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Mon dico illustré

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Voici réuni un choix non exhaustif des idées et des points de vue exprimés par Siné dans Charlie Hebdo sous le titre « Siné sème sa zone » de 1993 jusqu’en 2008, date de son éviction pour « propos incorrects » à l’encontre de Jean Sarkozy, et dans Siné Hebdo depuis. Siné a organisé ses textes pour constituer un dictionnaire iconoclaste qui, de A comme Abstention à Z comme Zidane, regroupe les protestations écrites et graphiques d’un maître de la satire.

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© 2011, Éditions Hoëbeke, ParisDépôt légal : octobre 2011ISBN: 9782-84230-387-7

Mise en pages : MassinPhotogravure : Color’Way

Imprimé en Italie

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DARD, Frédéric Je dois être l’un des seuls Français à n’avoirjamais lu le moindre bouquin du pourtant presque incontour-nable Frédéric Dard. L’auteur, aperçu deux ou trois fois à latéloche, m’avait cependant, à chaque fois, paru plutôt sympa-thique, mais je n’ai jamais osé m’aventurer dans son univers queje pressentais trop franchouillard et probablement un peu beauf.Je me suis toujours méfié de son incroyable prolixité et aussi de ses couvertures particulièrement laides et du sale métier decommissaire exercé par son héros. Peut-être ai-je eu tort et suis-

je passé à côté d’une œuvre considérable.DAVIS, Miles Le style de Miles est fait de rete-nue, son rythme insinuant et rampant, son sonvoilé et ouaté dans les graves et strident dansles aigus resteront inimitables. Comme tous les

autres géants, Monk, Mingus,Coltrane…, une seule note suffit

pour l’identifier sans risque de setromper. Avec eux, le «blindfold

test » est un jeu d’enfant ! Uneinvention diabolique, sans aucun

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effet de virtuosité, une sérénité inouïe mais sans nonchalance,une musique pleine de suspense faite autant de silence quede notes, bourrée d’absences et d’allusions. Un swing contenu,bridé mais néanmoins explosif ! « Je joue pour épuiser ma

rage ! » disait-il. Sans ce racisme exercé aux États-Unisdepuis des lustres par les Blancs sur les Noirs, il n’aurait

peut-être jamais embouché une trompette ! Dieu soit loué – ouvendu –, car pour notre plaisir égoïste il faut sûrement le remercier d’avoirmené la vie si dure aux musiciens de jazz : c’est grâce à la douleur et à lacolère que nombre d’entre eux nous touchent à ce point. Bien sûr, commebeaucoup, je préfère sa période avec le génial John Coltrane (1955-19 58)ou celle de ses concertos orchestrés par Gil Evans (1959-1960), dontl’inoubliable Sketches of Spain, beau à couper le souffle, plutôt que ses der-niers disques où il fricote trop, à mon goût, avec tous les gadgets électriqueset surtout flirte avec la «pop», Michael Jackson ou Prince! Mais fermonsles yeux, ou plutôt nos oreilles, sur ses ultimes prestations légèrement casse-couilles et ne retenons que le bon.DÉCORATION Bernard Clavel a fait preuve de dignité en la refusant.Bravo! Marcel Aymé l’avait fait bien avant lui. Son article, à l’époque,m’avait mis en joie : «Pour n’avoir plus à y revenir, je lesprierai qu’ils voulussent bien, leur Légion d’honneur, sela carrer au train avec leurs plaisirs élyséens.» Mais le plusimportant, en fait, ce n’est pas de refuser les honneurs,c’est de ne jamais les mériter ! Quand Jean-Paul Sartredéclina le prix Nobel, Jean Genet me dit : «Trop tard! Le scan-dale réside dans le fait qu’ils lui aient proposé: il est souillé àjamais ! » Et il ajouta, pour ma plus grande fierté : «Rassurez-vous, ni vous, ni moi, ne risquons un tel affront !»

Décoration 56

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FACIÈS Quand mon fils, Sung-Kwon, enscooter, s’est fait rentrer dans le cul par unconnard de chauffeur de taxi belge jeudidernier rue Tronchet, les pompiers et les flicsarrivèrent très vite sur les lieux, prévenus pardes témoins. Les premiers, très sympas,mirent précautionneusement le fiston sur

une civière pour le transporter en vitesse àl’Hôtel-Dieu, tandis que les seconds se chargeaient du constat d’accident.

