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Monde arabe et diversité culturelle · Le combat pour la diversité culturelle Thème 2 - Les enjeux de la diversité culturelle au Nord et au Sud Monde arabe et diversité culturelle

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Les "Dix-huitièmes Entretiens" du Centre Jacques Cartier Lyon, 5 décembre 2005 Leila Rezk 1

Les "Dix-huitièmes Entretiens" du Centre Jacques Cartier - Rhône-Alpes du 2 au 7 décembre 2005

Le combat pour la diversité culturelle

Thème 2 - Les enjeux de la diversité culturelle au Nord et au Sud

Monde arabe et diversité culturelle

Leila Rezk Directeur de Dialogue XXI, Beyrouth

L’idée d’un antagonisme intrinsèque entre Monde arabe et diversité culturelle est

malheureusement bien enracinée dans les opinions publiques mondiales. Cette

conception est confortée par le discours et les actes des tenants d’un certain dogme

fondamentaliste de l’Islam, qui prônent au nom d’un combat politique contre

l’hégémonie occidentale et plus particulièrement américaine, la violence et l’épuration

de la terre d’Islam. Les nombreuses raisons de l’adhésion à cette doctrine chez les

jeunes salafistes, qui vont jusqu’à lui sacrifier leur vie, méritent, au-delà de l’analyse

politique ou économique, que soient médités les fondements culturels de cet attrait.

Certains occidentaux, ignorants presque tout de l’Islam et de la complexité du Monde

Arabe, fondent leur appréhension sur une théorie qui a fait fortune, celle du « conflit

des civilisations » qui, malgré son imposture, véhicule des idées préconçues

renforçant chez eux, l’option d’une intolérance inhérente à l’Islam. Ces deux

approches suscitent des enchaînements dangereux et entravent l’établissement de

tout dialogue tout en obstruant les éventuelles filières de l’ouverture à l’autre. Toutes

les initiatives de coopération et de rapprochement prises par les organismes

internationaux tant étatiques que non gouvernementaux, ne parviennent pas à

remédier à la détérioration de l’image que se construit chacun de l’autre. C’est aussi

l’inertie et l’autoritarisme des gouvernements arabes, leur impuissance à relever, par

une politique de développement équitable, les défis d’une jeunesse tourmentée et

exigeante qui, faute d’épanouissement et d’espaces publics d’expression, se réfugie

sous l’aile lénifiante de la tradition religieuse. Et puis, le peu d’intérêt accordé par les

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différents pays arabes à l’intervention de l’Etat en faveur de la culture comme facteur

du développement humain, contribue à aggraver la menace qui plane sur leur propre

diversité et de ce fait, sur la diversité mondiale.

Une diversité à l’épreuve de la mondialisation

Les sociétés arabes sont riches d’une grande diversité, legs d’invasions et de

conquêtes multiples qu’elles soient européennes, ottomanes ou arabes avec un

patrimoine qui s’est enrichi, répandu et partagé grâce à la mobilité des commerçants

et l'imbrication des familles. Ce brassage a favorisé un métissage notamment dans la

musique et l’art culinaire. Par ailleurs, une sorte de mimétisme a favorisé l’adoption

de modèles exogènes, tant arabes qu’occidentaux dans l’habillement mais aussi

dans les comportements sociaux et mêmes dans les rituels religieux. Mais le

processus mal adapté de la mondialisation, a modifié les coutumes et traditions

locales, les a bouleversées même. La standardisation de certains biens culturels

convertis par les circuits commerciaux en produits de consommation, s’est imposée

insidieusement à des utilisateurs peu ou pas préparés à en assimiler les contenus et

le sens. Cette transformation a donné naissance, dans un réflexe de résistance, à

une normalisation des pratiques cultuelles introduites par un islam militant. Mais la

démocratisation de l’accès à la technologie et à l’audiovisuel a pourtant permis

d’établir des communications permanentes entre les jeunes issus de l’immigration en

Occident et ceux du pays de leurs pères. Le métissage culturel s’est aussi

mondialisé, il connaît aujourd’hui, avec la multiplication des échanges et la mobilité

de ces jeunes, un regain vivace qui favorise une créativité et une expression

culturelle différenciées avec par exemple une ligne vestimentaire et alimentaire

« islamisée » qui permet aux nouvelles générations de marquer une appartenance et

d’affirmer une identité spécifiques.

