse ; il change de mouillage selon le vent. Je suis sr que si, par hasard, le port de Brest, averti par le smaphore, envoyait ici une corvette, histoire de vrifier les papiers du brick, on le verrait se couvrir de toile et filer vent arrire. Un petit homme sec, maigre, de figure et chafouine, ordinairement intelligente cout par la socit comme un oracle, mais qui parlait rarement, prit la parole cl dit : Il n'en retourne pas ! fit sensation ; quand Celte dclaration Perros avait dclar une chose, c'tait article de foi ; cx-malrc de timonnerie, exconfidenl de Balidar, homme instruit, puisqu'il savait lire, trs-rus et trs-pntrant, il passait pour infaillible. Cependant Ploudec essaya de dfendre son opinion. Je dis, moi, lit-il, qu'/7 en retourne! Quand tu le rpterais cent fois, avec ta voix de girouette rouille, reprit Perros, a ne prouverait rien, vieux cormoran. Pour faire la guerre civile, il faut de l'argent ; les curs n'ont pas qut ; par consquent il n'en retourne pas ! C'tait premploire ; aussi Ploudec, renonant ses suppositions , demanda-t-il d'un air de dfi Perros : Puisque tu es si malin, vieille fouine, dis-nous donc ce que c'est que le brick. D'abord, c'est un brick-polacre ! dit Perros. Et a se voit ! a navigue dans la Mditerrane, ces barcasses-14 ! On le sait. Tu nous apprends des choses que des mousses connaissent aprs six mois de mtier. Ici Perros haussa les paules et reprit, mais voix trs-basse :

N'ayez pas l'air de regarder dans le ! fond de la salle les autres camans qui sont de < ce ct-l; mais remarquez qu'il y en a un < est Espagnol ; j'ai cru entendre un juqui ron de Naples, et le diable me brle si, parmi eux, il n'y a pas un Grec. C'est un ramassis de tous les ports de la Mditerrane, et le brick-polacre vient de ces mersl. Pour lors, je dis qu'il pourrait bien se faire que nous voyions l une partie de l'quipage de ce chien de btiment. Les corsaires opinrent du bonnet, glissant des regards louches sur les matelots trangers. Perros reprit toujours en sourdine : Dans mon ide, ces camarades-l ont une manire eux de s'aborder qui sent la boucanerie ; il m'a paru qu'ils avaient des signes et des paroles pour se l'econnafre, car ils ont reu hier deux hommes qui venaient on ne sait d'o. a pourrait bien tre des Frres de la Cte ! dit Ploudec. Et le brick m'a tout l'air d'avoir bonne volont de piraler un brin, ajouta Coudic. Cependant la femme bord... Imbcile ! dit Perros. Tu es plus bte qu'un merlan. Est-ce que Balidar ne faisait pas venir des femmes son bord quand il tait en rade? C'est vrai ! Perros, tu es aussi intrigant qu'un hareng! dit Coudic avec admiration. Il va se faire de la mauvaise besogne avec ce brick ! observa Ploudec. Pour ma part, je ne voudrais pas y embarquer, quand mme on m'offrirait double paye. Il retourne de la corde ! fit Coudic. Faut voir ! conclut Perros. En ce moment un homme entrait dans l'auberge. Tous les corsaires se touchrent du coude. Le capitaine Daniclou ! murmurrentils. Et Coudic ajouta : Vous voyez bien qu'il y a de la boucanerie, de la flibusterie, de la piraterie dans l'affaire, puisque voil Daniclou. Un Frre de la Cte pour sr, celui-l I Et il va causer avec les autres.

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chacun s'tait tu; un lourd silence planait ( Tout le monde se tut. > ; ( Le nouveau venu restait3debout l'entre dais la salle. la '- Et pourtant, au premier aspect, 1Danilou de l'auberge,* toisant les deux groupes; salle: prsentait en-!ce''moment un tableau tait un capitaine comme tant d'autres ; plus ( 1matre. d'allures et n'ofmatelot qu'officier,vulgaire ] .digne d'npincu'de : : Au fond,:: derrire des brocs ventrus, la frant rien de saillant l'oeil du passant dis. cabrtir Krrde, vieille-Bretonne recrotrait. ; Mais quand on avait signal cet homme en deux, tte de sorcire, queville,corbe * marchant! avec un.bton comme la mauvaise un observateur s'agace,'il devenait facile" de fe ds-lgendes,le nez faisant carnaval avec dchiffrer 1 sur> ce' visage tout le livre des le menton,'usurire intresse dans les enpassions servies par la ruse, le mpris de riche plus! de touie'loi et Faudace pousse ses dernires .tiprises ! de', contrebande, .-.-. ..':. sordide et presque en haillimits. .\irigtsmillelcus, ; Pour tout'lemond,'le lons, elle planait en ce moment sur la scne, capitaine Danilou le plus et son oeilsemit. briller d'un clat extraortait sans contredit le contrebandier habile et le plus brave de l cte ; il livrait dinaire, quand parut Daniclou. ! La vieille lui fit un signe, d'intelligence et des combats aux douaniers avec une dsinlui montra avec une sorte de : satisfaction volture si;heureuse et si insolente, que'le : avait promis . une .diabolique les deux groupes de marins, gouvernement anglais -v II, y avait l :une riche collection de types, . prime considrable qui le prendrait. un choix de loups de mer capable : de salisOn' racontait qu'il avait arrt et squestr jfaiiie des iplus i difficiles ; si Danilou venait un capitaine de douane, pris son cachet, recruter pour quelque tnbreuse traverse imit' sa' signature 1et 1donn de faux ordres il ne pouvait pas .des:ihomms! nergiques; de douaniers; si''bien toute une'compagnie i?M .... ,*,. '. marILemplU.d'abord semblance ; mais le matre breton n'tait seillais, sonore, qui fit vibrer les vieux murs sembretons de l'auberge. qu'une charge dont le Grnd-Ccatois Coquinasse ! s'cria-t-il. La route e/7es bait la caricature pousse au grotesque et tait langue et le vent, debout ! A. force des au terrible* tirer des bordes, je suis arriv. Stop ! Je i Entre eux, dissemblance absolue de camouille une ancre ! Eh ! la vieille, une bou- ractres. Ploudec tait grave comme un hron teille de bordeaux. Dpche-toi, bagasse, , j'ai du feu plein mes coutilles et je flambe perch sur une patte et regardant l'eau cou.

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\cr/t.

La scnetait trange. 1er; le Grand-Cacatois tait bruyant et remuant comme un perroquet. Il tait dvor du besoin d'agir et de parler. A bord, il L'HOMSIB BnoN/.E. 3 nu un train du diable, mettait la gaiet partout, et se servant de la grande vergue comme d'un perchoir, il y excutait chaque Au PAYS DES SINGES. 3 faisait

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instant des sauts, des voiles et des pirouettes, 1 il avait sombr sur un volcan sous-marin et, harcelant les gabiers et les mousses, grim- ! ce certain jour, une trombe l'avait enlev avec son pant jusqu'aux enflchures, poussant, chan- | se canot; la barque s'tait perdue, l'homme tant, animant, bousculant tout. I s' s'tait retrouv. Bon enfant, du reste ; un coup de poing dvou jusqu' la mort Au demeurant, ou un coup de pied prs, il tait sans ranrendant ses camarades, ir inclusivement cune. Quand il avait ross un matelot, paresmme volontiers service un inconnu, mais rr. seux ou arrogant, il ne lui en voulait pas le forban jusqu' la moelle des os, fier de l'tre ft moins'du monde. el e ne comprenant rien aux subtilits morales C'tait une nature neuve, fruste, exubdu d Gode maritime. Avec un Jean Bart, il et t un loyal et rante, nave, ignorante, brutale, emporte, vaillant corsaire, sans autre mrite et v dvoue, ayant des lans de gnrosit que des accs de frocit dont la contradiction d'imiter le matre el de suivre l'impulsion ; tl semblait inexplicable ; on pouvait s'en tenir, avec Danilou, il tait pirate; mais un jur 8 c et sond cette conscience peu claire, pour la dfinition, un mot du pre Anselme, qui attnuantes. missionnaire c accord les circonstances et apostolique qu'il avait battu En somme, instrument de clestruotion terparce que le digne pre voulait le convertir, i et qu'il avait sauv du bcher, en risquant riblement puissant aux mains de son capisa propre peau ; le prtre reconnaissant taine et matelot, 1 avait fini par amener le Grand-Cacatois la conDanilou, du reste, l'aimait sincrement ; fession de ses crimes innombrables, i ne s'tait du reste attach qu' lui et la il et il l'en le avait absous malgr l'normit. vieille Keredec, dont il tait peut-tre Blm plus lard par ses suprieurs , il fils. avait rpondu ; Tel tait le Grand-Cacatois qui avait d Que voulez-vous? C'est une me d'encoiff une bouteille et la vidait d'un trait ; fant dans un corps de dmon. Danilou attendit la fin de cette lampe pour Le Grand-Cacatois tuait un homme comme j lui demander : Eh bien, quoi de nouveau? un gamin tue un pierrot, par distraction, par Rien! dit le Grand-Cacatois. Ah! si! insouciance du bien el du mal. Il adorait s'amuser. j'ai battu un brasse-carr, Mais il avait fait plus de cent sauvetages s Les matelots appellent ainsi ls gendarmes, parce qu'ils portent leur chapeau carprilleux en sa vie. rment sur la tte. Toujours parce que a l'amusait. Je ne t'avais pas laiss, Morlaix, auDu reste, sa carrire tait une suite d'aventures Prisonnier dans' less prs de l'armateur, impossibles. pour faire des farces ! dit glaces du ple, bord d'un baleinier, il avaitX Daniclou avec mauvaise humeur. Il m'avait il demand un homme pour son service, et je got d'un pot au feu de six mille ans, fait d'un filet de mammouth trouv dans les glaces s t'avais recommand d'obir et d'observer. J'ai observ, je n'ai rien vu. J'ai aid et conserv intact par le froid (historique). ). Une autre fois, dans, un canot qui le por faire des paquets, charger la voiture de tait naufrag, lui onzime, il avait dn du u poste, et voil ! Qu'est-ce que c'est que cet oiseau-l? bras d'un cuisinier ; il tait fier d'avoir mang; de l'homme! En Australie, il avait failli demanda Danilou, montrant la cage, a, fit le Grand-Cacatois en montrant son tour tre dvor par les naturels ; il avait it servi de cible aux flches des sauvages ; les JS l'oiseau, a c'est une perruche que la petite mandarins chinois lui avaient fait goter les S demoiselle de l'armateur m'a dit d'apporter dlices du supplice du pal, dont il avait t t ici. C'est--dire qu'elle n'a rien dit, tant la dlivr par un consul, lequel ignorait quel 3l muette, mais elle m'a fait comprendre chose par signe ; mme que je l'ai amuse sacripant il avait affaire. beaucoup en faisant des grimaces pour lui Naufrager, pour lui, tait chose banale; ;

