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I DOSSIER I 14 I ÉCONOMIE et MANAGEMENT I n° 137 I Octobre 2010 I I LE RENOUVEAU DE LA VENTE I NÉGOCIATION COMMERCIALE , FONDEMENTS ET PERSPECTIVES La négociation est une pratique quotidienne mais c'est un champ de recherche encore peu développé en France, à la différence des États-Unis. Dans cet article, les auteurs exposent les différents courants de la négociation commerciale à l’heure actuelle, ils analysent ses perspectives théoriques et ses effets pratiques dans la vie des entreprises. L a négociation s’invite dans la vie de tous les jours. Le monde s’installant de plus en plus dans des modalités relationnelles fondées sur le contrat, la capacité de négocier devient indispensable. Si les champs de la négociation diplomatique, de la négociation de crise, voire de la négociation sociale ont su mobiliser de nombreux chercheurs et exercent une forte attractivité sur les jeunes diplômés, la négocia- tion commerciale reste le parent pauvre de ce champ, bien que levier indispensable de la per- formance dans le monde marchand. La négociation commerciale, n’ayant jamais conquis ses quartiers de noblesse, est restée longuement reléguée au rayon de la transmis- sion de type folklorique (Barth, 2004). Il est donc urgent et important de « penser » la négocia- tion commerciale. Les enjeux sont multiples : développer la performance commerciale des entreprises et des organisations, mieux anticiper et piloter les évolutions qu’elle connaît et va connaître, mieux former les commerciaux à sa pratique. La négociation commerciale s’inscrit bien évidemment dans le vaste champ de la négocia- tion, déjà très peu étudié en France (contraire- ment aux États-Unis où elle constitue un champ de recherche légitime et reconnu). Nous allons voir qu’elle présente des spécificités remar- quables et nous identifierons les évolutions en marche à l’heure actuelle. LES COURANTS DE RECHERCHE EN NÉGOCIATION Définition La négociation est l’un des divers modes de décision ouverts aux acteurs face aux problèmes qu’ils envisagent de surmonter, avec l’affronte- ment, l’évitement, le consensus, la voie hiérar- chique, et le recours à la loi ou à l’adjudication (Zartman, 1976). Parmi les définitions de la négociation, on peut distinguer celles qui s’efforcent de mettre en évidence, d’une part les composantes de la négociation, d’autre part la finalité ou les processus impliqués dans le phénomène (résul- tats et manières d’y parvenir). Concernant les composantes de la négocia- tion, la variété des situations rend la recherche de composantes communes difficile. La défini- tion de Rubin et Brown (1975), devenue clas- sique, retient les traits suivants : – au moins deux parties sont impliquées qui présentent un conflit d’intérêts par rapport à une ou plusieurs questions ; – les parties sont, au moins temporairement, liées par un type particulier de relation volon- taire. La négociation est donc une activité humaine relationnelle, liant deux acteurs interdépendants face à des divergences, et dans laquelle les parties peuvent s’engager dans une recherche mutuelle « d’arrange- ment » ou « d’accord » ; – la relation de négociation est une activité de répartition ou d’échange de ressources spécifiques, ou de résolution de problèmes entre les parties, concernant les négociateurs eux-mêmes (négociation en nom propre) ou ceux qu’ils représentent (négociation pour un mandant) ; – l’activité implique généralement la présen- tation de requêtes ou propositions par une partie, l’évaluation de celles-ci par l’autre, suivie de concessions et de contre-proposi- tions. C’est une activité séquentielle plutôt que simultanée. Auteurs Isabelle Barth* et Lionel Bobot** * Professeur des universités de sciences de gestion directrice de la recherche EM Strasbourg directrice de HuManiS Humans and Management in Society (EA 1347). ** Professeur à Négocia (CCIP).

NÉGOCIATION COMMERCIALE FONDEMENTS ET … · la négociation, d’autre part la finalité ou les processus impliqués dans le phénomène (résul-tats et manières d’y parvenir)

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I DOSSIER I14

I ÉcOnOmIE et managEmEnt I n° 137 I Octobre 2010 I

I le renouveau de la vente I

• NÉGOCIATION COMMERCIALE, FONDEMENTS ET PERSPECTIVES

La négociation est une pratique quotidienne mais c'est un champ de recherche encore peu développé en France, à la différence des États-Unis. Dans cet article, les auteurs exposent les différents courants de la négociation commerciale à l’heure actuelle, ils analysent ses perspectives théoriques et ses effets pratiques dans la vie des entreprises.

