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N otions de base en lexicologie ALAIN POLGUÈRE Août 2001 Observatoire de Linguistique Sens-Texte (OLST) Département de linguistique et de traduction Université de Montréal Montréal (Québec) — Canada

Notions de Bas en Lexicologie

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  • N

    otions de base en lexicologie

    ALAIN POLGURE

    Aot 2001

    Observatoire de Linguistique Sens-Texte (OLST)Dpartement de linguistique et de traductionUniversit de MontralMontral (Qubec) Canada

  • Alain Polgure, 2000, 2001Observatoire de Linguistique Sens-Texte

    http://www.fas.umontreal.ca/ling/olst

  • i

    Table des matires

    Table des matires i

    Avant-propos 1

    Leon 1 Quelques notions prliminaires 3

    Objectifs du cours 3La langue : objet dtude de la linguistique 4

    Dfinition de la notion de langue 4Langue

    vs

    langage

    vs

    parole 5De quoi est constitue la langue ? 7

    Lexique et grammaire 7Niveaux de fonctionnement de la langue 7

    Difficult de ltude linguistique 8Limitations du cours 8Lectures 9

    Lecture requise 9Lecture suggre 9

    Exercices 10

    Leon 2 Le signe linguistique 11

    Signe et smiotique 12Dfinition du signe 12La science des signes 13

    Types de rapports forme-contenu dans les signes 13Le signe linguistique selon Ferdinand de Saussure 15

    Les deux composantes du signe linguistique 16Caractre arbitraire du signe linguistique 16Caractre fig du signe linguistique 17

  • ii

    Table des matires

    Caractre volutif du signe linguistique 17Caractre linaire du signe linguistique 18

    Types de signes linguistiques 18Signe lexical

    vs

    grammatical 18Signe lmentaire

    vs

    complexe 19Proprits de combinatoire des signes linguistiques 20Lectures 21

    Lectures requises 21Lectures suggres 22

    Exercices 22

    Leon 3 La lexicologie 25

    Mot, mot-forme et lexie 26Le mot-forme 27La lexie 29

    Les locutions 30Regroupement des lexies en vocables 33tude des lexies et tude de la smantique des langues 34Remarques sur la terminologie et les conventions dcriture 35Lecture suggre 36Exercices 36

    Leon 4 lments de morphologie 37

    Signe morphologique lmentaire 38Radical 39Flexion 40

    Dfinition de la flexion 40Remarque sur les signes zro 40

    Drivation 41Dfinition de la drivation 41Types de liens drivationnels 42Drivation synchronique

    vs

    drivation diachronique 43Composition 44Lectures 45

    Lecture requise 45Lecture suggre 45

    Exercices 46

  • Table des matires

    iii

    Leon 5 Structure du lexique 47

    Lexique

    vs

    vocabulaire 48La notion de lexique 48La notion de vocabulaire 49Remarque sur la dfinition des notions scientifiques 51

    Les parties du discours 51Classes ouvertes de lexies 52Classes fermes de lexies 52Mots grammaticaux

    vs

    mots lexicaux 53Nature grammaticale des parties du discours 54

    Liens entre lexies : le rseau lexical de la langue 55Frquence demploi et autres phnomnes statistiques 56Lectures 58

    Lecture requise 58Lecture suggre 58

    Exercices 58

    Leon 6 Le sens linguistique 61

    Dfinition du sens linguistique 62Le rfrent 64Le sens logique (ou valeur de vrit) 66Le sens et son rapport au monde 67Sens lexical

    vs

    grammatical 68Prdicat smantique

    vs

    objet smantique 69Importante mise en garde sur la notion dargument 70Rseau (ou graphe) smantique 71Lectures 72

    Lecture requise 72Lecture suggre 72

    Exercices 72

    Leon 7 Relations smantiques lexicales 75

    Les sens lexicaux vus comme des ensembles 76Cinq relations smantiques lexicales privilgies 77

    Hyperonymie et hyponymie 77Synonymie 79Antonymie 81Conversivit 82

  • iv

    Table des matires

    Deux phnomnes lis aux relations de sens 83Homonymie 83Polysmie 84

    Lecture requise 85Exercices 86

    Leon 8 Modlisation des relations lexicales 87

    La notion de fonction lexicale 87Les collocations 91Modlisation des collocations par les fonctions lexicales 93Lectures 96

    Lecture requise 96Lecture suggre 96

    Exercices 97

    Leon 9 Lanalyse smantique lexicale 99

    La dfinition lexicale : outil danalyse du sens 100Dfinition par genre prochain et diffrences spcifiques 100Mthodologie dlaboration dune dfinition 100Le problme des cercles vicieux 104

    Analyse par champs smantiques 105Analyse componentielle 106Structure smantique des vocables 108Lectures 110

    Lectures requises 110Lecture suggre 111

    Exercices 111

    Leon 10 La lexicographie 113

    Dictionnaires et lexicographie 114Quest-ce quun dictionnaire ? 114Types de dictionnaires 116

    Macrostructure et microstructure des dictionnaires 117Les dfinitions lexicographiques 119Lectures 121

    Lectures requises 121Lecture suggre 121

    Exercices 121

  • Table des matires

    v

    Leon 11 La pragmatique 123

    La pragmatique 124Nature des changes linguistiques 125La thorie des actes de parole 127Interfrences pragmatiques dans le lexique 130Lectures 132

    Lecture requise 132Lecture suggre 132

    Exercices 133

    Conclusion 135

    Index des notions 137

  • vi

    Table des matires

  • 1

    Avant-propos

    Ces notes de cours sont constitues de onze leons, qui doivent tre tudies de faon linaire. En effet, chaque leon introduit un petit nombre de notions frquemment rutilises dans la suite du texte.

    Deux outils permettent au lecteur de naviguer travers le rseau notionnel du cours :

    1

    au tout dbut de chaque leon, une liste des notions introduites (selon leur ordre dapparition dans le texte) ;

    2

    la fin de louvrage, un index alphabtique (voir Section

    Index des notions

    , page 137 et suivantes).

    Les notions importantes apparaissent dans une

    typographie spciale

    lorsquelles sont introduites pour la premire fois ou font lobjet de remarques importantes.

    Le symbole de volume sonore ci-contre sert attirer lattention du lecteur sur certaines parties du texte qui doivent tre lues avec une attention spciale.

    Chaque leon se termine par une liste de lectures requises ou suggres et par des exercices pratiques mettant en jeu les notions examines.

    Il existe de nombreux ouvrages dintroduction la lexicologie et la smantique. Certains peuvent complter avantageusement ces notes de cours, soit parce quils proposent une perspective diffrente sur la question, soit parce quils ne couvrent pas exactement les mmes domaines dtude (plus dimportance donne la morphologie, lvolution du langage, etc.). Aucun manuel de cours nest parfait, ce qui vaut trs certainement pour celui que vous avez maintenant entre les mains. Il est donc toujours utile de consulter diffrentes sources. En voici quatre (en franais) :

  • 2

    Eluerd, Roland (2000)

    La lexicologie

    , Collection Que sais-je ? , n 3548, Paris : Presses Universitaires de France.

    Lehmann, Alise et Franoise Martin-Berthet (1998)

    Introduction la lexicologie : Smantique et morphologie

    , Collection Lettres Sup , Paris : Dunod.

    Niklas-Salminen, Ano (1997)

    La lexicologie

    , Collection Cursus , Paris : Armand Colin.

    Picoche, Jacqueline (1977)

    Prcis de lexicologie franaise

    . Collection Nathan-Universit , Paris : Nathan.

    Pour conclure, je tiens remercier chaleureusement pour leurs commen-taires sur une version prliminaire de ce document Lidija Iordanskaja, Franois Lareau, Igor Mel

    uk, Jasmina Mili

    evi

    et Ophlie Tremblay. Ces notes de cours reprennent lessentiel de la structure et du contenu des polycopis dun cours que jai donn en 1997. En prparant ce manuel, jai beaucoup bnfici des modifications apportes mes notes initiales par Jasmina Mili

    evi

    , en 1998. Je la remercie donc tout particulirement et lui vole sans vergogne ses bonnes ides.

  • 3

    Leon 1

    Quelques notions prliminaires

    Lexicologie, linguistique, langue, langage, parole, locuteur, destinataire, lexique, grammaire, smantique, syntaxe, morphologie, phontique, diachronie, synchronie.

    Lun des convives amena vers lui les cartes parses, dbarrassant ainsi une bonne partie de la table ; mais il ne les rassembla pas en un seul paquet ni ne les battit ; il prit une carte, et la posa devant lui. Nous notmes tous la ressemblance de son visage avec celui de la figure peinte : il nous parut quavec cette carte il voulait dire je et quil sapprtait nous raconter son histoire.

    Italo Calvino,

    Le chteau des destins croiss

    Objectifs du cours

    Ce cours est une introduction la

    lexicologie

    : ltude des mots de la langue. Les mots sont au cur de la connaissance linguistique puisque parler une langue consiste avant tout combiner des mots au sein de phrases en vue de communiquer. Il serait donc lgitime de considrer la lexicologie comme tant la branche matresse de la linguistique.

    Il va tout dabord falloir prciser ce quest la

    linguistique

    en tant que science. Une science se dfinissant par son objet dtude, examinons lobjet dtude de la linguistique : la langue.

  • 4

    Leon 1

    La langue : objet dtude de la linguistique

    Dfinition de la notion de langue

    Je vous propose, pour commencer, une dfinition trs approximative de la notion de langue :

    Cette caractrisation met en vidence deux points importants. Tout dabord, la langue nest pas le seul outil que nous utilisons pour commu-niquer.

    En effet, pour nous exprimer, nous pouvons parler, mais nous employons aussi de nombreuses autres ressources dont voici quatre exemples :

    1

    gestes de la main

    ,

    , ;

    2

    expressions faciales, qui sont des formes de gestes faits avec le visage tirer la langue, sourire, faire la moue, ;

    3

    gestes faits avec lensemble du corps tourner le dos quelquun, ;

    4

    gestes bass sur un contact physique avec une autre personne serrer la main, donner une tape sur lpaule, embrasser,

    Qui plus est, nous sommes entours dobjets ou de machines qui ont t construits, programms et installs dans notre environnement quotidien pour nous transmettre de linformation et donc nous faire rcepteurs dune forme de communication : panneaux de signalisation, feux de circulation, horloges, sonneries, etc.

    La deuxime caractristique importante que la dfinition ci-dessus met en vidence est quune langue est un

    systme

    de signes et de rgles. Il faut entendre par l que ce nest pas un simple rpertoire dlments atomiques autonomes servant communiquer. Cest lorganisation interne dune langue qui en fait un outil de communication particuli-rement puissant. Les signes de la langue sont conventionnels en ce sens quils fonctionnent comme une sorte de norme, de loi rgissant la faon dont nous communiquons. La prochaine leon est entirement ddie ltude de la notion de signe linguistique.

