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Voltaire Micromégas Zadig * Candide * Présentation par René Pomeau * * * OF ----=-

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Voltaire Micromégas Zadig * Candide * Présentation par René Pomeau

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Voltaire Micromégas Zadig Candide

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«Il faut être très court, et un peu salé, sans quoi les ministres et madame de Pompadour, les commis et les femmes de chambre, font des papillotes du livre.» Brièveté et mordant, telles sont les princi­pales qualités de Micromégas, Zadig et Candide, les trois contes de Voltaire les plus célèbres, traversés par deux motifs:

le philosophe dans le monde, le bonheur par la philo­sophie. Chassé de sa planète, Micromégas - un jeune géant de près de sept cents ans - entame un périple cosmique qui le mènera à ces «petites mites » qu'on appelle les hommes. En proie aux caprices du sort, !'Oriental Zadig fera la rencontre d 'un ermite à la barbe blanche, détenteur du livre des destinées où tout est écrit. Quant à Candide, contraint de quitter le château de Thunder-ten-tronckh, il apprendra à ses dépens que tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes . ..

Présentation, notes, bibliographie et chronologie par René Pomeau

' lèxte intégral Illustration : Virginie Berthcmct e Flainmarion GF

Flammarion

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MICRO MÉGAS ZADIG

CANDIDE

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Du même auteur dans la même collection

DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE

ÉCRITS AUTOBIOGRAPHIQUES (Mémoires pour servir à la vie de Monsieur de Voltaire, écrits par lui-même. - Commentaire historique sur les œuvres de l'auteur de La Henriade. -Lettres de Monsieur de Voltaire à Madame Denis, de Berlin)

HISTOIRE DE CHARLES XII L'INGÉNU. - LA PRINCESSE DE BABYLONE

LETTRES PHILOSOPHIQUES

LETTRES PHILOSOPHIQUES. - DERNIERS ÉCRITS SUR DIEU (Tout en Dieu. Commentaire sur Malebranche. - Dieu. Réponse au Système de la nature. - Lettres de Memmius à Cicéron. -Il faut prendre un parti, ou le Principe d'action)

MICROMÉGAS. - ZADIG. - CANDIDE

ROMANS ET CONTES

TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE

ZAÏRE. - LE FANATISME OU MAHOMET LE PROPHÈTE. -

NANINE OU L'HOMME SANS PRÉJUGÉ. - LE CAFÉ OU

L'ÉCOSSAISE

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VOLTAIRE

MICRO MÉGAS ZADIG

CANDIDE

Introduction, notes, bibliographie, chronologie par

René POMEAU

Bibliographie mise à jour par Chiara GAMBACORTI (2006)

GF Flammarion

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© Flammarion, Paris, 1994. Édition mise à jour en 2006. ISBN: 978-2-0813-5127-1

www.centrenationaldulivre.fr

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INTRODUCTION

Micromégas, Zadig, Candide: pourquoi trois titres seulement ? Et pourquoi ceux-là ?

On sait l'ampleur de l'œuvre voltairienn;,;. Les anciennes éditions des œuvres complètes, par catégo­ries, avaient un avantage : d'avance on connaissait les secteurs où l'on renoncerait à s'aventurer. Depuis longtemps, entre tous les genres pratiqués par un écrivain prolifique, les lecteurs privilégient ce qu'il est convenu d'appeler ses «romans et contes». Une telle section n'est pas elle-même si brève. L'édition, dans la collection GF, ne totalise pas moins de sept cents pages. Encore conviendrait-il d'y adjoindre, comme vient de le montrer Sylvain Menant, les quinze contes en vers, injustement dissociés des récits en prose. Voltaire, s'agissant précisément de cette sorte d'œuvre - soit prose soit vers - formule un précepte : « il faut être très court et un peu salé». «Un peu salé»: nous faisons confiance à l'auteur de La Pucelle. Mais « très court » ? Nous rappelant son conseil, nous avons choisi dans le vaste corpus narratif les trois contes du présent volume. Les raisons de cette sélection ? Les contes, au fil de la production voltairienne, appa­raissent par séquences chronologiques: 1739-1759, 1764-1768, 1774-1775. Micromégas se situe pour l'essentiel (nous y reviendrons) au début de la pre­mière période. Zadig en son milieu ( 174 7), Candide en sa fin (1759). Dans ces textes, comme dans ceux qui

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les accompagnent, deux thèmes s'entrelacent: le« phi­losophe » dans la société et devant le cosmos, le bon­heur en liaison avec la « philosophie ». Cependant Vol­taire renouvelle sans cesse ses formules. Trois protagonistes, nommés au titre. Mais l'un est un être cosmique ; l'autre appartient à l'ancien Orient; le troi­sième se trouve en proie aux vicissitudes du monde contemporain. D'autres variantes du récit tiennent à la présence du narrateur, plus marquée soit par l'occurrence du« je» dans le texte, soit par l'invention d'un ou de plusieurs personnages-auteurs, masques derrière lesquels Voltaire se plaît à se dissimuler. Ces attributions fictives n'ont pourtant jamais trompé per­sonne. Son esprit y est trop présent, alliant indisso­lublement la critique incisive et les fantaisies d'une imagination qui surprend et déconcerte. Nous allons suivre ces constantes, toujours changeantes, dans les œuvres ici présentées.

Le sujet de Micromégas, autant qu'on sache, remonte à 1739 : ce serait ainsi le premier des contes de Voltaire 1• Le philosophe vit retiré à Cirey, en compagnie de Mme Du Châtelet. De ce quasi-exil, il maintient le contact par ses lettres. Parmi ses corres­pondants un personnage de premier plan : Frédéric, prince héritier, qui dans quelques mois deviendra roi de Prusse et l'une des figures les plus marquantes de son siècle. Depuis que Frédéric en a pris l'initiative, les lettres s'échangent à un rythme soutenu entre le prince et le philosophe, prodiguant flatteries et discussions philosophiques. Frédéric veut lire tout ce qui s'écrit à Cirey. Or Voltaire, vers le 20 juin 1739, au retour d'un voyage à Bruxelles, envoie au prince « une petite rela-

1. Jacques Van den Heuvel accorde la primauté au Songe de Platon: quoique publié en 1756, cc texte se rapporte sans aucun doute aux préoccupations de Voltaire en 1737. Mais ces trois pages sont-elles un conte? Les réflexions et un bref dialogue qu'elles comportent ne se développent pas en un récit à épisodes multiples.

