83
Oeuvre Poétiques Stéphane Mallarmé (1842-1898) TABLE DES MATIERES SALUT LE GUIGNON APPARITION PLACET FUTILE LE PITRE CHATIÉ UNE NÉGRESSE... SOUPIR LES FENÊTRES LES FLEURS RENOUVEAU ANGOISSE LAS DE L'AMER REPOS... LE SONNEUR TRISTESSE D'ÉTÉ L'AZUR BRISE MARINE AUMONE SONNET (Sur les bois oubliés) DON DU POEME HERODIADE(I,II,III) L'APRES-MIDI D'UN FAUNE SAINTE TOAST FUNEBRE PROSE ÉVENTAIL (de Madame Mallarmé) AUTRE ÉVENTAIL (de Mademoiselle Mallarmé) FEUILLET D'ALBUM SONNET (Mary) SONNET (O si chère de loin) REMÉMORATION D'AMIS BELGES LE SAVETIER LA MARCHANDE D'HERBES AROMATIQUES LE CANTONNIER LE MARCHAND D'AIL ET D'OIGNONS LA FEMME DE L'OUVRIER LE VITRIER LE CRIEUR D'IMPRIMÉS LA MARCHANDE D'HABITS BILLET À WHISTLER RONDEL (Rien au réveil que vous n'ayez. . .) RONDEL (Si tu veux nous nous aimerons. . .) PETIT AIR I PETIT AIR II PETIT AIR (GUERRIER) SONNET (Quand l'Ombre menaça. . .) SONNET (Le vierge, le vivace. . .) SONNET (Victorieusement fui. . .) SONNET (Ses purs ongles très haut. . .) SONNET (La chevelure) LE TOMBEAU D'EDGAR POE LE TOMBEAU DE CHARLES BAUDELAIRE TOMBEAU Anniversaire - Janvier 1897 HOMMAGE I HOMMAGE II HOMMAGE III

Mallarmé - Oeuvres Poétiques

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Mallarmé

Citation preview

  • Oeuvre Potiques Stphane Mallarm (1842-1898) TABLE DES MATIERES SALUT LE GUIGNON APPARITION PLACET FUTILE LE PITRE CHATI UNE NGRESSE... SOUPIR LES FENTRES LES FLEURS RENOUVEAU ANGOISSE LAS DE L'AMER REPOS... LE SONNEUR TRISTESSE D'T L'AZUR BRISE MARINE AUMONE SONNET (Sur les bois oublis) DON DU POEME HERODIADE(I,II,III) L'APRES-MIDI D'UN FAUNE SAINTE TOAST FUNEBRE PROSE VENTAIL (de Madame Mallarm) AUTRE VENTAIL (de Mademoiselle Mallarm) FEUILLET D'ALBUM SONNET (Mary) SONNET (O si chre de loin) REMMORATION D'AMIS BELGES LE SAVETIER LA MARCHANDE D'HERBES AROMATIQUES LE CANTONNIER LE MARCHAND D'AIL ET D'OIGNONS LA FEMME DE L'OUVRIER LE VITRIER LE CRIEUR D'IMPRIMS LA MARCHANDE D'HABITS BILLET WHISTLER RONDEL (Rien au rveil que vous n'ayez. . .) RONDEL (Si tu veux nous nous aimerons. . .) PETIT AIR I PETIT AIR II PETIT AIR (GUERRIER) SONNET (Quand l'Ombre menaa. . .) SONNET (Le vierge, le vivace. . .) SONNET (Victorieusement fui. . .) SONNET (Ses purs ongles trs haut. . .) SONNET (La chevelure) LE TOMBEAU D'EDGAR POE LE TOMBEAU DE CHARLES BAUDELAIRE TOMBEAU Anniversaire - Janvier 1897 HOMMAGE I HOMMAGE II HOMMAGE III

  • SONNET (Tout Orgueil. . .) SONNET (Surgi de la croupe. . .) SONNET (Une dentelle s'abolit. . .) SONNET (Quelle soie aux baumes. . .) SONNET (M'introduire. . .) SONNET ( la nue accablante. . .) SONNET (Mes bouquins referms. . .) I. FANTAISIES RVE ANTIQUE. SOURIRE. VIENS. CHANSON DU FOL. LA COLRE D'ALLAH. CHANT D'IVRESSE. LES TROIS. BALLADE (J'aime une fille. . .) LE LIERRE MAUDIT. LOEDA. AU BOIS DE NOISETIERS. II. LGIES SA FOSSE EST CREUSE. SA TOMBE EST FERME. III. RVERIES HIER; AUJOURD'HUI; DEMAIN. LES CLOCHES DES MORTS. LE NUAGE. LARME. TOUT PASSE. A DIEU. PAN. IV. ODELETTES ET STANCES AVEU. VERS CRITS SUR UN EXEMPLAIRE DES CONTEMPLATIONS. A P***. RPONSE. NE RIEZ PAS. ON DONNE CE QU'ON A. CAUSERIE D'ADIEU. DONNEZ. LES TROIS COURONNES VI BOUTADES QUELQUES MOTS A QUELQUES-UNS. MLANCOLIE. RPONSE A UNE PICE DE VERS O IL PARLAIT DE SES RVERIES ENFANTINES. POISSON D'AVRIL. VENTAILS (Par Stphane Mallarm.) LES LOISIRS DE LA POSTE. V POEMES NON RECUEILLI LE CARREFOUR DES DEMOISELLES. CONTRE UN POTE PARISIEN. RIEN AU REVEIL. SOLEIL D'HIVER. UNE NEGRESSE. VI POEME EN PROSE UN COUP DE DS JAMAIS N'ABOLIRA LE HASARDS VII VARIANTES, MANQUANTS ET INCOMPLETS

  • SALUT Rien, cette cume, vierge vers ne dsigner que la coupe; Telle loin se noie une troupe De sirnes mainte l'envers. Nous naviguons, mes divers Amis, moi dj sur la poupe Vous l'avant fastueux qui coupe Le flot de foudres et d'hivers; Une ivresse belle m'engage Sans craindre mme son tangage De porter debout ce salut Solitude, rcif, toile n'importe ce qui valut Le blanc souci de notre toile. LE GUIGNON Au-dessus du btail ahuri des humains Bondissaient en clart les sauvages crinires Des mendiants d'azur le pied dans nos chemins. Un noir vent sur leur marche ploy pour bannires La flagellait de froid tel jusque dans la chair, Qu'il y creusait aussi d'irritables ornires. Toujours avec l'espoir de rencontrer la mer, Ils voyageaient sans pain, sans btons et sans urnes, Mordant au citron d'or de l'idal amer. La plupart rla dans les dfils nocturnes, S'enivrant du bonheur de voir couler son sang, O Mort le seul baiser aux bouches taciturnes! Leur dfaite, c'est par un ange trs puissant Debout l'horizon dans le nu de son glaive: Une pourpre se caille au sein reconnaissant. Ils tettent la douleur comme ils ttaient le rve Et quand ils vont rythmant de pleurs voluptueux Le peuple s'agenouille et leur mre se lve. Ceux-l sont consols, srs et majestueux; Mais tranent leurs pas cent frres qu'on bafoue,

  • Drisoires martyrs de hasards tortueux. Le sel pareil des pleurs ronge leur douce joue, Ils mangent de la cendre avec le mme amour, Mais vulgaire ou bouffon le destin qui les roue. Ils pouvaient exciter aussi comme un tambour La servile piti des races voix terne, gaux de Promthe qui manque un vautour! Non, vils et frquentant les dserts sans citerne, Ils courent sous le fouet d'un monarque rageur, Le Guignon, dont le rire inou les prosterne. Amants, il saute en croupe trois, le partageur! Puis le torrent franchi, vous plonge en une mare Et laisse un bloc boueux du blanc couple nageur. Grce lui, si l'un souffle son buccin bizarre, Des enfants nous tordront en un rire obstin Qui, le poing leur cul, singeront sa fanfare. Grce lui, si l'une orne point un sein fan Par une rose qui nubile le rallume, De la bave luira sur son bouquet damn. Et ce squelette nain, coiff d'un feutre plume Et bott, dont l'aisselle a pour poils vrais des vers, Est pour eux l'infini de la vaste amertume. Vexs ne vont-ils pas provoquer le pervers, Leur rapire grinant suit le rayon de lune Qui neige en sa carcasse et qui passe au travers. Dsols sans l'orgueil qui sacre l'infortune, Et tristes de venger leurs os de coups de bec, Ils convoitent la haine, au lieu de la rancune. Ils sont l'amusement des racleurs de rebec, Des marmots, des putains et de la vieille engeance Des loqueteux dansant quand le broc est sec. Les potes bons pour l'aumne ou la vengeance, Ne connaissent le mal de ces dieux effacs, Les disent ennuyeux et sans intelligence. Ils peuvent fuir ayant de chaque exploit assez, Comme un vierge cheval cume de tempte Plutt que de partir en galops cuirasss. Nous solerons d'encens le vainqueur de la fte: Mais eux, pourquoi n'endosser pas, ces baladins,

  • D'carlate haillon hurlant que l'on s'arrte! Quand en face tous leur ont crach les ddains, Nuls et la barbe mots bas priant le tonnerre, Ces hros excds de malaises badins Vont ridiculement se pendre au rverbre. APPARITION La lune s'attristait. Des sraphins en pleurs Rvant, l'archet aux doigts, dans le calme des fleurs Vaporeuses, tiraient de mourantes violes De blancs sanglots glissant sur l'azur des corolles. - C'tait le jour bni de ton premier baiser. Ma songerie aimant me martyriser S'enivrait savamment du parfum de tristesse Que mme sans regret et sans dboire laisse La cueillaison d'un Rve au coeur qui l'a cueilli. J'errais donc, l'oeil riv sur le pav vieilli Quand avec du soleil aux cheveux, dans la rue Et dans le soir, tu m'es en riant apparue Et j'ai cru voir la fe au chapeau de clart Qui jadis sur mes beaux sommeils d'enfant gt Passait, laissant toujours de ses mains mal fermes Neiger de blancs bouquets d'toiles parfumes. PLACET FUTILE Princesse! jalouser le destin d'une Hb Qui poind sur cette tasse au baiser de vos lvres, J'use mes feux mais n'ai rang discret que d'abb Et ne figurerai mme nu sur le Svres. Comme je ne suis pas ton bichon embarb, Ni la pastille ni du rouge, ni jeux mivres Et que sur moi je sais ton regard clos tomb, Blonde dont les coiffeurs divins sont des orfvres! Nommez-nous... toi de qui tant de ris framboiss Se joignent en troupeau d'agneaux apprivoiss Chez tous broutant les voeux et blant aux dlires, Nommez-nous... pour qu'Amour ail d'un ventail M'y peigne flte aux doigts endormant ce bercail, Princesse, nommez-nous berger de vos sourires.

  • LE PITRE CHATI Yeux, lacs avec ma simple ivresse de renatre Autre que l'histrion qui du geste voquais Comme plume la suie ignoble des quinquets, J'ai trou dans le mur de toile une fentre. De ma jambe et des bras limpide nageur tratre, bonds multiplis, reniant le mauvais Hamlet! c'est comme si dans l'onde j'innovais Mille spulcres pour y vierge disparatre. Hilare or de cymbale des poings irrit, Tout coup le soleil frappe la nudit Qui pure s'exhala dans ma fracheur de nacre, Rance nuit de la peau quand sur moi vous passiez, Ne sachant pas, ingrat! que c'tait tout mon sacre, Ce fard noy dans l'eau perfide des glaciers. UNE NGRESSE... Une ngresse par le dmon secoue Veut goter une enfant triste de fruits nouveaux Et criminels aussi sous leur robe troue Cette goinfre s'apprte de russ travaux: son ventre compare heureuse deux ttines Et, si haut que la main ne le saura saisir, Elle darde le choc obscur de ses bottines Ainsi que quelque langue inhabile au plaisir Contre la nudit peureuse de gazelle Qui tremble, sur le dos tel un fol lphant Renverse elle attend et s'admire avec zle, En riant de ses dents naves l'enfant; Et, dans ses jambes o la victime se couche, Levant une peau noire ouverte sous le crin, Avance le palais de cette trange bouche Ple et rose comme un coquillage marin. SOUPIR Mon me vers ton front o rve, calme soeur, Un automne jonch de taches de rousseur, Et vers le ciel errant de ton oeil anglique Monte, comme dans un jardin mlancolique, Fidle, un blanc jet d'eau soupire vers l'Azur!

