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BORIS AKOUNINE, POLARS SUR L’ÉPOQUE AVANT-RÉVOLUTIONNAIRE MIKHAIL CHICHKINE, « DEUX HEURES MOINS DIX » ZAKHAR PRILEPINE, LE ROMAN « LE SINGE NOIR » YOURI BOUÏDA, « POTEMKINE OU LE TROISIÈME CŒUR » LIOUDMILA OULITSKAÏA, ROMAN SUR LES DISSIDENTS « Lire la Russie » est un supplément spécial de « La Russie d’Aujourd’hui » entièrement consacré à la littérature russe contemporaine. AU-DESSUS DE LA VILLE, 1914 - 1918. MARC CHAGALL. ROMAN FANTASTIQUE / ESSAI / POLAR / AUTOBIOGRAPHIE / ROMAN HISTORIQUE / PROSE / POÉSIE / NOUVELLE ROMAN FANTASTIQUE / ESSAI / POLAR / AUTOBIOGRAPHIE / ROMAN HISTORIQUE / PROSE / POÉSIE / NOUVELLE CHICHKINE, URES MOINS DIX » PRILEPINE, « LE SINGE NOIR » KOUNINE, R L’ÉPOQUE OLUTIONNAIRE OUÏDA , NE OU LE CŒUR » LA A, R LES DISSIDENTS 14 12 6 7 11

Lire la Russie

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Lire la Russie aidera les lecteurs francophones à comprendre la variété de la littérature russe contemporaine.

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« Lire la Russie » est un supplément spécial de « La Russie d’Aujourd’hui » entièrement consacré à la littérature russe contemporaine.

AU-DESSUS DE LA VILLE, 1914 - 1918.

MARC CHAGALL.

ROMAN FANTASTIQUE / ESSAI / POLAR / AUTOBIOGRAPHIE / ROMAN HISTORIQUE / PROSE / POÉSIE / NOUVELLE

ROMAN FANTASTIQUE / ESSAI / POLAR / AUTOBIOGRAPHIE / ROMAN HISTORIQUE / PROSE / POÉSIE / NOUVELLE

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« La Russie d’Aujourd’hui » couvre l'actualité politique, éco-nomique, culturelle, scientifique et sportive tout en examinant les problématiques du monde russe d'aujourd'hui. Les articles sont rédigés par des journalistes russes ou étrangers. Des polito-logues et des sociologues livrent leurs analyses et des experts sont à la disposition des lecteurs pour répondre à leurs questions.

«La Russie d’Aujourd’hui» est conçue dans le cadre du projet international de «Rossiyskaya Gazeta», Russia Beyond the Headlines.

Page 3: Lire la Russie

CET ÉDITION LIRE LA RUSSIE DE VINGT PAGES EST ÉDITÉ ET PUBLIÉ PAR ROSSIYSKAYA GAZETA (RUSSIE), QUI ASSUME L’ENTIÈRE RESPONSABILITÉ DU CONTENU. SITE INTERNET WWW.LARUSSIEDAUJOURDHUI.FR EMAIL [email protected] TÉL. +7 (495) 775 3114 FAX +7 (495) 9889213 ADRESSE 24 / 4 RUE PRAVDY, ÉTAGE 7, MOSCOU 125 993, RUSSIE. EUGENE ABOV : DIRECTEUR DE LA PUBLICATION, JEAN-LOUIS TURLIN : DIRECTEUR DÉLÉGUÉ, MARIA AFONINA : RÉDACTRICE EN CHEF, ANDREÏ CHIMARSKI : DIRECTEUR ARTISTIQUE, ANDREI ZAITSEV : SERVICE PHOTO. JULIA GOLIKOVA : DIRECTRICE DE PUBLICITE & RP ([email protected]). MARIA TCHOBANOV : REPRÉSENTANTE À PARIS ([email protected], 33 7 60 29 80 33).

© COPYRIGHT 2013, AFBE «ROSSIYSKAYA GAZETA». TOUS DROITS RÉSERVÉS.ALEXANDRE GORBENKO : PRÉSIDENT DU CONSEIL DE DIRECTION, PAVEL NEGOITSA : DIRECTEUR GÉNÉRAL, VLADISLAV FRONIN : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS. TOUTE REPRODUCTION OU DISTRIBUTION DES PASSAGES DE L’OEUVRE, SAUF À USAGE PERSON-NEL, EST INTERDITE SANS CONSENTEMENT PAR ÉCRIT DE ROSSIYSKAYA GAZETA. ADRESSEZ VOS REQUÊTES À [email protected] OU PAR TÉLÉPHONE AU +7 (495) 775 3114. LES LETTRES DESTINÉES À ÊTRE PUBLIÉES DOIVENT ÊTRE ENVOYÉES PAR ÉMAIL À [email protected] OU PAR FAX (+7 (495) 775 3114). CRÉDITS PHOTO : AFP/EAST NEWS. OPALE/EAST NEWS. PHOTOXPRESS. KOMMERSANT. MIKHAIL FOMICHEV/ALEXANDER UTKIN/RIA NOVOSTI. LEGION MEDIA. ITAR-TASS. TECHNIKA MOLODEJI.

EDITORIAL SOMMAIRE

Bonne lecture !

C’est avec un immense plai-sir que La Russie d’Au-jourd’hui présente son sup-

plément, Lire la Russie. Notre sou-hait consiste à offrir au lectorat français l’occasion de se plonger au cœur de l’actualité littéraire russe. Certains auteurs sont déjà familiers du grand public, d’autres n’ont pour l’instant pas dépassé le cadre des russophiles. Mais la plu-part des auteurs sont déjà traduits en français. Nous avons voulu élar-gir autant que possible le panora-ma, en englobant tous les genres : avant-garde, fantastique, polar, dys-topies, réalisme, histoire et essais. Plusieurs auteurs sont devenus des fi gures du mouvement d’opposition après avoir écrit de brillantes sa-tires. Le plus jeune de ces écrivains a grandi après la disparition de l’URSS, d’autres sont plus murs.

La Russie d’Aujourd’hui est une source internationalement reconnue d’informations et d’analyse basée à Moscou. La rédaction, composée de journalistes russes et étrangers, in-sistait depuis longtemps sur la conception d’un dossier consacré à la littérature, qui permette à nos lec-teurs d’avoir une vision « rafraîchie » des lettres russes.

Malheureusement, seule une pe-tite centaine de livres russes sont traduits en français chaque année. Un chiffre dérisoire par rapport à l’activité rédactionnelle du pays. Nous espérons que cette modeste pu-blication aidera à relancer l’intérêt du monde francophone pour la lit-térature russe, qui fut et reste le ber-ceau d’auteurs de renommée mondiale.

Eugene

AbovDIRECTEUR DE RBTH

2-3Les Salons du Livre en France et en Russie.4-5Les tendances actuelles dans la littérature russe.6-7Boris Akounine et Léonid Iouzefovitch - représentants du genre "thriller intellectuel".« Le Singe noir », de Zakhar Prilepine.8-9Le roman fantastique russe connaît une renaissance.Prêts pour l’apocalypse ?« Métro 2033 », roman anti-utopique de Dmitry Glukhovsky.10-11Correspondance de Natalia Gevorkyan avec Khodorkovski. « La Tente verte », roman phare de Lioudmila Oulitskaïa.

12-13« Deux heures moins dix », de Mikhaïl Chichkine.« Espace et labyrinthes » , de Vassili Golovanov.14-15« Potemkine ou le troisième cœur », de Iouri Bouïda.À la recherche d’une oasis culturelle avec Dimitri Bortnikov. 16« Le Livre des brèves amours éternelles », d'Andreï Makine.

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L’ETABLE, 1917. L’IMMENSE VACHE JAUNE QUI SORT DE L’ETABLE POURRAIT REPRÉSENTER LA MÈRE NOURRICIÈRE, LA MATERNITÉ ET LA MÈRE PATRIE, MAIS ELLE ÉVOQUE AUSSI LA NAISSANCE DE JÉSUS.

Journées du livre russe

Le 15 et 16 février se tiendra à Paris la 4e édition des Journées du livre russe et des littératures russophones, l’occasion pour les passionnés et les non-initiés de plon-

ger au plus profond de la culture russe. Ces journées ont pour habitude de réunir de prestigieux

écrivains qui en font un événement unique ; à l’honneur cette année : Boris Akounine, Iouri Bouïda, Andreï Kourkov, Andreï Makine et Bernard Werber.

