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590 Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 5, 590-592 C. PAPEIX et coll. Cas clinique Ophtalmoplégie complète compliquant un zona ophtalmique C. Papeix 1 , J. Dumurgier 1 , D. Miléa 2 , C. Pierrot Deseilligny 1 1 Service de Neurologie 1, 2 Service d’Ophtalmologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), Paris. RÉSUMÉ Nous rapportons le cas d’une patiente ayant présenté une ophtalmoplégie complète compliquant un zona ophtalmique. La découverte d’un méningiome temporal interne ipsilatéral envahissant le sinus caverneux fait discuter l’origine tumorale ou infectieuse des signes ophtalmi- ques. Mots-clés : Méningiome • Mouvements oculaires • Zona ophtalmique SUMMARY Complete ophthalmoplegia complicating ophthalmic herpes zoster. C. Papeix, J. Dumurgier, D. Miléa, C. Pierrot Deseilligny, Rev Neurol (Paris) 2005; 161: 5, 590-592 We report a case of a 73-year-old patient with complete ophthalmoplegia following an episode of ophthalmic herpes zoster. MRI showed an associated ipsilateral temporal meningioma with cavernous sinus extension. We discuss the possible responsibility of these two condi- tions in the ocular motor signs. Keywords: Meningioma • Ocular movements • Herpes zoster ophthalmicus INTRODUCTION Le zona ophtalmique est une atteinte infectieuse du nerf ophtalmique de Willis par le virus varicelle-zona. Le nerf ophtalmique, branche sensitive pure du trijumeau (V1), se divise en trois branches terminales : les nerfs frontal, lacrymal et nasociliaire. Il assure l’innervation sensitive ipsilatérale de l’hémifront, de la paupière, du globe oculaire et de l’aile du nez. Le zona ophtalmique se traduit clini- quement par une éruption érythémato-vésiculeuse doulou- reuse dans ce territoire cutané, avec ou sans complications oculaires. L’atteinte de la branche nasociliaire, responsable de la sensibilité du globe oculaire, est la plus à risque des complications oculaires (Zaal et al., 2003). Parmi les complications oculaires, la survenue de paralysie oculomo- trice est peu décrite dans la littérature. Nous rapportons le cas d’une ophtalmoplégie gauche quasi complète par atteinte des nerfs moteur oculaire commun (III) et moteur oculaire externe (VI), associée à une baisse de l’acuité visuelle au cours d’un zona ophtalmique gauche. La décou- verte, en association, d’un méningiome temporal interne gauche envahissant le sinus caverneux, fait discuter l’impu- tabilité de ces deux affections dans l’origine des signes ophtalmologiques. OBSERVATION Cas n° 4103129232. — Une femme de 73 ans, droitière, enseignante à la retraite, sans antécédents notables, fut hos- pitalisée au décours d’un traumatisme facial secondaire à une chute mécanique. Au cinquième jour de son hospitali- sation, une éruption érythémato-vésiculeuse dans le terri- toire du V1 gauche survint, correspondant à un zona ophtalmique gauche et motivant l’instauration d’un traite- ment par valacyclovir per os à la dose d’1 g, trois fois par jour, pour une durée de 7 jours. Le lendemain de l’éruption cutanée, une ophtalmoplégie complète s’installa brutale- ment du côté ipsilatéral au zona. Puis, une baisse de l’acuité visuelle gauche s’installa progressivement. L’examen ocu- lomoteur révéla à gauche un ptosis complet (Fig. 1a), une anisocorie majorée à la lumière (Fig. 1b), une paralysie du muscle droit interne, droit inférieur, droit supérieur, oblique inférieur et droit externe. Il n’y a pas eu d’examen de la cyclotorsion. L’examen de la sensibilité révélait une anes- thésie dans le territoire du V1. À l’examen ophtalmologique, du côté du zona, l’acuité visuelle à gauche était à 1/10 e Parinaud 14. À l’examen à la fluorescéine, il n’existait pas de kératite et l’examen à la lampe à fente ne montra ni uvéite ni vitrite. Le fond d’œil Tirés à part : C. PAPEIX, Service de Neurologie 1, Hôpital de la Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’hôpital, 75651 Paris Cedex 13. E-mail : [email protected]

Ophtalmoplégie complète compliquant un zona ophtalmique

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Page 1: Ophtalmoplégie complète compliquant un zona ophtalmique

590 Rev Neurol (Paris) 2005 ; 161 : 5, 590-592

C. PAPEIX et coll.

Cas clinique

Ophtalmoplégie complète compliquant un zona ophtalmique

C. Papeix1, J. Dumurgier1, D. Miléa2, C. Pierrot Deseilligny1

1 Service de Neurologie 1,2 Service d’Ophtalmologie, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP), Paris.

RÉSUMÉNous rapportons le cas d’une patiente ayant présenté une ophtalmoplégie complète compliquant un zona ophtalmique. La découverte d’unméningiome temporal interne ipsilatéral envahissant le sinus caverneux fait discuter l’origine tumorale ou infectieuse des signes ophtalmi-ques.