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tion », «non pas de [son] voyage, mais de celui de monsieur le baron de Gangan ». «C'est, continue-t-il. une fadaise philosophique qui ne doit être lue que comme on se délasse d'un travail sérieux avec les bouffonneries d' Arlequin 2• » Le manuscrit de ce Gan­gan est perdu. Sur son contenu on ne sait que ce qu'en dit Frédéric dans sa réponse: «Il m'a beaucoup amusé, ce voyageur céleste; et j'ai remarqué en lui quelque satire et quelque malice qui lui donne beau­coup de ressemblance avec les habitants de notre globe, mais qu'il ménage si bien qu'on voit en lui un jugement plus mûr et une imagination plus vive qu'en tout autre être pensant. » Il relève « dans ce voyage un article» flatteur pour lui. Il ironise: «Je m'étonne qu'en un ouvrage où vous rabaissez la vanité ridicule des mortels, [ ... ] vous vouliez nourrir mon amour­propre3. »

Il apparaît que Gangan fut une première version de Micromégas. En effet dans Je conte qui paraîtra en 1752, maintes allusions visent l'actualité de 1737-1739 : ainsi la référence dans le chapitre septième à la guerre qui opposa (1736-1739) les Russes, alliés à l'Autriche, aux armées du Sultan ottoman. On remar­quera surtout, dans la lettre d'envoi (02033), la men­tion d'un « travail sérieux », dont on « se délasse par des bouffonneries d' Arlequin ». Le tempérament ludique de Voltaire, après l'effort qu'exige un grand ouvrage, a besoin de s'égayer par ces sortes de récréa­tions : souvent elles prennent la forme d'un conte. Précisément, dans les mois précédents, le philosophe s'est astreint à composer un livre combien «sérieux»: les Eléments de la philosophie de Newton (1738). Les découvertes du savant anglais ne pénétraient que diffi­cilement en France. Beaucoup, parmi les plus compé­tents, refusaient d'admettre la gravitation universelle,

2. D2033 : nous ren\'oyons, ici et dans la suite, aux numéros des lettres, dans l'édition de la Corrcspo11da11cc de Voltaire, (Euvres complètes, en cours de publication à la Voltaire Foundation d'Oxford (OC).

3. D2042, 7 juillet 1739.

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préférant s'en tenir à la cosmologie cartésienne qui expliquait le mouvement des corps célestes par l'impulsion de «tourbillons». Voltaire avait entrepris de diffuser la science newtonienne, base de sa propre philosophie. Il l'avait exposée, mais non sans erreurs, dans ses Lettres philosophiques. Il reprit la question à Cirey, encouragé par Mme Du Châtelet. Ses Eléments de 1738 constituent un solide ouvrage de vulgarisa­tion. Il s'y livre aux démonstrations et aux calculs qu'exige l'exposé des lois de l'attraction et de l'optique de Newton. Dans sa tâche, il est aidé par une de ses relations, ami également de Mme Du Châtelet : Mau­pertuis, qui n'est pas, lui, un amateur en matière de science. Les idées de Newton étaient susceptibles d'une vérification expérimentale. Selon la théorie de la gravitation, la terre devait être un sphéroïde légère­ment aplati aux pôles. Afin d'établir que telle était bien la « figure » de notre planète, Maupertuis avait conduit en 1735-1736 une expédition de savants en Laponie: ils y mesurèrent un degré du méridien. Simultané­ment, La Condamine allait procéder à la même opéra­tion au Pérou. On suivit attentivement à Cirey l'expé­dition de Maupertuis. Voltaire la rapporta dans ses Eléments de la philosophie de Newton, et en souligna l'importance scientifique 4• C'est alors, peut-on suppo­ser, qu'il en fit un épisode de Gangan qui passera dans Micromégas: le lecteur n'avait aucune peine à identi­fier, à la fin du chapitre quatrième, la « volée de philo­sophes » qui « revenait du cercle polaire » et fit effec­tivement naufrage sur les côtes de Botnie. Autre identification non moins facile : dans le « nain de Saturne», compagnon de Micromégas, on reconnais­sait Fontenelle, petit vieillard vif, en matière de science souvent imprudent par vivacité, galant aussi. Non seulement le conte rappelle qu'il « faisait passablement de petits vers et de grands calculs », mais il fait compa­raître une de ses maîtresses, « une jolie petite brune », et il évoque une de ses mésaventures, où « la nature füt

4. oc, t. 15, p. 471.

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prise sur le fait». Fontenelle pratiquait aussi la vulgari­sation scientifique, mais sur le mode badin. Ses Entre­tiens sur la pluralité des mondes le mettaient en scène lui-même, expliquant, par une nuit claire, le système céleste (celui des tourbillons cartésiens) à une jeune marquise, blonde celle-là. Voltaire jugeait ce mélange des genres attentatoire à la dignité de la science. Préfa­çant en mai 1738 le très sérieux ouvrage de Mme Du Châtelet (marquise, elle aussi), les Institutions de phy­sique, il avait écrit: «Ce n'est point ici une marquise, ni une philosophe imaginaire» ... Fontenelle s'était fâché. A la vulgarisation enrubannée (dont relève aussi Le Newtonianisme pour les dames, 1738, d'un familier de Cirey, Algarotti), Voltaire oppose la clarté, sans enjolivures déplacées, de ses Eléments de la philosophie de Newton. Micromégas fait écho à cette querelle : «Je ne veux pas qu'on me plaise,[ ... ] je veux qu'on m'ins­truise » répond le « Sirien » au « nain de Saturne » ( cha­pitre second). Ce qui nous ramène encore à l'actualité de 1738-1739.