La négociation s’invite dans la vie de tous les jours. Le monde s’installant de plus en

plus dans des modalités relationnelles fondées sur le contrat, la capacité de négocier devient indispensable. Si les champs de la négociation diplomatique, de la négociation de crise, voire de la négociation sociale ont su mobiliser de nombreux chercheurs et exercent une forte attractivité sur les jeunes diplômés, la négocia-tion commerciale reste le parent pauvre de ce champ, bien que levier indispensable de la per-formance dans le monde marchand.

La négociation commerciale, n’ayant jamais conquis ses quartiers de noblesse, est restée longuement reléguée au rayon de la transmis-sion de type folklorique (Barth, 2004). Il est donc urgent et important de « penser » la négocia-tion commerciale. Les enjeux sont multiples : développer la performance commerciale des entreprises et des organisations, mieux anticiper et piloter les évolutions qu’elle connaît et va connaître, mieux former les commerciaux à sa pratique.

La négociation commerciale s’inscrit bien évidemment dans le vaste champ de la négocia-tion, déjà très peu étudié en France (contraire-ment aux États-Unis où elle constitue un champ de recherche légitime et reconnu). Nous allons voir qu’elle présente des spécificités remar-quables et nous identifierons les évolutions en marche à l’heure actuelle.

LES cOuRantS DE REchERchE En nÉgOcIatIOn

Définition

La négociation est l’un des divers modes de décision ouverts aux acteurs face aux problèmes qu’ils envisagent de surmonter, avec l’affronte-ment, l’évitement, le consensus, la voie hiérar-chique, et le recours à la loi ou à l’adjudication (Zartman, 1976).

Parmi les définitions de la négociation, on peut distinguer celles qui s’efforcent de mettre en évidence, d’une part les composantes de la négociation, d’autre part la finalité ou les processus impliqués dans le phénomène (résul-tats et manières d’y parvenir).

Concernant les composantes de la négocia-tion, la variété des situations rend la recherche de composantes communes difficile. La défini-tion de Rubin et Brown (1975), devenue clas-sique, retient les traits suivants :– au moins deux parties sont impliquées qui

présentent un conflit d’intérêts par rapport à une ou plusieurs questions ;

– les parties sont, au moins temporairement, liées par un type particulier de relation volon-taire. La négociation est donc une activité humaine relationnelle, liant deux acteurs interdépendants face à des divergences, et dans laquelle les parties peuvent s’engager dans une recherche mutuelle « d’arrange-ment » ou « d’accord » ;

– la relation de négociation est une activité de répartition ou d’échange de ressources spécifiques, ou de résolution de problèmes entre les parties, concernant les négociateurs eux-mêmes (négociation en nom propre) ou ceux qu’ils représentent (négociation pour un mandant) ;

– l’activité implique généralement la présen-tation de requêtes ou propositions par une partie, l’évaluation de celles-ci par l’autre, suivie de concessions et de contre-proposi-tions. C’est une activité séquentielle plutôt que simultanée.

Auteurs Isabelle Barth* et Lionel Bobot**

* Professeur des universités de sciences de gestion directrice de la recherche EM Strasbourg directrice de HuManiS Humans and Management in Society (EA 1347).

** Professeur à Négocia (CCIP).

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Les différents courants théoriques

Le champ scientifique de la négociation est large car il emprunte à des domaines très divers, depuis la psychologie et la théorie des jeux jusqu’aux sciences juridiques et politi-ques (Usunier, 2004) ainsi qu’à la sociologie.

Les paradigmes « anglo-saxons » de la négociation sont la théorie des jeux (Nash, 1950), l’analyse de décisions (Raiffa, 1982) et la psychologie cognitive et sociale (Tversky et Kahneman, 1981). À cela s’ajoute selon Lempereur (2006) les paradigmes « continen-taux » avec l’anthropologie culturelle (Faure et Rubin, 1993), la rhétorique, l’argumenta-tion (Perelman et Olbrechts-Tyteca, 1958), la sociologie et la science politique (De Callières, 1716 ; Lempereur, 2004) et le droit (Mnookin et al., 2000).