Mais à l’ère de l’hégémonie d’un visuel qui s’impose comme unique accès des

masses populaires à la connaissance, les opinions publiques mondiale et arabe,

soumises au matraquage d’images instantanées issues des événements et conflits

qui secouent la planète, se contentent d’informations souvent à tendance partisane

d’ailleurs, véhiculées par les organes de presse ; rappelons-nous le rôle joué par

CNN lors de la guerre du Golfe en 1991. Certes, nous assistons à une pluralité des

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sources d’information avec la création notamment de chaînes satellitaires arabes,

mais celles-ci n’échappent pas non plus à l’influence des idéologies. Plus récemment

l’embrasement des banlieues parisiennes, a connu un écho sans précédant dans la

presse arabe, présenté comme un conflit entre musulmans et chrétiens de France.

Les opinions bornent ainsi leur compréhension des événements à une approche

superficielle à forts risques de méprise sur les causes mais surtout sur les

conséquences de ces affrontements. L’impact des images récurrentes de conflits

sanglants, banalisant la violence comme la guerre d’Irak ou depuis bien plus

longtemps le conflit israélo-palestinien, est redoutable à long terme avec des effets

inattendus, le plus souvent difficiles à contrecarrer, l’audiovisuel participant au

façonnement d’une opinion à l’écoute passive et peu friande de lecture et d’analyses

éclairées. Cette perception souvent réductrice de la réalité du monde, l’image n’étant

qu’un support à l’information et non l’information elle-même, conforte auprès de ces

opinions précisément, l’existence d’un antagonisme entre l’Occident et le Monde

Arabe identifiant leurs relations, par un raccourci très abusif, à un conflit entre les

religions.

Ce raccourci n’est toutefois pas sans fondement et la responsabilité en revient tant

aux Occidentaux qu’aux Arabes. L’amalgame consacré et si commode entre Arabe

et Islam, entre Islam et terrorisme ignore délibérément la complexité des groupes qui

composent les sociétés arabes évoluant dans des régions aussi différentes que le

Maghreb, le Machrek ou les pays du Golfe. Mais cette approximation reflète l’image

tout aussi simpliste que le Monde arabe souhaite donner de lui-même : un et uni. Or,

le monde arabe porte en son sein une réelle diversité culturelle qu’il s’évertue, certes,

à occulter au nom d’une unité politique affirmée haut et fort, même s’il endure, sans

parvenir à les résorber, les divergences d’un espace politiquement désuni.

Le culturel ne peut donc être dissocié du politique dans le monde arabe

contemporain car les effets induits de la création de l’Etat d’Israël, et plus récemment

de la mondialisation, dont principalement les tensions religieuses, ont soulevé une

tourmente difficile à endiguer qui brouille la donne et pose les problèmes en termes

d’identité. De plus, l’ambiguïté de la communauté internationale face au conflit

israélo-palestinien et à sa persistance tout aussi coupable, mais aussi la pesante

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ingérence du religieux dans le politique sur la scène mondiale ont conduit les Arabes

à se réfugier dans un repli identitaire avec un refus de l’autre, cet autre étant

forcement l’agresseur. Ce repli, alimenté par un sentiment persistant d’impuissance,

s’exprime en un fondamentalisme religieux qui met notamment, en garde contre

l’invasion culturelle occidentale, exhortant le rejet des modèles exogènes et

menaçant pour l’avenir, le libre accès d’une grande partie des citoyens des pays

arabes à la diversité culturelle mondiale.