Cette quatrième édition est une invitation au voyage. Quatre itinéraires sont proposés au visiteur. En suivant les itiné-raires de vie, le lecteur va à la rencontre des fi gures emblé-matiques du XXème siècle telles que Boris Pasternak et Vassili Grossman. Si le visiteur un peu plus téméraire dé-cide d’aller plus loin, il pourra suivre les itinéraires à tra-vers la russophonie et partir en voyage dans l’Asie centrale. Souvent méconnue du public français, l’Asie centrale consti-tue une région singulière de l’espace russophone où foi-sonnent les idées et se mélangent les cultures. Un peu plus loin, dans les itinéraires croisés, le visiteur pourra s’inter-roger sur le voyage et sa dimension initiatique. L’escapade se terminera par les itinéraires d’une langue à l’autre qui posent la question du multilinguisme et de la traduction.

La remise du 7e prix de la Russophonie clôturera les Jour-nées. Créé en 2007, ce prix récompense la meilleure traduc-tion d’un ouvrage littéraire du russe vers le français. Cette année, les cinq candidats toujours en lice sont : Henri Abril

pour La Baignoire d’Archimède, (Circé) ; Hélène Henry pour Boris Pasternak de Dmitri Bykov, (Fayard) ; Luba

Le salon accueille chaque année plus de mille éditeurs de près de vingt pays différents. En 2012, la Russie était l’invitée d’honneur au Salon. Pour sa 33e édition,

le Salon, qui aura lieu du 22 au 25 mars, met à l’honneur la Roumanie. Parmi les hôtes russes on attend notamment Dmi-tri Bykov, Pavel Bassinsky, Andreï Dmitriev, Valeri Popov, Alexandre Kabakov et Mikhaïl Chichkine.

Salon du livre à Paris

Les Salons du Livre en France et en Russie

Jurgenson pour Schubert à Kiev de Léonid Guirchovitch, (Verdier) ; Jean-Claude Schneider pour Le Bruit du temps d’Ossip Mandelstam, (Le Bruit du temps) ; Nadine Dubour-vieux, Luba Jurgenson, Véronique Lossky pour Récits et Essais, Œuvres T 2 de Marina Tsvetaeva, (Seuil).

Ces Journées sont avant tout des rencontres avec des écri-vains aussi divers que variés : Boris Akounine, Myriam Anis-simov, Olivier Bleys, Iouri Bouïda, Evgueni Bounimovitch, Agnès Desarthe, Rustem Dzhanguzhin, Vassili Golovanov, Talip Ibrahimov, Hamid Ismaïlov, Maylis de Kerangal, An-dreï Kourkov, et bien d’autres encore. Elles proposent éga-lement aux visiteurs des projections de fi lms qui cette année mettent en avant le cinéma de l’Asie centrale, des spectacles où se mêlent parfois théâtre et musique et des expositions qui prolongeront un peu plus le voyage dans les steppes de l’Asie centrale.

Plus qu’un simple salon du livre russe, ces journées sont la rencontre entre deux cultures qui, bien que parfois dif-férentes, ont, au fond, beaucoup à apprendre l’une de l’autre.

Page 5: Lire la Russie

LE SECTEUR DU LIVRE EN RUSSIE CONNAÎT UNE CROISSANCE CONTINUE DEPUIS DÉJÀ UNE VINGTAINE D’ANNÉES. APRÈS LE BOUM DES ANNÉES 90, IL PROGRESSE PLUS MODESTEMENT, MAIS AU FINAL, IL A SU SURMONTER LES DIFFICULTÉS ÉCONOMIQUES DU PAYS. LES SALONS DU LIVRE SE MULTIPLIENT, OFFRANT AUX EDITEURS LA POSSIBILITÉ D’AFFICHER TOUTES LEURS NOUVEAUTÉS ET DE VENDRE LEUR PRODUCTION SANS INTERMÉDIAIRE. EN RUSSIE, TOUS LES SALONS DU LIVRE PERMETTENT LA VENTE EN DIRECT DEPUIS UN STAND. LES LECTEURS SUIVENT CAR LES PRIX SONT BIEN MOINS CHERS QU’EN MAGASIN. SI MOSCOU ACCUEILLE LES GRANDES MANIFESTATIONS, LES RÉGIONS ORGANISENT DÉSORMAIS LEURS PROPRES FÊTES DU LIVRE. VOICI NOTRE SÉLÉCTION DES SALONS EN FRANCE ET EN RUSSIE.

La Foire internationale du Livre de Moscou est aujourd’hui la plus grande de Russie et celle qui représente le mieux l’évolution actuelle

de la littérature russe. Rappelons que la Russie se classe au quatrième rang mondial en terme de livres édités. La foire est un événement de portée internationale, qui attire en moyenne plus de deux mille professionnels du livre ve-nant de plusieurs dizaines de pays.

En 2012, c’est la France qui a été l’invitée d’honneur à la Foire de Moscou, en commémo-ration de la bataille de Borodino (1812). La 26e édition se tiendra cette année, en septembre comme il est de tradition.

La Foire internationale du Livre de Moscou (MMKYA)

C réée à l’initiative du Fonds Mikhaïl Prokho-rov, en collaboration avec les autorités de la région Krasnoïarsk et la municipalité de la

ville dumême nom, la Foire culturelle du livre de Krasnoïarsk est la plus jeune du genre en Russie.

Cette manifestation a pour vocation de diffu-ser les livres pour qu’ils soient accessibles à un public plus large. De plus, elle présente en Sibé-rie les meilleurs éditeurs russes.

La foire est l’occasion de découvrir et acheter des livres, mais aussi de participer à des confé-

rences et des activités pour les adultes comme pour les enfants.

La Foire culturelle du livre de Krasnoïarsk

Le Salon du livre

non/fiction

Pour sa quinzième année

consécutive, le Salon

du livre non/fi ction se

tiendra à Moscou à la Mai-

son central des Artistes du

27 novembre au 1er décembre.

Il accueille chaque année

près de 250 exposants et plus

de 30 000 visiteurs.

Réputé pour la qualité de

son programme, le salon réu-

nit environ v ingt pays.

Comme chaque année, plu-

sieurs prix seront décernés,

par exemple, le prix Andreï

Biély, le prix littéraire indé-

pendant le plus ancien de la

Russie contemporaine ainsi

que les prix littéraires de

l’ambassade de France  :

« Maurice Wachsmacher »

pour la meilleure traduction

et « Leroy-Beaulieu » pour

le meilleur ouvrage consacré

à la France.

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Page 6: Lire la Russie

Les principales tendances de la littérature contemporaine russe

S‘il y avait un livre “ russe“ récent à lire, vous conseilleriez...

Quels sont les auteurs russes

les plus lus en France ?

Christine Mestre, Directrice du Prix Russophonie (pour la meilleure traduction de litté-rature russe vers le français)

Deux noms viennent à l’esprit immédia-tement : Boris Akounine et Ludmila Ou-litskaïa, qui a reçu l’an dernier le Prix Simone de Beauvoir.

Il me semble important de souligner que la littérature russe a toujours une place de choix en France. Outre la réédi-tion régulière des classiques, on constate que les écrivains français eux-mêmes se font biographes : Emmanuel Carrère, Li-monov, Myriam Anissimov qui consacre à Vassili Grossman une passionnante bio-graphie, Dominique Fernandez. Avec Tolstoï.

Les poètes du siècle d’argent ne sont pas oubliés : Fayard publie la magnifi que biographie consacrée à Boris Pasternak par Dmitri Bykov et Le Bruit du temps, Mandelstam, mon temps, mon fauve, bio-graphie traduite de l’allemand parue en même temps que la réédition du livre de souvenirs poignant de Nadejda Mandels-tam Contre tout espoir.

Il faut souligner le courage des éditeurs alors que tout invite à la frilosité… une nouvelle traduction des œuvres complètes d’Isaac Babel (Le Bruit du temps), le deu-xième tome des œuvres en prose de Mari-na Tsvetaeva (Seuil ), l’édition de textes exhumés d’auteurs victimes de la censure : Les Vaincus, imposante saga d’Irina Go-lovkina dans l’édition Les Syrtes, les œuvres de Krzyzanowski chez Verdier, les livres de Julius Margolin (Le Bruit du temps)...

Bref, une production très riche, variée et exigeante !

Les lecteurs français sont très attachés aux grands classiques de la littérature russe des XIXe et XXe siècles. A Boulga-kov du Maître et Marguerite, et à Tolstoï dont Anna Karénine est la meilleure vente toutes langues et catégories confondues, mais aussi à Dostoïevski, Gontcharov, Ler-montov, Zamiatine, etc. Une attention par-ticulière est accordée à Marina Tsvetaie-va et Anna Akhmatova, ou à Mandels-tam, dont une biographie de Ralh Dutli récemment traduite a relancé l’intérêt. On notera aussi l’intérêt pour la découverte d’écrivains moins connus tels que Sigis-mund Krzyzanowski dont une grande par-tie de l’œuvre est publiée chez Verdier.