On identifie plusieurs écoles (Zartman, 1976) :– l’école de la description historique (carac-

térisée par la recherche de faits ou d’indica-teurs pertinents) de laquelle se rapprochent les écoles de l’étude analytique se concen-trant sur des moments et des aspects cruciaux de la négociation comme le pouvoir et les menaces : Schelling (1960) et de la recherche analogique (avec l’examen de « cas parallèles ») ;

– l’école de l’analyse en termes de structures de problèmes, de motivations ou de buts, école particulièrement importante en raison des travaux majeurs tels que ceux de Walton et McKersie (1965) ;

– la théorie des jeux s’inspirant de la contri-bution de Nash (1950), en particulier, à laquelle s’apparente l’école stratégique (pour qui la détermination du résultat est essentiellement déterminée par la struc-turation des utilités et l’éventail des choix stratégiques tel que fixé par la théorie des jeux, sur la base des hypothèses de cette discipline) ;

– l’école mettant l’accent sur les types de personnalité (Deutsch, 1973) ;

– l’école étudiant les comportements effi-caces (de caractère descriptif ou prescriptif) ; (Karrass, 1970) ;

– l’école des processus qui considère la négo-ciation comme une série de manœuvres et de défis dans laquelle les demandes et les offres, les concessions, les tactiques constituent autant de réponses et d’interac-tions face à la nécessité de réduire l’écart entre les positions respectives (plutôt que de tendre – comme le voudrait la théorie fondée sur les jeux – vers des solutions opti-males saillantes) (Zartman, 1976) ;

– enfin, l’école de l’expérimentation des rôles par la simulation ou laboratoire (Siegel et Fouraker, 1960).

La nÉgOcIatIOn cOmmERcIaLE : unE nÉgOcIatIOn bIEn SpÉcIfIquE

Définition

une inscription dans le cadre de la négociation

La négociation commerciale émerge en France avec l’ouvrage de Christophe Dupont La négo-ciation. Conduite, théorie, application en 1982, qui l’inscrit dans le champ général de la négociation. Pour Christophe Dupont, « la négo-ciation commerciale couvre un champ étendu : elle concerne l’ensemble des démarches visant à conclure, immédiatement ou pour l’avenir, un marché liant deux ou plusieurs parties ».

Il élargit la question de la négociation commerciale vers la négociation « d’affaires » définie comme mettant en œuvre une oppor-tunité pour la partie qui s’y engage de réaliser un objectif grâce à la rencontre, fortuite ou provoquée, de son intérêt propre et de l’in-térêt d’un tiers. Cette approche positionne alors la réflexion sur le créneau des négociations commerciales à fort enjeu, tant économique que stratégique, ce qui limite son intérêt en termes d’impli-cation et de champ d’analyse.

Nous proposons de définir la négo-ciation commerciale comme « des échanges itératifs de flux informa-tionnels entre des parties, en vue de l’échange d’un flux produit-service contre un flux financier », sachant que, dans le cadre de plus en plus fréquent d’un paiement dématérialisé, le flux financier s’inscrit dans le flux informationnel, qui devient alors la seule contrepartie au produit-service négocié.

Au-delà de la marchandise objet de la négo-ciation (produit, service, plainte…) c’est la valeur produite par l’interaction négociatoire (Tannen-baum et Schmidt, 1958) qui va finalement être ce qu’il y a de plus important, et qui s’évalue plus à l’aune du ressenti des personnes que de façon purement objective. Ainsi le lien (Cova, 1995) qui s’est créé entre les parties pendant la négociation, la sympathie (Smith, 1999) qui articule les échanges et la coopération (Perroux, 1973) qui accompagne dans un mouvement dialectique le conflit, sont ce qu’il y a finalement de plus important, et de loin, dans la valeur accordée à une négociation.

La distinction vente / négociation commerciale

La vente et la négociation sont restées très longtemps des concepts différenciés ; vendre était directement lié à une transaction commer-ciale alors que la négociation restait l’apanage, soit des diplomates, soit des managers pour les

La négociation concerne l’ensemble des démarches visant à conclure, immédiatement ou pour l’avenir, un marché liant deux ou plusieurs parties

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relations sociales (Audebert-Lasrochas, 2002) : « Vendre consiste à faire se convaincre un inter-locuteur – le client – que le produit ou le service proposé répond le mieux à ses besoins ; négocier consiste à analyser ensemble une situation où existe un intérêt commun de fait bien que les intérêts de chaque partie semblent opposés et que chaque partie cherche à vendre quelque chose à l’autre, afin de parvenir à un accord satisfaisant de part et d’autre. »

De facto, la vente est un moment privilégié de la négociation et la négociation précède la vente. La vente est l’aboutissement de la négociation.