Mais où se trouve la diversité culturelle dans le Monde arabe ? Cette diversité est

multiple, elle est d’abord ethnique avec des Arabes, des Kurdes, des Syriaques et

des Berbères et depuis la fin du 19ème des Arméniens. Puis, elle est tribale, avec des

tribus outrepassant les frontières. Il y a bien évidemment une diversité religieuse

avec une majorité de musulmans, mais aussi des minorités chrétiennes, il existe

encore de petites minorités juives, la majorité d’entre elles ayant peuplé les

nouveaux territoires conquis de Palestine. L’arabité est un creuset, résultat d’un

métissage riche d’apports africain, hellénique, romain ou ottoman. De plus,

historiquement, et comme le dit Samir Kassir « la communauté culturelle s’ordonne

autour d’une pluralité de centres urbains de production culturelle»1. Par ailleurs, il

existe une diversité linguistique dans les registres de la langue arabe elle-même

entre l’arabe littéraire et la multitude de langues parlées qui recèlent d’ailleurs un

patrimoine de littérature orale peu connu, mais aussi les langues berbères, le kurde

ou l’arménien. Et enfin il y a une diversité entre villes et campagnes qui portent

quant à elle, les graines de conflits entre les groupes.

Mais au même titre que tous les ensembles géopolitiques, la diversité des pays

arabes est nichée dans les parcours de leur histoire, de leur tradition, du type de

colonisation qu’ils ont subi mais aussi dans la diversité des lieux d’exil de leur

population. L’émigration interarabe mais aussi vers les autres pays étant en

perpétuelle croissance : pour le Moyen-Orient, environ 20% de la population active

libanaise a émigré, entre 10 à 20% de l’égyptienne ou de la syrienne, sans parler du

cas particulier des palestiniens dont plus de la moitié est en exil. Nous pouvons aussi

parler d’une disparité économique beaucoup plus récente liée à la manne de l’or noir

et qui n’est pas sans influer sur les comportements sociaux et culturels, introduisant

une diversité dans les modes de vie, de consommation et d’expression au sein des

1 Samir Kassir.- Considérations sur le malheur arabe.- Sindbad, 2004, p46.

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pays pétroliers et entre ces pays et les autres. Dans certains pays du Golfe la

population immigrée, qu’elle soit arabe ou asiatique, représente plus de 50 % de leur

population active.

Les transferts financiers des émigrés vers leurs pays d'origine sont essentiels à la

survie de l’économie de ces pays. Ainsi, pour l'Egypte, le montant de ces transferts

équivaut aux recettes d'exportation, tandis qu'en Jordanie et au Yémen, ils

représentent plus que l'ensemble de celles-ci2. D’autre part, l’importance des moyens

financiers que certains magnats du pétrole investissent dans le domaine de la

musique ou de l’audiovisuel finissent par imposer de nouveaux modèles et exercent

une forme d’hégémonie qui s’étend du Golfe au Maghreb, supplantant les modèles

moyen-orientaux qui prévalaient jusqu’aux années 80 et véhiculées par le cinéma et

les chanteurs égyptiens ou libanais. Cette évolution a favorisé les échanges et le

métissage des expressions culturelles tout en normalisant une langue arabe

comprise par tous, grâce notamment aux médias mais aussi au brassage des

artistes qui circulent dans l’espace arabe, quand la censure étatique ne s’en mêle

pas, et qui échangent et créent avec les artistes issus de la diaspora.

Le Monde arabe a connu des périodes de cohabitation notamment sous l’empire

ottoman, qui a présenté un modèle de coexistence entre les communautés, le millet

ottoman donnant des privilèges aux minorités religieuses. Mais, après la chute de

l’empire, il y a eut une « ethnicisation » des communautés, les Maronites au Liban de

même qu’aujourd’hui les Chiites et les Kurdes en Irak. Selon Ahmad Beydoun3, le

problème est né quand les groupes ethniques ou religieux ou linguistiques ont posé

leur identité nationale comme une identité centrale sous l’influence française

d’ailleurs, mais surtout sous celle de l’unification allemande et italienne. Pour

Beydoun toujours, la diversité culturelle ne devient problème que quand elle est

posée en termes d’idéologie identitaire. La coexistence pacifique dans un

environnement de diversité culturelle est conditionnée par le démantèlement des

allégeances dues à l’oppression, quelle soit extérieure au travers d’une domination

étrangère ou intérieure par la domination d’un groupe sur les autres.

La diversité et l’Etat

2 MEDEA, Institut Européen de Recherche sur la Coopération Méditerranéenne et Euro-Arabe 3 Ahmad Beydoun.- La diversité dans le Monde Arabe, conférence donnée lors d’un séminaire de l’Unesco, Beyrouth 2005.