    La

    langue

    est notre outil de communication privilgi. Chaque langue est un systme de signes conventionnels et de rgles, qui forment un tout complexe et structur.

  • Quelques notions prliminaires

    5

    Les deux caractristiques mentionnes dans la dfinition de la notion de langue sont bien entendu lies. Malgr la grande varit des modes de communication auxquels nous avons recours, les langues restent, du fait de leur grande puissance expressive, nos outils privilgis pour changer de linformation, organiser notre pense et, en fait, exister en tant qutres humains. Pour sen convaincre, il suffit de penser aux deux tapes du dveloppement dun trs jeune enfant qui vont toujours tre mentionnes par ses parents :

    le moment o il a commenc marcher mode de dplacement caractristique de lhumain ;

    le moment o il a commenc parler (et quels taient ses premiers mots) mode de communication caractristique de lhumain.

    Notez, pour terminer, que les langues ne forment pas un systme inerte, fig pour toujours dans le temps. Les langues naissent, voluent dans le temps et meurent. Bien entendu, elles nont pas de dates de naissance et de dcs prcises et leur volution est extrmement graduelle. Il nen demeure pas moins quon ne parlait pas le franais il y a deux mille ans, que le franais que lon parle aujourdhui Paris ou Montral nest pas le mme que celui quon y parlait il y a trois cents ans et quil est tout fait possible que plus personne ne parle le franais sur terre dici deux mille ans. Du fait de sa nature sociale, des liens troits quelle entretient avec la socit humaine qui lutilise, chaque langue est destine voluer, se transformer et, ventuellement, disparatre suivant en cela lvolution des socits qui en font usage.

    Langue

    vs

    langage

    vs

    parole

    Pourquoi parlons-nous ? Pourquoi communiquons-nous au moyen de langues ?

    Les langues que nous matrisons, nous les avons apprises et nous avons pu les apprendre pour plusieurs raisons :

    1

    ce sont des outils de communication que la vie en socit nous

    impose

    dacqurir ;

    2

    ce sont des systmes de signes et de rgles de combinaison de ces signes que notre cerveau a la capacit de mmoriser et de manipuler ;

  • 6

    Leon 1

    3

    elles se manifestent physiquement par des sons que notre constitution biologique nous permet de gnrer (appareil phonatoire) et de dcoder (appareil auditif).

    Les langues sont donc lies directement des prdispositions sociales, psychiques et physiologiques des tres humains.

    Le langage, par opposition la langue, est donc intimement li aux aspects sociologiques, psychologiques, physiologiques et mme physiques de lutilisation de la langue.

    Rappelez-vous quil existe de nombreuses langues, aux alentours de 6 000 en fait (franais, anglais, allemand, russe, espagnol, mandarin, japonais, etc.), mais que lon va parler du langage comme dune facult gnrale possde par les humains : la facult dapprendre et dutiliser des langues donnes.

    Pour rsumer, nous voyons que la notion de langue, le code linguistique lui-mme, nous amne considrer les notions

    de langage la capacit dapprendre et dutiliser la langue,

    et de parole la matrialisation de la langue dans des actes de communication impliquant un locuteur et un destinataire.

    On peut en consquence largir plus ou moins lobjet dtude de la linguistique, selon quil se limite la langue, ou quil tend ses ramifi-cations dans ltude de la facult de langage (voir notamment, lappren-tissage et lenseignement des langues) ou de la parole (tude des actes de communication et de linteraction entre la langue et les autres moyens de communication).

    En distinguant de cette faon langue, langage et parole, jemploie une terminologie propose par le linguiste suisse Ferdinand de Saussure, qui a t au dbut du sicle en Europe un des grands pionniers de ltablis-

    On appellera

    langage la facult humaine de communiquer des ides au moyen de la langue.

    La langue trouve sa ralisation dans la parole, cest--dire dans des instances dchanges langagiers entre au moins deux individus : le locuteur et le destinataire.

  • Quelques notions prliminaires 7

    sement de la linguistique en tant que science (voir page 9, ci-dessous, la lecture accompagnant cette leon).

    De quoi est constitue la langue ?

    Lexique et grammaireJai dit plus haut que les langues taient constitues de signes et de rgles permettant de combiner ces signes. Mme si cest une grossire simplification (en partie inexacte), nous allons admettre pour linstant que les signes constituant la langue sont grosso modo les mots de la langue et, de faon provisoire, on appellera lexique dune langue donne lensemble des mots de cette langue.

    Les rgles gnrales qui permettent de combiner les mots de la langue pour former des phrases constituent ce que lon appelle la grammaire de la langue.

    Chaque langue est donc avant tout constitue dun lexique et dune grammaire. Apprendre une langue consiste assimiler ces deux ensembles de connaissances et dvelopper les automatismes permettant de les utiliser de faon spontane.

    Niveaux de fonctionnement de la langueOn reconnat habituellement au moins quatre niveaux principaux de fonctionnement dans toutes les langues :

    1 la smantique de la langue, qui concerne les sens et leur organisation au sein des messages que lon peut exprimer dans cette langue ;

    2 la syntaxe, qui concerne la structure des phrases ;3 la morphologie, qui concerne la structure des mots ;4 la phontique, qui concerne les lments sonores qui sont la forme

    mme des noncs.

    chacun de ces niveaux de fonctionnement, correspond une sous-disci-pline de la linguistique, qui sattache plus particulirement ltude et la description du niveau en question. Ainsi, la smantique linguistique est ltude et la description de la smantique des langues1. Comme nous

    1. Je reviendrai sur cette distinction la toute fin du cours, dans la Leon 11.

  • 8 Leon 1

    le verrons en progressant dans le cours, lensemble des sens vhiculs par une langue donne est en grande partie en correspondance avec lensemble des mots de cette langue. Il existe donc un lien privilgi entre ltude smantique et ltude du lexique la lexicologie. Cest la raison pour laquelle ce cours introduit simultanment les notions de base de ces deux sous-disciplines de la linguistique, mme sil est conu avant tout comme un cours de lexicologie.

    Difficult de ltude linguistiqueVous pouvez lgitimement penser que vous savez ce quest la langue puisque vous parlez, crivez et lisez tous au moins lune delles : le franais. Cependant, une chose est de matriser un ensemble de connais-sances, une autre est de comprendre de faon consciente comment cet ensemble de connaissances est organis et comment il fonctionne. Certaines tches, comme lenseignement de la langue, la traduction, llaboration et la correction de documents, demandent que lon soit capable non seulement de parler une ou plusieurs langues, mais aussi de raisonner sur elles. Cest ce qui donne la linguistique, en tant que science visant ltude des langues, son intrt et sa raison dtre.

    Ltude linguistique est une activit scientifique particulirement dlicate car il nexiste pas dautre faon de dcrire les langues, de parler delles, que de le faire au moyen dune langue. On est ainsi confront une dangereuse circularit : on se sert de notre objet dtude pour parler de celui-ci. Il faut donc en linguistique, comme dans les autres sciences, se donner une terminologie et des conventions dcriture trs bien dfinies, et les utiliser de faon rigoureuse. Nous reviendrons sur ce point dans la Leon 3 (Section Remarques sur la terminologie et les conventions dcriture, page 35).

    Limitations du coursCe cours se situe dans le cadre dune linguistique qui se limite ltude de la langue, par opposition une linguistique du langage en gnral.

  • Quelques notions prliminaires 9

    Jai aussi mentionn plus haut le fait que la langue est en constante transformation : elle volue dans le temps. On peut donc ltudier de deux faons :

    1 dans le contexte de son volution ce que lon appelle ltude diachronique ;

    2 un moment donn de son volution, notamment telle quelle est utilise actuellement ce que lon appelle ltude synchronique.Dans ce cours, nous nous situerons dans le cadre dune tude synchro-nique de la langue. Ainsi, mes exemples tant la plupart du temps emprunts au franais, nous travaillerons avant tout sur le franais contemporain et nous parlerons trs peu des problmes lis lvolution du lexique des langues (apparition ou disparition de mots, volution des significations exprimes par les mots de la langue, etc.).

    Lectures

    Lecture requiseSaussure, Ferdinand de (1972) Introduction, Chapitres III, IV et V. In :

    Cours de linguistique gnrale, Paris : Payot, pp. 23-43.

    Le Cours de linguistique gnrale de F. de Saussure est un des ouvrages fondateurs de la linguistique moderne. Il date un peu, par certains aspects, mais reste un texte de rfrence incontournable cause des notions fondamentales quil introduit.

    Lecture suggreJakobson, Roman (1973) Lagencement de la communication verbale.

    In : Essais de linguistique gnrale, Vol. II : Rapports internes et externes du langage. Paris : ditions de minuit, pp. 77-90.

    Texte qui prsente la linguistique en tant que science dans une perspective beaucoup plus large que la seule approche saussurienne.

  • 10 Leon 1

    Exercices1 Rappelez-vous les exemples de communication non linguistique donns

    la page 4. Pourquoi un coup de poing au visage, contrairement une tape sur lpaule, nest-il pas ncessairement la manifestation dun acte de communication ?

    2 Pourquoi doit-on considrer que le mdium de communication linguis-tique est avant tout sonore et non crit ?

  • 11

    Leon 2

    Le signe linguistique

    Signe, signe intentionnel vs non intentionnel, smiotique / smiologie, icne, symbole, indice, signe linguistique, signifi, signifiant, mot, signe lexical vs grammatical, signe lmentaire vs complexe, (proprit de) combinatoire, expression grammaticale vs agrammaticale, astrisque.

    All right can you explain, in 200 words or less, the difference between a sign and a symbol?

    Sumire lifted the napkin from her lap, lightly dabbed at her mouth, and put it back. What was the woman driving at? A sign and a symbol?

    No special significance. Its just an example.Again Sumire shook her head. I have no idea.

    Haruki Murakami, Sputnik Sweetheart

    Il a t mentionn dans la leon prcdente quune langue tait un systme de signes et de rgles (voir notamment page 4, la dfinition de langue). La notion de signe joue un rle central dans ce cours et nous allons donc voir, sans plus attendre, comment se caractrisent les signes linguistiques, en commenant par examiner ce quil faut entendre par signe au sens large.