Ils demandèrent aux pompiers de patienter un peu afin d’avoir le temps de rédiger une prune de 900 balles pour «non-présentation d’attestationd’assurance» que l’un d’entre eux glissa discrètement dans la poche de che-mise déchirée de mon fils allongé, sonné et souffrant de multiples fractures.C’est probablement sa tronche d’immigré qui lui a valu cette suprêmedélicatesse… Encore a-t-il eu du pot de ne pas être massacré et achevé surplace! En Angleterre, on lui aurait même interdit l’accès de l’hosto car ilavait un paquet de clopes sur lui ! Jeune, Coréen, fumeur et coursier, c’estplus qu’il n’en faut pour être violemment mal vu dans nos démocraties.FANATISME Chaque année, tandis que de sages mécréants restent chezeux, attablés devant un kil de rouge, et bouffent du cochon avant d’en

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griller une, d’autres, qui croient à une vieaprès la mort, accélèrent leur trépas enallant à La Mecque se faire piétiner parleurs coreligionnaires hystériques. Tellement

excités à balancer des pavetons sur les stèlesqui symbolisent le diable, certains de ces for-

cenés n’hésitent pas à pousser, cogner, fouler aupied et écraser les plus faibles qui les gênent dans

leur imbécile jeu de massacre. Religions,pièges à cons !FANFARON Ni les lesbiennes ni les pédésne m’ont jamais paru mieux lotis sexuel-lement que les hétéros et j’ai toujoursbeaucoup de mal à comprendre pour-

quoi ils fourrent tellement de « fierté» dans leur slip. Chacune d’entre elleset chacun d’entre eux en tripotent toujours d’autres du même sexe et ne sont, finalement, eux aussi, qu’attirés par un seul type de partenaire. Le fait que ce dernier ne soit pas du sexe opposé au leur ne leur confèrepas une supériorité particulière dont ils puissent être « fiers ». Si une banded’imbéciles défilaient pour clamer leur « fierté » d’être hétérosexuels, ilsse feraient, à juste titre, traiter de « réacs » et d’homophobes. Les seuls qui,à mon avis, auraient le droit de ressentir une certainesupériorité sont les «bi », ceux qui peuvent fonc-tionner un coup à la voile, un coup à la vapeur, les«biques et les boucs » qui prennent du plaisir par, etdans, tous les trous sans discrimination ni préjugés.À côté de ces privilégiés, les autres devraient s’écraseret ne pas la ramener.

Fanfaron77

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FANTASME Je me trimbale depuis l’adoles-cence le fantasme de me farcir une frangine !Gironde, bien sûr, pas genre Mère Teresa, plutôt

Melanie Griffith, Julia Roberts ou Penélope Cruz,et portant des sous-vêtements de pute sous la longue

et sévère robe noire. Et pour grimper au paradisen passant par le septième ciel, j’aimeraisqu’elle soit, par-dessus le marché, plei-

nement consentante et même un peunymphomane sur les bords, car le viol n’ajamais été ma tasse d’athée. Mais avec déjàune couille dans la tombe, je crains de ne

jamais croiser sur mon chemin la lubriquecatholique de mes rêves. Je me console enme répétant qu’un fantasme, à partir dumoment où il est réalisé, cesse d’en être un

et qu’il serait dommage d’être privé de cette récur-rente obsession !

FARMER, Art Né en 1928, comme moi, il est mort en 1999. J’ai tou-jours été très sensible à la sonorité du bugle, plus ouatée et raffinée quecelle de la trompette, et Art en était un expert. Je le réécoute souvent dansMy Funny Valentine extrait du CD On the Road paru en 1976, accompagnéseulement par le piano de Hampton Hawes. Cette interprétation est bou-leversante de beauté intrinsèque, à tel point qu’il m’est impossible de rete-nir des larmes de joie.FAUX AMIS En débarquant à l’aéroport de La Nouvelle-Orléans, il ya quelques années, pour aller assister à un festival de jazz, j’avais remar-qué avec plaisir des écriteaux qui jalonnaient les couloirs et annonçaient