Parmi les contemporains, en tête des ventes de romans traduits du russe réa-lisées ces deux dernières années à la Li-brairie du Globe, on retrouve Andreï Kourkov, qui vit à Kiev et écrit en russe, qui est très populaire en France en par-ticulier. Son dernier roman Le Jardinier d’Otchakov, paru chez Liana Levi, a eu un succès à la hauteur de celui de Laitier de Nuit ou du Pingouin désormais dispo-nibles en format de poche. Il est suivi par des écrivains confi rmés tels que Lioud-mila Oulitskaïa ou par de plus jeunes au-teurs comme Zakhar Prilepine dont les deux derniers livres parus chez Actes Sud, Le Singe noir et surtout Des chaussures pleines de vodka chaude ont plu aux lec-teurs. Des textes plus littéraires comme La tourmente de Vladimir Sorokine ont également eu du succès.

Les écrivains classiques sont toujours très populaires. Parmi eux, sans doute Léo Tolstoï, Fiodor Dostoïevski et les pièces d’Anton Tchekhov.

Quant aux auteurs contemporaines, ce sont Lioudmila Oulitskaïa, Andreï Kourkov, Andreï Guelassimov, Zakhar Prilépine, Boris Akounine (série des Fan-dorine) et Vassili Golovanov.

Quoi de neuf dans la littérature russe ? Nous avons demandé aux experts leurs avis sur les tendances dans la littérature contemporaine.

François Deweer, Directeur de la Librarie du Globe

Hélène Melat, Attachée du Bureau du Livre à l’Ambas-sade de France à Moscou

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Sur les principales tendances de la littérature contemporaine russe

Christine Mestre François Deweer Hélène Melat

On peut parler de continuité de la tradi-tion d’une lignée Pouchkine - Gogol - Boul-gakov, une littérature fantastique ou fl ir-tant avec le fantastique : Iouri Bouïda, (Epitre à ma main gauche), Vladislav Otrochenko (Mes trois oncles), Andreï Kourkov (Le Jardinier d’Otchakov), Vla-dimir Sorokine (La Tourmente), Alexandre Seline (Je ne te mens jamais) etc.

Une préoccupation sociale et politique, au centre de l’œuvre chez Zakhar Prile-pine, de plus en plus présente chez de nom-breux auteurs  : Golovanov, Ossipov, Kotcherguine...

Deux ! : Boris Pasternak (1) par Dmitri Bykov. Le livre est récent, le sujet l’est moins… C’est un livre époustoufl ant, ma-gnifiquement traduit. Espace et laby-rinthes (2) de Vassili Golovanov. Sa dé-marche est singul ière, sa quête universelle.

La littérature russe contemporaine est très diverse et les éditeurs russes conti-nuent à publier de nouveaux auteurs mal-gré la crise que traverse le marché du livre. Selon moi les principales lignes de faille sont liées à des différences de rapport au style et aux genres, à des enjeux généra-tionnels et au degré d’engagement poli-tique et citoyen de l’écrivain dans la so-ciété russe contemporaine. On pourrait ainsi en faire un portrait à plusieurs di-mensions qui donnerait des éléments de réfl exions sans pour autant la décrire dans toute sa complexité.

Le dernier livre de Nicolas Werth La route de la Kolyma (3), récit de voyage de l’his-torien de l’Union Soviétique Stalinienne à Magadan et sa rencontre avec des sur-vivants du Goulag. Un livre très person-nel et remarquablement bien écrit.

On voit maintenant beaucoup d’autobio-graphies et de réfl exions sur le XXe siècle, en particulier les années staliniennes, re-tour de la critique sociale via une écri-ture réaliste (Zakhar Prilepine, Roman Sentchine).

En plus, on a moins de textes provoca-teurs et expérimentaux comme au début des années 90.

Je conseille de lire L’Ile ou Apologie des voyages insensés (paru dans l’édition Ver-dier en 2002) de Vassili Golovanov. En outre, autre livre très intéressant : Le train zéro (4) (Don Domino en russe) de Iouri Bouïda (1993).

Propos recueillis par Maria Afonina

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S‘il y avait un livre “ russe“ récent à lire, vous conseilleriez...

Page 8: Lire la Russie

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CHAGALL DÉCORA LES MURS DU THÉÂTRE JUIF DE MOSCOU. LES PEIN-TURES QU’IL Y RÉALISA SONT LES PLUS GRANDES QU’IL AIT JAMAIS PEINTES. EN 1937, DEVANT LA MONTÉE DE L’ANTISÉMITISME , LES TOILES FURENT DISSIMULÉES.

cours de la décennie écoulée, le cœur des Russes a penché vers un genre littéraire bien par-ticulier : le thriller intel-lectuel. Les meilleurs re-présentants du genre, Boris Akounine et l’his-torien Léonid Iouzefo-vitch seront sans doute bientôt élevés au rang d’auteurs cultes.

Ces deux auteurs ont réussi à charmer la masse des lecteurs avec des intrigues historiques haletantes, et dans le même temps, les intel-lectuels avec leur style sophistiqué, fait d’allu-

L ’enfant terrible de la littérature russe - il vient d’écrire une lettre à Staline qui fait grand bruit - Zakhar Prile-pine revient avec un roman écrit à la première personne.

Même si Prilepine ne donne pas comme il le fait souvent son prénom au héros qui restera sans nom tout au long de cet étrange roman, ce dernier lui ressemble ne serait-ce que parce que comme lui, il est écrivain, journaliste et fasciné par les faits de société (il s’agit ici des enfants assassins) qui agitent son pays. Il est à un moment où sa vie patine. Pataugeant dans ses rela-tions amoureuses, entre une maîtresse qui fi nit par le congé-dier, une prostituée qui se fait tuer, il fuit son épouse et sa fa-mille se délite, malgré la fascination qu’il a pour ses jeunes en-

fants qui l’adorent tout en le considérant comme un grand frère turbulent et un peu minable.

Le public se passionne pour un héros du passé

LE JUIF EN ROUGE, 1915. CE TABLEAU FAIT PARTIE D’UNE SÉRIE DE TOILES OÙ CHAGALL MET EN AVANT SA JUDÉITÉ. LE PERSONNAGE CENTRAL, ASSIS DEVANT OU SUR UNE MAISON, SEMBLE VOULOIR SE LEVER COMME POUSSÉ PAR LE TEXTE HÉBREU.

Eraste Fandorine, un personnage fictif du XIXème siècle, fait un tabac dans les librairies.

sions intertextuelles et de des-criptions historiques détail-lées. Et, non moins rare, cette littérature touche également les lecteurs occidentaux.

A la différence de Pouch-kine ou de Limonov, Akounine n’est pas lu uniquement par des spécialistes ou des russo-philes, il est également connu du lecteur occidental lambda. Leviathan, Bon sang ne sau-rait mentir ou L’Attrapeur de libellules ont été des bestsel-lers en France. Moins connus, les livres de Iouzefovitch, Au nom du Tsar, Le Médaillon ou Le Prince mongol, attendent encore d’être découverts. Quatre ouvrages de Iouzefo-vitch ont été traduits en français.

Aussi mystique qu’ Umber-to Eco et Edgar Allan PoeLa particularité de ces livres tient à leur facture de romans criminels : le secret et la ré-vélation sont au cœur du polar. Les sujets de ces textes sont

astucieusement fournis et ali-mentés par les nombreux élé-ments des pratiques mystiques, religieuses et exotiques. En cela, ils rappellent Edgar Poe et Umberto Eco.

Ces textes se distinguent aussi par la rencontre de l’autre, toujours actuelle en Russie, qu’il s’agisse des Mon-gols chez Iouzefovitch ou des Japonais chez Akounine.

En outre, les lecteurs mo-dernes russes affectionnent particulièrement l’époque à laquelle se situent les intri-gues, qu’il s’agisse de la Rus-sie ancienne ou de l’époque pré-révolutionnaire.

Réanimer l’époque des starsAprès la période de vide cultu-rel de l’URSS et la phase sui-vante de bouleversements, les romans d’Akounine et de Iouzefovitch répondent aux besoins de nombreux Russes de se souvenir des temps de « trou noir » et de lancer un pont vers leur propre passé.

Le Singe noirTITRE : LE SINGE NOIRAUTEUR : ZAKHAR PRILEPINEÉDITION : ACTES SUDTRADUIT PAR JOELLE DUBLANCHET

LIVRE

Espérant collecter un précieux matériau pour son prochain livre, notre héros se lance dans une enquête sur les enfants assassins. Les enfants sont dénués de pitié, « ils ne connaissent pas la peur… ni les… catégories du bien et du mal… il ne comprennent pas ce qu’est la cruauté ». Le phénomène des enfants assassins récurrent dans l’histoire semble pouvoir

Page 9: Lire la Russie

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Les faits historiques sont soi-gneusement entrelacés dans les intr igues  ; mythes et légendes prennent vie, les livres respirent l’atmosphère du XIXe siècle, recons-truite avec tendresse, nos-talgie et sur la base de connaissances historiques fon-dées. Cette période n’est néan-moins aucunement idéalisée : les textes tentent de donner une représentation réaliste.