  • 12 Leon 2

    Signe et smiotique

    Dfinition du signeJe vous propose dadopter la dfinition suivante de la notion de signe :

    Ainsi, un clin dil est un signe dans la mesure o cette dformation complexe du visage la forme du signe quest le clin dil est associe une ide, que lon pourrait dfinir de faon trs vague comme tant la manifestation dune forme de connivence entre celui qui fait le clin dil et celui qui il est destin le contenu du signe en question. Un signe de ce type peut tre appel signe intentionnel, puisquil est utilis consciemment par un individu pour communiquer quelque chose. Mais la dfinition ci-dessus nous autorise aussi appeler signe des associations forme-ide qui ne sont pas des outils de communication mais des phnomnes se manifestant naturellement. Par exemple, un certain type de vague sur la mer pourra tre interprt par un marin expriment comme lindication quun vent violent va bientt se lever. Cette association entre une forme (type particulier de vague) et une ide (risque de vent violent) est un signe non intentionnel.Les signes intentionnels et les signes non intentionnels sont de nature trs diffrente puisque les premiers sont de vritables outils de commu-nication alors que les seconds se manifestent naturellement et ne sont quinterprts. La raison pour laquelle ces deux types dentits sont frquemment regroups est qu un niveau trs profond, celui du fonctionnement de notre systme cognitif, ils se rejoignent en tant quassociations binaires entre forme et ide.

    Il nest pas exagr de dire que notre existence, en tant qutres humains, est presque entirement consacre produire, recevoir et analyser des signes, ainsi qu ragir en consquence. Do limportance de dfinir une discipline ddie ltude des signes.

    Un signe, au sens large, est une association entre une forme et une ide (son contenu) les trois termes association, forme et ide (ou contenu) tant pris dans leur acception la plus gnrale possible.

  • Le signe linguistique 13

    La science des signesLa smiotique est la science qui tudie les diffrents systmes de signes la linguistique tant une branche de la smiotique gnrale qui tudie les systmes de signes linguistiques que sont les langues. Notez que lon emploie aussi le terme de smiologie pour dsigner cette science.

    Toutes les approches smiotiques ne se donnent pas les mmes objets dtude. Ainsi, certains smioticiens excluent du champ dtude de la smiotique les signes non intentionnels. Pour les linguistes, cependant, le problme ne se pose pas puisquils nont tudier que des signes intentionnels : les signes de la langue ne se manifestent pas naturel-lement mais sont mis par un locuteur afin de communiquer.

    Types de rapports forme-contenu dans les signesOutre la distinction entre signes intentionnels et non intentionnels, on peut classer les signes en fonction du type de rapport existant entre leur forme et leur contenu. Cela nous donne trois grandes familles de signes :

    1 Un icne1 est un signe tel quil existe un lien de ressemblance entre sa forme et lide quil vhicule. Ainsi, le signe (1a) ci-dessous, appos sur la porte des toilettes dun restaurant, est iconique dans la mesure o le contenu quil vhicule ((toilettes pour femmes)) est voqu dans sa forme (dessin dune silhouette fminine). Le panneau de signalisation routire (1b), au contraire, ne possde rien dans sa forme qui puisse voquer son contenu et ne sera donc pas considr comme tant un icne :

    1. Ce terme technique est souvent employ au masculin (un icne) pour le distinguer de licne qui est une image religieuse (une icne, ncessairement au fminin).

  • 14 Leon 2

    (1) a.

    b.

    2 Un symbole est un signe pour lequel il nexiste pas de lien logique apparent entre forme et contenu. Le panneau de signalisation donn en (1b) ci-dessus est ainsi un symbole typique. Un mot de la langue, comme chat, est aussi un symbole puisquil nexiste pas de lien de ressemblance ou, plus gnralement, de lien logique entre sa forme et son contenu. On pourrait aussi bien dire cat en anglais, gato en espagnol, koka en russe, etc. pour exprimer sensiblement la mme chose.Le signe linguistique est donc avant tout symbolique, et cest l une de ses caractristiques essentielles, comme nous le verrons plus bas.

    3 Un indice est un signe tel quil existe un lien de proximit entre sa forme et son contenu. Il fonctionne en tant que signe parce que sa prsence physique dans notre environnement pointe vers une ide qui est associe cette prsence physique, cette forme. Ainsi, les signes suivants sont des indices typiques :

    (2) a. Une marque de rouge lvres sur le rebord dun verre qui nous indique quune femme a bu dans ce verre.

    b. Les poches sous les yeux dun prof qui nous indiquent quil a encore pass la nuit prparer des transparents pour son cours.

    c. Les poches sous les yeux dun autre prof qui nous indiquent quil a encore pass la nuit jouer au bridge.

    On remarque que, dans le cas dun signe indiciel, il existe une sorte de lien de cause effet entre la prsence du signe et ce quil exprime (en buvant dans ce verre, une femme laisse cette marque de rouge ; en travaillant toute la nuit, le prof va avoir des valises sous les yeux ; etc.). Mais ce qui doit surtout tre not propos des indices est que ce sont, par dfaut, des signes non intentionnels. Attention, cependant ! Vous

  • Le signe linguistique 15

    avez tous vraisemblablement vu au moins un film o un des personnages laisse volontairement quelque part un objet comme indice trompeur pour incriminer un autre personnage, dans le cadre dun meurtre par exemple2. La prsence de cet objet, qui va tre interprte comme signi-fiant que le second personnage est impliqu dans les faits, est clairement un indice. Pourtant, elle est mise en scne volontairement par quelquun pour transmettre une information (mme si cette dernire est fausse). La distinction entre signe intentionnel et non intentionnel ne recoupe donc quen partie une opposition icne-symbole vs indice.

    Distinguer entre icnes, symboles et indices nest quune des classifica-tions et des terminologies possibles. Le texte dO. Ducrot et J.-M. Schaeffer donn en lecture la fin de cette leon largira votre perspective ce propos.

    Il faut interprter la classification des signes donne ci-dessus comme identifiant des tendances. Un signe est rarement purement iconique, symbolique ou indiciel. Par exemple, serrer la main, pour officialiser une rencontre, est iconique dans la mesure o il y a un lien vident entre le fait de saisir la main de quelquun de se lier physiquement lui et celui dtablir une rencontre. Mais ce signe est en mme temps symbolique, car en partie arbitraire. On pourrait aussi bien se frotter le nez, se mordre loreille ou faire des choses encore plus tonnantes encore. Mme le signe (1a) qui, appos sur une porte, indique des toilettes pour femmes nest pas purement iconique. Il est aussi symbo-lique dans la mesure o cest par convention que lon considre que la silhouette en question identifie la femme par opposition lhomme.

    Nous verrons plus bas que cette remarque sur la nature hybride des signes sapplique aussi, dans une certaine mesure, aux signes linguis-tiques.

    Le signe linguistique selon Ferdinand de SaussureLe signe linguistique, tel que dfini par F. de Saussure, se distingue des autres signes par au moins cinq proprits, que nous allons maintenant examiner tour de rle.

    2. On dit en anglais to plant evidence pour dsigner un tel acte.

  • 16 Leon 2

    Les deux composantes du signe linguistiqueLe signe linguistique est fait de lassociation entre un signifi une ide et un signifiant, qui est une image acoustique .Le terme dimage acoustique peut poser problme. Ce que Saussure veut mettre en vidence ici cest que le signifiant du signe nest pas une suite de sons, puisquon ne retrouve les sons que dans la parole (la manifes-tation concrte de la langue). Le signifiant est plutt un patron sonore abstrait, qui est stock dans la mmoire du locuteur, et que ce dernier pourra utiliser pour soit mettre (concrtiser) le signe en question, soit identifier un signe dont il est le rcepteur.

    Il est trs important de bien comprendre que le signe, en tant qulment de la langue, est une entit entirement psychique, qui rside dans notre cerveau. Deux personnes distinctes ne vont jamais prononcer le mme mot de la mme faon, mais on saura que cest le mme mot quelles ont utilis parce que dans chacun des cas la suite de sons produite pourra tre associe un mme patron sonore abstrait, une mme image acous-tique.

    On utilisera la convention dcriture suivante pour bien distinguer les deux composantes du signe linguistique :

    1 guillemets simples pour le signifi du signe, par ex. (cheval) ;2 italique pour le signifiant du signe, par ex. : cheval.

    Attention ! Pour tre parfaitement rigoureux, il nous faudrait aussi utiliser une convention dcriture particulire pour nommer le signe dans sa totalit, en tant quentit linguistique. On se contentera cependant de dsigner le signe de la mme faon que lon dsigne son signifiant (en italique), par ex. : le signe cheval.

    Caractre arbitraire du signe linguistiqueLe signe linguistique est arbitraire, en ce sens que lassociation entre le signifi et le signifiant nest pas logiquement motive. Comme on le voit, cela revient caractriser le signe linguistique en tant que symbole.

    On peut noter cependant que certains mots de la langue sont en partie iconiques. Il sagit ici des mots dits onomatopiques, comme le nom franais cocorico. Il existe un lien de ressemblance vident entre la forme linguistique \kOkORiko\ et le contenu quelle exprime. Malgr

  • Le signe linguistique 17

    cela, cocorico reste un mot du franais, en partie symbolique ; en anglais, par exemple, on dsigne la mme chose par cock-a-doodle-do. Le fait quun mot, mme onomatopique, doive tre traduit dune langue lautre est une preuve de son caractre arbitraire.

    Caractre fig du signe linguistiqueLe signe nous est impos par le code social quest la langue et est donc fig. Cest ce que Saussure appelle limmutabilit du signe. Le nom franais maison existait dj en franais il y a cent ans et existera encore vraisemblablement dans cent ans. Cest grce cette stabilit du systme linguistique que lon peut apprendre les langues, les utiliser tout au cours de notre existence et transmettre des informations travers le temps.

    Si chaque individu avait la libert de crer de nouveaux signes linguis-tiques, ou de se dbarrasser de signes de la langue selon son bon vouloir, il ny aurait plus de fonctionnement social possible pour la langue. Une langue, cest un peu comme un code de la route que tout le monde adopte et suit afin que la plus grande harmonie rgne entre les humains quand ils communiquent, comme elle rgne sur les routes quand ils conduisent.

    Caractre volutif du signe linguistiqueOui, il y a une lgre nuance dironie dans ce que je viens de dire, car on sait bien que les rgles sont sans cesse transgresses, sur la route comme dans la communication linguistique, et que, de plus, elles sont faites pour tre changes.

    Les signes dune langue, comme des lois ou des rgles lgales, sont ainsi sujets deux types de variations :

    1 des variations individuelles, dans la mesure o tout le monde napplique pas ncessairement ces lois de la mme faon, ou, mme, na pas ncessairement appris exactement le mme systme de lois ;

    2 des variations dans le temps, dans la mesure o les lois, les systmes de signes linguistiques, voluent dans le temps.

    Bien entendu, les variations linguistiques se manifestent la plupart du temps sans que les locuteurs le dsirent de faon consciente. Un mot de la langue va gnralement mourir trs progressivement de sa belle mort,

  • 18 Leon 2

    tout simplement parce que de moins en moins de personnes vont lutiliser. Tout se passe de faon graduelle, insensible et non volontaire, mais le fait reste l : les signes de la langue voluent, ce qui est en apparente contradiction avec la caractristique prcdemment mentionne. Cest ce que Saussure appelle la mutabilit du signe.