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les dos tic Anglaises, et des plus huppes ! Eh bien rpondre et que nous sommes amis tous la 'a petite, c'est autre chose et c'est mieux! deux. Les Espagnoles Comment, vieux phoque abruti, il y a ont du feu la place de s; une fille dans l'affaire, et lu ne me le dis sang dans leurs corps endiabls ; elles ont dl longues tresses noires qui fouettent l'air, de pas ? a t'intresse donc? des tl yeux qui rveilleraient les morts et des Oui, parbleu ! pieds ne pas marcher avec, tant c'est polit. P Il ne faut pas que a l'intresse, Eh V. bien, a n'est pas encore a! La petite, dec'est cent fois mieux ! Il y a les Arabes, les c clara rsolument le Grand-Cacatois. Parce que... ft les Pepilas du Brsil, les riMaltaises, Parce que je te connais. L'enfant est o guitas du Prou, les Chinoises cle Canton, 1 Japonaises les de Yokohama, les ngresses trs-jolie, et je ne veux pas qu'il lui arrive t malheur. d'Abyssinie au corps d'bne, et les femmes Tu la gardes pour toi? de t bronze de Calcutta. Avec tout a runi, Pas comme tu veux dire! C'est comme il i y a de quoi faire sauter la sainte-barbe c coeur, pas vrai? Mets-y encore les Gdu si j'tais son pre nourricier. Tu me fais l'effet d'une ganache! Esti les Mauresques, noises, les Napolitaines, ] les Grecques, les Gorgiennes ce que lu vas devenir tendre, bonnet, de du march aux esclaves de Smyrue. coton, vertueux comme un notaire el lever Mets-y mme les Parisiennes des petits au biberon ? qui ont le chic, les Arlsiennes C'est plus fort que moi ! dit le ( Irandqui ont le qallie el les Bordelaises qui ont Cacalois honteux ; dans mon coeur, j'ai tout le chien ; runis tout a en tas, mets la petite cl, donne le choix un homme ; qu'il cle suite adopt cette enfant-l ; elle est si soit pacha, mandarin, prince, roi, empereur, gentille, vois-lu, qu'auprs d'elle, les autres sont comme des chasse-mare devant une marchand de mlasse, ou forban comme nous, corvette. l'homme choisira la petite ! s-lu fini de tirer la borde du sentiEt frappant un coup de poing sur la table, ment? lit Danilou, le Grand-Cacatois dit d'un air presque meau fond do trs-frapp ce lyrisme d'un vulgaire matelot, mont par \ naant : Personne, non personne n'y touchera l'enthousiasme un pareil diapason. \ Troun de l'air! s'cria le Grand-Caca\ tant que je vivrai, personne pas mme le S diable, pas mme le grand saint Dieu, pas tois, tribord et bbord l'eu ! Je tirerai des salves d'honneur et de compliments \ mme... toi. encore C'est bon ! dit Danilou. Tu n'as pas el toujours en l'honneur cle l'enfant. Elle a besoin de l'enflammer. ta On la respectera, des yeux, vois-lu, des yeux qui sont si mijaure. beaux, si grands, si doux et qui parlent si s'cria le Grand-Cacatois ; bien qu'elle est resie muelte, la parole lui Mijaure, tant inulile. Cette pelile-l, indign. Mijaure ! la petite ! partout o elle Et avec exaltation : passera, vous ramassera les coeurs d'hommes Daniclou, comme les gamins ramassent les berniques coute, mon vieux. Nous j avons roul notre bosse ensemble sur toutes 3 sur les falaises : eux, la peine de se bais les mers et nous avons visit tous les ports ; ser ; elle, rien que par un sourire. S ni toi, ni moi n'avons vu une femme qui soil X Mais, grattant les barreaux de la cage, ce 1 seulement digne de cirer les bottines de la a il mit ce qui excita la fureur de la penuche, petite. Les Anglaises, c'est frais, c'est rose,J, correctif son admiration : j c est tourn comme des Par ,e elle a eu, l'enfant, une. frgates, mince de exemple, taill de 1 arrire ; a :a fichue ide d'acheter celte volaille verte, , l avant el gentimenl qui vous a des cheveux blonds et des esl une mchante bte. Mme que monsieur yeuxx oleus, c'est vaporeux,comme une brume du ! son pre le pre de la demoiselle homme lu matin, enfin... Nous en avons vu, pas vrai, 1 irrilable et nervoso-chimico li, qui s'allume

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comme l'amadou el prend feu comme la poudre, n'a pas pu supporter les grincements de bec el les cris cle l'oiseau dans la chaise de poste. Il me l'a confi pas la voiture l'animal ! Et la petite m'a fait signe de l'apporter ici et d'en avoir soin; ce que j'ai fait ; mme que pour tre sr que ce mauvais oiseau mangerait, je lui ai mis de force du grain dans le bec, pensant lui tre agrable, el je lui ai donn du vin boire ; pour rcompense il m'a mordu au sang et le voil sol comme une grive, ce qui le rend encore plus grincheux. Elle a le bordeau dsagrable, la perruche, dit en riant Danilou; tords-lui le cou, et tu dclareras qu'elle s'est envole. Pour qui me prends-tu ? s'cria le scandalis. La perruche Grand-Cacatois plat l'enfant. Pour lors, cette sacre bte devient une bte sacre comme les ibis d'Egypte! A ton aise, dit Danilou. Et il changea de conversation. Tu sais, lit-il, que j'ai termin les enrlements, les Flambarts ont sign. Tant mieux! dit joyeusement le GrandCacatois. Ces Flambarts, a n'est pas des poules mouilles, et pour ce que nous avons faire... Ces corsaires-l seraient devenus d'honntes Frres de la Clo, si quelqu'un les avait initis. On les initiera! fit Danilou. Mais silence! Tu as une langue... Je t'ai souvent souhait qu'on te la coupe. Merci bien ! Il y aura tout l'heure lancement d'une baleinire roulettes sur la place des Villes. En es-tu? Capeguaille ! Si j'en suis! s'cria le avec transport. Grand-Cacatois On prpare tout, l-bas, un endroit qu'ils appellent les Villes. J'y cours ! s'cria Cacatois. Il vida une bouteille, se leva et prit sa cage. Au revoir ! dit-il, ce soir ! Troun de l'air! quelle bonne ide les Flambarts ont eue de louer une baleinire roulettes. Vat-on s'en donner !

Je compte sur toi pour ramener tout le monde ici l'embarquement ce soir. Sois tranquille. C'est moi qui tiendrai la barre el je gouvernerai rentrer bon port. Et ta perruche t Aie pas peur! Bonjour, mre Keredec! que le diable vous protge ! Il sortit, se dirigeant grandes emjanibes vers les Villes et agaant la perruche en cheminant. La vieille Keredec le suivit du regard le sourcil fronc. Danilou hochait la tle. videmment lui et la vieille avaient une arrire-pense.

Cil APITRE Tue-ta !

V

Lorsque mailrc Cacatois cul disparu, Daniclou regarda la sorcire et dit : Mauvaise affaire ! a s'annonce mal ! murmura la vieille en branlant la tte. Je iu'y attendais. Hier, je suis all au dolmen, j'y ai tu une poule noire, cl j'ai l'ait la conjuration. Le sang n'a j'ai entendu trois pas coul rgulirement, fois le chant de l'orfraie. Ce matin, je me suis fait les cartes, et j'ai vu clairement qu'une femme ferait tout manquer. . Danilou sourit. Tu ne crois pas au sort, paen, dit la vieille en grondant ; lu ne crois rien. a te portera malheur. Je te dis, moi, qu'il y a dans ton jeu une mauvaise carte. C'est la fille de l'armateur. Il embarque, cet armateur, et il emmne la petile ! dit Danilou d'un air sombre. L'homme etlalilleme gnent. Ce vieux, je ne le connais pas ; mais son oeil ne me dit rien debon; je ne le voudrais pas bord de ce brick. Tu ne sais toujours rien du chargement et de la destination ? Rien! Mais qu'importe! Pour recommencer la piraterie, il me faut un bon navire el celui-l me convient. Je l'aurai. Si la femme monte bord, tu ne l'auras pas.