Mais Micromégas ne paraîtra qu'en 1752. Que s'est-il passé dans l'intervalle? La carrière de Voltaire courtisan - poète quasi officiel, académicien, histo­riographe de France, « gentilhomme ordinaire de la chambre du roi» - s'est soldée par un échec. Après la mort de Mme Du Châtelet, il cède aux pressions insis­tantes de Frédéric II. Il arrive à Berlin en juillet 1750. A la fin de cette année ou au début de 1751, Gangan est devenu Micromégas. Un M. d'Ammon, chambellan prussien, va se rendre à Paris, où il négociera des accords commerciaux. Son départ, prévu pour décembre 1750, est retardé. Il quitte enfin Berlin en février 1751. Voltaire l'a chargé d'un «gros paquet» pour l'édition de ses œuvres par Lambert (D4404) : dans le lot un manuscrit de Micromégas. Sur les chan­gements apportés au conte de 1739, nous ne savons qu'une chose: !'~·article» à la louange de Frédéric a été retranché. On peut supposer qu'en 1739 le prince

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royal s'y trouvait loué pour la philosophie pacifiste de son Anti-Machiavel. Le roi s'était avéré depuis lors un redoutable chef de guerre et conquérant : pareil éloge n'aurait pas manqué d'attirer les foudres de Sa Majesté sur le chambellan Voltaire, déjà compromis dans plusieurs affaires dont celle du juif Hirschel. D'autres transformations ont-elles accompagné le changement du nom de Gangan en celui, plus parlant, de Micromégas? Nous l'ignorons.

Nous savons en revanche qu'à son arrivée d'Amman a remis le manuscrit à Lambert. Pourtant Micromégas ne figure pas dans les onze volumes des Œuvres de Voltaire que l'éditeur parisien publie en avril-mai 1751. Le conte n'est imprimé qu'environ un an plus tard, en trois éditions : l'une portant le lieu de Londres, sans date ; les deux autres datées de Londres 1752, l'une d'entre elles comportant avec Micromégas l' Histoire des croisades, fragment du futur Essai sur les mœurs. Ce sont les trois éditions sur lesquelle<> l'éminent voltairiste Ira 0. Wade se fonda pour établir son édition critique en 1950. Depuis cette date, un chercheur allemand, Martin Fontius, dans son livre Voltaire in Berlin, Berlin (R.D.A.) 1966, a apporté sur la publication de Micromégas d'importantes décou­vertes, généralement ignorées des éditeurs français ultérieurs de ce texte.

Les trois éditions de 1752 ont été publiées presque en même temps, vers le mois de mars, non pas à Londres, mais en Allemagne. Deux ont été données par Walther, l'éditeur de Dresde à qui Voltaire confie habituellement la publication de ses œuvres : il a dû lui faire parvenir un manuscrit du conte. Pourtant c'est une autre édition qu'il faut considérer comme l'origi­nale : celle que donnent, à Gotha, les éditeurs Mevius et Dietrich, en y insérant l' Histoire des croisades. Ce Micromégas est en effet celui que Voltaire avait confié à d'Amman pour Lambert. Walther, irrité de la concurrence, a intenté un procès à Mevius et Dietrich. Martin Fontius en a étudié le dossier, ce qui lui a permis de tirer les choses au clair.

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Une édition de Micromégas avait effectivement été imprimée à Paris en 17 51. Mais Fontenelle, averti du rôle comique qu'il jouait dans le conte, porta plainte. Malesherbes, directeur de la librairie, intervint : des égards étaient dus à « un homme plus que nonagé­naire» (Fontenelle a quatre-vingt-quatorze ans 0). Vol­taire préféra renoncer à donner Micromégas dans l'édi­tion Lambert de ses œuvres. Mais un autre libraire parisien, Grangé, se procura le manuscrit (probable­ment en l'achetant à Lambert). Il tira une édition subreptice, qui se trouve être la première qui ait été imprimée, sinon diffusée : car Fontenelle alerté la fait saisir, de sorte que nous n'en connaissons aujourd'hui aucun exemplaire. Précaution vaine cependant: c'est d'après un volume de l'édition Grangé, ayant échappé à la destruction et secrètement porté à Gotha, que Mevius et Dietrich publient leur Micromégas.

Beaucoup de contes de Voltaire paraissent ainsi à l'issue de cheminements tortueux, en partie souter­rains. Il en sera de même de Zadig et de Candide.

Micromégas porte en sous-titre « Histoire philoso­phique ». Cette philosophie est celle qui vient d'inspi­rer les Eléments de la philosophie de Newton. Elle s'affirme dans le dialogue des géants cosmiques avec les hommes. Ceux-ci, « mites » philosophiques, ont mesuré avec exactitude la taille de leurs visiteurs. Aux questions d'astronomie, de physique ils répondent du tac au tac sans la moindre erreur. S'agit-il d'observa­tion et de calcul, ils en remontreraient à leurs inter­locuteurs. «Nous disséquons des mouches, leur répondent-ils, nous mesurons des lignes, nous assem­blons des nombres. » Mais le philosophe ajoute : «Nous sommes d'accord sur deux ou trois points que nous entendons, et nous disputons sur deux ou trois mille que nous n'entendons pas» (chapitre septième). La dispute en effet ne va pas tarder à surgir sur l'inintelligible. Micromégas leur demande « ce que c'est que leur âme». Cacophonie aussitôt, et concert

S. 04542, Malesherbes à Voltaire, 7 août 1751.

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d'absurdités, mis à part peut-être ce que dit sur le sujet le «petit partisan de Locke». La conclusion s'impose : la raison de l'homme peut atteindre quelque certitude dans le domaine de l'observation et du cal­cul. Hors de là, ce ne sont que divagations. Et conduites aberrantes. Ainsi lorsque la voix tonitruante de Micromégas répand la panique sur le pont du bateau, l'aumônier récite les prières des exorcismes, les matelots jurent, quelques raisonneurs font « un système». Seul un géomètre garde sang-froid et bon sens: il s'avance, «pinnules» à la main, puis prend les dimensions du géant. Lorsque Micromégas, à la fin, remet aux « petites mites » un « beau livre de philo­sophie », où ils verront « le bout des choses », Je pré­cieux volume porté à !'Académie des sciences de Paris se trouve être «tout blanc ». Il est donné à l'être humain d'éclairer par ses facultés rationnelles un mince faisceau du réel. Tout autour s'étend l'immen­sité de l'inconnaissable.

