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L’inge ´nierie tissulaire des tissus durs en stomatologie et chirurgie maxillo-faciale : un enjeu plane ´taire Tissular engineering of hard tissues in stomatology and maxillo-facial surgery, a global challenge J. Ferri a,b,c, * a Universite ´ Lille Nord-de-France, UDSL, 59000 Lille, France b Unite ´ Inserm U1008, me ´dicaments et biomate ´riaux a ` libe ´ration contro ˆle ´e, 59000 Lille, France c Association internationale de medecine orale et maxillofaciale (AIMOM), 59650 Villeneuve d’Ascq, France Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com D e tout temps, l’homme a essaye ´ de re ´parer les pertes de substances. Ces reconstructions se sont faites de plusieurs manie `res. Le recours a ` des « corps e ´trangers » biocompatibles fut le moyen de remplacement le plus largement utilise ´. Si l’on en croit l’histoire, le premier implant dentaire fut e ´gyptien, engendrant en quelque sorte le premier « cyborg », cre ´ature dont une partie est synthe ´tique. Plus tard, les greffes puis les lambeaux furent la solution a ` bien des proble `mes. Si le mythe de la re ´ge ´ne ´ration totale ou partielle du corps humain est tre `s ancien (le foie de Prome ´the ´e repoussait toutes les nuits), l’inge ´nierie tissulaire pratique est d’appari- tion plus re ´cente. Elle peut se de ´finir comme l’ensemble des techniques utilise ´es pour recre ´er ou re ´ge ´ne ´rer un tissu ou un organe de ´truit ou perdu. Elle exclut les proce ´de ´s de greffes ou de lambeaux pour lesquels il s’agit de transporter un organe ou un tissu de ´ja ` forme ´, de me ˆme que le remplacement du tissu perdu par une structure prothe ´tique : le « cyborg » n’est pas de l’inge ´nierie tissulaire. Si le concept fut approche ´ de `s les anne ´es 1970 en particulier avec les travaux de Green et Ferguson qui cherchaient a ` re ´ge ´ne ´rer le tissu cartilagineux [1], le terme d’inge ´nierie tissulaire ne fut introduit en me ´decine qu’en 1987 [2] ce qui te ´moignait d’une prise de conscience toute nouvelle de ce qu’e ´tait cette technique de reconstruction. En 1996, une pre ´sentation te ´le ´vise ´e, a ` couper le souffle des docteurs Charles Vacanti et Linda Griffith Cima (Universite ´ du Massachussetts medical center), allait faire prendre conscience au monde me ´dical du fabuleux potentiel de ces techniques. Ils exposaient a ` la BBC la possibilite ´ de recre ´er une oreille humaine sur le dos d’une souris. Dans cette histoire, l’inge ´nierie du tissu osseux ne fut pas en reste. La greffe osseuse est une technique tre ` s ancienne et l’os est a ` ce jour l’un des tissus les plus greffe ´s au monde. Il semble qu’une des toute premie ` re greffe osseuse ait e ´te ´ effectue ´e par un chirurgien hollandais (Job van Meekren) sur un soldat dont une perte de substance osseuse cra ˆnienne fut reconstruite avec un fragment de cra ˆne de chien en 1668. Cette greffe fut de ´pose ´e ensuite pour des raisons religieuses ... l’e ´thique de ´ja ` ? Tout cela te ´moigne du potentiel de l’inge ´nierie tissu- laire osseuse dont l’inte ´re ˆt a ` terme serait justement de se passer de greffe. En chirurgie maxillo-faciale, le de ´veloppement conside ´rable de la chirurgie pre ´prothe ´tique implantaire, le potentiel de la re ´ge ´ne ´ration dentaire ont fait ressortir l’enjeu de l’inge ´nierie tissulaire des tissus durs. En 2009, dans une publication extraordinaire, l’e ´quipe du professeur Rita Suuronen faisait part de la capacite ´ de reconstruction du maxillaire avec cre ´ation d’os ne ´oforme ´ par inge ´nierie tissulaire [3]. Ce travail scientifique ouvrait des possibilite ´s nouvelles jusqu’ici insoup- c ¸onne ´es. Sur le versant dentaire, le professeur P. Sharpe se spe ´cialisait dans la re ´ge ´ne ´ration odontologique, soutenu par une industrie pharmaceutique qui avait compris tre `s vite l’enjeu de la maı ˆtrise de telles techniques [4]. Sur ses deux versants, osseux et dentaire, l’inge ´nierie tissu- laire des tissus durs de l’extre ´mite ´ ce ´phalique voyait des * De ´partement universitaire de chirurgie maxillofaciale et stomatologie, ho ˆpital Roger-Salengro, CHU de Lille, rue du Professeur-Emile-Laine, 59000 Lille, France. e-mail : [email protected]. Avant-propos 199 0035-1768/$ - see front matter ß 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits re ´serve ´s. 10.1016/j.stomax.2011.06.001 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2011;112:199-200