  • - Vers l'Azur attendri d'Octobre ple et pur Qui mire aux grands bassins sa langeur infinie Et laisse, sur l'eau morte o la fauve agonie Des feuilles erre au vent et creuse un froid sillon, Se traner le soleil jaune d'un long rayon. LES FENTRES Las du triste hpital, et de l'encens ftide Qui monte en la blancheur banale des rideaux Vers le grand crucifix ennuy du mur vide, Le moribond sournois y redresse un vieux dos, Se trane et va, moins pour chauffer sa pourriture Que pour voir du soleil sur les pierres, coller Les poils blancs et les os de la maigre figure Aux fentres qu'un beau rayon clair veut hler. Et la bouche, fivreuse et d'azur bleu vorace, Telle, jeune, elle alla respirer son trsor, Une peau virginale et de jadis! encrasse D'un long baiser amer les tides carreaux d'or. Ivre, il vit, oubliant l'horreur des saintes huiles, Les tisanes, l'horloge et le lit inflig, La toux; et quand le soir saigne parmi les tuiles, Son oeil, l'horizon de lumire gorg, Voit des galres d'or, belles comme des cygnes, Sur un fleuve de pourpre et de parfums dormir En berant l'clair fauve et riche de leurs lignes Dans un grand nonchaloir charg de souvenirs! Ainsi, pris du dgot de l'homme l'me dure Vautr dans le bonheur, o ses seuls apptits Mangent, et qui s'entte chercher cette ordure Pour l'offrir la femme allaitant ses petits, Je fuis et je m'accroche toutes les croises D'ou l'on tourne l'paule la vie et, bni, Dans leur verre, lav d'ternelles roses, Que dore le matin chaste de l'Infini Je me mire et me vois ange! et je meurs, et j'aime Que la vitre soit l'art, soit la mysticit renatre, portant mon rve en diadme, Au ciel antrieur o fleurit la Beaut! Mais hlas! Ici-bas est matre: sa hantise Vient m'coeurer parfois jusqu'en cet abri sr, Et le vomissement impur de la Btise Me force me boucher le nez devant l'azur.

  • Est-il moyen, Moi qui connais l'amertume, D'enfoncer le cristal par le monstre insult Et de m'enfuir, avec mes deux ailes sans plume Au risque de tomber pendant l'ternit? LES FLEURS Des avalanches d'or du vieil azur, au jour Premier et de la neige ternelle des astres Jadis tu dtachas les grand calices pour La terre jeune encore et vierge de dsastres, Le glaeul fauve, avec les cygnes au col fin, Et ce divin laurier des mes exiles Vermeil comme le pur orteil du sraphin Que rougit la pudeur des aurores foules, L'hyacinthe, le myrte l'adorable clair Et, pareille la chair de la femme, la rose Cruelle, Hrodiade en fleur du jardin clair, Celle qu'un sang farouche et radieux arrose! Et tu fis la blancheur sanglotante des lys Qui roulant sur des mers de soupirs qu'elle effleure travers l'encens bleu des horizons plis Monte rveusement vers la lune qui pleure! Hosannah sur le cistre et dans les encensoirs, Notre Dame, hosannah du jardin de nos limbes! Et finisse l'cho par les clestes soirs, Extase des regards, scintillements des nimbes! O Mre qui cras en ton sein juste et fort, Calice balanant la future fiole, De grandes fleurs avec la balsamique Mort Pour le pote las que la vie tiole. RENOUVEAU Le printemps maladif a chass tristement L'hiver, saison de l'art serein, l'hiver lucide, Et, dans mon tre qui le sang morne prside L'impuissance s'tire en un long billement. Des crpuscules blancs tidissent sous mon crne Qu'un cercle de fer serre ainsi qu'un vieux tombeau Et triste, j'erre aprs un rve vague et beau, Par les champs o la sve immense se pavane Puis je tombe nerv de parfums d'arbres, las,

  • Et creusant de ma face une fosse mon rve, Mordant la terre chaude o poussent les lilas, J'attends, en m'abmant que mon ennui s'lve... - Cependant l'Azur rit sur la haie et l'veil De tant d'oiseaux en fleur gazouillant au soleil. ANGOISSE Je ne viens pas ce soir vaincre ton corps, bte En qui vont les pchs d'un peuple, ni creuser Dans tes cheveux impurs une triste tempte Sous l'incurable ennui que verse mon baiser: Je demande ton lit le lourd sommeil sans songes Planant sous les rideaux inconnus du remords, Et que tu peux goter aprs tes noirs mensonges, Toi qui sur le nant en sais plus que les morts: Car le Vice, rongeant ma native noblesse, M'a comme toi marqu de sa strilit, Mais tandis que ton sein de pierre est habit Par un coeur que la dent d'aucun crime ne blesse, Je fuis, ple, dfait, hant par mon linceul, Ayant peur de mourir lorsque je couche seul. LAS DE L'AMER REPOS... Las de l'amer repos o ma paresse offense Une gloire pour qui jadis j'ai fui l'enfance Adorable des bois de roses sous l'azur Naturel, et plus las sept fois du pacte dur De creuser par veille une fosse nouvelle Dans le terrain avare et froid de ma cervelle, Fossoyeur sans piti pour la strilit, - Que dire cette Aurore, Rves, visit Par les roses, quand, peur de ses roses livides, Le vaste cimetire unira les trous vides? - Je veux dlaisser l'Art vorace d'un pays Cruel, et, souriant aux reproches vieillis Que me font mes amis, le pass, le gnie, Et ma lampe qui sait pourtant mon agonie, Imiter le Chinois au coeur limpide et fin De qui l'extase pure est de peindre la fin Sur ses tasses de neige la lune ravie D'une bizarre fleur qui parfume sa vie Transparente, la fleur qu'il a sentie, enfant, Au filigrane bleu de l'me se greffant. Et, la mort telle avec le seul rve du sage, Serein, je vais choisir un jeune paysage Que je peindrais encor sur les tasses, distrait. Une ligne d'azur mince et ple serait Un lac, parmi le ciel de porcelaine nue, Un clair croissant perdu par une blanche nue Trempe sa corne calme en la glace des eaux,

  • Non loin de trois grand cils d'meraude, roseaux. LE SONNEUR Cependant que la cloche veille sa voix claire l'air pur et limpide et profond du matin Et passe sur l'enfant qui jette pour lui plaire Un anglus parmi la lavande et le thym, Le sonneur effleur par l'oiseau qu'il claire, Chevauchant tristement en geignant du latin Sur la pierre qui tend la corde sculaire, N'entend descendre lui qu'un tintement lointain. Je suis cet homme. Hlas! de la nuit dsireuse, J'ai beau tirer le cble sonner l'Idal, De froids pchs s'bat un plumage fal, Et la voix ne me vient que par bribes et creuse! Mais, un jour, fatigu d'avoir en vain tir, O Satan, j'terai la pierre et me pendrai. TRISTESSE D'T Le soleil, sur la table, lutteuse endormie, En l'or de tes cheveux chauffe un bain langoureux Et, consumant l'encens sur ta joue ennemie, Il mle avec les pleurs un breuvage amoureux. De ce blanc Flamboiement l'immuable accalmie T'a fait dire, attriste, mes baisers peureux, Nous ne serons jamais une seule momie Sous l'antique dsert et les palmiers heureux! Mais ta chevelure est une rivire tide, O noyer sans frissons l'me qui nous obsde Et trouver ce Nant que tu ne connais pas. Je goterai le fard pleur par tes paupires, Pour voir s'il sait donner au coeur que tu frappas L'insensibilit de l'azur et des pierres. L'AZUR

  • De l'ternel azur la sereine ironie Accable, belle indolemment comme les fleurs, Le pote impuissant qui maudit son gnie travers un dsert strile de Douleurs. Fuyant, les yeux ferms, je le sens qui regarde Avec l'intensit d'un remords atterrant, Mon me vide. O fuir? Et quelle nuit hagarde Jeter, lambeaux, jeter sur ce mpris navrant? Brouillards, montez! Versez vos cendres monotones Avec de longs haillons de brume dans les cieux Qui noiera le marais livide des automnes Et btissez un grand plafond silencieux! Et toi, sors des tangs lthens et ramasse En t'en venant la vase et les ples roseaux, Cher Ennui, pour boucher d'une main jamais lasse Les grands trous bleus que font mchamment les oiseaux. Encor! que sans rpit les tristes chemines Fument, et que de suie une errante prison teigne dans l'horreur de ses noires tranes Le soleil se mourant jauntre l'horizon! Le Ciel est mort. Vers toi, j'accours! donne, matire, L'oubli de l'Idal cruel et du Pch ce martyr qui vient partager la litire O le btail heureux des hommes est couch, Car j'y veux, puisque enfin ma cervelle, vide Comme le pot de fard gisant au pied d'un mur, N'a plus l'art d'attifer la sanglotante ide, Lugubrement biller vers un trpas obscur... En vain! l'Azur triomphe, et je l'entends qui chante Dans les cloches. Mon me, il se fait voix pour plus Nous faire peur avec sa victoire mchante, Et du mtal vivant sort en bleus angelus! Il roule par la brume, ancien et traverse Ta native agonie ainsi qu'un glaive sr; O fuir dans la rvolte inutile et perverse? Je suis hant. L'Azur! l'Azur! l'Azur! l'Azur! BRISE MARINE La chair est triste, hlas! et j'ai lu tous les livres. Fuir! l-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres D'tre parmi l'cume inconnue et les cieux!

  • Rien, ni les vieux jardins reflts par les yeux Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe O nuits! ni la clart dserte de ma lampe Sur le vide papier que la blancheur dfend Et ni la jeune femme allaitant son enfant. Je partirai! Steamer balanant ta mture, Lve l'ancre pour une exotique nature! Un Ennui, dsol par les cruels espoirs, Croit encore l'adieu suprme des mouchoirs! Et, peut-tre, les mts, invitant les orages Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mts, sans mts, ni fertiles lots... Mais, mon coeur, entends le chant des matelots! AUMONE Prends ce sac, Mendiant! tu ne le cajolas Snile nourrisson d'une ttine avare Afin de pice pice en goutter ton glas. Tire du mtal cher quelque pch bizarre Et vaste comme nous, les poings pleins, le baisons Souffles-y qu'il se torde! une ardente fanfare. glise avec l'encens que toutes ces maisons Sur les murs quand berceur d'une bleue claircie Le tabac sans parler roule les oraisons, Et l'opium puissant brise la pharmacie! Robes et peaux, veux-tu lacrer le satin Et boire en la salive l'heureuse inertie, Par les cafs princiers attendre le matin? Les plafonds enrichis de nymphes et de voiles, On jette, au mendiant de la vitre, un festin. Et quand tu sors, vieux dieu, grelottant sous tes toiles D'emballage, l'aurore est un lac de vin d'or Et tu jures avoir au gosier les toiles! Faute de supputer l'clat de ton trsor, Tu peux du moins t'orner d'une plume, complies Servir un cierge au saint en qui tu crois encor. Ne t'imagine pas que je dis des folies. La terre s'ouvre vieille qui crve la faim. Je hais une autre aumne et veux que tu m'oublies. Et surtout ne va pas, frre, acheter du pain. SONNET (Pour votre chre morte, son ami.) 2 novembre 1877 Sur les bois oublis quand passe l'hiver sombre Tu te plains, captif solitaire du seuil, Que ce spulcre deux qui fera notre orgueil