La physique n'est pourtant pas, au dix-huitième siècle, absolument séparée de la métaphysique. Des liens subsistent de l'une à l'autre, à tel point que les Eléments mêmes de Voltaire s'ouvrent par une «Pre­mière partie métaphysique », traitant de Dieu, de la liberté, et autres questions du même ordre. Certain jour, on s'égaya à Cirey d'un ouvrage de l'illustre docteur allemand Christian us W olffius, mêlant rêve­ries métaphysiques et rêveries scientifiques. Mme de Graffigny, qui séjourna au château en décembre 1738 et janvier 1739, fut témoin de la scène. «Ce matin, rapporte-t-elle dans une lettre, la dame de céans a lu un calcul géométrique[ ... ] qui prétend démontrer que les habitants de Jupiter sont de la même taille qu'était Je roi Og, dont !'Ecriture parle. » Le calcul se fonde sur la dimension des yeux par rapport à la distance du soleil à la terre, comparée à l'éloignement du soleil à Jupiter 6 . Il en résultait, selon Wolff, qu'un Jupitérien

6. Correspo11da11ce de Madame de Graffigny, The Voltaire Foun­dation, Oxford, 1985, t. !, p. 211.

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avait à peu près la taille de ce roi Og de l'Ancien Testament dont on peut conjecturer les mensurations d'après la longueur de son lit, indiquée par le Deutéro­nome. On s'est «fort diverti», notamment de ce recours saugrenu au roi Og 7 • Mme Du Châtelet avait lu ou parcouru intrépidement les six tomes latins de Christianus W olffius, Elementa matheseos universae. Elle tenait entre ses mains les pages du tome III où cet auteur diffus exposait ses supputations 8 . Un auteur moins grave, mais plus sérieux, Cassini, avait attiré l'attention de l'Académie des sciences sur la « gran­deur énorme » et la « prodigieuse distance » de certains corps célestes. Il nommait à titre d'exemple Sirius 9 .

Voltaire connaît ces spéculations sur !'infiniment grand. Il sait aussi que la science vient de faire des découvertes sur !'infiniment petit, selon l'antithèse pascalienne. Grâce au microscope, Leuwenhoek et Hartsoeker ont vu des êtres minuscules : microbes, bactéries, spermatozoïdes ... Rien n'est donc grand ou petit en soi : thème de la relativité que résume le nom même de Micromégas. Des considérations ridicules de Wolff, Voltaire retient celle-ci, qui paraît sensée : « on pourrait connaître [ ... ] les proportions des habitants des autres planètes». Mais son esprit ludique s'empare de la suggestion pour imaginer une fable, dans le goût de Cyrano ou de Swift. Déjà dans une première ver­sion de sa treizième Lettre philosophique, il supposait qu'il existe «dans d'autres mondes d'autres animaux qui jouissent de vingt ou trente sens, et que d'autres espèces, encore plus parfaites, ont des sens à l'infini 10 ». Ces «autres animaux», il va les mettre en scène dans Micromégas.

7. Deutéronome, Ill, 11 : « Og, roi de Basan, était resté seul de la race des géants. On montre encore son lit de fer dans Rabbath [ ... ] : il a neuf coudées de long et quatre de large" (soit quatre mètres et demi et deux mètres, la coudée étant d'enYiron cinquante centi­mètres).

8. Ira O. Wade, dans son édition de Microlllégas, p. 57-58, cite le passage intégralement.

9. Texte dans P.-G. Castex, ou\Tage cité (mir la Bibliogra­phie), p. 19-20.

10. Lettres philosophiques, éd. Lanson, Paris, Marcel Didier, 1964, t. Il, p. 198.

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C'est donc une histoire d'extra-terrestres qu'il va conter. Mais combien elle diffère de nos romans ou films de science-fiction! Dans Sirius, un lecteur, sur­tout du dix-huitième siècle, ne se sent pas vraiment dépaysé. Les habitants de cette étoile si lointaine res­semblent en tout aux hommes. Micromégas est même désigné comme « un jeune homme de beaucoup d'esprit». Le « Sirien » et le «Saturnien» ne diffèrent de nous que par la taille (trente-neuf et deux kilo­mètres), la longévité (quinze mille ans pour le Satur­nien, et sept fois plus pour Micromégas), le nombre des sens : le Sirien en a « près de mille » et l'habitant de Saturne soixante-douze seulement. Mais on se demande à quoi tant de sens peuvent servir. Dans le récit les géants cosmiques ne font usage que des cinq dont bénéficie l'homme. Voltaire ne se donne pas la peine, comme nos auteurs, de peupler l'espace de créatures bizarres, d'ailleurs en définitive plus ou moins humanoïdes. Il transfère à l'infini lointain du cosmos l'effet plaisant de« l'Orient philosophique» de son temps, où l'on retrouve - ce sera le cas de Zadig - les vices et les abus de la société française. Dans Sirius, il existe une cour, des femmes qui influent sur l'opinion, même des puces et des colimaçons. Mais surtout un « muphti », « grand vétillard et fort igno­rant » : ce saint personnage fait condamner un livre de science qu'a écrit Micromégas. Aussi le jeune homme décide-t-il de voyager, mais «de planète en planète». Par quel véhicule? Voltaire souligne l'étonnement de ses lecteurs, habitués à se déplacer « en chaise de poste ou en berline». Le nôtre est plus grand encore. Point de ces vaisseaux spatiaux que nous montrent nos écrans de cinéma ou de télévision. La technologie du voyage cosmique est dans Micromégas réduite à rien. Le Sirien utilise les forces gravitationnelles. « Tantôt à l'aide d'un rayon de soleil, tantôt par la commodité d'une comète», il «voltige», « de globe en globe ». Quand il s'est adjoint le« nain de Saturne», tous deux «s'élancent» sur une comète qui passait par là, «avec leurs domestiques et leurs instruments » scientifiques.

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INTRODUCI'ION 17

Ces voyageurs si semblables à l'homme sont apparem­ment insensibles aux effets du vide sidéral (absence d'air respirable, froid). Nul besoin donc de leur inven­ter un habitacle protecteur. Est-ce lié à l'absence de toute technologie ? Nul conflit dans cet univers cos­mique de Voltaire, aucune «guerre des étoiles». C'est sur terre seulement que des armées se massacrent. Les voyageurs célestes sont bien étonnés et indignés d'apprendre que sur notre misérable globe « cent mille fous» en tuent cent mille autres, et qu'on en use ainsi « de temps immémorial » (chapitre VII).