Fantasme 78

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partout : « free smoke». «Liberté de fumer », avais-jetraduit mentalement aussi sec, m’empressant d’allu-mer une clope, heureux et agréablement étonné dece sympathique accueil. Mais vingt secondes plustard, un énorme Black me tombait méchammentdessus en vociférant comme un putois dans son jar-

gon de sauvage et m’intimait l’ordre d’écra-ser illico l’objet du délit. Je me suis mis à

gueuler presque aussi fort que lui et, pour prouver ma bonnefoi, lui montrai du doigt le panneau, pourtant explicite : «Freesmoke», nom de Dieu ! «Fumer librement », lui hurlais-je dansles naseaux en invoquant la Ligue des droits de l’homme et le premieramendement de leur Constitution à la con. Je finis par comprendre, grâceau copain français qui m’accompagnait et qui était plus cultivé en amer-loque que moi, que, contre toute attente, « free », dans ce cas précis, signi-fiait « interdit ». Comme, m’expliqua-t-il ensuite, « free sugar », sur lesétiquettes de leurs sodas pourris, informait qu’ils étaient « sans sucre ».Décidément, plus con qu’un Ricain, tu meurs !FÉMINISME Quelle connerie, cette « Journée de la femme». Adulée unjour, vilipendée les 364 autres ! Si j’avais étéune nana, y a longtemps que j’aurais ruédans les brancards pour obtenir ce quim’est dû, nom de Déesse (fémi-nin de nom de Dieu) ! J’auraisfait la grève sur le tas (sauf dusexe !). Dans mon couple, c’estmoi qui aurais porté la culotte(transparente et en dentelle),

Féminisme79

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GENET, Jean Quoique hétéro primaire, j’ai toujours éprouvéune véritable passion pour Jean Genet. D’abord pour l’écrivain,ensuite pour le bonhomme, dès notre rencontre. Je l’ai fré-quenté, en tout bien tout honneur, pendant des années, allantle rejoindre, pour le plaisir, en Grèce, en Belgique, en Italie,

en Angleterre… car il bougeait beaucoup. On s’amusait commedeux fous (ou deux folles ?). Discuter avec lui était un plaisirdivin. Il pouvait parler de sexe de façon très vulgaire et passerà des choses très subtiles et poétiques. De parties de trous ducul à Nietzsche, Rembrandt ou Giacometti, ou de baises sor-dides au martyre du peuple palestinien. Il était anar jusqu’au

bout du gland. Il m’avait fait, un jour, un merveilleux compli-ment que je n’ai jamais oublié : «Vous, mon cher Bob, quel que soit votredegré de notoriété, contrairement à beaucoupd’autres, vous ne risquez pas d’attraper unjour la légion d’honneur. »GERBER, Alain Quand Alain Gerberprend sa plume et la trempe dans son cœurpour nous parler de jazz, on atteint de raressommets de bonheur. Pas besoin de joint, levoyage commence dès la première page sanspour autant s’arrêter à la dernière, car mêmeaprès avoir refermé le livre, on a bien du malà toucher terre pour reprendre une activitévulgaire. Alain Gerber a l’art de ressusciter les musiciens dis-parus. Il ouvre grandes les portes du panthéon et les fait redes-cendre en quelques mots de leur piédestal afin qu’on puisse lesserrer très fort dans nos bras. On les entend tous, de nouveau,

95 Gerber, Alain

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rire, plaisanter, échanger des vannes. On peut les palper, les regarder, lessentir et surtout les réécouter jouer! Je ne sais comment ce magicien réus-sit un tel miracle, mais il est à peine besoin de mettre les disques dont ilparle sur sa platine pour s’envoyer encore un peu plus en l’air tellement son

art du récit est confondant.GIROUETTE La duplicité et le mensonge sont décidé-ment indissociables des hommes politiques. Aucun n’y

déroge, quel qu’ait été son niveau d’honnêteté au momentde son élection. La faculté de revirement de ces girouettesn’a d’égal que leur mépris pour les connards qui ont eu la

faiblesse de voter pour eux. Soit par lâcheté, arrivisme oumachiavélisme, ils renient toutes leurs promesses sous leregard incrédule des pauvres types bernés, cocufiés, anéantis.GOSPEL J’ai toujours réussi à écouter cette musique en

oubliant qu’elle était sacrée et je hurle «Alléluia ! » avec les fidèles, commeon gueule «Une autre ! » ou «À poil ! » avec un public bourré. Le swingqui se dégage de ces chants religieux est le même que celui des blues pro-fanes chantés par Ray Charles, James Brown ou Koko Taylor. Je ne fais

