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Monitorage des lésions tissulaires cérébrales : mesure de la pression tissulaire en oxygène
(PtiO2)
E Cantais 1, H Boret 2
1 Professeur agrégé du Service de Santé des Armées, 2 Assistant des Hôpitaux des Armées
Service de Réanimation, HIA Sainte Anne, Toulon
L’aggravation des lésions cérébrales après une agression vasculaire, traumatique ou
infectieuse se réalise par une lésion ischémique, qui dépasse souvent en volume (et donc en
gravité) la lésion initiale. Même si les mécanismes de cette aggravation secondaire ne sont pas
toujours élucidés, le but des cliniciens est de la dépister et d’en limiter la survenue. C’est le
but premier du monitorage intracrânien.
Le premier des monitorages reste la quantification de l’état de conscience, la réactivité à la
stimulation, bref l’examen clinique réalisé par un médecin ou un infirmier. Lorsque ces
éléments ne sont plus accessibles (du fait d’une sédation ou de la gravité des lésions), on fait
appel au monitorage global de la perfusion cérébrale, par la mesure continue de la pression
intracrânienne et de la pression artérielle, et la quantification de la pression de perfusion
cérébrale. On cherche à évaluer le débit sanguin cérébral en mesurant la saturation du sang
veineux qui sort de l’encéphale (saturation veineuse du golfe jugulaire) ou les vélocimétries
par Doppler transcrânien. Le but est le dépistage d’une ischémie cérébrale globale (ou un
débit cérébral excessif). La globalité de ces monitorages les rend fiables (une alarme est
presque toujours à considérer sans délais), mais elle les rend inaptes à dépister une souffrance
localisée. Aussi, si ces monitorages globaux participent probablement à la survie des patients,
ils n’autorisent pas le dépistage et donc le traitement de souffrances limitées, qui alourdissent
probablement le pronostic fonctionnel.
Deux techniques sont disponibles pour réaliser un monitorage local : mesure de la pression
tissulaire en oxygène(PtiO2), et mesure de paramètres biochimiques dans le milieu interstitiel
par microdialyse. Il s’agit de monitorages invasifs, et leur interprétation est en premier lieu
soumise à leur lieu d’implantation, puisque l’un comme l’autre vont investiguer des volumes
tissulaires très petits (quelques millimètres cubes autour du capteur). A l’heure actuelle deux
capteurs de pression tissulaire sont disponibles pour un usage clinique, la mesure de la PtiO2 et
de la température par le dispositif LICOX (GMS), et la mesure de la PtiO2, PtiCO2 et du pH
par le dispositif NEUROTREND (CODMAN).
Nous envisagerons successivement les techniques et la réalisation du monitorage et les
valeurs normales, puis les relations entre l’autorégulation cérébrale et la PtiO2, les relations
que l’on observe entre la PtiO2 et la PaO2 enfin l’utilisation de ce monitorage dans différentes
circonstances cliniques.
PtiO2, réalisation pratique
Les deux dispositifs de mesure de la pression tissulaire en oxygène font appel à une électrode
de Clark miniaturisée (4 et 7 mm de long), électrode polarographique. Elles ont un temps de
réponse relativement long, donné à 90 secondes par le fabricant pour le NEUROTREND,
probablement du même ordre avec le LICOX.
Le dispositif LICOX
Le kit de monitorage comprend un dispositif à visser (bolt ), après réalisation d’un trou dans
le crâne. La fibre de mesure est insérée dans le bolt, à une profondeur d’insertion fixe
correspondant à la partie externe de la substance blanche. La fibre de mesure est fournie avec
une carte d’étalonnage à insérer dans le boîtier de monitorage (propre à chaque fibre). Un
cordon électrique joint la fibre au boîtier. La mesure est disponible après quelques minutes
de stabilisation du signal. Ce dispositif est conçu pour être mis en œuvre en même temps
qu’une mesure de pression intracrânienne, par la même voie d’abord. Le prix du
consommable est de l’ordre de 180 euros. La durée de péremption de la fibre est assez courte
(quelques semaines).
Le dispositif neurotrend
Le dispositif à insérer est plus complexe, du fait de la présence des trois capteurs (pH, PCO2,
PO2). La procédure de mise en place comprend également la mise en place d’un « bolt », puis
un étalonnage assez long des électrodes avant l’insertion. Plusieurs auteurs évoquent des
difficultés de calibration rendant compte de valeurs erronées pour les valeurs basses de PtiO2.
La comparaison avec la mesure de la pression partielle d’oxygène capillaire par PET scan ne
trouve pas une bonne corrélation entre les deux mesures (1). Le prix d’un kit est de l’ordre de
950 euros. Le moniteur permet une étude des tendances des trois paramètres.