La paix des mondes extraterrestres n'est pas la plus incroyable des choses que raconte Micromégas. Il était nécessaire d'accréditer le récit. Le texte fait donc par­ler un témoin, à la première personne. Ce « je », dès la première phrase, annonce qu'il a « eu l'honneur de connaître » l'habitant de Sirius, « dans le dernier voyage qu'il fit sur notre petite fourmilière 11 ». «Je» doit donc aux confidences de Micromégas tout ce qu'il rapporte sur les intrigues à la cour de Sirius, sur la rencontre avec le nain de Saturne, sur le premier contact ave(.: la terre, sur le dialogue avec les hommes, sur le vaisseau des savants tombant « dans une poche de la culotte du Saturnien»... Ce « je» reste constamment présent dans le texte, comme garant. C'est lui qui multiplie les réflexions d'auteur: à savoir que le nom de Micromégas « convient fort à tous les grands» (chapitre 1), «qu'on va bien plus à son aise quand on tourne sur son axe que quand on marche sur ses pieds». Variante du «je», le «nous» : «nous autres, sur notre petit tas de boue, nous ne concevons rien au-delà de nos usages» (chapitre 1), la première personne du pluriel impliquant l'auditeur ou le lec­teur. Les interventions du narrateur suggèrent une

11. Micromègas a\·ait donc fait sur la terre d'autres \'oyages a\·ant celui-ci. Ce qui est en contradiction aœc ce qui suit : il ressort que le Sirien et le Saturnien décou\Tent le globe terrestre pour la première fois. Cette phrase paraît être une sur\'i\·ance d'une \'ersion antérieure : Gangan aurait rendu plusieurs \'isites à « notre petite fourmilière"·

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personnalité. Celui-ci s'avère être un Français cultivé. Il sait que la musique de Lulli fait « rire » un musicien italien« quand il vient en France» (chapitre 1). Il a des compétences scientifiques : il a lu les rêveries astrono­miques de «l'illustre vicaire Derham ». Il connaît le père Castel : si « nos voyageurs » ont découvert deux lunes tournant autour de la planète Mars, il « sait bien » que le jésuite « écrira, et même assez plaisam­ment contre l'existence de deux lunes». Il est même érudit, fureteur de bibliothèques : dans celle de « l'illustre archevêque de ... » il a lu certain manuscrit, interdit de publication par « messieurs les inquisi­teurs » (chapitre III). Il a voyagé, lui aussi, mais en Prusse : il a remarqué la très haute taille des gardes du roi (chapitre IV). Il connaît « le docteur Swift » et sa liberté de langage que lui, Français bien élevé, se garde bien d'imiter (chapitre VI). Il a, sur les abeilles, lu Virgile, Swammerdam, Réaumur, ... Autant de traits qui, pour nous, dans ce conteur anonyme, décèlent Voltaire. Ce «je» très insistant, plus qu'il ne le sera dans aucun autre conte voltairien, ne prend pas cependant la consistance d'un personnage, ayant un nom, fiction surajoutée à celle du récit. En cela, Zadig et Candide vont différer de Micromégas.

Zadig s'intitula d'abord Memnon. Au mois de juil­let 1747 paraît un mince in-12, sans nom d'auteur, Memnon, histoire orientale. Il avait été imprimé à Ams­terdam. La publication du conte va s'avérer aussi mouvementée que celle de Micromégas. Comment faire passer l'édition - quelques centaines d'exem­plaires - de Hollande en France ? Ces régions sont en guerre depuis 17 41. Les opérations continuent dans ces parages. Par chance, Voltaire connaît le ministre, le comte d'Argenson, dont dépendent les armées fran­çaises : il fut son condisciple au collège de Louis-le­Grand. Autre chance : les troupes du roi ont remporté une victoire à Lauffeldt (2 juillet 17 4 7). Voltaire a fait

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tenir à d'Argenson un exemplaire de Memnon. Il lui adresse ses félicitations en conformité avec la fiction : «L'ange Jesrad a porté jusqu'à Memnon la nouvelle de vos brillants succès. » Suivent des compliments en style oriental. Puis il en vient à l'objet principal : le ministre accepterait-il de faire passer en France, caché dans son bagage, un «gros paquet» de Memnon 12 ? On ne sait si d'Argenson se prêta à la manœuvre. Mais il semble que ce Memnon demeura à peu près inconnu du public français.

L'auteur n'est pas d'ailleurs très satisfait de son texte. Il le reprend pour le refaire. Il change le nom, médiocrement oriental, de Memnon en celui de Zadig, autrement parlant (soit qu'il procède de l'hébreu ou de l'arabe), et affichant cette initiale Z, propre à l'ono­mastique de l'Orient : Zaïre, Zulime ... Outre de nom­breuses corrections de détail, trois chapitres nouveaux sont rédigés («Le souper», «Les rendez-vous», «Le pêcheur»). Le travail était sans doute commencé lorsqu'à l'automne de 1747 éclate un scandale à Fon­tainebleau, où la cour passe quelques semaines pour la chasse du roi. Mme Du Châtelet joue à la table de la reine. Elle perd des sommes énormes sous les yeux de Voltaire, qui voudrait l'arrêter dans sa frénésie. Il finit par laisser échapper : « Vous ne voyez donc pas que vous jouez avec des fripons. » Il le dit en anglais, mais ces dangereuses paroles sont comprises. La nuit sui­vante tous deux doivent prendre la route de Paris. Tandis que Mme Du Châtelet continue sur la capi­tale, Voltaire va se réfugier dans le château de Sceaux, chez la duchesse du Maine. Il se cache pendant le jour dans une chambre du second étage. Tard dans la soirée, il descend souper chez la princesse. Puis il lui fait la lecture 1 '. Il lui lit ainsi des chapitres de Memnon en passe de devenir Zadig.

12. D2033, «A Paris, le 4 de la pleine lune .. , que Th. Besterman interprète comme le 4 juillet 1747. Mais le quatrième jour de la pleine lune en juillet 1747 tombait le 24.

13. Nous le sa\·ons par Longchamp, valet et copiste de Voltaire, qui cependant dans ses Mémoires, non toujours fiables (Paris, 1826), se trompe sur l'année de l'incident.

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L'alerte passée, Voltaire peut reparaître. On le re­trouve l'année suivante à la cour de Lorraine. Dans les résidences de Commercy, de Lunéville, il lit des pas­sages du nouveau texte à quelques privilégiés. On les juge« charmants», on le presse« de n'en pas priver le public». Il se défend mais finit par promettre qu'il fera imprimer Zadig à son retour à Paris 14 •

II tient parole. Mais il veut éviter à la fois le piratage et une diffusion inopportune de son ouvrage. Pour rester maître de l'opération il invente un étonnant subterfuge. A l'éditeur parisien Prault, il remet la pre­mière partie du manuscrit: qu'on l'imprime en atten­dant la suite. En même temps, il confie à un autre libraire, Machuel, la seconde partie : qu'il l'imprime aussi, en attendant le début que Voltaire serait en train de revoir. Mais il a fait en sorte que les deux impres­sions puissent se raccorder. Le travail terminé, il refuse de livrer de part et d'autre la partie manquante. Prault et Machuel durent se résigner à lui vendre ce qu'ils avaient imprimé. Il fit alors réunir les cahiers en un seul volume : ce qui donna deux cents exemplaires, distribués par ses soins, sous enveloppe, à ses amis parisiens. On a effectivement retrouvé une édition de Zadig procédant de deux impressions différentes. Elle s'intitule Zadig ou la destinée, histoire orientale.