Girouette 96

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GRÈVE Je trouve ultra-cons et débiles les jeunesdésœuvrés qui, pour exprimer leur spleen et ten-ter de guérir leur hypocondrie, balancent despavetons sur la gueule des chauffeurs de bus, cas-sent un maximum d’abris, salopent les wagonsde la SNCF et crament les bagnoles de leurquartier. Il faudrait aussi trouver d’autres moyensde lutte que la grève systématique qui fait payerles pots cassés à des milliers de pauvres types pasdans le coup. Par exemple, ces paysans qui avaientmuré les permanences de leurs députés se sont

montrés plus intelligents. Bravo! Faire la grève, mais des guichets, en lais-sant voyager les gens à l’œil est aussi une bonne solution. Elle a l’avantage,en plus, de rendre tous les exploités solidaires et rien de tel pour faire bou-ger le cul des responsables. Il faut inventer et proposer de nouveaux moyensinédits, efficaces, et qui ne léseraient aucun innocent. Que soient finis cessempiternels «otages», terminées ces solutions de facilité.GROSSIÈRETÉ Mon vocabulaire de mots grossiers et malsonnants estbien trop restreint pour qualifier comme j’en ai envie les petits führers detout poil. Alors en empruntant à Céline, vieux compagnon de route – etde déroute – des nazis de souche, quelques-unes de ses invectives réjouis-santes pour les dédier aux nabots, j’ai l’impression de fairedeux bonnes actions : 1. rendre hommage à la vervede Louis-Ferdinand; 2. les traiter d’avortons commeils le méritent. Et si, après cette tonifiante bordéed’injures, les gnomes veulent m’intenter un pro-cès, c’est l’affreux collabo qu’ils devront traîneren justice, pas moi! Ha, ha, ha! «Ergotant, Bosco!

Grève 98

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Pisseux! Fiotte, Gugusse! Cul-de-jatte! Pilon! Infâme cul pourri !Informe! Caca ! Larveux! Biglouseux! Troufignoleur ! Chiasse !Pot-de-Pisse ! Infect ! Fêlure! Hernie! Ecchymose! Étron! Prostré!Glaireux! Face d’Omelette fripée! Bignolle ! Hareng! Péroreur !Indic ! Stratagémeux! Bourrique! Latrine! Poubelle ! Pourceaux!Viande ! Tapette ! Mouchard ! Foireux! Empaffé ! Choléra !Pignouf ! Crapaud! Chiure de Vache ! Betterave ! Engeance !

Énergumène! Suppôt ! Emplâtré ! Déjecture ! Étripeur ! Vérole !Hargneux Cocu! Maquereau! Puant ! Ganache! Crétin-la-Grelotte !Goitreux! Poisseux! Encaqué! Cagneux! Casse-Bite ! Roupane! Égout !Margoulin! Barbeau mou! Charogne! Fétide! Vermine! Grimace! Fausse-Face ! Moumoute ! Cocorique ! Goujat ! Pissat ! Pelure ! Pourriture !Escogru! Barbouillé Salaud! Sale être! Malagaufre! Cliche!» Un vrai régal,non? Quel dommage que cet écrivain de génie ait été du côté de cesfumiers… Imaginez un Céline de gauche… Putain, ça manque!GROSZ, George On reste sur le cul devant la violence et la haine de cemec qui a collectionné, à l’époque, plein d’emmerdes de la part du clergéet de l’armée, ses deux bêtes noires. Inscrit au Parti communiste dès 1918,son premier procès a lieu en 1921 pour «offense à l’armée». Son recueilde dessins Ecce Homo est saisi en 1923. En 1924, nouveauprocès pour «atteinte à la morale publique» et condam-nation pour «blasphème» en 1928! En 1933, devant lamontée du nazisme et désespéré de l’attitude de sescontemporains, il finit par se casser à New York. «Monart est, à la fois, un fusil et un sabre ; des plumes à des-sin ne sont que des pailles vides et inutiles dès lorsqu’elles ne participent pas au combat pour la liberté. » Misà part son talent transcendant qui nous écrase tous, on ne peut

Grosz, George99

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résolument contre bien sûr, sachant quelles têtes ilaimerait faire tomber, mais, dans mon for intérieur,j’avoue que je suis pour en ce qui concerne tous les criminelsde guerre et tous les hommes (si on peut les appeler commeça) politiques d’extrême droite.PENGUIN BOOKS LTD J’ai lu il n’y a pas longtemps unlivre paru en Angleterre qui raconte la vie du patron des ÉditionsPenguin, Sir Allen Lane, de 1935 à 1970. Apparemment ce monsieur étaittrès important et respecté dans la profession. L’un de ses collaborateurs,Tony Godwin, lui suggéra en 1963 de publier, sous son célèbre label, unrecueil de mes dessins. Malgré ses réticences, il accepta, car il tenait à res-

ter «dans le coup» auprès de son jeunepublic, mais n’en avertit pas ses diversdirecteurs. Il commanda une préface àMalcolm Muggeridge, directeur de Punch,un admirateur de mes dessins, pour justi-fier son audace. La sortie fut programméepour 1966. Le 5 octobre, il convoqua tous ses directeurs et leur montra le livreintitulé Siné Massacre en français. Quatred’entre eux étaient résolument contre(«distasteful, blasphemous, vicious, incompatiblewith the company’s image…»), deux molle-ment pour, les trois autres refusèrent deprendre position, prétextant que leur opi-nion personnelle n’importait pas et queseule la ligne éditoriale de la boîte comp-tait : des dégonflés quoi !