  • Hlas! du manque seul des lourds bouquet s'encombre. Sans couter Minuit qui jeta son vain nombre, Une veille t'exalte ne pas fermer l'oeil Avant que dans les bras de l'ancien fauteuil Le suprme tison n'ait clair mon Ombre. Qui veut souvent avoir la Visite ne doit Par trop de fleurs charger la pierre que mon doigt Soulve avec l'ennui d'une force dfunte. Ame au si clair foyer tremblante de m'asseoir, Pour revivre il suffit qu' tes lvres j'emprunte Le souffle de mon nom murmur tout un soir. DON DU POEME Je t'apporte l'enfant d'une nuit d'Idume! Noire, l'aile saignante et ple, dplume, Par le verre brl d'aromates et d'or, Par les carreaux glacs, hlas! mornes encor, L'aurore se jeta sur la lampe anglique. Palmes! et quand elle a montr cette relique A ce pre essayant un sourire ennemi, La solitude bleue et strile a frmi. O la berceuse, avec ta fille et l'innocence De vos pieds froids, accueille une horrible naissance: Et ta voix rappelant viole et clavecin, Avec le doigt fan presseras-tu le sein Par qui coule en blancheur sibylline la femme Pour les lvres que l'air du vierge azur affame? HERODIADE I Ouverture II Scne III Cantique de Saint Jean I) Ouverture ancienne d'Hrodiade La nourrice (incantation) Abolie, et son aile affreuse dans les larmes Du bassin,aboli, qui mire les alarmes, Des ors nus fustigeant l'espace cramoisi, Une Aurore a, plumage hraldique, choisi Notre tour cinraire et sacrificatrice, Lourde tombe qu'a fuie un bel oiseau, caprice Solitaire d'aurore au vain plumage noir... Ah! des pays dchus et tristes le manoir! Pas de clapotement! L'eau morne se rsigne, Que ne visite plus la plume ni le cygne Inoubliable : l'eau reflte l'abandon De l'automne teignant en elle son brandon : Du cygne quand parmi le ple mausole

  • O la plume plongea la tte, dsole Par le diamant pur de quelque toile, mais Antrieure, qui ne scintilla jamais. Crime! bcher! aurore ancienne! supplice! Pourpre d'un ciel! Etang de la pourpre complice! Et sur les incarnats, grand ouvert, ce vitrail. La chambre singulire en un cadre, attirail De sicle belliqueux, orfvrerie teinte, A le neigeux jadis pour ancienne teinte, Et sur sa tapisserie, au lustre nacr, plis Inutiles avec les yeux ensevelis De sibylles offrant leur ongle vieil aux Mages. Une d'elles, avec un pass de ramages Sur ma robe blanchie en l'ivoire ferm Au ciel d'oiseaux parmi l'argent noir parsem, Semble, de vols partir costume et fantme, Un arme qui porte, roses! un arme, Loin du lit vide qu'un cierge souffl cachait, Un arme d'ors froids rdant sur le sachet, Une touffe de fleurs parjures la lune (A la cire expire encor s'effeuille l'une), De qui le long regret et les tiges de qui Trempent en un seul verre l'clat alangui. Une Aurore tranait ses ailes dans les larmes! Ombre magicienne aux symboliques charmes! Une voix, du pass longue vocation, Est-ce la mienne prte l'incantation? Encore dans les plis jaunes de la pense Tranant, antique, ainsi qu'une toile encense Sur un confus amas d'ostensoirs refroidis, Par les trous anciens et par les plis roidis Percs selon le rythme et les dentelles pures Du suaire laissant par ses belles guipures Dsespe monter le vieil clat voil S'lve ! ( quel lointain en ces appels cel!) Le vieil clat voil du vermeil insolite, De la voix languissant, nulle, sans acolyte, Jettera-t-il son or par dernires splendeurs, Elle, encore, l'antienne aux versets demandeurs, A l'heure d'agonie et de luttes funbres! Et, force du silence et des noires tnbres Tout rentre galement en l'ancien pass, Fatidique, vaincu, monotone, lass, Comme l'eau des bassins anciens se rsigne. Elle a chant, parfois incohrente, signe Lamentable! le lit aux pages de vlin, Tel, inutile et si claustral, n'est pas le lin! Qui des rves par plis n'a plus le cher grimoire, Ni le dais spulcral la dserte moire, Le parfum des cheveux endormis. L'avait-il? Froide enfant, de garder en son plaisir subtil Au matn grelottant de fleurs, ses promenades, Et quand le soir mchant a coup les grenades! Le croissant, oui le seul est au cadran de fer De l'horloge, pour poids suspendant Lucifer, Toujours bless, toujours une nouvelle heure, Par la clepsydre la goutte obscure pleure, Que, dlaisse, elle erre, et sur son ombre pas Un ange accompagnant son indicible pas! Il ne sait pas cela le roi qui salarie, Depuis longtemps la gorge ancienne est tarie.

  • Son pre ne sait pas cela, ni le glacier Farouche refltant de ses armes l'acier, Quand sur un tas gisant de cadavres sans coffre Odorant de rsine, nigmatique, il offre Ses trompettes d'argent obscur aux vieux sapins! Reviendra-t-il un jour des pays cisalpins! Assez tt? Car tout est prsage et mauvais rve! A l'ongle qui parmi le vitrage s'lve Selon le souvenir des trompettes, le vieux Ciel brle, et change un doigt en un cierge envieux. Et bientt sa rougeur de triste crpuscule Pntrera du corps la cire qui recule! De crpuscule, non, mais de rouge lever, Lever du jour dernier qui vient tout achever, Si triste se dbat, que l'on ne sait plus l'heure La rougeur de ce temps prophtique qui pleure Sur l'enfant, exile en son coeur prcieux Comme un cygne cachant en sa plume ses yeux, Comme les mit le vieux cygne en sa plume, alle De la plume dtresse, en l'ternelle alle De ses espoirs, pour voir les diamants lus D'une toile mourante, et qui ne brille plus. II SCENE. La Nourrice, Hrodiade La Nourrice: Tu vis! ou vois-je ici l'ombre d'une princesse? mes lvres tes doigts et leurs bagues et cesse De marcher dans un ge ignor... Hrodiade: Reculez. Le blond torrent de mes cheveux immaculs Quand il baigne mon corps solitaire le glace D'horreur, et mes cheveux que la lumire enlace Sont immortels. O femme, un baiser me trait Si la beaut n'tait la mort... Par quel attrait Mene et quel matin oubli des prophtes Verse, sur les lointains mourants, ses tristes ftes, Le sais-je? tu m'as vue, nourrice d'hiver, Sous la lourde prison de pierres et de fer O de mes vieux lions tranent les sicles fauves Entrer, et je marchais, fatale, les mains sauves, dans le parfum dsert de ses anciens rois: Mais encore as-tu-vu quels furent mes effrois? Je m'arrte rvant aux exils, et j'effeuille, Comme prs d'un bassin dont le jet d'eau m'accueille Les ples lys qui sont en moi, tandis qu'pris De suivre du regard les languides dbris Descendre, travers ma rverie, en silence, Les lions, de ma robe cartent l'indolence Et regardent mes pieds qui calmeraient la mer. Calme, toi, les frissons de ta snile chair, Viens et ma chevelure imitant les manires Trop farouches qui font votre peur des crinires, Aide-moi, puisqu'ainsi tu n'oses plus me voir,

  • A me peigner nonchalamment dans un miroir. La Nourrice: Sinon la myrrhe gaie en ses bouteilles closes, De l'essence ravie aux vieillesses de roses, Voulez-vous, mon enfant, essayer la vertu Funbre? Hrodiade: Laisse-l ces parfums! ne sais-tu Que je les hais, nourrice, et veux-tu que je sente Leur ivresse noyer ma tte languissante? Je veux que mes cheveux qui ne sont pas des fleurs rpandre l'oubli des humaines douleurs Mais de l'or, jamais vierge des aromates, Dans leurs clairs cruels et dans leurs pleurs mates, Observent la froideur strile du mtal, Vous ayant reflts, joyaux du mur natal, Armes, vases depuis ma solitaire enfance. La Nourrice: Pardon! l'ge effaait, reine, votre dfense De mon esprit pli comme un vieux livre ou noir... Hrodiade: Assez! Tiens devant moi ce miroir. O miroir! Eau froide par l'ennui dans ton cadre gele Que de fois et pendant les heures, dsole Des songes et cherchant mes souvenirs qui sont Comme des feuilles sous ta glace au trou profond, Je m'apparus en toi comme une ombre lointaine Mais, horreur! des soirs, dans ta svre fontaine, J'ai de mon rve pars connu la nudit! Nourrice, suis-je belle? La Nourrice: Un astre, en vrit Mais cette tresse tombe... Hrodiade: Arrte dans ton crime Qui refroidit mon sang vers sa source, et rprime Ce geste, impit fameuse: ah! conte-moi Quel sr dmon te jette en le sinistre moi, Ce baiser, ces parfums offerts et, le dirai-je? O mon coeur, cette main encore sacrilge, Car tu voulais, je crois, me toucher, sont un jour Qui ne finira pas sans malheur sur la tour... O jour qu'Hrodiade avec effroi regarde! La Nourrice: Temps bizarre, en effet, de quoi le ciel vous garde! Vous errez, ombre seule et nouvelle fureur, Et regardant en vous prcoce avec terreur; Mais toujours adorable autant qu'une immortelle, O mon enfant, et belle affreusement, et telle Que...

  • Hrodiade: Mais n'allais-tu pas me toucher? La Nourrice: ...J'aimerais Etre qui le Destin rserve vos secrets. Hrodiade: Oh! tais-toi! La Nourrice: Viendra-t-il parfois? Hrodiade: toiles pures, N'entendez pas! La Nourrice: Comment, sinon parmi d'obscures pouvantes, songer plus implacable encor Et comme suppliant le dieu que le trsor De votre grce attend! et pour qui, dvore D'angoisse, gardez-vous la splendeur ignore Et le mystre vain de votre tre? Hrodiade: Pour moi. La Nourrice: Triste fleur qui crot seule et n'a pas d'autre moi Que son ombre dans l'eau vue avec atonie. Hrodiade: Va, garde to piti comme ton ironie. La Nourrice: Toutefois expliquez: oh! non, nave enfant, Dcrotra, quelque jour, ce ddain triomphant... Hrodiade: Mais qui me toucherait, des lions respecte? Du reste, je ne veux rien d'humain et, sculpte, Si tu me vois les yeux perdus au paradis, C'est quand je me souviens de ton lait bu jadis. La Nourrice: Victime lamentable son destin offerte! Hrodiade: Oui, c'est pour moi, pour moi, que je fleuris, dserte! Vous le savez, jardins d'amthyste, enfouis Sans fin dans vos savants abmes blouis,

  • Ors ignors, gardant votre antique lumire Sous le sombre sommeil d'une terre premire, Vous, pierres o mes yeux comme de purs bijoux Empruntent leur clart mlodieuse, et vous Mtaux qui donnez ma jeune chevelure Une splendeur fatale et sa massive allure! Quant toi, femme ne en des sicles malins Pour la mchancet des antres sibyllins, Qui parles d'un mortel! selon qui, des calices De mes robes, arme aux farouches dlices, Sortirait le frisson blanc de ma nudit, Prophtise que si le tide azur d't, Vers lui nativement la femme se dvoile, Me voit dans ma pudeur grelottante d'toile, Je meurs! J'aime l'horreur d'tre vierge et je veux Vivre parmi l'effroi que me font mes cheveux Pour, le soir, retire en ma couche, reptile Inviol sentir en la chair inutile Le froid scintillement de ta ple clart Toi qui te meurs, toi qui brles de chastet Nuit blanches de glaons et de neige cruelle! Et ta soeur solitaire, ma soeur ternelle Mon rve montera vers toi: telle dj, Rare limpidit d'un coeur qui le songea, Je me crois seule en ma monotone patrie Et tout, autour de moi, vit dans l'idoltrie D'un miroir qui reflte en son calme dormant Hrodiade au clair regard de diamant... O charme dernier, oui! je le sens, je suis seule. La Nourrice: Madame, allez-vous donc mourir? Hrodiade: Non, pauvre aeule, Sois calme et, t'loignant, pardonne ce coeur dur, Mais avant, si tu veux, clos les volets, l'azur Sraphique sourit dans les vitres profondes, Et je dteste, moi, le bel azur! Des ondes Se bercent et, l-bas, sais-tu pas un pays O le sinistre ciel ait les regards has De Vnus qui, le soir, brle dans le feuillage: J'y partirais. Allume encore, enfantillage Dis-tu, ces flambeaux o la cire au feu lger Pleure parmi l'or vain quelque pleur tranger Et... La Nourrice: Maintenant? Hrodiade: Adieu.