Car, en changeant de titre, le conte est resté une «histoire orientale». L'Orient occupe alors la pensée de Voltaire. II a commencé des recherches en vue de son Histoire générale qui deviendra l' Essai sur les mœurs. Les premiers chapitres porteront sur la Chine, l'Inde, le monde arabe. Grâce à l' Anglais Hyde, et à son ouvrage en latin, Veterum Persarum et Parthorum et Medorum religionis historia, il découvre l'antique reli­gion iranienne de Zoroastre, fondée sur l'antagonisme des deux principes du Bien et du Mal. Il donnera dans son conte au personnage du ~' méchant », autrement

14. Longchamp situe ces lectures à la cour de Sceaux. Nous pensons, comme Georges Ascoli (édition critique, p. IX), qu'elles furent plutôt faites à la cour de Lorraine.

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dit« !'Envieux», le nom (approximatif) du principe du Mal : Arimaze. Historien, mais aussi dramaturge, il a en chantier une tragédie orientale, Sémiramis, qui lui donne beaucoup de soucis. Il veut y faire apparaître, comme dans les drames de Shakespeare, un fantôme. L'action se situe comme celle de Zadig à Babylone. Il imagine un décor très « couleur locale », irréalisable en fait à cette époque où la scène du Théâtre-Français est occupée par des rangs serrés de spectateurs (qui vont, à la première, gâter l'apparition du fantôme). Il rêve de « jardins en terrasse » étagés au-dessus du palais de Sémiramis ; sur l'avant de la scène, à droite, un « temple des mages », à gauche un mausolée « orné d'obélisques». Dans Zadig pourtant le palais de Moabdar n'est guère« babylonien». Le texte du conte, fort peu descriptif, suggère plutôt quelque chose d'analogue à Versailles. Le rapport entre les deux œuvres, concomitantes quant à la rédaction, se situe sur un autre plan. Le travail de la tragédie, en cinq actes et en alexandrins, la plus contraignante des formes, et aussi les arides recherches de l'historien, toute cette contention d'esprit crée un besoin de récréation. Ici encore se manifeste une aspiration au jeu : invention libre, fantaisie folle, malice criblant de traits les gens qu'il déteste. Comme Gangan-Micro­mégas après les bïéments de la philosophie de Newton, Memnon-Zadig permet à Voltaire de respirer tandis qu'il peine sur sa Sémiramis. Il se met en scène, mais sous les traits du poète persan Sadi. Il dédie son conte non à la marquise de Pompadour (qu'on reconnaît pourtant) mais à « la sultane Sheraa ». Il invente un auteur perdu dans la nuit des temps orientaux : un « ancien sage », qui le rédigea en chaldéen. On le traduisit en arabe, au temps « où les Arabes et les Persans commençaient à écrire des mille et une nuits, des mille et un jours, etc. » Le voilà, heureusement, en version française. Dans un Orient si reculé tout se mêle un peu, de sorte qu'on n'est guère étonné, à un certain moment, de rencontrer des supplices russes (le knout, la Sibérie). Souvent on a même l'impression

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que les choses se passent en un pays tout semblable à la France, notamment par la liberté dont jouissent les femmes. A cet égard, les Lettres persanes de Montes­quieu étaient plus authentiquement orientales.

Le sous-titre pourtant annonce un thème typique­ment oriental: «La Destinée». Le «c'était écrit». Le récit d'ailleurs à un moment crucial fera paraître le livre où« les Destinées» sont inscrites: c'est du moins ce que prétend un ermite folklorique à longue barbe blanche. Mais le thème mettra quelque temps à émer­ger. Au cours des premiers chapitres, c'est de bonheur qu'il est question.

Les lignes initiales présentent un héros paré de toutes les qualités. Zadig a « un beau naturel fortifié par l'éducation». Il est jeune, riche, en parfaite santé. Il se con.duit avec sagesse dans le monde. Son esprit juste a été développé par les sciences qu'il cultive. Avec tant de perfections, Zadig croit donc qu'il pour­rait être heureux.

Il ne le sera pas, et d'abord par la faute des femmes. Voltaire a rêvé d'imposer au théâtre en France le genre impossible d'une tragédie sans rôle féminin. Son Micromégas propose presque un cas de conte sans femme, n'était la scène que vient faire «une jolie petite brune » à son amant le Saturnien, en partance pour le cosmos (chapitre III). Mais point de femme dans l'équipage extraterrestre de Micromégas (à la diffé­rence de ce qui se pratique dans nos sciences-fictions), ni parmi «la volée de philosophes» sur la Baltique (si l'on fait abstraction des deux filles Japonnes). Le récit de Zadig au contraire multiplie ces êtres charmants, qui s'avèrent vite malfaisants, avec une seule excep­tion, on le verra. Au moment de Memnon-Zadig, des mésaventures étaient venues raviver chez Voltaire l'antiféminisme traditionnel. Sa liaison avec Mme Du Châtelet souffrait de la lassitude des vieux couples. Insatisfaite d'un amant souvent défaillant, l'ardente Emilie cherche ailleurs. Voltaire aussi. Mais sa nièce affriolante, Mme Denis, le trompe, il le sait, sans pou­voir se détacher d'elle. Zadig, double idéal de l'auteur, en essuyant les mêmes déboires, montrera plus de détermination.