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Les Etats, qu’ils soient occidentaux ou arabes ont, face à la problématique de la

diversité culturelle, une attitude que l’on peut qualifier d’ambiguë. A cet égard, je

partage l’avis de Théodore Hanf4 pour qui, le danger pour la diversité culturelle ne

réside pas tant dans le phénomène de la mondialisation que dans le principe de

l’Etat territorial qui se déguise en Etat nation. La population des Etats actuels est au

9/10ème composée de groupes différents et la construction de la nation est fictive car

elle cherche à assimiler des minorités à une culture dominante. Beaucoup d’Etats ont

négligé la construction de l’Etat au profit de la construction d’une nation par une

politique d’assimilation qui peut aller d’une assimilation clémente à forcée. La forme

prépondérante des politiques culturelles, dans ce cas est celle de la culture

dominante. La société israélienne est une illustration de l’assimilation forcée, elle

pratique une démocratie ethnique où la majorité définit le caractère de la nation et de

sa culture, les autres devant s’y plier ou partir. Dans le cas de l’Europe, l’assimilation

bien que clémente n’en ai pas moins contraignante car, l’octroi de la nationalité exige

des populations maghrébines, africaines ou asiatiques de s’adapter à des cultures

dominantes qui s’avèrent, tout compte fait, profondément enracinées dans la tradition

chrétienne et si différentes des leurs. L’échec des politiques d’intégration engagées

par les pays européens, tant au niveau social, qu’économique met en exergue les

obstacles que rencontre la construction d’une nouvelle identité multiculturelle, qui,

faute d’une synthèse entraîne des frictions et des rejets des expressions culturelles

des pays d’accueil ainsi que de celles des pays dont est issu l’immigration.

L’expérience de certains Etats arabes, selon Ghassan Salamé, souvent mal

enracinés, fragilisés, en mal de légitimité démocratique, n’ayant pas réussi à se muer

en nations et à se doter de mythes particuliers nécessaires à leur cohésion sociale, a

vu trop souvent le régime en place manipuler la raison d’Etat pour se légitimer, et se

présenter comme porteur d’un mythe fondateur que ce soit l’arabisme, l’islamisme ou

autre5. Si nous nous référons à quelques critères, certes complexes d’évaluation qui

permettent de déterminer, ou de mesurer le respect de la diversité culturelle au sein

d’un pays, l’analyse pour le monde arabe risque de nous amener à conclure que

cette diversité est en danger ou tout du moins menacée.

4 Théodore Hanf.- Les minorités et la diversité culturelle.- conférence donnée lors d’un séminaire de l’Unesco, Beyrouth 2005 5 Ghassan Salamé. - Appels d’empire : ingérences et résistances à l’âge de la mondialisation. - Paris : Fayard, 1996, p98-105.

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La diversité culturelle se mesure en premier lieu à l’aune de son affirmation formelle dans les textes fondateurs que sont la Constitution, les lois d’orientation,

les programmes du gouvernement ou les plans de développement. En se

démarquant du colonisateur au lendemain des indépendances, les pays arabes ont

tenté de se construire une identité arabe collective avec comme principaux

ingrédients l’Islam et la langue arabe. Cette affirmation s’est teintée de l’ambitieuse

émergence d’une nation arabe basée sur une homogénéité supposée. Alors que

l’identité culturelle d’un pays est une construction collective dont l’évolution se fonde

sur l’intégration et l’interaction d’éléments et non par leur exclusion, les Etats sont

intervenus dans ce processus par le biais du politique en déterminant l’identité

nationale, la figeant dans le temps et enfermant les individus dans un schéma

unique, contribuant ainsi à creuser le piège de la dilution de l’identité individuelle

dans l’identité collective. L’identité d’un peuple, comme le souligne Edward Saïd pour

toute identité humaine, n’est ni naturelle ni stable mais résulte d’une construction

intellectuelle, reposant sur l’élaboration d’oppositions et de différences entre « nous »

et les autres, chaque époque et chaque société recréant ses propres autres. Et si les

colonisateurs ont élaboré un système discursif pour maintenir leur hégémonie sur

l’autre, l’identité du plus faible pourrait aussi se déterminer implicitement par rapport

au colonisateur ou en contre, dans un jeu de représentations en miroir et où le

discours sur l’autre fait partie intégrante de sa propre culture matérielle6.