    Caractre linaire du signe linguistiqueLe signifiant du signe linguistique est linaire, du fait de la nature orale de la langue et de la physiologie humaine. En effet, nous ne sommes capables de produire aisment avec notre systme phonatoire quun son la fois : la ralisation dun message linguistique est donc une suite linaire de sons. Au niveau du signe, les signifiants sont des patrons sonores linaires. Notez que la contrainte de linarit ne sappliquerait pas avec un systme smiotique gestuel, puisque lon peut tout fait produire et identifier plusieurs gestes de faon simultane.

    Pour conclure, on peut noter une proprit importante de la langue, en tant que systme de signes : lensemble des signes de chaque langue et lensemble des rgles de combinaison de ces signes sont synchroni-quement finis. Cest ce qui rend possible une description relativement complte du lexique et de la grammaire des langues (dictionnaires et traits de grammaire).

    Types de signes linguistiques

    Signe lexical vs grammaticalLes signes linguistiques sont-ils des mots ? Jai souvent employ, dans ce qui prcde, le terme mot en parlant de signe linguistique. Le problme est que ce terme est trs ambigu et, comme nous le verrons dans la leon suivante, nous viterons de lemployer pour lui prfrer des termes techniques plus prcis, dsignant chacun une entit linguis-tique relativement claire.

  • Le signe linguistique 19

    On peut cependant se permettre de dire pour linstant que des mots comme boire, dormir, chemin, maison, etc. sont des signes linguistiques. Cependant, si tous les mots sont des signes linguistiques, tous les signes linguistiques ne sont pas des mots. On doit ainsi au moins distinguer les signes lexicaux, comme ceux qui viennent dtre mentionns, et les signes grammaticaux, dont voici deux exemples :

    1 Le suffixe du pluriel des noms franais -s est un signe linguistique : il a un signifiant qui ne se manifeste cependant loral que dans le

    phnomne de liaison, des amis patants se prononant \dEzamizepatA)\ ;

    il a un signifi le sens de pluralit.

    2 Le prfixe franais re-, qui se combine aux verbes pour exprimer le sens de rptition : refaire, rediscuter, revisiter, etc.

    Nous aurons loccasion de revenir sur les signes linguistiques non lexicaux dans la Leon 4, qui introduit quelques notions de base de morphologie dont la connaissance est ncessaire dans le cadre de ce cours.

    Signe lmentaire vs complexeLa distinction entre signe lexical et signe grammatical nous permet de mettre en vidence une autre opposition :

    1 Les signes lmentaires sont des signes qui ne peuvent tre analyss en terme de signes plus simples dont ils seraient constitus. Par exemple, la prposition avec est un signe linguistique lmentaire.

    2 loppos, les signes complexes sont analysables en terme dautres signes. Par exemple, refaire peut tre analys par la combinaison des deux signes re- + faire.

    Notez quun signe linguistique complexe nest pas ncessairement constitu dun signe lexical et de un ou plusieurs signes grammaticaux. Fruit de mer, par exemple, est formellement analysable en terme de trois signes lexicaux : fruit + de + mer. Vous remarquerez que je prsuppose ici que fruit de mer est un signe linguistique. En fait, toute expression linguistique bien forme est un signe linguistique, puisquelle possde toutes les caractristiques du signe identifies plus haut.

  • 20 Leon 2

    Ce qui peut poser problme dans le cas de fruit de mer, cest la nature lexicale de ce signe. Ce point sera examin en dtail dans la prochaine leon.

    Proprits de combinatoire des signes linguistiquesLe signe linguistique peut tre conceptualis comme comportant une composante additionnelle : ses proprits de combinatoire. Attention ! Cet aspect essentiel de la caractrisation du signe linguistique nest pas prsent dans la plupart des textes dintroduction, mais cest une extension du signe saussurien (introduite par Igor Meluk sous le nom de syntactique du signe linguistique) qui va nous permettre de rendre compte de faon propre de nombreux phnomnes linguistiques.

    Par exemple, le signe franais sommeil est lassociation entre un signifiant et un signifi, mais il se caractrise aussi par de multiples proprits de combinatoire. Je nen citerai ici que quatre :

    1 Cest un nom commun et, en consquence, il doit normalement semployer avec un dterminant (article, pronom possessif, etc.) :

    (3) un/le/son/ sommeil

    2 Il est masculin et conditionne donc la forme masculine de ses dterminants et des adjectifs qui le modifient :

    (4) un sommeil tonnant vs *une sommeil tonnante

    Remarque importante concernant lusage du * : En linguistique, on est frquemment oblig dtablir des comparaisons entre des expres-sions bien formes, qui respectent les rgles linguistiques, et des expres-sions qui transgressent certaines de ces rgles. Les premires sont appeles expressions grammaticales et les secondes expres-sions agrammaticales. On utilise couramment lastrisque (*), au dbut dune expression, pour indiquer que celle-ci est agrammaticale. Cela nous permet de donner des exemples de constructions incorrectes

    Les proprits de combinatoire dun signe linguistique sont les contraintes propres ce signe qui limitent sa capacit de se combiner avec dautres signes linguistiques et qui ne peuvent tre dduites ni de son signifi ni de son signifiant.

  • Le signe linguistique 21

    pour illustrer notre propos, tout en sassurant que le lecteur interprtera de la bonne faon la porte de nos exemples.

    3 Ce signe est la forme du singulier dun nom franais, le signe pluriel correspondant tant sommeils.

    4 On peut le combiner avec les adjectifs lourd et profond pour exprimer lintensification de son sens et avec le verbe tomber [dans] pour exprimer le sens (commencer tre dans un tat de sommeil), dautres combinaisons logiquement possibles tant ici exclues :

    (5) a. un lourd/profond sommeil

    b. *un grand sommeil

    c. Lo tomba dans un profond sommeil.

    d. *Lo dgringola dans un profond sommeil.

    Toutes ces caractristiques de combinatoire vous semblent peut-tre videntes et vous vous demandez peut-tre en quoi elles sont vrita-blement des caractristiques du signe sommeil. LExercice 5 ci-dessous vous aidera y voir plus clair sur ce point.

    Lectures

    Lectures requisesSaussure, Ferdinand de (1972) Introduction, Chapitres III, IV et V. In :

    Cours de linguistique gnrale, Paris : Payot, pp. 32-35.

    Relire ces quelques pages de la lecture donne la Leon 1, maintenant que la science des signes (smiotique/smiologie) a t introduite. Notez que Saussure parle de la smiologie comme dune discipline construire, mais la situation a bien volu depuis lors.

    Saussure, Ferdinand de (1972) Premire Partie, Chapitres I et II. In : Cours de linguistique gnrale. Paris : Payot, pp. 97-113.

    La clbre caractrisation du signe linguistique propose par Saussure dans son Cours de linguistique gnrale.

    Ducrot, Oswald et Jean-Marie Schaeffer (1995) Signe. In : Nouveau dictionnaire encyclopdique des sciences du langage. Paris : ditions du Seuil, pp. 213-223.

  • 22 Leon 2

    Vous trouverez dans ce texte une classification des types de signes plus labore que celle prsente dans le cours. Ce texte situe la notion de signe dans une perspective plus large que celle du cours : ltude des systmes smiotiques, dont la langue est un cas particulier. Il nest pas ncessaire que vous compreniez ou que vous puissiez assimiler tout ce qui est dit dans ce texte, dans la mesure o il contient de nombreuses rfrences des notions lies celle de signe. Notez que les termes apparaissant en gras dans ce texte possdent eux-mmes une entre dans ce dictionnaire, que vous pouvez aller consulter dans une biblio-thque. Vous pouvez mme vous lacheter, car cest un ouvrage utile et assez bon march. Attention : il sagit ici du Nouveau dictionnaire encyclopdique des sciences du langage (paru en 1995).

    Lectures suggresBenveniste, mile (1966) Communication animale et langage humain.

    In : Problmes de linguistique gnrale, Vol. I. Paris : Gallimard, pp. 56-62.

    Jakobson, Roman (1973) Le langage en relation avec les autres systmes de communication. In : Essais de linguistique gnrale, Vol. II : Rapports internes et externes du langage. Paris : ditions de minuit, pp. 91-103.

    Ces deux derniers textes sont lire pour mieux saisir la notion de systme smiotique en gnral.

    Exercices1 En quoi les mains qui tremblent quand on a froid, les bandes blanches

    que lon trouve un passage pour pitons et le V de la victoire sont-ils des signes de nature diffrente ?

    2 Expliquez pourquoi tapis est un signe linguistique et pourquoi la premire syllabe de ce mot (ta-) nen est pas un.

    3 Est-ce que Ouah ! Ouah ! [Le chien faisait entendre son Ouah ! Ouah ! rageur.] est un signe linguistique ? Pourquoi ?

    4 Pourquoi les deux emplois de bleu dans la phrase ci-dessous impliquent-ils deux signes linguistiques diffrents ?

    (6) Le bleu de ses yeux est vraiment trs bleu.

  • Le signe linguistique 23

    5 Essayez de caractriser les proprits de combinatoire de fatigue [Il ressentit une grande fatigue.] et de funrailles [On lui fit des funrailles nationales.], en reprenant la mthode utilise pour sommeil page 20. Contrastez les rsultats obtenus.

    6 Quelles sont les caractristiques des langues humaines qui les distin-guent des autres systmes smiotiques ?

    7 (Facultatif) Rsumez en une dizaine de lignes le texte de Benveniste. Pour vous aider : en quel sens peut-on dire que les abeilles possdent un langage et en quoi ce langage diffre-t-il de celui des humains ?

  • 24 Leon 2

  • 25

    Leon 3

    La lexicologie

    Lexicologie, mot, mot-forme, flexion, locution nominale / verbale / adjectivale / adverbiale / prpositionnelle, (principe de) compositionalit smantique, lexie (= unit lexicale), vocable, acception, homonymie.

    LA CHAIR CHAUDE DES MOTS

    Prends ces mots dans tes mains et sens leurs pieds agilesEt sens leur cur qui bat comme celui du chienCaresse donc leur poil pour quils restent tranquillesMets-les sur tes genoux pour quils ne disent rien

    Une niche de sons devenus inutilesAbrite des rongeurs lordre acadmicienRustiques on les dit mais les mots sont fragilesEt leur mort bien souvent de trop sessouffler vient

    Alors on les dispose en de grands cimetiresQue les esprits fripons nomment des dictionnairesEt les penseurs chagrins des alphadcdets

    Mais quoi bon pleurer sur des faits si primairesSi simples loquents connus lmentairesPrends ces mots dans tes mains et vois comme ils sont faits

    Raymond Queneau, Sonnets

    Jai grossirement prsent dans la leon prcdente la lexicologie, qui est la branche de la linguistique introduite dans ce cours. En voici maintenant une dfinition plus prcise :

    La lexicologie est une branche de la linguistique qui tudie les proprits des units lexicales de la langue, appeles lexies.