La distinction a été faite de façon fort inté-ressante par le grand linguiste Benveniste (1969) dans sa somme d’étymologie comparée : « L’achat et le paiement sont deux opérations différentes, au moins deux moments diffé-rents de la même opération dans les civilisations anciennes et encore dans certaines civilisations traditionnelles d’aujourd’hui : le paiement suit la conclusion de l’achat et l’accord sur le prix. »

Les ingrédients de la négociation commerciale

Comme toutes négociations, la négocia-tion commerciale a pour objectif la recherche d’une solution, d’un compromis, d’une position commune, d’un accord, de la recherche de gain et de satisfaction. Pourtant, la vision classique d’une négociation commerciale à somme nulle (avec un perdant et un gagnant) reste profon-dément ancrée dans les représentations. C’est ignorer tous les enjeux d’autre nature qui se mobilisent : plaisir de la négociation, évaluation subjective du gain, rôle psychanalytique du prix. C’est méconnaître la négociation commerciale que de penser que l’évaluation de sa valeur se limite à celle de la valeur financière.

La deuxième caractéristique de la négocia-tion commerciale est la notion de projet. La négociation commerciale même la plus courte, la plus ténue, ne se déroule pas à l’insu des parties prenantes, le dessein stratégique est toujours présent, même dans une version faible

qu’on pourrait assimiler à une visée tactique (cas des micros négociations de la vie courante).

La négociation commerciale exige la présence d’échanges, d’entre-tiens, de face à face, d’interactions. Comme les autres types de négocia-tion, la négociation commerciale est

fondée sur l’interaction, la construction dialo-gique de sens entre les parties prenantes. Elle évolue également vers d’autres types de support comme le téléphone et surtout Internet qui désynchronise ces échanges et les vide de toute incarnation.

Ce processus itératif se construit sur des conces-sions, des compromis, voire des arrangements,

et des marchandages. La littérature a d’ailleurs souvent réduit la négociation commerciale à cette notion de bargaining (marchandage), ce qui peut expliquer aussi le faible intérêt qu’elle suscite.

Pour que la négociation commerciale ou la vente puisse avoir lieu, il faut admettre l’interdé-pendance des parties. Le ciment est la confiance, même a minima, celle qui permet d’instaurer un dialogue suffisant pour parler de cette voie alter-native à l’autorité et à la règle qu’est la négocia-tion. En commerce, comme en diplomatie, c’est la convergence maximale qui est visée.

Enfin, des moyens peuvent être mis en place pour permettre et faciliter la négociation : le mandat comme pour toutes les forces de vente (le cadre théorique le plus fréquemment mobi-lisé est la théorie de l’agence) ; la délégation, selon un principe de subsidiarité très fréquent en entreprise soucieuse de performance ; les procédures et les règles (Thuderoz, 2000) qui cadrent la négociation commerciale et lui permettent de se dérouler dans des conditions optimales, au minimum équitable et sûre, pour toutes les parties.

Ce qui distingue véritablement la négociation commerciale des autres négociations diplomati-ques ou sociales, c’est que son succès est imman-quablement lié à la rupture des parties prenantes qui vont se quitter une fois « l’affaire conclue », et potentiellement ne jamais se revoir ; là où les autres négociations ont pour projet d’entretenir le lien au-delà même de l’accord conclu.

pERSpEctIvES OuvERtES à La nÉgOcIatIOn cOmmERcIaLE

La négociation commerciale renforcée notam-ment par l’apport du marketing relationnel et de l’expérientiel et réinscrite dans le cadre théo-rique de la négociation, peut alors s’ouvrir vers des perspectives de développement.

Les négociations multipartites

Ces dernières années les recherches en négo-ciation se sont concentrées sur les négocia-tions multipartites et la complexité générée. Comparées aux négociations bilatérales, les négociations multilatérales1 présentent des phénomènes très complexes (Lewicki et al., 2006). Par la complexification des négociations et l’émergence de nombreux acteurs, la mise en place d’alliances et de coalitions est néces-saire. L’alliance stratégique permet de partager les ressources et constitue ainsi un moyen de développement privilégié pour les entreprises

En commerce, comme en diplomatie,

c’est la convergence maximale

qui est visée

1. La négociation multilatérale se distingue de la négociation bilatérale (Devine, 1990) car des coalitions se forment inévitablement ; les négociateurs tendent à simplifier les problèmes ; les parties prennent différents rôles comme le « leader », « le médiateur », ou le « bloqueur ».