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Je crains en effet que mon matelot ne fasse des btises, aimant cette petite. Ton matelot dfendra la jeune fille... et le comte aussi ! Oh ! celui-l, un enfant... Un fils de lion qui a griffes el dnis ; dlie-loi du Keremforf! Peidi ! Je ne m'en soucie gure. C'est une forte race! prends-y garde, Danilou. Basl! Un coup de poignard s'il le faut, avec une pousse, et le dernier des Keremforf C'est ira prendre un bain pour l'ternit. mon matelot qui m'inquite le plus. Tuc-lc aussi! fit la vieille avec un regard d'indicible frocit. Danilou tressaillit. Je te l'ai dit, lit la vieille en haussant les paules, le jour o tu hsiteras verser le sang d'un homme, lu seras perdu. Je l'ai lu ton avenir dans les astres, clans le creux des vieilles pierres druidiques, sur les lignes de la main et sur les lches de Ion sang coulant dans l'eau bnite. T'ai-je jamais

Eh bien? demandait la vieille. Et Danilou rpondait : La petite retourne Morlaix cheval, pour y chercher je ne sais quoi ; elle est escorte par un homme venu du brick et qui a un air militaire. On dirait un officier tranavant la nuit. ger. Il reviendront La vieille grimaa un sourire. Il ne faut pas qu'elle embarque ! lit-elle en branlant la tte. la mre! dit mystSoyez tranquille, rieusement Danilou. Du mme coup, la fille et le pre la cherchera. Le nadisparatra, vire ne saurait rder longtemps ainsi sur nos ctes sans risquer d'clro accost par un aviso de l'Etat. Il faudra qu'il parle sans l'armalcur... les choses pour cola. J'arrangerai Et avec une sombre nergie : Une fois encore, j'aurai sous les pieds un bon brick, et je pourrai courir grand largue aprs la fortune. Des millions, cette fois! dit la vieille, avec une conviction profonde. Puis avec sollicitude : Que vas-tu faire ? tromp? Je Eh! fit Danilou, prendrai avec moi l'un des frres, je vous le rpte, je et ce soir, au retour de la polilo, dans le rane crois pas vos sorcelleries, la mre ; vous vin des Souhaits, nous ferons son affaire m'avez prdit un avenir que j'ai ralis, parce l'homme Quant elle, qui l'accompagne. qne j'ai de la poigne cl du courage ; mais a tonnerre et sang, c'est un morceau de prince! ne prouve rien. Tais-loi, dit la vieille avec une tenLa lvre do Danilou se releva laissant nu ses terribles dents. dresse maternelle qui rendait sa voix sup A ton aise petit, dit la Keredec ; il faut ne provoque pas le sort par tes pliante, dfis. bien que jeunesse se passe. Quand tu auras Soit! Je ne veux comme moi tes cent ans, tu ne penseras plus pas vous contrarier. Du reste, nous sommes d'accord, puisque l'enfant pour qu' l'or. Mais o cacheras-tu l o vous voyez un danger, je vois un pril. qu'on ne la trouve pas ? ' En ce moment Danilou Il en manque bien cle grottes o l'on aperut un canot se dirigeant vers Sainte Barbe. peut murer un cadavre avec des blocs de Tenez, la mre, dit-il granit ! dit Daniclou d'un accent sauvage. joyeusement, Un cadavre... voil qui conjurera la bonne heure ! fit la les mauvais peut-tre vieille. Il n'y a que les morts qui ne parlent prsages. ' La vieille Keredec se lova, son oeil pas. Au revoir, la mre, et ce soir. s'illumina en voyant l'embarcation et une Amuse-toi bien et tue-la ! femme bord. C'est elle ! murmura la sorcire. Elle recommandation fut faite Cette dernire ne part donc avec tendresse. point, puisqu'elle dbarque ! Je vais le Danilou en fut touch. savoir, dit Danilou. Il sortit Elle m'aime, la vieille ! murmura-t-il en prcipitamment. Une heure aprs, il rentrait en toute hte. sortant. Vrai, je ne m'en dbarrasserais pour

L'HOMME avoir son magot qu' la dernire extrmit de la misre. Et il s'loigna rapidement la recherche du senor, un drle sinistre, avec lequel il quitta Roskolf. Pendant ce temps, les Flambards lanaient la baleinire roulettes.

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CHAPITRE

VI

La baleinire roulettes. Au moment o le Grand-Cacatois, portant sa perruche, arrivait sur la place des Villes bonde cle monde el remplie de rumeurs, un charriot tran par huit chevaux faisait son entre, conduit par matre Ploudec. Ce char portait une baleinire longue de dix mtres, borde de ses avirons, pavoisc cl fleurie. Les chevaux taient enguirlands et enrubanns; les bancs et les leves cle la baleinire disparaissaient sous les tapis; unebande de filles qui avaient orn le char, suivaient matre Ploudec ; elles avaient endoss les habits des grands jours de fte et de procession qui se lguent de mres en filles. Toute la population, assemble aux Villes, salua par des hourrahs l'arrive cle la baleinire roulettes; les coeurs battaient; on se les grands jours du temps des rappelait corsaires, le nom illustre des Balidars, pre et fils ; et l'on se demandait si les exploits de celle fameuse poque allaient recommencer. Hourrah pour les Flambarts ! ' Bravo pour Danilou Tous les chapeaux saluaient les corsaires. Matre Ploudec avait pris son sifflet pour prsider la crmonie de la bndiction qui venait de finir ; forbans et Flambarts se rangeaient dj devant le cur qui s'en allait avec une bonne aubaine, quand une voix de stentor cria : Eh! capeguaille, une minute, les amis ! On ne drape pas les uns sans les autres. Place, camarades ! Au mme instant, un homme qui faisait obstacle au nouvel arrivant, sautait en l'air, lanc dans l'espace parla main libre du Grand-

Cacalois, qui, distribuant des bourrades, se faisait large passage. 11 apparut aux yeux bahis de Ploudec el des Flambarts, portant sa perruche qui poussait des cris aigres el perants. Qu'est-ce que celui-l? demanda Coudic intrigu. a, fit le Parisien, c'est le Grand-Cacatois, matre d'quipage, matelot de Danilou !... Est-ce que c'est sa perruche qui siffle les commandements? demanda d'un air narquois Coudic. Camarade, dit le Parisien, tu me sembls un bon Breton ; je vais le donner un conseil. Ne blague jamais le Grand-Cacatois. Il t'en cuirait. Ploudec,qui est matre de droit, l'ayant toujours t avec Balidar el les autres capitaines, ne va pas lui cder le commandement comme a. Il le prendra. Dj Cacatois avait pose sa perruche sur l'avant de la baleinire, et il avait saisi son sifflet. Matre Ploudec, suffoqu de celle prtention, cria : Dites donc, vous, l'homme la perruche, esL-ce que vous auriez la prtention de commander la baleinire ? Un peu, mon neveu ! Troun cle l'air ! est-il drle celui-l! s'cria le forban. Est-ce que je ne suis pas le matre en l'absence de Danilou? Pas vrai, les autres? Il s'adressait aux forbans qui approuvrent. Mais le chef des Flambards avait son amour-propre. Et moi j'ai toujours command la baleinire roulettes du temps cle Balidar. Pas vrai les autres? fit Ploudec. Ils s'adressait aux corsaires qui appuyrent cette affirmation. Balidar est mort, dit Cacatois. Du reste, si tu n'es pas content, tire ton couteau et nous allons voir qui de nous deux mourra? C'est les forbans. l'usage, dclarrent Si l'un de nous se croyait plus fort et plus adroit que Danilou, il le provoquerait, et, I s'il le tuait; il serait capitaine sa place. Si

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libre f , alors il faudrait jouer a au couteau entre Ploudec veut lutter avec Cacatois, vous deux. lui. Ploudec fut ne s'y opposant, Personne La population haletante coutait ces transecond matre, ce qui fut pour lui une fiche de principes avec une moges dclarations cle consolation. tion profonde ; les plus belles filles de Ros Eh ! les Flambarts, disait Cacatois, vous koff s'taient rapproches pour regarder la ne me connaissez trouver bataille ; d'aucunes commenaient pas encore ; mais vous bel homme. le Grand-Cacatois bagasse ! je vous le dis. m'apprcierez, Tenez, vous tes des lurons; mais il n'y en a Ploudec, vieux garon, tait, quoique un il le lovelace de Roskoff; pas un qui soit capable de faire tanguer et peu grisonnant,, comme moi. rouler la baleinire roulettes avait pour lui les pices de cent sous et sa Dfaites les traits des chevaux. vieille gloire. Tous les Flambarts, fils cle On obit. Neptune, taient les enfants gts de Vnus ; Oh ! les belles filles ! commanda-t-il, mais leurs actions baissaient depuis quelmontez voir l-dedans ! ques jours. Il en prit une galamment et la posa sur un Les forbans, avec leur mine trange el les et lui avoir bruits mystrieux banc, non sans l'avoir embrasse qui couraient sur eux, les tentaient les Eves forbans, fruits nouveaux, pinc le mollet. Six autres jeunesses, amoureuses de plairosko viles. un intrus, Cacatois, El voil queCacalois, sir, se firent hisser dans la barque, qui se trouva monte par un joli quipage ; car les l'un des forbans rivaux des corsaires, voulait Boskovitessont en face de tous! charmantes. s'emparer du commandement Le gant marseillais se glissa sous le char C'tait humiliant ; qu'en auraient pens les filles? qui pesait bien deux tonnes avec son char: on et il se mit quatre pattes Ploudec n'tait pas homme reculer. 11 gement, tira son couteau crnement. peut employer le mot pour pareil gorille ; la foule regardait curieusement. Fort heureusement, Perros, homme pruOn vit alors la longue chine du Prodent, se jeta devant lui ; il avait calcul les en clos de tigre et souvenal se recourber chances, il avait vu sauter en l'air le gars tantt un lever le char auquel elle imprima que la main de Cacatois avait saisi : il jugea violent, roulis, tantt un tangage qui seque Ploudec serait tu. Un instant ! dit-il. Pas cle malentendus. couait l'quipage. Et les filles de crier ! Et la foule cle rire lu n'es pas raisonnable. Voyons, Ploudec, Si quand tu tais l'ami, le matelot cle Baliaux clats ! C'tait l, comme tour de force, une dar, on avait voulu commander l'quipage en ton absence, tu te serais fch, pas vrai? prouesse inoue, un miracle prodigieux. Aussi quand le Grand-Cacatois sortit de Or, Cacatois, que voici, est matelot cle DaPar consquent, dessous le char, fut-il acclam avec frnil nilou, notre capitaine. est dans son droit. Donnez-vous sie. la main, Ploudec lui-mme, ne se sentant pas de vous tes deux braves, soyez amis ; a vaut mieux. force, rendit hommage son rival en termes flatteurs : Ploudec fut frapp de la justesse du rai Cacatois, dit-il, sonnement ; il remit son arme sa ceinture tutoyant familirement le gant, tu es aussi fort qu'un chameau ! l dans sa gaine. C'est vrai! fit-il. Le droit est le droit ! Je n'avais jamais vu a. | Bagasse ! tu en verras bien d'autres! dit matre d'quiCacatois, je vous reconnais Cacatois en prenant son sifflet. 1 Page. ' Et moi Et il cria de sa voix tonnante l'quije te nomme second matre ! fit Cacatois en rengainant aussi. A moins que page : Elos-vous quelqu'un ne veuille te disputer le grade ; pars?