Mots-clés : Méningiome • Mouvements oculaires • Zona ophtalmique

SUMMARYComplete ophthalmoplegia complicating ophthalmic herpes zoster.C. Papeix, J. Dumurgier, D. Miléa, C. Pierrot Deseilligny, Rev Neurol (Paris) 2005; 161: 5, 590-592

We report a case of a 73-year-old patient with complete ophthalmoplegia following an episode of ophthalmic herpes zoster. MRI showedan associated ipsilateral temporal meningioma with cavernous sinus extension. We discuss the possible responsibility of these two condi-tions in the ocular motor signs.

Keywords: Meningioma • Ocular movements • Herpes zoster ophthalmicus

INTRODUCTION

Le zona ophtalmique est une atteinte infectieuse du nerfophtalmique de Willis par le virus varicelle-zona. Le nerfophtalmique, branche sensitive pure du trijumeau (V1), sedivise en trois branches terminales : les nerfs frontal,lacrymal et nasociliaire. Il assure l’innervation sensitiveipsilatérale de l’hémifront, de la paupière, du globe oculaireet de l’aile du nez. Le zona ophtalmique se traduit clini-quement par une éruption érythémato-vésiculeuse doulou-reuse dans ce territoire cutané, avec ou sans complicationsoculaires. L’atteinte de la branche nasociliaire, responsablede la sensibilité du globe oculaire, est la plus à risque descomplications oculaires (Zaal et al., 2003). Parmi lescomplications oculaires, la survenue de paralysie oculomo-trice est peu décrite dans la littérature. Nous rapportons lecas d’une ophtalmoplégie gauche quasi complète paratteinte des nerfs moteur oculaire commun (III) et moteuroculaire externe (VI), associée à une baisse de l’acuitévisuelle au cours d’un zona ophtalmique gauche. La décou-verte, en association, d’un méningiome temporal internegauche envahissant le sinus caverneux, fait discuter l’impu-tabilité de ces deux affections dans l’origine des signesophtalmologiques.

OBSERVATION

Cas n

° 4103129232. — Une femme de 73 ans, droitière,enseignante à la retraite, sans antécédents notables, fut hos-pitalisée au décours d’un traumatisme facial secondaire àune chute mécanique. Au cinquième jour de son hospitali-sation, une éruption érythémato-vésiculeuse dans le terri-toire du V1 gauche survint, correspondant à un zonaophtalmique gauche et motivant l’instauration d’un traite-ment par valacyclovir per os à la dose d’1 g, trois fois parjour, pour une durée de 7 jours. Le lendemain de l’éruptioncutanée, une ophtalmoplégie complète s’installa brutale-ment du côté ipsilatéral au zona. Puis, une baisse de l’acuitévisuelle gauche s’installa progressivement. L’examen ocu-lomoteur révéla à gauche un ptosis complet (Fig. 1a), uneanisocorie majorée à la lumière (Fig. 1b), une paralysie dumuscle droit interne, droit inférieur, droit supérieur, obliqueinférieur et droit externe. Il n’y a pas eu d’examen de lacyclotorsion. L’examen de la sensibilité révélait une anes-thésie dans le territoire du V1.

À l’examen ophtalmologique, du côté du zona, l’acuitévisuelle à gauche était à 1/10e Parinaud 14. À l’examen à lafluorescéine, il n’existait pas de kératite et l’examen à lalampe à fente ne montra ni uvéite ni vitrite. Le fond d’œil

Tirés à part : C. PAPEIX, Service de Neurologie 1, Hôpital de la Salpêtrière, 47-83, boulevard de l’hôpital, 75651 Paris Cedex 13. E-mail : [email protected]

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était normal. L’examen ophtalmologique du côté droit étaitsans particularité. Le champ visuel automatisé de Hum-phrey 24/4 révéla un scotome cæco-central de l’œil gaucheisolé, sans atteinte droite associée (Fig. 2).