  • Vous mentez, fleur nue De mes lvres. J'attends une chose inconnue Ou peut-tre, ignorant le mystre et vos cris, Jetez-vous les sanglots suprmes et meurtris D'une enfance sentant parmi les rveries Se sparer enfin ses froides pierreries. III CANTIQUE DE SAINT JEAN Le soleil que sa halte Surnaturelle exalte Aussitt redescend Incandescent Je sens comme aux vertbres S'ployer des tnbres Toutes dans un frisson l'unisson Et ma tte surgie Solitaire vigie Dans les vols triomphaux De cette faux Comme rupture franche Plutt refoule ou tranche Les anciens dsaccords Avec le corps Qu'elle de jenes ivre S'opinitre suivre En quelque bond hagard Son pur regard L-haut o la froidure ternelle n'endure Que vous le surpassiez Tous glaciers Mais selon un baptme Illumine au mme Principe qui m'lut Penche un salut. L'APRES-MIDI D'UN FAUNE Le Faune: Ces nymphes, je les veux perptuer. Si clair, Leur incarnat lger, qu'il voltige dans l'air Assoupi de sommeils touffus. Aimai-je un rve? Mon doute, amas de nuit ancienne, s'achve

  • En maint rameau subtil, qui, demeur les vrais Bois mme, prouve, hlas! que bien seul je m'offrais Pour triomphe la faute idale de roses. Rflchissons... ou si les femmes dont tu gloses Figurent un souhait de tes sens fabuleux! Faune, l'illusion s'chappe des yeux bleus Et froids, comme une source en pleurs, de la plus chaste: Mais, l'autre tout soupirs, dis-tu qu'elle contraste Comme brise du jour chaude dans ta toison? Que non! par l'immobile et lasse pmoison Suffoquant de chaleurs le matin frais s'il lutte, Ne murmure point d'eau que ne verse ma flte Au bosquet arros d'accords; et le seul vent Hors des deux tuyaux prompt s'exhaler avant Qu'il disperse le son dans une pluie aride, C'est, l'horizon pas remu d'une ride Le visible et serein souffle artificiel De l'inspiration, qui regagne le ciel. O bords siciliens d'un calme marcage Qu' l'envi de soleils ma vanit saccage Tacite sous les fleurs d'tincelles, CONTEZ Que je coupais ici les creux roseaux dompts Par le talent; quand, sur l'or glauque de lointaines Verdures ddiant leur vigne des fontaines, Ondoie une blancheur animale au repos: Et qu'au prlude lent o naissent les pipeaux Ce vol de cygnes, non! de naades se sauve Ou plonge... Inerte, tout brle dans l'heure fauve Sans marquer par quel art ensemble dtala Trop d'hymen souhait de qui cherche le la: Alors m'veillerai-je la ferveur premire, Droit et seul, sous un flot antique de lumire, Lys! et l'un de vous tous pour l'ingnuit. Autre que ce doux rien par leur lvre bruit, Le baiser, qui tout bas des perfides assure, Mon sein, vierge de preuve, atteste une morsure Mystrieuse, due quelque auguste dent; Mais, bast! arcane tel lut pour confident Le jonc vaste et jumeau dont sous l'azur on joue: Qui, dtournant soi le trouble de la joue, Rve, dans un solo long, que nous amusions La beaut d'alentour par des confusions Fausses entre elle-mme et notre chant crdule; Et de faire aussi haut que l'amour se module vanouir du songe ordinaire de dos Ou de flanc pur suivis avec mes regards clos, Une sonore, vaine et monotone ligne. Tche donc, instrument des fuites, maligne Syrinx, de refleurir aux lacs o tu m'attends! Moi, de ma rumeur fier, je vais parler longtemps Des desses; et par d'idoltres peintures leur ombre enlever encore des ceintures: Ainsi, quand des raisins j'ai suc la clart, Pour bannir un regret par ma feinte cart,

  • Rieur, j'lve au ciel d't la grappe vide Et, soufflant dans ses peaux lumineuses, avide D'ivresse, jusqu'au soir je regarde au travers. O nymphes, regonflons des SOUVENIRS divers. Mon oeil, trouant le joncs, dardait chaque encolure Immortelle, qui noie en l'onde sa brlure Avec un cri de rage au ciel de la fort; Et le splendide bain de cheveux disparat Dans les clarts et les frissons, pierreries! J'accours; quand, mes pieds, s'entrejoignent (meurtries De la langueur gote ce mal d'tre deux) Des dormeuses parmi leurs seuls bras hasardeux; Je les ravis, sans les dsenlacer, et vole ce massif, ha par l'ombrage frivole, De roses tarissant tout parfum au soleil, O notre bat au jour consum soit pareil. Je t'adore, courroux des vierges, dlice Farouche du sacr fardeau nu qui se glisse Pour fuir ma lvre en feu buvant, comme un clair Tressaille! la frayeur secrte de la chair: Des pieds de l'inhumaine au coeur de la timide Qui dlaisse la fois une innocence, humide De larmes folles ou de moins tristes vapeurs. Mon crime, c'est d'avoir, gai de vaincre ces peurs Tratresses, divis la touffe chevele De baisers que les dieux gardaient si bien mle: Car, peine j'allais cacher un rire ardent Sous les replis heureux d'une seule (gardant Par un doigt simple, afin que sa candeur de plume Se teignt l'moi de sa soeur qui s'allume, La petite, nave et ne rougissant pas: ) Que de mes bras, dfaits par de vagues trpas, Cette proie, jamais ingrate se dlivre Sans piti du sanglot dont j'tais encore ivre. Tant pis! vers le bonheur d'autres m'entraneront Par leur tresse noue aux cornes de mon front: Tu sais, ma passion, que, pourpre et dj mre, Chaque grenade clate et d'abeilles murmure; Et notre sang, pris de qui le va saisir, Coule pour tout l'essaim ternel du dsir. l'heure o ce bois d'or et de cendres se teinte Une fte s'exalte en la feuille teinte: Etna! c'est parmi toi visit de Vnus Sur ta lave posant tes talons ingnus, Quand tonne une somme triste ou s'puise la flamme. Je tiens la reine! O sr chtiment... Non, mais l'me De paroles vacante et ce corps alourdi Tard succombent au fier silence de midi: Sans plus il faut dormir en l'oubli du blasphme, Sur le sable altr gisant et comme j'aime Ouvrir ma bouche l'astre efficace des vins! Couple, adieu; je vais voir l'ombre que tu devins.

  • SAINTE la fentre recelant Le santal vieux qui se ddore De sa viole tincelant Jadis avec flte ou mandore, Est la Sainte ple, talant Le livre vieux qui se dplie Du Magnificat ruisselant Jadis selon vpre et complie: ce vitrage d'ostensoir Que frle une harpe par l'Ange Forme avec son vol du soir Pour la dlicate phalange Du doigt que, sans le vieux santal Ni le vieux livre, elle balance Sur le plumage instrumental, Musicienne du silence. TOAST FUNEBRE O de notre bonheur, toi, le fatal emblme! Salut de la dmence et libation blme, Ne crois pas qu'au magique espoir du corridor J'offre ma coupe vide o souffre un monstre d'or! Ton apparition ne va pas me suffire: Car je t'ai mis, moi-mme, en un lieu de porphyre. Le rite est pour les mains d'teindre le flambeau Contre le fer pais des portes du tombeau: Et l'on ignore mal, lu pour notre fte Trs-simple de chanter l'absence du pote, Que ce beau monument l'enferme tout entier: Si ce n'est que la gloire ardente du mtier, Jusqu' l'heure commune et vile de la cendre, Par le carreau qu'allume un soir fier d'y descendre, Retourne vers les feux du pur soleil mortel! Magnifique, total et solitaire, tel Tremble de s'exhaler le faux orgueil des hommes. Cette foule hagarde! Elle annonce: Nous sommes La triste opacit de nos spectres futurs. Mais le blason des deuils pars sur de vains murs J'ai mpris l'horreur lucide d'une larme, Quand, sourd mme mon vers sacr qui ne l'alarme Quelqu'un de ces passants, fier, aveugle et muet, Hte de son linceul vague, se transmuait En le vierge hros de l'attente posthume.

  • Vaste gouffre apport dans l'amas de la brume Par l'irascible vent des mots qu'il n'a pas dits, Le Nant cet Homme aboli de jadis: Souvenirs d'horizons, qu'est-ce, toi, que la Terre? Hurle ce songe; et, voix dont la clart s'altre, L'espace a pour jouet le cri: Je ne sais pas! Le Matre, par un oeil profond, a, sur ses pas, Apais de l'den l'inquite merveille Dont le frisson final, dans sa voix seule, veille Pour la Rose et le Lys le mystre d'un nom. Est-il de ce destin rien qui demeure, non? O vous tous, oubliez une croyance sombre. Le splendide gnie ternel n'a pas d'ombre. Moi, de votre dsir soucieux, je veux voir, qui s'vanouit, hier, dans le devoir Idal que nous font les jardins de cet astre, Survivre pour l'honneur du tranquille dsastre Une agitation solennelle par l'air De paroles, pourpre ivre et grand calice clair, Que, pluie et diamant, le regard diaphane Reste l sur ces fleurs dont nulle ne se fane Isole parmi l'heure et le rayon du jour! C'est de nos vrais bosquets dj tout le sjour, O le pote pur a pour geste humble et large De l'interdire au rve, ennemi de sa charge: Afin que le matin de son repos altier, Quand la mort ancienne et comme pour Gautier De n'ouvrir pas les yeux sacrs et de se taire, Surgisse, de l'alle ornement tributaire, Le spulcre solide o gt tout ce qui nuit, Et l'avare silence et la massive nuit. PROSE pour des Esseintes Hyperbole! de ma mmoire Triomphalement ne sais-tu Te lever, aujourd'hui grimoire Dans un livre de fer vtu: Car j'installe, par la science, L'hymne des coeurs spirituels En l'oeuvre de ma patience, Atlas, herbiers et rituels. Nous promenions notre visage (Nous fmes deux, je le maintiens) Sur maints charmes de paysage, O soeur, y comparant les tiens. L're d'autorit se trouble Lorsque, sans nul motif, on dit De ce midi que notre double Inconscience approfondit Que, sol des cent iris, son site

  • Il savent s'il a bien t, Ne porte pas de nom que cite L'or de la trompette d't. Oui, dans une le que l'air charge De vue et non de visions Toute fleur s'talait plus large Sans que nous en devisions. Telles, immenses, que chacune Ordinairement se para D'un lucide contour, lacune, Qui des jardins la spara. Gloire du long dsir, Ides Tout en moi s'exaltait de voir La famille des irides Surgir ce nouveau devoir. Mais cette soeur sense et tendre Ne porta son regard plus loin Que sourire, et comme l'entendre J'occupe mon antique soin. Oh! sache l'Esprit de litige, cette heure o nous nous taisons, Que de lis multiples la tige Grandissait trop pour nos raisons Et non comme pleure la rive Quand son jeu monotone ment vouloir que l'ampleur arrive Parmi mon jeune tonnement D'our tout le ciel et la carte Sans fin attests sur mes pas Par le flot mme qui s'carte, Que ce pays n'exista pas. L'enfant abdique son extase Et docte dj par chemins Elle dit le mot: Anastase! N pour d'ternels parchemins, Avant qu'un spulcre ne rie Sous aucun climat, son aeul, De porter ce nom: Pulchrie! Cach par le trop grand glaeul. VENTAIL de Madame Mallarm

  • Avec comme pour langage Rien qu'un battement aux cieux Le futur vers se dgage Du logis trs prcieux Aile tout bas la courrire Cet ventail si c'est lui Le mme par qui derrire Toi quelque miroir a lui Limpide (o va redescendre Pourchasse en chaque grain Un peu d'invisible cendre Seule me rendre chagrin) Toujours tel il apparaisse Entre tes mains sans paresse. AUTRE VENTAIL de Mademoiselle Mallarm O rveuse, pour que je plonge Au pur dlice sans chemin, Sache, par un subtil mensonge, Garder mon aile dans ta main. Une fracheur de crpuscule Te vient chaque battement Dont le coup prisonnier recule L'horizon dlicatement. Vertige! voici que frissonne L'espace comme un grand baiser Qui, fou de natre pour personne, Ne peut jaillir ni s'apaiser. Sens-tu le paradis farouche Ainsi qu'un rire enseveli Se couler du coin de ta bouche Au fond de l'unanime pli! Le sceptre des rivages roses Stagnants sur les soirs d'or, ce l'est, Ce blanc vol ferm que tu poses Contre le feu d'un bracelet. FEUILLET D'ALBUM Tout coup et comme par jeu Mademoiselle qui voultes Our se rvler un peu Le bois de mes diverses fltes Il me semble que cet essai

  • Tent devant un paysage A du bon quand je le cessai Pour vous regarder au visage Oui ce vain souffle que j'exclus Jusqu' la dernire limite Selon mes quelques doigts perclus Manque de moyens s'il imite Votre trs naturel et clair Rire d'enfant qui charme l'air. SONNET Mary sans trop d'ardeur la fois enflammant La rose qui cruelle ou dchire et lasse Mme du blanc habit de pourpre le dlace Pour our dans sa chair pleurer le diamant Oui sans ces crises de rose et gentiment Ni brise quoique, avec, le ciel orageux passe Jalouse d'apporter je ne sais quel espace Au simple jour le jour trs vrai du sentiment Ne te semble-t-il pas, Mary, que chaque anne Dont sur ton front renat la grce spontane Suffise selon quelque apparence et pour moi Comme un ventail frais dans la chambre s'tonne raviver du peu qu'il faut ici d'moi Toute notre native amiti monotone. SONNET O si chre de loin et proche et blanche, si Dlicieusement toi, Mary, que je songe quelque baume rare man par mensonge Sur aucun bouquetier de cristal obscurci Le sais-tu, oui! pour moi voici des ans, voici Toujours que ton sourire blouissant prolonge La mme rose avec son bel t qui plonge Dans autrefois et puis dans le futur aussi. Mon coeur qui dans les nuits parfois cherche s'entendre Ou de quel dernier mot t'appeler le plus tendre S'exalte en celui rien que chuchot de soeur N'tant, trs grand trsor et tte si petite, Que tu m'enseignes bien toute une autre douceur Tout bas par le baiser seul dans tes cheveux dite.