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Oui ! de ce corps sveite, ondulant, aux fines atrpondirent les matelots, ta taches, au galbe pur, parfait en ses harmo'Envoyez ! fit-il. Corsaires et-forbans envoyrent littraleni surtout par le model du nies, remarquable ment dans la barque autant de belles filles cou co et la superbe tonte d'paules qui sans scrupules, qu'il en fallait pour que ctiaan annonait la force dissimule sous l'lgance cun et sa chacune ; puis les marins escalades de formes. drentTchar. . La tte, encadre de boucles blondes, se Ploudec saisit le fouet, matre Cacatois de dorait de leurs reflets joyeux, et sa beaut rs prit les rens,-le peuple ouvrit passage, et miroitantes de rayonnait des splendeurs la baleinire :roiiletles s'branla. cette chevelure insoucieusement ce porte Largesses ! la mode bretonne ; cette lumire mordore largesses ! hurlait la foule; L'usage, au temps de Balidar, tait de et gayait. seule cette physionomie toujours lancer des drages, de la monnaie de bilde douce, mditative, dont l'oeil bleu, limpide et profond, refltait des tendresses infinies, lion, voire quelques pices d'argent du haut de la baleinire. d< dont la bouche, d'un dessin distingu, Les Flambarts s'taient munis de "gros a' avait le sourire mlancolique de ceux qui ' -'' sous^ n n'ont jamais prouv les joies de la vie. Il en tomba une pluie sur la population, IV Mais les lvres taient quelque peu ddaiet l'on vil l tourbe du port se battre jusque gneuses, ce qui dnotait de la susceptibilit; g sous les roues d char; ce qui provoqua une du d jeu mobile des narines, de certaines contractions rapides du front, de flammes pash joie exhilarante dans la foule, surtout quand on eut retir un mendiant clemi cras de sant dans le regard comme des clairs dans s dessous la voiture. u un ciel bleu, on pouvait conclure des En ce moment, au dbouch d'une rue, transformations l soudaines de cetle nature Ploudec aperut le comte Henry en magni-r s sous le coup de fouet de la colre rapide: . ;. r ment excite par l'injure. fiqe costume breton.' Le jeune gentilhomme apparut splendide Le comte Henry tait, en effet, d'utie fiert, aux yeux de la foule, et il fit une impression disons mieux, d'un orgueil ombrageux ; l'of ' .. 1 fenser, c'tait s'en faire jamais un adverprofonde. , s Le comte tait un cle ces typs blonds saire, dont rien ne saurait arrter les vencomme on en rencontre quelquefois en Bre^- { geances. Du reste, la devise de la race avait toujours t : Douce aux amis, implacable tagne, et qui semblent incarner le gnie d 1 aux ennemis. Le profil du comte Henry . cette nation, la fois tendre, dvoue, ar'donnait rflchir ceux qui, l'ayant abord dente, obstine, cruelle par fanatisme, gd'abord rmarqu ,que nreuse par' lans, superlitiuse jusqu' lai de face , et-n'ayant du: regard, auraient purilit et capable de toutes ls audaces; ; l'extrme bienveillance lorscme -l'on s'arrte en face d'une des ttes 5 cru se trouver en face d'un jeune homme de d'homme o'de femme qui semblent per- - facile composition. La silhouette de ce sinsonnifier cette race, l'on en subit le charme 3 gulier jeune homme se dcoupait hardiirrsistiblement un front ; toutes ces qualits contra- - ment, dessinant un nez aquilin, dictoires se fondent en une harmonie d'une e tmraire, un de ces fronts de corsaire ou a grce incomparable, l'attrait de laquelle on de condottieri qui dfient". la mort et resne rsislepas. tent levs devant tous les prils. Le comt' Henry possdait au suprme e Calme, insouciant, riant en face du dandegr ce prestige ; il fascinait invincible- - ger, le comte Henry devait tre emport ' ' ment. jusqu' la frocit lorsqu'on l'outrageait. Tel tait le gentilhomme Qu'on s'imgine-un jeune homme de vingt-t- J qui venait de j deux ans; mince, souple, lanc comme un I s'engager matelot sans savoir quel navire il n j roseau des Salines. Un artiste et tudi I monterait; i mais il se doutait bien que ce avec admiration les belles lignes allonges3s |J serait le brick aux singulires allures dont

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la coque noire assombrissait un coin 'de l'horizon. Comment le comte Henry en tait-il rduit cette extrmit? L'HOJIMEDE BUONZE. 4

la Bretagne et son Ceux qui connaissent histoire le comprendront ; la noblesse bretonne fut toujours pauvre ; elle vivait de ses maigres terres, les cultivant ordinaireAu PAYS DESSINGES. 4

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nient cle ses propres mains. On vit toujours \ ivrogne, sournois, mauvais gars, paillard, aux Etats de la province plus cle nobles en avide, avare s'il avait eu de l'argent, superssabots qu'en souliers, c'est un fait historititieux un point inimaginable, mais parfait valet pour le comte Henry, 'son camaque. Bien d'tonnant ce que les Keremfort rade, du reste. fussent sans ressources, une poque o C'tait une singulire association. ils ne voulaient plus se faire soldats. LgiKarigoulet tait familier jusqu' discuter tous les actes du matre ; mais celui- ci n'ettimistes, ils boudaient depuis 1S30. Le pre du comte Henry, mourant de misre et il pour dner qu'une soupe au sarrazin, dans une cuelle de bois, que Karigoulet, debout, d'puisement aprs la tentative de la duchesse cle Berry, laissait son fils orphelin tte nue, et servi monsieur le comte resles la charge d'une famille de paysans, pectueusement. autrefois ses tenanciers ; il ne Karigoul, Cependant si le comte, distrait, ne sonlui lguait rien que l'honneur et la dfense geait pas laisser son domestique, gros de servir les d'Orlans. mangeur, les trois quarts de la pitance, Le comte fut le premier de cette famille Karigoulet poussait des grognements et faisait entendre des protestations. cle soldats qui se fit matelot; il tait du reste dj un bon marin, s'tanl accoutum Ce trait donne une ide de leurs rela la mer, sur les bateaux de pcheurs, tions. ; avec les Karigoul s. Du reste, Karigoulet tout entier tait au Ces Karigoul, qui avaient lev le comte, comte, depuis la pointe des cheveux justaient de fort braves gens, dvous aux qu' l'extrmit des ongles. Karigoulet saKeremfort de temps immmorial ; ils avaient . vait qu'il ne s'appartenait pas; sa peau, accept la charge qui s'imposait eux, et crasse comprise, tait Henry de Keremils avaient fait de leur mieux ; ils avaient fort; celui-ci et vendu ladite peau n'imdonn leur fils cadet, Karigoulet, comme porte qui, que Karigoulet n'et pas _protest; mais le comte Henry tenait extraordomestique au jeune comte, ce qui mardinairement son valet qu'il rossait nanquait son rang ; toutefois le gentilhomme moins consciencieusement avait d travailler tout autant que son valet chaque fois que les l'occasion s'en prsentait, c'est--dire sur le peu de lerre que possdaient quand s'enivrait au point cle ne plus Karigoulet Karigoul. Mais une terrible pidmie de fivre typouvoir servir le comte table, ou quand ce dernier entendait quelque fille crier au phode tait venue s'abattre sur les masures de l'le cle Siek, et elle avait emport en secours contre les entreprises du gars. Au demeurant, le matre et le valet taient trois mois tous les Karigoul, except le les meilleurs amis du monde. comte el Karigoulet. Nous oublions de dire que Karigoulet Lorsque la fivre entre dans les taudis il n'y a tait laid faire peur, coutur de petite bretons, elle n'en sort que'quand vrole, et que sa grosse tte ronde pouplus personne Luer ; elle avait fait grande vantait les femmes, avec ses normes yeux grce en laissant vivre Henry de Keremfort taient avec sa et son valet. Aprs ce dsastre gris, saillants, toujours effars, bouche largement fendue et sa tignasse venues la famine et la ruine absolue pour bouriffle. ces deux jeunes gens, incapables d'exploiensell ter les landes de la famille. Court, rbl, trapu, rugueux, comme les poneys bretons, il en avait la C'tait Karigoulet qui, le premier, avait vigueur ; il tait redoutable clans une lutte propos cle s'enrler comme matelot; celle ide avait souri au comte. par la faon dont dont il tenait coup ; battu, Le Karigoulet tait un Breton rouge de cras, rou, pil, il se relevait; quand il ne pouvait plus se servir du poing ou du poil, ttu et vicieux comme un petit cheval du pays, dur au mal, infatigable, querelleur, pied, il mordait; broy, rduit l'impuis-