Sur les potentiels évoqués visuels, les réponses corticalesà droite étaient de morphologie et d’amplitude normale et àgauche d’amplitude très diminuée et de latence très allon-gée (+ 7,7 DS), témoignant d’une atteinte fonctionnelle dunerf optique gauche. Un scanner X encéphalique révéla unépaississement de la loge caverneuse gauche d’aspect spon-tanément hyperdense, de 15 mm de largeur, non calcifié,s’étendant en arrière sur les méninges temporales internesgauche et en avant dans le canal optique gauche qui étaitélargi. Cet épaississement était rehaussé après injectiond’iode. Les fenêtres osseuses révélèrent un léger épaissis-sement osseux de l’aile du sphénoïde gauche. Cet examenfut complété par une IRM cérébrale injectée qui montra surles séquences pondérées en T1, T2 et FLAIR un élargisse-ment du sinus caverneux gauche, rehaussé après injectiondu produit de contraste, en faveur d’un méningiome tempo-ral interne gauche, présentant des signes d’envahissementdu sinus caverneux gauche (Fig. 3). Le bilan biologiquestandard était sans particularité. L’analyse du liquidecéphalorachidien (LCR) objectiva une méningite lympho-cytaire à 25 éléments par mm3, sans cellules anormales, unehyperprotéinorachie à 1,10 g/l et une glycorachie normale.L’interféron alpha était présent dans le LCR. La PCR Vari-celle-Zona Virus (VZV) fut négative. Les anticorps anti-

VZV furent positifs à un taux élevé en IGG dans le sérum(45000 mUI/ml ; normale < 100 mUI/ml) et dans le LCR(840 mUI/ml ; normale < 100 mUI/ml), et négatifs en IgMdans le sérum et le LCR.

L’évolution, sous valaciclovir, à la dose de 3 g/j pendant15 jours, associé à 500 mg de méthylprednisolone intravei-neuse lente pendant 24 h, relayée par 1 mg/kg/j pendant7 jours, fut progressivement favorable. À 6 semaines dudébut du traitement, il fut observé une régression du ptosis,une amélioration de l’oculomotricité et de l’acuité visuelle,une absence de douleur post-zostérienne. Il persistait unelégère anisocorie majorée à la lumière. À 3 mois, le LCRs’était normalisé et le volume du méningiome était stable àl’IRM encéphalique.

DISCUSSION

Nous rapportons un cas ayant présenté une ophtalmoplé-gie complète de l’œil gauche et une baisse de l’acuitévisuelle compliquant un zona ophtalmique. L’imageriecérébrale a révélé un méningiome temporal interne enva-

Fig. 1. – a) Ptosis gauche. b) Anisocoriemajorée à la lumière.a) Left ptosis. b) Anisocoria in light.

a b

Fig. 2. – Champ visuel automatisé, scotome cæco-central.Centrocecal visual field defect with Humphrey automated perimeter.

Fig. 3. – IRM encéphalique, coupe axiale, séquence T1 : ménin-giome temporal interne gauche s’étendant au sinus caverneux etcomprimant le nerf optique dans le canal optique gauche.Brain MRI, axial, T1 weighted: meningioma of internal temporallobe, extending to the cavernous sinus and the optic nerve in theleft optic canal.

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hissant le sinus caverneux ipsilatéral. Nous discuterons del’imputabilité du zona et du méningiome dans la survenuede ces différents signes.

Concernant l’ophtalmoplégie caractérisée par l’atteintedu IIIe et du VIe nerfs crâniens gauches, elle pourrait êtresecondaire à une compression du sinus caverneux par leméningiome. La paroi latérale externe du sinus caverneuxcontenant, en effet, de haut en bas les nerfs III, pathétique(IV), V1 et V2. Le VIe nerf crânien flotte dans la cavité dusinus caverneux, au contact de l’artère carotide interne. Lespathologies tumorales du sinus caverneux peuvent avoir unretentissement précoce sur l’oculomotricité.

Cependant, la survenue brutale de l’ophtalmoplégie audécours immédiat de l’éruption vésiculeuse zostérienne, laprésence d’une méningite lymphocytaire et l’améliorationdes troubles oculomoteurs à 6 semaines, après traitementmédical seul, sont en faveur d’une origine infectieuse,d’autant que les complications oculomotrices ne sont pasrares au cours du zona ophtalmique. En effet, dans uneétude prospective portant sur 77 patients examinés consé-cutivement pour un zona ophtalmique, la fréquence desparalysies oculomotrices s’élevait alors à 31 p. 100 (Marsh,1977).