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Il se fait une raison lorsque Sémire l'abandonne vilainement, par crainte que, pour l'avoir défendue, il ne devienne borgne. Ensuite Azora, qu'il épouse, s'avère volage. Il n'hésite pas à la répudier. Il n'a pas seulement à pâtir des femmes. Il s'attire de méchantes affaires par son don d'observation et par son aptitude à raisonner sur ce qu'il a vu. « Qu'il est difficile d'être heureux dans cette vie!» (chapitre III). Puis c'est l'archimage Yébor qui lui cherche querelle à propos des griffons, ces animaux à l'existence problématique. Une affaire de tablettes brisées lui vaut enfin une condamnation à mort. Il marchait déjà au supplice lorsqu'un merveilleux hasard le disculpe, et lui gagne la faveur du roi et celle de la reine. Voici Zadig premier ministre. En ce poste éminent il administre l'Etat avec une parfaite sagesse. Il est heureux alors et d'un bonheur qui implique celui de la société. Pre­mière esquisse d'un thème de la félicité publique, appelé à reparaître par la suite. Mais ce bonheur est menacé. Malgré lui, malgré elle, une passion amou­reuse prend naissance entre la reine Astarté et le pre­mier ministre. Des envieux le perdent auprès du roi. Le voici donc en fuite vers l'Egypte, où il tombe en esclavage, pendant qu' Astarté disparaît, cachée dans une statue colossale du temple d'Orosmade... La sagesse de Zadig, reconnue par un maître de bonne volonté nommé Sétoc, lui vaut heureusement de recouvrer assez vite sa liberté.

Diverses pérégrinations le persuadent que la desti­née réserve plutôt ses faveurs à des forbans, tel l'odieux Orcan, ou le brigand Arbogad. Mais ses mal­heurs vont-ils prendre fin? II retrouve Astarté. Baby­lone avait sombré dans un chaos sanglant, par la folie de Moabdar, sensuellement asservi aux caprices de la belle Missouf. Or Moabdar ayant été tué, le royaume va sortir de l'anarchie par l'élection d'un nouveau souverain. Le choix se fera entre des concurrents anonymes, dans un concours en forme de tournoi, devant le peuple assemblé. Zadig remporte l'épreuve physique des combats, dissimulé sous une armure

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blanche. Hélas ! pendant la nuit, un compétiteur, le ridicule Itobad, lui vole sa prestigieuse armure et va se déclarer vainqueur. Zadig ayant revêtu la vilaine armure verte de son voleur est hué par la foule. Alors désespéré, il erre au bord de !'Euphrate, « persuadé que son étoile le destinait à être malheureux sans ressource». «Les sciences, les mœurs, le courage, n'ont donc jamais servi qu'à mon infortune», soupire­t-il. Il en vient à murmurer non pas contre «la Desti­née », mais contre « la Providence » : le mot apparaît ici (chapitre XVII).

C'est le tournant du récit. Cette providence, mise en accusation, se montre à lui en personne physique. Elle a revêtu l'apparence d'un « ermite », à longue barbe blanche. Le vieillard porte un livre : celui des desti­nées. L'avenir de chacun y est inscrit, mais en carac­tères que Zadig ne peut déchiffrer. Notre héros va accompagner l'ermite pendant quelques jours. Il pro­met de le suivre, si surprenantes que lui paraissent les actions de son guide. Le bon vieillard en effet se livre à d'étranges conduites. La dernière est même scanda­leusement révoltante. Une veuve a fort bien accueilli les deux voyageurs. Le lendemain, son neveu, un jeune homme de quatorze ans, les raccompagne. Arrivé sur le bord d'un torrent, l'ermite agrippe le garçon par les cheveux, et le précipite dans les flots, où il se noie. Zadig alors ne peut retenir son indigna­tion: « 0 monstre! » L'ermite se justifie. L'enfant, s'il avait vécu, aurait assassiné sa tante « dans un an », et Zadig dans deux. Parlant ainsi, le vieillard se méta­morphose. « Quatre belles ailes » couvrent « un corps majestueux et resplendissant de lumière». Il n'est autre qu'un « ange divin », envoyé tout spécialement à Zadig pour l'éclairer. Cet ange Jesrad, en un petit sermon, justifie la Providence. Dans l'immense uni­vers « !'Etre suprême » a créé des millions de mondes. En chacun, un certain (• ordre de sagesse » préside à (<l'enchaînement des événements». Le bien se mêle au mal, de telle sorte qu'(• il n'y a point de mal dont il ne naisse un bien». Le hasard? Une illusion des(< faibles

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mortels » : «Tout est épreuve, ou pumt10n, ou récompense, ou prévoyance.» Zadig n'est pas convaincu par ces belles affirmations. Il oppose ses «mais» ... Jesrad cependant coupe court, par une injonction : « Cesse de disputer contre ce qu'il faut adorer. » Et en parlant ainsi l'ange prend son vol « vers la dixième sphère». Zadig, comme on le lui prescrit, ne peut donc qu'« adorer», «à genoux», et «se sou­mettre».

Retourné à Babylone, il parvint sans peine à confondre l'imposteur Itobad. Il gagna l'épreuve des énigmes. « Il fut roi et fut heureux », ayant épousé la reine Astarté. Alors dans cet empire, « gouverné par la justice et par l'amour», commença une ère de félicité: paix, gloire, abondance, « le plus beau siècle de la terre ». « On bénissait Zadig, et Zadig bénissait le ciel » : tels sont les derniers mots du conte.

Que signifie en définitive ce récit ? Sous-titré « la Destinée »,tournerait-il à l'apologie de la Providence ? Faut-il en chercher Je sens ultime dans les propos oraculaires de l'ange Jesrad, visiblement inspirés de Leibniz - ce Leibniz auquel adhère Mme Du Châte­let, au moment où Voltaire rédige Zadig? C'est l'inter­prétation que propose Jacques Van den Heuvel, dans de brillantes analyses 1'. L'ange paraît en effet annon­cer l'heureux dénouement. Tant d'épreuves trouvent finalement leur compensation. Jesrad ne l'avait-il pas dit ? « Il n'y a point de mal dont il ne naisse un bien. » L'« enchaînement des événements» fait qu'une suc­cession de malheurs produit le bonheur final de nos héros. N'est-ce point là un «ordre de sagesse 1>, voulu par !'Etre suprême, et non point une suite de hasards, comme l'imaginent de « faibles mortels 1> ? Parvenu au sommet de la félicité, Zadig n'a-t-il pas raison de se remémorer« ce que lui avait dit l'ange Jesrad 1>?

A vrai dire, si ingénieuse qu'elle soit, la démonstra-

15. Dans son livre Voltaire da11s ses col/les, Paris, A. Colin, et dans la notice de son édition, l 'oltaire, r0111aus et cames, Bibliothèque de la Pléiade, Paris, 1979, p. 742-745.