  • REMMORATION D'AMIS BELGES A des heures et sans que tel souffle l'meuve Toute la vtust presque couleur encens Comme furtive d'elle et visible je sens Que se dvt pli selon pli la pierre veuve Flotte ou semble par soi n'apporter une preuve Sinon d'pandre pour baume antique le temps Nous immmoriaux quelques-uns si contents Sur la soudainet de notre amiti neuve O trs chers rencontrs en le jamais banal Bruges multipliant l'aube au dfunt canal Avec la promenade parse de maint cygne Quand solennellement cette cit m'apprit Lesquels entre ses fils un autre vol dsigne prompte irradier ainsi qu'aile l'esprit. CHANSONS BAS LE SAVETIER Hors de la poix rien faire Le lys nat blanc, comme odeur Simplement je le prfre ce bon raccommodeur. Il va de cuir ma paire Adjoindre plus que je n'eus Jamais, cela dsespre Un besoin de talons nus. Son marteau qui ne dvie Fixe de clous gouailleurs Sur la semelle l'envie Toujours conduisant ailleurs. Il recrerait des souliers, O pieds! si vous le vouliez! LA MARCHANDE D'HERBES AROMATIQUES Ta paille azur de lavandes, Ne crois pas avec ce cil Os que tu me la vendes Comme a l'hypocrite s'il En tapisse la muraille De lieux les absolus lieux

  • Pour le ventre qui se raille Renatre aux sentiments bleus. Mieux entre une envahissante Chevelure ici mets-la Que le brin salubre y sente Zphirine, Pamla Ou conduise vers l'poux Les prmices de tes poux. LE CANTONNIER Ces cailloux, tu les nivelles Et c'est, comme troubadour, Un cube aussi de cervelles Qu'il me faut ouvrir par jour. LE MARCHAND D'AIL ET D'OIGNONS L'ennui d'aller en visite Avec l'ail nous l'loignons L'lgie au pleur hsite Peu si je fends des oignons. LA FEMME DE L'OUVRIER La femme, l'enfant, la soupe En chemin pour le carrier Le complimentent qu'il coupe Dans l'us de se marier. LE VITRIER Le pur soleil qui remise Trop d'clat pour l'y trier Ote bloui sa chemise Sur le dos du vitrier. LE CRIEUR D'IMPRIMS Toujours, n'importe le titre Sans mme s'enrhumer au Dgel, ce gai siffle-litre Crie un premier numro. LA MARCHANDE D'HABITS Le vif oeil dont tu regardes Jusques leur contenu Me spare de mes hardes

  • Et comme un dieu je vais nu. BILLET WHISTLER Pas les rafales propos De rien comme occuper la rue Sujette au noir vol de chapeaux; Mais une danseuse apparue Tourbillon de mousseline ou Fureur parse en cumes Que soulve par son genou Celle mme dont nous vcmes Pour tout, hormis lui, rebattu Spirituelle, ivre, immobile Foudroyer avec le tutu, sans se faire autrement de bile Sinon rieur que puisse l'air De sa jupe venter Whistler. RONDEL Rien au rveil que vous n'ayez Envisag de quelque moue Pire si le rire secoue Votre aile sur les oreillers Indiffremment sommeillez Sans crainte qu'une haleine avoue Rien au rveil que vous n'ayez Envisag de quelque moue Tous les rves merveills Quand cette beaut les djoue Ne produisent fleur sur la joue Dans l'oeil diamants impays Rien au rveil que vous n'ayez RONDEL Si tu veux nous nous aimerons Avec tes lvres sans le dire Cette rose ne l'interromps Qu' verser un silence pire Jamais de chants ne lancent prompts Le scintillement du sourire

  • Si tu veux nous nous aimerons Avec tes lvres sans le dire Muet muet entre les ronds Sylphe dans la pourpre d'empire Un baiser flambant se dchire Jusqu'aux pointes des ailerons Si tu veux nous nous aimerons PETIT AIR I Quelconque une solitude Sans le cygne ni le quai Mire sa dsutude Au regard que j'abdiquai Ici de la gloriole Haute ne la pas toucher Dont main ciel se bariole Avec les ors de coucher Mais langoureusement longe Comme de blanc linge t Tel fugace oiseau si plonge Exultatrice ct Dans l'onde toi devenue Ta jubilation nue. PETIT AIR II Indomptablement a d Comme mon espoir s'y lance clater l-haut perdu Avec furie et silence, Voix trangre au bosquet Ou par nul cho suivie L'oiseau qu'on n'out jamais Une autre fois en la vie. Le hagard musicien, Cela dans le doute expire Si de mon sein pas du sien A jailli le sanglot pire Dchir va-t-il entier Rester sur quelque sentier! PETIT AIR (GUERRIER) Ce me va hormis l'y taire Quand l'Ombre menaa

  • Que je sente du foyer Un pantalon militaire ma jambe rougeoyer L'invasion je la guette Avec le vierge courroux Tout juste de la baguette Au gant blancs des tourlourous Nue ou d'corce tenace Pas pour battre le Teuton Mais comme une autre menace la fin que me veut-on De trancher ras cette ortie Folle de la sympathie. SONNET de la fatale loi, Tel vieux Rve, dsir et mal de mes vertbres, Afflig de prir sous les plafonds funbres Il a ploy son aile indubitable en moi. Luxe, salle d'bne o, pour sduire un roi Se tordent dans leur mort des guirlandes clbres, Vous n'tes qu'un orgueil menti par les tnbres Aux yeux du solitaire bloui de sa foi Oui, je sais qu'au lointain de cette nuit, la Terre Jette d'un grand clat l'insolite mystre Sous les sicles hideux qui l'obscurcissent moins. L'espace soi pareil qu'il s'accroisse ou se nie Roule dans cet ennui des feux vils pour tmoins Que c'est d'un astre en fte allum le gnie. SONNET Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui Va-t-il nous dchirer avec un coup d'aile ivre Ce lac dur oubli que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui! Un cygne d'autrefois se souvient que c'est lui Magnifique mais qui sans espoir se dlivre Pour n'avoir pas chant la rgion o vivre Quand du strile hiver a resplendi l'ennui. Tout son col secouera cette blanche agonie Par l'espace inflige l'oiseau qui le nie, Mais non l'horreur du sol o le plumage est pris. Fantme qu' ce lieu son pur clat assigne,

  • Il s'immobilise au songe froid de mpris Que vt parmi l'exil inutile le Cygne. SONNET Victorieusement fui le suicide beau Tison de gloire, sang par cume, or, tempte! O rire si l-bas une pourpre s'apprte ne tendre royal que mon absent tombeau. Quoi! de tout cet clat pas mme le lambeau S'attarde, il est minuit, l'ombre qui nous fte Except qu'un trsor prsomptueux de tte Verse son caress nonchaloir sans flambeau, La tienne si toujours le dlice! la tienne Oui seule qui du ciel vanoui retienne Un peu de puril triomphe en t'en coiffant Avec clart quand sur les coussins tu la poses Comme un casque guerrier d'impratrice enfant Dont pour te figurer il tomberait des roses. SONNET Ses purs ongles trs haut ddiant leur onyx, L'Angoisse, ce minuit, soutient, lampadophore, Main rve vespral brl par le Phnix Que ne recueille pas de cinraire amphore Sur les crdences, au salon vide: nul ptyx, Aboli bibelot d'inanit sonore, (Car le Matre est aller puiser des pleurs au Styx Avec ce seul objet dont le Nant s'honore). Mais proche la croise au nord vacante, un or Agonise selon peut-tre le dcor Des licornes ruant du feu contre une nixe, Elle, dfunte nue en le miroir, encor Que, dans l'oubli ferm par le cadre, se fixe De scintillations sitt le septuor. SONNET La chevelure vol d'une flamme l'extrme Occident de dsirs pour la tout dployer Se pose (je dirais mourir un diadme)

  • Vers le front couronn son ancien foyer Mais sans or soupirer que cette vive nue L'ignition du feu toujours intrieur Originellement la seule continue Dans le joyau de l'oeil vridique ou rieur Une nudit de hros tendre diffame Celle qui ne mouvant astre ni feux au doigt Rien qu' simplifier avec gloire la femme Accomplit par son chef fulgurante l'exploit De semer de rubis le doute qu'elle corche Ainsi qu'une joyeuse et tutlaire torche. LE TOMBEAU D'EDGAR POE Tel qu'en Lui-mme enfin l'ternit le change, Le Pote suscite avec un glaive nu Son sicle pouvant de n'avoir pas connu Que la mort triomphait dans cette voix trange! Eux, comme un vil sursaut d'hydre oyant jadis l'Ange Donner un sens plus pur aux mots de la tribu Proclamrent trs haut le sortilge bu Dans le flot sans honneur de quelque noir mlange. Du sol et de la nue hostiles, grief! Si notre ide avec ne sculpte un bas-relief Dont la tombe de Poe blouissante s'orne Calme bloc ici-bas chu d'un dsastre obscur, Que ce granit du moins montre jamais sa borne Aux noirs vols du Blasphme pars dans le futur. LE TOMBEAU DE CHARLES BAUDELAIRE Le temple enseveli divulgue par la bouche Spulcrale d'gout bavant boue et rubis Abominablement quelque idole Anubis Tout le museau flamb comme un aboi farouche Ou que le gaz rcent torde la mche louche Essuyeuse on le sait des opprobres subis Il allume hagard un immortel pubis Dont le vol selon le rverbre dcouche Quel feuillage sch dans les cits sans soir Votif pourra bnir comme elle se rasseoir Contre le marbre vainement de Baudelaire Au voile qui la ceint absente avec frissons Celle son Ombre mme un poison tutlaire

  • Toujours respirer si nous en prissons. TOMBEAU Anniversaire - Janvier 1897 Le noir roc courrouc que la bise le roule Ne s'arrtera ni sous de pieuses mains Ttant sa ressemblance avec les maux humains Comme pour en bnir quelque funeste moule. Ici presque toujours si le ramier roucoule Cet immatriel deuil opprime de maints Nubiles plis l'astre mri des lendemains Dont un scintillement argentera la foule. Qui cherche, parcourant le solitaire bond Tantt extrieur de notre vagabond - Verlaine? Il est cach parmi l'herbe, Verlaine ne surprendre que navement d'accord La lvre sans y boire ou tarir son haleine Un peu profond ruisseau calomni la mort. HOMMAGE Le silence dj funbre d'une moire Dispose plus qu'un pli seul sur le mobilier Que doit un tassement du principal pilier Prcipiter avec le manque de mmoire. Notre si vieil bat triomphal du grimoire, Hiroglyphes dont s'exalte le millier propager de l'aile un frisson familier! Enfouissez-le-moi plutt dans une armoire. Du souriant fracas originel ha Entre elles de clarts matresses a jailli Jusque vers un parvis n pour leur simulacre, Trompettes tout haut d'or pm sur les vlins Le dieu Richard Wagner irradiant un sacre Mal tu par l'encre mme en sanglots sibyllins. HOMMAGE I Toute Aurore mme gourde crisper un poing obscur

  • Contre des clairons d'azur Embouchs par cette sourde A le ptre avec la gourde Jointe au bton frappant dur Le long de son pas futur Tant que la source ample sourde Par avance ainsi tu vis O solitaire Puvis De Chavannes jamais seul De conduire le temps boire la nymphe sans linceul Que lui dcouvre ta Gloire. HOMMAGE II Toute l'me rsume Quand lente nous l'expirons Dans plusieurs ronds de fume Abolis en autres ronds Atteste quelque cigare Brlant savamment pour peu Que la cendre se spare De son clair baiser de feu Ainsi le choeur des romances la lvre vole-t-il Exclus-en si tu commences Le rel parce que vil Les sens trop prcis rature Ta vague littrature. HOMMAGE III Au seul souci de voyager Outre une Inde splendide et trouble Ce salut soit le messager Du temps, cap que ta poupe double Comme sur quelque vergue bas Plongeante avec la caravelle cumait toujours en bats Un oiseau d'annonce nouvelle Qui criait monotonement Sans que la barre ne varie Un inutile gisement Nuit, dsespoir et pierrerie Par son chant reflt jusqu'au Sourire du ple Vasco.