Valeurs normales, seuil d’ischémie
Les valeurs normales de PtiO2 sont connues chez l’animal anesthésié, et sont de 28 à 42
mmHg selon le capteur employé. Le NEUROTREND donne des valeurs plus élevées de 10
mmHg environ(2) que le LICOX. Les valeurs normales chez l’homme sont également de 30 à
35 mmHg(3).
Le seuil ischémique est diversement apprécié, autour de 15 mmHg pour le NEUROTREND et
de 10 mmHg pour le LICOX. Plusieurs approches ont permis de le déterminer. Une étude a
déterminé ce seuil avec comme référence les épisodes de désaturation veineuse jugulaire (4).
La valeur pronostique d’épisodes de diminution de la PtiO2 a également été déterminée, le
pronostic étant dégradé après traumatisme crânien par la survenue d’épisodes à moins de 5
mmHg de PtiO2(5). D’autres études ont mesuré simultanément la biochimie locale
(concentration en lactates) par microdialyse et la PtiO2. L’ischémie définie ainsi par une
augmentation de la concentration de lactates correspond à une PtiO2 en dessous de 23 mmHg
(6). D’autres études enfin ont utilisé une évaluation de la perfusion cérébrale (mesure du débit
cérébral (7) ou mesure des vélocités par Doppler transcrânien (8)), et ont retrouvé les mêmes
seuils : la PtiO2 est maintenue en plateau vers 25 mmHg, lorsque la pression de perfusion
cérébrale est normale. Elle diminue en dessous du seuil d’autorégulation.
Auto-régulation cérébrale et PtiO2
La circulation cérébrale normale a la propriété de maintenir le débit sanguin cérébral stable
pour des valeurs de pression de perfusion cérébrale étendues. Cette autorégulation du débit est
le fait d’une modification du diamètre des petites artères, avec un temps de réponse court (5
secondes). Un effet de cette autorégulation cérébrale est le maintien constant de la PtiO2,
indépendamment de la pression de perfusion cérébrale (PPC), dans la plage de normalité. En
dessous d’un certain seuil, la PtiO2 devient dépendante de la PPC. Ces phénomènes sont bien
décrits en expérimentation animale, et aussi par des essais cliniques. La PtiO2 est constante
pour des valeurs de 30 à 70 ml/100g/min de débit sanguin cérébral (7), ou pour des valeurs de
PPC entre 60 et 90 mmHg (8).
A contrario, si la zone monitorée présente une autorégulation perturbée, la PtiO2 varie avec la
PPC. De telles perturbations sont connues à la phase initiale du traumatisme crânien. L’étude
des variations de la PtiO2 selon la PPC ou selon les vélocimétries des artères de la base du
crâne (par Doppler transcrânien) peuvent donc vérifier la présence ou l’absence de cette
autorégulation cérébrale. Une zone non lésée présente un plateau de PtiO2 pour des variations
de la PPC au dessus du seuil (60 mmHg pour (4) ), et une zone lésée montre une variation de
la PtiO2 selon la PPC (9).
Un index dérivé des variations de la PtiO2 en fonction de la PPC est ainsi proposé pour
apprécier la présence ou l’altération de l’autorégulation cérébrale du débit sanguin. Le COR
(CPP Oxygen Reactivity, (10)) est le résultat des variations de PtiO2 (en pourcentage) divisé
par les variations de PPC (en pourcentage). Les valeurs au dessus de 1 suggèrent une
autorégulation altérée. Cet index a été corrélé avec un mode d’évaluation admis de
l’autorégulation cérébrale, utilisant les vélocités et la pression artérielle (8). Il semble donc
rendre compte de l’altération de l’autorégulation de façon assez robuste.
En pratique, à PaO2 constante, une variation de la PtiO2 selon la PPC rend compte d’une
absence d’autorégulation dans la zone monitorée (1 à 3 mm3 autour du capteur).
PaO2 et PtiO2
Un des aspects surprenants du monitorage de la PtiO2 est la possibilité d’obtenir une
augmentation spectaculaire de sa valeur en augmentant la FiO2, et ce sans changement
important de la SaO2. Cela signifie qu’une augmentation de la PaO2 est suivie d’une
augmentation de la PtiO2, alors que nos notions de physiologie nous enseignent que la fraction
dissoute est négligeable, et ne représente que quelques % de l’oxygène transporté. Cette
réactivité de la PtiO2 à l’augmentation de la PaO2 est quantifiée par la « réactivité à
l’oxygène », correspondant aux variations en pourcentage de la PtiO2 divisée par les variations
de PaO2. On obtient une grandeur entre 0,4 et 2 (5).