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les filles de l'sance absolue, laiss pour mort, il recomaccessible l'entranement; taient jolies; la tradition rappormenait quinze jours aprs la premire quipage tait que les plus grands corsaires avaient rencontre avec son adversaire. tait-ce un mauvais gars ? aim se montrer Morlaix dans la baleinire roulettes ; mille voix poussaient le Oui, certes. Etait-ce un mauvais homme ? comle, et les fleurs qu'on lui lanait du Peut-tre. char l'inondaient. Mais quel valet ! Il cda cette invincible pression cle la Derrire son matre, il paraissait il bondit tout fier masse, et, clans un lan gracieux, sur la baleinire. d'un costume cle toile neul et du bon accueil faisait au comte. Derrire lui, on hissa le dernier des Karique la population Car on aimait, en Bretage, Roskoff sur - goul, qui, malgr sa force, ployait sous deux sacs de monnaie. tout, celle vieille famille des Keremfort ; en sachant l'indiffrence cle son abanKarigoulet, voyant son dernier rejeton pauvre, matre propos d'argent, sous le suaire do la mis'tait avis cle donn, s'leindre avait fait sre, plus d'une me charitable trafiquer. Il avait chang les pices d'or contre de l'argent cl bnfici du change qui esl des VCJOUX de cette race pour la rsurrection o les louis taient ralev, en Bretagne, antique et fre. res. Et voil que le jeune comte surgissait et en costume soudain, Cependant il avait rserv le quart en or. paysan toujours, se flicitait do sa spculalion, national ; mais superbe, triomphant, Karigoulet royatout en suant sous le fardeau de 100 kilos lement beau. Sa magnifique tte blonde rayonnait avec qu'il portait. Il n'avait pas, il est vrai, beaucoup en proun clat dont les femmes taient blouies , les sacs comme tous les coeurs volaient vers lui, et, comme pre; toutefois, il considrait lui appartenant un peu ; le comte, du reste, aux seigneurs d'autrefois, les voix fminines l'avait gnreusement d'un habit crirent : gratifi Nol ! Nol Keremfort ! neuf cle valet de ferme. Grand-Cacatois lui-mme fut frapp de Karigoulet, au comble de la joie, tressaillant d'aise et d'orgueil, s'tait assis sur ses l'aspect du compte. Bel oiseau, ce deux sacs et distribuait de l des baisers paysan-l, dil-il Plouses voisines de droite et de gauche, quand le dec. a ferail un bien joli capitaine flibuscomte Henry fit lover le drle, car le peuple tier. Ce n'est s'tait remis crier : pas un paysan, mais bien un Nol Keremde Plormel ! rcponcomte, par Noire-Dame .Largesses! largesses! i dit Ploudec. Et il fait partie de l'quipage ! fort! Largesses ! Alors ce sera le roi de la "> Matre Ploudec, sur la masse commune fte, le capifaite par les corsaires, envoyait des sous et j laine de la baleinire roulettes ! dit Caca' lois avec enthousiasme. a lui est d comme quelques rares picettes de vingt centimes ; au plus joli garon de nous autres. mais le comte tait de trop bonne maison, Le peuple savait que le comte s'tait enpour ne pas prodiguer l'argent. D'un revers de main, il fit dresser Kariag, il voyait revivre en lui les corsaires : d'autrefois. goulet sur ses pieds et lui enjoignit du geste La foule cria : de dlier les sacs. j| Dans la le comte ! A lui la baleinire, Karigoulet regarda son matre d'un air hPlace de Balidar ! bt ; toutefois il obit, esprant r>in que le ' Et les tonnerres roucomte s'arrterait aprs une ou deux poid'applaudissements lrent cette invitation. ; gnes lances la vole sur la canaille ; Le comte mais il n'en fut rien. Henry n'avait nullement pens prendre part cette fte ; mais il tait jeune, De Keremfort, puisant pleines mains,

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inonda littralement la rue ; ce fut pour la foule un blouissement ; le soleil faisait resplendir les grions de cette averse d'argent ; les de joie dchirrent des rugissements poitrines, et les plus ddaigneux jusqu'alors se disputrent cette riche aubaine. Du haut du char, on ne voyait plus qu'une mare mouvante de dos ondulants ; tous se baissaient avides et rapaces ; les hommes touffaient les femmes, qui mordaient avec rage et tiraient par les cheveux ceux qui les bousculaient ; les enfants taient fouls aux pieds sans piti. Karigoulet s'tait empress de sauter au milieu de la foule, pour prendre sa part cle cette aubaine, et il tapait dur, pour courir aux bons endroits. Il y a aujourd'hui Roskoff plus d'un nez pat qui date cle cette fle-l. Dcidment, la grande tradition revivait ; c'tait comme du temps de Balidar; le grand corsaire, lui aussi, avait jet les cus pleines mains. Nol ! Nol Keremfort ! Il tait vraiment superbe cette heure. ce jeune homme, debout au milieu de l'quipage, dans la pose lgante du jeune pcheur vnitien de Lopold Robert. Autour de lui, les rudes ltes des forbans, contrastant avec les charmants visages des filles roskoviles, composaient un groupe d'un effet pittoresque et saisissant. Le vieux Ploudec, brandissait son fouet, avait un relief qui tranchait sur le fond du tableau, et formait pendant au Grand-Cacatois, qui, debout, guidait l'attelage cle huit chevaux, pareil ces dmons que, dans les scnes cle sabbat, on voit conduisant grandes guides les chars fantastiques. Derrire la baleinire, la foule hurlante et dchane se ruait houleuse la poursuite de la voiture que Ploudec lanait au galop de temps autre. Le soleil dorait de ses rayons tincelants cette scne bizarre, sauvage el d'un grand caractre, qui rappelait les grandes ftes du moyen ge, mariages, triomphes ou entres des ducs cle Bretagne dans leurs bonnes villes. Les costumes n'avaient mme point chang.

C'est dans ce milieu prestigieux, dans une s atmosphre sature de l'ivresse gnrale, enlour cle son terrible quipage et enlac e d'un cercle de belles filles; c'est sous les \ c cle fleurs et sous les flammes guirlandes f flottantes des pavillons, c'est dans tout son prestige enfin que le comte Henry de Kerem\ fort apparut pour la premire fois l'hrone f cle ( ce roman. Elle le rencontra tout coup au dbouch du < sentier qui conduit de la Fontaine d'Amour Saint-Pol-de-Lon, en rejoignant la roule de Morlaix par derrire Roskoff. Elle avait suivi ce chemin avec son cavalier. Le choc qu'avait reu le comte en entrevoyant la jeune fille clans la chaise de poste, elle le subit aussi rude, aussi violent, aussi foudroyant, quand elle vit cle Keremfort roi de celte fte potique. La loi des contrastes, du reste, condamnait ces deux jeunes gens s'aimer. Il tait le type le plus parfait, le plus lgant des blonds ; elle tait l'idal des brunes. Ce qu'en avait dit matre Cacatois tait la vrit, la vrit nave, la vrit potiquement exprime par une nature inculte. Cette enfant n'tait pas une femme, mais la femme : Eve en cheveux noirs. Petite comme Cloptre, elle avait la taille ronde des Vnus grecques, et la hanche se rvoltait dj contre l'emprisonnement des elle disait audacieusement mille jupes; choses piquantes par les indiscrtions de ses courbes rebelles," que les plis cle la satinette cherchaient en vain cacher. Autre insurrection ! La gorge soulevait le corsage avec une effronterie ingnue, dessinant des contours naissants qui faisaient des roses, s'ousonger l'panouissement vrant pour la premire fois aux baisers du soleil. Les paules tombaient avec une grce lgante, le col avait la riche parure du collier de Vnus et les magnifiques attaches que l'on admire dans la statuaire antique; de l'ampleur du cou, on pouvait conclure au model de la jambe, en raison des harmonies naturelles ; du reste, le genou s'arron-

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si finement qu'il semblait trouer la jupe, et matre Cacatois avait dit du pied, qu'il etfait envie aux filles de Canton ; quant la main, mignonne et potele, elle montrait ses fossettes sous le gant. Ce corps, divinement form pour l'amour, tait couronn par une tte merveilleuseet en mme temps ment candide, gracieuse fascinalrice. Sur les pas de cette enfant, le dsir naiscle sait, inspir par les charmes provoquants la dmarche, du geste et des poses. Se retournait-elle par hasard? Le ravissant sourire de l'enfant chassait les songes amoureux auxquels l'attrait de la femme avait donn l'essor. Le type de celte physionomie dont le peintre Hamon s'prit, rappelait celui des aimes de l'Inde : mmes beauts tranges, originales dans les traits, mme langueur clans les yeux noirs agrandis par les cils soyeux, d'un reflet bleutre, qui en prolongeant l'arc lgrement relev aux temps. Rien ne saurait rendre l'expression de ces de yeux, qui dcelaient l'origine orientale cette enfant; elle avait ce regard de gazelle ceux-l seuls qui l'ont adque connaissent mir sous le haque des Mauresques; regard dont les ardeurs se noient sous incomparable, le voile diaphane et iris d'une larme, tendue comme une rose limpide sur le diamant noir de la prunelle. Autre signe annonant la race : le nez, firement dessin, avait celle nettet de coupe la beaut des qui donne tant de caractre Tsiganes ; le menton dcrivait un ovale termin par une lgre dpression o l'on et voulu poser cent baisers ; le front droit prodes tempes bien fuyantes de jetait au-dessus superbes artes, signes de volont intelligente. Ce front, plein de promesses d'nergie, etaitbas comme celui des Grecques d'Athnes, mais noble, droit et se prolongeant extraordinairement sous la luxuriante fort de cheveux qui l'envahissait, dissimulant ce dveloppement extraordinaire des facults intellectuelles. Cette enfant devoir que l'on pressentait tre caressante et souple au bras d'un amant,