Penguin Books Ltd 168

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Penguin Books Ltd

Le «Patron» ayant toujours raison annonça la mise en place du livre àpartir du 1er novembre. Il accepta néanmoins de publier un communiquédestiné à tous les libraires et les représentants dont il confia la rédaction àMuggeridge qui n’y alla pas avec le dos de la cuillère : «Siné is a cartoonistand graphic artist of international reputation and importance, occupying a positionin the satirical tradition of Hogarth, Goya, Daumier and Grosz… » Putain, la classe ! Sir Allen croyait ainsi échapper au tombereau d’insultes qui suivit et qui dépassait de loin les prévisions lesplus pessimistes : des centaines de lettres sanglantes, indi-gnées ! Comment une maison aussi sérieuse que PenguinBooks Ltd pouvait-elle se permettre pareil écart? Ce fut un teltollé que la suite devient un vrai régal, et c’est un certain George Nichollsqui la raconte: «Un soir, vers minuit, je dormais, le téléphone sonne, c’étaitBosley. “Je suis avec Sir Allen au bureau, il tient à ce que vous rappliquiezimmédiatement !” Aussitôt, je me lève, m’habille et fonce au bureau. Là, en plus de Sir Allen, il y a Bosley, Derek Singleton et une autre per-sonne que je ne nommerai pas. Il me dit : “Ouvrez l’immeuble, voulez-vous?” et je l’entends maugréer «ces satanés Siné» (those bloody Siné’s).

J’ouvre donc le building et nous fonçons au magasin destockage. “Je fais le tour avec Singleton dans lecamion et on récupère tous ces maudits Siné avecle chariot élévateur. TOUS! George ! Ce putain

de comité m’a désavoué, je vais me venger ! Etvous allez me promettre de garder le secret et dene jamais en piper mot à qui que ce soit. Vu?”»

Le témoignage s’arrête malheureusement làmais l’auteur du livre poursuit : «À partir dece moment, les spéculations commencent

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USURPATION Les électroniqueurs exacerbés,pourtant accros à la souris, ont le culot d’employer,depuis peu, le mot « chat », mais en l’utilisant dansson sens amerloque qui signifie : causette, parlotte,bavette, caquetage, bla-bla, jactance… Merde, les internautes,faites pas chier : bavassez autant que vous le désirez par écran interposési ça vous fait marrer, mais inventez-vous des mots à la con comme vousen avez le secret plutôt que de nous piquer l’un des plus beaux mots dela langue française pour camoufler vos papotages débiles.UTILE Personnellement, le culte de l’efficacité, de la réussite, de la per-

formance, du rendement m’a toujours gonflé.«Utile » n’est pas un mot qui me branche, pasplus que «profitable», « avantageux» ou «néces-saire ». Un vote utile est le contraire d’un votechaleureux, engagé, libre. C’est un geste réfléchi,gambergé, pesé, pesant, pris sans conviction, uni-quement par devoir, raison et calcul ! Toute mavie, je préférerais l’excès à la pondération, la

licence à la retenue, le superflu à l’indispensa-ble, le désordre à l’organisation, le cœur à la raison.

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Voter utile, c’est comme se forcer à bouffer un truc qu’on n’aime pas ouà baiser une nana dont on n’a pas envie !UTOPIE Je sais, je sais, on me l’a assez répété, je suis un utopiste. Je faispartie, dans la galaxie anarchiste, de l’« eschatologique» selon la classifi-cation de Michel Onfray. En effet, je rêve de la fin de l’exploitation, dela misère, de la pauvreté et de la disparition de la police, de l’armée et descurés (entre autres). Je reconnais qu’on ne peut guère être plus utopisteque ça ! Mais je n’oublie jamais la belle phrase de Théodore Monod,pour qui j’avais une grande admiration : «L’utopie ne signifie pas l’irréa-lisable mais l’irréalisé. » Je garde donc l’espoir, chevillé aux couilles !

Utopie 224

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