Le début de la paralysie était précoce — dans la semainesuivant l’éruption — et le nerf le plus fréquemment atteintétait le III ipsilatéral, la régression étant spontanée en 2 à23 mois. Le mécanisme physiopathologique de l’atteintedes nerfs oculomoteurs au cours du zona ophtalmique restediscuté. Elle pourrait être secondaire soit à un effet cyto-pathogène direct du virus sur les nerfs oculomoteurs parcontiguïté nerveuse ou périnévritique du ganglion trigé-miné, soit à une angéite granulomateuse qui occlurait lesvasa-vasorum nourriciers des nerfs oculomoteurs, soit àune méningo-radiculite basilaire (Karbassi et al., 1992).L’anisocorie majorée à la lumière peut s’expliquer parl’atteinte des fibres du nerf parasympathique dans le gan-glion ciliaire, qui peut être le siège d’une infection zosté-rienne à partir de la branche naso-ciliaire du V1.

L’origine de la baisse de l’acuité visuelle de cettepatiente peut aussi être discutée. Dans le cadre d’un zonaophtalmique, elle peut être secondaire soit à une complica-tion oculaire, soit à une atteinte du nerf optique. Clinique-ment, le signe de Marcus-Günn aurait pu orienter vers uneatteinte du nerf optique, mais l’atteinte des fibres parasym-pathiques responsable d’une mydriase gauche aréactiveempéchait la recherche de ce signe. Les potentiels évoquésvisuels permirent d’authentifier une atteinte du nerf optiquegauche. Cette atteinte du nerf optique peut être imputablesoit au méningiome par le biais d’une compression locale,soit au zona par le biais d’une névrite optique infectieuse.

Le déficit cæco-central gauche objecté par un champ visuelautomatisé, plus fréquemment observé au cours des névri-tes optiques qu’au cours des compressions du nerf optique,est en faveur d’une origine infectieuse.

Sur le plan thérapeutique, la prise en charge du zona oph-talmique est codifiée depuis la conférence de consensus dela Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française(Peyramond et al., 1998). La prescription d’un traitementantiviral doit être systématique devant tout zona ophtalmi-que. Le traitement par valaciclovir (1 g x 3/jour) doit êtreinstitué précocement dans les 72 premières heures suivantle début de l’éruption cutanée, pour une durée de 7 à15 jours. L’utilisation des corticoïdes préviendrait le risquede névralgie post-zostérienne.

Différents facteurs ont pu favoriser la survenue du zonaophtalmique chez cette patiente. L’âge supérieur à 70 ansest un réel facteur de risque, les zonas ophtalmiques surve-nant de manière quasi exclusive après l’âge de 50 ans. Il nefut pas retrouvé de facteur immunodépresseur ni d’argu-ment pour une hémopathie maligne de type lymphome. Lestraumatismes mécaniques sont un facteur déclenchant clas-sique de zona (Thomas et al., 2004). En revanche, l’asso-ciation d’un méningiome du sinus caverneux avec un zonaophtalmique n’a pas été à notre connaissance, rapportéedans la littérature. Cette association de ces deux patholo-gies distinctes pouvant toutes deux rendre compte dutableau d’ophtalmoplégie multiple et de névrite optique faitl’originalité de cette observation. L’origine infectieuse a étéfinalement retenue sur les quatre arguments suivants : (1)l’éruption zostérienne dans le territoire du V1 précédantjuste les troubles oculomoteurs ; (2) la brutalité de l’instal-lation de l’ophtalmoplégie ; (3) le déficit cæco-central dudéficit du champ visuel ; et (4) la méningite lymphocytaire.

RÉFÉRENCES

KARBASSI M, RAIZMAN MB, SCHUMAN JS. (1992). Herpes zosterophthalmicus. Surv Ophthalmol, 36: 395-410.

MARSH RJ, DULLEY B, KELLY V. (1977). External ocular motor pal-sies in ophthalmic zoster: a review. Br J Ophthalmol, 61: 677-682.

PEYRAMOND D, CHIDIAC C, LUCHT F, PERRONNE C, SAIMOT AG,SOUSSY JC, STAHL JP. (1998). Management of infections due tothe varicella-zoster virus. 11th consensus conference on anti-infectious therapy of the French-speaking Society of InfectiousDiseases. Eur J Dermatol, 8: 397-402.

THOMAS SL, WHEELER JG, HALL AJ. (2004). Case-control study ofthe effect of mechanical trauma on the risk of herpes zoster.BMJ, 328: 439-440.

ZAAL MJ, VOLKER-DIEBEN HJ, D’AMARO J. (2003). Prognostic valueof Hutchinson’s sign in acute herpes zoster ophthalmicus. Grae-fes Arch Clin Exp Ophthalmol, 241: 187-191.