pouvait devenir une hrone, comme Porcia, aux heures critiques du dvouement. A l'aspect de cette belle fille, le Grandle comte le char; avait arrt Cacatois Henry avait cess de jeter sa pluie d'argent; Ploudec restait le bras lev, oubliant cle fouetter ses chevaux ; la foule demeurait dans un les forbans admiraient immobile, silence presque respectueux. de l'impression Sans se douter qu'elle causait, elle semblait se demander pourquoi tout ce monde demeurait la bouche bante ; quand son regard croisa celui de Keremfort, elle rougit, baissa les yeux, puis les releva en souriant au jeune homme. Entre eux, il y avait eu l'lan subit, viod'amour des clairs qui lent, irrsistible d'un coup de foudre de la pasjaillissent sion. l'homme Quand une femme a rencontr pour lequel elle est faite, ne l'et-elle vu cent ans, elle ne qu'une ibis et vivrait-elle l'oublie jamais. Elle demeurait mirant ses l, tonne, yeux noirs dans les yeux bleus du comte ; le cavalier, dont elle tait accompagne et qui certainement tait un homme distingu, de cette contemplation, peut-lre s'aperut la jeune car d'un signe, il fit comprendre fille qu'il fallait partir. En ce moment, matre Cacatois tirait firement la perruche cle dessous un banc, et il la montrait en criant : As pas peur, la pelchioune, j'en aurai soin. Il supposait que la fille de l'armateur s'occupait cle l'oiseau. Celle-ci remercia le forban d'un gentil hochement cle tte et suivit au galop son cavalier dans la direction cle Morlaix. Deux fois pourtant elle se retourna pour voir le comte. Matre Cacatois, croyant que les regards s'adressaient lui, au sujet de la perruche, montrait la cage et criait toujours : As pas peur, j'ouvre l'oeil au bossoir de la cage. N'y aura pas d'avaries.... La jeune fille avait disparu au coude d'une route, qu'il bramait encore ses assurances.

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Enfin, replaant la cage sous un banc, il dit matre Ploudec : Pas vrai, vieux farceur, qu'elle n'a pas sa pareille au monde? Troun de l'air! Qu'elle est gentille et mignonnette ! Si j'avais une fille comme a, dit Ploudec clans son enthousiasme, je me croirais plus qu'un amiral et je ne saluerais plus personne... terre, s'entend. Tchons de la revoir ! dit Coudic. Le soleil resplendissait, ; cependant il semblait tous ces marins que la lumire tait moins' intense depuis la disparition de la jeune fille. Il s'tait fait de l'ombre dans les coeurs de tous ces hommes. Ploudec brandit son fouet dont il cingla les chevaux. Le grand Cacatois rendit les rnes, et l'attelage, enlevant le char, partit au galop dans un tourbillon cle poussire. La foule glapissante se rua sur la piste ; Roskoff, eh masse, courait derrire la baleinire roulettes. Mais bientt se dtacha, en tte de la multitude, un individu qui avait eu cette ide pratique de retourner sa veste et sa culotte, probablement pour ne pas salir ses vtements en se roulant sur la terre pour ramasser les pices. C'tait le dernier des Karigoul. Avec une vigueur de jarrets et. une puissance de poumons phnomnale, il parvint jusqu'au char, l'atleignit et se suspendit l'arrire. Personne ne prit garde lui ; tous les yeux taient braqus sur la route de Sainlcherchant ce soleil de beaut Pol-de-Lon, qui avait illumin la fte, comme disait Cacatois dans un lan d'enthousiasme ; mais il fallut renoncer tout espoir cle rejoindre la jeune fille. Elle et son cavalier venaient de s'engouffrer dans la vieille ville, qui s'agi lait dj la nouvelle qu'une baleinire roulettes tait en route. En ce moment une voie enroue et parfaitement isole criait : Largesses ! Cet appel de fonds partait de dessous la baleinire. La foule tait loin derrire. Coudic, tonn, se pencha et vit, sa

grande stupfaction, Karigoulet suspendu sous le char et criant tue-tle : Largesse ! Nol Keremforl ! Le dernier des Karigoul avait prouv un tel dsespoir, en voyant son matre dilapider son trsor en gnrosits .insenses, qu'il s'tait, comme on l'a vu, jet bas pour ramasser sa part de monnaie. Fort, brutal, sans scrupule et insensible aux coups, Karigoul avait les poches pleines. Se voyant seul de tous ses concurrents, il pensait le moment venu de faire une bonne rflc, et il clamait : Largesse! Coudic indigne empoigna le fouet des mains de Ploudec, et il administra une vole terrible Karigoulet, qui poussa dos cris de porcchaud, mais qui, martyr de la tnacit bretonne, ne lcha point prise. On l'et, assomm qu'il n'et point abandonn son poste. De guerre lasse, Coudic renona frapper. Par la bonne Vierge d'Auray, dit-il, en voil un qui a les ctes dures! Qu'il demeure, puisqu'il se trouve bien l. 11 n'aura pas vol son argent. On voyait dj les gens de Saint-Pol accourir. Mes enfants, dit le Grand-Cacatois, ici que ceux de j'ai une ide.'Attendons Saint-Pol se rencontrent avec ceux de Roskoff, et nous jetterons de la monnaie entre les deux partis. Ou je suis aussi bte qu'un pcheur cle Marligues, ou il y aura une fameuse bataille. a y est ! dit Ploudec. Hourrah ! s'crirent les forbans. Bataille ! bataille ! Le char s'arrta. Cependant le comte, assis l'avant de la baleinire paraissait absorb clans ses penses ; il ne s'associa pas l'ide de Cacatois, et celui-ci le voyanl perdu dans son rve, dit en riant : Capeguaille, il en lient pour la petite Pendant qu'il y pense, moi je vais faire la distribution. EL ce grand diable d'homme prit place au milieu du char, un sac d'une main, l'autre pleine de pices.

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Les deux villes loul entires, hommes, mendiants et femmes, enfants, vieillards, haletantes. chiens, accouraient se heurter Six mille personnes allaient autour du char, tout cela suant, grouillant et respirant une vieille haine de cit cit, qui durait depuis plus de cinq sicles. Les corsaires et les forbans flairaient dj avec joie le combat invitable qui allait se drouler sous leurs yeux ; matre Cacatois le prpara d'une main savante. Les Lonais, en avance, allaient invitablement entourer le char, quand le Provenen avant et disal, pour les maintenir la tte des tance, jeta au loin, par-dessus chevaux, une- pince cle pices. Ceux qui tenaient la tte, poussrent une sur l'argent; joyeuse clameur et se jetrent mais les gens qui taient derrire eux, vagues humaines poussant des vagues, passrent tomces dos baisss, par-dessus brent, roulrent, furent des obstacles leur tour pour les rangs qui suivaient, et en un clin d'oeil il y eul amoncellement de ltes, de bras, de jambes, de jupes et cle pantalons, le tout rugissant et se dmenant avec rage. Le Grand-Cacatois lana une seconde pince de pices qui mit le comble la confusion ; on eut dit une iburmillire grouillante, dans tout le l'eu du remue-mnage qui suit la dmolition du petit difice par le coup de boite d'un promeneur. Mais les Roskovites tendant arrivaient, des langues de chiens enrags, les flancs . tirs et les joues creuses. Us s'indignaient se de voir l'es Lonais sans eux. partager l'aubaine arrta net Cacatois, savant stralgiste, en envoyant der; l'avant-garde roskovile, rire le char une poigne de biilon seme l de picettes. Et en un' instant, la scne qui s'offrait l i savant de la baleinire la se rpta (i poupe. le dernier des comique, ^ Mais, incident - ivangoul, dsesprant cle pntrer par-dessus le groupe compacte des Lonais, Karigoulet, qui avait bondi de dessous le char, cherchait en vain 'pnlrer, s'ouvrir un pas-

sol o gisaient les pices; on sage jusqu'au voyait son habit retourn primer les autres ; les coups de poings et de talons que donnait le valet de Kerenfort ne lui ouvraient point passage travers les gens cle Lon ; pendant qu'il cherchait en vain faire sa troue, ayant guign cle l'oeil vers le char, il s'aperut que matre Cacatois lanait de la monnaie aux Roskoviles. Karigoulet bondit de leur ct. Au mme moment, Cacatois distribua une nouvelle pince de monnaie aux Lonais ; lit volte-face; mais, impartial, Karigoulet Cacatois bombarda les Roskoviles d'une averse de biilon. Karigoulet dsespr, pareil l'ne entre deux picotins, demeura indcis, effar, stupide, ce qui souleva des rires homriques dans la baleinire. Mais, peu peu, Cacatois avait jet pices et gros sous moins loin; les deux foules touchaient au char ; elles se menaaient dj. En ce moment, les marins entrans ouvrirent d'autres sacs et se mirent de la partie ; les filles voulurent s'en mler aussi. Cacatois commanda la manoeuvre. Un coup de sifflet strident fit lever toutes les ttes. Les deux populations, hostiles l'une l'autre, se heurtant presque dj autour du tenant un char, virent le grand Provenal louis entre le pouce et l'index; l'or rutilait au soleil. Le forban semblait tre en ce moment Satan tentateur, ayant autour de lui un cortge de dmons et cle jolies diablesses. Attention ! cria Cacatois. Les deux foules frmirent. Le silence tait profond. tes-vous pars? demanda le GrandCacatois. Oui ! rptrent les forbans. Oui! rugirent les Lonais et les Roskovites. Envoyez ! ordonna Cacatois ; et, donnant l'exemple, il lana la pice d'or, qui fut accompagne d'une vritable grle de biilon, tombant autour du char. Une clameur monta vers le effroyable ciel ; les Roskovites et les Lonais se jetrent les uns sur les autres avec furie ; jamais I bataille de loups et d'ours se un disputant