  • 26 Leon 3

    Notez que je nai pas employ le terme mot pour dsigner lunit dtude en lexicologie, prfrant faire usage dun terme aux consonances plus techniques . Je vais tout dabord expliquer ce choix, ce qui me permettra dintroduire de faon prcise les deux notions fort importantes de mot-forme et de lexie. Cette dernire notion ne recevra cependant une dfinition vritable quun peu plus loin dans la leon, lorsque la notion connexe de locution aura t introduite.

    Mot, mot-forme et lexieLe terme mot est ambigu, comme le montrent les exemples ci-dessous :

    (1) a. Parce que scrit en deux mots.

    b. Le mot parce que apparat frquemment dans son texte.

    La phrase (1a) nous dit que parce que contient deux mots et la phrase (1b) que cest un mot. Cela nous montre que le terme mot est utilis dans ces exemples pour dsigner deux notions distinctes. De nombreux textes de linguistique entretiennent malheureusement la confusion, en employant ce terme indiffremment dans lun ou lautre sens. cela sajoute le fait que mot peut signifier encore bien dautres choses dans la langue courante :

    (2) a. Je vais te rapporter quelques bons mots quil nous a sortis.

    b. Il a envoy Germaine un petit mot pour garder le contact.

    c. Est-ce que tu connais les mots de cette chanson ?

    Pour viter toute confusion, je nutiliserai jamais mot en tant que terme technique. Je vais introduire deux termes bien distincts, un pour chacune des deux notions dont il est question dans les phrases (1a) et (1b) ci-dessus.

  • La lexicologie 27

    Le mot-formeLa notion correspondant lexemple (1a) sera dsigne par le terme mot-forme ; elle peut se dfinir de la faon suivante :

    Pour que la dfinition ci-dessus soit comprhensible, il faut prciser ce que lon entend par autonomie de fonctionnement et cohsion interne. Je le ferai en examinant la phrase ci-dessous, qui contient quatre mots-formes :

    (3) Le chemin est encombr.

    Lautonomie de fonctionnement peut tre teste de multiples faons ; en voici trois.

    1 On peut faire commuter les quatre mots-formes de (3) avec dautres mots-formes pouvant avoir la mme fonction grammaticale dans la phrase. Considrez le tableau ci-dessous :

    Patron de phrase quatre positions avec trois alternatives pour chaque position

    Ce tableau contient quatre colonnes de mots-formes, correspondant chacune la position linaire dun des mots-formes de (3). Chaque colonne contient trois ranges de mots-formes ayant une mme valeur fonctionnelle , cest--dire pouvant avoir la mme fonction gramma-ticale dans la phrase (dterminant de nom, sujet du verbe, verbe principal ou adjectif attribut du sujet). Il est possible de faire une phrase correcte en employant nimporte lequel des mots-formes de la premire colonne suivi de nimporte lequel des mots-formes de chacune des

    Un mot-forme est un signe linguistique

    qui possde une certaine autonomie de fonctionnement

    et qui possde une certaine cohsion interne.

    Position 1 Position 2 Position 3 Position 4

    Le chemin est encombr

    Ce passage sera libre

    Un couloir devenait bizarre

  • 28 Leon 3

    colonnes conscutives. En voici trois exemples choisis au hasard parmi les 81 possibles (= 34) :

    (4) a. Ce chemin sera encombr.

    b. Un passage devenait libre.

    c. Ce couloir sera bizarre.

    On voit que chacun des mots-formes numrs dans le tableau ci-dessus, et par voie de consquence chacun des mots-formes de (3), est relati-vement autonome puisquil na besoin daucun autre mot-forme en particulier pour fonctionner dans une phrase.

    2 On peut employer chaque mot-forme de (3) dans dautres contextes que ceux de la phrase initiale :

    (5) a. Il regarde le chien.

    b. Cest un chemin ombrag.

    c. Je pense quil est fragile.

    d. Je trouve ton bureau bien encombr de choses inutiles.

    3 Les mots-formes apparaissant dans une phrase sont sparables les uns des autres, par insertion dautres mots-formes. Ainsi, on peut insrer des mots-formes entre chaque paire de mots-formes de (3) comme le montre (6) ci-dessous :

    (6) Le petit chemin ombrag est bien encombr aujourdhui.

    La cohsion interne des mots-formes de (3), quant elle, se manifeste justement dans le fait quune insertion de nouveaux mots-formes lintrieur des mots-formes eux-mmes est impossible. On ne peut construire de phrases comme :

    (7) *Le cheombragmin est encombienbr.1

    Notez que le type de phnomne illustr dans lexemple (7) existe dans dautres langues que le franais (par exemple, dans certaines langues amrindiennes). Il sagit de ce que lon appelle en morphologie lincor-poration.

    1. Rappelez-vous (Leon 2) que lastrisque (*) est utilis en linguistique pour indi-quer lagrammaticalit dune expression.

  • La lexicologie 29

    Finalement, les critres didentification des mots-formes peuvent varier dune langue lautre. Il est notamment possible pour certaines langues de faire usage de critres phoniques. Par exemple, en mandarin, la grande majorit des mots-formes sont forms de deux syllabes. Ces critres ne sont cependant jamais suffisants pour identifier les mots-formes dune langue et ils sont pratiquement inexistants dans le cas du franais.

    La lexieExaminons maintenant lemploi qui tait fait de mot dans la phrase (1b), que nous rptons ci-dessous en (8a), avec dautres exemples mettant en jeu la mme utilisation de ce terme :

    (8) a. Le mot parce que apparat frquemment dans son texte.

    b. Ce matin, Jos a appris deux nouveaux mots anglais.

    c. Je narrive pas retrouver le mot anglais pour salle de bain .

    Il est pas question dans ces exemples de signes linguistiques du type mots-formes, mais bien plutt dunits lexicales. Une unit lexicale, que nous appellerons lexie, est un lment de base la connaissance lexicale. Lorsque lon parle dapprendre un nouveau mot dans une langue trangre, on rfre en fait une lexie de cette langue : une entit gnrale qui se matrialise dans les phrases par un ou plusieurs mots-formes. Ainsi, DOG est une lexie de langlais, qui est associe aux deux mots-formes dog (singulier) et dogs (pluriel).

    Les lexies sont toujours mentionnes dans ces notes en petites majus-cules, pour bien les distinguer des mots-formes. Ces derniers sont, eux, crits en italique, puisque ce sont des signes linguistiques2.

    Plusieurs mots-formes sont associs la mme lexie sils ne se distin-guent que par ce que lon appelle en morphologie la flexion. Nous reviendrons sur la notion de flexion dans la leon suivante. Cependant, vous avez dj une bonne ide intuitive de ce que recouvre la flexion ;

    2. Rappelez-vous les conventions dcriture introduite dans la Leon 2, page 16. Voir aussi, ci-dessous, la Section Remarques sur la terminologie et les conventions dcri-ture, page 35.

  • 30 Leon 3

    cest ce qui oppose les mots-formes lintrieur de chacune des sries suivantes :

    (9) a. route vs routes

    b. canal vs canaux

    c. lent vs lente vs lents vs lentes

    d. avoir vs ai vs as vs a vs avons

    Concluons cette section sur le rejet du terme mot de notre terminologie en rsumant les faits :

    1 Mot est un terme trs ambigu.2 On considrera quil ne fait pas partie de notre terminologie linguis-

    tique.

    3 On utilisera la place soit le terme mot-forme soit le terme lexie, selon la notion dont il sera question.

    4 La notion de mot-forme a reu une dfinition qui sera satisfaisante pour nos prsents besoins.

    5 La notion de lexie a t grossirement caractrise comme tant un regroupement de mots-formes qui ne se distinguent que par la flexion.

    Nous allons maintenant voir quil existe aussi des lexies dun autre type, les locutions, ce qui nous permettra de proposer une dfinition peu prs satisfaisante de la lexie.

    Les locutionsLa caractrisation qui a t propose plus haut pour la lexie est incomplte. Elle ne tient pas compte du fait que certaines lexies ne sont pas des regroupements de simples mots-formes, mais plutt des regroupements dexpressions linguistiques complexes. Il sagit des locutions, comme par exemple :

    1 les locutions nominales : FRUIT DE MER, NID DE POULE, ;2 les locutions verbales : PASSER TABAC, ROULER SA BOSSE, ;3 les locutions adjectivales : DACCORD, EN PANNE, ;4 les locutions adverbiales : EN VITESSE, AU HASARD, ;5 les locutions prpositionnelles : PROPOS DE, EN REGARD DE,

  • La lexicologie 31

    Parce que les locutions sont des lexies, elles tendent faire perdre aux lments dont elles sont formellement constitues leur autonomie de fonctionnement dans la phrase. Il est ainsi souvent difficile, voire impos-sible, dinsrer des lments dans une expression lorsque celle-ci correspond une lexie de la langue. Comparez les deux phrases ci-dessous :

    (10) a. Il a mang une salade pourrie de la ferme.

    b. *Il a mang un fruit pourri de mer.

    La phrase (10a) est parfaite alors que (10b) est agrammaticale. Cela est d au fait que fruit de mer correspond une lexie du franais alors que lexpression salade de la ferme, quant elle, nest que la rsultante de la combinaison rgulire des quatre lexies distinctes SALADE, DE, LE (au fminin singulier) et FERME.

    Toutes les locutions nont pas la mme rigidit demploi que FRUIT DE MER. Comparez le comportement de cette dernire avec celui de la locution verbale CASSER LES PIEDS, dont les lments constitutifs sont plus facilement sparables :

    (11) Il nous casse souvent les pieds ce type-l.

    Malgr ces divergences, on peut dire que toutes les locutions sont des expressions qui, un peu comme des mots-formes, manifestent une autonomie de fonctionnement et un certain degr de cohsion (ce dernier variant dune lexie lautre).

    Tout se passe donc comme si les mots-formes apparaissant dans fruit de mer (ou dans le pluriel fruits de mer) avaient perdu une partie de leurs proprits de combinatoire (cf. leon prcdente). Cela est en ralit la consquence dun fait plus profond : ces mots-formes ont perdu une partie de leur nature de signe linguistique, et notamment leur sens. En effet, alors que le sens dune expression libre comme salade de la ferme est la rsultante de la composition des sens de chacun de ses consti-tuants, un fruit de mer nest pas un fruit qui pousse dans la mer. Bien entendu, on peut comprendre la mtaphore mise en jeu dans fruit de mer : cet aliment est un peu comme un fruit (on le rcolte pour le manger) qui pousserait dans la mer. Mais la tentative dexplication sarrte l et nous avons ici une mtaphore que la langue a fige.

  • 32 Leon 3

    On dira que les locutions transgressent, au moins en partie, le principe de compositionalit smantique, qui veut quune expression linguistique soit directement calculable dans sa composition lexicale et sa structure syntaxique partir du sens de chacun de ses consti-tuants. Nous reviendrons sur ce point dans la Leon 8 (voir Section Les collocations, page 91).