Dans le même temps, cette représentation, aussi bien chez l’un que chez l’autre, est in-fl uencée par une perspective actuelle, par l’attitude actuelle des auteurs. Cet art de traiter

le passé offre aux Russes, mais aussi aux lecteurs occiden-taux, la possibilité de redé-couvrir la Russie.

Une Miss Marple à la russeLes héros mêmes de cette lit-térature sont nouveaux pour la Russie. D’un côté, ils sont, comme les héros de romans

criminels occidentaux, des gé-nies intellectuels et solitaires, citons juste Sherlock Holmes, Hercule Poirot ou encore Phi-lip Marlowe, ce qui remplit les Russes de fierté  : nous avons aussi les nôtres. D’un autre côté, tous ces person-nages sont très « russes ». Chez Iouzefovitch, il s’agit

d’Ivan Poutiline, un enquê-teur de la police péters-

bourgeoise, qui rappelle de nombreux héros de Dostoïevski, tandis que chez Akounine, on pense à la nonne Pélagie (une

Miss Marple russe) ou à Eraste Fandorine, le bour-

lingueur. Leur idéalisme les réunit, combiné à une bonne dose de réalisme.

Les héros du roman savent bien qu’ils ne peuvent pas changer la réalité, mais ils font comme s’ils pouvaient. De bons héros ou de naïfs imbé-ciles ? On ne fait pas vraiment de différence en Russie.

Svetlana Bogen

Boris Akounine a été tour à tour ou si-multanément essayiste, traducteur

littéraire, et romancier.

Léonid Iouzefovitch est un écri-vain, scénariste, et historien. Il est

devenu populaire après la parution des romans policiers sur le détective

Ivan Poutiline en 2001.

aider le héros à répondre à son ques-tionnement : « qu’est-ce qui est le plus inhérent à la nature humaine : la rési-gnation ou la révolte ? Quand la rési-gnation fait-elle d’un saint un pauvre type ? Et quand la révolte fait–elle d’un héros nat ional un psychopathe paroxystique ? ».

Refl et du chaos du monde et de l’uni-vers du héros, la narration est saccadée. On ne sait jamais exactement ni quand ni où l’action se situe, dans un immeuble où toute la population aurait été massa-crée par des enfants sauvages, au moyen-âge, sur un champ de bataille où déferlent des hordes d’enfants, dans des lieux où ils sont objets d’étude : laboratoire secret ou terrarium ; ou encore dans la déam-

bulation du narrateur à travers les cours de la ville ou dans ses souvenirs d’enfance et de jeunesse, à moins que ce ne soit dans son délire morbide ?

Comme toujours chez Prilepine, quelques pépites poétiques viennent éclairer un récit brutal comme le monde qu’il dépeint : san-guinaire et malade, peuplé d’enfants in-nocents et sauvages et d’adultes imma-tures, « mous comme des pommes pour-ries  », incapables de protéger leur progéniture. Malgré l’écho des thématiques habituelles, le lecteur aura peut-être du mal à retrouver dans ce dernier roman, l’auteur prometteur de Pathologies et du Péché, consacré en 2011 en Russie meil-leur auteur de sa décennie.

Christine Mestre

L’un des cycles de Boris Akou-nine est dédié à Eraste Fando-rine. L’action de Touretsky

Gambit (sur illsutration) se dé-roule en 1877.

Plus inhérente à la nature humaine : la résignation oula révolte ?

Page 10: Lire la Russie

MARC CHAGALL

BELLA AU COL BLANC, 1917. « VÊTUE DE BLANC OU DE NOIR, ELLE

(EST) L’IMAGE CENTRALE DE MON ART », -

DISAIT CHAGALL.

Pendant la guerre (1914–1918) il continua àpeindre et, par manquede toiles, il utilisa ducarton. Il peignait toutce qu’il voyait, mais Bella occupaittoutes ses pensées.

tique voilée. La tristesse de la période de stagnation du milieu des années 1960 jusqu’au début des années 1980 n’est nulle part diagnostiquée aussi fortement que dans la science-fi ction de cette époque.

Les romans des frères Strougatski comme Il est difficile d’être un dieu (1964) ou La Seconde Invasion des Martiens (1967) mettent en scène des terriens en doute qui s’opposent à l’ordre social des-tructeur et aux pouvoirs opérants larvés. Les fi lms d’Andreï Tarkovski Solaris et Stalker, bien connus des cinéphiles du monde entier, déroulent un discours for-tement pessimiste.

Avec la chute de l’URSS en 1991 et le début de la « thérapie du choc » capita-liste de Boris Eltsine, la science-fi ction a perdu son moteur critique. Les lecteurs russes se sont tournés vers les bestsellers occidentaux, le roman fantastique médié-val et les opéras spatiaux interstellaires. Mais avec durcissement politique surve-nu au cours de la dernière décennie, le roman fantastique russe a connu une re-naissance. Cette nouvelle vague adapte les modèles occidentaux, tout en renouant avec les traditions anti-utopistes de leurs prédécesseurs soviétiques. La nouvelle lit-térature de masse ne devrait plus extra-poler, usant d’allégories critiques dans des dimensions interplanétaires, mais trans-former le trauma du passé soviétique et du présent post-soviétique en une vision catastrophe distrayante.

Les nouveaux héros ne sont plus des intellectuels agissant rationnellement. Ce sont désormais des protagonistes majori-tairement jeunes et masculins prenant leur destin en main, à grand renfort de magie, d’intuition et de force brutale. Ils doivent, en tant que spécialistes des catastrophes et que rê-veurs du monde, se sauver et sauver toute la planète des maux de l’humanité, de politiciens corrompus, de militaires belligérants e t de méga lom a ne s pathologiques.

Matthias Schwartz

cience-fi ction, fan-tasy, fantastique fi-gurent aujourd’hui parmi les genres lit-téraires les plus po-pulaires en Russie, avec le polar. Des au-teurs comme Sergueï

Loukianenko, Dmitry Glukhovsky ou Vadim Panov atteignent des tirages dont d’autres auteurs ne peuvent que rêver. Ils s’inscrivent tous dans une tradition de science-fi ction soviétique née à la fi n des années 1950, durant la période de dégel initiée par Nikita Khrouchtchev. Mais le genre a complètement changé.

A l’époque soviétique, on était, aux côtés de Gagarine et de Spoutnik, prêt à conqué-rir l’espace, tandis que le secrétaire géné-ral du Parti communiste de l’Union so-viétique prophétisait sur la construction du socialisme dans les 20 années à venir, et le « fantastique scientifi que », en tant qu’alternative russe à la science-fi ction, vivait son premier boom. Les utopies com-munistes futuristes, les mondes merveil-leux cybernétiques et les civilisations ex-traterrestres signalaient la sortie de l’étroi-

tesse idéologique de la société des d e r n i è r e s a n n é e s d u stalinisme.

Ivan Efremov, Arkadi et Boris Strougatski,

Eremeï Parnov ou encore l’écrivain

polonais Stanislav Lem ont inventé une « autre

SF » qui s’est très rapide-ment détachée des pré-visions futuristes com-

munistes et s’est à la place installée sur des planètes loin-taines, développant

des allégories où le quoti-dien socia-

liste était s u j e t à

une cri-

Avec le durcissement politique, le roman fantastique russe a connu une renaissance.

Un penchant pour les mondes imaginaires

Page 11: Lire la Russie

9

La construction du métro de Moscou avait commencé avant la Seconde Guerre mondiale, mais celle-ci a

entraîné des changements dans les plans de construction. Les stations étaient uti-lisées comme abris pendant les bombar-dements, elles ont protégé des dizaines de milliers de Moscovites des raids aériens. Voilà pourquoi le métro moscovite est si profond par rapport aux réseaux euro-péens ; certaines stations se situent à plus de cent mètres sous la terre.

Après la guerre, le métro est resté un lieu à double vocation : il constitue l’un des plus beaux réseaux de transport du monde, une merveille soviétique au même titre que le Transsibérien ou la tour de radio-télédiffusion Ostankino, et repré-sente toujours le plus grand abri anti-bom-bardement de la planète.

Avec l’apparition de l’arme nucléaire, de nombreuses stations ont accédé au rang de bunkers antiatomiques : chacune d’elles était équipée d’un système de fermeture et de portes blindées opérationnelles en moins de six minutes. Beaucoup de sta-tions étaient équipées de fi ltres à air, de stocks de provisions et de médicaments, lesquels étaient entreposés dans les tun-nels. Des puits artésiens furent également construits.