  • SONNET Tout Orgueil fume-t-il du soir, Torche dans un branle touffe Sans que l'immortelle bouffe Ne puisse l'abandon surseoir! La chambre ancienne de l'hoir De maint riche mais chu trophe Ne serait pas mme chauffe S'il survenait par le couloir. Affres du pass ncessaires Agrippant comme avec des serres Le spulcre de dsaveu, Sous un marbre lourd qu'elle isole Ne s'allume pas d'autre feu Que la fulgurante console. SONNET Surgi de la croupe et du bond D'une verrerie phmre Sans fleurir la veille amre Le col ignor s'interrompt. Je crois bien que deux bouches n'ont Bu, ni son amant ni ma mre, Jamais la mme Chimre, Moi, sylphe de ce froid plafond! Le pur vase d'aucun breuvage Que l'inexhaustible veuvage Agonise mais ne consent, Naf baiser des plus funbres! rien expirer annonant Une rose dans les tnbres. SONNET

  • Une dentelle s'abolit Dans le doute du Jeu suprme n'entr'ouvrir comme un blasphme Qu'absence ternelle de lit. Cet unanime blanc conflit D'une guirlande avec la mme, Enfoui contre la vitre blme Flotte plus qu'il n'ensevelit. Mais, chez qui du rve se dore Tristement dort une mandore Au creux nant musicien Telle que vers quelque fentre Selon nul ventre que le sein, Filial on aurait pu natre. SONNET Quelle soie aux baumes de temps O la Chimre s'extnue Vaut la torse et native nue Que, hors de ton miroir, tu tends! Les trous de drapeaux mditants S'exaltent dans notre avenue: Moi, j'ai la chevelure nue Pour enfouir mes yeux contents. Non! La bouche ne sera sre De rien goter sa morsure S'il ne fait, ton princier amant, Dans la considrable touffe Expirer, comme un diamant, Le cri des Gloires qu'il touffe. SONNET M'introduire dans ton histoire C'est en hros effarouch S'il a du talon nu touch Quelque gazon de territoire des glaciers attentatoire Je ne sais le naf pch Que tu n'auras pas empch De rire trs haut sa victoire Dis si je ne suis pas joyeux Tonnerre et rubis aux moyeux De voir en l'air que ce feu troue

  • Avec des royaumes pars Comme mourir pourpre la roue Du seul vespral de mes chars. SONNET la nue accablante tu Basse de basaltes et de laves mme les chos esclaves Par une trompe sans vertu Quel spulcral naufrage (tu Le sais, cume, mais y baves) Suprme une entre les paves Abolit le mt dvtu Ou cela que furibond faute De quelque perdition haute Tout l'abme vain ploy Dans le si blanc cheveu qui trane Avarement aura noy Le flanc enfant d'une sirne. SONNET Mes bouquins referms sur le nom de Paphos Il m'amuse d'lire avec le seul gnie Une ruine, par mille cumes bnie Sous l'hyacinthe, au loin, de ses jours triomphaux. Coure le froid avec ses silences de faux, Je n'y hululerai pas de vide nnie Si ce trs blanc bat au ras du sol dnie tout site l'honneur du paysage faux. Ma faim qui d'aucuns fruits ici ne se rgale Trouve dans leur docte manque une saveur gale: Qu'un clate de chair humain et parfumant! Le pied sur quelque guivre o notre amour tisonne, Je pense plus longtemps peut-tre perdument l'autre, au sein brl d'une antique amazone.

  • I FANTAISIES (1859-1860) ENTRE QUATRE MURS RVE ANTIQUE Elle est dans l'atrium la blonde Lycoris Sous un flot parfum mollement renverse. Comme un saule jauni s'pand sous la rose, Ses cheveux sur son sein pleuvent longs et fleuris. Dans les roseaux, vis-tu, sur un fleuve bleutre, Le soir, glisser le front de la ple Phoeb? - Elle dort dans son bain et sa gorge d'albtre, Comme la lune, argente un flot du ciel tomb. Son doigt qui sur l'eau calme effeuillait une rose Comme une urne odorante offre un calice vert Descends, brune Hb! verse de ta main rose Ce vin qui fait qu'un coeur brle, tout coeur ouvert. Elle est dans l'atrium la blonde Lycoris Sous un flot parfum mollement renverse Comme ton arc d'argent, Diane aux forts lance, Se dtend son beau corps sous ses amants choisis. Octobre 1859 SOURIRE Oh! je viens! je viens! tu m'appelles, Printemps, l'aurole d'or! Tu donnes mon coeur des ailes! Plein d'amour il prend son essor! Sur un blanc fil de la vierge Avril, riant, descend du ciel! Pques arrive et son grand cierge Brille dj prs de l'autel. Rosette sous la mousseline Voile au soir son ttin vermeil; Et, sur sa lvre purpurine, S'endort un rayon de soleil. Comme elle, sourit la pervenche. Et, laissant son deuil hivernal, D'une couronne de fleur blanche L'aubpine se pare au val. Sous une feuille qui l'ombrage La ple violette dort. Prs d'elle la brise volage Courbe les mille toiles d'or. Oublieuse de la faucille L'herbe frissonne dans les prs L'alouette joue et babille, Babille sans se dire: " Aprs? " Plus de neige! l' recueille Cent nids de mousse, gai dortoir! A leurs chansons, sa jeune feuille Danse sous l'haleine du soir! L'azur se rit dans la ramure gayant les branches du houx.

  • L'eau, sous son manteau vert, murmure, Par[le] en cascades des cailloux! La demoiselle au fin corsage Se balance au bout d'un roseau, Et, svelte, sur l'herbe qui nage, Se mire au frais cristal de l'eau. Le papillon, petit fou, vole Sur son aile d'un bleu velours, Pose un baiser sur la corolle Des roses, nids de ses amours. Le rossignol sous la feuille Gazouille l'hymne du matin Sa compagne boit la rose, Rit, et berce son nid mutin. Et toi, cher grillon, tu fuis l'tre O ton chant m'endormait l'hiver... Dans les hautes herbes, foltre! Sous le ciel bleu dis ton chant clair! Oh! si sur la tide mousse Je voyais dormir une soeur! Oh! si de son haleine douce Le parfum enivrait mon coeur Si je cueillais aux bords des ondes Les myosotis isols Pour toiler ses tresses blondes, Comme les bluets dans les bls! Si ..... - "Lisez donc le grand Racine Et non l'homme la Carabine ... Monsieur, encore un contre-sens! " Je suis en classe! adieu, printemps. Avril 1859 (classe du soir) VIENS. (Ballade) Un enfant dormait blond et rose. L'oeil rveur, un ange frlait De l'aile sa paupire close Sur son front des feuilles de rose Pleuvaient des doigts d'Ohl-le-follet! Ohl-le-follet " Viens danser la ronde des fes! Des bras lacts sont ses liens La nuit joue en fraches bouffes Dans leurs tresses d'or dcoiffes! Viens! " L'Ange

  • " Viens chanter le Nol des anges! L'encens en flots ariens Met, quand murmurent nos louanges, A leurs ailes de blanches franges! Viens! " Le follet " T'emporte la lune morose Sur un rayon aux rocs anciens! T'emporte vers la fleur close Un fil de vierge l'aube rose! Viens! " L'Ange " Que l'ange Espoir au pied du trne Verse tes voeux avec les miens! Cueillons les astres, lys que donne Dieu pour faire aux morts leur couronne! Viens! " Quelle aile a-t-il pris pour suaire? La vtre, ange? Ohl, est-il des tiens? Car, berant lentement sa bire, Sa mre sanglote en prire " Viens!... " Dcembre 1859 CHANSON DU FOL I Vivent les castagnettes! Tac! tac! tac! les clochettes, Les bolros! Per el rey, quand je danse, Plus que la diligence Et ses grelots, Je sonne! - Par la ville Aux doux soirs de Sville Dig! il n'est pas De nain qui plus lutine Que le fou de Rosine Ha! ha! ha! ha! Dig! aprs la perruche Qui sur son doigt se juche, Son favori C'est moi, qui toujours saute Chante, bois, et ressaute, Qui toujours ris!

  • Je n'atteins pas l'oreille Du grand chien noir qui veille La nuit, Pepo! II Dona fit ma marotte De satin vert! Ma botte D'or et de peau Dfierait la bottine De soie o se dandine Son pied mignon. Le soir, quand la brume, Le citronnier parfume Son frais balcon, J'entends la srnade, Je ris et je gambade Puis quand tout dort, Quand la lune maligne Rit et de l'oeil me cligne, Vers Almandor Je mne la comtesse, Un ange, une tigresse! Que de baisers Sur le sein, sur la joue! Et quand sa main dnoue Sans y penser Son noir corset de soie Qui craque, et que de joie L'oeil scintillant Plonge au fond de la taille, Quand le hibou les raille, Moi, j'en vois tant, Que mi senor l'vque Au gros nez de pastque - S'il le pouvait! Qu'un duc d'Andalousie D'un oeil de jalousie, - S'il le savait! Lorgneraient ma marotte! - Parfois je lui chuchotte Des mots bien doux! La dona de sourire, De sourire et de dire " Oh! petit fou!... " Pour chasser une mouche Quand je pose ma bouche Sur son sein brun Quand je sens de la rose Qui sur son coeur repose Le doux parfum,

  • Jamais sur mon visage Palmada ne voyage Dig! de la main De son amant fidle Pour lui comme pour elle Je suis un nain! III Dig! Dig! Dig! alcades Pendant les promenades De senora Je les envoie au diable! - Au Diable - acte pendable! Et caetera! Quand le soleil nous lance Ses rayons, je balance Sur son beau col Ou sur sa brune paule, En chantant un chant drle, Un parasol. IV Quand au bal tout est flamme, Tout est or, tout est femme, " Oh! petit fou, " Sans tarder, en cadence Danse-nous une danse! Oh! Danse-nous!... - Je lve ma babouche Rose comme la bouche Des senoras Et, dig! dig! je sautille .... Car tout cet or qui brille Sur leurs beaux bras, Car cette fine lame Que porte au sein la dame De l'alguazil, Cette noire mantille, Ce Xrs qui ptille Et, vieux Brsil! Tes cocos et grenades Aprs danse et roulades Seront moi! Lors, au seigneur Cramornes Je ferai mille cornes De mes deux doigts!... Il dit que la gargouille De l'Alcazar, que mouille L'eau du bon Dieu,