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tion suscite chez le lecteur des « mais », analogues à ceux de Zadig lui-même. Péremptoires, les déclara­tions de l'« ange divin» ne sont pas toujours convain­cantes. Il est au moins un« mais» auquel l'envoyé du ciel n'a su répondre que bien faiblement. Il s'agit du jeune neveu, mis à mort pour l'empêcher de tuer sa tante et Zadig lui-même. A l'âge de quatorze ans, son cas n'était certainement pas désespéré. Ne valait-il pas mieux, objecte Zadig, corriger cet enfant, par une bonne éducation, plutôt que de le noyer? Jesrad pré­tend qu'alors il aurait été lui-même assassiné, avec sa femme et son fils. Mais qu'en sait-il? Le livre de l'avenir est indéchiffrable. Où irait-on, si l'on se met­tait à tuer les gens pour leur éviter les aléas de l'exis­tence ? Surtout les oracles de Jesrad contredisent l'allure même du récit où se manifeste, non la sagesse de la Providence, mais la gratuité d'une Destinée capricieuse. Tant de hasards d'ailleurs, toujours imprévisibles, tiennent le lecteur en haleine. Est-ce, par exemple, en vertu d'une providence particulière que Zadig, ayant depuis longtemps perdu Astarté, la retrouve soudain au bord d'un ruisseau, au moment précis où elle trace sur le sable les lettres de son nom ? Il la rachète au seigneur Ogul, la renvoie à Babylone, guérit l'obèse en le faisant jouer au ballon. Jaloux, les apothicaires d'Ogul vont empoisonner un si dange­reux concurrent au cours d'un grand dîner. Le mets fatal devait être présenté au second service. Mais Zadig reçoit un message d'Astarté au premier, et part sur-le-champ. Que penser de l'événement? Pour l'expliquer, le récit fait appel au «grand Zoroastre». Or que dit le sage fondateur de la religion des mages ? Qu'une providence particulière veillait sur notre héros ? Non pas, mais ceci : " Quand on est aimé d'une belle femme, on se tire toujours d'affaire dans ce monde» (chapitre XVI). Le «grand Zoroastre» se situe à un niveau de sagesse narquoise, beaucoup plus crédible que les sublimes considérations de Jesrad. Astarté s'est hâtée d'appeler l'homme qu'elle aime, et Zadig, tout aussi épris, est parti sans attendre la fin du

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repas .. Le conte de 1747 manifeste sans doute, chez Voltaire, la discordance entre, d'une part, une philo­sophie postulant l'ordre cosmique et, d'autre part, une vision spontanée des choses, n'y discernant que chaos et petitesse. C'est ce qu'a éprouvé Zadig, courant de nuit à dos de chameau, vers l'Egypte, sous la voûte étoilée. Il contemple au-dessus de sa tête « l'ordre immuable » des « vastes globes de lumière ». Mais il voit en contraste ici-bas «les hommes tels qu'ils sont en effet, des insectes se dévorant les uns les autres sur un petit atome de boue» (chapitre IX).

Aussi le dénouement se détache-t-il comme un happy end irréaliste. C'est une loi du genre - Jacques Van den Heuvel l'indique - : à la fin du conte on procède à une sorte de distribution des prix, entre les partenaires sympathiques de l'action. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes, provisoirement. Car cela durera-t-il? La fin du récit est-elle une «fin de !'Histoire », établissant un bon ordre immuable ? On ne peut le croire. « Le plus beau siècle de la terre » n'a qu'un temps : l'auteur, comme les lecteurs du Siècle de Louis XIV le savent bien. Des grains de sable vont s'introduire dans un si bel ordre, comme ils ont déréglé le cours heureux du ministère de Zadig sous le règne de Moabdar. Et l'amour parfait des deux amants royaux sera-t-il éternel? Après «la lune de miel», viendra inévitablement« la lune de !'absinthe». Telle est la triste réalité, comme l'atteste, non seule­ment «le livre du Zend», mais l'expérience banale de la vie (chapitre III).

Après Zadig le problème du bonheur reste donc posé. Voltaire y reviendra, notamment dans Candide.

Au cours des douze années qui séparent les deux contes, beaucoup d'événements se sont produits, dans la vie de Voltaire et autour de lui. Mme Du Châtelet était décédée le 10 septembre 1749. Malgré des infidé­lités réciproques, elle était restée pour son ami la

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confidente de son esprit, la conseillère avisée. Mme Denis ne saurait la remplacer. Désemparé, mal vu de Louis XV, souffrant au théâtre de la désaffec­tion de son public, Voltaire accepte, après bien des hésitations, l'invitation de Frédéric II de se rendre à Berlin. Il comptait d'abord n'y passer que quelques mois. Mais il s'aperçoit que les voies du retour lui sont coupées. Naguère ami du prince philosophe, en quel­que sorte sur un pied d'égalité, il est passé maintenant à son service, en tant que chambellan : haute dignité, mais qui le soumet à l'humeur souvent difficile du souverain. Plusieurs querelles enveniment leurs rap­ports. La rupture viendra, à l'automne 1752, de l'affaire Konig. Voltaire défend le droit de ce savant de penser et d'écrire en opposition avec Maupertuis, tyrannique président de !'Académie de Berlin. Frédé­ric II ayant pris parti pour celui dont il a fait un haut fonctionnaire de l'Etat, Voltaire quitte définitivement la Prusse (mars 1753). Il revient vers la France par Leipzig, Gotha, Cassel. Un traquenard, discrètement agencé par Frédéric, l'attend à Francfort. Pendant un mois l'ex-chambellan est retenu prisonnier, exposé aux brimades du représentant local de la Prusse, aidé d'acolytes avides. Enfin libéré, il apprend que Louis XV lui interdit d'approcher de Paris. Après plu­sieurs mois passés en Alsace, il gagne, par Lyon, Genève et Lausanne.

Une donnée alors se développe dans ses contes: le voyage aventureux, semé d'embûches. Certes Gan­gan-Micromégas racontait un voyage, mais voyage cos­mique, relaté d'ailleurs en termes généraux. Après leur rencontre avec les hommes, Micromégas et son compagnon étaient demeurés sur place, au fond du golfe de Botnie. Zadig s'était rendu de Babylone en Egypte et en Arabie : déplacement d'ampleur limitée, qui reste à l'intérieur de cet « Orient philosophique » du xvm" siècle. Au contraire, au terme de ses pérégri­nations en 1754, Voltaire a broché un récit acide et désolant qui est un tour du monde: !'Histoire des voyages de Scarmentado. Le héros traverse continents

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