Quand j’ai appris que le métro que j’em-pruntais tous les jours pour me rendre à l’école n’était pas un simple réseau de trans-ports mais un gigantesque bunker, j’ai eu envie d’écrire un roman qui se déroule-rait vingt ans après la troisième guerre

mondiale. Ceux qui auraient survécu en se protégeant dans les stations du métro y vivraient encore.

Où pourraient-ils aller se réfugier ? Toute la terre serait en ruine, les villes ne seraient plus reliées entre elles, ni en Rus-sie, ni dans les autres pays. Ces citoyens penseraient être les seuls survivants. Même si certains avaient survécu, ils se trans-formeraient progressivement en animaux. La civilisation humaine tomberait en mor-ceaux, mais le métro moscovite et ses sta-tions bunkers constitueraient le dernier bastion de l’humanité et de sa culture. Il n’existerait plus de forme de gouvernance unie : les stations de métro se transfor-meraient en principautés féodales carica-turales. Chacune défendrait son idéologie (communiste, fasciste, libérale-démocrate) et sa religion. Les affrontements seraient permanents. J’ai décidé de réduire le monde entier à l’échelle du seul métro de Moscou...

J’avais déjà commencé à me consacrer à la rédaction de mon livre quand j’ai ap-pris des choses invraisemblables concer-nant le métro : 185 stations et presque 300 kilomètres de tunnels représentent à peine la hauteur d’un iceberg. Parfois, à seule-ment quelques mètres derrière les murs des stations, se trouvent plus de deux cent bunkers militaires et gouvernementaux dont l’existence est cachée à des millions de voyageurs.

Mais ce n’est pas tout : parallèlement au réseau emprunté par les Moscovites, un métro secret a été réalisé pour les élites

dirigeantes. Des stations ont été construites sous chaque institution gouvernementale : les ministères, les résidences des diri-geants, la bibliothèque Lénine, le bâti-ment qui abritait le KGB sur la place de la Loubianka, l’université d’État de Mos-cou (MGU), et bien sûr, sous le Kremlin. Elles constituent ce que l’on appelle le ré-seau « Métro 2 ». En cas de troisième guerre mondiale, les dirigeants soviétiques, les élites des services secrets et de l’armée, les savants, les universitaires auraient pu être sauvés grâce à cette infrastructure qui existe toujours actuellement.

Pour le moment, la troisième guerre mondiale semble lointaine, mais je reste persuadé qu’aucune ville au monde n’est mieux préparée à l’Apocalypse que Moscou.

Dmitry Glukhovsky

Dmitry Glukhovsky est devenu popu-laire avec son roman Metro

2033, qui fut d’abord pu-blié sur le web.

Dmitry Glukhovsky est né à Moscou en 1979. Il a vécu et étudié en Israël et a travaillé en Allemagne et en France. Il a été correspondant de Radio Russie, a collaboré à la radio-télévision Deutsche Welle, aux chaînes Euronews et Russia Today. Il a été présentateur du programme de vul-garisation scientifi que « Le Petit dé-jeuner fantastique » sur le Web. Il a fait ses débuts en tant qu’écrivain en ligne avec le roman post-apocalyp-tique « Métro 2033 », publié sous forme de livre en 2005.

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Prêts pour l’apocalypse ?Le métro moscovite est devenu l’ultime refuge des personnages de « Métro 2033 », roman anti-utopique se déroulant après la troisième guerre mondiale.

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Page 12: Lire la Russie

omment avez-vous

réussi à conce-

voir ce livre avec

un détenu, Mikhaïl

Khodorkovski ?

Khodorkovski et moi avons chacun rédigé différents

chapitres du livre et je me suis efforcée, dans mes chapitres, de ne pas répéter ce qui se trouvait déjà dans les siens. Notre échange de lettres a été long et difficile. Quand j’avais le sentiment qu’il avait ou-blié quelque chose ou qu’il était réticent à se souvenir de quelque chose, je lui en-voyais des questions supplémentaires. En règle générale, il complétait alors ses textes. Dans mes cha-pitres à moi, de nombreuses voix s’expriment : celles des actionnaires, des journalistes et des experts.

Comment avez-vous procé-

dé pour échanger avec un

homme qui se trouve en pri-

son en Russie alors que vous

vivez à Paris ?

J’ai passé beaucoup de temps en Russie quand j’écrivais le livre. J’étais présente dans la salle d’audience pen-dant presque tout le deuxième procès. Honnêtement, j’ai souvent oublié qu’il s’agissait d’un détenu. Il n’y avait que quand cela m’énervait qu’il ne parle pas assez ouvertement à certains endroits ou que je ne reçoive pas de réponse de sa part pendant longtemps que je me souvenais des conditions difficiles dans lesquelles il travaillait à ce livre. D’ail-leurs, je ne sais toujours pas comment il a trouvé le temps de le faire… D’abord c’étaient les audiences qui l’accaparaient, puis la prison, où il devait travailler et avait très peu de temps à lui. Khodorkov-ski est une personne forte et un interlo-cuteur fort, ce qui fait que j’ai souvent

oublié de le ménager. Tant mieux,

Correspondance avec KhodorkovskiNatalia Gevorkyan a publié un long essai épistolaire avec Mikhaïl Khodorkovski, qui est sorti en France en février 2012.

peut-être. Je me demande parfois ce que ce livre aurait donné si nous avions été assis l’un en face de l’autre à parler, comme je l’ai fait auparavant avec Poutine.

Croyez-vous que Khodorkovski ait un

avenir politique ? Une mission parti-

culière ?

Je suis sceptique vis-à-vis des gens qui considèrent la politique comme leur mission. Je doute qu’il soit de ceux-là. A la fi n du livre, j’ai écrit qu’aucun d’entre nous ne connaissait cet homme qui se trouve en prison depuis neuf ans. Ni moi, ni même ses meilleurs amis.

Aujourd’hui, seul son cercle fami-lial proche le connaît peut-être, sa femme. Mais sa personnalité est telle qu’il attein-dra ses objectifs, quoi qu’il entreprenne après sa libération.

Il y a quelques années, vous

avez eu à plusieurs reprises

l’occasion d’observer de près

Vladimir Poutine. Qu’est-ce

que Poutine et Khodorkovski

ont en commun, qu’est-ce qui

les différencie ? La Russie

d’aujourd’hui est-elle mar-

quée par cette divergence ?

Je n’ai pas envie de les com-parer l’un à l’autre. Ils ont sû-rement des choses en commun. Ne serait-ce que leur sexe. Mais ils sont assurément très diffé-rents. Humainement parlant, Khodorkovski est pour moi une plus grande fi gure. Poutine est une bien trop petite personne, c’est ce qu’il m’a semblé dès le début ; il possède

AUTOPORTRAIT À LA PALETTE, 1917. L’AUTOPORTRAIT EST L’UN DES SUJETS PRÉFÉRÉS DE CHAGALL. IL FIT

MÊME UNE VERSION ÉCRITE DE SON AUTOPORTRAIT AVEC SA BIOGRAPHIE « MA VIE ».

de nombreux traits de personnalité qui sont purement et simplement domma-geables pour la fonction qu’il exerce. Avec le début de la rivalité entre Khodorkov-

ski et Poutine a effectivement commencé une époque que l’on

qualifie aujourd’hui de poutinienne.

Et oui, de nombreuses choses qui se sont passées en Russie depuis 2003 peuvent

s’expliquer à partir de l’arrestation des diri-geants de Ioukos et du démantèlement de la compagnie.

Pourquoi le mouve-

ment de contestation

actuel ne reconnaît-

il pas Khodorkovski

comme leader poli-

tique ? Même dans le

Conseil de Coordination

que l’opposition vient de

former, Khodorkovski n’a

aucune place, même sym-

bolique…

Peut-être les principaux opposants n’y pensent-ils

pas ? Ou peut-être portent-ils sur Khodorkovski un re-gard inquiet, pour ne pas dire jaloux. A mon avis, au niveau intellectuel, il sur-passe tous ceux que l’on considère aujourd’hui comme les leaders de l’opposition.

Qu’est-ce qui vous a pous-

sée à écrire ce livre ?

Pour faire bref : la com-plexité de la tâche.

Propos recueillis par Dmitri Vachelin

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Page 13: Lire la Russie

Des héros aux ailes briséesLe nouveau roman de Lioudmila Oulitskaïa, La Tente verte, sur les dissidents soviétiques, est très attendu en France en 2013.

nées 1960 jusqu’au début des années 1980, quand les arrestations ou les internements en hôpital psychiatrique pour cause « d’agitation antisoviétique » ou de « hoo-liganisme » étaient monnaie courante. Le thème le plus important du roman est la maturité morale de l’individu, sa conscience et sa liberté. Doit-il faire prendre des risques énormes ou suivre les rêgles établies ? Pourquoi certains in-dividus développent-ils une responsabi-lité morale tandis que d’autres, non ?