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cadavre, jamais combat de tigres et de lions ne produisit une mle plus atroce. Les mains crispes s'enfonaient dans les gorges, les dents coupaient les chairs, les pieds broyaient les membres ; les blasphmes couvrant les rles ; le sang retentissaient, teignait la route, et les forbans se tordaient dans les spasmes d'une hilarit qui donnait leurs faces de cuivre les plus tranges expressions. A chaque instant, ils entretenaient la rage des combattants en semant l'argent; et la mle prit un caractre la fois grandiose et atroce. Cependant Cacatois, qui n'tait jamais court d'inventions diaboliques, dplaait peu peu le thtre de la mle en envoyant de plus en plus en arrire la pluie d'argent, si bien qu' un moment le char fut dgag. Fouette ! cria-t-il Ploudec, en prenant les rnes. La baleinire partit au grand trot et entra dans Saint-Pol-de-Lon presque dsert. Le Grand-Cacatois y trouva pourlant ce qu'il cherchait. Un marchand de gauffres et de crpes au sarrazin, prvoyant une forte consommation, prparait, sur ses fourneaux, sa marchandise pour des palais bretons. apptissante... Cacatois, cette vue, arrta le char et descendit. Un coup de main, vous autres ! de manda-t-il. Deux forbans mirent pied terre. ses rCacatois montra le marchand, chauds, ses poles et son charbon. Hissez-moi tout cela, dit-il. ^ En un clin d'oeil tout fut mont et install bord de la baleinire roulettes. En vain l'homme protesta-t-il. Le moyen de rsister ? Alors Cacatois fit chauffer les rchauds blanc, et il jeta les pices dans les poles... Elles taient brlantes quand la foule, aprs avoir abandonn le champ de bataille, vint de nouveau assiger le char... Pas un Roskovite qui ne ft clopp ou hadfigur; pas un Lonais qui n'et ses bits en lambeaux. Mais tous taient plus ardents que jamais.

Cacatois, les voyant dboucher, prit la queue de pole dont il lana le contenu. Chacun de se prcipiter, mais chacun de lcher, en hurlant de douleur, les pices saisies. Ce fut encore une scne bien plus amusante que la bataille, et dont les marins rirent tant, qu'ils en furent altrs. Pendant que la foule se brlait les doigts, Ploudec, dgageant le char, s'arrtait devant le cabaret du Pir/eon-Vert. Il fit monter bord un ft de bordeaux pay comptant largement ; puis il mit le cap sur Morlaix, pendant que l'on dfonait la pice ; l'orgie commena tout en roulant vers la ville. Les marins ne s'aperurent pas que le comte Henry avait disparu.

CHAPITRE

VII

Les deux abbs. Pendant roulettes que la baleinire continuait le cours de sa navigation houleuse, va, la fille de l'armateur et son compagnon galoppaienl vers Morlaix. Si le gentleman qui escorlait la jeune fille avait souponn qu'elle pouvait courir des dangers sur une route frquente, il et peut-tre remarqu que deux cavaliers les suivaient distance depuis Saint-Pol-deLon. Ces deux hommes du reste portaient la soutane. Dfiez-vous donc des prtres ! Ceux de nos lecteurs qui s'tonneraient de voir deux curs cheval sur les grands de leur dire chemins, nous permettront qu'en Bretagne le cas n'est pas rare, mme encore. Mdecins et prtres aujourd'hui vont, chevauchant, leurs devoirs et leurs affaires. Mais ce qui et paru suspect qui et entendu les deux abbs, c'tait leur conversation maille de jurons, et plus qu'grillarde. Ils entrrent Morlaix presque en mme temps qu'Eva, ils mirent leurs chevaux

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On l'avait admire l'glise. (Voir page Si.) l'curie du mme htel, et l'un d'eux dit alors l'autre : Inutile de suivre la petite ! Elle ne son chepartira pas sans venir rechercher val. Djeunons. Ils se firent donner un chambre et servir dedans un plantureux repas. il tait fermement dtermin l'engagement, ne pas s'embarquer. Mais, pour en avoir le coeur net, il avait Eva et son rsolu de suivre, de rejoindre cavalier. et Donc il avait quitt ses compagnons, il avait demand courant vers Saint-Pol, un cheval louer.. On le savait pauvre. Le matre cle poste voulut tre pay d'avance. rien sur lui, Le comte n'avait presque tout son avoir tait rest sur la baleinire, sauf trois louis, que, par hasard, il avait mis en poche. Le loueur s'en contenta. Le comte partit fond de train et il parvint entrer dans Morlaix une demi-heure Au PAYS DES SINGES. 5

CHAPITRE A Morlaix.

VIII

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en sautant terre, avait pris Keremfort, la rsolution de quitter la baleinire. Il lui tait venu celte ide dsolante qu'Eva ne partait pas. En ce cas, malgr les avances, malgr L'HOMMEDE BRONZE. 5

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aprs Eva, en qute cle laquelle il se mit. Il ne la rencontra nulle part. Cependant la ville est petite ; on la couvrirait d'un mouchoir de poche lanc du haut du viaduc. Mais il y a des fatalits. Quand le comte cherchait vers le bas de la l'ivirc, la jeune fille se trouvait dans la haute ville ; quand elle tait amene par son caprice vers le port, Henry tait la porte Saint-Pol. Et cependant il tait certain qu'elle n'avait pas quille la ville, car ceux qu'il questionnait avaient vu la jeune fille, tantt ici, tantt l. On l'avait admire l'glise, priant la faon espagnole, au pied d'un pilier. Impossible Keremfort de la trouver. Sur ces entrefaites la baleinire roulettes accostait Morlaix, suivie de plus de dix mille personnes recrutes partout sur son passage. A Saint-Pol-de-Lon, la musique d'amateurs, violons, binious, tambours et fifres, s'tait loue aux marins. La fanfare de Morlaix s'tait empresse de se joindre au convoi, avec tous les tambours des pompiers. Mais avant de faire une entre solennelle, Grand-Catatois eut encore des ides : il en poussait dans son cerveau comme des champignons sur. une couche. Dans le faubourg, se trouvaient les cabarets de la marine et les marchands qui aples navires; arriv devant la provisionnent boutique d'un fripier, l'enseigne effective du Crocodile, Cacatois cria : Mouille ! Et il arrta l'allelage en mme temps que Coudic serrait les freins. Assure la chane de l'ancre ! ordonna Cacatois. Et Coudic ensabotta le chariot. Le Provenal prit la parole el pronona une harangue. Mes braves! dit-il, Morlaix il n'est pas la premire ville venue; nous devons nous y prsenter en grand costume de crmonie, comme des armateurs qui vont la noce. Capeguaille, je propose d'acheter la boutique

i fripier; chacun il s'habillera du sa guise. La proposition ayant t acclame, matre 'Cacatois fit march deux cents francs pour le fonds du fripier et il lana l'quipe au pillage. Comme le marchand vendait des habits de carnaval, les matelots avaient le choix ; chacun se vtit sa guise : les filles, bien endes plus brillants oritendu, s'affublrent peaux qu'elle J purent trouver; les hommes se livrrent une dbauche de fantaisies. Coudic eut l'ingnieuse ide d'endosser homme une peau .d'ours blanc; Ploudec, grave, mit un habit noir trop court et des gants de gendarme, les seuls qu'il pt ajusse dguisa en ter sa main ; le Parisien amiral des mers de Papaiouly-Balaou et autres lieux, avec des dcorations en fer blanc; ls uns se firent chefs sauvages et d'autres thiopiens. Cacatois eut la pharamineuse inspiration cle dcrocher le crocodile empaill, long de deux mtres, qui servait d'enseigne; il eut l'ingniosit d'y tailler coups de hache quatre trous pour ses bras et ses jambes, il lui dcousit le ventre et se fourra dedans; la tte lui servit de casque et la un peu queue simula des pans d'habits... longs. Puis, voyant tout prs de l, une boulique d'opticien, grand vendeur cle lorgnettestait orne marine, et dont la devanture d'une paire de besicles en bois de dimensions normes, avec de gros verres bleus, Cacatois les prit et les ajusta sur le nez cle son caman; cette tte trange, sous laquelle hauteur du cou, apparaissait la physionomie bizarre de Cacatois ; ces lunettes sur une gueule de monstre, produisaient l'effet le plus drolatique. Morlaix a conserv le souvenir de cette apparition bizarre; le succs fut immense. Mais voil qu'au moment o les matelots remontaient dans la baleinire, aprs y avoir hiss leurs petites maleluches, plus jolies maintenant taient que jamais, qu'elles toutes princesses, ou bergres marquises d'opra, on entendit ces filles pousser des cris de dtresse, et Cacatois, qui vit bien o le bt les blessait, tira de dessous les bancs un homme qui n'lait autre que Karigoulet.