L’ingénierie tissulaire des tissus durs en stomatologie et chirurgie maxillo-faciale : un enjeu planétaire

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Page 1: L’ingénierie tissulaire des tissus durs en stomatologie et chirurgie maxillo-faciale : un enjeu planétaire

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L’ingenierie tissulaire des tissus durs enstomatologie et chirurgie maxillo-faciale :un enjeu planetaire

Tissular engineering of hard tissues in stomatology andmaxillo-facial surgery, a global challenge

J. Ferria,b,c,*

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Avant-propos

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a Universite Lille Nord-de-France, UDSL, 59000 Lille, France

b Unite Inserm U1008, medicaments et biomateriaux a liberation controlee, 59000 Lille,Francec Association internationale de medecine orale et maxillofaciale (AIMOM), 59650 Villeneuved’Ascq, France

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

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D e tout temps, l’homme a essaye de reparer les pertesde substances. Ces reconstructions se sont faites deplusieurs manieres.

Le recours a des « corps etrangers » biocompatibles fut lemoyen de remplacement le plus largement utilise. Si l’on encroit l’histoire, le premier implant dentaire fut egyptien,engendrant en quelque sorte le premier « cyborg », creaturedont une partie est synthetique.Plus tard, les greffes puis les lambeaux furent la solution abien des problemes.Si le mythe de la regeneration totale ou partielle du corpshumain est tres ancien (le foie de Promethee repoussaittoutes les nuits), l’ingenierie tissulaire pratique est d’appari-tion plus recente. Elle peut se definir comme l’ensemble destechniques utilisees pour recreer ou regenerer un tissu ou unorgane detruit ou perdu. Elle exclut les procedes de greffes oude lambeaux pour lesquels il s’agit de transporter un organeou un tissu deja forme, de meme que le remplacement dutissu perdu par une structure prothetique : le « cyborg » n’estpas de l’ingenierie tissulaire.Si le concept fut approche des les annees 1970 en particulieravec les travaux de Green et Ferguson qui cherchaient aregenerer le tissu cartilagineux [1], le terme d’ingenierietissulaire ne fut introduit en medecine qu’en 1987 [2] ce quitemoignait d’une prise de conscience toute nouvelle de cequ’etait cette technique de reconstruction.

* Departement universitaire de chirurgie maxillofaciale et stomatologie,hopital Roger-Salengro, CHU de Lille, rue du Professeur-Emile-Laine, 59000 Lille,France.e-mail : [email protected].