Les principaux tournants dans le des-tin des protagonistes sont les interroga-toires du KGB. Ils ont mis au pied du mur, confrontés à une fêlure, physique et morale. Une esquisse de Vroubel – un ange aux ailes brisées – suspendue au-dessus du lit de Tamara, sert de métaphore. Et elle sert très prosaïquement à payer les coûts du départ pour rejoindre l’être aimé émigré.

Lioudmila Oulitskaïa ne donne pas une série d’événements linéaires, elle opte pour des spirales liées aux personnages. Chaque chapitre est enchevêtré dans l’autre et change la perspective. Le motif est com-plexe et souvent fatalement brisé à l’in-tersection de plusieurs lignes de vie. En plus de la poésie omniprésente, l’au-teure distille un humour très per-sonnel. Parfois, elle comprime le temps en des événements historiques, comme l’horreur archaïque de Moscou au mo-ment de la mort de Staline. Parfois, l’absurde apparaît, lorsque Macha détourne de l’argent et s’achète secrètement des bottes de pêcheur. Elles se révéleront trop petites, alors elle les bourrera d’une copie circulant sous le manteau de l’Archipel du Goulag, interdit, et cachera le tout au-dessus des toilettes. Peu de temps après, la datcha du « Roi Arthur » sera l’objet d’une perquisition qui retournera tout et mènera à la confi scation de livres, mais le carton contenant les bottes ne

sera pas découvert et le beau-père de Macha échappera à l’arrestation.

Ceux qui sont en prison ou dans les camps sont marqués à vie et la plupart meurent jeunes. Lioudmila Oulitskaïa met le point fi nal avec la mort de Joseph Brodski en 1996, à New York. Mais Brodski, condamné en tant que « para-site » en 1964 et expulsé du pays en 1972, devenu anonyme, incarne les poètes et les dissidents : Siniavski, Daniel, Ga-lanskov, Bukowski, Gorbanevskaïa, le général Grigorenko, etc. Le prototype pour Micha est le poète Ilia Gabaï. Les destins d’Ilia, Sania et des femmes sont des compilations de plusieurs biogra-phies. L’auteure mixe fi ction et travail documentaire. Andreï Sakharov n’a be-soin d’aucun masque. Elle décrit sim-plement une visite auprès du physicien et défenseur des droits de l’homme qui a accepté l’humiliation car il avait consi-déré l’utilisation de quelque chose de plus important comme un privilège personnel.

Dans les rêves d’Olga, ils sont tous rassemblés, vivants et morts, traîtres, coupables et victimes. Lioudmila Ou-litskaïa ne condamne personne, mais

son amour va aux gens solides et au x poètes dotés d’u ne

conscience.Ruth Wyneken

Lioudmila Oulitskaïa est née le 23 février 1943 en Bachky-

rie. Diplômée en biologie, elle devient chercheuse en génétique

à l’Académie des Sciences de l’URSS, puis se tourne vers l’écriture. En 1994, sa nouvelle « Sonietchka » est très remarquée en France, et re-çoit le prix Médicis. Lioudmila Ou-litskaïa a été nommée Officier de l’Ordre des Palmes Académiques en 2003 et de l’Ordre des Arts en 2004. En 2011, elle a été lauréate du Prix de Simone de Beauvoir.

MARC CHAGALL, AOÛT 1934.DE RETOUR EN FRANCE APRÈS UN VOYAGE EN PALESTINE, CHAGALL SE MIT À TRAVAILLER SUR LES ILLUSTRATIONS DE LA BIBLE POUR A.VOLLARD.

epuis ses débuts, la lit-térature en Russie incarne la conscience de la nation et l’écrivain est considéré

comme une autorité morale. Le verbe artistique ne jouit pas seulement d’une grande importance dans la population mais il est également redouté par le pou-voir. La censure s’est abattue sur Pouch-kine et Gogol en passant par Dostoïev-ski et Soljenitsyne. Tandis que l’histo-riographie officielle défi gure ou escamote la vérité, la littérature ose s’en appro-cher. Le nouveau roman de Lioudmila Oulitskaïa, La Tente verte, commence là où s’arrête le plus grand roman de la perestroïka, d’Anatoli Rybakov, Les En-fants de l’Arbat, c’est-à-dire à la mort de Staline. C’est une mise en garde contre un retour au stalinisme, contre la glo-rifi cation du « glorieux passé soviétique » et la soumission aux autorités. Il donne au lecteur un aperçu des dilemmes de l’individu face à un État totalitaire, qui se prétend gardien des libertés et de la justice sociale.

Les trois camarades d’école Ilia, Sania, Micha et les jeunes Tamara, Galia et Olga sont nés avant la guerre et grandissent dans les années 1950 à Moscou. Les jeunes gens sont sensibilisés par Viktor Chen-gueli, un professeur engagé sur les ques-tions culturelles, sociales et éthiques. « La littérature est la seule chose qui aide l’homme à survivre, à se réconci-lier avec son temps », leur apprend-il. Ils comprendront plus tard que ce pos-tulat s’applique à tous les arts, Sania en tant que musicologue, Ilia en tant que photographe et Micha en tant que poète et professeur. Bien que n’étant pas actifs politiquement, ils entrent rapidement en contradiction avec la doctrine d’État so-viétique. Consients de leur responsabi-lité morale, ils devinrent fatalement des marginaux et des « ennemis ».

Le livre tourne autour de la période de la dissidence soviétique dans les an-

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se sont aimés le temps d’un été, avant que la

guerre ne les sépare. Ils se sont aimés, trois jours peut-

être. Désormais ils s’écrivent. Au-delà de la vie et de la mort, deux voix qui s’élancent l’une vers l’autre, mais dont les mes-sages, on le comprend très vite, ne parviennent jamais à leur destinataire.

En deux heures moins dix, la perception du réel, de l’es-pace et du temps est faussée. Le temps de sa correspondance à lui, Volodia, le temps d’une guerre, 3 ans peut être, ne cor-respond pas à son temps à elle, Sacha, que l’on suit le temps d’une vie d’adulte, 33 ans sans doute. 3 jours, 3 ans ou 33 ans, quelle importance ? Le temps, c’est nous… Nous sommes ses vecteurs, nous disparaîtrons et la guérison viendra.Le temps aura passé comme une angine dira Volodia.

L’important c’est la vie, « la vie bruyante, capiteuse, impé-rissable » et c’est la mort qui lui donne son sens, notamment au moment du passage ultime, éclairé par le sourire de la Jo-

conde, moment où il est tel-lement important de faire

son travail d’humain : « Je ne sais pas si ça l’a

aidé à mourir mais moi ça m’a aidé à

vivre », « je lui ai tenu la main au

moment qui est certai-

nement le

Deux heures moins dixChichkine livre un ouvrage puissant qui a reçu le prix du Grand Livre en Russie. Il sollicite la sagacité du lecteur avec plusieurs niveaux de lecture.

plus important dans la vie d’un homme, et je me suis sentie heureuse », disent respective-ment Volodia et Sacha. La mort des uns est aussi la renaissance des autres, cycles de vies mêlés, comme aussi, dans les récits de Sacha, cette inversion des rôles avec le temps, entre enfants et parents. Éternel recommence-ment. Sur le front, entouré d’êtres disloqués, sans identi-té, sans visage, confronté à l’ex-trême cruauté et à la misère humaine, Volodia comprend que « le monde n’est pas un songe et le moi n’est pas une

illusion. Le moi existe, il s’agit de le rendre heureux. Car… L’homme… est le seul être vi-vant qui sache que la mort est inéluctable. C’est pourquoi il ne faut pas remettre le bon-heur à plus tard, il faut être heureux maintenant ». Ne pas espérer, surtout, respirer tout de suite de tout son corps la vie, se réjouir de l’inutile, de ces choses insignifiantes, comme celles évoquées dans leurs souvenirs. Fragments de vie, moments intimes restitués avec leurs odeurs, leurs cou-leurs et leur bruits, objets, comme cette bague fi gée dans sa chute qui jalonne un instant de vie, moment d’éternité.