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et les organisations. Or, le développement des alliances est l’un des phénomènes essentiels qui a bouleversé l’environnement des entreprises au cours de la dernière décennie (Dussauge, Garrette et Mitchell, 2000) et des perspectives de travaux sur les négociations commerciales multilatérales s’ouvrent.

négociation commerciale et réseaux

Alors qu’il devait auparavant créer les rela-tions commerciales de l’entreprise, le négo-ciateur d’affaires doit à présent être une interface complète, dans un processus rela-tionnel composé d’étapes multiples réparties sur le long terme (Brassier et Lecoutre, 2007). Lien privilégié entre l’organisation et son marché, il construit des partenariats durablement et mutuellement profitables. C’est encore plus vrai dans le cas de négociateurs d’affaires interna-tionaux : la mondialisation en fait des pivots entre l’entreprise et ses grands clients (Wilson et Millman, 2003). Du fait d’une concurrence accrue, des marchés mondialisés, où jouent des acteurs moins nombreux mais plus importants, la valeur des échanges commerciaux peut être maximisée grâce aux partenariats.

Plus généralement, l’intelligence économique2 apporte des réflexions nouvelles pour la négo-ciation commerciale (Bobot, 2008) que ce soit dans la préparation à la négociation (recherche d’informations, cartographies, lobbying…) ou dans sa conduite (lobbying, réseaux…).

négociation commerciale dans l’infra-ordinaire

C’est entrer dans le champ ouvert par Kerbrat-Orecchioni (1992, 1994) ou Traverso (2001), celui des négociations commerciales infra-ordi-naires. L’infra-ordinaire, le quotidien scandent nos vies et reste très importants dans tous les phénomènes de consommation, même s’ils sont quelque peu négligés par la recherche. De plus, malgré l’enjeu de l’hyperconsommation et les changements de paradigmes (de l’acte d’achat à la consommation d’expérience), les achats les plus courants, les plus minuscules, se révèlent d’une complexité infinie et sont riches d’en-seignements (Barth, Anteblian, 2010). Mieux comprendre leur fonctionnement donnerait certainement la possibilité à de nombreuses entreprises de mieux investir dans la formation à la négociation commerciale de leurs forces de vente ou personnels au contact, pour la plus grande satisfaction des salariés, comme des clients ou des usagers. Cette double améliora-tion permettrait d’augmenter l’attractivité des métiers de la vente qui souffrent d’un profond déficit de projets professionnels, et de garantir une meilleure image de l’entreprise comme de la fidélité des clients.

négociation commerciale et tIc

Avec l’avènement d’Internet et des nouvelles technologies de l’information, la négociation évolue aussi vers de la « e-négociation ».

Les technologies de l’information et de la communication sont aujourd’hui des outils majeurs pour la construction de la compétitivité. Elles sont un atout qui remplace dans la circula-tion rapide de l’information, l’élabo-ration collective de plans d’actions et de nouvelles façons de faire, la coor-dination de l’action, la mémorisation et la capitalisation des expériences, l’accès rapide à des connaissances très diverses, l’ouverture de nouveaux services à la clientèle.

Plateformes d’achats, enchères inversées, places de marché se déve-loppent rapidement et transforment la relation et la négociation dans le domaine des affaires (Bobot, 2008).

cOncLuSIOn

Plutôt que de persister à assimiler la négocia-tion commerciale à un ensemble de tactiques et de techniques, transmises de façon folklorique, sans aucun corpus théorique, il serait temps de mobiliser le champ de l’expérientiel pour pointer la valeur qu’elle peut avoir pour les parties prenantes, bien au-delà du résultat brut de la seule transaction.

De nombreuses négociations commerciales sont courtes voire même minuscules, quasi-inexistantes, sur des bases infra-ordinaires, et pourtant – vues par le prisme de l’expérience – elles comportent en germe, de façon miniatu-risée et non amputée, tous les ingrédients d’une négociation politique de la plus grande impor-tance.

Si l’on admet ce prisme, la négociation commerciale peut alors s’approprier tous les derniers apports de la recherche en gestion et, dans un mouvement contraire lui apporter la possibilité de liberté immense que donne la rupture du lien tissé dans la relation d’in-terdépendance inhérente à toute situation de négociation. •

2. Henri Martre (1994) définit l’intelligence économique comme étant : « … L’ensemble des actions coordonnées de recherche, de traitement et de distribution en vue de son exploitation, de l’information utile aux acteurs économiques. Ces diverses actions sont menées légalement avec toutes les garanties de protection nécessaires à la préservation du patrimoine de l’entreprise, dans les meilleures conditions de qualité, de délais et de coûts. »

Avec l’avènement d’Internet et des nouvelles technologies de l’information, la négociation évolue aussi vers de la « e-négociation »

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