  • A moins affreuses faces, Fait moins laides grimaces Que moi, Mordieu! V La nuit .... - Bonsoir mesdames, Je cours puiser des flammes Au rendez-vous! Devinez mon amante! .... - C'est la lune, ma tante, Qui rit tous! Tral-lo-los!... Ah! l'alcade Vient... Adieu cavalcade .... Dig! filons doux! Mars 1859 La scne est un rendez-vous de chasse: il parle aux amazones. " Tuez dix mille hommes, mais n'arrachez pas une patte une araigne " LA COLRE D'ALLAH. Siben-abd-Alimah, dont le pre est au ciel Pour avoir aux mendiants distribu du miel Quand, sous chaque pi blond faisant natre une pine, Par les moissons planait l'Ange de la famine, Siben-abd-Alimah, fils d'Hahr, aimait mieux voir Jaillir sur le poitrail de son fier cheval noir Le sang d'un ennemi qui rle une prire Et du coursier piaffant dchire la crinire, Que l'esclave enivre, au son du gai tambour Verser sur ses flancs nus et gonfls par l'amour Le vin chaud du palmier qu'elle ne peut plus boire. Le sang tait sa soif, et le meurtre sa gloire. Sur un lit de boas, il tendait cent Juifs Et ses lphants blancs broyaient leurs fronts plaintifs Au son des trompes d'or, aux rires des sultanes, Comme, au bois o tout craque, ils foulent les lianes. Les aigles du Sahra, sur ses sanglantes tours Que blanchissait la lune, arrachaient aux vautours Les ttes des chrtiens, violettes et ples, Qu'entrechoquaient la nuit de lugubre[s] rafales. Prostern sous ses pas, le peuple hurlait: " Le Grand! " Allah le regardait d'un oeil indiffrent. Quand il avait pli dans les bras d'une amante, Dormi dans ses cheveux, flots noirs et parfums, Quand le ciel empourpr, jetant sa sombre mante, Fondait les astres blancs dans l'azur clair-sems, Ce n'tait pas l'oiseau chantant dans la rose, Ce n'tait pas le vent sur la vague embrase, Ce n'tait un baiser, ce n'tait l'hymne saint Qui chassaient le sommeil de son regard teint, Mais un tigre mordant l'or de sa jongle riche, Ou roulant, en grondant, le crne d'un derviche! Alors prenant l'enfant dont les baisers du soir Et les fades parfums faisaient languir l'oeil noir,

  • Comme un lys qu'on effeuille et qu'on jette l'cume Il la dpose nue en sa natte de plume Aux pieds du tigre aim qui, Sultan son tour, Boit la mort dans la coupe o Siben but l'amour! Allah le regardait, froid comme un dieu de marbre. Or un soir que dans l'ambre et l'or- au pied d'un arbre Qui berait trois pendus - il fumait en rvant Aux nonnes dont l'oeil bleu pleurait le noir couvent, Non pour ce qu'au srail elles ne restaient vierges, Mais parce qu'au vieux cloitre, la lueur des cierges On pouvait tre aim sans tre dvor, - Un soir que du chibouk un nuage azur ondulait follement sur son turban de moire, Que la brise tait calme et l'aile des nuits, noire, Que les tambours de basque et le triangle d'or, Que la danse, o la vierge en prenant son essor Lance aux vents une rose effeuille et tremblante Qui sur les noirs cheveux tombe en pluie odorante, Que tout jusqu'au ce diamant ail, Tout s'tait endormi, tout s'tait envol, - Les songes seuls frlaient de leur aile argente Les longs cils de Siben - ... il voyait une fe .... Quand un grillon gmit sur le front du rveur Qui soudain s'veilla! - Furieux, au chanteur Dans son chibouk brlant Siben creuse une bire. Dieu frona le sourcil et lana son tonnerre. Dcembre 1859 CHANT D'IVRESSE J'aime l'Espagne... - Le clair champagne Dans le cristal Oriental Mousse et ptille Ma brune fille, Ma Mourinas Entre mes bras Palpite et pme Son ple sein Nu, sous la flamme De mes baisers, son[s] frein Frmit. Minette, Oh! qu'il est beau ton corps Quand d'amour tu te tords! L - prend[s] ta castagnette Et danse encor! Danse, danse, brunette, Un bolro . Bravo! Bravo! Mon poignard. de Tolde, Mon casino de roi Tout l'or que je possde Seront toi.

  • Je t'aime, coute .... Toujours je t'aimerai! Pour toi je verserai Mon sang; belle, n'en doute! Viens!... sur moi gote Le champagne au flot pur. - Vague d'azur Toi dont la blanche cume Fut mre de Vnus Dis-moi, quand la brume Ses blancs seins nus, Au murmure de l'onde, Palpitaient sous sa blonde Chevelure, Ah! dis-moi Frmis-tu, toi? Frmis-tu comme danse, Danse en cadence Le champagne lutin Sous la lvre polie De ma matresse au teint D'Andalousie? Janvier 1859 LES TROIS. Ils taient trois face brune Sous leur vieille tente commune Les joyeux zingaris! La lvre au front de leurs matresses, Gais, ils dposaient sur leurs tresses Des baisers et des lys! Elles taient trois jeunes blondes, - Sveltes comme un jonc dans les ondes, Sur leurs tambours crevs. Sous leurs cheveux pars, scintille Un oeil bleu, comme l'aube brille Un bluet dans les bls! Autour d'un foyer qui se meure A la neige qui les effleure Ils jettent tous leur chant! Leur choeur monte avec l'tincelle Narguant l'orage et sa sombre aile, Comme la mouette le vent! Un grillon suit leurs voix dans l'tre La lune, leur gaze foltre Met des paillettes d'or Sous les haillons les flammes blanches Luisent, comme entre les pervenches Un ver luisant qui dort!

  • Le silence vint, lutin sombre .... Sur la sente les feuilles d'ombre Bruirent sans accord Le feu rla, tordant ses branches, Puis montrent ses flammes blanches Comme l'me d'un mort!... Sur son sein effeuillant des roses, Et, ses castagnettes mi-closes, L'une, - elle avait seize ans D'un pied nu frappa l'herbe verte Et tourna .... la bouche entr'ouverte Ses cheveux noirs flottants .... Elle tait belle et dcoiffe, Sous ses longs cils deux yeux de fe toilaient cette nuit Elle dansa jusqu' l'aurore Et tomba dfaite, incolore .... - Elle est morte depuis. Ils mirent prs de son noir masque Sur sa tombe un tambour de basque Plein de lierre et de pleurs Et de leur tente une hirondelle, Belle et vagabonde comme elle, Va lui porter des fleurs! On pleura... puis la gat folle Revint, et sur une aurole Danse l'ombre d'Emma! Sa jupe est un rayon de lune ..... - Ils taient trois face brune Le sicle le saura! Novembre 1859 BALLADE (Air: Je suis un enfant gt) J'aime une fille bohme Au pied leste et fin: Je la vis sous un roc blme Qui sortait du bain Dessous ses tresses d'bne, Noires ailes de corbeau, Brillait un oeil aussi beau Que la lune pleine! L'eau ruisselait sur son sein, Fleur sous la rose! Sur son genou purpurin L'algue est renverse... L, muette et souriant Tu contemplais sur la lame Ton frais minois, rose femme, Que berait le vent!

  • Depuis mon coeur est de flamme! Dans mon rve au soir Je vois le sein de ma dame Effleurer l'air noir!... Et, sur un rayon de lune Qui sur mon front dort moqueur, Comme un lutin vers mon coeur Descendre ma brune! Mais sur son aile diaphane D'azur toil, Je vois d'une courtisane Le flanc mi-voil! Sur sa lvre d'ange affable Voltige un souris mchant Comme le tien, Satan ....... - Si j'aimais le diable! Juin 1859 LE LIERRE MAUDIT (Ballade) Sous un vieux lierre o le roitelet chante Rit, comme un nid, une tour en dbris. Dieg est parti pour la guerre sanglante Avec Ponto, sa cavale au flanc gris, Son coeur brlant, sa carabine fire! L'tre se meure au chant de sa Mourras. - Au clair de lune, allez, brunes dopas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. Elle voit fuir de l'tre une tincelle Elle entend fuir de ses fils un: " Adieu... " Un bouclier que la hache dentle Comme leur pre est leur berceau! - " Mon Dieu! " La triste nuit! quelqu'un dort en sa bire " Au vieux beffroi j'entends tinter un glas! " - Au clair de lune, allez, brunes donas [:] Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. " chers enfants, vous qui rvez aux anges, " Dormez riants, sans entendre l'airain! " Ciel! il murmure aux nuits des mots tranges! " Ah! si don Dieg ..... - non, son astre est serein .... " Quand il me prit un soir au monastre, " Il dit aux cieux: Mon astre, ne meurs pas! " - Au clair de lune allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. " Or l'astre ami protgea sa matresse! " La poudre au flanc volait notre Porto " Aux blancs reflets de la lune tratresse " Je vis dans l'algue aux bords verts d'un ruisseau " Le turban d'or des Maures en prire " Et j'entendis, moines noirs, vos pas! - Au clair de lune allez, brunes dopas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre.

  • " L'astre brillait dans les branches bleutres " Au sein de Dieg aurais-je pu plir? " Du moine sombre, ou du Maure sans tres " Le plus impur .... je ne puis le trahir! " Qu'tre nonnette ou preste bayadre " J'aimerais mieux, Diable, tre en tes grands lacs! " - Au clair de lune, allez, brunes dopas; Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. " Oui, dans tes lacs!... " sa vive parole Le son du cor, aux rocs noirs, fit cho ..... Du pur berceau se voila l'aurole... Mounas trembla, puis vit un hidalgo! - " Pleurez, dit-il[,] sous votre toit de lierre .... " - " M'annoncez-vous de don Dieg le trpas?... " - Au clair de lune, allez, brunes doras Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. " Don Dieg!... eh! tiens, nos tentes sont communes, - Sauf son harem - l'ombre du drapeau! " S'il tait mort .... ce serait sur ses brunes!... " L'hte portait plume blanche au chapeau, Et se drapait dans sa pourpre pour plaire! Sa pourpre avait des trous du haut en bas!... - Au clair de lune, allez, brunes douas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. " Et sa Mouftas!... " gmit la mre en larmes. - " J'tais prophte!.. on pleure, bel oeil noir, " Sur les longs jours qu'on ignora mes charmes! " Je vous aime!... Oh! venez mon manoir! " Dans l'ombre, au ciel se dresse ma vieille aire " Comme un vautour sur le champ des combats! " - Au clair de lune, allez, brunes doras Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. - "Ton nom?... non, fuis!.. Mon Dieg..." - " Il t'abandonne! " " Je l'aime encor: lui, n'a pas pu changer! " - " L'amour tromp ne veut pas qu'on pardonne. " - " Oh! je vous hais!... mais je dois me venger! " Mounas pleurant murmure une prire Au pur berceau... baise deux petits bras... - Au clair de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. La gorge au vent, la blonde sous la mante De l'hidalgo fuyait, pleurant encor Un baiser vint sur sa gorge tremblante Et dans les airs s'lana l'homme au cor Son vol traait un sillon de lumire .... Mounas frmit... c'tait don SATANAS!... - Au clair de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. Le beffroi noir jeta sa voix aux ombres .... Un spectre blanc parut sous un arceau L' astre de Dieg luit sur les chnes sombres. - " Ton poux, femme! 6 mre, ton berceau!... " Le spectre dit et sur la froide pierre Lana Satan et son amante, hlas! - Au clair de lune, allez brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre. Le sein d'un aigle, Mouftas, fut ta tombe!

  • Satan, riant, vola vers ses enfers ..... Le spectre ple a, plus qu'une colombe Sur son nid mort, vers de pleurs amers .... Mais tous ses pleurs n'ont des feuilles du LIERRE. Dmon, lav le sang que tu versas! - Aux clairs de lune, allez, brunes donas Le sylphe dort aux fleurs de la bruyre! Juin 1859 LOEDA Idylle antique La brise en se jouant courbe les jeunes fleurs, Le myrthe de Vnus embaume les prairies, Et l'onde s'enfuyant dans sa rive fleurie Murmure son amour aux herbages en pleurs. Le soleil de sa pourpre embrase la colline, Philomle berce aux branches du laurier Jette ses derniers chants au printemps qui dcline Dans les rochers se perd la voix du chevrier. Effleurant le gazon de mille pieds d'albtre, Les nymphes en riant fuient un faune lascif L'une d'un luth divin tire un accord plaintif L'autre saisit au vol un papillon foltre. Loeda, le front rveur, voile son sein vermeil Comme un marbre sacr de longues tresses blondes, Loeda, que ses soeurs croient dans les bras du sommeil Rit au coquet portrait que balancent les ondes " Le pampre n'a vingt fois verdi dans mes cheveux, " Je suis mon printemps et personne ne m'aime! " Pauvre Loeda, ton coeur doit donc vivre en lui-mme! " Aux doux soirs, nul baiser ne couronne mes voeux! " Sous le sein de Tyndare aucun feu ne sige... " On me croirait sa fille! - Oh! pour les ttes d'or " Les nuits sont sans bonheur prs des cheveux de neige. " Il aima trop, enfant: vieillard, sa flamme dort! " Le tambourin lger, les fltes doriennes veillent la rveuse .... elle sourit au bruit, Puis, gayant son oeil dit aux musiciennes " Chres soeurs, l'onde est frache: avant qu'il ne soit nuit " Foltrons en cette eau dont la fracheur repose! " Un chalumeau de Pan celle dont la main " Fendant l'onde qui dort viendra parer mon sein " De cette fleur humide! " Elle dit: une rose Vole et ride le flot... les nymphes sa voix Rasent de leurs seins nus l'eau qui frmit d'ivresse. A leurs doigts blancs la fleur chappe mille fois .... Lys la saisit... La flte Lys la chasseresse!