    Il est parfois difficile de percevoir la non compositionalit smantique des locutions appartenant notre langue maternelle, locutions qui nous sont devenues au cours des ans tellement familires. Il est alors utile de se tourner vers des cas emprunts dautres langues. Voici trois exemples anglais que, volontairement, je ne traduirai pas :

    (12) a. Lets go Dutch.

    b. You jumped the gun, once again.

    c. He did it with flying colors.

    Nous nen avons pas fini avec les locutions et, de faon plus gnrale, avec la non compositionalit smantique. Loin de l ! Nous reviendrons plusieurs fois sur cette question pendant le cours.

    Je peux maintenant proposer une dfinition de la lexie qui tienne compte de ce qui vient dtre dit sur la nature lexicale des locutions :

    Une lexie, aussi appele unit lexicale, est un regroupement de mots-formes (lexie simple) ou de constructions linguistiques (locution) qui ne se distinguent que par la flexion.

    Chaque lexie est associe un sens donn, que lon retrouve dans le signifi de chacun des signes (mots-formes ou constructions linguistiques) auxquels elle correspond.

    Exemples :

    La lexie PROFESSEUR [Il est professeur de franais.] signifie (individu qui a pour fonction denseigner) et regroupe les mots-formes professeur et professeurs.

    La lexie COUP DE BARRE [Il a soudainement eu un coup de barre en revenant du boulot.] signifie (sensation de grande fatigue) et regroupe les constructions coup de barre et coups de barre.

  • La lexicologie 33

    Regroupement des lexies en vocablesNous avons dit quune lexie est toujours associe un sens donn. Mais que se passe-t-il dans lexemple ci-dessous ?

    (13) Est-ce que tu aurais un verre en verre, pas en plastique ?

    Les deux emplois de verre dans cette phrase ne servent pas exprimer la mme signification ; dans un cas il est question dun type de contenant et dans lautre dun type de matriau. On doit donc considrer que lon est ici en prsence de deux lexies distinctes.

    Dans un cas comme celui-ci, on est amen utiliser des numros distinctifs, identifiant chacune des lexies en cause. On peut ainsi dire que lon a dans (13) les deux lexies :

    VERRE1, qui dsigne un matriau transparent cassable ;

    VERRE2, qui dsigne un type de contenant servant boire et gnralement fait en verre1.

    Lexemple qui vient dtre examin montre que certaines lexies entretiennent entre elles une relation formelle et smantique privilgie. On dira quelle appartiennent au mme vocable :

    Par exemple, si vous consultez le Nouveau Petit Robert, vous verrez que ce dictionnaire considre que le vocable franais PORC contient les quatre lexies : PORC1 (animal domestique ), PORC2 (individu sale ), PORC3 (viande de porc1 ) et PORC4 (peau du porc1 ).

    Les lexies dun vocable sont souvent appeles acceptions de ce vocable. Nous reviendrons sur ces notions plus loin dans le cours.

    Ce que lon appelle habituellement une entre de dictionnaire correspond en fait la description dun vocable. Il est important de se souvenir que cest par simple convention que, dans les dictionnaires franais, les vocables verbaux sont classs et nomms selon leur forme de linfinitif, les noms selon leur forme du singulier et les adjectifs selon

    Un vocable est un regroupement de lexies

    qui sont associes aux mmes signifiants

    et qui ont un lien smantique vident.

  • 34 Leon 3

    leur forme du masculin singulier. Pour des raisons pratiques, on doit utiliser une forme particulire pour rfrer un vocable et en stocker la description dans le dictionnaire ; cependant, dans les faits, une lexie est un regroupement de signes et le vocable un regroupement de lexies.

    Il peut arriver que deux lexies distinctes soient associes aux mmes signifiants alors quelles nentretiennent aucune relation de sens ; il sagit dun cas dhomonymie. Nous distinguerons les lexies homonymes par des numros mis en exposant. Par exemple :

    ADRESSE1 [Il fait preuve de beaucoup dadresse.]vsADRESSE2 [Est-ce que tu connais son adresse en France ?]

    PAVILLON1 [Il vit dans un pavillon de banlieue.]vsPAVILLON2 [Ils ont hiss le pavillon noir.]

    En thorie, notre approche tant synchronique, nous devons nous baser sur la prsence ou labsence dun lien smantique en franais contem-porain pour dcider si nous sommes en prsence dhomonymes ou de lexies dun mme vocable. Sil existe un lien tymologique mais que ce lien nest plus concrtis par une relation de sens, nous devrons lignorer. Nous reviendrons plus loin dans le cours sur la notion dhomonymie (Leon 7).

    tude des lexies et tude de la smantique des languesEn tant que signe linguistique ou, plus prcisment, en tant que regroupement de signes linguistiques (ses mots-formes associs), la lexie peut tre dcrite selon trois axes :

    1 son sens (signifi) ;2 sa forme (signifiant) ;3 ses proprits de combinatoire.

    Le sens est mentionn ici en premier car cest bien videmment la carac-tristique de la lexie qui nous intresse le plus en lexicologie. Pour des raisons pdagogiques, je vais cependant introduire dans ce cours certaines notions de morphologie (qui sont donc plutt lies aux signi-fiants lexicaux) avant de passer au plat de rsistance : ltude des sens lexicaux.

  • La lexicologie 35

    Remarques sur la terminologie et les conventions dcritureLa construction et la manipulation dune terminologie est un aspect essentiel de toute activit scientifique et a donc une importance consid-rable en linguistique. De plus, les conventions dcriture utilises dans les textes scientifiques sont un reflet de lactivit de formalisation inhrente tout travail scientifique. Il faut que vous appreniez de telles conventions et, ensuite, que vous les respectiez (dans vos examens, travaux de session, etc.).

    Je rcapitule ici trois conventions dcriture que nous utiliserons continuellement dans le cours et qui ont dj t introduites prcdemment :

    1 lexie (unit lexicale) : HUTRE, CASSER1, FRUIT DE MER, 2 signe linguistique ou

    sa forme (signifiant crit) : hutre, casser1, fruit de mer, -s [pluriel des noms], re-, ouhutre, casser1, fruit de mer, -s, re-, 3

    3 sens (signifi) : (hutre ), (casser1 ), (fruit de mer ), (plusieurs), (encore),

    noter que litalique (ou le soulignement) a souvent dautres emplois ; il sert notamment pour les titres douvrages. De plus, on peut aussi mentionner un signifiant en utilisant une transcription phonologique.

    Pour vous aider, voici un exemple de texte o ces conventions dcriture ont t rigoureusement respectes :

    En franais, on doit considrer que FRUIT DE MER est une unit lexicale part entire puisque son sens ne peut tre compris comme rsultant de la composition rgulire de (fruit), (de) et (mer). Elle est dailleurs dcrite comme telle dans pratiquement tous les dictionnaires du franais, comme le Petit Robert. Ses formes singulier et pluriel sont, respectivement, fruit de mer et fruits de mer.

    3. Lorsque vous crivez la main, utilisez le soulignement pour remplacer litalique. Souvenez-vous aussi (voir page 16) quil faudrait en thorie utiliser deux conventions diffrentes : une pour les signes linguistiques et une pour les signifiants de signes.

  • 36 Leon 3

    Lecture suggreEluerd, Roland (2000) Chapitre I Situation de la lexicologie, Sections I

    et II. In : La lexicologie, Collection Que sais-je ? , n 3548, Paris : Presses Universitaires de France, pp. 6-22.

    Ce texte peut tre lu pour les nombreux pointeurs vers dautres ouvrages sur la lexicologie quil contient. Il propose aussi une perspective un peu plus philosophique sur la discipline que ce que jai prsent dans cette leon.

    Exercices1 Soit la phrase suivante :

    (14) La grve des pilotes devrait prendre fin cet aprs-midi.

    Analysez (14) en terme (i) de mots-formes et (ii) de lexies.

    2 Dmontrez quil existe plusieurs lexies CERCLE en franais.3 Dmontrez que COUP DE MAIN [Il ma donn un coup de main pour

    refaire mon mur.] est une lexie.

    4 Trouver le plus darguments possible pour dmontrer que les deux expressions en gras dans la phrase ci-dessous correspondent deux lexies distinctes du franais :

    (15) Pour sortir, il pousse brutalement la branche qui pousse prs de la porte d'entre.

    5 Mme question pour la phrase ci-dessous, mais avec trois expressions correspondant trois lexies :

    (16) Je narrive pas comprendre quest-ce qui tarrive darriver cinq heures ?

    6 En quoi les deux expressions en gras dans les phrases ci-dessous sont-elles de natures diffrentes ?

    (17) a. Il sest cass la jambe en tombant.

    b. Il sest cass la tte pour rsoudre ce problme.

    7 Expliquez pourquoi casser un jugement [La Cour dAppel a cass le jugement du Tribunal Administratif.] nest pas une locution verbale au mme titre que casser sa pipe (qui veut dire (mourir)).

  • 37

    Leon 4

    lments de morphologie

    Morphologie, morphe, affixe, morphme, radical, flexion, affixe flexionnel, forme flchie, suffixe, signe zro, drivation, affixe drivationnel, prfixe, partie du discours, composition, abrviation, siglaison, acronyme.

    Je ne communiquerai plus par crit avec mon voisin.Tu ne communiqueras plus par crit avec ton voisin.Il ne communiquera plus par crit avec son voisin,etc., etc.

    Patrick Cauvin, Tout ce que Joseph crivit cette anne-l

    Dans cette leon, nous allons sortir du domaine de la lexicologie pour empiter sur celui de la morphologie :

    Nous avons dj commenc nous aventurer dans le domaine morpho-logique dans la leon prcdente, avec la dfinition de la notion de mot-forme. Nous finirons ici ltude des notions morphologiques dont lusage est incontournable en lexicologie.

    En effet, un examen des principales notions morphologiques est ncessaire pour au moins deux raisons :

    1 lanalyse morphologique permet de mieux comprendre la notion de lexie, dans sa relation avec la notion de mot-forme ;

    2 elle permet aussi de modliser certaines relations formelles et smantiques existant entre les lexies de la langue.

    La morphologie est la branche de la linguistique gnrale qui tudie la structure des mots-formes.