L’absence de repères tempo-rels, géographiques, sociolo-giques confère une dimension universelle à leur parole, comme l’abondance d’éléments physiques : chairs meurtries, plaies infectées, humeurs et fonctions les plus intimes des corps, qui soulignent que Vo-lodia et Sacha vivent ce que vivent en tout temps et en tout lieu les hommes et les femmes, avant tout, êtres de chair et de sang. De même, le choix étrange, à première vue, de faire que ces deux correspon-dances ne communiquent pas, montre que chacun est enfer-mé dans sa solitude et doit ac-complir, chacun, son cycle de vie. Comme dans le royaume du Prêtre Jean « bruyant, ca-piteux, impérissable » qui ac-cueille Volodia. Chichkine brouille encore les cartes avec ce royaume mythique « …où chacun connaît son avenir et vit néanmoins sa propre vie… avant que de redevenir ce qu’il a « toujours été : chaleur et lumière ».

Christine Mestre

TITRE : DEUX HEURES MOINS DIXAUTEUR : MIKHAÏL CHICHKINEÉDITION : NOIR SUR BLANCTRADUIT PAR NICOLAS VERON

LIVRE

Mikhaïl Chichkine est né en 1961 à Moscou d’un père sous-marinier et d’une mère enseignante. Diplômé de la Faculté romano-germanique de Moscou. Il a souvent changé de profession : concierge, professeur d’allemand et d’anglais. Chichkine est publié depuis 1993. Paru en fran-çais, « Dans les pas de Byron et Tolstoï » a reçu le prix du meilleur livre étranger en 2005.

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uelques an-nées après L’Éloge des voyages in-sensés, livre

hallucinant dont la traduc-tion fut récompensée par le prix Russophonie, les éditions Verdier publient un nouvel opus de Vassili Golovanov, Espace et la-byrinthes. Même quête fi é-vreuse, minutieuse et dé-sespérée, même passion fa-rouche de cheminer vers les villages les plus recu-lés de l’immense pays, pour retrouver sa source. Celle de la Volga, source de mythes en même temps que source de vie ; celle de la Russie, la substance du peuple russe, ce je-ne-sais-quoi sans lequel, écrit Go-lovanov, « notre immense littérature (l’un de nos rares apports à la culture universelle) deviendra pour nos enfants aussi il-lisible qu’une écriture cu-néiforme » ; celle des textes de cette même littérature. Car il s’agit bien ultime-ment et tant qu’il est temps, encore, de faire du lien entre la langue et la terre, de donner du sens et d’ancrer dans des racines une génération rongée par le consumérisme.

« Sans doute l’homme a-t-il besoin de temps à autre de pénétrer dans d’autres mondes pour ne pas se sentir prisonnier de sa vallée de larmes » nous dit Golovanov qui, dans ses voyages litté-raires, nous entraîne à la fois dans une relecture des œuvres de Vladimir Khlebnikov ou d’An-dreï Platonov et dans les lieux qui les ont vus naître. Voyage à la source de la Volga, puis dans son delta, à Astrakhan, « véritable chaudron ethnique et linguistique, bouillon de culture ver-bal » qui inspira Khlebnikov, infatigable brico-leur de mots, poète à l’écoute amoureuse du chant des oiseaux et des langues des hommes, désor-mais présent seulement dans de rares mansardes

Géographe du sensL’écrivain Vassili Golovanov est un des vulgarisateurs russes du concept de géopoétique inventé par le philosophe écossais Kenneth White.

Né en 1960, l’essayiste et écrivain voyageur, Vas-sili Golovanov est diplômé de la faculté de jour-nalisme de l’Université de Moscou. Il a travail-lé comme journaliste puis publié des essais, des nouvelles et des romans dans les revues « Nou-velle jeunesse », « Amitié des peuples » (meil-leure publication en 1997), « Nouveau Monde » (meilleure publication en 2004).

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TITRE : ESPACE ET LABYRINTHESAUTEUR : VASSILI GOLOVANOVÉDITION : VERDIERTRADUIT PAR HELENE CHATELAIN

LIVRE

où « une jeunesse que personne ne connaît encore aiguise l’arme du verbe pour la future révolte contre l’indigence triomphante ».

Voyage dans le jardin de Pria-moukhino créé par le père de Bakounine qui accueille dé-sormais les rassemblements de jeunes anarchistes  ; voyage dans la steppe, de Touva, à la croisée, des trajectoires mi-gratoires des oi-seaux et des cara-vanes des mar-c h a n d s , e n t r e Europe et Asie ou dans celle qui abri-terait, Tcheven-gour, cité mythique du roman éponyme de Platonov, vers la-quelle Golovanov et s e s c o m p l i c e s s’élancent, à bord de «  La force du prolétariat », vieux 4X4 qui porte le nom d’un cheval du roman… « Plus on s’éloigne des val-lées des bourgades et des villes où les gens mènent une vie cupide, men-

s o n g è r e , h u m i l i a n t e e t malveillante, plus on s’approche de Tchevengour ».

Sur les routes, Golovanov re-monte aux sources des mythes. « Sans mythe, la terre est inerte, muette, vouée à l’oubli ». Tel un géo-graphe du sens, il élucide avec une incroyable érudition le mystère de la langue : son ancrage géographique, sa densité, sa trame, tout ce qu’elle porte d’his-toire humaine. Pour Golovanov, c’est l’émer-gence de ce sens, né du dialogue entre la terre et la langue, qui permettra aux générations fu-tures de ne pas sombrer dans une « indigence triomphante » et de renouer avec leurs racines.

Christine Mestre

Page 16: Lire la Russie

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Vingt ans après avoir tiré sur la foule, un ancien militaire russe expatrié à Paris réalise sa culpabilité et prend le chemin de la rédemption.

TITRE : POTEMKINE OU LE TROISIÈME COEURAUTEUR : IOURI BOUÏDAÉDITION : GALLIMARDTRADUIT PAR SOPHIE BENECH

LIVRE

Iouri Bouïda est né en 1954 à Kaliningrad. Après avoir reçu son diplôme en 1982, il commence à travailler en tant que journaliste. En 1991, Iouri s’installe à Mos-cou et la même année, il publie des œuvres en prose. Il est l’auteur du roman « Don Domino » (1994, pré-sélectionné pour le prix Booker russe) et du livre « La Fiancée prussienne » (1998), récompensé par le petit prix Apollon Grigo-riev et également présélec-tionné pour le Prix Boo-ker. Le roman a pour la première fois été publié sous forme de livre en 2005.

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HIE est la fi n des années 20, à Paris.

Dans cet entre-deux-guerres défi ni par Bultmann comme « une halte douloureuse entre la Crucifi xion et la Résurrec-tion ». Le jazz mêle ses accents à ceux de La Madelon, les ci-catrices laissées par la Grande Guerre sur les hommes et sur toute la société sont profondes. Dans ce Paris léger et tragique, où le soleil ensanglante la Seine et les façades, Dali croise Ma-

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demoiselle Channel et Berdiaev Teilhard de Chardin ; Théo, le Russe blanc, croise Mado l’ado-lescente unijambiste, psycho-pathe, cynique et pleine de hargne tout droit sortie de la Cour des miracles d’Hugo.

Théo, Fiodor Zavalichine, est l’un de ces nombreux Russes qui peuplent Paris et sa ban-lieue. Ancien militaire, médail-lé de la Grande Guerre, c’est la photo pornographique qui lui assure une existence pros-père. Théo et ses amis discutent de leur vie à la lumière de la pensée inévitable de Dostoïe-vski, mais aussi de celle de Pas-cal, de Spinoza, de la Bible et de la mythologie grecque.

Un jour, la vie de Théo bas-

cule. Il revit, à travers le fi lm d’Eisenstein la tragédie du Po-temkine à laquelle il prit part lors de son service militaire à Odessa. Il réalise soudain qu’il a tiré sur d’innocentes victimes, des femmes et des enfants et, tel Zossime, le héros de Dos-toïevski, rattrapé par la culpa-bilité, il court se dénoncer à la police. Mais la justice des hommes ne peut juger un crime qui remonte à 20 ans et Dieu, « ce marchand de honte », de-meure silencieux… « Le châ-timent est inexorable unique-ment dans le cas ou Dieu existe ». Théo devra faire seul son chemin expiatoire. Le mé-decin qui soigne sa soudaine épilepsie le met en garde : « Le sentiment de culpabilité est une chose dangereuse… il est

fréquent qu’il oblige un homme à commettre des actions fatales, qu’il fasse de lui un esclave et un monstre ». Justement, un curieux engrenage trans-

forme notre héros en quête de rédemption en « serial

Le silence du marchand de honte

LA GRAND’ ROUE, 1911-12. RÉALISÉ LORS DU PREMIER VOYAGE DE CHAGALL À PARIS. IL DIRA MÊME : « MON ART A BESOIN DE PARIS COMME L’ARBRE A BESOIN D’EAU ».

Page 17: Lire la Russie

Il est difficile pour un Russe de se mettre à écrire en français. Pas pour Dimitri Bort-nikov. Non seulement il publie ses livres en

français, mais il préfère parler de littérature dans la langue de Molière. Et lorsqu’un fran-cophile russe s’installe à Paris, cela crée tout de suite un «  buzz  » dans le mi l ieu littéraire.