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travers le foubourg. cl char, recommenait Au premier mais rerang, ensanglant, v< d'un superbe costume de Turc, on revtu rr moins dsespr marquait Karigoulet, qu'il n'et d l'tre, car qui et explor ses poches n se si ft tonn d'y trouver des louis. Le gars avis, pendant qu'on le tirait de cl dessous le banc, s'tail fourr une poigne de d pices dans la bouche. Et comme il avait eu la ruse de se ganter chez le fripier, il ramassa, sans se brler, les c bientt tomber pices qui recommencrent p pouill. brlantes de la pole frire. 1: Quand le voleur fut dans l'tat d'honorable La fte prit des proportions nudit o se trouvait Adam avant le pch, phnomnales dans les rues de Morlaix. t matre Cacatois montra la boutique du fripier Tous les gens du port se mirent en bomet dit : Jetez-le l-dedans ! Tout y est nous ! 1 bance ; la ville, qui est joyeuse et riche, prit un i air de nopees et festins en un clin d'oeil. Qu'il s'y rhabille! On but et l'on banqueta partout. Coudic El il demanda, selon l'habitude, Sur la baleinire, et Ploudec, qui tenaient Kerigoulet l'un l'orgie se corsait ; dj le 1 Champagne coulait flots. par la lle, l'autre par les pieds, et le baLe char fit ainsi le tour de la ville au milanaient : Eles-vous lieu d'une ovation indescriptible., 1 pars? Oui! firent les deux Flambarts. Cette longue procession finie, Perros, Envoyez ! ordonna Gacalois. homme prudent, qui ne voulait pas boire sans manger el rire un brin, Perros, pioposa La foule vit Karigoulel traverser l'espace de dner, ce qui fut unanimement la ltc la premire et brisant ladevanlure du approuv. Il fallait choisir une htel, ot l'on en disfripier, aller s'taler au milieu des loques. Au pillage ! cria la populace la voix cutait, quand le hasard se chargea du choix. de stentor du Provenal, la bouLa baleinire roulolles tait arrive demontrant vant l'htel cle l'lphant, o les deux prtres tique. Et aux orchestres runis : que nous savons taient descendus ; Caca En avant la tois se trouvant par le travers de cet tablis; musique ! La multitude se rua chez le fripier, au son sement respectable, proposa cle mouiller. Ploudec tenait pour le cabaret du Grandd'une cacophonie formidable, produite par les deux airs diffrents que jouaient les deux Balaou dont il promettait merveille, quand tout coup les roues de la baleinire \ musiques. rouLes marins s'amusaient dmesurment et lelles s'engagrent ; dans une crevasse de la rue dpave ; c'tait une mare- fangeuse pro; la population aussi. Le sac de la friperie termin en un clin fonde d'une brasse. En raison des lois phyla baleinire d'oeil, Cacatois donna le signal de draper, donna siques de la pesanteur, & et le char se mit en marche escort par une de la bande d'une faon effrayante et chavira, lanant tout le monde sur le trottoir et cul| masse de plus en plus compacte. De temps autre le char s'arrtait, f butant les tables et les stores du caf anlorsque la pole frire avait suffisamment nex -l'htel. chauff une ppigne de pices. L'hte, sa femme, les garons, les serUn forban lanait celle manne brlante : vantes, les buveurs se prcipitrent au sesur la populace ce que i cours des naufrags, et se mirent en devoir qui se battait jusqu' le dernier sou ft en les pices de toutes sortes de ramasser poche. Alors la marche triomphale, peuple ett parses sur le sol, ce qui parut suspect de grimper sur Le drle avait eu l'audace et de piller la caisse la voilure en rampant, s'habillait. pendant que l'quipage Matre Cacatois comprit ce quis'taitpass; en un tour de main, il dshabilla le dernier des Karigoul, aid qu'il fut par les Flambarts, car l'entt paysan se dballait comme un enrag, quoique fort gn, nous dirons pourquoi, et ne pouvant crier.. Le but de Cacatois tait de fouiller les vtements de Karigoulet aprs l'en avoir d-

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L'HOMME

DE

BRONZE

Cacatois et le mit en fureur, d'autant plus paye et le dner command ; la baleinire, remise sur pieds, fut rentre dans la cour ; qu'il vit apparatre deux chapeaux de brasseles sacs aux avances taient encore assez carr, autrement dit gendarmes, ses ennemis particuliers. pansus ; tout allait donc pour le mieux. On Branle-bas de combat ! cria-t-il en mit les volets la devanture casse, et les d'une main la cage de la permarins furent chez eux. brandissant Ils firent clore les persiennes et allumer ruche, qu'il n'avait point lche, et en tales bougies, quoiqu'il ft deux heures pant de l'autre sur ceux qui se baissaient. nous pilTroun de l'air ! Les faillis-chiens peine. dans la carapace du lent! Tape dur, sec et longtemps ! Cacatois, toujours L'hte, sa femme, ses domestiques et les caman, sa cage perruche pose devant furieux de voir leur conconsommateurs, lui, prsida au banquet. Ce fut une orgie sardanapalesque, un balcours si mal accueilli, accablrent les matethasar splendide ; au dehors, la foule longmais ceux-ci, qui n'avaient lots d'injures; temps entasse couta les chos assourdis point leur langue dans leur blague tabac, bordes de l'effroyable dbauche par de vituprantes pendant laquelle rpondirent ces corsaires et ces forbans en dlire hurd'invectives, et ils mirent en fuite leurs adlrent la double ivresse de l'amour et du versaires. les vin. Pendant que les autres cherchaient Nous n'oserions mme pas soulever le sacs aux avances et ce qui s'en tait chapp, en fureur avait envahi le coin du voile dont l'htelier prudent avait Grand-Cacatois entour la salle o rugissaient ces dmons. caf, levant toujours laage de la perruche au-dessus de sa tte de caman ; il se servit des tables de l'tablissement pour casser les chaises et des chaises pour casser les CHAPITRE IX tables : une main lui suffisait amplement Sur la roule. pour a. Les gendarmes cependant, habitus ces Lorsque, deux heures environ avant le sortes cle rixes, s'en allaient chercher du crpuscule, va et son cavalier quittrent renfort d'un pas grave el cadenc ; les choMorlaix, ils furent presque aussitt suivis ses allaient bientt prendre une mauvaise par les deux prtres, tous deux cheval et tournure, quand un des prtres descendus l'htel, s'en fut parler aux gendarmes qui bien monts. Quand ces derniers furent certains qu'va avec dfrence et s'arrtrent. l'coutrent L'autre prtre entra dans le caf au moprenait bien la route de Roskoff, il s'enfoncrent dans un chemin de traverse, qui ment o matre Cacatois s'apprtait dleur permit de gagner de l'avance. molir le comptoir. va semblait rveuse. L'abb toucha du doigt le forban, lui dit deux mots et arrta net sa colre ; puis il lui Pourquoi ? Parce qu'elle avait revu la baleinire donna sa bndiction, lui adressa quelques roulettes, et que le comte Henry ne faisait paroles pleines d'onction et laissa ce terrible plus partie de l'quipage. homme compltement calm. va ignorait si le jeune gentilhomme deCe fut un merveilleux changement vue. vait monter bord du brick. Stop ! cria Cacatois. Assez d'avaries Son cavalier, lui aussi, semblait attrist Ici, cabacomme a dans l'tablissement! retier de malheur ! Ferme ton bec ; on va du chagrin de la jeune fille, dont il devinait la cause. licher mort chez toi ! C'tait un homme jeune encore, de trente Ds lors tout marcha comme sur des rouans au plus, que l'oeil expert d'un douanier lettes; l'hte s'aboucha avec Cacatois, deet jug devoir tre un Espagnol, hidalgo venu doux comme un mouton ; la casse fut

AU

PAYS

DES

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si elle reverra celui qu'elle aime, sans savoir jusqu'au bout des ongles, par consquent d'honneur, pourtant ce que c'est qu'aimer. pc incapable de mangentilhomme vis--vis d'une femme, Pendant qu'ils chevauchaient ainsi, la nuit quer de chevalerie et cruel vc venait et dj l'ombre projetait sur la route mais insolent, envieux, jaloux des rocs surtourmentes pour les infrieurs. les le silhouettes faisait bord Ce que ce jeune seigneur plombants. p] se trouvaient encore du brick, nous le dirons plus tard; mais i Les deux voyageurs ce qui et t certain pour un observateur six kilomtres de Saint-Pol-de-Lon. Le gentilhomme sagace, c'est qu' cette heure il tait amousongea qu'il se faisait reux et dpit. sa t; tard, et il fit signe va de cravacher Il ne se rendait pas compte qu'va tait n monture ; lui-mme en fit autant. une fille muette, ne sachant ni lire, ni crire, Les deux chevaux prirent le trop. Mais ni parler par signes. Elle tait donc telle que la i nuit se fit bientt paisse ; la journe si la nature l'avait faite. commence se termina par des brillamment , j menaces d'orage; les clairs sillonnrent la r Or, dites-moi, vous, si les filles que la cifit retentir les landes vilisation n'a point gtes, ne prfreront pas r nue, el le tonnerre dsertes de ses chos rpts. c toujours un beau garon comme le comte La solitude tait profonde, le site sauvage . Henry, un grand d'Espagne de ligure sche et dsagrable ? ( dsol. et Et celui-ci se morfondait. Le cavalier espagnol tira de se fontes i des fleurs de gents En vain cueilla-t-il une paire de pistolets et en visita les amord'avoir fait marcher si ces ; il se repentait pour en prsenter un bouquet Eva : elle le lentement les chevaux. puis, vingt pas de l, prit distraitement; elle le laissa tomber. On tait au sommet d'une colline dont la sur les cils du Alors des larmes perlrent descente de lancer les rapide permettait chevaux grande allure et de rattraper le gentilhomme espagnol, larmes de colre, de s rvolte, de menace mme. Il se mordit les ' temps perdu. lvres au sang et cravacha son cheval qui 1 cravacha le cheval d'va et il L'hidalgo le sien ; les deux montures partiporta le poids de sa fureur. peronna Eva ne s'en proccupa point. rent au galop ; c'et l une imprudence si Comme toute crise violente amne un apai- - va n'et pas l une cuyre consomme. A chaque instant le ciel resplendissait cle sement, la rage cle l'hidalgo s'puisa. a lueurs livides qui jetaient sur la route des Toutefois, son sourcil restait fronc el sa e clarts blafardes. main crispait convulsivement le manche de sa cravache. Tout coup, l'Espagnol crut voir une 11 chevaucha de la sorte, plong clans sess sorte de couleuvre noire tendue par le oubliant ne e travers de la route; il lui parut que ce sersombres rflexions, l'heure, sentant pas venir la nuit. se pent long et mince tendait ses anneauxet soulevait. va, elle, ne songeait qu'au beau garon n Cette impression dura le temps que brille qu'elle avait entrevu. Imaginez une fille muette qui n'change ;e un clair; une seconde plus tard, les deux de pense que par le regard, qui jusqu'alors es chevaux s'abattaient; va roulait terre n a