  • 38 Leon 4

    Signe morphologique lmentaireLa morphologie consistant dcrire la structure interne des mots-formes, elle doit permettre didentifier les lments constitutifs de ceux-ci. En effet, alors que certains mots-formes ne semblent pas, premire vue, analysables en terme dautres signes :

    (1) chien, assez, vite,

    dautres se dcrivent clairement comme rsultant de la combinaison de plusieurs signes :

    (2) a. chiens = chien + -s

    b. tristement = triste + -ment

    Lorsquon dcompose compltement un mot-forme en signes plus simples le constituant, on arrive des signes lmentaires (voir Leon 2, page 19), qui ne sont pas eux-mmes analysables. Cest ce qui se produit en (2a-b) avec les signes lmentaires chien, -s, triste et -ment.1

    Un morphe peut correspondre un mot-forme, voir (1) ci-dessus. Mais il peut aussi tre un signe linguistique non lexical nayant pas de fonctionnement autonome cest--dire ne pouvant semployer quen combinaison avec dautres signes : cf. -s et -ment.

    Notez que la description du morphe en tant que signe linguistique implique que le morphe est une association entre un signifi et un signi-fiant uniques. Or, il est frquent de rencontrer des morphes qui semblent changer de signifiant dans certains contextes. Par exemple, comment peut-on expliquer le lien morphologique majeur vs majorit, sur le

    On appelle morphe un signe linguistique lmentaire, cest--dire un signe linguistique qui ne peut tre reprsent en terme dautres signes de la langue.

    1. Ce que je dis ici est en partie inexact. Je reviendrai sur lanalyse de chien un peu plus bas (Section Remarque sur les signes zro, page 40).

    On appelle affixe un signe linguistique non autonome, qui est destin se combiner avec dautres signes au sein dun mot-forme.

  • lments de morphologie 39

    modle de stupide vs stupidit, si lon ne veut pas considrer un morphe signifiant variable majeur qui devient major- en combinaison avec laffixe -it ? La solution rside dans lintroduction dune notion dsignant un regroupement de morphes : le morphme. Je laisserai un vritable cours de morphologie le soin de traiter en dtail cette question.

    RadicalToute lexie possde un radical. Celui-ci est le support morphologique de la lexie ; cest llment morphologique qui porte le signifi associ la lexie. Dans les cas standard, on retrouve le radical dans toutes les manifestations morphologiques de la lexie. Par exemple, le radical de CHANTER est chant- que lon retrouve dans chanter, chante, chantes, , celui de RECONSIDRER est reconsidr-, etc.

    Ce dernier cas illustre le fait que le radical dune lexie nest pas ncessairement un morphe : reconsidr- peut sanalyser en tant que re- + considr- (le radical de CONSIDRER).

    Bien entendu, la notion de radical ne concerne que les lexies qui ne sont pas des locutions.

    partir de cette notion, on peut identifier trois types de mcanismes morphologiques pour rendre compte de la structure des mots-formes, mcanismes que lon peut regrouper de la faon suivante :

    la flexion, combinaison rgulire dun radical et dun affixe, permet un emploi grammatical de la lexie dans la phrase ;

    la drivation et la composition permettent la formation de nouveaux radicaux partir de radicaux dj existants.

    Nous allons maintenant examiner tour de rle chacun de ces trois mcanismes morphologiques.

  • 40 Leon 4

    Flexion

    Dfinition de la flexionLa flexion est, dans le cas le plus standard, un mcanisme morphologique consistant en la combinaison dun radical et dun affixe appel affixe flexionnel ayant les trois proprits suivantes :

    1 son signifi est trs vague, plutt abstrait et appartient ncessairement un petit ensemble de sens mutuellement exclusifs appel catgorie flexionnelle par exemple, la catgorie flexionnelle de nombre, qui regroupe les deux sens (singulier) vs (pluriel)2 ;

    2 lexpression de sa catgorie flexionnelle est impose par la langue par exemple, tout nom franais doit tre employ soit au singulier soit au pluriel : cela fait de la flexion un mcanisme rgulier ;

    3 sa combinaison avec le radical dune lexie donne un mot-forme qui est associ la mme lexie.

    Ainsi, le radical verbal chant- peut tre combin avec laffixe flexionnel de linfinitif des verbes du premier groupe -er pour produire le mot-forme chanter ; il peut tre combin avec laffixe flexionnel de premire personne du singulier de lindicatif prsent des verbes du premier groupe -e pour former chante ; etc. On dira que chanter, chante, etc. sont des formes flchies de la lexie CHANTER.Toutes les langues nont pas la mme richesse flexionnelle. Ainsi, le franais est flexionnellement beaucoup plus riche que langlais. De plus, les affixes flexionnels du franais sont tous des suffixes : ils se combinent droite du radical.

    Remarque sur les signes zroLes notions de radical et de flexion nous permettent de revenir sur le cas de chien mentionn ci-dessus (page 38). Jai dit que chien, par opposition chiens, tait un morphe dans la mesure o il ntait pas analysable en signes plus simples. Cela doit tre considr comme inexact, maintenant que les notions de radical et de flexion (catgorie flexionnelle) ont t introduites. Dans une phrase comme

    2. On dit que ces sens sont mutuellement exclusifs car, par exemple, un nom franais ne peut pas tre employ simultanment au singulier et au pluriel.

  • lments de morphologie 41

    (3) Le chien de Charles cherche un chausson.

    le signe chien est en fait la combinaison du radical chien- (radical de la lexie CHIEN) et dun suffixe flexionnel trs particulier exprimant le singulier des noms. En effet, on sait que dans (3) le nom chien est au singulier du fait de labsence du signifiant de laffixe flexionnel de pluriel des noms -s. Le singulier des noms est donc exprim en franais par un signe dont le signifiant est une absence physique de signifiant, un trou morphologique en quelque sorte. De tels signes sont appels signes zro.Pour rsumer, la forme chien apparaissant dans lexemple (3) devrait tre analyse comme un signe complexe form de deux morphes : chien- + -sing (radical de CHIEN + suffixe zro du singulier des noms).

    Drivation

    Dfinition de la drivationLa drivation est, dans le cas le plus standard, un mcanisme morphologique consistant en la combinaison dun radical et dun affixe appel affixe drivationnel ayant les trois proprits suivantes :

    1 son signifi est moins vague et moins abstrait que celui dun affixe flexionnel il se rapproche du signifi dune lexie ;

    2 lexpression de son signifi correspond un choix libre du locuteur, qui dcide de communiquer le signifi en question ;

    3 sa combinaison avec le radical dune lexie donne un mot-forme qui est associ une autre lexie.

    Ainsi, le radical verbal chant- (de la lexie CHANTER) peut tre combin avec laffixe drivationnel -eur (dont le sens est grosso modo (personne qui fait)), pour produire le radical nominal chanteur ((personne qui chante)).

    La drivation est donc un mcanisme morphologique renvoyant une relation entre lexies ou mots-formes. Par exemple, CHANTEUR est un driv nominal de CHANTER.

    Les affixes drivationnels du franais sont soit des suffixes (cf. -eur) soit des affixes prposs, que lon appelle prfixes (cf. re- dans reconsi-

  • 42 Leon 4

    drer). Attention cependant : il existe dautres types de drivations ! Voir ce propos lExercice 6, la fin de cette leon.

    Types de liens drivationnelsLa drivation permet de passer dune lexie une autre. On peut caractriser les diffrents types de drivations en fonction des carts smantiques et grammaticaux existant entre les lexies que ces driva-tions mettent en relation. Ainsi, on peut regarder si les lexies en question sont synonymes ou non et si elles appartiennent ou non la mme partie du discours (nom, verbe, adjectif ou adverbe)3.Lorsquil y a combinaison dun affixe drivationnel avec le radical dune lexie L1 pour donner le radical dune seconde lexie L2, on peut tre en prsence dau moins un des quatre cas de figure suivants4 :

    Quatre types de liens drivationnels

    Il est vident que, pour bien rendre compte des exemples prsents dans la colonne de droite du tableau ci-dessus, il faudrait faire une analyse

    3. La notion de partie du discours sera examine en dtail la leon suivante.

    Cas de figure Exemples : L1 L2 sens (L1) fait partie du sens (L2) partie du discours de L1 = partie

    du discours de L2

    LOUERV RELOUERV

    sens (L1) fait partie du sens (L2) partie du discours de L1 partie

    du discours de L2

    CHANTERV CHANTEURN

    (L1) et (L2) sont quivalents partie du discours de L1 = partie

    du discours de L2

    CONN CONARDNFURIBONDAdj FURIBARDAdj

    (L1) et (L2) sont quivalents partie du discours de L1 partie

    du discours de L2

    DCIDERV DCISIONN

    4. Le troisime cas de figure numr ci-dessous est trs rare en franais et je nai pu en trouver des exemples que dans le langage familier.

  • lments de morphologie 43

    plus fine des relations de sens existant entre les lexies en cause. Il nous suffit pour linstant de noter que les drivations peuvent

    ajouter ou non un sens au sens de dpart,

    associer la lexie dorigine une lexie appartenant ou non la mme partie du discours.

    ce stade du cours, il peut vous sembler trange de dire que des lexies comme, par exemple, DCIDER et DCISION ont en gros le mme sens. Nous verrons cependant quil existe des raisons thoriques et pratiques pour procder de la sorte.

    Drivation synchronique vs drivation diachroniqueJai prsent plus haut la drivation sur le mme plan que la flexion, cest--dire comme tant un mcanisme morphologique. Or, dans le cas du franais, cela est en grande partie un abus de langage : il conviendrait de distinguer la drivation synchronique et la drivation diachronique.

    Dun point de vue synchronique, la vritable drivation est rare en franais. On peut citer comme exemple la drivation qui se fait par ajout du prfixe re- et qui produit un verbe avec ajout de la signification ( nouveau) :

    (4) a. manger + re- remanger

    b. lire + re- relire

    c. dessiner + re- redessiner

    On voit que cette drivation est trs productive car le prfixe re- peut tre combin avec la plupart des radicaux verbaux pour former un autre verbe. On ne va donc pas entrer dans un dictionnaire la description des lexies REMANGER, RELIRE, REDESSINER, etc. Celles-ci sont construites volont par le locuteur partir de sa connaissance des radicaux corres-pondants et de la rgle de drivation en re-.

    Mais les rgles de drivation de ce type sont rares en franais. Dans cette langue, on trouve surtout des cas de drivations diachroniques, cest--dire des drivations non productives au niveau du locuteur : cest la langue elle-mme, dans son volution, qui prsente un tel cas de drivation. Par exemple, les liens drivationnels suivants nexistent que de faon diachronique :

  • 44 Leon 4

    (5) a. consomm- + -ation consommation

    b. communiqu- + -ation communication

    En effet, un locuteur va employer CONSOMMATION parce que cette lexie existe en franais, pas en la construisant lui-mme partir du radical consomm- et dune rgle morphologique de drivation. Sinon, comment expliquer que lon ait consommation mais pas *mangeation, communi-cation mais pas *parlation, etc. ?

    Ltude de la drivation en franais va donc surtout porter sur des driva-tions lexicalises, cest--dire des cas o le lien drivationnel entre lexies napparat que dun point de vue diachronique.