Elle se mesure aussi à la capacité ou à la volonté des Etats d’appliquer ces textes

par le respect des droits culturels et de la liberté d’expression. Or le passage à l’État

moderne de ces pays, héritage de la colonisation et dont l’évolution est caractérisée

par un emboîtement malaisé avec la pratique politique de la classe dirigeante, a

connu des affres et des écueils que les dirigeants ont tenté de rectifier ou d’éviter,

sans toujours y parvenir d’ailleurs. Le culturel de ce fait est perçu comme

éminemment politique et rend encore plus complexe la détermination du champ

culturel par rapport au champ politique. La diversité culturelle souffre de l’oppression

de régimes fermés sur eux-mêmes, évoluant dans la crainte de perdre leur pouvoir et

qui, pour le sauvegarder, n’hésitent pas à s’allier aux religieux les plus dogmatiques

étouffant ainsi toute velléité d’une expression culturelle et plus particulièrement celle

6 Saïd, Edward W.- L’orientalisme : l’Orient crée par l’Occident, Paris Seuil 1997

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des minorités. Mais même quand l’Etat suit une idéologie plutôt laïque, comme dans

le cas du baasisme en Irak ou en Syrie, les minorités ne sont pas mieux loties et les

libertés fondamentales bafouées.

Elle se mesure aussi au respect de la diversité linguistique et de la culture des minorités et groupes communautaires. La conversion à la religion musulmane de la

majorité des peuples de ces pays à partir du 7ème siècle a permis à la langue arabe,

langue à connotation sacrée car langue du Coran, de supplanter toute autre langue

laissant exsangue la diversité linguistique principalement kurde et berbère mais

même syriaque et araméenne propre aux minorités chrétiennes du Moyen-Orient. La

pratique d’une multitude de langues dialectes, le plus souvent unique langue des

couches les plus défavorisées, approfondit le fossé et créé une discrimination entre

le peuple et les élites qui maîtrisent la langue littéraire. Quant aux minorités, qu’elles

soient ethniques (kurdes, arméniens, ou travailleurs émigrés) religieuses (coptes,

juifs) ou politiques (réfugiés palestiniens ou autres) elles sont étouffées,

marginalisées, leurs droits culturels niés. En Syrie plus de trois cent mille Kurdes ne

parviennent pas à obtenir des documents officiels de nationalité, en Irak la nouvelle

constitution irakienne va permettre aux Kurdes de bénéficier d’une reconnaissance

complète avec le kurde comme deuxième langue du pays. Mais il en est de même

pour les Berbères au Maroc, où la reconnaissance de leur spécificité culturelle est

chose faite maintenant avec la décision de rendre obligatoire en 2008

l’enseignement de l’amazigh. Par ailleurs, la présence d’une forte population

asiatique dans les pays du Golfe notamment, donne lieu à des discriminations et des

violations des libertés (retrait des passeports, abus sur les femmes, interdiction de

pratiques religieuses pour les non musulmans, omission du paiement des salaires).

Le racisme et le féodalisme régissent les relations de maître à esclave entre les

travailleurs émigrés asiatiques et leurs employeurs locaux dans l’impunité la plus

totale.

Au sein de l’Islam, il y a une discrimination des minorités chiites dans les pays du

Golfe, même quand elles sont majoritaires comme en Irak et à Bahreïn, où la

diversité ethnique ou religieuse recoupe des différences sociales et les conflits

sociaux sont le plus souvent travestis par le confessionnel. Exception faite du Liban

où la présence d’une importante minorité chrétienne a permis la construction d’un

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Les "Dix-huitièmes Entretiens" du Centre Jacques Cartier Lyon, 5 décembre 2005 Leila Rezk 9

Etat multiconfessionnel et dont la diversité culturelle, notamment celles des

minorités, est respectée. Mais, comme c’est aussi le cas en Jordanie et en Egypte

elles bénéficient uniquement pour le statut personnel, d’une juridiction qui relève des

autorités religieuses.