  • Non: un flot la ravit ....: Sortant des verts roseaux Un col flexible et blanc se courbe et plonge en l'onde... La fleur que la fracheur, comme au matin, inonde Pare le bec d'un cygne et vogue sur les eaux. Lys plit interdite et ses soeurs sont muettes! " Loeda!... " dit l'oiseau " laisse-moi sur ton sein " Poser avec la fleur un baiser! .... Tu rejettes " Ce voeu? c'est mon prix! Non: ton coeur n'est point d'airain! " Le chalumeau des bois est un don vain au cygne " Quand il chante l'aurore, il se tait au couchant... " Las! par sa mort les Dieux font expier son chant! " A lui l'amour! son feu de tes charmes est digne. " Loeda rougit, tourna son oeil bleu vers le pr, Et vit qu'elle tait seule. Il est soir: des dryades L'essaim gracieux dort en son antre sacr ..... " Je t'aime! " dit l'oiseau, " ravi, sous les cascades " J'ai vu l'eau ruisseler sur ton corps, de mon nid! " Je t'aimai... " murmurant cette parole douce Il ploya son blanc col moelleux comme la mousse Autour du sein brlant de la nymphe qui rit. Loeda voit son front scintiller une toile! " Qui donc es-tu? qui donc? cygne au baiser de miel? " Dit-elle en palpitant. - " Ton amant! " - " Oh! dvoile " Ton nom, coeur enivrant! " - " Lceda, le roi du ciel! " Jupiter!.. ce nom, mollement son sein rose Plein d'amour se noya dans le sein ondoyant Du cygne au col neigeux qui sur son coeur riant Cueille d'ardents baisers. Sous son aile il dpose La nymphe frmissante: ils ne forment qu'un corps. Loeda se renversa, la paupire mi-close, Ses lvres s'entrouvrant... sourit dans cette pose... - Et la nuit tomba noire et voila leurs transports. Avril 1859 AU BOIS DE NOISETIERS Chanson Au bois o sur les violettes La lune tend son linceul argent Brune, viens cueillir des noisettes! Viens! - Mlera le rossignol d't Ses chants perls ta rise! Viens! - Mouillera ton bras blanc velout Le lierre o tremble la rose! Ange, en odorantes bouffes Le vent du soir jouera par tes cheveux! Et sur tes nattes dcoiffes Fera neiger l'aubpin odorant! Et, folle et boudeuse coquette, Sur votre lvre on prendra -

  • Un baiser avec la noisette. Fvrier 1860 II. LGIES SA FOSSE EST CREUSE. A Dieu I Il sera dit, Seigneur, qu'avec les pis d'or Elle aura vu tomber son front, o l'aurole, Qui d'ans en ans plit, tincelait encor! Qu'avant le soir ta main a ferm sa corolle! Il sera dit qu'un jour jaloux de sa beaut Tu lanas sur son toit l'archange l'aile noire! Que tu brisas sa coupe avant qu'elle y pt boire Qu'elle avait dix-sept ans, qu'elle a l'ternit! Il sera dit, - malheur! - que, fleuri sous ta serre, Son berceau, frle espoir, fut son cercueil un jour Sans avoir vu dans l'ombre errer un nom d'amour! II sera dit qu'au nid tu gardes ton tonnerre! Non! la rose qui rit sur une tresse blonde, Au bal, quand le coeur rve et l'horizon est beau, Ne doit point se faner demain sur un tombeau! Que ta rose, ciel, et non des pleurs, l'inonde! Non! - Mon Harriet sourit lorsque les chants ails Que le soir son coeur murmure avec la brise Soufflent: Amour... Espoir... et mille mots voils! Non! - Sa joue est de flamme et son corps s'arise! Son regard d'une toile a pris une tincelle Qui brille, astre d'un soir, sur un orbe d'azur Dont la fatigue seule, en la rasant de l'aile, A, jusqu' l'autre aurore, entour son oeil pur! Mre, dors! l'oeil mouill, ne compte pas les heures! - Parce que ton enfant te fait mettre genoux, Qu'un cleste reflet luit son front, tu pleures .... Qui sait? un ange peut s'garer parmi nous! Il peut .... Mais, Seigneur, pourquoi moi qui console Sens-je sous ma paupire une larme glisser? Ne pares-tu son front qu'afin qu'elle s'envole? Dpouille-t-elle ici ce qu'elle y doit laisser? Ton lys prend l'or du ciel avant que tu le cueilles! Oui, le corps, jour par jour, voit fuir en son t Ce qu'il a de mortel, comme un arbre ses feuilles! Et l'on se fait enfant pour l'immortalit! Chaque chant de l'horloge est un adieu funbre Deuil! un jour viendra que ce sera son glas! Heure par heure, glisse un pas dans les tnbres

  • C'est le pied de la mort qui ne recule pas! Lorsque son oeil rveur voit dans l'azur qu'il dore S'lever le soleil derrire un mont neigeux, Son coeur bat: elle est morne et crie en pleurs aux cieux " Hier! hier! hier! rendez-moi son aurore! " II Hier! hier!... il est bien loin! Le temps a souffl dans sa voile! Non! hier ce jour n'est joint Que par la chute d'une toile! Hier! spectre, que nous priions A genoux: - et dont nous rions! Astre qui dans la nuit immense S'teint sombre de souvenir Lui qui brillait tant d'esprance! - Hier ne peut plus revenir! Hier, la fleur plie!... hier, le rocher sombre Qui se dressait gant - et qu'a rong le flot!... Hier, un soleil mort! une gloire dans l'ombre! Hier!... qui fut ma vie, et qui n'est plus qu'un mot! III mal tratre et cruel! la vierge se fait ange Pour blouir nos yeux avant d'aller Dieu! Nous voulons l'admirer... - l'aimer... - une aile trange Sous nos baisers blanchit... puis un jour dit adieu! Sa mre en son linceul voudra dormir comme elle! -" Sa mre, elle n'en a, tombe un jour du ciel! " -Mais une femme au moins lui prta sa mamelle, La bera de longs soirs, la bnit Nol! Mais ses soeurs chaque jour la voient quitter la terre! Ses trois soeurs que sa tte - ainsi qu'un pi d'or Rgne sur la moisson - domine la prire! - " Sa soeur est l'ange: au ciel elle prend son essor. "_ Mais ses frres naissants, ne voyant plus dans l'ombre Au dortoir enfantin sa cleste lueur, Demanderont le soir leur pre, front sombre, Seuls riants dans les pleurs: " O donc est notre soeur? " O donc est votre soeur - elle est o l'a ravie Dieu que vous bnissez et qui brise les coeurs Et c'est pour vous apprendre pleurer dans la vie "vers manquant" Et les pauvres diront: " Voici l'hiver qui glace! " Sous la brise les fleurs chanteront: Dies irae!... Jour de colre... eh! non, pour Dieu sans pleurs il passe. -Et moi, je maudirai! Dieu, ton plaisir jaloux est de briser les coeurs! Tu bats de tes autans le flot o tu te mires! -Oh! pour faire, Seigneur un seul de tes sourires, Combien faut-il donc de nos pleurs? 1er Juillet 1859 Harriet Smythe est morte de la poitrine

  • SA TOMBE EST FERME. 11 Juillet 1854 " A notre maison blanche o chante l'hirondelle, " Dans un bois verdoyant, vous viendrez " disait-elle " Nous cueillerons les fleurs que cachent les grands bls, " Le soleil, qui les dore, a fait mes pieds ails, " Et, le soir, au foyer o chaque coeur s'panche " Nous ferons pour ma mre une couronne blanche... " La fleur rit aux pis: l'alcyon chante encor Elle seule a pass .... - Sous un saule elle dort. Albion! Albion! vieux roc que bat l'cume Devais-tu donc lui faire un linceul de ta brume! On ne savait donc pas que sous ton sombre ciel Le soir o dort la fleur est un soir ternel! Et qu'au lieu de rose, aux reflets de l'aurore, Des pleurs inondent seuls son calice incolore! Non. Son pre l'aimait, vieillard qui les ans N'ont point ravi l'amour pour prix des cheveux blancs, Et l'amour, comme on sait, est soeur de l'esprance. Il disait, plein d'espoir: " Dieu que le ciel encense " Ne peut point envier l'ange de notre toit. " Car le soir, au foyer, quand son timide doigt Dans la bible aux clous d'or o prirent ses pres Faisait peler " Ruth " ses deux jeunes frres, Le soir, on et pens qu'un ange voyageur, Comme ceux qu'ils voyaient au livre du Seigneur, Sous leur tente venait rvler ses purs charmes, Et bnir la famille, et scher quelques larmes, Et porter aux enfants un baiser du Trs-Haut! Que vont-ils devenir, hlas! loin de son aile Sous laquelle, en volant du foyer, l'tincelle Brillait comme une toile et rappelait les cieux? A Nol, quand vibrait son chant mlodieux, Un silence pieux planait sur chaque tte Seule, la mre, au soir, songeant l'autre fte, Sentait battre son coeur et se mouiller son oeil. Elle, riant, disait: " Mre, pourquoi ce deuil?.. " Pourquoi ce deuil, mre? Harriet est l'aurole Qui luit sur sa famille et dont l'clat console. C'tait l'me de tout! La France au ciel d'azur A pleur de la voir fuir son beau soleil pur. Son lac amricain, o le Niagara brise L'algue blanche d'cume, a gmi sous la brise " La mirerons-nous plus, comme aux hivers passs? " Car, comme la mouette aux flots qu'elle a rass Jette un cho joyeux, une plume de l'aile, Elle donna partout un doux souvenir d'elle! De tout... que reste-t-il? que nous peut-on montrer? Un nom!... sur un cercueil o je ne puis pleurer! Un nom!... qu'effaceront le temps et le lierre! Un nom!... couvert de pleurs, et demain de poussire Et tout est dit!

  • Oh! non! doit-on donc l'oublier? Qui sut se faire aimer ne meurt pas tout entier! On laisse sa mmoire, ainsi qu'aux nuits l'toile Laisse un ple reflet, que nulle ombre ne voile Et, mort en son cercueil, on revit dans les coeurs! Non!... tout n'est pas perdu! Pour endormir leurs pleurs Le soir elle viendra sous les ailes d'un ange A ses soeurs murmurer des neuf choeurs la louange! Dans leurs rves dors ses frres sur leur front Sentiront un baiser, et, ravis, souriront. Quand la brise des nuits sous la lune argente Gmira par le parc en la feuille embaume, On la verra passer comme une ombre d'azur Et le matin la fleur sera d'un bleu plus pur! Enfants, oh! pleurez-la comme une soeur teinte, Mais aussi priez-la comme on prie une sainte Le soir, la prire o manquera sa voix, N'oubliez pas un nom grav sous une croix! Car c'tait une vierge au regard d'innocence Que le ciel vous prta pour bnir votre enfance Il lui rendit son aile, elle revint Dieu! Mais en partant, du moins elle vous dit: adieu... Vous avez sur ce lit, o notre rve expire, Bais sa main tremblante, en son dernier sourire! Hlas! plus que le vtre il est un coeur bris! Loin, derrire les flots, rvant au lys glac Une soeur, l'oeil en pleurs, a maudit l'esprance Qui lu