Cette réactivité à l’oxygène a une valeur pronostique. Elle est élevée lorsque le pronostic est
mauvais (7). Cela signifie probablement que dans les zones où l’autorégulation est préservée
(zones moins lésées), la régulation maintient la PtiO2 à ses valeurs physiologiques. On note
d’ailleurs une diminution du débit sanguin cérébral lorsqu’on augmente la PaO2 (7).
L’augmentation de la PtiO2 dans les zones lésées a toutefois un effet favorable sur le
métabolisme oxydatif (11).
Une explication proposée pour l’importance de la fraction dissoute est la notion qu’ une forte
proportion (10 à 20%) des capillaires cérébraux sont vides d’hématies à un instant donné (12),
donc perfusés seulement par le plasma et oxygénés par la seule fraction dissoute. Son
importance physiologique dépasserait donc sa proportion brute dans l’oxygène transporté par
le sang total .
En résumé, on s’attend à une vasoconstriction cérébrale, à une diminution du débit sanguin
cérébral et à de faibles variations de la PtiO2 après augmentation de la PaO2 si la régulation
cérébrale est intacte, et on observe le contraire dans les zones probablement lésées par le
traumatisme crânien (élévation de la PtiO2 à l’augmentation de la FiO2, peu de modifications
du débit).
PtiO2 dans différentes circonstances cliniques
PtiO2 et traumatisme crânien grave
Les valeurs de PtiO2 mesurées après traumatisme crânien grave, en zone péri lésionnelles ou
en zone non lésée, ont une valeur pronostique, et une mesure inférieure à 10 est considérée
comme critique. L’évolution naturelle de la PtiO2 dans les zones péri lésionnelles débute par
des valeurs très basses dans les premières 24 heures, puis se stabilise à des valeurs proches de
la normale dans les jours suivants.
Les modifications de PPC et la mesure simultanée de la PtiO2 peuvent évaluer l’autorégulation
cérébrale dans la zone monitorée. Une PtiO2 constante signe une autorégulation préservée, une
PtiO2 qui augmente à l’augmentation de la PPC traduit le contraire.
L’augmentation de la FiO2 et de la PaO2 se traduit par une augmentation de la PtiO2 dans les
zones lésées, et a un effet favorable sur le métabolisme oxydatif local.
PtiO2 et hémorragie méningée
Les patients victimes d’une hémorragie méningée grave sont aussi exposés à des
détériorations secondaires, et à des épisodes d’ischémie focale, par hypertension
intracrânienne ou par vasospasme. Aussi, le même monitorage multiparamétrique incluant la
mesure de la PtiO2 a été utilisé pour dépister de tels événements. La diminution de la PtiO2
peut alerter sur une complication intracrânienne avant l’élévation de la pression intracrânienne
(13). Une augmentation de la PtiO2 après angioplastie endoluminale pour traiter un
vasospasme est également décrite (14).
Néanmoins, une étude prospective descriptive ne retrouve qu’une faible corrélation entre des
épisodes de basse PtiO2 et le pronostic chez des patients après hémorragie méningée grave
(15).
PtiO2 et accidents vasculaires cérébraux ischémiques
Peu de travaux sont consacrés à la PtiO2 après accident vasculaire cérébral. Toutefois, il existe
une étude prospective évaluant l’évolution des ACV sylviens vers une hypertension
intracrânienne (AVC sylviens malins). La mesure de la PtiO2 dans une zone adjacente à
l’ischémie montre une diminution de sa valeur avant la dégradation clinique, et peut donc
alarmer précocement et faire discuter pour les auteurs une craniectomie décompressive (16,
17).
Conclusion
La mesure continue de la PtiO2 est une technique simple à mettre en œuvre, utilisant la même
voie d’abord que la mesure de la pression intracrânienne. Le seuil ischémique est connu,
autour de 15 mmHg. Des valeurs très basses doivent logiquement déclencher des mesures
correctrices, et ont une valeur pronostique péjorative. L’étude de son évolution au cours des
modifications de PPC ou de PaO2 sont informatives sur l’état de l’autorégulation cérébrale
dans la zone monitorée.
Dans les premières heures après traumatisme crânien grave, l’élévation de la FiO2 pour
corriger une valeur basse de PtiO2 est une option thérapeutique à considérer.
Il s’agit d’un monitorage local, et son interprétation doit ne concerner que la zone monitorée.
La place de ce monitorage dans la prise en charge des hémorragies méningées et des accidents
vasculaires cérébraux doit être évaluée.
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