La diversité culturelle passe aussi par le respect des droits et l’égalité des chances

entre hommes et femmes. Or nous rencontrons une grande disparité quant au

statut dont bénéficient les femmes entre des pays comme la Tunisie ou le Liban et

l’Arabie Saoudite. Les femmes arabes luttent pour parvenir à s’imposer sur la scène

publique, ainsi au Koweït où elles ont fini par gagner le droit de vote et d’éligibilité en

2005, mais les femmes qui participent à la vie politique dans les pays arabes est

encore très faible, la proportion des femmes dans les parlements est de 6% en

moyenne. Certains diraient que ce taux n’est pas si mauvais, comparé à celui des

Etats-Unis ou de l’Angleterre où il n’atteint pas 10%. Mais plus grave encore, sur les

65 millions d’analphabètes que comprend l’ensemble des pays arabes, 75 % sont

des femmes. Une analyse très sérieuse des différentes raisons du déficit

démocratique dans le monde arabe, affirme que le facteur essentiel de ce déficit est

lié au statut de la femme7. L’absence ou les entraves mises à l’expression féminine,

liée aussi à la censure sociale, ampute la diversité culturelle d’une source de

créativité et d’originalité, la femme restant cantonnée aux métiers artisanaux.

Enfin, le conformisme des contenus des médias nationaux est un autre facteur de

souci pour la diversité et la démocratie, le contrôle et la censure étant le pain

quotidien des journalistes arabes, malgré le développement d’une presse interarabe

qui échappe à la censure nationale. Mais le déficit réside dans l’absence de politique

des Etats en faveur de contenus culturels avec une présentation objective de la

diversité des expressions culturelles des différentes sensibilités de la société,

qu’elles soient politiques ou culturelles d’ailleurs. La sensibilisation à la diversité

culturelle en direction des enfants n’est pas suffisamment prise en compte par les

médias et encore moins la valorisation du rôle et de la place de la femme dans la

société.

7 Fish, in World Politics 2004

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En conclusion

Malgré le constat d’une prise en compte extrêmement timide par les Etats arabes de

la diversité culturelle dans leur politique globale, ces pays ont tout de même voté à

l’unanimité le texte de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité

culturelle de l’Unesco, mais leur adhésion à ce texte est à mon sens, biaisée.

Pourquoi biaisée ? D’abord parce que cette convention n’est pas suffisamment

contraignante pour obliger les Etats parties à en respecter les clauses, pas plus qu’ils

ne respectent d’ailleurs les autres Conventions, notamment celles sur les droits de

l’homme. Puis, parce que le concept de diversité est souvent utilisé comme un mode

de revendication en faveur du respect des expressions culturelles arabes sur les

marchés internationaux et surtout comme un système d’affirmation de la voix arabe

sur la scène politique internationale. Leur approche n’englobe pas nécessairement la

diversité au sein du pays, elle peut tout aussi bien servir, dans certains cas, d’alibi

pour dénoncer et lutter contre l’invasion des produits culturels étrangers, justifiant ou

camouflant ainsi la pratique de la censure.

Je pense, que l’oppression ainsi que le manque de démocratie qui sévit dans la

plupart des pays arabes sont les menaces les plus néfastes pour le pluralisme

politique et de surcroît pour la diversité culturelle. Il faut donc espérer que l’adoption

de la Convention de l’Unesco fera prendre conscience à la société civile dans

chacun des pays arabes, du rôle qu’elle doit jouer dans la défense et le respect de

sa diversité tout autant que dans la revendication de son droit à l’accès à celle des

autres. Par ailleurs et malgré la prédominance d’un système démocratique dans les

pays occidentaux, l’approche de cette diversité y est probablement presque aussi

biaisée. Espérons aussi, que cette même Convention fera prendre conscience aux

Etats occidentaux que le respect de la diversité culturelle ne passe pas uniquement

par la défense de leurs expressions et contenus culturels face à l’hégémonie

mercantile des multinationales mais, qu’elle induit aussi la recomposition d’une

identité multiculturelle intégrant les apports des groupes sociaux et communautaires

qui composent aujourd’hui leurs pays.