    CompositionLa composition est, comme la drivation, un mcanisme morphologique construisant de nouveaux radicaux : un mot-forme est form par composition lorsquil rsulte de la concatnation de plusieurs radicaux. Par exemple : bon + homme bonhomme, porteV + manteau portemanteau, etc.

    La composition nexiste quasiment pas en franais en tant que mcanisme morphologique synchronique. Cest uniquement la perspective diachronique (apparition de nouvelles lexies en franais) qui permet de parler de composition dans le cas de cette langue.

    Notez de plus que lon voit souvent dans les grammaires et dans les textes de linguistique la notion de composition tendue la lexicali-sation de groupes syntaxiques, cest--dire la formation de locutions : FAITS DIVERS, POMME DE TERRE, COUP DE CUR, LAISSER TOMBER, etc. Cela sexplique par le fait que les mots-formes dont les locutions sont formellement constitues sont en quelque sorte dgnrs et que les locutions tendent se comporter comme des blocs morphologiques, la manire des mots-formes (voir Leon 3, Section Les locutions, page 30).

  • lments de morphologie 45

    Dans le cas dune vritable tude de la morphologie lexicale, et notamment dans le cadre dune tude diachronique, on pourrait aller beaucoup plus loin dans lexamen des modes de formation des lexies. Je ne ferai que mentionner ici deux autres modes de formation lexicale nexistant, comme la composition en franais, que dun point de vue diachronique :

    1 Labrviation (APPART, AUTO, ) relve en gnral du langage parl ou familier et permet de produire une nouvelle lexie par troncation du radical dune lexie initiale.

    2 La siglaison (USA, PDG) produit une lexie partir dune locution en concatnant les lettres initiales de chacune des lexies de la locution en question. En franais, les sigles sont normalement des noms. Un sigle qui se prononce comme une suite de syllabes et non en pelant les lettres est appel acronyme : OTAN (\OtA)\ et pas \OteaEn\), NASA (\naza\ et pas \EnazEda\),

    Lectures

    Lecture requiseNida, Eugene A. (1976) Chapter 1: Introduction to morphology. In :

    Morphology: The Descriptive Analysis of Words, Second Edition, Ann Arbor: The University of Michigan Press, pp. 1-5.

    Ce court texte, dune grande clart, situe ltude morphologique dans le cadre plus gnral de ltude des langues. Vous noterez certains carts terminologiques par rapport ce qui a t dit dans cette leon, notamment pour ce qui est de lemploi du terme word (= mot). Cette remarque vaut aussi pour la lecture suggre ci-dessous.

    Lecture suggreLehmann, Alise et Franoise Martin-Berthet (1998) Deuxime partie :

    Morphologie lexicale. In : Introduction la lexicologie : Smantique et morphologie, Collection Lettres Sup , Paris : Dunod, pp. 99-185.

    La seconde partie de cet ouvrage est en quelque sorte un mini-manuel dintroduction ltude de la morphologie, centr sur le franais. Vous pouvez donc le consulter si vous dsirez en savoir plus sur cette

  • 46 Leon 4

    branche de la linguistique et voir dautres exemples danalyses morpho-logiques de mots-formes franais.

    Exercices1 Il a t dit des signes numrs dans lexemple (1) quils ntaient pas

    analysables en terme dautres signes de la langue. Pourquoi le fait que maison contienne deux syllabes \mE\ et \zO)\ ne contredit-il pas cette affirmation ?

    2 Comparez, le plus exhaustivement possible, tous les types de flexions que lon trouve en anglais et en franais.

    3 Examinez les formes flchies du verbe TRE. Voyez-vous un problme par rapport la dfinition de la notion de flexion prsente dans le cours ? (Pensez la notion de radical.)

    4 Dcrivez le plus compltement possible en tant que signe linguistique (sens, forme et proprits de combinatoire) laffixe -age, que lon trouve dans nettoyage, dbauchage, etc.

    5 On crit portefeuille, mais on crit porte-monnaie. Quelle conclusion faut-il en tirer ?

    6 Est-ce que lon est en prsence dun cas de drivation dans

    (6) Il noublie jamais dapporter son manger car il aime trop manger ?

    Quest-ce que cela implique au niveau de la notion de drivation telle quelle a t dfinie page 41 ?

    7 Le sigle ONU est-il un acronyme ?

  • 47

    Leon 5

    Structure du lexique

    Lexique, vocabulaire dun discours vs dun individu, idiolecte, terminologie, dialecte, partie du discours (= classe grammaticale, catgorie syntaxique), classe ouverte vs ferme, mot lexical vs grammatical, lien paradigmatique vs syntagmatique, introspection, enqute linguistique, corpus linguistique, frquence demploi, occurrence, statistique lexicale, hapax.

    Toutes les utopies sont dprimantes, parce quelles ne laissent pas de place au hasard, la diffrence, aux divers . Tout a t mis en ordre et lordre rgne.

    Derrire toute utopie, il y a toujours un grand dessein taxinomique : une place pour chaque chose et chaque chose sa place.

    Georges Perec, Penser/Classer

    Nous allons examiner dans cette leon comment est structur le lexique des langues. Nous avons dj vu (cf. Leon 3) que le lexique pouvait se dcrire grosso modo comme un ensemble des lexies regroupes en vocables. Je vais tout dabord prciser la notion de lexique, en la contrastant notamment avec celle de vocabulaire. Puis, je prsenterai les parties du discours, qui sont des classes de lexies, regroupes en fonction de leurs caractristiques grammaticales. Je prsenterai brivement ensuite les diffrents types de liens que peuvent entretenir les lexies au sein du lexique de la langue. Je conclurai par quelques observations sur les phnomnes statistiques lis lusage du lexique.

    Malgr son titre, cette leon ne prtend pas vous dmontrer que le lexique possde une structure donne. Et cest pour faire contrepoids lardeur classificatrice de certains de mes collgues que jai mis en

  • 48 Leon 5

    exergue cette citation de G. Perec. On peut toujours effectuer des classi-fications, des regroupements des lexies de la langue. Cependant, ces structures descriptives que lon plaque sur le lexique ne servent qu mettre en vidence des aspects bien spcifiques de son organisation. Elles rpondent un besoin pratique de classement mais, prises indivi-duellement, ne peuvent suffire modliser la structure du lexique, qui est multidimensionnelle. Cette dernire doit tre considre selon plusieurs angles simultanment.

    Lexique vs vocabulaire

    La notion de lexiqueLe moment est venu de mettre noir sur blanc une dfinition de la notion de lexique :

    Par entit thorique, je veux dire que le lexique nest pas vritablement un ensemble dont les lments, les lexies, peuvent tre numrs de faon systmatique. On peut, par exemple, discuter du fait de savoir si tel ou tel anglicisme entendu la radio fait ou non partie du lexique du franais contemporain, si une expression comme Dfense de stationner est ou non une lexie, etc. On postule donc lexistence dun lexique, qui est une sorte didalisation : une entit thorique qui, dans les faits, ne peut pas tre dcrite avec une prcision et une certitude totales.

    Considrons maintenant la seconde partie de la dfinition : le lexique est un ensemble de lexies. On pourrait bien entendu postuler que le lexique est un ensemble de mots-formes et reprsenter ainsi le lexique du franais :

    Lexfranais = { , , avoir, ai, a, avons, , maison, maisons, , petit, petite, petits, petites, }.

    Cette modlisation revient dire que notre connaissance lexicale est une connaissance dun ensemble de mots-formes et que, par exemple, maison et maisons sont deux lments distincts de notre connaissance lexicale du franais. Cependant, nous percevons bien que les deux mots-

    Le lexique dune langue est lentit thorique correspondant lensemble des lexies de cette langue.

  • Structure du lexique 49

    formes en question sont regroups dans quelque chose de plus gnral, qui factorise tout ce que ces deux signes linguistiques ont en commun. Il sagit de la lexie MAISON. Lorsque vous apprenez un nouvel lment du lexique dune langue, vous apprenez en fait quelque chose qui, potentiellement, est associ plusieurs mots-formes distincts et qui correspond directement la notion de lexie. La lexie est vraisembla-blement une entit psychique qui structure votre connaissance linguis-tique des langues, une sorte de mtasigne .

    Dun strict point de vue ensembliste, il revient peu prs au mme de considrer le lexique comme un ensemble de lexies ou un ensemble de mots-formes. La diffrence se fait sentir ds que lon veut modliser le lexique dans un dictionnaire. Il nous faut alors choisir une unit de description. Les mots-formes associs une lexie tant en gnral calcu-lables partir du radical de la lexie et de rgles de grammaire gnrales, il serait extrmement redondant de construire un dictionnaire dcrivant explicitement tous les mots-formes de la langue. On va donc considrer que le lexique dune langue donne est lensemble de ses lexies et non lensemble de ses mots-formes.

    La notion de vocabulaireLa notion de lexique doit tre contraste avec celle de vocabulaire :

    Le terme discours doit tre compris ici dans un sens trs large, comme rfrant un texte quel quil soit. Ainsi, un discours peut tre :

    un texte ou un ensemble de textes ;

    un texte oral ou crit ;

    un texte impliquant un locuteur unique ou un ensemble de locuteurs.

    Discours et vocabulaire dun discours sont donc du domaine de la parole et non de celui de la langue (cf. Leon 1).

    Le vocabulaire dun discours est lensemble des lexies utilises dans ce discours.

  • 50 Leon 5

    Jai employ systmatiquement le terme vocabulaire dun discours, car vocabulaire seul est ambigu. Il faut distinguer la notion de vocabulaire dun discours de celle de vocabulaire dun individu1 :

    Notez que, contrairement au vocabulaire dun discours, le vocabulaire dun individu est, en tant que sous-ensemble dun lexique, une entit thorique. Le vocabulaire dun individu est une composante de lidiolecte de cet individu, cest--dire de la langue quil matrise et parle. En effet, personne ne parle vritablement de la mme faon et personne na exactement la mme connaissance de la langue. De ce point de vue, la langue (comme le lexique) nexiste pas : cest une abstraction thorique qui synthtise les connaissances communes lensemble des locuteurs. Cela a des consquences trs importantes sur la mthodologie de ltude linguistique, dans la mesure o lon ne peut jamais se baser sur la faon de parler dun individu pour en dduire une description de la langue en gnral. Il faut toujours se donner les moyens de prendre en compte les variations idiolectales.

    En ralit, le problme de la variation linguistique ne se pose pas seulement au niveau de lidiolecte. La langue varie en fonction des individus qui lutilisent mais aussi en fonction des contextes dutili-sation.

    On peut ainsi isoler au moins cinq axes de variation linguistique pouvant poser problme dans le cadre de ltude de la langue et, notamment, du lexique :

    1 variations gographiques par exemple, franais parisien vs montralais ;

    2 variations sociales il nest pas rare que lon puisse dterminer le milieu social dans lequel a grandi ou dans lequel volue un individu en se basant sur la faon dont il sexprime ;