Le parcours de Dimitri Bortnikov est tout sauf ordinaire. Originaire de la région de Kouï-bychev (Samara), il fait d’abord des études de médecine comme sa mère, mais interrompt le cursus pour effectuer son service militaire en Iakoutie, dans le stroïbat, le bataillon de construction. Il passera ainsi deux années dans la toundra, au-delà du cercle polaire où il va commencer à écrire.

Son premier roman, Syndrome de Fritz, le Booker Prize russe de l’année 2002, a été un succès en Russie et en France. En partie auto-biographique, ce livre donne la vision de Bor-tnikov sur son parcours semé d’embûches. Issu d’une famille noble, il est obligé de vivre dans la misère. Abandonné par ses parents, trop oc-cupés par leur carrière, il est élevé par son ar-rière-grand-mère aveugle, ayant passé son en-fance dans une maison au bord de la Volga dans des conditions moyenâgeuses. Mais c’est dans cette maison qu’est née sa spiritualité, que son monde intérieur s’est enrichi et qu’il s’est s’initié au slavon. Rien d’étonnant donc que Bortnikov préfère toujours le papier à l’or-dinateur, se dise mystique et profondément réactionnaire.

Après son service militaire, juste avant l’écla-tement de l’URSS, Bortnikov étudie à la facul-té des lettres classiques de l’Université de Sa-mara et continue à chercher sa voie. Il est tour à tour cuisinier, aide-soignant dans une ma-ternité et professeur de danse, consacrant son temps libre à l’écriture.

N’ayant pas trouvé ses lecteurs en Russie, Dimitri Bortnikov s’est lancé à leur recherche en France. Et le résultat est plutôt satisfaisant. « En termes de littérature, les Français sont au dessert, tandis que nous (les Russes) sommes toujours au plat principal. Je me sens certes comme un dessert bizarre, mais tous les écri-vains sont exotiques aux yeux des lecteurs fran-çais », dit-il en souriant.

En évoquant la littérature russe moderne, Bortnikov reprend son air sérieux. « C’est la traversée du désert, comme disait le philosophe Gilles Delheuze. Et j’ai beaucoup de compas-sion pour ceux qui sont nés en Russie mainte-nant. C’est un véritable désert culturel. En France, c’est aussi le désert, mais il est bien irrigué. Dommage, car les Russes vivent sur trop de matière. Et pour l’animer, il faut un souffle d’Hercule ».

En visite à Marseille pour le mois de novembre (2012) sur l’invitation de l’association Peuple & Culture, Dimitri Bortnikov participe à des dis-cussions littéraires, lit des extraits de ses œuvres, et anime des ateliers de traduction. Il y a quelques mois, il a terminé de traduire en français les lettres d’Ivan le Terrible (Ivan le Sevère dit le Terrible, Je suis la paix en guerre, publié aux éditions Allia). « C’est une torture que j’ai infl i-gé aux deux langues, dont aucune n’est ma langue maternelle », souligne-t-il, en parlant du slavon et du français.

Bortnikov ne serait pas un homme de lettres si pour lui la traduction, une profession qui né-cessite beaucoup de rigueur, n’était pas devenue « une contrebande littéraire, une transfi guration qui consiste à faire « chauffer » la phrase dans une langue pour la tordre selon la structure d’une autre langue ». C’est certainement sa manière audacieuse d’interpréter les choses simples qui intrigue les lecteurs français.

Eugène Zagrebnov

A la recherche d’une oasis culturelle

Cuisinier et professeur de danse, Dimitri Bortnikov ne se considère pas comme écrivain, mais consacre son temps libre à l’écriture.

killer », les crimes des autres étant au passage mis à son compte... Il quitte Paris avec Mado, couple improbable lancé dans un « road movie » qui doit les conduire à Lourdes où un charlatan a promis à Mado de faire repousser sa jambe.

Sur son chemin de croix, Théo sent peu à peu palpiter dans sa poitrine un autre cœur à côté du sien, puis un troi-sième : le cœur de Jésus, le cœur de l’amour qui est la seule rédemption.

Bouïda livre un roman dense, complexe, raffiné et cru sur ses thèmes de prédilection, le bien, le mal, le silence de Dieu, le cercle vicieux de la vie et de ses souffrances  : « … un labyrinthe dans lequel se cogne et se débat une conscience stupide qui tente de trouver une sortie là où il n’y a pas d’entrée… ». A son habitude, Bouïda fl irte avec le

fantastique tout en insérant à sa narration un étrange col-lage de fragments d’articles de presse, certains authentiques, de diagnostics médicaux, de citations des Pensées de Pas-cal, du Traité sur les duels d’Olivier de la Marche. Il par-vient ainsi, dans une langue superbe, parfaitement rendue par la traduction de Sophie Benech, à recréer la sensation tragique et sublime de la condition humaine prisonnière de « la glace millénaire de la solitude… cet espace terrifi ant où ne peut vivre qu’un esprit mort, prisonnier d’une géomé-trie inhumaine, monstrueuse et privée de Dieu ».

Christine Mestre 15

Bouïda livre un romancomplexe etcru sur sesthèmes deprédilection

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AU-DESSUS DE LA VILLE, 1914-1918. DE RETOUR À VITEBSK

CHAGALL PEINT SON BONHEUR FAMILIAL ET CÉLÈBRE SON AMOUR

POUR SA FEMME.

L ’ouvrage d’Andreï Makine Le Livre des brèves amours éternelles s’ins-

crit dans la droite ligne de ces précédents romans, La Femme qui attendait, La Vie d’un homme inconnu, L’Amour hu-main où, déjà, l’auteur écrivait : « Il n’y a que l’amour pour sau-ver l’humain ».

Makine persiste et signe avec huit récits, souvenirs de mo-ments de la vie du narrateur, de l’enfance à l’âge mûr. Mo-ments fugaces et pourtant es-sentiels. Transporté par la fulgurante évidence de la force de l’amour, celui qui

Combat contre la servilité et la mentalité de troupeauAndreï Makine fait partie du cercle très restreint des auteurs russes qui écrivent directement dans la langue de Molière.

Andreï Makine est né en 1957 à Krasnoïarsk. Il est diplô-

mé de la Faculté de philo-logie de l’Université d’État de Moscou. En 1987, lors d’un voyage en France, il demande l’asile politique, qui lui est accordé. Il a reçu les

prix Goncourt et Médi-cis pour son roman « Le

Testament français », tra-duit dans 35 langues.

les vit est posé au cœur du monde dans sa plénitude d’hu-main, au-delà des enjeux mi-sérables que lui proposent les sociétés, totalitaires ou libé-rales, au-delà de l’espace, du temps, de la mort, de la laideur du monde.

Instantanés emblématiques de moments de vie qui mettent en scène des destins sculptés dans la masse d’une société cruelle. Estropiés de la vie, femmes inconsolables, amants séparés par le tourbillon de l’Histoire ou Don Quichotte ex-sangue, tel Dmitri Ress que

l’on retrouve dans les pre-

miers et derniers récits et qui s’épuise dans un combat iné-gal contre une société qu’il di-vise en trois catégories : « Les conciliants, les ricaneurs, les révoltés ».

Mais il y a aussi ceux qui, sans pour autant hurler avec les loups, ne les combattent pas, car la haine est absente de leur cœur, « ceux qui ont la sagesse de s’arrêter dans une ruelle et de regarder la neige tomber,

de voir une lampe qui s’est al-lumée dans une fenêtre, de humer la senteur du bois qui brûle ».

Makine évoque bien sûr la Russie soviétique, l’avenir ra-dieux dont rêve l’enfant, et qui ne viendra pas, la désillusion de l’adolescent, les vies meur-tries, ceux qui combattent « la servilité avec laquelle tout homme en tout temps renie l’intelligence pour rejoindre le troupeau ».

On se situe dans l’universel, et c’est l’homme qui importe. « Dans ce duel avec l’Histoire, il ne peut pas y avoir de vain-queur », toutes les sociétés fa-briquent des créatures serviles, mais chaque homme, dès lors qu’il abandonne la quête d’un bonheur d’animal bien nourri, est « capable de quitter la marche grégaire du défi lé, ses vociférations exaltées, ses em-blèmes écrasants, ses men-songes » et d’accéder au bon-heur, dans le partage d’un mo-ment humble et essentiel.

Christine Mestre

TITRE : LE LIVRE DES BRÈVES AMOURS ÉTERNELLESAUTEUR : ANDREÏ MAKINEÉDITION : SEUILTRADUIT PAR JOELLE DUBLANCHET

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La société sedivise en trois catégories : conciliants,ricaneurs et révoltés

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