0035-1768/$ - see front matter � 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits reserves.10.1016/j.stomax.2011.06.001 Rev Stomatol Chir Maxillofac 2011;112:199-200

En 1996, une presentation televisee, a couper le souffle desdocteurs Charles Vacanti et Linda Griffith Cima (Universitedu Massachussetts medical center), allait faire prendreconscience au monde medical du fabuleux potentiel de cestechniques. Ils exposaient a la BBC la possibilite de recreer uneoreille humaine sur le dos d’une souris.Dans cette histoire, l’ingenierie du tissu osseux ne fut pas enreste. La greffe osseuse est une technique tres ancienne et l’osest a ce jour l’un des tissus les plus greffes au monde. Il semblequ’une des toute premiere greffe osseuse ait ete effectuee parun chirurgien hollandais (Job van Meekren) sur un soldat dontune perte de substance osseuse cranienne fut reconstruiteavec un fragment de crane de chien en 1668. Cette greffe futdeposee ensuite pour des raisons religieuses . . . l’ethiquedeja ? Tout cela temoigne du potentiel de l’ingenierie tissu-laire osseuse dont l’interet a terme serait justement de sepasser de greffe.En chirurgie maxillo-faciale, le developpement considerablede la chirurgie preprothetique implantaire, le potentiel de laregeneration dentaire ont fait ressortir l’enjeu de l’ingenierietissulaire des tissus durs. En 2009, dans une publicationextraordinaire, l’equipe du professeur Rita Suuronen faisaitpart de la capacite de reconstruction du maxillaire aveccreation d’os neoforme par ingenierie tissulaire [3]. Ce travailscientifique ouvrait des possibilites nouvelles jusqu’ici insoup-connees. Sur le versant dentaire, le professeur P. Sharpe sespecialisait dans la regeneration odontologique, soutenu parune industrie pharmaceutique qui avait compris tres vitel’enjeu de la maıtrise de telles techniques [4].Sur ses deux versants, osseux et dentaire, l’ingenierie tissu-laire des tissus durs de l’extremite cephalique voyait des

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champs d’application immenses s’ouvrir a elle. Elle estaujourd’hui une des voies de recherche les plus prometteuseen terme de reconstructions de l’extremite cephalique. Ellepermet de s’affranchir de la morbidite des autogreffes, de lapenurie et des difficultes immunitaires des heterogreffes, desproblemes de biocompatibilites des structures synthetiques.Nous avons donc choisi ce theme de l’ingenierie des tissusdurs cranio-faciaux pour faire etat des connaissances sur cesujet en 2011.Ce rapport est organise de maniere a vous apporter lesinformations necessaires a la comprehension de ce qu’estl’ingenierie tissulaire et ses differentes techniques. Il rappelleegalement les biomateriaux les plus utilises pour cette inge-nierie osseuse. Il fait le point sur l’ingenierie dentaire. Ladistraction osteogenique et l’utilisation des ultrasons dansla stimulation de l’edification osseuse y sont rappelees.Les differents chapitres ont ete ecrits par des equipes recon-nues, qui font part de leurs travaux et des avancees dans cedomaine. Il est clair que les donnees presentees ici seront vitedepassees. Il est vrai aussi que le pas a franchir entre rege-neration in vitro et creation de l’organe osseux ou dentaire telqu’il est sur le vivant, etre organise et fini, est immense.

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Enfin toutes les voies de cette vaste science, ne sauraient etreexposees ici. Pour autant, nous esperons avoir pu vous fairepart des points essentiels de l’ingenierie tissulaire des tissusdurs de l’extremite cephalique en 2011.

Declaration d’interets

L’auteur declare ne pas avoir de conflits d’interets en relationavec cet article.

References[1] Green Jr WT, Ferguson RJ. Histochemical and electron micro-

scopic comparison of tissue produced by rabbit articular chon-drocytes in vivo and in vitro. Arthritis Rheum 1975;18:273–80.

[2] Nerem RM. Tissue engineering: the hope, the hype, and thefuture. Tissue Eng 2006;12:1143–50.

[3] Mesimaki K, Lindroos B, Tornwall J, Mauno J, Lindqvist C, KontioR, et al. Novel maxillary reconstruction with ectopic boneformation by GMP adipose stem cells. Int J Oral MaxillofacSurg 2009;38:201–9.

[4] Yen AH, Sharpe PT. Regeneration of teeth using stem cell-basedtissue engineering. Expert Opin Biol Ther 2006;6:9–16.